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Full text of "Biographie universelle, ancienne et moderne; ou, Histoire"

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BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERNE 


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«/t/wVv'Wvi/%/vwvi/w  >.  v«VL'«,'W%^t'V  ^/xnnnjwv 


DE   L'IMPRIMERIE   D'EVERAT, 

RUE    DU    CADRAN,    N°.    l6. 


BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERNE, 
ou 

HISTOIRE,  PAR  ORDRE  ALPHABÉTIQUE,  DE  LA  VIE  PUBLIQUE  ET  PRIVEE  DE 
TOUS  LES  HOMMES  QUI  SE  SONT  FAIT  REMARQUER  PAR  LEURS  ECRITS  , 
LEURS    ACTIONS,    LEURS    TALENTS,    LEURS   VERTUS  ET    LEURS    CRIMES. 

OUVRAGE      ENTIÈREMENT     NEUF, 

RÉDIGÉ  PAR  UNE  SOCIÉTÉ  DE  GENS  DE  LETTRES  ET  DE  SAVANTS. 


Oa  doit  des  égards  aux  vivants  ;  on  ne  doit  aux  morts 
que  la  vérité.  ÇVoi,i:. ,  première  Lettre  sur  OEdipe.) 


TOME  CINQUANTE-UNIÈME. 


A  PARIS, 

CHEZ  L.-G.  MICHAUD,  LIBRAIRE -ÉDITEUR, 

PLACE    DES  VICTOIRES  ,  N°.    3. 


1828.  ' 


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SIGNATURES    DES    AUTEURS 


DU  CINQUAINTE-UNIÈME  VOLUME. 


MM. 


MM. 


A. 

De  Barante. 

L — s E. 

Lasalle. 

A-D— R. 

Amar-Ddrivier. 

L-T-L. 

De  Lally-Tolekdal. 

A.R— T. 

Abel-Rémusat. 

L-T. 

Lécdt. 

A— s. 

AUCDIS. 

M-D  j. 

MiCHAUD  jeune. 

A— T. 

H.    AUDIFFRET. 

M— LE. 

Mentellb. 

B-C-B. 

Badiche. 

M— ON. 

Marron. 

B-r. 

De  Beauchamp. 

M— s— i^. 

De  Maussion. 

B— ss. 

Boissonade. 

P-OT. 

Parisot. 

C-K. 

Clavier. 

P-RT. 

Philbert. 

C-S-A. 

CoRRÉA  DE  Serra. 

p— s. 

Périès. 

D-C-T. 

De  Chazet. 

Q.Q. 

Quatremèrb  de  Quincy 

D—És. 

Després. 

R-C-D. 

RiCHERAND. 

D_G. 

Depping. 

R—'D—ic. 

Renauldin. 

D.  G— o. 

De  Gérando. 

S.D.S— T 

.    SiLVESTRE  DE   SacY. 

D— R— R. 

DCROZOIR. 

S-R. 

Stapfer. 

E~s. 

Eyriès. 

St-t. 

Stassart. 

F.  P— T. 

Fabieit  Pillet. 

S-v-s. 

De  Seveliwges. 

G— CE. 

Gence. 

T— D. 

Tabaraud. 

G-Y. 

Glet. 

U— I. 

USTÉRI. 

H-ON. 

HÉRISSON. 

V,    C-N. 

Victor  Cousin. 

H— Q_N. 

Hennequin. 

V-G-R. 

ViGtIER. 

Kl-h. 

Klaproth. 

V— N. 

VlLLEMAIK. 

L. 

Lefebvre-Cauchï. 

W~s. 

Weiss. 

L-KE. 

Letronnk. 

z. 

Anonyme . 

BIOGRAPHIE 


UNIVERSELLE. 


w 


Wi 


INGIIESCOMBE.  P^oy.  Wins- 

HECOMB. 

WINGKELMANN  (  Jean),  théo- 
logien protestant  ,  ne  eu  i55i  ,  à 
Homberg  dans  la  liesse,  d'une  famille 
patricienne,  iit  ses  études  à  Marpourg, 
et  visita  les  académies  de  Heidelbcrg, 
de  Tubingue,  de  Strasbourg  et  de 
Bâle ,  où  il  reçut ,  en  1 58 1  ,  le 
grade  de  docteur.  Nommé  chape- 
lain de  la  cour  de  Cassel ,  il  ré- 
signa cet  emploi  en  lôcji  ,  pour 
se  livrer  à  l'enseignement,  et  fut 
pourvu  d'une  chaire  vacante  à  l'a- 
cadémie de  Marpourg.  Lors  de  la 
création  de  l'université  de  Giessen 
(1607) ,  il  y  passa,  sur  Tin vitation 
du  Landgrave ,  avec  le  titre  de  pre- 
mier professeur  de  théologie.  Il  rem- 
plit plusieurs  fois  les  fonctions  de 
recteur  de  cette  académie  naissante, 
et  contribua  beaucoup  à  fixer  son 
rang  parmi  les  premières  écoles  théo- 
logiques de  l'Allemagne.  Celle  de 
Marpourg  étant  presque  abandonnée, 
on  voulut  essayer  de  lui  rendre  son 
ancien  éclat  ;  et  en  i623  Winckel- 
'mann  fut  invité  à  venir  y  reprendre 
sa  chaire.  Malgré  son  grand  âge,  il 
consentit  à  se  déplacer  ;  mais  il  ne 
tarda  pas  à  retourner  à  Giessen  , 
où    il    mourut  le    3  avril    1626. 


Il  avait  été  marié  quatre  fois  , 
et  avait  eu  dix-huit  enfants  )  mais 
une  seule  de  ses  filles  lui  survé- 
cut. Outre  des  Oraisons  funè- 
bres,  des  Thèses,  et  un  grand 
nombre  d'écrits  polémiques  eu  latin 
et  en  allemand,  on  a  de  lui  des  Com- 
mentaires sur  les  douze  petits  pro- 
phètes ;  sur  les  Évangiles  de  saint 
Marc  et  de  saint  Luc  ;  sur  l'Apoca- 
lypse de  saint  Jean ,  et  enfin ,  sur  les 
Epîtres  de  saint  Pierre  ,  de  saint 
Jacques  et  quelques-unes  de  saint 
Paul.  Ces  Commentaires  ont  été  in- 
sérés dans  le  Thésaurus  ei^angeli- 
cus  et  apostolicus  de  Hunnius,  pu- 
blié par  Feustking.  On  trouvera 
la  liste  des  autres  ouvrages  de  Winc- 
kelmann  dans  le  Theatrum  de  Fre- 
her,  427-28  ]  et  son  portrait ,  plan- 
che XI.  W — s. 

WINGKELMANN  (Jean- Juste), 
historien,  fils  du  précédent,  était  né 
le  20  août  1620  à  Giessen.  Après 
avoir  fait  ses  études  à  l'académie  de 
cette  ville ,  et  pris  ses  degrés  en  droit , 
il  s*appliqua  sans  relâche  à  la  recher^ 
che  des  documents  historiques ,  et 
parcourut  l'Allemagne,  pour  extraire 
des  bibliothèques  les  matériaux  dont 
il  se  proposait  de  faire  usage.  Honoré 
des  titres  de  conseiller  et  d'historio* 


■1  WIN 

graphe  des  landgraves  de  liesse  ,  il 
obtint  l'cntrcedc  leurs  nrcliives,  et 
la  communication  d'une  foule  de  piè- 
ces importantes  •  mais  préoccupe  de 
l'esprit  de  système,  qui  était  si  com- 
mun à  cette  époque,  et  d'ailleurs  dé- 
pourvu de  toute  critique,  il  ne  sut  pas 
en  tirer  le  parti  convenable.  Aussi  ses 
ouvrages  ,  quoique  remplis  d'érudi- 
tion ,  sont-ils  relégués  dans  la  pous- 
sière des  blbliotlièques ,  et  consultés 
seulement  de  quelques  savants.  Cet 
liistorien  mourut  en  1697.  ^^^  ^^^^ 
de  lui  :  I.  Hortiis  et  arhor  philoso- 
phiœ  sivears  per  propriam  indaga- 
tioncniy  et  ex  rébus  ruralibus  aliquid 
discendi;  accessit  consiliiim  de  or- 
dine  studioriim   rectè  instituendi  ^ 
etc. ,  Darmstadt,  1662  ,  in-i  2.  L'au- 
teur y  renvoie,  p.  121  ,  à  deux  ou- 
vrages qu'il  avait  publiés  précédem- 
ment :  Relationes  ex  Pamasso  de 
arte    reminiscentiœ  ,    Marpourg^ 
1648,    Proteus  y  Oldenbourg.   II. 
De  principibus  Hassiœ   et  eorum 
gejiealogid  ,   Giessen  ,    i663  ,  in- 
8^.  m.  Arhoretum  genealogicum 
heroum     europœorum  ,    ostendens 
qiioinodo  omnes  ferè  europœi  prin- 
cipes ex  iinicd  OÏdenhurgicdfamilid^ 
et  guident  à  Dieterico  Fortunato 
dejluant  y  Oldenbourg,    1664,  in- 
fol.  Cet  ouvrage  est  précédé  d'une 
dissertation  sur  l'importance  et  l'u- 
tilité des  études  généalogiques,   IV. 
Cœsarologia  y  sive  quartœ  monar- 
chiœ  descriptio  à  Jul.  Cœsare  ad 
împerium   risque   Leopoldi  ,    etc.  , 
Leipzig,  1666  ,  in-80, 5  ibid.,  1728, 
in-12,  ljg.  C'est  un  abrégé  de  l'his- 
toire de  l'empire  d'Allemagne.  On 
lui   reproche   d'être  trop  succinct. 
Quoique  le  titre  soit  latin,  l'ouvrage 
est   écrit  en  allemand.   V,   Notitia 
historico-poUtica   veterum    Saxo- 
iVesphalum,finitimarumque  regio  - 
num ,    IV   libris  ahsoluta ,  Olden- 


WIN 

bourg ,  1667  ,  in-4°. ,  ouvrage  rare  et 
recherché,  s'il  faut  en  croire  lesbiblio- 
graphes  allemands.  VI.  Belation  (en 
allcm.  )    des    événements    dont   le 
comté  d' Oldenbourg  a  été  le  théâ- 
tre depuis  i6o3  jusqu  à  1667  ,  ib.  , 
1671  ,  in-fol.  VII.  Histoire  (en  al- 
lemand) des  principautés  de  Bruns- 
wick et  de  Lunebourg ,  ibid.  ,1677, 
in  -  folio.  VIII.  Slemmata  ducum 
hrunswicensium ,  ib. ,  1688 ,  in-fol. 
Ce  titre  latin  cache  encore  un  ouvrage 
allemand.    IX.    Solida    declaratio 
originis  ThuringorumÇen  allemand), 
Brème,  1694^  in-S».  Winckelmann 
trouve  que  les  habitants  de  la  ïhu- 
ringe   descendent  des  Doriens,  qui 
s'étant  établis  dans  la  Basse-Allema- 
prnc  y  fondèrent  Dordrecht ,  et  don- 
nerent  leur  nom  atout  le  pays  voism. 
X.  Description  des  principautés  de 
Hessc  et  de  Hersfeld  ^  ibid. ,  1697, 
in-fol.  (allem.).  La  mort  de  Fauteur 
ayant  suspendu  l'impression ,  lors- 
qu'on voulut  la  reprendre  il  fut  ira- 
possible  de  trouver  la  suite  de  soi 
manuscrit.  Le  libraire ,  après  avoi 
attendu  long  -  temps  ,  publia  l'ou- 
vrage dans  l'état  qu'il  avait  été  laiS' 
se,  et  reproduisit  les  cinq  premièreî 
parties  avec  un  nouveau  frontispice 
1 7 1 1 .  Comme  la  sixième  partie  avail 
été  annoncée,  de  ce  qu'elle  ne  voyai 
pas    le  jour  on  tira  la   conclusioi 
qu'elle  avait  été  supprimée  par  ordr* 
du  landgrave  de  Hesse  ;  et  cette  opi 
nion ,  adoptée  par  Lenglet-Dufrcsnoj 
(  Méthode  d'étudier  V histoire ^  pre- 
mière édit.  ) ,  fut  confirmée  par  le  té 
moignage  de  Vogt(<7fl5f .  libr.  rarior.) 
et  des  autres  bibliographes  allemands 
Cependant  cette  sixième  partie  ayan 
été  déterrée  par  Bernhard  ,  archi- 
viste de  Hanau ,  il  la  fit  imprimer 
sans  aucun  empêchement,  à  CasseL 
1754,  in-fol.  On  trouve  une  bonm 
analyse  de  cet  ouvrage  dans  les  Act( 


WIN 

eruditor.  lipsiens.  ,  année  1758  , 
3()6-7  I.  Maigre  les  fables  qui  le  dé- 
parent, et  de  trop  fréquentes  digres- 
sions ,  il  est  curieux  par  les  recher- 
ches ,  et  mérite  encore  d'être  lu. 
W— s. 
WINCKELMANN(i)  (Jean  ou 
Jean-Joachim),  un  des  plus  illustres 
antiquaires  des  temps  modernes,  était 
le  fils  unique  d'un  pauvre  cordon- 
nier de  Steindall,  ville  de  la  vieille 
Marche  de  Brandebourg.  11  naquit 
dans  cette  ville  le  9  décembre  17 17, 
et  non  ,  comme  l'ont  écrit  ses  pre- 
miers historiens,  au  commencement 
de  janvier  1 7 1 8.  11  reçut  au  baptême 
les  prénoms  de  Jean-Joachim  ;  mais 
dans  la  suite  ces  noms  ,  résonnant 
peu  harmonieusement  à  son  oreille 
délicate ,  lui  déplurent  au  point  qu'il 
omit  le  dernier  dans  les  titres  de 
tous  ses    ouvrages  ,    et  qu'il  aurait 

S  eut-être  pris  le  même  parti  à  l'égard 
u  premier  ,  si  la  forme  plus  douce 
ou  plus  sonore  qu'il  a  dans  la  langue 
italienne  (  Giovanni  )  ne  l'en  eût  dé- 
tourné. Cette  circonstance,  en  elle- 
même  si  frivole ,  nous  semble  digne 
d'être  mentionnée  ,  comme  une  des 
preuves  de  l'extrême  susceptibilité  de 
Winckelmann  sur  le  beau ,  en  quel- 
que genre  et  sous  quelque  forme  que 
s'offrissent  à  lui  les  objets  destinés  à 
produire  l'impression  de  beauté.  Ce- 
pendant cette  susceptibilité  ne  se  dé- 
veloppa que  graduellement  et  avec 
l'âge.  Si  dès  le  berceau  il  eût  manié 
le  burin ,  la  palette  ,  et  qu'entou- 
ré d'artistes  il  eût  à -la -fois  con- 
templé de  beaux  ouvrages  et  enten- 
du des  conversations  instructives 
sur  les    arts ,  il    n'eût   sans  doute 

(1)  Ou  écrit  commun  «'ment  Winkchnanii  , 
probablement  d'après  l'orlbograplifi  aJlomandc  , 
qui  substitue  A  à  ck  et  :  à  iz.  Mais  TVïnckel- 
mann  signait  toujours  avec  les  deux  lettres  ,  «Jt 
aftectait  d'écrire  ainsi  son  nom,  où  d'autres  s'obs- 
naient  dès-lors  à  ue  point  admettre  le  c. 


WIN  3 

pas  tardé  à  montrer  à  quoi  la  na- 
ture l'avait  destiné,  et  à  s'écrier 
comme  le  Corrége  :  Son  pittor  an- 
ch'io.  Mais  il  devait  se  passer  bien 
des  années  avant  que  les  circons- 
tances le  révélassent  soit  aux  au- 
tres, soit  à  lui-même.  Dans  sa  jeu- 
nesse ,  il  ne  se  distingua  sensiblement 
de  ses  camarades  que  par  sa  mé- 
moire ,  sa  persévérance  et  un  amour 
du  travail  qui  l'attirait  également 
vers  toutes  les  branches  de  l'instruc- 
tion. Telle  était  dès-lors  l'aptitude  du 
jeune  étudiant  que  son  père,  malgré 
son  extrême  pauvreté ,  s'imposa  en- 
core des  privations  et  des  sacrifices 
déplus  d'un  genre,  pour  subvenir 
aux  dépenses  que  nécessitait  l'éduca- 
tion primaire  de  son  fils  ,  espérant 
qu'il  pourrait  un  jour  le  voir  par- 
venir à  une  place  de  diacre  ou  de 
pasteur  dans  l'Eglise.  Malheureuse- 
ment ces  sacrifices,  qui  ne  pouvaient 
avoir  qu'un  temps ,  cessèrent  plus 
lot  que  tous  deux  ne  l'avaient  re- 
douté. Le  père  ,  accablé  d'ans  et 
d'infirmités  ,  se  trouva  obligé  de  dis- 
continuer ses  travaux ,  pour  entrer 
dans  un  hôpital  où  il  devait  passer  le 
reste  de  ses  jours  ;  et  Winckelmann, 
abandonné  à  lui-même ,  serait  bien- 
tôt entré  en  apprentissage  dans  un 
atelier,  s^il  n'eût  pas  trouvé  des  se- 
cours dans  la  bienveillance  du  recteur 
du  collège  de  Steindall. Toppert,  c'é- 
tait le  nom  de  ce  respectable  vieil- 
lard, avait  été  charmé  des  disposi- 
tions précoces  autant  que  du  zèle  d'un 
élève  qu'il  regardait  comme  un  pro- 
dige, et  auqueliln'avait  guèreà  rej)ro- 
clier  que  le  peu  d'attention  que  celui- 
ci  apportait  aux  leçons  de  théologie. 
Il  adoucit  considérablement  en  sa  fa- 
veur la  sévérité  des  conditions  pécu- 
niaires, et  lui  accorda  une  des  places 
de  choristes ,  ce  qui ,  joint  au  prix  des 
leçons  de  lecture  que  le  jeune  Winc- 
I.. 


4  WIN 

kcljiiaim  donnait  à  des  camarades 
bcaucoii])  plus  jeunes  ,  le  mit  en  e'ta*^ 
de  participer  au  bienfait  d'une  ins- 
truction plus  relevée.  Par  la  suite 
Toppert  devint  aveugle  ,  et  dcs-lors 
sa  maison  fut  ouverte  au  disciple 
favori  qui  fut  le  secrétaire  ,  le 
lecteur  et  le  guide  en  mcnie  temps 
que  le  commensal  de  son  bienfaiteur. 
II  est  inutile  d'ajouter  que ,  si  dans 
cette  nouvelle  situation  il  se  comporta 
à  l'égard  du  vieillard  avec  une  ten- 
dresse vraiment  fdiale,  il  eut  l'avan- 
tage, déjà  précieux  à  ses  yeux,  de 
puiser  sans  cesse  soit  dans  l'entretien, 
soit  dans  la  bibliothèque  du  recteur 
de  quoi  meubler  de  plus  en  plus  son 
beureusc  me'moire  et  développer  son 
intelligence.  La  bibliothèque  du  col- 
lege^  administrée  antérieurement  par 
Toppert,  se  trouva  naturellement 
confiée  à  ses  soins.  Il  usa  amplement 
du  privilège  qu'il  avait  de  l'explo- 
rer dans  tous  les  sens^  et  en  peu 
de  temps  les  auteurs  classiqiics  de 
Rome  et  de  la  Grèce  lui  devinrent 
familiers.  Il  est  à  remarquer  cepen- 
dant que  dès  cette  première  époque  il 
n'affectionna  que  les  véritables  mo- 
dèles. Dèmosthènes  lui  plut  par  sa 
simplicité  concise ,  énergique  et  sé- 
vère ;  Cicéron  ,  par  l'art  exquis 
avec  lequel  s'arrondissent  les  con- 
tours harmonieux  de  ses  phrases 
toujours  élégantes  et  moelleusement 
cadencées.  Mais  c'est  principale- 
ment aux  deux  patriarches  de  la 
littérature  grecq'ie,  au  plus  ancien 
des  poètes  et  au  plus  ancien  des 
prosateurs,  qu'il  voua  un  culte  poussé 
plus  tard  jusqu'à  l'idolâtrie.  Les  for- 
mes si  belles  et  si  pures  de  cette  lan- 
gue ionienne  ,  premier  dialecte  cul- 
tivé par  des  hommes  de  génie , 
et  du  mètre  héroïque  qui  fut  le 
langage  des  Homérides ,  et  que  Ton 
croit  sentir  encore  en  lisant  la  pro- 


WÏN 

se  homérique  d'Hérodote ,  étaient 
pour  lui  les  symboles  de  la  beauté 
à  laquelle  aspiiait  son  intelligence  y 
et  qu'il  ne  put  contempler  que  trente 
ans  plus  tard  dans  les  chefs-d'œuvre 
enfantés  par  la  main  des  artistes 
grecs.  Une  preuve  que  cette  tendance 
à  la  contemplation  des  merveilles  de 
l'art  existait  déjà  en  lui^  c'est  qu'il 
entraînait  souvent  ses  jeunes  cama- 
rades dans  le  voisinage  de  Steindall , 
pour  y  fouiller  dans  les  sablonnières , 
et  que  quand  il  avait  trouvé  quelque 
urne  ou  quelque  lampe  dont  les  for- 
mes décelaient  l'origine  vraiment 
hellénique  ou  romaine,  il  rappor- 
tait en  triomphe  ,  et  appendait 
avec  vénération  dans  la  bibliothè- 
que ,  les  fragments  souvent  muti- 
lés qu'il  venait  d'arracher  à  la  M 
terre.  On  a  vu  et  probablement  on  f 
voit  encore  à  la  bibliothèque  de 
Seehausen  deux  urnes  antiques  ,  tro-  ^ 
phées  d'une  de  ces  excursions.  Il  est 
même  certain  que  dès  le  temps  de 
son  séjour  chez  Toppert  il  puisa 
dans  un  recueil  alors  en  vogue 
(  V  Académie  de  la  noblesse  )  des 
notions  sur  la  vie ,  les  talents  et 
le  caractère  des  principaux  peintres  j 
ce  qui  suppose  nécessairement  quel- 
que goût  pour  les  arts  du  dessin 
ainsi  que  quelque  connaissance  de 
l'art  lui-même.  Quoi  qu'il  en  soit,  à 
l'étude  des  langues  anciennes  qu'il 
préférait  hautement  à  sa  langue  ma- 
ternelle ,  alors  étrangère  à  cette  ri- 
chesse et  à  cette  flexibilité  dont  elle 
fut  quelque  temps  après  dotée  par 
d'habiles  écrivains ,  et  par  Winckel- 
mann  lui-même  ,  notre  jeune  étu- 
diant joignait  celle  de  la  philo- 
sophie, des  antiquités,  de  la  géo- 
graphie, et  principalement  de  l'his- 
toire ancienne.  Arrivé  à  l'âge  de 
seize  ans  (  1733  ),  il  obtint  de  son 


protecleui"  Sa   permi 


d'aller  à 


WIN 

Berlin  commencer  ce  que  l'on  ap- 
pelle en  Allemagne  les  cours  acadé- 
miques. 11  paraît  néanmoins  que  ce 
n'elait  point  sa  première  absence,  et 
qu'antérieurement  à  ce  voyage  il 
avait  été  à  l'école  de  Saltzvvedel , 
dans  la  régence  de  Magdebourg.  Mais 
Tunique  document  oii  il  soit  question 
de  cette  circonstance  est  une  let- 
tre du  23  juin  175^  ,  où  il  n'nidique 
point  avec  assez  de  précision  à  quelle 
époque  elle  se  rapporte.  Recomman- 
dé au  recteur  du  gymnase  de  Kolln  , 
et  encouragé  par  quelques  personnes 
qui  prirent  intérêt  a  lui ,  il  revint  à 
son  ancien  rôle  d'instituteur  en  sous- 
ordre.  Bientôt  le  recteur  d'un  autre 
collège  (  Baakcn  )  lui  conlia  la  sur- 
veillance de  ses  enfants,  et  en  re- 
vanche lui  oiï'rit  cliez  lui  le  loge- 
ment et  la  table.  Ainsi,  disciple  et 
maître  tour-à-tour,  Winckclmann  se 
mit  à  même  d'économiser  de  petites 
sommes  qu'il  envoyait  à  son  père  , 
toujours  conilné  dans  l'hospice  de 
Steindall  par  ses  infirmités.  Au  bout 
d'un  an ,  ïoppert  le  rappela  dans  sa 
ville  natale ,  et  lui  lit  donner  la  pla- 
ce de  chef  des  choristes.  Le  soir, 
Winckclmann  se  joignait  à  ceux  des 
pauvres  écoliers  que  l'on  voit  en  Al- 
lemagne chanter  dans  les  rues  des  can- 
tiques et  des  motets  j  et  de  cette  ma- 
nière il  parvenait  à  grossir  les  minces 
tributs  que  tous  les  mois  sa  piété  li- 
liale  allait  remettre  à  son  père.  Qua- 
tre ans  se  passèrent  encore  ainsi. 
Toujours  éloigné  de  l'oisiveté,  sans 
s'astreindre  à  aucune  méthode  et 
sans  suivre  un  plan  d'études  que 
personne  d'ailleurs  n'aurait  été  ca- 
pable de  tracer  pour  une  tête  si 
singulièrement  et  si  richement  or- 
ganisée ,  Winckclmann  avait  pas- 
sé en  revue,  bien  superficiellement,  il 
est  vrai  ,  presque  toutes  les  scien- 
ces   humaines.     Les    bibliothèques 


WIN  5 

de  Steindall  n'avaient  plus  rien  à 
lui  apprendre  ;  il  était  urgent  qu'il 
sortît  de  cette  ville  pour  se  rendre  à 
un  des  foyers  de  lumière  de  l'Alle- 
magne. D'ailleurs  ,  l'instant  appro- 
chait où  il  lui  faudrait  choisir  un  état 
et  se  plier  à  un  genre  de  vie.  Lui- 
même  voyait  arriver  ce  moment 
avec  effroi.  Quelle  était  alors  sa  pen- 
sée secrète,  son  but ,  son  espérance? 
C'est  ce  que  rien  ne  peut  nous  faire 
deviner.  On  voit  seulement  que  l'idée 
seule  du  ministère  évangélique  l'é- 
pouvantait. Déterminé  cependant  à 
ne  vivre  que  pour  la  science,  dé- 
daigneux des  honneurs  et  peu  dési- 
reux des  richesses  qu'il  ne  chercha 
pas  même  quand  il  lui  eut  été  facile 
d'en  acquérir,  comment  la  vie  d'un 
ministre  du  cul  te  pouvait-elle  lui  ins- 
pirer tant  de  terreur?  Il  faut  s  apposer 
qu'instinctivement  il  prévoyait  que 
l'Allemagne  n'était  point  son  élé- 
ment ,  qu'il  ne  devait  point  s'enchaî- 
ner à  cette  contrée  par  des  liens  de 
fer  !  Une  inquiétude  vague  ,  mais 
constante  et  irrésistible ,  le  portait 
sans  cesse  vers  un  autre  but ,  d'au- 
tres sciences ,  d'autres  contrées  ;  ou , 
ainsi  qu'il  l'exprime  lui-même  avec 
une  éloquente  naïveté  ,  c'était  «  com- 
»  me  une  démangeaison  incertaine 
))  dont  ou  ne  peut  attraper  l'endroit 
»  quand  on  se  gratte.  »  Ces  oscilla- 
tions d'un  génie  qui  est  une  énigme 
pour  lui-même,  se  manifestèrent 
encore  bien  plus  pendant  les  deux 
ans  qu'il  passa  dans  l'université  de 
Halle.  Nous  ne  reviendrons  point  ici 
sur  les  détails  pénibles  et  presque 
toujours  les  mêmes  de  sa  pauvreté 
et  sur  les  moyens  par  lesquels  il  se 
soutenait.  Mais  il  est  intéressant  de 
voir  comment  il  travaillait.  Les  cours 
publics ,  objet  principal  des  pèleri- 
nages académiques,  cessèrent  bien- 
tôt d'attirer  son  attention.  Parmi  les 


C)  WiN 

liommfs  cuiments  dont  se  glorifiait 
ruiiivcrsite  ,  aucun  ne  sentait ,  ne 
pensait ,  ne  disait  ce  qui  eût  captive 
Winckelraann ,  ce  qui  eût  fécondé 
son  imagination,  éclairé  son  génie, 
formulé  ses  pensées  encore  confuses 
et  informes.  Personne  non  plus  ne  se 
douta  que  le  nouvel  élève  fut  un 
liomme  supérieur  à  ses  condisciples. 
Beaucoup  de  mémoire  et  de  persévé- 
rance ,  partant  beaucoup  d'érudi- 
tion, ne  sont  point  des  qualités  rares 
chez  nos  voisins  d'outre  Rhin.  Igno- 
ré et  mécounu ,  Winckelmann  vi- 
sitait assidûment  les  bibliothèques , 
€t,  ainsi  que  pendant  les  dernières  an- 
nées de  son  séjour  à  Steindall,  abor- 
dait successivement  les  sciences  les 
plus  éloignées,  les  plus  disparates. 
Homère  même  et  Hérodote,  malgré 
les  grâces  de  leur  harmonie  ravis- 
sante ,  malgré  la  magie  d'un  style 
enchanteur  et  le  charme  qui  respire 
dans  chacune  de  leurs  périodes ,  ces- 
saient de  suffire  aux  besoins  d'un  es- 
prit qui  rêvait  un  autre  beau.  Alors, 
il  passait  des  fictions  riantes  de  la 
poésie  aux  problèmes  les  plus  ar- 
dus des  mathématiques  et  de  la  haute 
géométrie'  approfondissait  les  don- 
nées de  l'histoire,  et  par  elle  arrivait 
à  la  jurisprudence  féodale ,  à  la  poli- 
tique ,  au  droit  civil  j  passait  quel- 
quefois des  semaines  entières  le  scal- 
pel à  la  main  ou  sur  les  énormes  in- 
folio des  commentateurs  d'Hippo- 
crate*  jetait  même  un  coup-d'œil  sur 
les  Manuels  théologiques  destinés 
à  former  le  ministre  luthérien;  et 
enfin  revenait  au  tableau  plus  doux 
des  soupirs  d'Andromaque  et  des 
larmes  de  Crésus.  On  l'a  souvent 
entendu  dans  la  suite  parler  d'un 
Commentaire  qu'il  avait  rédigé  à 
cette  époque  sur  l'historien  d'Hali- 
carnasse,  mais  que  probablement  il 
perdit  dans  un  de  ses  déplacements. 


WIN 


Le  goût  des  voyages  le  tourmenta 
aussi;  et  chez  lui  ce  n'était  point , 
ainsi  que  chez  tant  d'autres,  une 
vaine  curiosité  ou  le  désir  de  voir  du 
pays.  Beaucoup  plus  jeune,  il  avait 
très-sérieusement  songé  à  se  rendre 
en  Egypte  pour  y  admirer  ce  qui 
reste  de  la  grandeur  des  Pharaons  et 
des  fi!s  de  Lagus,  pour  examiner 
les  Pyramides  ,  les  obélisques  et 
les  sphinx.  Plus  tard,,  nous  le  ver- 
rons entreprendre  à  pied  le  voya- 
ge de  Paris.  Pour  aller  à  Rome, 
que  ne  fit-il  pas?  Il  abjura  avant 
d'y  paraître  pour  la  première  fois  : 
il  fut  assassiné  en  s'y  rendant  avec 
une  célérité  imprudente  pour  la  se- 
conde. Et  quel  était  alors  le  plus  ar- 
dent de  ses  vœux  ?  la  vue  d'Olympie. 
Arracher  un  firman  à  l'insouciance 
de  la  Porte ,  fouiller  le  Stade  et  l'Al- 
tis,  soustraire  à  la  dégradation  et  à 
l'oubli  les  restes  enfouis  des  statues 
de  Phidias  et  de  Lysippe^  tel  était  le 
but  d'un  homme  qui  ne  respirait  que 
pour  l'art.  Ne  nous  étonnons  donc 
pas  que  peu  après  son  arrivée  à  Hal- 
le, il  ait,  avec  quelques  camarades, 
été  visiter  la  superbe  galerie  de  Dres- 
de ,  lors  du  mariage  de  la  princesse 
de  Saxe  avec  le  roi  des  Deux-Siciles. 
Il  est  inutile  de  réfuter  l'hypothèse  de 
ceux  qui  prétendent  qu'ilnese  rendaità 
Dresde  que  pour  chercher  un  emploi. 
Cette  conjecture  ne  s'appuie  sur  au- 
cun document  ;  et  d'ailleurs  comment 
Winckelmann  eût-il  espéré  obtenir  à 
Dresde,  où  personne  n'avait  entendu 
parler  de  lui,  ce  que  dans  la  suite  il 
sollicita  vainement,  et  à  Halle  et  à  Gôt- 
tingue ,  où  Ton  connaissait  son  érudi- 
tion. Fatigué  du  régime  trop  frugal 
qu'il  suivait  à  l'université  (il  n'existait 
qu'aux  dépens  de  ses  compatriotes 
plus  riches  qui  se  cotisaient  en  sa  fa- 
veur ,  et  ne  vivait  le  plus  ordinairement 
que  de  pain  et  d'eau  ),  il  fit  deman- 


I 


WJN 

dcr  par  quelques  amis  ,  entre  autres 
par  l'illustre  Gessner  de  Gottinguc  , 
une  place  convenable  à  ses  moyens. 
Nous  ignorons  à  quel  poste  il  préten- 
dait. On  peut  présumer  que  son  am- 
bition n'envisageait  point  un  but  très- 
c'ievé.  Néanmoins  il  est  sûr  que  les  sol- 
licitations de  ses  protecteurs  ne  furent 
point  couronnées  de  succès ,  et  qu'a- 
près un  séjour  de  deux  ans  à  l'univer- 
sité de  Halle ,  Winckelmann  se  trouva 
heureux  d'entrer  en  qualité  de  jn'é- 
cepteur  chez  un  bailli  du  pays  d'Hal- 
Ijerstadt.  Sa  patience  et  sa  modéra- 
tion ,  inaltérables  avec  les  enfants , 
et  généralement  avec  quiconque  était 
exempt  de  prétentions  ridicules ,  le 
rendaient  assez  propre  à  s'acquitter 
d'un  emploi  qu'on  sait  n'être  ordi- 
nairement qu'un  esclavage  déguisé; 
mais  il  n'était  pas  là  dans  sa  sphère  : 
il  lui  eût  fallu  au  moins  un  docte  en- 
tretien ,  de  bons  livres ,  ou ,  à  défaut 
de  l'un  et  de  l'autre ,  la  liberté  de  la 
solitude.  Les  devoirs  de  sa  place  , 
d'une  part,  de  l'autre  les  convenan- 
ces de  la  société ,  rendaient  à-peu- 
près  impossible  l'accomplissement 
de  ce  souhait  modeste.  Aussi  à  pei- 
ne les  économies  de  quelques  mois 
l 'eurent-elles  mis  en  fonds,  que  la 
manie  des  voyages  se  réveillant  en 
lui  s'empara  de  nouveau  de  toutes 
ses  pensées ,  et  qu'il  se  mit  en  route 
à  pied  pour  la  capitale  de  la  France. 
Heureusement  il  sentit  bientôt  la  fo- 
lie ou  la  témérité  de  son  entreprise. 
Outre  l'exiguité  des  ressources  avec 
lesquelles  il  s'éloignait  de  sa  patrie, 
l'ignorance  complète  des  principes  de 
la  langue  française  devait  bientôt  l'ar- 
rêter; etde  plus  la  guerre  vint  à  éclater 
au  moment  même  où  il  se  dirigeait 
vers  les  frontières.  Il  fut  donc  obligé 
de  revenir  après  avoir  poussé  jus- 
qu'à Gelnhausen,  près  de  Francfort- 
sur-le-jMciu ,  et  il  se  rendit  de  non- 


WIN  7 

veau  à  Halle,  où  Ton  ne  tarda  pas  à 
lui  trouver  une  place  semblable  à 
celle  qu'il  venait  de  quitter.  C'est 
encore  en  qualité  de  précepteur  que 
nous  le  voyons  entrer  auprès  des  en- 
fants de  M.  Stollmann  ,  capitaine  de 
cavalerie,  en  garnison  à  Oslerbourg,    ^ 
et  de  là  chez  le  grand-bailli  Lam- 
precht,  à  Hcimersleben.  Chez  ce  der- 
nier il  fît  la  connaissance  d'un  nom- 
mé Boysen  de  Seehauseu  ,  qui ,  com- 
me tous  les  hommes  capables  d'ap- 
précier  dignement  le   mérite ,   fut 
frappé  de  sa  vaste  érudition;  aussi 
quelques  mois  après  ,  quittant  pour 
un  poste  plus  considérable  le  co-rec- 
torat  delà  ville  qu'il  habitait,  Boysen 
offrit  au  savant  helléniste  de  le  faire 
agréer  pour  son  successeur.  Winckel- 
mann accepta,  et  fut  accepté.  Avant 
d'aller  plus  loin  ,  il  est  bon  de  savoir 
qu'un    co-recteur  n'est   guère   plus 
qu'un  maître  d'école,  et  touche  au 
moins  aussi  souvent  à  l'Abécédaire 
qu'au  Cornélius-Népos  ou  aux  Fa- 
l)les  de  Phèdre.  Qui  ne  croirait  d'a- 
près cela  que  les  habitants  de  Sce- 
hausen  auraient  été  pénétrés  de  re- 
connaissance pour  Boysen,  qui  cer- 
tes avait  bien  phis  songé  aux  avanta- 
ges de  la  ville  qu'à  ceux  de  Winc- 
kelmann ,  en  lui  assurant  sa  succes- 
sion? On  lui  reprocha  au  contraire 
d'avoir  songé  bien  plus  aux  intérêts 
de  son  ami  qu'à  ceux  de  la  ville.  Se 
Ion  les  uns,  le  nouveau  professeur 
était  trop  peu  communicatif  et  trop 
sérieux  :  selon  les  autres  ,  ses  expli- 
cations ne  convenaient  point  à  son 
auditoire  :  tous  auraient  voulu  qu'il 
prêchât;  et,  ce  qui  était  plus  grave 
que  les  reproches  et  les  réflexions  des 
bourgeois  de  Seehausen  ,  les  écoliers 
diminuaient.  Il  n'est  pas  impossible 
que  pendant  les  premiers  temps  de 
son  professorat ,  Winckelmann ,  en- 
core sans  expérience  de  l'enseigne- 


8  WIN 

ment  public,  et  surtout  d'un  en- 
seignement si  décidément  élémentai- 
re, se  soit  trouve  autant  au-dessous 
qu'il  était  réellement  au-dessus  des 
fonctions  minutieuses  auxquelles  le 
sort  l'avait  condamne'.  Mais  cette 
espèce  d'infériorité  ne  dut  être  que 
de  quelques  instants  ;  et,  effective- 
ment ,  nous  voyons  que  ,  dans  les 
dernières  années  de  son  séjour  à 
Seehausen,  on  avouait  qu'il  s'ac- 
quittait de  ses  devoirs  en  conscien- 
ce j  qu'il  faisait  preuve  de  patience 
ainsi  que  d'exacte  justice  dans  le  gou- 
vernement de  sa  classe;  qu'enlin, 
chose  raréfies  enfants  comprenaient, 
apprenaient  quelque  chose  avec  lui. 
On  aurait  pu  ajouter  à  ces  louanges, 
qu'il  ne  cessait  jamais  de  travailler.  Il 
est  vrai  que  la  plupart  de  ces  travaux 
n'avaient  qu'un  rapport  indirect  avec 
les  études  primaires  en  vogue  dans 
l'école  de  Seehausen.  Couvrir  de  no- 
tes marginales  un  Sophocle  ,  un 
Euripide  ,  un  Juvénaî ,  était  un  luxe 
d'érudition  bien  superflu  pour  le 
magister  qui  faisait  épelerles  Fables 
d'Ésope^  et  dont  les  élèves  les  plus 
habiles  écrivaient  avec  orgueil  sous 
sa  dictée  un  thème  sur  les  règles 
du  que  retranché.  Il  est  même  per- 
mis de  s'étonner  qu'au  milieu  d'oc- 
cupations aussi  insipides  ,  Winckel- 
mann  ait  pu  ne  point  perdre  à  jamais 
cette  imagination  ardente,  rapide, 
créatrice,  que  lui  avait  départie  la 
nature  ,  et  qui  était  si  peu  en 
harmonie  avec  sa  tâche  journalière. 
Remarquons  de  plus  que  les  soins  de 
sa  classe  l'occupaient  douze  heures 
par  jour.  Mais  son  infatigable  per- , 
sévérance  savait  encore  trouver  du 
temps.  A  peine  libre  de  tout  souci 
scolastique ,  il  reprenait  ses  lectures 
favorites ,  méditait ,  écrivait ,  faisait 
des  extraits.  A  minuit,  il  s'endor- 
mait sur  une  chaise.  Réveillé  à  qua- 


WIN 

tre  heures  ,  il  rallumait  sa  lampe  et 
se  remettait  au  travail  jusqu'à  six 
heures  ,  instant  auquel  il  retournait 
près  de  ses  disciples.  Décidé  quelque- 
fois à  abréger  encore  le  temps  de 
son  sommeil ,  il  ne  fermait  les  yeux 
qu'après  s'être  attaché  au  pied  une 
sonnette  dont  le  moindre  mouvement 
l'éveillait.  Au  surplus ,  c'est  là  que 
ses  idées  commencèrent  à  se  régula- 
riser et  à  prendre  une  forme  particu- 
lière. Il  élimina  du  système  de  ses 
études  futures  le  droit ,  les  mathéma- 
tiques et  la  médecine  ,  pour  se  livrer 
exclusivement  à  la  littérature  et  aux 
arts.  Il  se  prononça  de  même  contre 
la  philosophie  ,  et  principalement 
contre  les  discussions  aussi  subtiles 
qu'arides  de  la  métaphysique ,  alors 
l'objet  d'un  engouement  universel 
depuis  que  Wolf  avait  fondé  sa  théo- 
rie. Néanmoins  Platon  ne  fut  point 
enveloppé  dans  cet  arrêt  de  pros- 
cription •  et  ce  fut  au  contraire  à 
cette  époque  qu'il  commença  à  se 
nourrir  de  la  lecture  de  ses  dialo- 
gues et  à  le  mettre  au  nombre  de  ses 
auteurs  favoris.  Mais  l'harmonieux 
fondateur  de  l'académie  n'a  de  méta- 
physique que  les  sujets  qu'il  traite  : 
son  style  si  brillant,  si  riche  ,  si  mé- 
lodieux ,  tout  pittoresque  et  tout  poé- 
tique ,  aurait  de  quoi  plaire  à  l'ama-  ^ 
teur  du  beau ,  lors  même  que  le  beau  ■ 
ne  serait  pas  le  fond  de  toutes  ses  m 
pensées  et  de  tous  ses  tableaux.  Que 
sera-ce^  si  l'on  songe  que  cette  idée  ^ 
respire  dans  tous  ses  écrits,  et  qu'il  ■ 
semble  n'avoir  été  inspiré  que  par 
elle?  Mais  si  Winckelmann  négligea 
l'ontologie  et  toute  la  partie  des  scien- 
ces qui  a  avec  elle  une  étroite  parenté, 
en  revanche  il  étudia  l'histoire  moder- 
ne que  jusque-là  il  n'avait  considérée 
que  superficiellement  :  il  apprit  aussi 
les  langues  française ,  anglaise  et  ita- 
lienne ,  qui  lui  furent  d'une  grande 


WIN 

utilité^  et  dont  la  première  lui  procura 
le  plaisir  de  lire  Voltaire  ,  un  des 
écrivains  qu'il  goûtait  le  plus  ,  quoi- 
que généralement  il  n'aimât  pas 
sa  manière  d'apprécier  les  grandes 
choses  et  de  juger  le  beau.  Cepen- 
dant ces  études  solitaires  ne  pouvaient 
produire  de  résultats  ni  pour  son  bien- 
être  ,  ni  pour  sa  gloire  ^  tant  qu'il 
resterait  enfoui  dans  la  poussière  de 
son  co- rectorat:  d'autre  part,  il 
voyait  des  hommes  bien  plus  jeunes 
et  bien  moins  habiles  que  lui  le  de- 
vancer dans  la  carnère  :  son  peu 
d'habitude  et  d'usage  du  monde,  l'in- 
souciauce  qu'il  mettait  à  se  produire 
et  à  flatter  ceux  qui  auraient  pu  de- 
venir ses  protecteurs ,  ne  lui  laissaient 
même  pas  l'espérance  de  réussir  par 
l'intermédiaire  de  ses  concitoyens 
adoplifs.  Déterminé  à  les  quitter  à 
quelque  pris  que  ce  fût,  il  résolut  de  se 
choisir  un  Mécène.  Le  comte  de  Bu- 
nau,  auteur  d'une  histoire  estimée  de 
l'empire  d'Allemagne,  histoire  qui 
venait  d'être  publiée ,  et  dont  l'appa- 
rition faisait  grand  bruit  dans  le 
monde  littéraire  ,  lui  sembla  être 
l'homme  qu'il  cherchait.  Il  lui 
adressa ,  du  fond  de  sa  retraite , 
une  missive  respectueuse,  où  après 
lui  avoir  montré  avec  combien 
de  zèle  il  s'était  abîmé  dans  l'étude 
des  belles-lettres ,  et  s'être  plaint  de 
l'ingratitude  d'un  siècle  tout  méta- 
physique ,  insensible  aux  beautés  de 
la  littérature,  il  le  priait  de  le  placer 
dans  un  coin  de  sa  bibliothèque  pour 
copier  les  anecdotes  ou  pièces  inédi- 
tes qui  devaient  figurer  dans  un  sup- 
plément ,  comme  preuves  de  l'his- 
toire de  l'empire.  Le  comte  sut 
démêler  dans  la  lettre  ,  en  assez 
mauvais  français  ,  que  lui  envoyait 
Winckelmann  ,  un  homme  digne  de 
sa  protection  et  de  son  amitié.  Il  lui 
répondit  aussitôt  et  lui  proposa  la 


WIN  9 

place  de  bibliothécaire-adjoint  dans 
sa  terre  de  Nothcnitz  où  il  faisait 
ordinairement  sa  résidence  ,  et  où  il 
avait  en  effet  une  bibliothèque  ma- 
gnifique ,  qui  dans  la  suite  fut  incor- 
porée k  celle  de  Dresde,  et  contribua 
à  rendre  celle-ci  une  des  plus  célèbres 
de  l'Europe.  Winckelmann  se  rendit 
aussitôt  à  la  terre  de  son  nouveau 
patron  ,  et  s'installa ,  avec  la  joie  la 
plus  vive^  au  milieu  des  trésors  lit- 
téraires que  contenait  le  château. 
Jusqu'à  cette  époque  ,  il  avait  été 
indécis  sur  la  carrière  à  laquelle  dé- 
linilivement  il  se  vouerait,  et  avait 
reculé  devant  les  ordres  sans  les 
repousser  pour  jamais.  Tout  chan- 
gea de  face^  dès  qu'il  fut  entré  dans 
l'opulente  maison  qu'il  regardait  com- 
me le  sanctuaire  des  arts  :  aEuscbie  (2) 
et  les  Muses,  s'écriait-il  dans  son  trans- 
port ,  se  sont  disputé  la  victoire  ; 
enfin  les  dernières  l'emportent  !  »  On 
juge  bien  que,  près  du  comte  de  Bu- 
nau ,  Winckelmann  ne  fut  point  tel- 
lement occupé  qu'il  n'eût  le  temps 
de  se  livrer  au  travail  pour  lui- 
même.  Parmi  beaucoup  d'ouvrages 
précieux  qu'il  compulsait  avec  son 
ardeur  ordinaire^  d'immenses  et  ma- 
gnifiques collections  de  gravures  dont 
quelques-unes  représentaient  des  bas- 
reliefs,  des  statues  et  des  monuments 
d'architecture  antiques  ^  attirèrent 
surtout  son  attention.  De  la  con- 
templation de  celles-ci ,  il  passait  à 
l'observation  des  ouvrages  antiques 
et  modernes  de  Dresde.  Il  sentit  alors 
tout  le  mérite  de  Pausanias ,  dont  la 
description  de  la  Grèce ,  si  précieuse 
pour  le  géographe,  est  bien  autre- 
ment intéressante  pour  l'antiquaire; 
et  il  l'apprit  en  quelque  sorte  par 
cœur  à  force  de  le  relire.  En  même 


(3)  C'est-à-dire  la  religionjl'élat  ecclésiastique. 
EÙfféêeta  en  grec  signifie  la  piété. 


10  WIN 

temps  il  se  liait  avec  les  hommes 
distingues  qui  fréquentaient  ou  qui 
visitaient  la  maison  du  comte ,  et 
s'entretenait  avec  des  artistes  verse's 
dans  la  pratique  de  leur  art.  Parmi 
ces  derniers  il  eut  surtout  à  se  louer 
des  talents  comme  de  la  complai- 
sance d'OEser  qui,  pendant  près  d'un 
an ,  lui  servit  de  Cicérone  et  de  Men- 
tor. Hagedorn ,  Lippert  et  le  célèbre 
Hcyne  se  lièrent  aussi  avec  lui  j  et  les 
discussions  qu'ils  eurent  ensemble^ 
sur  les  classiques  et  les  principes  du 
beau  ,  ne  tardèrent  pas  à  faire  écla- 
ter l'enthousiasme  j  usqu'alors  cache' 
et  le  goût  auparavant  incertain  de 
Winckelmann.  Dès  ce  moment  il  con- 
çut, il  posa,  peut-être  sans  le  savoir, 
les  principes  deV Histoire  de  l'uért. 
Enfin ,  en  I  •]  54  ,  le  nonce  du  pape  à 
Dresde, M.  Archiuto,  étant  allé  visiter 
la  bibliothèque  de  ISothenitz ,  eut  oc- 
casion de  voir  et  d'entendre  Winc- 
kelmann. C'est  alors  que  frappé  de 
l'immensité  et  de  la  variété  de  ses 
connaissances  sur  les  arts  ,  de  la 
justesse  de  ses  jugements  ,  de  la 
délicatesse  de  son  goût,  et  de  la 
vérité  de  son  admiration  pour  l'an- 
tiquité ;  a  Vous  devriez,  dit-il,  al- 
ler à  Rome.  »  Cette  phrase  ,  dont 
sans  doute  celui  même  qui  la  pro- 
nonçait ignorait  l'importance, décida 
le  destin  de  notre  antiquaire  :  c'é- 
tait le  mot  de  l'énigme.  Dès-lors  , 
ainsi  qu'Archiraède  de  son  problè- 
me ,  Winckelmann  put  dire  de 
son  talent,  de  sa  vocation  :  Je  Vai 
trouvé!  Dès-lors  aussi  l'Italie  de- 
vint le  but  exphcite  et  clair  de 
tous  ses  désirs.  11  obséda  le  nonce , 
qui  d'ailleurs  lui  avait  déjà  fait  en- 
trevoir la  perspective  d'être  biblio- 
thécaire du  Vatican.  Mais  le  rusé 
Italien,  voyant  combien  le  protégé 
du  comte  de  Bunau  desirait  jiartir, 
traînait  en  longueur  ;  alléguait  tantôt 


WIN 

un  prétexte,  tantôt  un  autre,  se  re- 
tranchait derrière  des  promesses  va- 
gues ,  lui  disant  qu'il  ne  manquerait 
de  rien ,  qu'on  lui  trouverait  de  l'em- 
ploi, etc. ,  etc.  Cependant  Winckel- 
mann avait  quitté  la  terre  de  Nothe- 
nilz ,  et  pensait  sérieusement  à  pren- 
dre un  parti.  Alors  Archinto  lui  dé- 
clare qu'il  ne  peut  se  présenter  devant 
Sa  Sainteté  sans  avoir  renoncé  au 
protestantisme-  Il  l'envoie  ensuite 
tout  désolé  au  P.  Rauch ,  confesseur 
du  roi  de  Pologne^  et,  peu  de jj ours 
après,  l'abjuration  a  lieu ,  sans  bruit, 
au  palais  du  nonce.  Il  serait  diffi- 
cile de  justifier  ici  l'excessive  do- 
cilité du  catéchumène*  car  personne 
ne  supposera  que  sa  conversion  ait  eu 
pour  cause  ou  une  forte  conviction  de 
l'insuffisance  du  protestantisme  pour 
être  sauvé,  ou  une  piété  exaltée.  Si 
quelqu'un  était  tenté  de  le  croire , 
qu'il  lise  la  lettre  écrite  par  notre  au- 
teur au  comte,  peu  après  cet  événe- 
ment ,  et  principalement  cette  phrase 
qui  la  termine  :  a  Je  me  jette  en  es- 
prit aux  pieds  de  votre  excellence, 
n'osant  m'y  offrir  en  personne.  J'es- 
père que  ce  cœur  plein  d'humanité, 
qui  daignait  tolérer  mes  nombreux 
défauts,  portera  de  moi  un  jugement 
charitable.  Où  est  l'homme  dont  les 
actions  sont  toujours  sensées?  Les 
Dieux ,  dit  Homère ,  ne  distribuent  à 
l'homme  qu'une  dose  de  raison  pour 

chaque  jour »  Il  nous  semble  que 

ce  ton  et  ces  citations  homériques 
n'ont  rien  qui  caractérise  un  néophy- 
te bien  ardent.  Néanmoins  nous  ne 
nous  rangerons  point  du  parti  de 
ceux  qui  dans  le  temps  l'accusèrent 
d'hypocrisie ,  et  encore  moins  lui  im- 
puterons-nous un  honteux  amour  du 
lucre.  D'abord ,  et  en  thèse  générale , 
l'abjuration  d'un  protestant  ne  res- 
semble nullement  à  celle  d'un  catho- 
lique, puisque  la  profession  de  foi  du 


WIN 

premier,  selon  ses  coreligionnaires 
eux-mêmes,  n'est  point  nécessaire  au 
salut.  Ensuite  nous  sommes  bien  con- 
vaincus que  Winckelmann,  dont  la 
seule  passion  vive  était  le  désir  de 
voir  l'antique,  se  laissa  facilement 
éblouir  par  des  argumentations  dont 
le  fond  se  réduisait  à  ceci  :  «  Voulez- 
vous  voir  FApollon  du  Belvédère,  la 
Venus  de  Médicis,  les  Faunes,  les 
Muses,  Silène,  etc.?  abjurez.  »  Loin 
de  balancer  à  obéir,  il  eût  obéi  de 
même  à  tout  autre  qui  lui  eût  fait, 
au  même  prix^  une  proposition  ana- 
logue^ et  ,  si  lors  du  projet  qu'il  mé- 
dita pendant  les  dernières  anne'es  de 
sa  vie  ,  il  n'eût  fallu  ,  pour  obtenir 
du  grand  -  seigneur  l'autorisation  de 
faire  des  fouilles  sur  les  rives  de  l'Al- 
pbe'e  et  dans  l'Hippodrome  d'OJym- 
pie,  que  la  soumission  de  Winckel- 
mann à  la  loi  du  propliète ,  il  nous 
semble  certain  que ,  sans  calcul  et 
sans  se  rendre  compte  à  lui-même 
de  son  motif,  il  eût  coifïc  sa  tê- 
te du  turban  des  Orientaux.  Ne 
voyons  donc  ici  que  de  la  faibles- 
se. Winckelmann  avait  peut  -  être 
la  monomanie  encore  plus  que  l'a- 
mour de  l'art,  ou  du  moins  l'amour 
de  l'art  était  devenu  chez  lui  une 
monomanie.  Les  dernières  scènes 
de  sa  vie  nous  en  convaincront. 
Le  comte  de  Bunau,  loin  de  lui 
faire  des  reproches  ,  se  borna  à 
publier  combien  il  était  afflige  de  le 
perdre ,  et  à  le  féliciter  sur  la  carriè- 
re qui  s'ouvrait  devant  lui.  Un  an 
entier  se  passa  encore  avant  que 
notre  prosélyte  partît  pour  Rome. 
Deux  causes  concoururent  à  ce  dé- 
lai. D'abord  il  voulait  ,  avant  de 
quitter  l'Allemagne  ,  savoir  à  fond 
tout  ce  qu'il  était  possible  d'apprendre 
en  cette  contrée  ,  soit  relativement  à 
la  théorie,  soit  relativement  à  la  pra- 
tique. Les  conversations  d'OEser ,  au- 


WIN  II 

près  duquel  il  demeura  presque  pen- 
dant tout  ce  temps  ,  lui  furent  pour 
cela  d'un  grand  secours.  Ensuite  il 
tenait  à  satisfaire  le  nonce,  qui,  en 
partant  pour  Vienne,  lui  avait  con- 
seillé de  composer  quelque  ouvrage 
capable  de  donner  au  public  une  idée 
de  ses  talents  ,  et  de  l'annoncer  à 
Rome.  L'avis  était  sensé  ;  et  Winc- 
kelmann ,  en  s'y  conformant ,  publia 
ses  Béjlexions  sur  Vimitalion  des 
ombrages  grecs  dans  la  sculpture  et 
dans  la  peinture  y  Bresàc  et  Leipzig, 
1756,  in  -  4*>.  Ce  début  lui  valut 
de  nombreux  applaudissements^  et 
dès-lors  son  nom  fut  recommandé  à 
la  renommée.  Bientôt  même,  comme 
l'ouvrage  n'avait  été  tiré  qu'à  un 
très-  petit  nombre  d'exemplaires,  et 
que  beaucoup  de  lecteurs  voulaient 
se  le  procurer ,  il  en  donna  une  se- 
conde édition,  mais  avec  des  aug- 
mentations considérables,  pour  ré- 
pondre à  une  critique  qui  avait  paru 
presque  sur-le-champ  ,  et  sous  ce  ti- 
tre :  Éclaircissements  des  Béjlexions 
sur  Vimitation  des  ouvrages  grecs 
dans  la  peinture  et  dans  la  sculp- 
ture y  et  réponse  à  la  lettre  critique 
de  ces  Réflexions  y  Dresde  et  Leip- 
zig, 1756,  in -4^.  Nous  donnerons 
plus  tard  des  détails  sur  cette  der- 
nière composition,  que  pour  l'ins- 
tant il  nous  suffit  de  mentionner, 
comme  le  premier  pas  de  Winckel- 
mann dans  une  route  nouvelle.  Il  par- 
tit ensuite  pour  Rome,  où  il  eut  l'at- 
tention de  ne  point  arriver  en  même 
temps  que  le  nonce,  de  peur  de  paraî- 
tre son  prosélyte,  et  pour  ne  point 
avoir  l'air  de  mendier  hypocritement, 
sous  ses  auspices,  les  bonnes  grâces  du 
pape  et  des  cardinaux.  Plein  de  con- 
fiance dans  les  promesses  qu'on  lui 
avait  faites ,  dc'pourvu  de  toute  espè- 
ce d'ambition,  à  moins  qu'on  ne 
donne  ce  nom  au  désir  qu'il  avait  de 


11 

se  créer  une  re'piitation ,  ou  plutôt  de 
faire  revivre  celle  des  artistes  an- 
ciens ,  et  se  contentant  pour  vivre  du 
plus  strict  ne'cessaire ,  il  ne  demanda 
rien  aux  nombreux  amis  que  ses  let- 
tres de  recommandation  et  son  me'- 
rite  lui  procurèrent  en  peu  de  temps. 
Présente  à  Benoît  XTV,  au  commen- 
cement de  1756 ,  il  ne  sollicita  de  la 
munilicence  du  ponlife  que  la  com- 
munication des  manuscrits  grecs  du 
Vatican.  Sa  seule  ressource  était  une 
pension  de  cent  écus  que  lui  faisait 
le  P.  Raucli  ,  ami  sincère  de  son 
catéchumène  ;  mais  cette  modique 
somme ,  jointe  à  l'avantage  qu'il 
avait  d'être  logé  gratis  au  palais  de 
la  chancellerie ,  lui  suffisait  à  Ro- 
me. Ainsi  établi  dans  celte  ancienne 
et  splendide  spoliatrice  du  monde, 
il  passa  un  an  entier  à  visiter  les 
monuments  de  tous  les  genres  ,  les 
sculptures  échappées  à  la  faux  du 
temps,  les  bas -reliefs,  les  pierres 
gravées,  les  médailles,  les  vases  et 
ustensiles  rassemblés  à  grands  frais 
dans  les  collections  du  Vatican  ou 
des  particuliers.  Il  lit  aussi  connais- 
sance avec  plusieurs  artistes  célèbres 
et  avec  les  amateurs  les  plus  distin- 
gués de  la  capitale  de  l'Italie.  A  la 
tête  des  premiers  il  faut  placer  l'il- 
lustre Mengs  ,  avec  lequel  il  contracta 
une  étroite  amitié  ,  et  dont  les  leçons 
contribuèrent  quelquefois  à  éclairer 
son  goût  encore  timide  et  peu  exercé. 
Parmi  les  seconds,  nous  distingue- 
rons le  spirituel  cardinal  Passionei  , 
qui  eut  bientôt  apprécié  le  rare  ta- 
lent de  Winckelmann  ,  et  qui  mit  à  sa 
disposition  tonte  sa  bibliothèque  ,  et 
un  autre  cardinal  non  moins  cher 
aux  amis  des  arts ,  Alexandre  Alba- 
ni ,  dont  nous  aurons  souvent  à  par- 
ler dans  la  suite  de  cet  article.  Au 
milieu  de  ce  cercle  d'amis  et  des 
modèles  que  Rome  prodiguait  à  ses 


regards ,  le  modeste  Winckelmann 
menait  la  vie  la  plus  délicieuse 
à  sou  gré.  «  C'est  ici ,  s'écriait-il , 
que  je  devais  naître  et  que  je  de- 
vrais mourir!  »  Abonné^  selon  l'u- 
sage, pour  voir  certaines  statues,  il 
allait  tous  les  jours  visiter  l'Apollon 
ou  le  Laocoon.  Il  passait  quelque- 
fois des  heures  entières  abîmé  devant 
un  bras  ou  une  tête  antique.  Sans 
cesse  il  ajoutait  à  ses  idées  et  rec- 
tifiait ses  premières  conceptions. 
«  J'éprouve  enfin,  dit-il  dans  une 
de  ses  lettres ,  que  lorsqu'on  ne  parle 
des  antiquités  que  d'après  les  livres 
et  sans  les  avoir  contemplées  ,  ou  ne 
fait  que  tâtonner  :  j'ai  déjà  remar- 
qué plusieurs  fautes  que  j'ai  commi- 
ses 'y  »  et  ailleurs  (  Traité  du  senti- 
ment du  beau  ) ,  après  avoir  expli- 
qué les  caractères  de  l'art  et  les  va- 
riétés du  beau  :  a  Mais  on  ne  saurait 
donner  une  clarté  palpable  à  des 
choses  fondées  sur  le  sentiment ,  et 
c'est  ici  qu'il  faut  dire  :  Allez  et 
voyez  !  »  Il  songea  aussi  dès  cette 
année  à  la  rédaction  d'un  traité  qui 
aurait  été  intitulé  :  Vu  goût  des  ar- 
tistes grecs ,  et  c'est  dans  le  but 
d'amasser  les  matériaux  de  cet  ou- 
vrage qu'il  visitait  perpétuellement 
les  débris  de  l'antiquité.  Cependant 
ce  morceau  ne  prit  jamais  une  forme 
décidée,  et  ses  idées  s^élendant  insen- 
siblement à  ce  sujet,  il  finit  par  le 
fondre  dans  son  Histoire  de  VArt. 
En  1 7  58,  il  fit  deux  voyages ,  l'un  à 
Naples  où  il  fut  accueilli  avec  la 
plus  grande  ailabilité  par  le  comte 
de  Firmian ,  ministre  impérial ,  l'au- 
tre à  Florence,  où  l'appelait  depuis 
long-temps  le  savant  baron  de  Stosch. 
Cet  illustre  antiquaire  était  depuis 
long-temps  en  correspondance  avec 
Winckelmann ,  et  lui  réitérait  l'in- 
vitation de  passer  quelques  mois  à 
sa  maison  de  Florence.  Il  venait  de 


WIN 

mourir  quand  Winckelmann  se  ren- 
dit à  ses  instances,  autant  pour  par- 
courir la  Toscane  et  prendre  con- 
naissance par  ses  yeux  des  monu- 
ments étrusques  que  pour  voir  Flo- 
rence. Cependant  outre  les  magnifi- 
ques musées  que  cette  ville  renferme, 
la  galerie  seule  du  comte  pouvait 
fixer  ratlention  d'un  antiquaire.  Un 
seul  atlas  était  estime  u 4,000  fr.  On 
y  voyait  un  superbe  caîjinet  de  ca- 
mées, et  un  autre  de  pierres  gravées. 
Winckelmann  fut  chargé  d'en  faire 
le  Catalogue  que  nous  verrons  figu- 
rer plus  bas  au  nombre  de  ses  ou- 
vrages les  plus  importants.  Revenu 
à  Rome  à  la  fin  de  l'année  1758  , 
Winckelmann  cessa  de  toucher  sa 
pension  que  jusque-là  lui  avait  en- 
voyée le  P.  Rauch  ,  et  consentit  à 
entrer  au  service  du  cardinal  Albani, 
en  qualité  de  bibliothécaire  et  d'ins- 
pecteur des  antiques.  En  ahénant 
ainsi  son  indépendance  ,  Winckel- 
mann ne  s'assujétissait  pas  bien  for- 
tement. Tout  son  travail  consistait  à 
se  rendre  les  après-midi  à  la  magni- 
fique villa  que  le  cardinal  venait  de 
bâtir  dans  le  voisinage  de  Kome.  Là 
il  méditait ,  lisait  ou  causait  à  son  gré 
avec  son  patron ,  n'étant  que  d(>  temps 
à  autre  dans  l'obligation  de  donner 
aux  curieux  des  explications  que  pres- 
que toujours  l'éminence  se  faisait  un 
plaisir  de  communiquer  de  sa  bou- 
che. Du  reste ,  il  pouvait  s'absen- 
ter lorsque  la  fièvre  des  voyages  le 
reprenait.  C'est  ainsi  qu'il  fit  encore 
deux  excursions  à  Naples  ,  l'une 
dans  le  carnaval  de  l'année  1762 
avec  le  comte  de  Bruhl ,  l'autre  deux, 
ans  après.  Le  but  de  ces  deux  pèle- 
rinages était  la  vue  des  ruines  d'Her- 
culanum  ,  de  Stabies  et  de  Pompeia, 
ruines  dont  il  donna  quelque  temps 
après  son  retour  la  description  dans 
deux  lettres,  où,  tout  en  expliquant  à 


WIN  i3 

sa  manière  certains  monuments  ,  et 
en  s'enthousiasmant  sur  l'importance 
des  découvertes,  il  s'exprimait  assez 
cavalièrement  sur  plusieurs  employés 
et  plusieurs  antiquaires.  Ces  saillies^ 
qui  presque  toujours  portaient  sur 
un  point  vulnérable ,  et  que  dans  son 
admiration  naïve  du  beau  et  de  Tan- 
tique  il  laissait  échapper  sans  en 
apercevoir  les  conséquences,  irritè- 
rent contre  lui  plusieurs  amours-pro- 
pres ,  et  lui  attirèrent  des  haines  qui 
heureusement  ne  nuisirent  ni  à  sa 
position  dans  le  monde ,  ni  à  sa  ré- 
putation. En  1763  ,  il  fut  nommé 
président  des  antiquités  à  Rome  ,  et 
ensuite  bibliothécaire  (  scrittore  )  du 
Vatican;  mais  il  ne  garda  ce  dernier 
emploi  que  peu  de  temps  ,  et  finit  par 
le  résilier  tacitement  en  ne  parais- 
sant plus  à  la  bibliothèque.  Plusieurs 
académies  italiennes,  et  la  société 
dos  antiquaires  de  Londres  l'admi- 
rent au  nombre  de  leurs  membres. 
Enfin  une  foule  d'étrangers  de  dis- 
tinction, en  arrivant  à  Rome,  avaient 
recours  à  lui  pour  qu'il  les  dirigeât 
dans  leurs  visites  et  leur  interprétât 
les  beautés  de  l'art  qu'il  avait  si  pro- 
fondément étudiées  et  qu'il  devait 
si  énergiquement  décrire.  II  eût  été 
difficile  de  trouver  un  Cicérone  ou 
plus  habile  ou  plus  éloquent.  La 
complaisance  de  Winckelmann  était 
inépuisable,  comme  son  érudition, 
toutes  les  fois  qu'il  avait  à  conduire 
de  véritables  amateurs.  Mais  lors- 
qu'il apercevait  dans  ses  nobles  au- 
diteurs l'ennui,  les  symptômes  de 
l'insouciance  ou  de  l'insensibilité 
en  présence  des  beautés  les  phjs 
hautes  de  l'art,  il  disait  sècbement 
adieu  à  des  spectateurs  moins  hom- 
mes ,  s'écriait-il ,  que  ces  marbres  et 
ces  bronzes  qui  respirent  sous  leurs 
yeux.  Parmi  les  premiers ,  il  se  plut 
surtout  à  vanter  deux  plénipoteu- 


WIN 

tiaircs  anglais,  VV.  Ilamiltoii  et  lord 
Storinont ,  le  prince  d'Aiihalt-Dessau 
avec  lequel  il  vécut  presque  sur  le 
pied  de  la  familiarité  ,  et  le  prince 
Achille  de  Brunswick  dont  il  resta 
Tarai  jusqu'à  sa  mort.  Cependant  la 
composition  de  ses  ouvrages  l'occu- 
pait presque  continuellement ,  puis- 
que, outre  V Histoire  de  VArt  , 
et  les  diverses  publications  dont 
il  a  e'té  question  jusqu'ici  ,  c'est 
dans  l'intervalle  de  1760  à  1767 
qu'il  mit  au  jour  tout  ce  qui  figure 
dans  la  collection  complète  de  ses 
OEuvres.  Plus  heureux  dans  cette  si- 
tuation qu'il  n'avait  jamais  aspire'  à 
le  devenir  ,  on  conçoit  qu'il  devait 
rester  insensible  aux  propositions 
que  lui  firent  plus  d'une  fois  les  di- 
verses cours  d'Allemagne.  Vienne, 
Berlin,  Municli  ,  Dresde,  Bruns- 
wick, Hanovre,  essayèrent  de  l'atti- 
rer ;  mais  les  offres  de  tous  les  prin- 
ces le  trouvèrent  inflexible  dans  sa 
de'termination  de  passer  à  Rome  le 
reste  de  ses  jours.  Quelques  historiens 
assurent  pourtant  qu'il  prêta  l'oreil- 
le aux  propositions  du  roi  de  Prusse, 
mais  que  par  le  conseil  du  colonel 
Quintus  Icilius  (  V.  Guischardt  ) , 
il  demanda  le  double  de  ce  qui  lui 
avait  ëte  offert  par  le  personnage 
charge'  de  négocier  cette  affaire 
(  2000  e'cus  ).  Frédéric  trouva  les 
pre'tentions  de  l'antiquaire  exorbi- 
tantes, et  ne  re'pondit  que  par  ces 
mots  :  (c  Mille  e'cus  !  c'est  bien  assez 
»  pour  un  Allemand.  »  Selon  une  au- 
tre version ,  Frédéric  aurait  de  pri- 
me-abord offert  de  quinze  cents  à 
deux  mille  écus  ;  mais  Winckclmann 
aurait  lie'site' ,  et  la  négociation  traî- 
nant en  longueur  aurait  fini  par  être 
complètement  oubliée.  Si  l'autre  récit 
est  plus  piquant  et  plus  conforme  aux 
dédains  affectes  de  l'ami  de  Voltaire 
pour  la  prétendue  pesanteur  gcrmaui- 


WIN 

que ,  le  dernier  nous  semble  plus  en 
harmonie  avec  le  caractère  de  notre 
auteur,  toujours  de  ])lus  en  plus  atta- 
che àritalie,etincapablc  de  la  quitter 
sans  arrière-pensée  ou  sans  espoir  de 
retour.  Tout  ce  que  les  sollicitations 
de  ses  anciens  amis  et  des  nobles 
protecteurs  que  ses  talents  lui  avaient 
créés  dans  sa  terre  natale  purent  lui 
arracher,  se  réduisit ^à  la  promesse 
d'une  tournée  en  Allemagne.  Encore 
son  but  principal  était-il  de  détermi- 
ner une  souscription  pour  la  fouille 
d'Olympie.  Telle  était  la  forme  sous 
laquelle  son  imagination  fertile  en 
projets  lui  offrait  enfin  le  voyage  en 
Grèce.  «Si  le  cardinal  Sloppani  était 
pape,  disait-il  ,  ma  cliimère  serait 
accomplie.  »  Mais  cette  chimère 
n'était  alors  rien  moins  qu'irréalisa- 
ble. Obtenir  un  firman  de  la  Porte 
était  facile  à  une  époque  où  il  n'exis- 
tait entre  les  cours  allemandes  et  le 
sérail  que  des  relations  amicales.  Les 
frais  de  fouilles  et  de  transport  n'é- 
taient point  au-dessus  des  moyens  de 
quelques  patrons  généreux,  et  de- 
vaient d'ailleurs  être  pleinement  com- 
pensés par  les  résultats  de  recher- 
ches habilement  dirigées.  Plein  de 
ces  idées ,  W^inckelm  ann  se  prépara 
à  partir  •  mais  auparavant  il  voulut 
visiter  encore  une  fois  les  rues  sou- 
terraines d'Hcrculanum  et  le  Musée 
de  Portici.  Accueilli  avec  le  respect  et 
les  prévenances  dus  à  sa  réputation 
il  eut  cependant  à  se  plaindre  des 
entraves  que  lui  imposait  la  bizarre 
jalousie  des  antiquaires  des  Deux-Si- 
ciles,  entraves  qui  déjà  gênantes  lors 
de  ses  deux  premiers  voyages  devin- 
rent insupportables  pendant  ce  der- 
nier. Il  ne  pouvait  ni  prendre  note  de 
ce  qu'il  voyait  ni  même  s'arrêter  de- 
vant les  morceaux  les  plus  dignes 
d'admiration.  Les  cliefs  du  Musée  re- 
doutaient qu'il  n'écrivît,  qu'il  ne  dé- 


WIN 

créditât  leurs  explications.  «  N'iin- 
»  porte,  dit-il ,  j'écrirai.  »  Et  il  au- 
rait écrit  en  effet,  sans  la  mort  pré- 
maturée qui  vint  interrompre  ses 
travaux.  Enfin,  l'instant  fixe  pour 
son  départ  arriva.  Winckelmann 
quitta  Rome,  qu'il  ne  devait  plus  re- 
voir, le  10  avril  17^^^,  et  s'avança 
par  les  Alpesdans  les  gorgesdiiïyrol , 
accompagné  du  sculpteur  romain  Ca- 
vaceppi.  Mais  à  mesure  qu'ils  s'éloi- 
gnaient de  la  capitale  de  l'Italie , 
Winckelmann  cédait  à  une  sombre 
tristesse  j  et  quand  ils  eurent  perdu 
de  vue  les  dernières  limites  de  l'état 
de  Venise ,  il  resta  abîmé  dans  une 
profonde  mélancolie.  Les  toits  en 
pointe,  les  chaumières  environnées 
comme  d'une  couronne  de  neige ,  le 
ciel  brumeux  et  noir  des  Alpes  Ty- 
roliennes, tout  serrait  son  cœur  qui 
dans  d'autres  temps  n'eût  point 
été  insensible  au  grandiose  d'un  spec- 
tacle, sans  doute  bien  différent  de 
celui  que  présentent  la  campagne  de 
Rome  et  les  horizons  de  la  Terre  de 
Labour.  Accablé  par  une  espèce  de 
nostalgie,  car  Rome  était  devenu  sa 
patrie ,  aux  réflexions  esthétiques  du 
sculpteur,  aux  appels  faits  à  son  cou- 
rage ,  aux  citations  de  Catulle ,  il  ne 
répondait  que  par  le  sourire  du  dé- 
couragement ou  par  ces  mots  :  Tor- 
niamo  a  Roma.  Les  honneurs  qu'il 
reçut  à  Munich  et  à  Vienne ,  partout 
où  il  fut  présenté ,  et  même  à  la  cour 
impériale,  ne  purent  triompher  de 
cette  disposition,  qui  bientôt  dégéné- 
ra si  évidemment  en  maladie ,  qu'on 
cessa  de  l'importuner  pour  qu'il  con- 
tinuât son  voyage,  a  Je  ne  puis  pen- 
ser sans  attendrissement ,  clit  Cava- 
ceppi  dans  le  Journal  qu^il  a  tenu 
de  son  voyage ,  aux  paroles  affec- 
tueuses de  son  altesse  le  prince  de 
Kaunilz,  pour  dissuader  Winckel- 
mann de  retourner  en  Italie....  Lors- 


WIN 


i5 


que  nous  remarquâmes  qu'il  persistait 
dans  sa  résolution,  et  qu'il  m'ait  les 
jeux  d'un  mort ,  nous  ne  voulûmes 
point  le  tourmenter  davantage.  »  D'a- 
près son  premier  plan  ,  il  avait  dû  sui- 
vre Cavaceppi  à  Dresde  ,  à  Berlin , 
à  Hanovre  :  il  fut  décidé  qu'il  res- 
terait une  quinzaine  de  jours  à  Vien- 
ne ,  et  qu'ensuite  il  repartirait  pour 
l'Italie.  Tiré  de  peine  par  cet  arran- 
gement, il  commença  à  renaître,  et 
se  livra  avec  toute  l'énergie  de  son 
caractère  à  ses  travaux  accoutumés- 
Eglises,  bibhothèques ,  cabinets,  ga- 
leries, il  visita,  il  observa  tout  en 
critique  curieux  et  éclairé.  Il  s'atta- 
cha aussi  à  mettre  un  ordre  nouveau 
dans  les  parties  de  son  Histoire  de 
VArt,Ql  à  diriger  la  rédaction  d'une 
traduction  française  que  Toussaint 
devait  en  faire  sous  ses  yeux.  Cette 
double  occupation  l'absorba  bientôt 
tout  entier.  Il  n'av^^it  plus  d'autre 
pensée,  après  le  voyage  en  Élide,  que 
la  seconde  édition  et  la  version  de 
l'ouvrage  qu'il  regardait  avec  rai- 
son comme  son  plus  beau  titre 
aux  yeux  de  la  postérité.  Telles 
étaient  ses  dispositions  lorsqu'il 
partit  de  Vienne  ,  comblé  d'hon- 
neurs et  de  présents ,  et  se  remit  en 
route  pour  l'Italie.  Il  avait  plusieurs 
fois  changé  d'idée  relativement  à 
sou  itinéraire,  et  enfin  s'était  fixe  à 
celle  de  gagner  Venise  par  la  Car- 
niole.  On  ignore  quel  motif  l'engagea 
encore  à  modifier  ce  plan,  et  à  pren- 
dre par  Trieste,  pour  se  rendre  par 
mer  à  Ancône.  A  peu  de  distance  de 
îa  première  de  ces  villes ,  il  fut  ac- 
costé par  un  scélérat,  déjà  repris  de 
j  ustice  et  condamné  aux  fers  par  les 
tribunaux  de  Vienne ,  qui  eurent  en- 
suite l'imprudence  de  commuer  sa 
peine  en  un  simple  bannissement.  Ce 
misérable ,  nommé  François  Archan- 
geli ,  ne  tarda  point  à  connaître  le 


ï6 


WIN 


iaibîede  Winckelmann,  dont  la  con- 
fiance allait  au  point  de  raconter  sa 
vie,  ses  voyages,  ses  desseins  ,  sans 
faire  même  l'ombre  d'une  question  à 
son  compagnon  j  et  il  s'insinua  faci- 
lement dans  sa  confiance,  tant  en 
affectant  un  grand  amour  pour  les 
arts ,  qu'en  lui  offrant  ses  services 
pour  la  recherche  et  la  location  d'un 
navire.  Winckelmann  lui  flt  voir  les 
médailles  dont  l'avaient  gratifié  les 
cours  de  Munich  et  de  Schônbrunn. 
La  vue  de  l'or  enflamma  la  cupidité 
de  l'Italien,  qui,  quelques  jours  a  près^ 
se  rendant  à  l'hôtellerie  oii  l'illustre 
antiquaire  attendait  le  vaisseau  qui 
devait  lui  faire  passer  l'Adriatique  , 
vint  prendre  congé  de  lui  dans  les 
termes  les  plus  affectueux, puis  lepria 
comme  par  réminiscence  de  lui  mon- 
trer encore  une  fois  ses  médailles 
pour  mieux  se  les  imprimer  dans  la 
mémoire.  W^inckelmann,  alors  occu- 
pé à  lire  Homère  et  à  rédiger  quelques 
documents  pour  la  réimpression  de 
l'Histoire  de  l'Art,  abandonne  le  livre, 
court  à  sa  malle ,  et  se  met  à  genoux 
pour  l'ouvrir.  Aussitôt  Archangeli 
lui  jette  au  cou  un  nœud  coulant  et 
s'efforce  de  l'étrangler.  Le  danger 
donne  des  forces  à  Winckelmann  , 
qui  d'une  main  saisit  et  tient  ferme 
la  corde  passée  à  son  cou,  tandis 
que  de  l'autre  il  cherche  a  repousser 
le  meurtrier.  Mais  la  partie  était 
trop  inégale.  Archangeli,  muni  d'un 
grand  couteau,  le  renverse  et  le  per- 
ce de  cinq  coups  dans  le  bas-ventre. 
Il  l'eût  achevé  sur  la  place  sans  l'ar- 
rivée d'un  enfant  avec  lequel  Winc- 
kelmann avait  coutume  de  jouer 
dans  Tauberge ,  et  qui  vint  en  ce  mo- 
ment frapper  à  la  porte.  L'assassin, 
effrayé,  prit  la  fuite sur-le champ. Les 
médailles,  qui  devaient  être  le  prix 
de  son  crime ,  restèrent  là  •  mais  les 
blessures  de  Winckelmann  étaient 


WIN 

mortelles  :  sept  heures  après,  il  avait 
cessé  d'exister  (8  juin  1768).  Sa 
présence  d'esprit  se  soutint  jusqu'à 
ses  derniers  moments  :  il  pardonna  à 
son  meurtrier  (  3  j,  reçutles  sacrements 
et  dicta  ses  dernières  volontés.  Le 
cardinal  Alexandre  Albani ,  son  ami 
et  son  protecteur  ,  héritait  de  tout 
ce  qu'il  laissait ,  à  l'exception  de 
trois  cent  cinquante  sequins  qu'il 
léguait  à  son  graveur  Mogali ,  et  de 
cent  autres  qui  devaient  être  remis  à 
l'abbé  Pirami.  Ainsi  périt ,  à  peine 
âgé  de  cinquante  ans  et  dans  la  ma- 
turité même  de  son  talent ,  un  des 
hommes  les  plus  distingués  de  l'Alle- 
magne ,  et  à  coup  sûr  celui  dont  les 
inspirations    ont  fait   naître  l'école 


{3)  François  Archangeli  ,  né  à  Pistoic  d'une  fa- 
mille obscure  ,  demeura  quelque  temps  à  Vienne, 
dans  une  m.iison  riche;  mais  ayant  été'  soupçonné 
de  vol  domestique    il  fut  traduit  devant    les    tri- 


bunaux et  condamné  aux  travaux  forcés 


pour  qua- 


tre ans,  et  ensuite  à  un  bannissement  perpétuel 
des  domaines  de  l'empire  d'Autriche.  Trois  ans 
se  passèrent  ainsi  :  et  à  cette  époque  il  trouva 
des  amis  qui  intercédèrent  pour  lui  ;  ou  lui  fit 
grâce  d'un  an  de  détintion  ;  mais  en  l'avertissant 
d'observer  sur-le-champ  et  de  ne  point  rompre 
son  ban.  Archangeli  se  retira  à  Venise  avec  sa 
femme  ou  sa  concubine  Eve  Rachel.  En  août.^ 
1767  ,  il  se  rendit  à  Trieste  malgré  son  serment^ 
avec  l'intention  de  s'y  établir  ;  mais  n'ayant  point 
obtenu  la  place  que  probablement  il  y  espérait, 
ou  craignant  que  le  gouvernement  ne  vînt  à  ap- 
prendre sa  présence  dans  cette  ville,  il  revint  à 
Venise,  où  ses  idées  chanj^èrent  encore.  Au  mois 
de  mai  1768  il  retourna  à  Trieste  où  il  prit  un  lo- 
gement dans  une  auberge.  Nous  avons  vu  comment 
il  fit  connaissance  avec  Winckelmann,  et  par  quelle 
catastrophe  se  termina  ce  déplorable  incident. 
Pendant  le  trouble  et  le  désordre  occasionnés  par 
ce  malheur,  il  eut  le  temps  de  quitter  Trieste;  il 
réussit  même  à  mettre  toute  la  largeur  du  territoi- 
re vénitien  entre  lui  et  les  témoins  de  son  crime,  et 
parvint  à  Piraue,  comptants'embarquer  sur  le  pre- 
mier vaisseau  qui  metîrait  à  la  voile  ,  n'importe 
pour  quel  port.  Mais  des  exprès  avaient  été  dépê- 
chés de  tous  côtés ,  et  surtout  vers  les  cote-s  ,  avec 
son  signalement.  Enviromié  partout  de  dangers,  il 
crut  plus  sûr  de  renti-er  dans  l'intérieur  des  ter- 
res ,  et  il  se  dirigeait  vers  Labiana  quand  un  tam- 
bour ,  qui  le  prenait  pour  un  déserteur,  le  fit  ar- 
rêter. Ou  eut  bientôt  reconnu  que  l'on  commettait 
une  erreur  à  son  égard  ;  mais  l'impossibilité  où  il 
était  de  donner  des  renseignements  sur  sa  conduite 
journalière  et  l'hésitation  qu'il  montrait  à  répondre 
lurent  cause  qu'on  le  retint.  Bientôt  H  avoua  son 
crime  ,  et  fut  envoyé,  sous  bonne  garde  et  chargé 
de  fers,  à  Trieste  ,  où  il  fut  presque  immédiate- 
ment jugé  et  mis  à  mort  le  20  juin  ,  en  présence 
d'une  foule  innombrable  qui  s'était  réunie  pour 
assister  à  son  exécation. 


WIN 

es tii clique  moderne  ,  et  popularisé 
ridée  du  beau.  C'est  cette  idée  qui  a 
présidé  à  la  conception  de  tous  ses 
ouvrages  :  c'est  elle  qui  en  a  tracé  la 
forme  ,  dessiné  les  détails  ,  arrêté 
les  idées  et  les  préceptes.  Depuis 
le  pins  vaste  et  le  plus  volumi- 
neux de  ses  traités  jusqu'au  plus 
mince  de  ses  opuscules  ,  tout  se 
lie  ,  se  fond  et  se  coordonne  dans 
une  même  idée  de  la  beauté ,  la 
beauté  telle  que  l'a  créée  la  nature, 
telle  que  l'a  vue  l'imagination  grec- 
que. Aussi  ])eut-on  dire  que  tous  les 
écrits  de  Winckelmann  ,  malgré  la 
diversité  de  leurs  cadres,  ne  sont 
que  les  ])arties  d'un  même  tout  ,  ou 
du  moins  que  V Histoire  de  l'Art  est 
son  texte  ^  tandis  que  ses  autres  ou- 
vrages sont  le  commentaire  et  les 
pièces  justificatives.  En  elfct ,  c'est 
dans  le  premier  qu'il  faut  voir  les 
idées  fondamentales  de  tout  son  sys- 
tème. Aussi  est-ce  celui  que  nous  al- 
lons analyser  avant  les  autres,  et  avec 
le  pins  de  détails.  Mais  pour  bien  con- 
cevoir quelle  révolution  ses  principes 
opérèrent  dans  le  goût ,  il  est  néces- 
saire de  se  reporter  à  l'état  des  arts 
et  des  lettres  à  cette  époque.  Person- 
ne n'ignore  combien  la  peinture  ,  la 
gravure ,  l'architecture  mime  et  la 
statuaire  déchurent  pendant  le  dix- 
huitième  siècle.  Mais  ce  que  l'on  n'a 
pas  assez  examiné ,  c'est  la  cause  de 
cette  rapide  décadence.  Cette  cause 
n'est  autre  que  l'influence  d'une  lit- 
térature de  jour  en  jour  plus  fri- 
vole et  plus  mesquine.  Les  écrivains 
contemporains  de  Louis XIY  étaient 
encore  remarquables  par  la  vérité  , 
la  grandeur ,  et  n'avaient  point  com- 
plètement rompu  avec  la  nature , 
quoique  trop  souvent  Racine  la  vît 
de  rOEil-de-Bœuf ,  et  Corneille  dans 
les  antichambres  de  l'Escurial.  Mal- 
heureusement ces  défauts  mêmes  fu- 


WIN  17 

rent  ce  qui  charma  davantage.  Rien 
de  plus  héroïque  que  les  phrases  sono- 
res de  César  ,  de  plus  délicieux  que 
les  plaintes  de  Xipharès  :  les  Ro- 
mains chez  FLoriis  parlent  bien  au- 
trement que  chez  Tacite  :  on  ne  se 
doutait  pas  dfs  beautés  de  Britan- 
nicus.  Or  l'esprit  humain  a  des  ac- 
cès de  servilisme,  tout  comme  il  a 
quelquefois  la  frénésie  de  l'indépertr 
dance.  Ces  accès  ont  lieu  ,  soit  lors- 
que des  beautés  réelles  plaisent  à  une 
classe  de  la  société,  soit  lorsque  les 
défauts  des  artistes  sont  en  har- 
monie avec  les  mœurs  et  la  phy- 
sionomie d'un  siècle.  Ces  deux  cir- 
constances se  trouvèrent  réunies  sous 
le  règne  fastueux ,  mais  en  quelque 
sorte  théâtral,  de  Louis  XIV.  Aussi 
fut-il  décrété,  dans  le  siècle  suivant, 
que  l'on  marcherait  sur  les  pas  de 
Corneille,  de  Racine  et  des  autres 
grands  hommes  du  grand  siècle.  C'é- 
tait le  vrai  moyen  de  s'écarter  de  la 
nature;  car  qui  ignore  qu'aux  fautes 
légères  d'une  première  copie  ,  un  co- 
piste ne  manque  jamais  d'ajouter 
les  siennes,  et  qu'ainsi,  après  qtiel- 
ques  transcriptions  de  transcrip- 
tions, l'original  est  tout-à-fait  mécon- 
naissable '}  c'est  aussi  ce  qui  arriva  : 
tragédie ,  comédie ,  éloquence ,  phi- 
losophie ,  histoire  ,  tout  prit  les  pro- 
portions de  l'épigramme  et  le  ton  du 
Bouquet  à  Cloris.  D'ailleurs  la  gran- 
deur d'apparat  avait  fait  place  à  une 
légèreté  et  à  une  petitesse  de  vues  mille 
fois  plus  éloignées  de  la  vraie  gran- 
deur; et  au  palais  de  Louis  XI  Vs'était 
substitué  le  boudoir  de  Pompadour. 
Là  et  en  lieux  analogues,  il  fut  bien 
décidé  que  Platon ,  Descartes  et  Leib- 
nitz  étaient  des  rêve-creux  qui  de- 
vaient faire  place  à  Condillac;  qu'Ho- 
mère était  commun  ,  prolixe  ,  fasti- 
dieux; que  les  figures  de  Raphaël 
et  de  Polyclète  étaient  sans  grâce. 


i8  WJN 

D*aiitre  part ,  les  défenseurs  fort  peu 
nombreux  de  l'antiquilc'  étaient  fort 
peu  sj^intucls  ,  et  surtout  n'avaient 
aucune  influence.  Us  défendaient  fort 
gaucliemeut  leurs  protèges  sur  qui 
leurs  gais  adversaires  faisaient  pleu- 
voir le  sarcasme.  Il  y  a  plus  :  at- 
teints eux  -  mêmes  et  à  leur  insu 
de  la  contagion  générale  ,  ils  les  tra- 
vestissaient de  leur  mieux ,  donnant 
autant  que  possible  de  l'esprit  à 
Homère ,  de  la  civilité  à  Thucy- 
dide, et  delà  décence  à  Aristophane. 
Quant  à  ceux  qui  s'occiipaient  d'an- 
tiquités proprement  dites ,  ils  décri- 
vaient minutieusement  une  pierre,  un 
vase,  une  figure  ,  n'essayant  pas  mê- 
me de  mettre  sous  forme  de  lois  les 
principes  qui  les  décidaient  à  quali- 
îier  d'antique  la  pièce  qu'ils  exami- 
naient ,  et  ne  songeant  ni  à  recon- 
naître les  âges  ,  les  costumes  ,  la 
patrie  de  ce  qu'ils  s'imaginaient  ad- 
mirer. Un  tel  système  ,  si  l'on  peut 
appeler  système  l'absence  de  tout  or- 
dre ,  de  toute  méthode,  de  toute 
prévision  ,  en  un  mot,  de  toute  loi , 
prêtait  merveilleusement  au  ridicule; 
et  l'on  sent  combien  un  cercle  d'é- 
légants, aussi  irrévocablement  brouil- 
lés avec  la  nature  que  consommés 
dans  l'art  du  persiflage  ,  devait  lan- 
cer de  brocards  sur  \m  antiquaire 
dépourvai  d'éloquence,  de  scnsilDilité, 
d'entliousiasme  ,  incapable  de  péné- 
trer au-delà  de  la  croûte  extérieure 
d'un  monument ,  et  de  s'élever  à  la 
conception  de  l'idéal  ^  et  débitant 
l'expression  de  son  admiration  com- 
me un  acte  de  foi.  Cependant  une 
révolution  commençait ,  du  moins 
dans  quelques  esprits  et  en  Italie  , 
lorsque  Wiuckelmann  languissait 
dans  des  postes  inférieurs.  Les  nom- 
breux monuments  de  tout  genre 
tirés  des  villes  ensevelies  sous  les 
laves  vomies  les  premières  par  le 


WIN 


1 


Vésuve  j  habituaient  1( 


cratère  du 

yeux  à  des  formes  nouvelles,  car  elle 
e'taient  gracieuses  et  simjdes;  et  The 
bitudc  ne  pouvait  à  la  longue  mai 
quer  de  faire  naître  l'admiratioi 
Quelques  bons  esprits  commençaiei 
à  trouver  cette  simplicité'  si  pure ,  i 
une  de  l'antique  préférable  à  la  mu 
tipHcilé  d'ornements  et  à  la  rechei 
che  des  Ottocentisti.  Mais  c'est 
Winckelmann  qu'il  était  réservé  ( 
rendre  universelle  celte  manière  c 
voir.  S'il  n'eût,  comme  ses  devai 
ciers  ou  ses  amis ,  qu'énuméré  ,  d( 
crit,  classé  de  vieux  bronzes  et  d< 
marbres  brisés^  il  eût  peut-être  influé 
tardivement  et  sur  quelques  intelli- 
gences ;  mais  son  admiration  n'eût 
point  été  contagieuse. Heureusement, 
il  prit  une  autre  marche  :  l'enthou- 
siasme sublime  et  calme  de  Platon 
présida  à  ses  descriptions  :  ses  ac- 
cents furent  ceux  d'un  poète  et  d'un 
prêtre  des  Muses  :  on  dirait  que  son 
style  rayonne  des  feux  du  soleil 
de  la  Grèce  :  semblable  à  Rous- 
seau dans  son  allocution  aux  mères 
qui  refusaient  d'allaiter  leurs  enfan 
au  lieu  de  prouver  froidement  , 
ordonna  d'admirer.  Grâce  à  ce 
ivresse ,  à  ce  ton  d 'inspiré ,  la  mode 
même  et  l'élégante  frivolité  du  beau 
monde  ne  purent  arrêter  ou  désap- 
prouver ce  succès.  Qu'y  avait-il  de 
pédantesque  ou  de  scolastique  dans 
la  proclamation  majestueuse ,  élo- 
quente ,  des  principes  immuables  du 
beau  ?  dans  le  tableau  de  la  Grèce 
peu  avant  Phidias  ?  dans  la  descrip- 
tion de  l'/VpolIon?  Néanmoins,  il  ne 
convenait  pas  à  un  homme  aussi 
consciencieux,  et  aussi  profondément 
pénétré  des  principes  qu'il  professait, 
de  ne  remporter  la  victoire  que  par 
surprise  ou  par  suite  d'un  frivole 
engouement.  H  aspirait  à  convaincr.e 
autant  qu'à  vaincre,  et  voulait 


I 


WIN 

les  lecteurs ,  captive's  d'abord  par  le 
charme  du  style ,  l'originalité'  des 
idées  et  la  grâce  des  tableaux,  re- 
trouvassent ses  preuves  au  besoin^  et 
ne  pussent  redevenir  incrédules.  Pour 
parvenir  à  ce  but,  il  fallait  deux  cho- 
ses :  i^.  remonter  au  pourquoi  de  la 
beauté ,  et  en  indiquer  clairement 
l'origine  et  les  variétés  ;  'i^.  compa- 
rer ensemble  ces  mêmes  variétés  et 
leur  contraste  ;  car  rien  n'aide  mieux 
à  distinguer  nettement  un  objet  que 
la  vue  de  ce  qui  en  diiï'ère.  De  là  l'ap- 
préciation des  genres ,  des  styles ,  des 
écoles,  suivant  les  temps  et  les  lieux. 
En  un  mot ,  de  là  l'histoire.  On  voit 
combien  d'objets  divers  sont  fondus 
dans  l'ouvrage  de  Winckclmann  : 
l'esthétique  générale ,  antérieure  à 
l'art,  dont  elle  régit  les  procédés  et 
la  marche;  l'histoire  des  réalisations 
essayées  successivement  par  des  gé- 
nérations d'architectes,  de  peintres, 
de  sculpteurs  )  enfin  la  critique  des 
œuvres  fruits  de  leurs  efforts  ;  criti- 
que qui  n'est  autre  chose  que  l'ap- 
plication de  l'esthétique  aux  réalités 
produites.  Notre  illustre  historien 
tâtonna  long-temps  lui-même  avant 
de  bien  saisir  son  idée ,  et  de  s'éle- 
ver ,  soit  à  la  contemplation  pure  de 
ridéai,  soit  à  la  personnalisation  com- 
plète de  l'art;  et  sa  Correspondance 
fait  foi  de  l'incertitude  qui  régnait 
encore  dans  ses  idées.  JNous  avons 
remarqué  ci-dessus  que  le  traité  qu'il 
avait  projeté  sur  le  goût  des  artistes 
grecs  fut  fondu  ensuite  dans  l'Histoi- 
re de  l'art.  On  doit  voir  dans  ce  fait 
une  preuve  de  plus  du  progrès  de  ses 
pensées  sur  le  même  sujet,  et  l'a- 
grandissement toujours  de  plus  en 
plus  marqué  de  son  plan  primitif. 
L'ouvrage  entier  se  compose  de  six 
livres.  Le  premier  est  plus  spéciale- 
ment consacré  aux  idées  générales  et 
comme  à  une  récapitulation  antici- 


WIN  19 

pée.  Les  cinq  qui  suivent  nous  dé- 
roulent l'histoire  de  l'art  chez  les 
principales  nations  de  l'antiquité , 
savoir  :  d'abord  les  Phéniciens,  les 
Égyptiens  et  les  Perses  ;  ensuite  les 
Etrusques ,  puis  les  Grecs ,  et  enfin 
les  Romains  ,  dont  la  chute  entraîna 
celle  de  la  civilisation  et  des  beaux- 
arts.  Suivons  à  présent  Winckel- 
mann  dans  quelques  détails  princi- 
paux. L'essence  de  l'art  {von  dent 
iresentliclien  dcrKunst)  ,tel  est  le 
titre  et  l'objet  du  premier  livre.  L'au- 
teur commence  par  chercher  l'ori- 
gine de  l'art.  Pris  dans  son  acception 
la  plus  générale,  il  naît  d'un  besoin. 
Les  arts  du  dessin  eux  -  mêmes  ont 
celte  origine.  On  s'est  imaginé  avoir 
besoin  du  portrait  d'une  personne 
aimée ,  et  voilà  la  peinture  ;  de  la  re- 
présentation matérielle  d'une  divini- 
té, et  voilà  le  début  du  sculpteur. 
Quant  aux  phases  de  leur  existence, 
ils  en  ont  trois,  comme  toutes  les  in- 
ventions bumaines  :  le  nécessaire,  le 
beau ,  le  superflu  ;  en  d'autres  termes, 
l'origine  ,  l'instant  du  plus  grand 
éclat  et  la  décadence.  Mais  l'art  a  des 
formes  diverses.  Laquelle  doit  -  on 
regarder  comme  la  plus  ancienne? 
C'est  à  la  sculpture  que  Winckel- 
mann  donne  la  priorité  clironologi- 
que,  quoique  peut-être  il  n'en  ait  pas 
été  de  même  chez  tous  les  peuples,  et 
qu'il  soit  plus  facile  d'arrêter  avec 
un  charbon  les  contours  d'une  sil- 
houette que  de  dégrossir  un  bloc 
de  pierre  avec  l'acier  et  l'airain. 
II  est  vrai  que  les  premières  sta- 
tues ne  furent  guère  que  des  mas- 
ses écarries.  Telle  est  du  moins  la  sup- 
position de  Winckelmann.  Il  trace 
ensuite  le  tableau  des  progrès  de  la 
sculpture  naissante,  montre  succes- 
sivement les  artistes  détaillant  la  con- 
formation des  figures,  faisant  paraî- 
tre la  tête,  puis  l'indication  du  sexe, 


20  WIN 

puis  les  jambes,  dctacliant  les  bras , 
et  enfin  rendant  les  actions  des  per- 
sonnages, et  discute,  chemin  faisant, 
plusieurs  probicincs  sur  la  patrie  de 
la  mythologie  grecque  ,  sur  l'origine 
de  l'art  en  Grèce ,  etc.  De  là  il  passe  , 
dans  un  second  chapitre,  à  rcnumc- 
ration  des  matières  que  l'art  peut  fa- 
çonner. Beaucoup  d'heureuses  et  in- 
téressantes obsei'vatious  rendent  ce 
morceau  digne  d'une  lecture  attenti- 
ve. Mais  c'est  principalement  dans 
un  troisième  et  dernier  paragraphe 
que  Winckelaiann  développe  à  la 
fois  un  savoir  et  une  justesse  d'esprit 
admirables.  L'influence  des  climats 
sur  le  langage,  la  façon  de  penser  et 
le  ])]i}sique  de  l'homme,  tels  sont 
les  sujets  qu'il  embrasse.  On  est  éton- 
né de  le  voir,  étranger  aux  idées  na- 
guère émises  par  Montesquieu  avec 
mi  applaudissement  général  sur  les 
climats  méridionaux  ,  attribuer  à 
ceux-ci ,  non  -  seulement  l'imagina- 
tion ,  mais  encore  la  beauté  _,  le 
cour;ige,  la  force  et  le  don  des 
belh  s  langues.  Le  second  livre  com- 
prend, de  même  que  le  précédent, 
trois  sections,  dont  deux  sont  con- 
sacrées aux  Égypiiens.  Dans  la  pre- 
mière de  celles-ci,  il  faut  remarquer 
l'arlicle  où  il  passe  en  revue  les  cau- 
ses qui,  à  l'entendre,  ont  subitement 
arrêté  l'essor  de  l'art  dans  son  origine. 
Ces  causes  sont ,  selon  Winckelmann, 
et  physiques  et  morales.  Les  unes 
peuvent  se  réduire  à  la  configuration 
médiocrement  avantageuse  et  à  la 
couleur  basanée  de  leur  corps.  Les 
autres  sont  nombreuses  et  com- 
prennent leur  caractère  et  leurs 
opinions,  les  lois,  les  coutiunes  et 
la  religion ,  le  peu  de  considéra- 
tion dont  jouissaient  des  artistes  tirés 
de  la  dernière  classe  du  peuple^  et 
par  suite  le  manque  de  science  de 
ces  artistes ,  voués  au  mépris  et  pres- 


WIN 


< 


que  toujours  à  la  pauvreté.  La  se- 
conde section  ,  où  il  traite  de  la  par- 
tie mécanique  de  l'art  en  Egypte,  est 
aussi  curieuse  que  peu  connue,  et  mé- 
rite une  lecture  attentive.  Mais  il  n'en 
est  pas  de  même  du  passage  où  il 
s'étend  sur  les  divinités  égyptiennes 
et  les  momies.  Sur  l'un  et  l'autre  de 
ces  objets,  la  grande  expédition 
d'Egypte  et  des  recherclies  encore 
plus  modernes  nous  ont  fourni  dix. 
fois  plus  de  documents  que  l'on 
en  avait  rassemblé  dans  les  siècles 
antérieurs.  La  troisième  section  est 
très-courte  :  il  n'y  est  question  que 
des  Phéniciens ,  des  Juifs  et  des  Per- 
ses ,  tous  peuples  dont  il  ne  nous  res- 
te aucun  monument ,  et  dont  le  se- 
cond même  tirait  ses  artistes  de  l'é- 
tranger. Il  en  vient  ensuite  aux 
Étrusques ,  dont  il  s'occupe  pendant 
tout  le  cours  du  troisième  livre  j 
et,  après  une  série  de  considéra- 
tions particulières  sur  la  situation  po- 
litique des  habitants ,  sur  leur  carac- 
tère et  sur  les  révolutions  dont  leur 
pays  fut  le  théâtre ,  il  aborde  la 
question  de  leurs  progrès  dans  l'art, 
et  passe  en  revue  les  diverses  repré- 
sentations qu'ils  nous  ont  laissées  des 
dieux ,  des  héros  et  des  personnages 
inférieurs.  Les  statues  de  marbre  et 
de  bronze,  les  bas-reliefs,  les  pierres 
gravées  ,  les  figurines  ,  les  iigures  ci- 
selées en  bronze,  les  animaux,  les 
peintures  trouvées  dans  les  tombeaux 
étrusques  ,  et  les  urnes  peintes  ,  sont 
successivement  les  objets  de  ses  ré- 
flexions. Arrivent  les  distinctions 
entre  les  trois  styles  des  artistes- 
étrusques.  Des  notices  extrêmement 
intéressantes  sur  les  produits  de  l'art 
chez  les  Volsques ,  les  Samnites,  les 
Campaniens  ,  et  dans  l'île  de  Sardai- 
gne  ,  terminent  ce  livre.  Le  suivant 
est  consacré  aux  Grecs  ;  et  peut  être 
est-ce  la  plus  belle  portion  de  tout  le 


WIN 

traite.  C'est  au  moins  celle  qu'il  a 
travaillée  avec  le  plus  de  soin  et  de 
lenteur  ,  celle  dans  laquelle  il  s'aban- 
donne avec  le  plus  d'effusion  à  son 
enthousiasme  et  à  son  amour  de  la 
Leaute.  Le  premier  chapitre  contient 
des  observations  générales  sur  les 
circonstances  et  les  causes  de  la  su- 
périorité des  Grecs  sur  tant  d'autres 
nations  dans  les  arts  du  dessin.  Rien 
de  plus  suave  ,  de  plus  harmonieux  , 
de  plus  homérique  ,  en  un  mot ,  que 
la  description  de  ce  climat  enchan- 
teur, de  ce  ciel  éternellement  pur, 
de  ces  plaines  éternellement  vertes 
où  naquirent  ,  oij  moururent  les 
Agésandres  et  les  Apelles.  Rien 
de  plus  noble  que  le  tableau  de 
la  constitution  politique  de  ces  peu- 
plades qui  passèrent  si  rapidement 
de  l'état  sauvage  à  toute  la  .pom- 
pe de  la  civilisation  ,  et  qui  bri- 
sèrent sur  les  péninsules  sinueuses 
de  leurs  rivages  la  puissance  colos- 
sale des  Achéménides.  Ijibres  ,  ri- 
clies  ,  maîtres  des  îles  les  plus  flo- 
rissantes de  la  mer  Egée  ,  portés  par 
des  barques  agiles  sur  les  rives  opu- 
lentes de  la  Cyrénaïque  et  de  l'Orient, 
polissant  de  plus  en  plus  la  langue 
si  souple  et  si  mélodieuse  de  leurs 
ancêtres  ,  enfin  placés  dès  leur  nais- 
sance sous  l'azur  du  plus  beau  ciel  , 
au  sein  des  plus  belles  contrées  dé 
l'hémisphère  civilisé  ,  les  Grecs  bien- 
tôt à  l'abri  des  premiers  besoins  phy- 
siques par  la  fécondité  de  leur  sol  ne 
pouvaient  manquer  de  connaître  et 
de  réaliser  la  Beauté.  D'autres  cau- 
ses favorisaient  encore  cette  ten- 
dance. La  vigueur,l'agilité,  l'adresse, 
qui  valaient  des  prix  à  l'adolescence 
dans  les  combats  d'Olympio  et  de 
l'Isthme ,  de  Delphes  et  de  Némée , 
perfectionnaient,  surtout  dans  l'hom- 
me, la  beauté  naturelle  chez  une  des 
plus  admirables  variétés  de  la  race 


WIN  ai 

caucasienne.  Une  idolâtrie  de  bon 
goût,  variée,  joyeuse,  brillante, 
iille  de  l'imagination  qu'elle  fertili- 
sait et  élcctrisait  à  son  tour ,  four- 
nissait^ et  des  souvenirs  à  la  mé- 
moire, et  des  inspirations  au  génie. 
Enfin  les  entrailles  de  la  terre  étaient 
aussi  fertiles  en  beaux  marbres  , 
que  sa  superficie  en  vins,  et  en 
fruits  délicieux.  Delà  à  l'examen  des 
diverses  formes  que  revêt  la  beauté 
la  transition  est  naturelle  ;  mais  d'a- 
bord Winrkelmann  traite  de  la  beauté 
des  ensembles.  C'est  dans  ce  chapi- 
tre où  il  examine  successivement  le 
caractère  des  divinités  tant  inférieu- 
res que  supérieures  ,  c'est  là  ,  dis-je, 
que  le  philologue  doit  chercher  l'in- 
terprétation véritable  de  presque  tou- 
tes les  épithètes  physiques  données  aux 
dieux  et  aux  héros  par  les  poètes  de 
rionie  et  de  Tancicnne  Grèce.  L'ex- 
pression ,  les  proportions  et  la  com- 
position lui  fournissent  encore  un  clia- 
pitrc  non  moins  riche  eu  aperçus  et  en 
descriptions  sublimes.  Il  descend  en- 
suite aux  beautés  de  détail ,  et  y  dé- 
veloppe dans  cette  partie  la  même 
finesse  de  tact  et  la  même  sagacité 
que  dans  le  chapitre  second.  Jus- 
qu'ici cependant  il  n'a  été  question 
que  du  nu.  Il  donne  enfin  un  para- 
graphe aux  figures  drapées.  Parmi 
les  morceaux  qui  suivent  il  faut  dis- 
tinguer principaleniient  celui  où  dessi- 
nant à  grands  traits  l'histoire  de 
l'art  en  Grèce  ,  il  y  compte  quatre 
époques  et  quatre  styles  dilTcrents. 
D'après  les  formules  en  quelque 
sorte  générales  par  lesquelles  il  dé- 
bute dans  l'introduction  de  son  pre- 
mier livre  ,  on  s'attendrait  à  n'en 
trouver  que  trois.  Mais  on  s'aper- 
çoit bientôt  que  les  deux  époques  qui 
tiennent  le  milieu  ne  sont  autres  que 
les  sous-divisions  de  celle  qui  dans 
cette introductionest  indiquée  comme 


WIN 

la  seconde.  Quant  à  la  subdivision 
en  ellc-mcme,  non-seulement  elle  est 
admissible,  mais  encore  c'est  nne  des 
plus  heureuses  découvertes  de  Winc- 
kelmann  ,  que  la  se'paration  de  deux 
genres  réellement  distincts  maigre' 
leurs  points  de  ressemblance  et  leur 
commune  perfection.  Ainsi  l'e'poque 
lapins  brillantedu  plus  beau  siècledes 
arts  se  scinde  en  deux  parties  ,  et  se 
caractérise  ])ar  deux  styles  ,  le  haut 
qui,  avec  plus  de  grandiose  et  de  su- 
blimite ,  a  quelque  chose  de  sévère 
et  comme  d'anguleux ,  le  beau  où  tout 
est  harmonieusement  fondu  ,  où  les 
teintes  se' dégradent  par  un  affaiblis- 
sement insensible,  où  les  formes  on- 
duleuses  et  effacées  ne  sont  que  com- 
me une  ligne  sans  brisures ,  enfin  où 
le  grand  est  plus  accessible,  et  le  su- 
blime plus  rapproché  de  la  terre. 
Winckeimann  cherche  à  rendre  cette 
différence  sensible  par  des  comparai- 
sons empruntées  à  la  littérature,  et 
met  ainsi  en  regard  Démosthènes  et 
Cicéron,  Homère  et  Virgile.  Peut- 
être  Eschyle  et  Sophocle  présente- 
raient plus  d'analogie.  Chez  le  pre- 
mier les  héros  ont  huit  pieds  de  haut  j 
chez  le  second  ils  sont  les  plus 
grands  d'entre  nous.  Il  pouvait  aussi , 
en  restant  plus  près  des  idées  physi- 
ques^ signaler  ces  deux  caractères 
dans  la  beauté  del'liomme  et  celle  de 
îa  femme.  La  même  distinction  se 
trouve  plus  bas  ,  enveloppée  sous 
une  autre  formule  ,  lorsqu'il  fait 
apparaître  sur  deux  plans  différents 
deux  Grâces  qui  ont  chacune  leur 
domaine,  leur  empire  à  part.  L'une 
se  présente  avec  les  traits  de  la  Vé- 
nus céleste ,  l'autre  avec  ceux  de  la 
Vénus  vulgaire,  et  telle  que  la  con- 
naissent les  yeux  mortels.  Fille  de 
l'harmonie,  la  première  est  éter- 
nelle, permanente  et  immuable  com- 
me  les  lois    de    la    nature  :  fille 


WIN 

du  temps  ,  la  seconde  est  sujett 
à  s'altérer,  à  périr.  Complaisant^ 
sans  bassesse  ,  celle-ci  cherche  à, 
plaire;  celle-là  se  suffit  à  elle-même, 
et  ne  fait  point  d'avances.  Les  Grecs 
l'auraient  comparée  au  mode  dé- 
signé dans  la  théorie  musicale  des 
anciens  par  la  dénomination  de 
mode  dorien,  tandis  qu'ils  auraient 
assimilé  sa  compagne  à  la  lyre 
ionienne.  Homère  connut  la  pre 
mière.  C'est  elle  que  chante  Pindare; 
c'est  à  elle  que  sacrifièrent  les  artis- 
tes du  haut  style.  Elle  opéra  avec 
Phidias  lorsqu'il  conçut  Jupiter  Olym- 
pien ;  elle  traça  l'arc  imposant  des 
sourcils  du  maître  des  dieux;  elle 
couronna  la  tête  de  Junon  Argiva , 
déessenourrie  par  les  Heures.  Elle  sou- 
riait innocemment  et  furtivement  dans 
la  Sosandra  de  Calamis.  Secondé 
par  cette  même  Grâce ,  l'auteur  de 
Niobé  osa  s'élancer  dans  la  région 
des  idées  incorporelles  :  il  sut  trou 
ver  le  secret  de  combiner  l'anxiété 
de  la  mort  avec  la  plus  haute  beauté 
il  sut  produire  des  formes  célestes 
qui,  loin  d'exciter  les  désirs  des  sens 
ne  font  naître  qu'une  contemplation 
profonde  de  la  beauté  souveraine  t 
C'est  partout  avec  le  même  entraîne- 
ment et  la  même  sensibilité  qu'il  ap- 
précie les  beautés  échappées  aux  ci- 
seaux de  Pise  et  d' Athènes ,  aux  pin- 
ceaux de  Sicyone  et  de  Corinthe.  Les 
intentions  les  plus  secrètes  ,  les  plus 
fugitives  de  l'artiste ,  sont  saisies  et 
rendues  avec  un  tact  exquis.  Les  che- 
veux de  Cérès  ne  sont  point  relevés 
comme  ceux  des  autres  déesses  :  la 
mère  de Proserpine  a  toujours  devant 
les  yeux  la  prairie  d'Enna,  et  sa 
fille  entraînée  sur  le  char  ravis- 
seur. Nulle  veine  ne  serpente  dans  les 
muscles  de  l'Hercule  du  Belvédère; 
ce  corps  robuste  est  calme  comme 
celui  de  l'enfant  qui  repose  dans  le 


WIN 

berceau  ;  la  sérénité'  siège  sur  sa  phy- 
sionomie •  sa  tête  se  dirige  en  haut: 
c'est  Hercule  recevant  d'Héhë  la  cou- 
pe de  l'immortalité, Hercule  purifie 
par  le  feu  du  Mont-OEta  de  tout  ce 
qu'il  eut  de  mortel.  Le  gladiateur 
Borghèse  n'a  d'autres  beautés  que 
celles  de  l'âge  fait ,  sans  aucun  sup- 
plément d'imagination  :  l'Apollon  et 
l'Hercule  sont  comme  la  poésie  qui 
Ta  au-delà  des  limites  du  vrai  ^  le 
gladiateur  est  comme  l'histoire  qui 
expose  nettement  la  vérité ,  mais 
avec  le  plus  beau  choix  des  pensées 
et  des  expressions.  Nous  pourrions 
multiplier  à  l'infini  ces  exemples 
de  la  finesse  et  du  goût  de  Winc- 
kelmann  ;  mais  ceux  -  ci  suiiisent 
pour  donner  une  idée  de  sa  manière. 
Après  avoir  passé  en  revue  les  diver- 
ses parties  de  l'art ,  l'auteur  en  vient 
enfin  à  tracer  vraiment  l'histoire  de 
ses  progrès  et  de  sa  décadence  en 
Grèce  :  mais  auparavant  il  s'appe- 
santit sur  ce  que  l'on  nomme  l'École 
romaine  ,  et  démontre  que  cette 
école  n'est  autre  qu'une  variété  de 
celle  des  Grecs.  Les  maîtres  du  mon- 
de ne  daignaient  que  détruire  ;  quant 
aux  arts  qui  assurent  et  qui  embellis- 
sent la  vie  y  ils  les  laissaient  aux 
esclaves  ,  aux  peuples  conquis  :  ils 
trouvaient  bien  plus  grand  de  payer 
le  génie  que  d'en  avoir,  et  plus  com- 
mode de  parer  leurs  palais  de  cent 
chefs-d'œuvre  volés  aux  alliés ,  que 
d'en  créer  laborieusement  un  ou  deux 
en  toute  leur  vie.  Aussi  n'eurent- ils 
jamais  ni  peintre ,  ni  sculpteur*  et 
les  architectes  romains  furent-ils  eux- 
mêmes  très-rares.  Tel  est  à-peu-près 
le  contenu  de  V Histoire  de  V  Art  :  on 
voit  que  c'est  en  quelque  sorte  L'En- 
cyclopédie des  arts  du  dessin  dans 
l'antiquité.  On  voit  aussi  combien  il 
s'y  trouve  d'idées  neuves  mises  en 
avant  ^  d'exphcations  plausibles  don- 


WIN  s3 

nées  et  protiTees,  de  faux  fugements 
rectifiés.  Ce  n'est  pas  que  Winckel- 
mann  ne  se  trompe  quelquefois  ;  mais 
ses  erreurs  ont  peu  d'importance  ,  et 
le  fond  de  l'ouvrage  est  resté  classi- 
que. Il  y  a  plus  :  saisis  du  même  en- 
thousiasme, des  mêmes  sentiments 
que  l'auteur ,  beaucoup  de  littéra- 
teurs et  même  d'hommes  du  monde 
commencèrent  à  chercher  plutôt  des 
beautés  que  des  fautes  dans  l'antique, 
et  à  diriger  leurs  recherches  suivant 
la  méthode  et  l'esprit  de  Winckel- 
mann.  De  là  bientôt  le  goût  des  inves- 
tigations impartiales  et  sévères,  l'idée 
d'un  type  immuable,  éternel,  idéal 
pour  les  créations  littéraires ,  comme 
pour  les  produits  des  beaux-arts  , 
moins  de  présomption  et  de  rapi- 
dité à  proclamer  absurde  toute  une 
génération  d'hommes  de  génie  ,  en- 
fin l'amour  des  études  solides  et  cons- 
ciencieuses. C'est  ainsi  que  la  phi- 
losophie ancienne,   si  long -temps 
dédaignée ,  a  été  approfondie  avec 
le  même  soin  que  les  théories  des  mo- 
dernes ,  et  que  réhabilitant  enfin  les 
noms  si  ridiculement  ridiculisés  au- 
trefois de  Thaïes ,  d'Empédocle  ,  de 
Pythagore  et  de  Proclus  ,  nous  nous 
sommes  kvés  nous  -  mêmes  de  la 
tache  honteuse  d'ignorance  que  les 
étrangers   reprochaient  avec  raison 
à  notre  légèreté  :  c'est  ainsi  que  les 
règles  du  Beau,  généralisées  et  portées 
d'abstractions   en  abstractions  à  la 
forme  la  plus  haute ,  ont  formé  l'Es- 
thétique ,  science  qui  peut-être  serait 
encore  à  naître  sans  Winckelmann. 
En  un  mot,  Winckelmann  créa  un 
grand  mouvement ,  et  quoique  au- 
jourd'hui il  soit  possible  d'aller  plus 
loin  et  d'être  plus  complet ,  soit  dans 
l'exposé  des  doctrines  ,  soit  dans  la 
relation   des  faits  ,  on    ne  fera  que 
marcher  sur  ses  traces  et  à  la  lumière 
du  fanal  allumé  par  ses  mains.  Aussi 


WIN 

V Histoire  de  l'Art  a -t-elleetë  bientôt 
traduite  et  imprimer  cil  langues  étran- 
gères. 11  ne  peut  entrer  dans  notre 
plan  de  parler  ici  de  toutes  ces  ver- 
sions. Nous  nous  bornerons  à  nom- 
mer en  français  celles  de  Sellius  et 
Robinet, Paris,  Vaillant ,  et  Amster- 
dam ,Hare\velt,  1-^66,2  vol.  in-S''.^ 
d'Huber,  Leipzig,  1781 ,  3  vol.  in- 
4".  ;  de  Jansen ,  Paris ,  Gide ,  1 798- 
i8o3  ,  3  vol.  in-4^.j  et  en  italien 
celles  de  Milan ,  1 779 ,  2  vol.  in-4".  ? 
anonyme,  et  de  Borne,  1 783-1 784, 
3  vol.  in-4^. ,  par  l'abbé  Car!o  Fea. 
Cette  dernière  ainsi  que  celle  d'Hu- 
ber  sont  trèsestimëes.  On  doit  aussi 
tenir  compte  à  Jansen  du  travail 
qu'a  dû  lui  coûter  la  sienne.  Mais  les 
deux  autres  ,  surtout  la  première , 
celle  qui  parut  chez  Vaillant  et  Ha- 
rewelt,  ne  sont  que  de  misérables 
rapsodies.  Outre  la  platitude  et  la 
barbarie  du  style ,  elles  fourmillent 
de  contre-sens  et  de  bévues.  Aussi 
Winckelraann  se  plaignit  -  il  avec 
amertume  de  cette  profanation  , 
qui  fut  une  des  douleurs  de  sa 
vie  j  et  songea-t-il  faire  exécuter 
sous  ses  yeux  une  autre  version, 
pour  laquelle  il  fit  clioix  du  mora- 
liste Toussaint.  Au  reste,  cette  pre- 
mière traduction  était  anonyme ,  et 
les  coupables  ,  quoique  bien  connus  , 
ne  se  nommèrent  pas.  Quant  à  l'ou- 
vrage même  ,  nous  remarquerons 
ses  deux  éditions  principales,  savoir  : 
celle  de  Dresde,  1764,  2  vol.  in-4^., 
que  l'auteur  lui-même  ne  tarda  point 
à  déclarer  imparfaite  ,  et  qu'il  s'oc- 
cupait de  refondre  quand  la  mort 
Tempêclia  de  termijier  son  entrepri- 
se, et  celle  de  Vienne,  1776  ,  grand 
in-4**.  Celle-ci  fut  rectifiée  d'après 
les  papiers  laissés  par  l'auteur.  Mais 
les  éditeurs  remplirent  du  reste  leur 
devoir  avec  négligence ,  ne  s'occu- 
pant  ni  de  coordonner  le  travail,  ni 


WIN 

de  suppléer  les  lacimes.  Ce  n'est  que 
dans  l'édition  complète  de  1809(7''^. 
ci-dessous  )  que  Ton  a  fait  disparaî- 
tre quelques-unes  de  ces  taches,  qui  ce- 
pendant n'ont  point  étéelïacées  entiè- 
rement ,  et  qui  resteront  ponr  déposer 
par  leur  existence  de  la  fin  tragique  de 
Winckelmann ,  qui  ne  les  eût  point 
laissé  exister.  Il  nous  reste  à  parler  de 
ses  autres  ouvrages  qui  tous  sont  de 
nature  à  exciter  vivement  l'intérêt  : 
I.  Bé flexions  sur  l'imitation  des 
ouvrages  grecs  dans  la  peinture  et 
la  sculpture ,  Dresde  et  Leipzig ,, 
1756,  in-4°.;  seconde  édition  consi- 
dérablement augmentée ,  ibid. ,  même 
année  et  racrae  format ,  mais  sous  le 
titre  à^ Eclaircissements  des  Ré- 
flexions sur  limitation  des  ouvra- 
ges grecs  dans  la  peinture  et  dans 
la  sculpture  ;  et  Ptcponse  à  la  lettre 
critique  sur  ces  réflexions  ,  et  plus 
tard  à  Frédérickstadt,  Hageumiiller^ 
1758,  in-4'^-  Les  additions  de  celte 
seconde  édition  consistent  surtout 
en  notes  et  en  citations  fort  peu 
utiles  au  fond  de  l'ouvrage  ,  mais 
qui  ajoutent  aux  assertions  de  l'au- 
teur le  cachet  de  rauthenticité.  L'es- 
sai de  Winckelmann  avait  été  très- 
bien  reçu  dès  sa  première  appari- 
tion,  et  lui  avait  même  valu  des 
applaudissements  ,  lorsqu'un  anony- 
me ïui  reprocha  d'avoir  omis  ses 
autorités,  et  sembla  par-là  douter 
de  son  savoir.  L 'ex-maître  d'école 
de  Seehausen  ne  balança  point  à  lui 
répondre  ;  et  il  le  fit  avec  un  luxe 
d'érudition  dont  son  antagoniste  dut 
être  content ,  si  toutefois  il  ne  vit  pas 
que  la  docilité  du  grand  homme  était 
un  persiflage.  Au  reste  ces  deux  ou- 
vrages, quoique  connus  et  remarqua- 
bles j  puisqu'ils  sont  le  début  de  l'au- 
teur dans  la  carrière  littéraire  ,  n'ont 
point  été  complètement  traduits  en 
français  j  mais  on  en  trouve  des  ex- 


WIN 

traits  assez  amples  dans  le  Journal 
étranger  y  janvier  i  -^Sl).  Ces  extraits 
ont  pour  auteur  un  M.  Wachtler  , 
depuis  atlaclië  au  service  du  prince 
de  Kaunitz.  II.  Description  des  pier- 
res grai'ees  du  Jeu  baron  deSlosch^ 
etc.,  Florence,  17^30,  in-4"'?  en 
français  ;  publie  depuis  en  allemand 
avec  des  gravures  ,  d'après  les  des- 
sins de  J.-Ad.  Scliwickhart ,  Nurem- 
berg ,  1775,  in-4'^.  Cet  ouvrage^ 
complément  nécessaire  de  V Histoire 
deVArt ,  et  un  de  ceux  cpie  l'auteur 
cite  le  plus  souvent ,  n'est  point  sus- 
ceptible d'analyse.  li  nous  siiHira  de 
dire  que  la  classification  en  est  par- 
faite ,  et  les  descriptions  fort  exactes. 
Wiuckelmann  s'aida  en  plusieurs  en- 
droits des  conseils  et  des  himières 
du  cardinal  Alexandre  Albani,  au- 
quel il  crut  devoir  dédier  l'ouvrage. 
Les  exemplaires  de  ce  recueil  sont 
aujourd'liui  très-rares  dans  le  com- 
meice.  lïl.  Bemarques  sur  V archi- 
tecture des  anciens  ,  etc.,  Leipzig, 
1761  ,  grand  in^*^.;  traduit  en  fran- 
çais ,  par  Jansen  ,  Paris  ,  1788  ,  in- 
8".  Ajirès  un  avertissement  dans  le- 
quel il  explique  comment,  sans  avoir 
pratiqué  l'architecture,  un  antiquaire 
peut  juger  des  œuvres  qu'elle  pro- 
duit ,  et  décrit  les  ruines  de  l'ancien- 
ne PosidoniumouPa\stum,  il  divise 
ce  qu'il  a  résolu  de  dire  en  deux  cha- 
pitres. Le  jiremier ,  consacré  à  faire 
connaître  l'essence  de  l'art,  nous  ap- 
prend quels  matériaux  employaient 
les  anciens  ,  et  de  quels  procé- 
dés ils  fjiisaient  usage  dans  leurs 
constructions.  Les  ornements  sont 
l'objet  de  la  seconde  section.  «  Un 
édifice  sans  décoration  ,  dit-il ,  est 
comme  la  santé  dans  l'indigence.  La 
variété  est  le  principe  de  la  décora- 
tion,  et  la  monotonie  serait  désa- 
gréable dans  les  œuvres  de  l'archi- 
tecture, comme  dans  tous  les  autres 


WIN 


25 


produits  des  beaux-arts.  Mais  il  faut 
qu'une  sage  économie  préside  à  la 
distribution  des  ornements ,  en  mo- 
dère la  quantité,  et  en  adapte  soi- 
gneusement la  physionomie  au  but 
général  ou  particulier  de  l'édilice. 
Cette  rare  sagesse  a  été  l'apanage 
des  plus  habiles  architectes  de  l'an- 
tiquité :  elle  n'a  été  donnée  qu'à  peu 
de  modernes,  et  Michel- Ange  lui- 
même  mérite  le  reproche  d'avoir 
frayé  la  voie  aux  corrupteurs  du 
goût,  en  laissant  envahir  trop  de 
place  aux  décorations.  »  IV.  Lettre 
au  comte  de  Bruhl ,  sur  les  an- 
tiquités d'Herculanum  ,  Dresde  , 
1762,  in-4'^.  Cet  opuscule  reinar- 
quable  sous  plus  d'un  rapport,  prin- 
cipalement par  la  hardiesse  avec  la- 
quelle il  substituait  ses  idées  aux  ex- 
plications des  antiquaires  napolitains, 
et  par  la  franchise  avec  laquelle  il 
s'exprimait  sur  le  compte  d'un  ca- 
pitaine espagnol  qui  présidait  aux 
fouilles  d'Herculanum,  et  qui  dans 
le  fait  traitait  les  reliques  les  plus 
précieuses  de  l'antiquité  en  véritable 
descendant  des  Vandales,  causa  à, 
W^inckelmann  un  des  plus  vifs  désa- 
gréments qu'il  eîit  éprouvés  de  sa 
vie.  Il  s'égayait,  dans  un  passage, 
aux  dépens  des  antiquaires  qui  ont 
assez  peu  de  goût  pour  confondre  le 
moderne  avec  l'antique  }  et  à  cette 
occasion  il  nommait  le  célèbre  com- 
te de  Caylus ,  qui  naguère  avait  ache- 
té comme  antique  une  peinture  d'un 
artiste  très-moderne,  nommé  Guer- 
ra.  Malheureusement  ,Winckelmann 
était  lui-même  dc'.ns  un  cas  analogue, 
et  son  livre  en  contenait  la  preuve 
irréfragable.  Trompé  par  la  ruse 
d'un  peintre  qui  se  disait  son  ami, 
et  qui ,  irrité  en  secret  contre  lui , 
avait  imité ,  à  s'y  méprendre,  la  ma- 
nière antique  dans  plusieurs  tableaux 
qui  furent  montrés  avec  grand  mys- 


a6  WIN 

tèrc  à  Winckclmami ,  il  en  insera  niie 
description  magnifique  dans  sa  lettre 
au  comte  de  Brulil  ^  et  peu  après  dans 
sa  première  édition  de  V Histoire  de 
VArt.  Cette  erreur  n'eut  pas  cte  plus 
tôt  consignée  publiquement  et  de  ma- 
nière à  ne  s'en  pouvoir  dédire,  que 
Casanova ,  c'était  le  nom  du  peintre, 
se  vanta  hautement  de  sa  superche- 
rie et  de  la  facilite  avec  laquelle  il 
avait  dupe  un  homme  qui  s'était  ima- 
gine' connaître  si  bien  l'antique.  Le 
trait  passait  les  bornes  de  la  plaisan- 
terie ;  et  Winckelmann ,  outré  de  dé- 
pit ,  exhala  des  plaintes  amères  con- 
tre le  mystificateur.  Pour  comble 
d'infortune  ,  pendant  que  l'aventure 
occupait  les  oisifs  de  Rome ,  l'ouvra- 
ge se  traduisait  à  Paris,  sous  les 
yeux  du  comte  de  Caylus ,  qui  sans 
doute  était  au  fait  de  la  malice  de 
Casanova ,  et  qui  n'était  pas  fâché 
de  prendre  cette  petite  revanche  de 
la  critique  railleuse  du  bibliothécaire 
de  la  Villa  Albani.  Celui-ci  écrivit  à 
Paris , et  conjura ,  au  nom  de  tout  ce 
quHly  a  de  -plus  sacré ,  son  ami 
Wille  ,  de  s'opposer  à  la  publication 
de  sa  Lettre.  Elle  parut  néanmoins 
quelques  jours  après,  sous  le  titre  de 
Lettre  de  M.  Vahbé  TFinckelmami, 
sur  les  découvertes  d'Herculanum, 
à  M.  le  comte  de  Bruhl ,  Paris, 
1764,  in-4*^.  La  traduction  est  d'Hu- 
ber.  Au  reste ,  l'erreur  de  Winc- 
kelmann pourra  paraître  moins  sur- 
prenante ,  si  l'on  songe  que,  toujours 
plein  de  confiance  dans  ceux  qu'il 
croyait  ses  amis ,  il  s'en  rapportait 
aveuglément  à  ce  qu'ils  lui  disaient, 
et  que,  d'autre  part ,  Casanova,  doué 
d'un  talent  véritable  pour  la  peintu- 
re ,  élève  de  Mengs ,  et  habitué  à  en- 
tendre Winckelmann  raisonner  sur 
les  signes  caracteïistiques  de  l'anti- 
quité d'un  tableau ,  mit  dans  son  ou- 
vrage tout  ce  qui  pouvait  tromper  et 


WIN 

séduire  Thabile  antiquaire.  C'était 
Winckelmann  lui-même  qui  y  par  sa 
conversation,  avait  fourni  à  son  enne- 
mi l'arme  dont  il  le  frappait.  Aussi 
cette  aiiaire  fit-elle  moins  de  tort  à 
sa  réputation  que  de  bien  à  celle  de 
Casanova.  V.  De  la  capacité  de 
sentir  le  beau  dans  les  ouvrages  de 
Vart,  Dresde,  1763,  in-4°.,  petit 
traité  dédié  à  Fréd.-Rod.  de  Beig, 
gentilhomme  livonien.  Cet  opuscule 
semble,  plus  encore  que  ses  autres 
ouvrages  ,  rédigé  sous  la  dictée  de 
l'enthousiasme.  Il  divise  l'aptitude 
de  l'ame  à  être  impressionnée  par  le 
Beau  en  deux  parties,  le  sentiment 
et  l'instruction.  C'est  la  difficulté  de 
réunir  ces  deux  avantages  qui  rend 
si  rares  les  véritables  admirateurs 
de  la  Beauté.  Parmi  les  idées  sail- 
lantes qu'offre  le  premier  paragra- 
phe ,  on  remarque  surtout  celles-ci  : 
que,  toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
dans  un  beau  corps  habite  toujours 
une  belle  arae;et  que  le  sentiment  du 
beau  se  développe  plutôt  chez   celui 
qui  possède  la  beauté,  que  chez  celui 
qui  en  est  privé.  Il  faudrait  admet- 
tre dans  ce  cas  que  la  plus  grande 
beauté  accompagne  toujours  la  meil- 
leure organisation  cérébrale,  ce  que 
ni    la    physiologie  ni   l'expérience 
n'ont  encore  démontré.  En  revan- 
che, il  n'y  a  qu'à  louer  dans  ses 
autres   observations.  Tout  ce   qu'il 
ajoute  sur  la  corrélation  du  sens  ex- 
térieur et  du  sens  intérieur  _,   sur  le 
coloris  et  sur  quelques  peintres  qui 
ont  traité  moins  heureusement  cette 
partie  de  l'art,   est  d'une  justesse 
parfaite.  Il  en  est  de  même  de  pres- 
que tout  le  second  paragraphe ,  oii  il 
indique  de  quelle  manière  l'amant 
de  l'art  pourra  en  peu  de  temps  ac- 
quérir de  l'instruction  et  du  savoir. 
Nous  n'en  exceptons  que  la  notice  par 
laquelle  il  termine  ses   leçons  ,    et 


WIN 

dans  laquelle  il  passe  en  revue ,  en 
accompagnant  toujours  sa  nomencla- 
ture de  reflexions  critiques,  les  prin- 
cipaux monuments  qu'on  voit  en 
France,  en  Espagne,  en  Allemagne 
et  en  Angleterre.  Comme  de  toutes 
les  collections  dont  il  parle  il  n'a- 
vait examine  par  ses  yeux  que  celles 
de  Dresde  et  de  Berlin ,  cette  nomen- 
clature en  tout  ce  qui  ne  touche  pas 
ces  deux  villes  est  souvent  insuffi- 
sante ,  et  généralement  il  faut  se  de- 
fier  de  ses  jugements.  VI.  Seconde 
lettre  (  Nachrichten  )  sur  les  nou- 
velles découvertes  d'Herculanum , 
à  M.  Henri  Fuessli  de  Zurich  , 
Dresde,  1764?  in-4°'  Ce  morceau, 
dans  lequel  il  s'explique  avec  un  peu 
plus  de  re'serve  que  précédemment 
sur  les  connaisseurs  napolitains,  ex- 
cita pourtant  encore  Lien  des  mur- 
mures à  Naples.  Il  est  divise  en 
trois  parties  ,  qtic  l'auteur  dis- 
cute avec  sa  sagacité'  ordinaire,  les 
c'difîces  ;,  les  figures  et  les  ustensiles. 
Parmi  les  secondes,  il  fit  remar- 
quer surtout  une  magnifique  bac- 
chante, qu'on  voit  le  genou  appuyé 
sur  une  outre  ,  et  pourtant  dans 
l'attitude  et  avec  la  physionomie 
d'une  danseuse.  Cette  espèce  de  dan- 
se se  désignait  dans  sa  langue  my- 
thologique par  le  mot  d'à(7/.o)aâ^£tv. 
Cette  lettre  ,  ainsi  que  la  précédente, 
et  quelques  autres  à  l'abbé  Bianconi, 
ont  été  données  en  français  par  Jan- 
sen,  sous  le  titre  de  Recueil  de  let- 
tres sur  les  découvertes  faites  à 
Herculanum  y  à  Pompéiiy  a  Sta- 
hia  ,  etc. ,  Paris  ,  i  784  ,  in-40.  yn. 
Remarques  sur  l'Histoire  de  VArt^ 
Dresde,  1767,  in-4**.  Cette  espèce 
de  supplément  ou  de  correctif  à 
l'Histoire  de  l'Art  était  le  brouillon 
des  changements  qu'il  se  proposait 
de  faire  dans  une  seconde  édition  qui, 
comme  nous   l'avons  vu  ci-dessus, 


WIN  27 

ne  put  avoir  lieu  de  son  vivant.  VIII. 
Allégorie  pour  les  artistes  (  Ver- 
su  ch  einer  Allégorie ,  hesonders  fur 
dieKunst),  Dresde,  1766,  in-4°. 
Cette  composition  ,  dans  laquelle 
Winckelmann  a  répandu  assez  d'i- 
dées originales  et  ingénieuses  pour 
faire  la  fortune  de  quatre  ouvrages 
du  même  genre ,  se  recommande  de 
plus  par  l'excellence  de  la  méthode 
et  la  constance  avec  laquelle  il  reste 
fidèle  au  plan  tracé  au  commence- 
ment de  l'ouvrage.  Il  est  essentiel  de 
remarquer  ici  que  par  allégorie 
Winckelmann  entend  tout  ce  qui 
peut  être  caractérisé  et  peint  par  des 
signes  et  des  images ,  ce  qui  étend 
singulièrement  le  sens  du  mot,  et  le 
rend  synonyme  à'Iconologie.  Au  res- 
te, nous  ne  nous  arrêterons  pas  aux 
détails  de  cet  ouvrage.  On  en  trou- 
vera une  analyse  excellente  dans  la 
Vie  de  Winckelmann,  par  Huber 
{F.  ci-dessus  ),  p.  eu  et  suiv.  Nous 
ne  pouvons  cependant  nous  empê- 
cher de  citer  comme  un  modèle  de 
grâce  et  de  délicatesse  l'image  qu'il 
propose  pour  symboliser  la  paix  ci- 
mentée par  un  mariage  entre  deux 
puissances  belligérantes.  C'est  celle 
que  présentent  les  vers  si  gracieux  de 
Pétrone  (4)  : 

Dans  le  casque  duTriaire, 
Deux  colombes  font  leur  nid  ; 
Ou  voit  qu'au  dieu  de  la  guerre 
Vénus  encore  sourit. 

IX.  Monumenti  antichi  inediti  sjjie- 
gatiedillustratida  Gioi^ajini  Winc- 
kelmann, Rome,  1767,  2  vol.  in- 
fol. ,  avec  208  planches.  Cette  vaste 
collection,  par  laquelle  Winckel- 
mann termina  la  série  des  publica- 
tions faites  par  lui-même,  mit  le 
sceau  à  sa  réputation  ,  et  le  plaça, 
parmi  les  savants  ,  encore  plus  haut 

(4)  MUiiis  in  galeâ  nidumjhcvre  colurnbce  : 
Apparet  Marti  quUm  sil  arnica  Venus. 


28 


WIN 


que  l'Histoire  de  l'Art  ne  l'avait  pla- 
ce' parmi  les  grands  écrivains  et  les 
hommes  qui  impriment  leur  génie  à 
tout  un  siècle.  C'est  là  qu'il  étale  par 
milliers  les  vases,  les  bas-reliefs  de 
marbre,  les  pierres  gravées,  les  ou- 
vrages d'ivoire  et  d'argile,  les  bron- 
zes, et  que  par  une  classification  ri- 
goureuse ,  une  argumentation  lucide 
et  une  se'rie  d'hypothèses  ou  de  faits 
qui ,  lorsqu'ils  restent  au-dessous  de 
la  certitude  ,  atteignent  toujours  la 
plus  haute  probabihtë^  il  établit  les 
principes  des  différentes  manières , 
des  nations  et  des  âges.  Sur  eha'cun 
des  objets  précieux  qu'il  fait  passer 
sous  ses  yeux ,  il  accumule  les  re- 
cberches  les  plus  exactes,  et  y  joint 
une  explication  détaillée  du  sujet,  en 
en  tirant  toutes  les  preuves  relatives 
à  la  connaissance  de  l'antiquité.  Les 
principes  qui  motivent  ses  jugements 
sont  tous  puisés  dans  son  Histoire  de 
l'Art ,  dont  il  eut  pour  but  de  donner 
ici ,  dans  la  partie  historique  et  didac- 
tique du  recueil,  un  extrait  raisonne' 
à  l'usage  des  Italiens  qui  ne  pou- 
vaient le  lire  dans  la  langue  origina- 
le, et  qui  n'en  possédaient  pas  encore 
une  traduction.  Aussi  eut-il  en  Italie 
un  succès  d'enthousiasme.  Les  exem- 
plaires italiens  sont  fort  rares  en 
France.  On  se  procure  plus  facile- 
ment la  traduction  de  Fantin  Deso- 
doards ,  intitulée  :  Monuments  mé- 
dita de  l'antiquité ,  expliqués  par 
Winckelmann ,  gravés  par  David 
et  Madeni.  Sihire  ^  avec  des  expli- 
cations françaises  ,  etc.  ,  Paris  , 
i8ig,  3  vol.  in-4''. ,  fig.  au  bistre. 
Il  en  a  paru  une  version  allemande 
{Alte  Denhniahler  der  Kunst ,  etc.  ), 
par  G.  S.  Brunn,  Berlin,  Schônne , 
1780,  i7f)'2  ,1  vol.  (  en  5  livraisons  ) 
grand  in-fol.,  fig.  ;  1^.  édit.,  Berlin  , 
1804^  2  vol.  in-fol.,  fig.  X.  Lettres 
à  M.  Bianconi ,  sur  les  découvertes 


WIN 

d'IIerculanum  ,  etc.  ,  posthumes. 
Ces  lettres,  la  plupart  fort  courtes, 
sont  au  nombre  de  seize  ,  et  traitent, 
les  trois  premières ,  des  manuscrits 
transportés  au  Musée  royal  de  Por- 
tici  ;  la  quatrième,  des  maisons  des 
anciens  ,  particulièrement  de  celles 
d'Herculanum  ;  les  deux  suivantes , 
des  tableaux  et  peintures  à  fresque 
trouvés  dans  cette  ville  souterraine; 
la  septième,  des  statues  de  bronze  j 
la  huitième  ,  des  statues  de  marbre  • 
la  neuvième,  des  autres  antiquités 
les  plus  importantes  d'Herculanum  y 
la  dixième,  de  quelques  antiques  de 
Pompéii ,  de  Stabia ,  de  Pœstum  et  de 
Caserte  ;  la  onzième,  du  Musée  royal 
de  Capo  di  Monte  ^  à  Naples,  et  de 
la  bibliothèque  de  Saint-Jean  Carbo- 
nara  ;  enfin,  les  cinq  dernières,  de 
plusieurs  morceaux  antiques  trouvés 
à  Rome  et  dans  les  environs.  Nous 
avons  indiqué  ci -dessus  (n^.  v)  la 
traduction  française  de  cette  corres- 
pondance, qui  fut  publiée  pour  la 
première  fois  en  italien  ,  dans  le  troi- 
sième volume  de  la  traduction  de 
V Histoire  de  VArt,  par  Fea.  XI. 
Lettres  à  ses  amis  ,,  publiées  par 
Dassdorff",  Dresde,  1777  ,  1780,  2 
vol.  in  8^.  Xlï.  Lettres  a  ses  amis 
en  Suisse  ,  Zurich,  1778,  in- 8». 
XIII.  Lettres  à  un  de  ses  amis  in- 
times (  le  baron  de  Muzell-Stosch  ),. 
dei756à  1768,  Berlin,  1781,2 
vol.  C'est  principalement  dans  ces 
trois  intéressantes  collections  qu'il 
est  agréable  d'étudier  Winckelmann^ 
soit  pour  suivre  les  oscillations  et 
les  progrès  de  ses  idées ,  soit  pour 
apprécier  son  caractère.  Dans  ces 
conversations  intimes  et  tendres  d^ln 
des  hommes  les  plus  sensibles  aux 
charmes  de  l'amitié^  on  voit  tous 
les  traits  de  son  ame  se  réfléchir 
comme  dans  un  miroir.  Doux  et 
humble  de  cœur ,  étranger  à  toute 


WIN 

intrigue  et  à  toute  ambition  ,  sincère 
jusqu'à  la  naïveté;  il  faut  le  voir 
avouer  spontanément  comment  de 
belles  dames  lui  firent  la  charité  sur 
le  pont  de  Fuldc  ;  il  faut  Tentcndre  se 
féliciter  de  son  bonheur,  quand  il  tou- 
-  che  annuellement  cent  soixante  écus 
romains  (  «  Cette  place,  qui  est  con- 
sidérable ,  rapporte  cent  soixante 
sciidis  par  an  ;  ainsi  vous  voyez  que 
j'ai  de  quoi  vivre  le  reste  de  mes 
jours,  »  Lettre  à  FniTîke y  1-^63  ); 
il  faut  le  suivre  au  haut  de  sa  petite 
chambre  située  au  quatrième  étage, 
et  où  il  goûte  plus  de  plaisir  qu'un 
pape,  quand  il  voit. la  campagne  de 
Rome  ,  les  orangers  en  fleurs  et  la 
mer.  «  On  me  gâte ,  dit-il ,  mais  le  bon 
Dieu  me  devait  cela  I  J'ai  trop  pâli 
dans  ma  jeunesse  :  jamais  je  n'oublie- 
rai mon  métier  de  maître  d'école  I  » 
C'est  avec  la  même  franchise  qu'il 
rend  justice  à  son  mérite,  qu'il  s'eV 
crie  :  «  Je  m'imagine  toujours  que 
je  verrai  mieux  ou  plus  qu'un  autre  I... 
Je  suis  malheureusement  un  de  ceux 
que  les  Grecs  nomment  ô-^tuy.O-lç. 
Je  suis  venu  trop  tard  dans  le  monde 
et  en  Italie.  »  Qu'on  ne  s'imagine  pas 
non  plus  que  les  railleries,  souvent 
excessiAement  piquantes  ,  qui  s'é- 
chappaient de  sa  bouche ;,  fussent  lan- 
cées dans  l'intention  d'humilier  ou 
de  nuire.  S'il  tourne  le  dos  à  un  gen- 
tilhomme qui  le  prie  d'être  son  con- 
ducteur à  Rome ,  et  qui  croit  que 
l'Histoire  de  l'Art  est  écrite  en  latin  ; 
s'il  bafoue  le  peintre  romain  qui, 
dans  la  soixante  -  dixième  année  de 
son  âge,  vient  de  voir  pour  la  pre- 
mière fois  la  Villa  Borghèse  et  le 
tombeau  de  Cécilia  Métclla  ,  quoique, 
grand  chasseur,  il  ait  parcouru  tous 
les  environs  de  Rome;  si,  quand  la- 
dy  Orford,  après  l'avoir  accueilli 
avec  transport ,  et  l'avoir  supplié  de 
la   conduire  en  Grèce  ,  se  dégoûte 


wm  29 

toul-à-coup  des  beaux-arts ,  et  affec- 
te de  ne  j^oint  le  connaître ,  il  lui  par- 
donne ,  vu  la  mort  du  beau  castrat 
Bclli ,  pour  lequel  elle  a  versé  plus 
de  larmes  qu'elle  n'en  versera  de  sa 
vie;  il  ne  faut  voir  dans  ces  épigram- 
mes  ou  ce  déaain  que  l'indignation 
d'un  artiste  à  l'aspect  de  l'art  outra- 
gé et  du  crime  de  lèse-antiquité.  C'est 
aussi  dans  ces  correspondances  naï- 
ves que  son  style  toujours  moelleux 
et  flexible  devient  véritablement  en- 
chanteur. Modèle  dans  tous  les  genres 
de  gracieux,  il  reproduisait  dans 
l'Histoire  de  l'Art  la  sublimité  paisi- 
ble et  grave  de  Platon,  haranguant  ses 
disciples  sur  le  promontoire  de  Su- 
nium.  Dans  ses  opuscules ,  on  croit 
reconnaître  les  grâces  de  ce  Xéno- 
phon  qualilié  par  ses  contemporains 
d'yJbeille  attique  :  mais  dans  ses  let- 
tres, c'est  la  bonhomie  patriarcale 
du  vieil  Hérodote  ;  et  l'on  s'attend  à 
chaque  moment  que,  faute  de  bien 
connaître  ou  de  se  bien  rappeler 
sa  syntaxe  ,  il  va  ,  à  l'exemple 
de  l'historien  asiatique ,  accoupler 
un  singulier  avec  un  pluriel,  ou  lais- 
ser une  phrase  à  moitié  chemin. 
La  correspondance  de  Winckelmann 
n'a  point  été  traduite  dans  son  en- 
tier ;  mais  Jansen  nous  a  donné  ses 
Lettres  familières^  etc.,  Amsterdam 
■(Paris),  1781  ,  2  vol.  in  -  8*^.  Quel- 
ques autres  écrits  de  peu  d'impor- 
tance ont  été  recueillis  dans  le  pre- 
mier volume  de  l'édition  complète 
des  OEuvres  de  Winckelmann ,  par 
Fernow,  etc.,  Dresde,  181H-1820, 
9  tomes  en  8  volum. ,  avec  5  cah. 
de  planches,  il  est  malheureux  que 
les  éditeurs  de  celte  belle  collection 
n'aient  pu  y  joindre  les  manuscrits 
laissés  par  î'auleur  à  plusieurs  de  ses 
amis.  On  sait  qu'il  avait  achevé  un 
Traite'  sur  l'état  des  arts  et  des 
sciences  en  Italie ,  un  Discours  mr 


3o  WIN 

les  avantages  de  l'élocution  verba- 
le pour  traiter  l'histoire  moderne 
iinii' er selle  f  un  Extrait  de  Junius 
sur  la  peinture  des  anciens ,  et  des 
Remarques  sur  les  orateurs  grecs. 
Il  est  à  craindre  aujourd'hui  que  ces 
trésors  ne  soient  enfouis  pour  tou- 
jours. Dix  ans  après  la  mort  de 
Winckelmann ,  son  Eloge  fut  pro- 
pose pour  sujet  de  prix  par  la  so- 
ciété des  antiquités  de  Hesse-Cassel  ; 
et  la  médaille  fut  adjugée  au  célèbre 
Heyne  de  Gottingue ,  qui  peu  après 
iit  imprimer  son  ouvrage,  Leipzig^ 
1778.  C'est  un  des  morceaux  les  plus 
précieux  pour  l'histoire  de  Winc- 
kelmann. On  peut  aussi  consulter 
avec  fruit  la  Notice  biographique  et 
littéraire  sur  J.-J.  TVinckelmann , 
parGurlitt,  Magdebourg,  1797  (en 
allera.),  un  vol.  in-4"'?  la  Fie  de 
l'auteur  placée  à  la  tcte  de  l'édition  de 
Fernow,  et  V article  PFijickelmann  de 
la  Biographie  allemande  d'Hirsching 
(édit.  d'Ernesti,  Leip/ig  ,  181 5  )j 
qui  malheureusement  ne  contient  que 
des  détails  biographiques.  On  sera 
plus  satisfait  sous  le  rapport  littérai- 
re en  lisant  le  Discours  de  Charles 
Morgenstern ,  Leipzig,  i8o4  ,  in-4°.  : 
TVinckelmann  et  son  siècle^  par 
Gœthe,Tubingue^  i8o5,  gr.in-8°., 
et  un  très-beau  morceau  de  M"^^.  de 
Staël,  dans  son  ouvrage  :  De  V Al- 
lemagne. L'article  anglais  de  Chaî- 
mers  {Gen.  Biograp.  Dictionary , 
XXXI  \ ,  1 9^3  )  n'est  intéressant  que  par 
une  longue  notice  surArchangeli.  Bo- 
setti  (  Dominique  ) ,  docle  littérateur 
de  Trieste ,  a  publié  les  huit  derniers 
jours  de  Winckelmann ,  Supplément 
à  la  biographie^  extrait  des  actes 
originaux  de  la  procédure  instruite 
contre  son  assassin ,  avec  une  préface 
de  Bœttigcr  et  un  fac  siniile  de 
l'écriture  de  Winckelmann  ,  Dresde, 
i8i8,   in- 8°.  On  a  trois  portraits 


WIN 


< 


de  W^inckelmann.  Le  premier,  gra 
vé  par  Folin,  d'après  un  dessin  que 
ce  même  Casanova  ,  dont  il  sup- 
porta si  im])atiemment  l'artifice  , 
fit  eu  médaillon,  dans  le  goût  anti- 
que, se  trouve  placé  à  la  tête  du  S'', 
volume  de  la  Nouvelle  Bibliothèque 
des  belles -lettres  et  beaux -arts  de 
Leipzig.  Le  second  est  l'ouvrage  de 
la  célèbre  Angélica  KaulFmann.  En- 
fin un  troisième  a  été  gravé  an  burin, 
à  Leipzig  ,  sur  un  portrait  apparte- 
nant au  comte  de  Muzell-Stosch,  et 
peint  par  Maron.  C'est  à  ce  dernier 
que  l'on  accorde  la  préférence.  En 
effet,  il  représente  avec  une  fidélité' 
parfaite  la  tête  de  Winckelmann  , 
son  front  bas ,  son  nez  pointu ,  ses 
petits  yeux  noirs,  vifs  et  enfoncés, 
sa  bouche  dont  les  lèvres  minces 
avaient  trop  d'élévation  _,  mais  an- 
nonçaient les  observations  éminem- 
ment délicates  dont  elles  devaient 
être  l'organe.  L'ensemble  expressif 
et  fin  de  toute  sa  physionomie  plaît 
davantage  à  mesure  que  les  yeux  s'y 
attaclicnt  ,  quoique  le  regard  ait 
quelque  chose  de  défiant  et  d'interro- 
gateur. Mais  cette  défiance  n'est  que 
cqlle  d'un  artiste ,  et  ce  regard  sem- 
ble dire  :  Avez-vous  une  ame?  Etes- 
voiis  digne  que  l'on  vous  dévoile 
Laocoon  et  Agésandre  ?  est-ce  la  pei- 
ne de  vous  décrire  Apollon?  P-ot. 
WINGKELRIED  (  Arnold  de  ) , 
surnommé  le  Décius  des  Suisses  y 
était  un  simple  paysan  du  canton 
d'Underwald  ,  qui  par  son  dévoue- 
ment détermina  la  victoire  de  Sem- 
pach  ,  en  1 38(3.  Une  guerre  furieuse 
s'était  rallumée  entre  les  seigneurs  et 
les  nobles  d'une  part,  et  les  bour- 
geois des  villes  et  les  paysans  libres 
de  l'autre.  Le  duc  d'Autriche  Léo- 
pold  s'était  mis  à  la  tête  de  la  no- 
blesse j  il  ne  parlait  que  d'écraser 
l'insolente  confédération  des  Suisses, 


I 


WIN 

el  (le  leur  faire  expier  leur  rébellion 
pard.es  supplices.  Cent  soixante-sept 

S  rinces  ou  seigneurs  de  l'HclYctie  et 
e  la  Souabe  envoyèrent  aux  can- 
tons, dans  l'espace  de  quelques  se- 
maines ,  des  dé/is  et  des  déclara- 
tions de  guerre  pleines  d'outrages  et 
de  menaces.  Ceux-ci ,  quoique  ré- 
duits ,  par  le  refus  des  secours  de 
Berne  ,  aux  forces  de  sept  cantons  , 
se  préparèrent  courageusement  au 
combat.  Le  9  juillet  i38G,  Léo- 
pold  avait  réuni  ses  forces  sous  les 
murs  de  Scmpach  (  ville  à  quelques 
lieues  de  Lucerne).  C'était  une  ar- 
mée de  plus  de  quatre  mille  hommes 
d'élite  ,  couverts  des  armures  les 
plus  brillantes.  Les  confédérés  occu- 
paient une  hauteur  défendue  par  un 
bois.  Ils  n'étaient  que  quatorze  cents 
combattants,  tous  à  pied  ,  et  la  plu- 
part mal  armés  ^  mais  ils  portaient 
les  mêmes  épées  et  les  mêmes  halle- 
bardes avec  lesquelles  ils  avaient 
vaincu  à  Morgarten.  Ils  formèrent 
mi  ordre  do  bataille  serré  ,  ayant  la 
forme  d'un  coin.  Ce  fut  dans  cet  or- 
dre qu'après  avoir  imploré  à  genoux, 
suivant  leur  usage  ,  la  protection 
divine  y  ils  marchèrent  à  l'ennemi. 
Les  cavaliers  de  Léopold  avaient  mis 
pied  à  terre  par  ses  ordres.  Ils  for- 
maient une  phalange  serrée  et  héris- 
sée de  longues  piques.  Les  Suisses 
firent  de  grands  elïbrtSjpour  enfoncer 
cetle  phalange.  Mais  ses  boucliers  et 
ses  piques  semblables  à  un  mur  de 
fer  leur  opposaient  une  barrière  im- 
péjiélrabîe.  Déjà  leur  chef  dangereu- 
sement blessé  laissait  échap])er  la 
bannière  de  ses  mains  ,  lorsqu'on  vit 
Arnold  de  Winckelried  ,  homme 
grand  et  fort  autant  qu'intrépide^ 
s'élancer  hors  des  raugs  ,  criant  à 
ses  compagnons  d'armes  :  Jyez  soin 
de  ma  femme  et  de  mes  enfants. 
Je  vais  vous  owrir  un  passade.  Au 


WIN  3i 

même  instant  il  court  à  l'ennemi , 
saisit  autant  de  fers  de  piques  que 
ses  bras  nerveux  en  peuvent  conte- 
nir,  et  les  appuyant  sur  sa  large 
poitrine ,  il  les  entraîne  avec  lui  eu 
tombant.  Par  cette  action  héroïque  y 
il  assure  la  victoire  à  ses  compatrio- 
tes y  qui  ,  passant  en  foule  sur  son 
corps  ,  se  jettent  dans  Touverture 
qu'il  leur  a  faite.  Leurs  files  étroites 
et  serrées  y  pénètrent  avec  une  force 
irrésistible.  Les  premiers  rangs  des 
ennemis  fatigués  et  embarrassés  de 
leurs  armures  sont  renversés  par  ces 
hommes  intrépides  ,•  la  confusion , 
l'épouvante  s'emparent  de  leur  trou- 
pe. Les  Suisses  en  profitent  pour  faire 
un  horrible  carnage.  Léopold  lui- 
même  ,  désespéré  eu  voyant  la  dé- 
faite des  siens,  cherche  et  trouva 
la  mort,  et  les  confédérés  restent 
victorieux  sur  le  champ  de  ba- 
taille. Un  service  perpétuel  fut  fondé 
par  eux  ,  et  se  célèbre  encore  aujour- 
d'hui chaque  année,  pour  le  repos 
des  âmes  de  tous  ceux  qui  périrent 
danscette  journée  glorieuse,  et  prin- 
cipalement de  Winckelried.  (  His- 
toire des  Suisses ,  par  Mallet ,  vol. 
i«^i'.,  chap.  12.)  U — I. 

WINCKLER  (Théophile-Fré- 
déric) ,  archéologue,  naquit  eu 
l'y 71  à  Strasbourg,  et  y  fit  ses 
études  avec  succès,  sous  la  direc- 
tion de  Schweighœuser  et  d'Oberlin. 
Atteint  par  la  loi  de  la  réquisition , 
ses  caiparadcs  le  nommèrent  leur 
capitaine.  A  la  prise  du  fort  Vaubau , 
il  fut  fait  prisonnier  de  guerre  avec 
son  bataillon  et  conduit  en  Hongrie. 
Il  parvint^  malgré  la  sévérité  de  ses 
gardiens  y  à  se  procurer  quelques  li- 
vres _,  avec  le  secours  desquels  il  ap- 
prit le  hongrois  et  le  grec  moderne. 
Ces  premières  connaissances  lui  faci- 
litèrent les  moyens  de  faire  des  ob- 
servations intéressantes  sur  les  pays 


3'i 


WIN 


WIN 


qu'il  traversait.  L'échange  des  pri- 
sonniers de  guerre  ayant  eu  lieu, 
Winckicr  revint  h  Slrasl)ourg ,  et 
accompagna  bientôt  après,  à  Paris  , 
deux  jeunes  gens  dont  on  lui  avait 
confie  l'éducation.  Il  suivit,  ainsi  que 
ses  élèves,  le  cours  d'archéologie  que 
ÎVlillin  venait  d'ouvrir,  et  s'y  distin- 
gua par  son  assiduité'.  Mil! in  ,  ayant 
apprécie  les  talents  de  Winckler, 
luj  proposa  de  l'associer  à  ses  tra- 
vaux. Trois  ans  après ,  une  place 
d'employé  du  cabinet  des  médailles 
étant  venue  à  vaquer  ,  Winckler  y 
fut  nommé.  L'exactitude  qu'il  ap- 
porta dans  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions ,  sa  douceur,  sa  complaisance, 
lui  méritèrent  l'estime  de  tous  les  sa- 
vants. Possédant  les  langues  ancien- 
nes et  modernes ,  versé  dans  l'his- 
toire littéraire  et  la  bibliographie,  il 
s'appliquait  avec  ardeur  à  l'histoire 
des  arts,  à  la  numismatique,  à  la 
paléographie^  etc.  Des  ouvrages  im- 
portants ne  pouvaient  manquer  d'ê- 
tre le  fruit  de  ses  recherches  ;  mais 
ime  apoplexie  foudroyante  l'enleva 
le  20  fév.  1807  ,  à  l'âge  de  trente-six 
ans.  Millin ,  dans  lequel  il  avait  trou- 
vé toute  la  tendresse  d'un  père  , 
prononça  sur  sa  tombe  un  dis- 
cours touchant  qui  est  inséré  dans 
le  Magas.  encj'clop.  de  cette  année. 
Winckler  a  fourni  plusieurs  articles 
à  ce  journal,  entre  autres  :  une  No- 
tice sur  les  Grecs  modernes  y  sur 
leur  langue  et  sur  quelques  ouvra- 
ges écrits  dans  cet  idiome  (  ann. 
I7()9,  VI,  289);  et  une  excellente 
Notice  sur  le  vénérable  /.-/.  Oberlin, 
son  maître  et  son  ami  (  ann.  1807  , 
II  ^  7*2-140  ).  C'est  son  dernier  écrit. 
On  lui  doit  la  traduction  du  Voyage 
à  la  Chine  par  J.-C.  Huttner,  Pa- 
ris, 1799,  in- 18;  celle  du  Voyage 
en  Suède ,  de  Lenz^  et  celle  de  Y  Es- 
sai sur  l'histoire  des  femmes  de  Ja- 


ccbs.  Il  est  l'éditeur  du  Répertoire 
du  Vaudei'ille  ou  Recueil  des  meil- 
leures pièces  en  vaudevilles  ,  léna 
et  Paris,  1800  ,  2  part. ,  in-S*^. ,  en- 
richi d'un  discours  préliminaire  et 
de  notes  historiques  et  grammatica- 
les. W— s. 

WINDECK(ÉBEiiHARD),néà 
Maïence  ,  vint  de  très-bonne  heure  à 
la  cour  de  l'empereur  Sigismond,  qui 
l'employa,  pendant  quarante  ans, 
dans  les  missions  les  plus  importan- 
tes. 11  écrivit  en  allemand  la  Vie  de 
ce  prince;  et  il  continua  l'histoire 
d'Allemagne  jusqu'à  l'an  \[\[\i.  On 
loue  sa  franchise  et  son  exactitude. 
Mencken ,  dans  ses  Script,  rer.  ger- 
man. ,  tome  i ,  a  publié  le  travail  de 
Windeck  ,  sous  ce  titre  :  Eberhardi 
Windeckii  historia  vitœ  imperato- 
ris  Sigismundi  vernacula,  ex  vetus- 
tissinio  et  ferè  coœt^o  exemplario 
bibliothecœ  dncalis  Saxo  Gothanœ, 
nuncprimcun  édita,  cum  codice  ma- 
nuscripto  recentiori  diligenter  col- 
lata ,  revisa  et  adjustam  annorum. 
sericju  redacta.  G — y. 

WINDELFETS.  Foy.  Widen- 

FELDT. 

WINDER  (Henri),  théologien 
anglais^  de  Idi  classe  des  dissenters y 
naquit,  en  1698  ,  à  Hutton  -  John, 
dans  la  paroisse  de  Graystock  en 
Cumbcrland.  Il  fut,  à  l'âge  de  vingt-  ~ 
deux  ans,  élu  pasteur  d'une  congré- 
gation à  Tunicy  en  Lancashire ,  et 
en  17 18  fut  transféré,  au  même 
titre  ,  à  Castîe-Hey  à  Liverpool. 
Il  dirigea  cette  société  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  le  9  août  17 52.  On  lui 
doit  un  ouvr<ige  estimé,  ayant  pour 
titre  :  Histoire  critique  et  chronolo- 
gique de  l'origine ,  des  progrès,  du 
déclin  et  de  la  renaissance  de  la 
science ,  principalement  religieuse ^ 
en  deux  périodes  :  celle  de  la  tradi- 
tion depuis  Adam  jusqu'à  Moïse,  et 


WIN 

celle  de  récriture  depuis  Moïse  jus- 
qu'au Christ.  La  seconde  édition  de 
cet  ouvrage  fut  publiée  en  1759,  1 
volumes  in-f^^.j  elle  est  précédée  de 
mémoires  sur  la  vie  de  l'auteur, 
par  George  Benson.  L. 

WINDHAM ,  gentilhomme  an- 
glais ,  né  à  Norfolk  vers  le  com- 
mencement du  seizième  siècle,  fut 
un  des  premiers  commerçants  €t 
navigateurs  de  sa  nation.  En  i55i , 
il  fit  voile  pour  Maroc  sur  un 
vaisseau  qui  lui  a])partcnait  ,  et 
n'ayant  pour  objet,  du  moins  osten- 
sible ,  dans  ce  premier  voyage ,  que 
de  reconduire  dans  leur  patrie  deux 
princes  maures  qui  se  trouvaient  en 
Angleterre.  On  sait  qu'à  cette  époque 
les  Portugais  s'arrogeaient  le  droit 
exclusif  du  commerce  d'Afrique;  ce- 
pendant Windham  y  fit  encore  deux 
voyages  furtivement  :  alors  il  fit  part 
de  ses  projets  à  plusieurs  ])ersonnes 
riches  qui ,  les  ayant  goûtés,  réunirent 
des  fonds  considérables ,  et  armèrent 
trois  vaisseaux  dont  Windham  eut 
le  commandement.  ïl  mit  à  la  voile 
le  i<^i'.  mai  i55îi  deKing'sroad  près 
de  Bristol.  Le  temps  fut  si  favo- 
rable, qu'en  quinze  jours  il  arriva 
sur  les  côtes  de  Barbarie  ,  au  port 
de  Zafia.  Les  marchandises  furent 
portées  par  terre  jusqu'à  Maroc. 
Windham  passa  ensuite  dans  un  au- 
tre port ,  où  il  se  défit  du  reste  de  sa 
cargaison.  Peu  après  le  vice-roi  vint 
le  visiter  avec  beaucoup  de  politesse. 
Étant  passé  de  là  aux  Canaries,  et 
son  vaisseau,  qui  faisait  une  voie 
d'eau,  l'ayant  forcé  d'y  relâcher, 
les  Espagnols  témoignèrent  beaucoup 
de  mécontentement  à  la  vue  des  ca- 
ravelles qui  faisaient  partie  de  son  es- 
cadre. Cependant  il  les  avait  ache- 
tées des  Portugais;  mais  s'imaginait 
qu'elles  avaient  été  enlevées  à  des 
armateurs  de  leur  nation,  les  Espa- 

LI. 


WIN 


33 


gnols  tombèrent  sur  les  Anglais  qui 
se  défendirent  courageusement.  Ils 
firent  même  le  gouverneur  prison- 
nier. Toutefois  l'affaire  s'éclaircit; 
les  Espagnols  convinrent  de  leur 
tort,  et  rendirent  quelques  Anglais 
qu'ils  échangèrent  contre  leur  gou- 
verneur. 11  était  temps  que  ceux-ci  se 
retirassent,  car  il  arrivait  dans  le 
même  lieu  des  vaisseaux  portugais  , 
par  lesquels  ils  eussent  été  maltraités, 
cette  nation  ne  voyant  pas  sans  une 
extrême  jalousie  que  les  Anglais 
commençaient  à  s'emparer  du  com- 
merce de  Barbarie.  Sur  la  fin 
d'octobre  Windham  arriva  à  Lon- 
dres et  s'y  fit  dédommager  par  les 
marchands  espagnols  de  la  perte 
qu'il  avait  essuyée  aux  Canaries. 
L'année  suivante ,  l'amour  des  voya- 
ges le  remit  en  mer  ;  il  pouvait 
se  flatter  d'un  grand  succès  s'il 
n'eût  pas  nui  lui-même  à  son  entre- 
prise par  la  hauteur  et  la  violence 
de  son  caractère.  Il  s'était  lié  d'ami- 
tié avec  Antoine  Anez  Pintéado  ,  Por- 
tugais disgracié  ,  mais  homme  d'un 
grand  mérite  et  d'une  expérience 
consommée  dans  la  marine  et  le  com- 
merce delà  Guinée.  Ils  devaient  par- 
tager entre  eux  l'autorité,  ou  plutôt, 
réunissant  leurs  vues  et  leurs  lumiè- 
res ,  ils  devaient  n'avoir  qu'un  même 
intérêt;  qu'un  même  esprit;  mais  à 
peine  eurent-ils  dépassé  Madère  _, 
que  Windham ,  se  livrant  à  toute  la 
dureté  et  à  l'arrogance  de  son  carac- 
tère, traita  indignement  Pintéado  , 
et  se  sépara  de  lui ,  ce  dont  il  se  trou- 
va bientôt  fort  mal ,  car  il  fit  de  très- 
mauvaises  affaires  et  mourut  sur  la 
côte  de  Guinée ,  dans  la  misère ,  et 
abandonné  de  tout  le  monde.  M-le. 
WINDHAM  (Joseph),  ajuste  et 
antiquaire  anglais,  né  en  1789  à 
Twickenham ,  fit  ses  études  à  l'école 
d'Éton  et  au  collège  du  Christ  à  Cam- 
3 


34  WIN 

bridge ,  auquel  il  fut  agrège.  Conduit 
surtout  par  son  penchant  pour  Tar- 
chitectnrc  et  la  recherche  des  anti- 
quités, il  voyagea  ensuite  en  Fiance, 
en  Italie  et  en  Suisse.  Un  goût  dé- 
licat dans  les  arts  du  dessin  se  joi- 
gnait chez  lui  à  une  érudition  pro- 
fonde et  varice.  Pendant  son  séjour 
à  Rome ,  il  observa  et  mesura  avec 
une  grande  exactitude  les  restes  que 
cette  ville  offre  encore  de  l'architec- 
ture ancienne  ^  et  particulièrement 
des  bains  ;  mais  peu  jaloux  de  secréer 
un  nom ,  il  donna  les  plans  de  ces 
objets  à  M.  Ch.  Cameron,  arcliitec- 
te,  qui  les  fit  graver,  et  les  plaça 
dans  son  grand  ouvrage  sur  les  Bains 
des  Romains  (  17*^2,  in -fol.).  Une 
grande  partie  du  texte  de  ce  livre  fut 
due  également  à  Joseph  Windham  , 
qui ,  devenu  membre  de  la  société 
des  Vilettanti ,  rédigea  aussi  le  tex- 
te presque  entier  du  second  volume 
des  Antimites  ioniennes  ^  publiées 
par  cette  compagnie  savante.  Le  se- 
cond volume  de  l'ouvrage  de  Stuart 
sur  Athènes  a  de  même  profité  de 
ses  communications  libérales.  Mal- 
gré sa  modestie,  son  mérite  ne  put 
rester  toujours  ignoré.  La  société 
royale  de  Londres  l'appela  dans  son 
sein  ,  ainsi  que  celle  des  antiquaires, 
où  il  fut ,  pendant  trois  années , 
membre  du  conseil ,  et  dont  il  refusa 
la  vice-présidence.  Le  seul  écrit  qui 
porte  son  nom  est  inséré  dans  !e  si- 
xième volume  de  l'Archéologie  :  Ob- 
sen^adons  sur  un  passage  de  l'His- 
toire naturelle  de  Pline  ,  relatif  au 
temple  de  Diane  à  Ephèse ,  avec 
deux  planches.  L'auteur  mourut  en 
janvier  181 1.  L. 

WINDHAM  (William)  ,  minis- 
tre d'état  anglais,  descendait  d'une 
ancienne  famille  du  comté  de  Nor- 
folk ,  et  naquit  à  Londres  le  3  mai 
17JO.   Il  fit  des   études    brillantes 


WIN 

à  l'université  d'Oxford ,  et  voya 
gea  sur  le  continent.  J/amour  des 
sciences  et  le  désir  d'explorer  le 
globe  le  portèrent  à  s'embar- 
quer,  en  1773,  pour  une  expédi 
tion  destinée  à  chercher  un  passag 
vers  le  pôle  nord;  mais  il  souffrit 
tellement  du  mal  de  mer ,  qu'il  revin 
en  Angleterre  ,  où  pendant  la  gueriM 
d'Amérique  il  manifesta  ,  jeune  en-i 
core,  la  plus  vive  indignation  contr 
les  ministres  qui  venaient  de  la  pro 
voqiier.  Devenu  ainsi  orateur  popu 
laire  et  whig  déterminé,  il  entra  ei 
1782  au  parlement,  où  il  siégea 
dans  le  parti  de  l'opposition  ,  à  coÙ 
de  Charles  Fox.  En  1  784 ,  Burke  le 
choisit  pour  le  seconder  dans  sa  mo 
tion  relative  aux  représentations  à 
faire  au  roi  sur  l'état  de  la  nation,; 
11  se  montra  encore  fort  opposq 
au  ministre  Pitt ,  en  1789,  dam 
l'affaire  de  la  régence  ,  où  il  si 
prononça  pour  que  l'on  accorda 
des  pouvoirs  illimités  au  princi 
de  Galles.  En  1791  ,  lors  de  la  me 
siiitel  igence  qui  se  manifesta  avec  h 
Russie,  il  contribua  par  son  éloquen 
ce  au  maintien  de  la  paix  en  conju 
rant  les  desseins  du  ministère.  I 
s'éleva  ensuite  contre  le  bill  de  h 
loterie  et  contre  la  traite  des  noirs 
Mais  le  spectacle  de  la  révolutio 
française  le  fit  ensuite  changer  tota 
lement  d'opinion  ,  et  il  déserta  le, 
bancs  de  l'opposition,  avec  Burke 
pour  venir  «rossir  les  rangs  du  part 
minis  tériel  devenu  lepartinat!ona!pa 
la  défection  d'une  foule  de  whigs  qu 
redoutaient  l'infinence  des  principe 
démocratiques.  A  la  fin  de  1792  ,  ï 
s'opposa,  ainsi  que  Burke,  à  lapropo 
sition  d'une  réforme  parlementaire  \ 
en  déclarant  que  «  quelque  étrang< 
»  que  dût  paraître  sa  conduite  y  lei 
»  circonstances  étaient  telles ,  qu'i 
»  voterait  désormais  avec  ceux  do» 


WIN 

»  il  avait  précédemment  reprouve 
»  les  opérations ,  et  contre  ceux  dont 
»  les  opinions  avaient  ëtë  jusqu'alors 
»  en  liarmonie  avec  les  siennes.  »  A 
la  séance  du  2  février  suivant  ,  il 
répliqua  avec  beaucoup  d'éloquence  , 
à  l'occasion  de  la  mort  de  Louis 
XVI,  au  discours  de  Fox,  son  an- 
cien ami,  qui,  improuva  ut  la  guerre, 
demandait  qu'on  ouvrît  des  négocia- 
tions, il  démontra  que  la  France  n'é- 
tait pas  dans  un  e'tat  qui  permît 
de  négocier  avec  elle.  Fox  ,  à  la 
séance  du  iS,  ayant  tenté  un  der- 
nier effort  pour  faire  adopter  ses 
propositions,  Wiiidham  lui  répon- 
dit de  nouveau ,  avec  un  plein  succès. 
Dans  toute  cette  session,  il  seconda 
avec  beaucoup  d'énergie,  de  concert 
avec  Burke  ,  le  système  du  principal 
ministre  Pitt  ,  et  lorsque  le  roi  ou- 
vrit la  session  de  1791  ,  il  déploya 
tous  ses  moyens  oratoires  ,  pour  re- 
pousser les  vues  et  les  doctrines  des 
membres  de  l'opposition  ,  qui  se  dé- 
claraient les  champions  de  la  révolu- 
tion française.  Le  21  janvier,  il  dé- 
truisit l'effet  qu'avait  pu  produire  le 
discours  long  et  Ueuri  dans  lequel 
Slieridan  ,  passant  en  revue  ,  avec 
beaucoup  de  sévérité,  les  opérations 
de  la  dernière  campagne ,  avait  con- 
clu par  demander  qu'on  saisît  la 
première  occasion  de  faire  la  paix , 
et  avait  fait  allusion  ,  en  parlant  des 
entraves  que  les  Français  mettaient 
au  commerce,  à  ces  paroles  pro- 
férées jadis  par  Windham  lui-mêine  : 
«  Périsse  notre  commerce  ,  pourvu 
»  que  nous  conservions  noire  consti- 
»  tution  !  »  Windham  ,  justifiant  la 
guerre ,  contesta  le  principe  si  sou- 
vent allégué  qu'une  nation  n'avait 
pas  le  droit  de  se  mêler  du  gouver- 
nement d'une  autre  nation.  «  Qui 
»  osera  nier  ,  ajouta-t-il  ,  que  les 
»  Français  n'aient  tenté  eux-mêmes, 


WIN 


35 


»  les  premiers,  de  se  mêler  du  gou- 
n  vcrnement  des  autres  peuples  ;  et 
»  que  deviendrait  l'cquililjre  de  l'Eu- 
»  rope,  si  l'on  n'avait  pas  le  droit 
»  de  se  contrôler  mutuellement?»  A 
la  séance  du  10  mars,  où  fut  traitée 
l'atfairede  Muiret  Palmer,  condam- 
nés à  la  déportation ,  pour  délits  ré- 
volutionnaires ,  la  discussion  ayant 
roulé  principalement  sur  les  formes 
observées  dans  ce  procès-,  Windham 
dit  qu'il  ne  s'agissait  pas  d'examiner 
si  la  loi  était  juste  et  politique,  mais 
si  les  sentences  rendues  étaient  léga- 
les. Il  se  plaignit  qu'au  lieu  d'abor- 
der franchement  la  question,  Shcri- 
dan  ne  se  fût  arrêté  qu'à  faire  des 
rapprochements  avec  d'anciennes 
opinions  de  quelques  membres  de 
la  chambre,  qui  n'avaient  aucun 
rapport  à  la  discussion  actuelle  ;  car 
quelles  que  pussent  avoir  été  jadis 
les  idées  de  ces  honorables  person- 
nages (i)  relativement  à  la  réforme 
parlementaire,  une  plus  longue  ex- 
périence et  l'exemple  terrible  d'un 
peuple  voisin  les  avaient  suflisam- 
ment  avertis  que  ces  idées  étaient 
erronées.  Dans  l'importante  discus- 
sion qui  eut  lieu  le  28  ,  au  sujet 
des  levées  de  volontaires  par  sous- 
cription ,  il  défendit  cette  mesure  mi- 
nistérielle, et  selon  l'expression  de 
l'époque,  employée  à  son  égard,  il 
terrassa  Fox  avec  la  massue  démos- 
thénique.  Ne  craignant  pas  d'abor- 
der la  question  au  fond ,  et  de  plai- 
der la  cause  de  la  prérogative  royale 
qu'il  regardait  comme  le  palladnim 
de  |a  liberté  et  de  la  constitution,  il 
trouva  très -déplacé  (\[\t  certaines 
gens  réclamassent  le  privilège  d'être 
les  seuls  gardiens  ,  les  seuls  amis 
de  la  constitution  ,  et  cita  ,  à  ce 
sujet,  le  mot  d'un  Espagnol  qui  di- 

(i)  Le  duc  de  Portland  et  M.  Pitt. 


3r> 


WIN 


sait  :  Défende z-inoi  de  mes  amis  , 
je  me  charge  de  meseimcmis.  a  Les 
Jacobins , en  France ,  ajouta-t-i!  ,ont 
ainsi  commence  par  s'appeler  les 
amis  de  la  constitution ,  et  ils  l'ont  si 
tcndrernetit  aimée  ,  qu'ils  l'ont  détrui- 
te. »  Windham  avoua  qu'en  1782 
il  était  du  nombre  de  ceux  qui  s'é- 
taient opposés  aux  souscriptions  vo- 
lontaires :  «  Si  c'est  une  erreur,  dit-il , 
j'en  conviens  sans  lionte ,  mais  je 
croyais  alors  la  guerre  d'Amérique 
injuste  ,  au  lieu  que  la  guerre  ac- 
tuelle me  paraît  fondée  sur  l'équité. 
Je  ne  me  suis  point  écarté  de  mes  prin- 
cipes •  si  quelques-uns  de  mes  amis 
d'alors  me  reprochent  de  m'être  éloi- 
gné d'eux ,  je  leur  dirai  avec  plus 
de  raison  que  ce  sont  eux  qui 
se  sont  éloignés  de  moi. .  .  »  Le  i3 
mai  ,  il  fut  nommé  membre  du  co- 
mité secret ,  chargé  d'examiner  les 
papiers  relatifs  aux  manœuvres  sédi- 
tieuses récemment  découvertes.  Pitt 
ayant  proposé  un  h\\\  pour  la  suspen- 
sion de  l'acte  d'/ïrtZ>e«5corpï/5^  de  gra- 
vesdébats s'engagtrent;Windbam  ré- 
pondit à  Sberidan  qui  attaquaitle  bill 
proposé  comme  contraire  à  la  constitu- 
tion. Il  établit  d'abord  que  l'état  des 
choses  était  alarmant,  qu'on  n'avait 
que  le  choix  entre  deux  alternatives 
également  fâcheuses  ,  et  que  !a  crise 
qui  agitait  le  monde  prenait  sa  source 
dans  des  circonstances  qu'il  était 
tout  aussi  impossible  de  prévoir  que 
de  prévenir.  «  11  restera  à  décider, 
))  dit-il ,  si  l'on  est  ou  si  l'on  n'est 
»  pas  convaincu  que  le  danger  est 
»  parvenu  à  un  tel  point  qu'il  soit 
w  nécessaire  de  fortifier  le  pouvoir 
»  du  gouvernement.  Au  lieu  de  s'atta- 
»  cher  à  cet  objet ,  les  membres  du 
»  côté  opposé  ont  cru  faire  de  beaux 
»  raisonnements  en  attaquant  le  mi- 
»  nislre ,  et  en  l'accusant  d'avoir 
»  abaiidoiiné  ses  anciens    principes 


WJN 

»  sur  la  réforme  parlementaire.  Cer- 
»  tes  je  n'aurai  pas  ici  la  prétention 
»  de  défendre  un  personnage  qui  se 
»  défendra  lui-même  beaucoup  mieux 
»  que  je  ne  le  ferais  ;  mais  je  ne  puis 
»  m'empécher  de  faire  observer  que 
»  ce  système  de  réforme  qu'il  a  sou- 
»  tenu  était  absolument  différent  de 
»  celui    qui    est    agité   aujourd'hui 
»  par  les  divers  clubs  dont  la  con- 
»  duite  a  enfin  attiré  l'attention  du 
»  parlement.  Mais  en  admettant  que 
»  ces  Messieurs  aient  raison  dans  cet 
»  argument,  voyons  un  peu  ce  qu'il 
»  prouve  et  où  il  nous  mène.  Eh  bien  î 
»  le  pis-aller  sera  de  convenir  que  le 
»  ministre  a  approuvé  y  à  tort ,  il  y 
»  a  douze  ans ,  une  mesure  que  l'ex- 
»  périence  et  sa  raison  l'ont  déter- 
»  miné  à  abandonner  ensuite.  Voilà 
»  à  quoi  se  réduit  ce  grand  moyen 
»  d'attaque  I  C'est  par  la  même  logi- 
»  que   que  l'on  m'a   accusé  aussi, ^ 
»  moi  ,à^incojisis tance.  •»  Passant  à] 
la  question  de  la  réforme  parlemen- 
taire: «C'est,  ditWindham,unmot! 
»  très-beau,  très-  bien  sonnant  et  bieu; 
»  fait  pour  cacher  d'autres  desseins. 
»  Mais  je  le  demande  ici,  y  a-t-il| 
))  quelqu'un    dans  la  chambre  qui] 
»  croie  que  si  jamais    le   moindre] 
»  pouvoir  venait  à  tomber  dans  lesi 
)>  mains  d'une  espèce  d'hommes  pa- 
»  reille,  ils  n'adopteraient  pas  à  Fins- 
»  tant  la  même  marche  qui  a  conduit' 
»  la  France  à  la  destruction  de  l'or-l 
))  dre ,  de  la  religion  ,  de  la  proprié- 
»  té  et  du   gouvernement  ?    Voilà 
»  certainement  où  ils  finiraient  par 
»  nous  mener.  J'enappelleàla  cons- 
»  cience  de  tous  les  membres  pré- 
»  sents,  n'est-il  pas  temps  de  pren- 
»  die  les  mesures  nécessaires  pour! 
»  réprimer  l'audace  de  ces  clubs  qui 
»  excitent  des  émeutes  et  des  insur- 
»  rections  dans  diverses  parties  du' 
»  royaume  ? lia  sûreté  publique 


WIN 

»  exige  qu'à  quelque  prix  que  ce  soit 
»  on  sacrifie  tout  à  l'extinctiou  des 
»  principes  jacobins  ;  et  je  ne  dis  pas 
»  seulement  la  surctc  de  TAngleterre, 
w  je  dis  la  suretc  de  toute  l'Europe, 
:>  celle  même  de  l'Amérique ,  en  un 
v>  mot ,  celle  de  tous  les  pays  oii  il 
»  y  a   quelque  chose  à  détruire  et 
»  quelque  chose  à  piller.  Maintenant 
»  je  laisse  au  bon  sens  de  la  chambre 
»  à  décider  si  elle  ne  juge  pas  plus 
»  dangereux  de  conliuuer  à  laisser 
»  égarer  les  idées  du  peuple, en  per- 
»  mettant  qu'on  lui  présente  conti- 
»  nuellemcnt  l'appât  du  pillage  et  de 
î>  la  confusion ,  que  de  prendre  nne 
))  mesure  forte ,  qui  par  une  suppres- 
»  sion  momentane'e  de  l'acte   d'/m- 
y>  béas  corpus  doublera  la  vigueur  et 
î)  la  st.'ibilité  de  notre  heureuse  cons- 
»  titution ,   en  la  préservant  de    la 
»  crise  actuelle.  »  Ce  discours  pro- 
nonce avec    chaleur  et    conviction 
fit  nne  si  grande  impression  sur  la 
chambre ,  que  Fox  crut  devoir  y  re- 
pondre par  le  développement  de  tou- 
te son  éloquence.  Mais  dans  ce  grand 
débat,  la  majorité  finit  par  assurer 
la  victoire  à  MM.  Pitt,  Dundas  et 
Windham.  Au  mois  de  juillet  sui- 
vant Pitt  ouvrit  l'entrée  du  minislcrc 
au  duc  de  Porlland  ,  afin  de  fortifier 
sou   administration,  et   Windham 
y   entra    comme  membre  du   con- 
seil prive  ,    ayant  le   département 
de  la  guerre.  Dès  qu'on  le  vit  minis- 
tre on  l'accusa  de  n'avoir  déserté  le 
parti  stérile  de  l'opposition  que  pour 
les  émohimejits productifs  de  la  cour. 
Aux  réélections  qui  eurent  lieu  vers 
cette  époque  ,  il  se  mit  sur  les  rangs 
comme  candidat  de  la  ville  de  Nor- 
wich;  il  avait  pour  concurrent  un 
avocat  de  Londres  nommé Minguay  , 
et  son  élection  fut  très-disputée  par 
les  efforts  du  parti  qui  lui  était  op- 
posé, parti  trcs-uombrcux  dans  cette 


WIN  37 

ville  manufacturière;   toutefois  une 
majorité    de  douze  cent  trente-six 
voix  contre  sept  cent  sept  assura  son 
triomphe.  Il  ne  montra  pas  moins 
d'énergie  dans  le  conseil.  Convaincu 
de  l'importance  du  parti  royaliste  de 
la  Vendée  et  de  la  Bretagne  qu'on 
avait  trop  négligé  ,  il  fut  d'avis  que 
c'était  surfout  en  France  qu'il  fallait 
combattre  la  révolution,  et  il  appuya 
fortement  un  Mémoire  que  le  comte 
de  Puisaye  présenta  à  cette  époque 
au  ministère  anglais  ,  pour  lui  faire 
adopter  le  plan  d'une  expédition  en 
Bretagne;  et  il  eu  t  même  plusieurs  con- 
férences avec  ce  chef  des  royalistes 
français,  en  présence  de  ses  collègues. 
Dans  de  telles  dispositions  il  se  trouva 
naturellement  porté  à  combattre  la 
motion  qui  fut  renouvelée  au  parle- 
ment, pour  que  le  ministère  intercédât 
auprès  de  l'Autriche  ,    afin  d'obte- 
nir la  délivrance  de  M.  de  Lafayette 
et  de  ses  compagnons    de  captivi- 
té.   Condamnant    ouvertement  l'in- 
térêt   qu'on  avait   tenté    d'inspirer 
pour  le  captif  d'Olmutz ,  il  pronon- 
ça la  sentence  ««  qu'il  ne  faut  jamais 
»  pardonner  à  ceux  qui  commencent 
»  les   révolutions.    »    Le    ministère 
craignant,  au  printemps  de  1793, 
la  lassitude  et  le  découragement  des 
royalistes  bretons  et  vendéens,  dont 
il  entretenait  les  illusions  et  l'espé- 
rance ,  se  décida  enfin  sur  l'avis  de 
Windham   à  ordonner  l'armement 
projeté  sur  les  cotes  de  France.  Ce 
ministre,  approuvant  les  dispositions 
prébminaires  de  M.  de  Puisaye,  lui 
remit  deux  lettres  adressées  aux  dif- 
férents chefs  de  la  Bretagne  et  de  la 
Vendée  :  rien  n'y  était  omis  pour  les 
disposer  à  faire  un  effort  au  moment 
où  l'expédition   se  présenterait   en 
vue  des  cotes.  Ou  sait  par  quel  con- 
cours  de    circonstances    imprévues 
cette  expédition  échoua  {Fo)'.  SobI' 


38 


WIN 


BRFUiL  ).  Après  la  catastrophe 
Quiheron,  Windbam  eut  la  franchi- 
se de  s'accuser  lui-mcme  au  parle- 
ment d'avoir  provoque  cette  mal- 
heureuse entreprise,  déclarant  que 
M.  Pitt  s'y  était  oppose.  Pitt  prit  la 
parole,  et  dit  qu'il  ne  s'agissait  pas 
de  savoir  quelle  avait  été   dans  le 
conseil  l'opinion  de  chaqu'e  ministre^ 
que  tous  devaient  également  répon- 
dre de  ce  qui   y  avait  été'  décide'. 
Windham  continua  de  favoriser  le 
parti  royaliste ,  et  après  la  première 
pacification  de  la  Bretagne  et  de  la 
Vendée,  il  fit  accorder  à  M.  de  Pui- 
saye  et  à  quelques-uns  de  ses  compa- 
gnons d'armes  un  établissement  dans 
le  Canada.  Au  mois  de  iuin   1797  , 
lors  du  conseil  tenu ,  au  sujet  des 
conférences  de  Lille  avec  le  Direc- 
toire de  France  ,  il  se  déclara  haute- 
ment contre  la  paix,  et  fut  de  tous 
les  ministres  celui  qui  parut  vouloir 
le  plus  franchement  le  retour  de  la 
royauté  eu  France ,  et  la  ruine  de 
tout  autre  gouvernement.  Ce  fut  sur- 
tout à  l'époque  de  la  seconde  coali- 
tion ,  en  1 799 ,  qu'il  sembla  poursui- 
vre ce  système  avec  le  plus  de  téna- 
cité. Le  27  octobre,  il  témoigna  à  la 
chambre  des  communes  son  étonne- 
ment  de  ce  qu'on  approuvait  la  me- 
sure de  convertir  la  milice  en  trou- 
pes de  ligne,  quand  d'un  autre  cote 
on  s'opposait  à  l'emploi  de  ces  for- 
ces; il  prétendit  que  l'Angleterre  ne 
devait  pas  se  borner  à  la  défense  de 
ses  rivages  et  aux  intérêts  de  son 
pays  ;  et  il  demanda  encore  à  cette 
occasion   que  Ton  mît  à   profit  les 
dispositions  d'une  partie  rie  la  na- 
tion française  pour  le  rétablissement 
de  la  royauté,  qu'il  regardait  désor- 
mais comme  assurée  et  comme  la 
chose  la  plus  avantageuse  pour  les 
intérêts  de  la  Grande-Bretagne  et 
pour    l'exécution  parfaite   de  ses 


WIN 

projets.  Déjà  ,  en    efi'et ,    soixante" 
mille    royalistes   étaient  en    armes 
dans  les  quatorze  départements  de 
l'Ouest  par  l'impulsion  du  cabinet 
anglais.  Mais  tout-à-coup  la  perte  de 
la  bataille  de  Zurich,  la  honteuse  is- 
sue de  l'expédition  de  Iloilande,  et 
le  retour  de  Buona parte  d'Egypte, 
en   changeant  la  face  des   affaires, 
firent  évanouir  les  projets  de  contrc- 
révoiulion  dont  Windham  était  le 
principal  mobi'e.  Le  27  juin  1800, 
il   parla  pour  qu'on  tolérât  en  An- 
gleterre le  papisme  et  les  débris  de 
l'Eglise  gallicane,  reprochant  à  ses 
adversaires    de  craindre   quatre   à 
cinq    mille    prêtres    français     pliis 
que  les  progrès  des  républicains  qui 
menaçaient  de  conquérir  le   monde 
entier  à  l'athéisme.  LeiSnovembre, 
il  combattit  la  motion  de  M.  Jones, 
demandant  la  remise  à  la  chambre 
d'une  copie  de  la  lettre  de  l'amiral 
Keilh  au  général  Klébcr,  en  disant 
que  «  si  l'on  faisait  un  crime  aux 
»  ministres  d'avoir  donné  des  ins- 
»  tructions  qui  eussent  fait  rompre 
»  la  convention d'EI  Arich,en  Egyp- 
»  te,  il  faudrait  abandomier  toutes 
»  les  conquêtes  pour  ne  pas  arrêter 
»  les  négociations  »  (  F.  Kléber  ). 
Il  essaya  aussi ,  le  i"".  décembre,  de 
justifier  l'Autriche,  accusée  d'aban- 
donner les  intérêts  de  l'Angleterre, 
s'attachant  à  repousser  le  reproche 
que  Sheridan  faisait  aux  ministres 
de  n'avoir  jamais  voulu  sincèrement 
la  paix.  Il  s'éleva  de  nouveau ,  le  3 
févi^ier   1801,  contre  les  proposi- 
tions de  paix  avec  la  France ,  et  as- 
sura que  tant  qu'il  ntf  se  serait  pas 
opéré  un  changement  total  dans  la 
politique  du  gouvernement  français , 
une  pareille  proposition  serait  déri- 
soire. Cependant  le  besoin  d'une  paix 
dont   toutes    les    autres    puissances 
donnaient    l'exemple    se  faisant  de 


WIN 

plus  en  ])lus  sentir,  le  cliangcment 
de  ministcie  devint  iiievilabie  ,  et  le 
roi  George  accepta  ,  le  5  février ,  la 
démission  de  Windliam  ,  de  Pitt  et 
de  leurs  colK  gués.  La  retraite  de  tels 
hommes  ,  à  luie  époque   si  critique  , 
fixa  vivement  l'attention  du  parle- 
ment, et  il  y  fut  question  d'une  en- 
quête sur  la  conduite  des  ministres. 
Windliam  défendit,  avec  toutes  les 
ressources  de  son  talent  et  toute  la 
chaleur  de  l'intérêt  personnel ,  le  bill 
d'oubli  (  bill  of  indemnité  )  proposé 
en  faveur  des  hommes  publics  qui , 
dans  ces  temps  d'orages,  auraient  pu 
commettre  des  erreurs  dans  l'arres- 
tation ou  la  détention  de  personnes 
suspectes.  Mais  les  approches  de  la 
pacification  avec  la  France  semblè- 
rent le  raiïérmir  encore  dans  son  op- 
position ;  et  on  le  vit  repousser  très- 
vivement  les  assertions  de  M.  Tier- 
uey  au  sujet  des  concessions  à  faire 
à  la  France  pour  avoir  la  paix,  en 
disant  que  son  agrandissement  ex- 
cessif devait  au    contraire  engager 
l'Euro j)e  entière  à  se  liguer  contre 
elle.  Depuis  cette  époque  il  ne  laissa 
échapper  aucune  occasion  de  déve- 
lopper  les  mêmes   principes,  et  il 
sonna  constamment  l'alarme  sur  les 
projets  ambitieux  et  les  envahisse- 
ments successifs  de  Buonaparte. Le  3o 
octobre  1H02,  il  s'éleva  avec  beau- 
coup de  force  contre  les  préliminai- 
res de  la  paix  qui   venaient  d'être 
conclus;  et,  loin  de  se  réjouir  de  cet 
événement, il  représenta  l'Angleterre 
comme  couverte  d'un  crêpe  funèbre. 
Il  chercha  ensuite  à  prouver  que  les 
arrangements  relatifs  à  l'île  de  Mal- 
te n'étaient,  dans  la  réalité,  qu'une 
cession  déguisée   de  cette  île  à  la 
France;  puis,  remontant  aux  premiè- 
res causes  de  la  guerre ,  il  dit  qu'on 
avait  manqué  le  but  en  poursuivant 
la  conquête  des  colonies  j  il  rappela 


WIN 


39 


les  expéditions  de  Toulon  et  de  Qui- 
beron ,  s'applaudit  de  les  avoir  ap- 
prouvées ,  et  vanta  la  fermeté  de  son 
ami  M.  Pitt,  qui  avait  réclamé  sa 
part  de  la  responsabilité.  11  termina 
ce  discouis   très-éloquent  par  un  ef- 
frayant  tableau    du    triomphe  des 
jirincipes  révolutionnaires;    et,   un 
peu  plus  tard,  il  accusa  de  nouveau 
les  ministres  d'incapacité,  répétant 
que  les  vues  de   la    France  étaient 
d'enchaîner  la  Grande-Bretagne,  et 
de  la  réduire  à  l'état  d'impuissance 
dont  elle  avait  frappé  le  continent. 
11  les  attaqua  surtout  avec  la  derniè- 
re violence,  lorsqu'ils   proposèrent 
la  prorogation  du  parlement  à  une 
époque  où  ,  selon  lui,  l'ambition  dé- 
mesurée de  Buonaparte  avait  place 
l'Angleterre    dans   un    danger  sans 
exemple;  et  à  la  rentrée  du  parle- 
ment  il  se  livra   aux  provocations 
de  guerre  les  |)Ius  vives.  En  \  8o3 , 
il  continua  d'être  le  chef  de  la  nou- 
velle oj)j)osition ,  qui  se  composait 
du  parti  Grenville;  et,  la  guerre  s'é- 
tant  rallumée,  ses  prédictions  sem- 
blèrent s'accomplir  et  ses  principes 
triompher.  Le  6  juin  ,  il  combattit 
le  plan  des  ministres  pour  Torgani- 
sation  de  l'armée,  et  termina  ainsi 
son  discours  :  «  Le  traité  d'Amiens 
î)  a  détruit  toute  notre  influence  sui 
»  le  continent,  il  a  fait  pour  nous 
»  une  côte  de  fer  de  toute  la  côte 
»  d'Europe,  et  il  n'y  a  plus  de  port , 
»  de  havre  où  nous  puissions  mettre 
»  à  l'abri  une  chaloupe.  On  me  dira 
»  que  le  continent  déteste  la  France; 
»  mais    que  lui    importe   qu'on   la 
»  haïsse  pourvu  qu'on  la  craigne? 
»  Ne  va-t-on  pas  médire  encore  que 
»  ^*e  veux  me  battre  pour  les  Bour- 
»  bons,  pour  les  royalistes,  pour  la 
»  monarchie?  On  ne  m'a  jamais  bien 
»  compris...  On  ne  cesse  de  parler  de 
))  l'immense  pouvoir  delà  république 


4o 


WIN 


4 


»  française;  lie  confondons  pas  lepoii- 
y>  voir  et  la  durée.  Personne  de  nous 
»  ne  peut  nier  que  nous  souliaitons 
))  tous  la  fin  de  ce  pouvoir.  Je  suis 
»  du  nombre  de  ceux  qui  ne  traitent 
»  point  avec  mépris  l'idée  d'une  in- 
»  vasion.   Nous  avons  atl'aire  à  un 
»  ennemi  qui  ne  fait  rien  à  demi.  Je 
î)  m'en  suis  entretenu  avec  dcshom- 
»  mes  capables  de  bien  juger,  et 
))  qui  connaissent  la  guerre  :  ceux- 
»  là  ne  parlent  pas  lëgcrement  d'une 
»  invasion.    Mais   d'un    autre  côté 
»  soyons  convaincus  de  la  force  et 
■»  des  ressources  que  nous,, offre  no- 
î)  tre  pays ,  et  de  la  confiance  qu'il 
»  faut  placer  dans  sa  vigueur,   si 
»  nous  sommes  bien  dirigés. ...» 
Windham  provoqua  ainsi  la  disso- 
lution du  ministère  Addington,  et 
Pilt  reprit   en    i8o4    les   rênes  du 
liouvoir ,  mais  ne  comprit  que  très- 
peu  de  ses  anciens    collègues  dans 
la   nouvelle  administration  j  Win- 
dham s'en  trouva  exclu.  Soit  qu'il 
en  eût  du  ressentiment,  soit  qu'il  dé- 
sapprouvât les  opérations  de  Pitt, 
il  les  attaqua  souvent  avec  amertu- 
me. A  la  mort  de  ce  grand  Lomme , 
arrivée  en  janvier  1806,  il  témoi- 
gna son  étonnemcnt  qu'après  les  évé- 
nements désastreux  qui  avaient  mar- 
qué les  six  derniers  mois  de  son  mi- 
nistère, on  voulût  accorder  h  sa  mé- 
moire des  honneurs  publics ,  et  il  ré- 
clama surtout  contre  la  qualification 
à^  excellent  homme  d'état  y  ([n^n  lui 
avait  donnée.  Toutefois  il  appuya  la 
proposition  de  mettre  ses  dettes  à  la 
charge    de   l'état.    L'administration 
ayant  alors  été  totalement  changée  , 
Windham  reprit  le  porte-feuille  de 
la  guerre  dans  le  nouveau  ministère 
formé  par  lord   Grenville    et  Fox. 
Une  des  premières  mesures  propo- 
sées ])ar  les  nouveaux  ministres  fut 
mi  changement  dans  le  système  mi- 


WIN 

litaire.  Le  3  avril,  Windham  prc'* 
sentason  plan  à  la  chambredes  com- 
munes. Comme  c'était  un  point  doiLti 
la  décision  intéressait  le  crédit  dur 
dernier  ministère ,  l'opposition  réu- 1 
nit  toutes  ses  forces  pour  le  combat- 
tre; mais  il  passa  dans  les   deux 
chambres  après  des  débats  très-vifs , 
et  trois  autres  bills  complétèrent  le 
nouveau  système.  La  mort  de  Fox 
ayant  encore  une  fois  opéré  la  désor- 
ganisation du  ministère,  Windham 
quitta  ses  fonctions  et  redevint  sim-j 
pie  membre  du  parlement ,  où  il  sel 
plaça  de  nouveau  sur  les  bancs  de 
l'opposition.  Lors  de  la  rentrée  des 
chambres,  en  1808,  il  se  plaignit 
avec  amertume  de  la   conduite  du 
gouvernement  à  l'égard  du  Dane- 
mark et  du  Portugal ,  et  il  parla  aus- 
si avec  beaucoup  d'éloquence,  le  ^4 
février  1809 ,  contre  les  résultats  de 
l'expédition  de  la  Corogne ,  qu'il  at- 
tribua à  l'impéritie  des   ministres. 
S'il  prit  moins  de  part  aux  discus- 
sions intéressantes  de  la  fin  de  cette 
session  et  du  commencement  de  celle 
de  1810,  l'état  de  sa  santé  en  fut  la 
seulecause.il mourut  le  4  juin  18 10, 
des  suites  d'une  opération  chirurgi- 
cale ,  qui  avait  d'abord  semblé  être 
couronnée  d'un  plein  succès.  Tous 
les  partis  s'accordèrent  alors  à  ren- 
dre hommage  à  son  désintéressement , 
à  son  courage  et  surtout  à  son  mé- 
pris pour  les  petits  artifices  de  la 
politique.  On  convint  généralement 
que  c'était  un  homme  d'état  d'un 
grand  talent  et  d'une   sagacité  pro- 
fonde. Comme  orateur ,  il  était  doué 
d'une  grande  facilité  d'expression  , 
excellait   dans  l'argumentation ,   et 
maniant    avec  une  rare  habileté  le 
sarcasme  s'était  placé,  sous  ce  der- 
nier rapport ,  à  côté  des  athlètes  les 
plus  redoutables  de  la  chambre.  On 
assui'e  qu'il  jugeait  sévèrement  ses 


I 


WIN 

compatriotes,  on  du  moins  les  clas- 
ses infcricures,  qu'il  regardait  comme 
inévitablement  condamnées  à  une 
brutalité'  sauvage,  et  qu'il  exprimait 
cette  opinion  avec  l'originalité  et  la 
vigueur  qui  le  caractérisaient  comme 
homme  d'état  et  comme  moraliste. 
Th.  Amyot  a  publie,  en  1812,  les 
Discours  de  W,  JVindham  au  par- 
lement,  précédés  d'une  notice  sur 
sa  vie,  3  vol.  in-8^.  B — r. 

WINDIIEIM  (Chrétien-Ernest 
de),  professeur  de  philosophie  et 
de  langues  orientales  à  l'université 
d'Erlangen ,  était  né ,  le  29  octobre 
1722 ,  à  Wernigerode ,  d'une  famille 
noble.  En  1^47  ?  sur  la  proposition 
de  Moshcim ,  son  maître ,  il  fut  nom- 
mé professeur  de  philosophie  à  Got- 
tingue,  et  fut  appelé  plus  tard  à  Er- 
langen.  Il  mourut,  le  5  novembre 
1766,  à  Tinmemroda  dans  la  prin- 
cipauté dcBlankenbourg.  L'universi- 
té d'Erlangen  publia  un  Programme 
oi!i  ses  écrits  sont  indiqués.  Les  plus 
remarquables  sont  :\.I)^  Paulo  Pen- 
tium apostoîo ,  contra  Thom.  Mor- 
gajuinij  Halle,  174^,  in  -  8*^.  IL 
Preuve  philosophique  de  la  réalité 
des  miracles  (alleni.) ,  Helmsta^dt, 
1746.  III.  De  la  dernière  fm  que 
Dieu  s'est  proposée  en  créant  cet 
univers  (ail.),  ibid.  IV.  Ohser- 
i^ationes  theologico  -  historicœ  ad 
Benedicti  XIV  pontificis  maximi 
nuperam  ad  episcopum  jfugusta- 
numepistolam,  quibus,  cùm  de  aliis 
rébus  y  tùni  deSanctis  Ecclesiœ  ro- 
vianœ ,  rituque  canonizandi ,  dis- 
seritur ,  Helmstœdt ,  1747.  V.  Bi- 
hliothèque  philosophique  de  Gottin- 
gue  (ail.),  Gottingue  et  Erlangen, 
1748  à  1707,  9  volum.  in-8<^.  VI. 
Examen  argumentorum  Platonis 
pr&  immortalitate  animœ  humanœ^ 
Gottingue,  1749.  VIL  Becherches 
historiques  sur  la  vie  et  le  gower- 


WIN 


4 


nementde  David  (ail.),  Gottingue, 
1749,  in-8«.  VIII.  Âd  orationis 
aditus  de  usu  scholarum  contra 
Hobbesium ,  Erlangen  ,  1750.  IX. 
Examen  du  Traité  publié  par  Mid- 
leton  sur  les  miracles  de  V Eglise 
chrétienne  après  la  mort  des  apô- 
tres (  ail.  ) ,  Erlangen ,  1 75o  ,  in-4*'. 
X.  Fragmenta  historiœ  philpsophi- 
cce,  siwe  Commentarii  philosopho- 
rum  vitas  et  dogmata  illustrantes  y 
Erlangen,  1753  ,  in  -  8"^.  XI.  Des- 
cription de  V  Orient ,  de  l'Egypte  , 
des  îles  de  l'Archipel ,  de  V Asie  , 
de  la  Thrace ,  de  la  Grèce  et  de 
quelques  parties  de  l'Europe ,  par 
Pococke ,  tradiàt  de  l'anglais  en 
allemand,  Erlangen,  1755.  Xlï. 
Antiquités  chronologiques  des  plus 
anciennes  monarchies  ,  depuis  le 
commencement  du  monde ,  pendant 
5ooo  ans ,  par  Jackson,  traduit  de 
l'anglais  en  ail.,  Erlangen,  1756, 
in-40.  XII L  Dd  subsidiis  et  dijficul- 
tatibus  in  addiscendis  antiquitati- 
hus  christianis ,  ibid.  XIV.  Métho- 
de pour  démontrer  à  fond  la  vérité, 
la  dii^inité  de  la  religion  chrétien- 
ne ,  et  pour  la  défendre  contre  les 
impies  et  les  déistes ,  à  V usage  des 
leçons  académiques  (ail.).  On  peut 
consulter ,  sur  la  vie  de  ce  savant  : 
Memoria  viri  dàm  viveret  genero- 
siss.  atque  ampliss.  CE.  de  TVind- 
heim ,  Erlangen,  1766,  in-fol.  G-y. 

WINDTN'G.  r.  ViNDiNG. 

WINDISCH  (  Charles -GoTLiEB 
de),  né  à  Presbourg  le  28  janvier 
1725,  fut  nommé  en  1789  pre- 
mier magistrat  de  cette  ville ,  et 
y  mourut  le  3i  mars  1793,  après 
avoir  publié  divers  ouvrages  pré- 
cieux pour  l'histoire  et  la  littérature 
de  la  Hongrie  ;  ils  sont  tous  écrits  en 
allemand.  I.  \JAmi  de  la  vertu, 
feuille  hebdomadaire,  Presbourg, 
1767    à    1769^   3    vol.   in-80.   IL 


42  WIN 

Fcuillchehilomadaire.fwar  les  scien- 
ces et  les  avis,  Prcsbourg,  1771  à 
1773  .  3  vol.  111-8".  III.  Description 
politique  ,  géographique  et  histori- 
que du  royaume  de  Hongrie ,  Pies- 
Loiirg,  i77'-i,  in-8".  lY.  Histoire 
abrégée  de  la  Hongrie ,  depuis  les 
temps  les  plus  éloignés  jusqu'à  nos 
jours ,  Presbourg  ,  1778,  in  -  8». , 
réimprimée  en  1784.  V.  Géogra- 
phie du  royaume  de  Hongrie ,  Pits- 
boiirg,  1780,  5  vol.  in-80. ,  lëim- 
priuice  en  1790.  VI.  Magasin  de 
Hongrie  ,  contenant  des  recherches 
pour  l'histoire ,  la  géographie , 
l'histoire  naturelle  et  la  littérature 
de  ce  royaume  ,  Presboiirp; ,  1781 
à  f  788  ,  4  vol.  in- 8^.  VU.  Nouveau 
Magasin  de  Hongrie ,  Vienne , 
i79'i,in-8«.  G— Y. 

WINDUS  (Jean  ),  voyageur  an- 
glais, accompap,na,  en  1720 ,  Charles 
iStewart ,  chef  d'escadre  ,  cliargé  ])ar 
le  roi  de  la  Grande-Bretagne  d'aller 
traiter  de  la  paix  avec  l'enijiereur 
de  Maroc.  On  partit  d'Angleterre  le 
24  sept.,  et  l'on  mouilla  le  20  oct. 
dans  la  baie  de  Gibraltar.  Stevvait 
ayant  annoncé  sa  mission  au  gouver- 
neur de  Tetouan,  celui-ci  lui  envoya 
deux  plénipotentiaires  avec  lesquels 
les  préliminaires  furent  arrêtés.  Alors 
Stewart  fit  voile  avec  son  escadre 
pour  Tetouan  ,  où  le  traité  fut  signé 
le  17  janvier  1721.  Quand  cet  acte 
eut  été  ratilié  par  George  I^i.,  Ste- 
wart revint  à  Tetouan,  où  il  débar- 
qua le  6  mai  ;  ensuite  il  partit  pour 
Mçqûinez  où  était  l'empereur  ,  et  il 
obtint,  le  6  juillet,  la  première  au- 
dience du  farouche  Mouîey  Ismaël  , 
alors  âgé  de  quatre-vingts  ans.  La 
négociation  semblait  près  de  se  ter- 
miner au  gré  de  l'ambassadeur,  lors- 
que des  obstacles  cachés  l'entravè- 
rent. Slewart  ayant  suivi  le  conseil 
<pie  lui  donnèrent  un  Juif,  favori  de 


VV^IN 

'empereur ,  et  un  de  ses  plénipotetH 
tiaires ,  d'écrire  une  lettre  à  une  des 
reines,  en  reçut  une  réponse  amicale; 
et  le  lendemain,  iZ  juillet ,  Mouley 
Ismaël ,  en  lui  accordant  sa  seconde 
audience,  lui  dit  qu'il  ratifiait  le  trai- 
té et  donnait  la  liberté  à   tous  les 
Anglais  captifs.  Slewart  partit  avec 
eux  le  27  ,  et  jouit  de  la  satisfaction 
d'en  ramener  deux  cent  quatre-vingt- 
seize  en  Angleterre.  A  Londres ,   ilsl 
furent  conduits  processionnellement 
à   l'église  cathédrale  de  Saint-Paul 
pour  rendre  G;ràces  à  Dieu  de   leuï 
délivrance.  W^indus  publia,  en  an- 
glais, la  relation  de  l'ambassade;  elle 
est  iiititulée  :  Ajourney  to  Mequine: 
etc.  Forage  à  Mequine z ,  résidence 
de  l'empereur  actuel  de  Fez  et  de 
Maroc,    Londres,    1725,   in-8<^.  , 
figures.  Les  notices  de  Windus  sur- 
la  géographie  du  pays    et    sur  lé 
mœurs  des  Marocains  sont  fort  eu 
rieuses.  Il  avoue  qu'il  a  profité  de 
manuscrits  que  lui  confia  Corbière 
envoyé  précédemment  à  Mouley  Is 
maëi.  En  parlant  des  caravanes  q« 
vont  en  Guinée,  Windus  dit  que  1( 
lieux  avec  lesquels  elles  commercer 
sont  Tombattou  ,    le  Niger    ou    1 
rivière  Noire  ,  et  une  autre  que  1( 
Marocains  appellent  le  Nil  ;  ils  n 
content   que   le   Niger  va    se   jeté 
dans  la  mer  au  sud  de  la  Guinée.  Q 
pense  aujourd'hui  qu'effectivement  ï 
Niger  ou  Dialiba  a  son  embouchur 
dans  le  golfe  de  Guinée  j  mais   l'oi 
attend  encore  les  récits  desvoyageui 
anglais  qui  doivent  confirmer  ou  d( 
truire  cette  hvpothèse.  E — i 

WINÉFRIDE  ou  WÉNÉFRip] 
(i)  (  Sainte),  naquit,  vers  le  milie»' 


(i)  Ce  nom  ,  en    anglo-saxon  ,   signifie   donnett 
ou  gagneuse  Je  la  paix;  et  en  breton,   beau 
f^e  ;    dans  le  manuscrit   de  la  bibliothèque  Cotl 
uienne.la  sainte  est  appelée  Candïda  Vf-  enefreà 
D'autres    manuscrits     l'apppllent     Guetrfiede 
Guemvrea, 


du  st'plicmc  siècle,  dans  la    ])artie 
septentrionale    du  pays  de   Galles. 
Son  père,  Thewilh ,  un   dos   prin- 
cij^aux  seigneurs  de  cette   contrée, 
ayant  nccueilli  un  saint  religieux  ap- 
pelé   Beiaion   ou    Benow  ,    et    lui 
ayant  cède  un  terrain  pour  bâtir  une 
église,  lepria  d'instruire  sa  fille  dans 
les  principes  de  la  religion  chrétien - 
ne.  Quand  Bcunon  instruisait  îe  peu- 
ple, Winèfiide  se  mettait  à  ses  pieds, 
pour  écouter  avec  plus  d'attention  la 
parole  de  Dieu;  et  elle  en  paraissait 
singulièrement  touchée.  Ayant,  avec 
la  permission  de  ses  parents  ,  formé 
la  résolution  de  se  consacrer  entière- 
meiit  à  Dieu  .  elle  reçut  le  voile  des 
mains  de  saint  Beunon  ;  et  elle  alla 
vivre,  avec  quelques  autres  vierges, 
dans  un  petit  monastère  que  son  père 
avait  fait  bâtir  près  de  la  ville  deve- 
nue depuis  si  célèbre  sous  le  nom  de 
Holvwell.  Saint  Beunon  étant  retour- 
né "flans  un  autre  monastère   qu'il 
avait  bâti  à  Clunnork  ,  y  mourut  peu 
après  (a).  Sainte  Winefride  qu-lta 
alors  Holywell  pour  se  retirer  chez 
les  religieiîses  de  Gutberin  dans  le 
Deubiglishire ,  où  elle  eut  pour  direc- 
teur le  saint  abbc  Élérius  (3) ,  qui 
dans  le  même  lieu  gouvernait  encore 
mi  autre  monastère.  L'abbesse  Théo- 
nie  étant  morte  ,  Wiucfride  fut  choi- 
sie pour  lui  succéder.  Cette  sainte  a 
le  titre  de  martyre  dans  tous  les  ca- 


(2)  Sou  nom,  réièbre  dans  le  treizième  siJcle  , 
se  lit  dans  le  martyrologe  anglais.  F.eland,  dans 
son  ninérairc,  dit  que  Guilhain,  un  des  princes  de 
NorthAVrtIes,  avait  donné  le  terrain  sur  lequel 
Ueuuon  fonda  à  Cluunoc-Wnuç  un  monastère  de 
religieux  blancs. 

(S"!  K<  Élérius,  dit  Léland,  dans  son  Itinéraire,  a 
été  de  tous  temps  en  vénération  cbe/  les  Gallois. 
Ori  croit  qu'il  avait  fait  ses  études  sur  les  bords  de 
l'Elivi  ,  où  est  aujourd'hui  la  ville  de  St.-Asaph.  11 
bâlil  dan.s  la  v.tllée  de  Cluide  deux  monastères 
qui  furent  (rès-fréquentés ,  l'un  pour  les  hommes, 
1  autre  pour  les  femmes-  Dans  celui-ci  était  la  très- 
noble  vierge  Guenwrède,  qui  avait  été  élevée  par 
Beunon,  et  à  laquelle  Caradoc  ,  furieux,  fit  couper 
la  tèle.  » 


VvlN  43 

lendriers  ;  et  les  divers  monuments 
qui  la  concernent  sont  d'accord  sur 
le  genre  de  sa  mort.  On  y  lit  que 
Caïadoc  ou   Cradoc  ,  fils  d'Alain  , 
prince  du  pays,  avait  conçu  pour 
elle  une  passion  violente, et  que,  ne 
pouvant  la  satisfaire ,  il  coupa  la  icte 
à  la  sainte,  qui,  pour  conserver  sa 
pureté,  allait  se  réfugier  dans  l'é- 
glise que  saint  Beunon  avait  fait  bâ- 
tir à  Holywell.  Robert  de  Shrews- 
bury   et    d'autres  ailleurs    ajoutent 
que  la  terre  engloutit  Caradocà  l'en- 
droit même  où  il  avait  commis  son 
crime;  que  du  lieu  où  la  tête  de  Wi- 
néfride  tomba  sortit  une  fontaine  mi- 
raculeuse, que  l'on  va  \  isiter  encore 
aujourd'hui  ;   que  le  fond  de  cette 
fontaine  est  semé  de  pierres  et  de 
morceaux  de  marbre  avec  des  veines 
rouges  ;  que  sur  ses  bords  croît  une 
mousse  qui  répand  une  odeur  très- 
agréable;  que  Winéfride ,  ressuscitée 
par  les  prièies  de  saint  Beunon,  por- 
ta depuis ,  au  cou  ,  un  cercle  rouge  , 
qui  é'ait  la  marque  de  son  martyre^ 
et  qu'elle  survécut  encore  long-temps 
à  saint  Beunon.  Cette  dernière  partie 
du  récit  ayant  donné  lieu  à  des  dis- 
cussions savantes,  avant  d'examiner 
les  faits  nous  rap])orterons  une  ob- 
servation que  sans  doute  on  trouvera 
judicieuse.  Des  auteurs  modernes  ont 
aussi  avancé  que  saint  Denis  ,  évêqùe 
de  Paris ,  et  d'autres  martyrs  étaient 
ressuscites  ou  avaient  survécu  à  leur 
propre  mort,  et  qu'ils  avaient  porté 
leur  tête  dans  les  mains  ;sur  quoi  Mu- 
ra toii  (4)  fait  la  remarque  suivante: 
«  Les  peintres,  pour  exprimer  le  gen- 
re de  mort  que  les  martyrs  avaient 
souffert,  les  représentaient  avec  des 
cercles  rouges  autour  du  cou,  ou  te- 
nant leur  tête  dans  les  mains  ,  com- 


(.'))    Prœf.  inspicil.  Ra\eniiatis  Jiisl. ,  tom.  I«'. , 
r-'"t.  ■}.,  p.  527. 


44 


WIN 


me  pour  rofTrir  à  Dieu  en  sacrifice. 
Le   peuple  aura  pris  à  la  lettre  ce 
qui  n'était  qu'une  invention  religieu- 
se, produite  par  l'imagination  des 
peintres ,  et  il  aura  bâti  sur  cela  des 
histoires  que  des  écrivains  crédules 
auront  adoptées  sans  examen.  Ces 
miracles  sont  certainement  possibles 
à  la  toute-puissance  divine  :  qui  ose- 
rait dire  le  contraire?  Mais  ici  il  s'a- 
git ,  non  de  possibilité ,  mais  de  faits  ; 
et  pour  les  admettre ,  il  faut  des  preu- 
ves capables  de  convaincre  l'homme 
qui  sait  rétléchir.  »  Sans  prendre  au- 
cun parti  sur  la  mort  de  Caradoc  et 
sur  la  résurrection  de  sainte  Winé- 
fridc  ,  nous  ne  ferons  que  citer  quel- 
ques faits  bien  certains  :  c'est  que 
dans  les  temps  les  plus  reculés ,  le 
pèlerinage  de  ïlolywell  était  extrê- 
mement fréquenté,  et  qu'on  y  accou- 
rait de  toutes  parts.  L'eau  de  la  fon- 
taiue  appelée  Sainte-  TVinéfride  est 
si  abondante ,  elle  sort  si  régulière- 
ment ,  qu'après  qu'on  a  vidé  le  bas- 
sin, lequel  contient  au  moins  deux 
cent  quarante  tonneaux ,  il  est  rempli 
en  moins  de  deux  minutes.  Le  doc- 
teur Linden  ,  qui  a  demeuré  long- 
temps sur  les  lieux,  parlant  de  cette 
fontaine  (5) ,  dit  :  «  La  mousse,  de 
couleur  verte ,  est  d'une  odeur  agréa- 
ble ;  elle  s'applique  avec  succès  sur 
les  plaies  ulcérées.  C'est  l'eau  qui 
communique  à  la  mousse  cette  odeur 
et  celte  vertu.  D'après  l'expérience 
de  plusieurs  siècles,  la  lèpre  ,  la  fai- 
blesse de  nerfs  et  d'autres  maladies 
dangereuses  ,  opiniâtres  ,  y  ont  trou- 
vé leur  guérison.  »  I!  existe  à  la  bi- 
bliothèque Coltonienne  une  Vie  ma- 
nuscrite de  sainte  Winéfride ,  écrite 
peu  après  la  conquête  de  l'Angleterre 
par  les  Normands ,  qui  y  sont  appe- 


'Si 
I 


WIN 

lés  Français.  Il  y  est  dit  que  le  corpi 
de  la  sainte  reposait  encore  à  Guth 
rin.  Robert,  prieur  de  Shrewsburyi 
donna ,  en  1 1 4o  ,une  nouvelle  Vie  dl 
sainte  Winéfride  (6)  ,  remarquablj 
en  ce  qu'il  y  est  parlé   de  la  trans^ 
lation  de  ses  reliques  en  1 1 38.  Ce 
auteur  ne  rapporte  que  ce  qu'il  avai 
trouvé  dans  les  mémoires  tirés  d( 
monastères  duNorth-Wales.  Une  ai 
tre  Vie  de  la  sainte  ,  qui  était  venue 
la  célèbre  abbaye  de  Ramsay ,  et  qui 
Ware  a  eue  entre 
que  quelques  autres  Vies  manuscri^, 
tes ,  ont  été  écrites  sur  d'anciens  m^ 
moires ,  et  en  partie  copiées  sur  R( 
bert  ,  dont    le  manuscrit ,   intitulé 
F  estivale  y  appartient  à  la  riche  bi- 
bliothèque de  Palgravedans  le  comté 
de  Suffolk.  A  ces  autorités  ou  ajoute 
le  témoignage  et  les  monuments  de 
toutes  les  églises  du  North  -  Wales  , 
avant  la  conquête  des  Normands,  où 
la  vie  de  sainte  Winéfride  est  unai 
mement  attestée.  Léland  ('j)  a  inse 
dans  son  Itinéraire  une  Vie  de  saii 
Winéfride.  Selon  l'ancien  panégyi 
que  manuscrit  dont  nous  avons  pî 
lé,  cette  sainte  mourut  le  ii  ju| 
Alford  et  Cressy  placent  sa  m( 
vers  la  fin  du  septième   siècle. 
1 1 38  ,  ses  reliques  ,  transférées  de 
Gutherin  à  Shrewsbury  ,  furent  dé- 
posées dans  l'église  de  l'abbaye  des 
Bénédictins  ,  que  Roger  ,  comte  de 
Montgomery ,  fit  bâtir  en  i  o83.  Ces 
peut-être  à  cause  de  cette  translatior 
que  la  fêle  delà  sainte  a  été  renvoyée 
au  3  novembre.  G — y. 

WINESALF.  r.  Galfrid. 
WINGAÏE  (  Edmund  ) ,  mathé 
maticicn  .  né  dans  le  comté  d'Yorl 
en  1593,  fit  ses  études  classiques  . 


(,ï)    On  chaljheaL  ï'7^'(iLcrs  , 
lialhs j  Londres,  1748. 


(G)    Celle  Vic,  traduite   du   latin  en  angl 

paru  à  Londres,  en  iG3ii  et  en  1717.. 
and    nalural    Jiot  {■jMLiue/arr  of  Great  nrUain,  0\{ord,  i' 

1744,  lom.  5e, 


n 


WIN 

Oxford,  et  vint  étudier  la  jurispru- 
dence à  Grays'inn ,  à  Londres  ;  mais  il 
cultiva  plus  assidiiment  les  mathéma- 
tiques. Etant  en  France  en  i6'24,  il 
y  publia  la  ngle  de  proportion,  in- 
Tente'c  par  Gunter  ,  et  donna  des  le- 
çons de  langue  anglaise  a.  la  princesse 
Henriette  -  Marie  (depuis  femme  de 
Charles  I^^^'.)  et  à  ses  dames  d'hon- 
neur. Après  son  retour  en  Angle- 
terre ,    il    parut  au  barreau  ,     et 
fut  élu  juge  suppléant.  Lorsque  la 
guerre  civile  eut  éclate ,  il  se  déclara 
pour  la   cause  populaire  _,    accepta 
l'emploi  de  juge  de  paix,  représenta 
le  comte  de  Bedford  au  parlement , 
et  devint  un  des  aiîidés  de  Cromwell. 
Il  mourut  en  i056.  Le  docteur  Hut- 
ton  le  regarde  comme  l'auteur  an- 
glais qui  a  écrit  avec  le  plus  de  clarté' 
sur  l'aritLme'tique.  On  cite  de  lui,  en- 
tre autres  ouvrages  :  I.  V  Usage  de  la 
règle  de  proportion  en  arithmétique 
et  en  géométrie^  ainsi  que  V usage 
des  logarithmes  des  nombres,  avec 
ceux  des  sinus  et   tangentes  (  en 
français),  Paris,  i623 ,  in-  12;  et 
(en  anglais)  Londres,  1626,  i645 
et  i658.  Dès  1620  on  avait  impri- 
me à  Lyon  la  Description  et  cons- 
truction des  logarithmes  ,  par   le 
baron  Napier  ou  Neper.  Ainsi  Win- 
gate  ne  fut  pas ,  comme  il  le  préten- 
dait, le  premier  qui  eût  introduit  les 
logarithmes  en  Frauce  (  V.  Brtggs 
et  Guînïer).  il  De  l'arithmétique 
naturelle  et  artificielle ,  ou  V  Arith- 
métique rendue  facile  ,  Londres  , 
i63o ,  in-S"*.,  souvent  réimprime'.  La 
meilleure  édition  est  deDodson.  III. 
Tables  des  logarithmes  des  sinus 
et  tangentes  de  tous  les  degrés,  etc., 
ai'ec  leur  usage  et  leur  application, 
ibid. ,  1 633 ,  iu-S».  IV.  Construction 
et  usage  des  logarithmes ,  avec  la 
résolution  des   triangles,   etc.  V. 
Ludus  mathematicus ,  ou  Explica- 


WIN  45 

tion  de  la  description ,'  de  la  cons- 
truction et  de  l'usage  de  la  règle 
numérique  de  proportion,  ib._,  i654, 
in  -  8'\  VI.  \j  Arpenteur  de  terre  , 
etc.,  in-8^.  VII.  Plusieurs  ouvrages 
de  jurisprudence  ,  oubliés  mainte- 
nant ,  tels  que  :  Abrégé  de  tous  les 
statuts  en  vigueur  depuis  la  grande 
charte  jusqu'en  1641 ,  i655,  in  8^.5 
réimprimé  plusieurs  fois,  et  continue' 
jusqu'à  168^.  Z. 

WINGHEN  (Joseph  Van),  sur- 
nommé le  Vieux  ,  peintre ,  naquit  à 
Bruxelles  en    i544)  ^  se  rendit  fort 
jeime  en  Italie ,  pour  se  livrer  à  la 
peinture.  A  peine   était-il  arrivé  à 
Rome  ,    qu'un  des   princes  de  l'É- 
glise le  prit   sous  sa  protection  ,  le 
reçut   chez  lui ,  et  pendant  quatre 
années  le    mit    à  portée    d'étudier 
avec  fruit  les  chefs-d'œuvre  que  cette 
ville  renferme.  Les  talents  de  Win- 
ghen  lui    acquirent  une  réputation: 
qui   le    devança   dans    sa    patrie  , 
et  lorsqu'il  fut  de  retour  à  Bruxel- 
les ,    après    une    absence    de  plu- 
sieurs années ,    le  duc  de  Parrhe , 
gouverneur  des  Pays-Bas,  charme' 
de  la  beauté  de  ses  ouvrages,  le  prit 
à  son  service  et  lui  accorda  le  titre 
de  son  premier  peintre.  Parmi  les 
ouvrages  qui  prouvent  que  cette  fa- 
veur était  méritée  ,  on  cite  la  Cène , 
qu'il  fit  pour  le  maître-autel  des  frè- 
res de  la  Charité.  Le  fond  d'archi- 
tecture avait  été  peint  par  Paul  de 
Vries.  Le  désir  de  voyager  ne  put 
retenir  Van  Winghen  au  service  du 
duc  de  Parme ,  qui  lui  permit  de  le 
quitter ,  et  qui  accorda  sa  place   à 
Otto  Venins.  En  i584  ,  il  était  éta- 
bli à    Francfort -sur -le- Mein  ,  011 
il  peignit    un    tableau     allégorique 
qui  fut  généralement  admiré.  11  y 
avait  représenté  l' Allemagne  sous  la 
figure  d'une  femme  nue  et  au  déses- 
poir ,  enchaînée  à  un  rocher  ,  et  que 


WIN 

[e  Temps  vent  délivrer  ,  après  avoir 
)ousse'  la  Tyrannie  ,  qui  ,  sous  la 
Igiire  d'un  liomrae  arme' ,  foule  aux 
pieds  la  Religion  et  ses  attributs. 
Quoique  ce  peintre  fût  actif  et  assidu 
au  travail  ,  le  nombre  de  ses  ta- 
bleaux est  aujourd'hui  peu  considé- 
rable ,  la  plupart  de  ceux  qu'il  avait 
peints  ayant  etë  détruits  ou  disperse's 
par  la  guerre.  Plusieurs  de  ses  com- 
positions owt  ete' exeVutoes  en  tapis- 
series ,  un  plus  grand  nombre  encore 
ont  été  gravées.  C'est  ainsi  qu'elles 
sont  connues.  Parmi  ses  tableaux 
encore  existants,  on  cite  Apelles  et 
Gampaspe,  Samson  pris  par  les  Phi- 
listins dans  les  bras  de  Dalila;  la 
Justice  prenant  l'Innocence  sous  sa 
prol(  ction  ,  Andromède  ,  etc.  Van 
Winghen  mourut  à  Francfort  ,  en 
i6o3.  —  Jéréinie  Van  Winghen  y 
le  jeune  ,  lils  du  précédent  ,  né 
à  Bruxelles  ,  en  1 5-^8  ,  fut  d'a- 
bord sou  élève ,  puis  celui  de  Fran- 
çois Badens  ,  à  Amsterdam  ,  et  se 
lit  de  bonne  hture  une  réputation 
comme  coloriste.  Il  voulut  ensuite 
visiter  l'Italie  ;  il  parcourut  donc 
les  villes  les  plus  célèbres  de  cette 
contrée ,  et  s'arrêta  particulièrement 
à  Rome.  Partout  oîi  il  eut  des  tra- 
vaux à  exécuter  ,  ils  furent  univer- 
sellement ap[)laudis. Quoique  pendant 
son  séjour  en  Italie  il  eût  fait  de  la 
])einture  historique  le  principal  objet 
de  ses  études,  de  retour  à  Francfort, 
où  il  s'établit,  il  se  livra  presque  ex- 
clusivement à  faire  des  portraits  , 
genre  pour  lequel  il  montra  un  talent 
supérieur.  Il  les  terminait  avec  le  plus 
grand  soin ,  et  la  vie  qu'il  savait  y 
répandre  ajoutait  encore  au  mérite 
de  la  ressemblance.  Cet  artiste  mou- 
rut en  1648.  P — s. 

WINOG  (  Saint  ) ,  premier  abbé 
de  Wormhouth  en  Flandre  ,  appar- 
tenait à  une  de  ces  familles  breton- 


WIN 

nés  qui  passèrent  en  France  pour  si 
soustraire  à  la  fureur  des  Anglo-Sa 
xons.  Il  était  fils  d'un  roi  de  celt< 
nation  nommé  Howel  III ,  et  frèr< 
des  rois  Salomun  et  Judoc.  S'étani 
associé  trois  jeunes  gcntilshommci 
bretons,  appelés  Quadenoc,  Inge- 
noc  et  Madoc,il  aborda  avec  eux  sur 
les  côtes  de  la  province  de  Bretagne, 
et  se  rendit  à  Saint-Omer ,  en  visi- 
tant les  monastères  de  la  France.  L 
régularité  qu'ils  remarquèrent  dauj 
celui  de  Sithiu,  appelé  depuis  sain 
Bertin,les  fr.ippa  tellement,  qu'il! 
y  prirent  l'habit.  Bientôt  leur  abbé! 
saint  Bertin,  les  désigna  pour  alîei 
fonder  un  monastère  sur  les  cotes  d< 
la  mer.  Un  gentilhomme  appelé  lie' 
rémar  leur  ayant  donné  la  terre  d( 
Wotmhoutli,  AVinoc  y  bâtit  un  hos- 
pice près  du  nouveau  monastère  doul 
il  fut  nommé  abbé.  Après  avoir  pas- 
sé sa  vie  à  servir  Dieu  et  à  secouril 
les  pauvres,  il  mourut  le  6  novera^ 
bre  717-  En  920,  le  comte  Bau 
douin- le -Chauve  ayant  fortifié  h 
château  de  Berg,  pour  défendre  s( 
états  contre  les  incursions  des  barba 
res,  les  reliques  de  saint  W^inoc  fu 
rent  transférées  en  un  lieu  qui  de;  uii 
s'estappelé  Berg-Saint-Winoc ,  c'est 
à -dire  MoiU-Saint-Winoc.  G — Y 
W 1  N  SEM  ou  W  l^^  SEMI  Ui 
(  Pierre  Van  )  ,  histoiien  et  poète, 
tirait  son  nom  d'un  village  de  Frise 
berceau  de  sa  famille.  Il  naquit ,  ven 
i586,  à  Leuvs'arde,  où  son  pei 
exerçait  les  fonctions  de  recteur  dei 
écoles  publiques.  Ayant  achevé  se! 
humanités  ,  il  alla  continuer  .--es  étu- 
des à  Franeker.  Après  s'être  perfec- 
tionné dans  la  connaissance  du  grec 
et  avoir  fait  ses  cours  de  logique  ejj 
de  physique ,  il  suivit  les  leçons  ai 
la  faculté  de  médecine  ,  et  par  soi 
application  mérita  l'estime  de  touj 
les  professeurs.  Cependant  ayant  en- 


WIN 

frcint    le   reglcirient    qui   défendait 
d'exiger  des  nouveaux  arrivants  le 
paiement  de  leur  bienvenue  ,  il  fut 
exclus  ,  en  1607  ,  de  cette  académie 
dont  plus   tard   il  devait  être  rec- 
teur. 11  fallait  que  le  de'sordre  fut 
l)icn  grand   pour  prendre  une  telle 
mesure  à   l'égard  d'un  élève  aussi 
distingue.  De  Franeker,  Winsera  se 
rendit  à  Leyde,  où  il  fréquenta    les 
cours  de  Dan.  Hcinsius  et  de  Paul 
IMerula  pour  les  belles-lettres  ,    de 
Pierre  Paiiw^  d'Éver.  Vorst  et  d'Otli- 
Hcurnius  pour  la  médecine.  Avant  de 
prendre  ses  grades  ,  il  voulut  com- 
pléter sou  instruction  par  des  voya- 
ges   dans   les    principaux  états    de 
l'Europe  ;  mais,  arrivé  en  Saxe  ,  il  se 
laissa  persuader  d'abandonner  la  mé- 
deciiie  pour  la  jurisprudence  ,  et  fit 
sou  cours  de  droit  dans  les  acadé- 
mies;  d'Erfurt    et    d'Ic'na.    11    vi- 
sita ensuite  plusieurs  universités  de 
Suède  et    de  France,  et  se  lit  le- 
cevoir  docteur,  en  1611  ,  à  la  fa- 
culté de  Cacn.   De   retour  à  Leu- 
warde,  après  une  absence  de   dix 
ans,  il  fréquenta  le  barreau*  mais 
dégoûté  liien'ôt  de  la  profession  d'a- 
vocat ,  il  prit  le  parti  de  se  retirer 
à  la  campagne,  et  se  livra  tout  en- 
tier à  son  goût  pour  la  poésie.  Les 
états  de  Frise  ,  désirant  donner  une 
dirccfion  utile  aux  talents  de  Win- 
sem  ,  lui  conférèrent ,   le  5  décembre 
1616  ,  la  cliarge  d'historiographe 
de  cette  province.  l'^n    iG3G,  il  fut 
nommé  professeur d'Iiistoire  et  d'é- 
loquence à  l'académie  de  Franeker; 
et  trois  ans  après  ,  en  ayant  été  dési- 
gné recteur,  il  ne  négligea  rien  pour 
y  rétablir  la  discipline.  Le  3i  octo- 
bre 1644^  Winsem  tomba  dans  une 
léthargie  dont  tous  les  secours  de  l'art 
ne  purent  le  tirer ,  et  il  mourut  le  1 1 
nov.,  à  l'âge  d'environ  cinquante-huit 
ans.  Martin  de  Vitringa,  un  de  ses 


WIN 


47 


collègues,  prononça  son  éloge  funè- 
bre. C'est  à  Winsem  que  Ton  doit  la 
publication  de  l'ouvrage  de  Popma  : 
De  orcUiie  et  usu  judicioriim  (  V. 
PoPMA,  XXXV,  406).  Outre  des 
Thèses  ^  des  Harangues  académi- 
ques et  des  Oraisons  funèbres  ,    on 
a  de  lui  :  L  Le  Droit  des  rois  d'Es- 
pagne sur  les  provinces  belges  (  en 
latin  et  en   flamand)  ,    Franeker  , 
iG'2i  ,  in-4'^  C'est  un  Mémoire  pour 
l'indépendance  des    Pays  Ras.    IL 
Chronique  ou  Histoire  de  la  Frise  , 
depuis  l'an  du  monde  3635  jusqu'à 
l'année  iG'2'2  [Chronique  of  te  his- 
toriche    Geschiednisse  f^an  Fries- 
land y  etc.),  ib.  ,  i()U2  ,in-fol.  ,f]g.  , 
cartes  et  plans.  III.  Fita  ,  res  gestœ 
ac  mors  Mauritiijmncip.Juriaci  , 
ibid. ,  1625,  in-4".  IV.  Historia- 
rum  ab  excessu  Caroli  V  Cœsar.  y 
sive  rerum  suh  Philippo  If  gesta-- 
runi  libriir ,  Leuwai'de  et  Franeker, 
i()'2C)-33  ,  in-4". .  2  vol. ,  nouv.  éd. 
augmentée  de  trois   livres  ,   ibid.  , 
i()4G,  in-fol.  Cette  histoire  des  Pays- 
Bas  sous  le   règne  de  Philippe    est 
très-estimée  par  les  protestants.  Pa- 
quot,  rpii  semble  avoir  pris  à  tache 
de  la  déprécier,  convient  cependant 
qu'elle  est  assez  exacte  :   «  quoique 
»  l'auteur  ail  dissimulé  presque  tout 
»  ce  qui  pouvait  faire  honneur  aux 
»  Espagnols  ,  et  qu'il  ait  maltraité 
»  de  temps  en  temps  les  catholiques 
»  et  leur  religion»  {Yoy.  Me'm.  litt. 
des  Pajs-Bas  ,  11 ,  3oo ,  éd.  in-fol.). 
N .  Amores y  Franeker^  1 63 1, in- 16. 
C'est  un  recueil  de  poésies  élégiaques 
dans    le    genre  antique.    Il   est  re- 
clicrché  des  amateurs  de  la    poésie 
latine.  VI.   Panegyricus  ad    Gus- 
tavum    II ,    Suecoram    regem    , 
Amsterdam  ,     i632  ,  in-fol. ,  Ley- 
de,   1637,    in- 12,    poème  en  vers 
héroïques ,  où  Ton  trouve  de  l'élé- 
gance  et  de  la   grandeur  dans  les 


46  WIN 

idées,  mais  peu  d'aisance  et  de  clar- 
té. VIL  Sirius  caniculœ  Stella  j  ciim 
notis  qiiihusd.  ,  Francker,  i638,in- 
12.  Ce  poème  est  estimé.  F.  Frcd. 
Ecrira  m  ,  Parer ga    Ostfrisica  ,  et 
Vriemoet,   Jthm.  Belgicœ,  Il  lui 
est  échappé   quelques    erreurs  que 
Paquot  a  re'evces  dans  les  Mémoi- 
res littéraires  déjà  cités.       W — s. 
WINSEM    ou    WINSEMIUS 
(MÉNÉLAs),  médecin  et  botaniste, 
irère  du  précédent ,  était  né  ,   vers 
i59i,à  Leuwarde  (i).  Ayantache- 
vé  ses  humanités  avec  succès ,  il  alla 
continuer  ses  études  à  Leyde ,  et  se 
rendit  bientôt  fort  habile  dans  l'art 
de  guérir.  Après  avoir  pratiqué  quel- 
que  temps  à  Embden ,  il  reçut   en 
1616  l'invitation  de  venir  professer, 
à  l'académie  de  Franeker ,  la  méde- 
cine ,  l'anatomie  et  la  botanique.  Il 
,  remplit  cette  triple  chaire  avec  un 
zèle  infatigable,  et  mourut,  le  i5 
mai  1639,  à  l'âge  de  quarante -huit 
ans.  Son  frère  lui  fit  élever ,  dans  l'é- 
glise de  Saint-Martin ,  un  monument 
décoré  d'une  épitaphe  dans  laquelle 
il  l'égale  aux  premiers  médecins  de 
l'antiquité.  Elle  est  rapportée  dans  le 
Dictionn.  d'ÉIoy ,  iv  ,  583 ,  et  dans 
les  Mémoires  littéraires  des  Pays- 
Bas,  par  Paquot,  11,  3oi  ,  éd.  in- 
fol.  A  des  connaissances  médicales 
très  -  étendues  ,  Ménélas  joignait   le 
goût  des  lettres.  On  dit  qu'il  possé- 
dait à  fond  la  langue  grecque.  Outre 
r  Oraison  funèbre  d'Adrien  Métius 
{Fof.   cè^nom,   XXVIII,  467), 
on    connaît  de  lui   un  Recueil  de 
Thèses  d'anatomie,  soutenues  sous 
sa  présidence ,  et  qu'il  publia  sous  ce 
litre   :    Compendium    anatomicum 
disputationibus    triginta     proposi- 
tum,  Francker ,  iQ'iS  ,  in-4'*.  On  n'y 
trouve,  dit  M.  Portai 


rien  d'origi- 


(i)  Ci'est  par  inadvertance   que  M. 
uaître  Ménéîas  à  Franeker. 


Portai  fait 


WIN 

naî.  A  peine  contiennent-elles  la 
menclaturc  des  parties  j  car  on  n*y'' 
lit  aucune  description.  Les  auteurs 
se  sont  contentés  de  puiser  dans  les 
anciens,  qu'ils   n'ont  pas  toujours 
bien  entendus.  Voy.  Hist.  de  l'ana- 
tomie ,  V ,  622.  W — s. 
WINSEMIUS.  F,  Wtnshemius. 
WINSUECOMB  ou  WINCHES- 
COMB     (  Jacques  )  ,  nom  juste- 
ment fameux   dans  les   chroniques 
anglaises,   était ^   sous   le  règne  de 
Henri  VIII,  un  riche  fabricant  de 
draps  dans  la  ville  de  Newbury  ,  où 
il  occupait  seul  jusqu'à  cent  métiers. 
Lorsqu'en  i5i3  le  roi  Henri  eut  dé- 
claré la  guerre  à  Jacques  IV  (Stuart), 
roi  d'Ecosse ,  Winchescomb  eut  la 
passion  de  signaler  à-ia-fois  sa  loyau- 
té envers  son  prince ,  et  son  amour 
pour  son  pays.  Des  cent  chefs  de  ses 
cent  métiers  il  forma  une  compa- 
gnie de  cent  hommes  d'armes ,  qu'il 
équipa  tous  à  ses  frais  ,  s'en  établit 
le  capitaine  ,  l'es  conduisit  à  l'armée 
royale ,  et  contribua  efficacement  à 
la  victoire  sanglante  de    Flodden- 
field  _,   oii  le  roi  d'Ecosse  fut  tué  , 
après  avoir  fait  inutilement  des  pro- 
diges de  valeur.  Satisfait  de  la  gloire 
d'avoir  eu  part  à  un  triomphe  si 
éclatant ,  le  capitaine  redevint  fabri- 
cant ,  ramena  sa  petite  armée  à  ses 
nombreuses  manufactures,  et,  aussi 
bon  citoyen  qu'il  avait  été  brave  sol- 
dat y  employa  une  partie  de  sa  for- 
tune ,  toujours  croissante,  à  enrichir 
sa  ville  natale  de  constructions  utiles 
et  de  pieuses  fondations.  On  l'appe- 
lait communément  Jacques  de  New- 
bury. La  reconnaissance  des  habi- 
tants s'est  perpétuée  jusqu'à  ce  jour , 
de  génération   en  génération.  Tant 
que  sa  maison  a  subsisté,  ils  l'ont 
montrée  à  tous  ceux  qui  venaient  vi- 
siter leur  ville,  et  ils  montrent  au- 
jourd'hui, avec  le  même  sentiment, 


WIN 

une  tour  qu'il  a  fait  construire ,  et 
une  cil  aire  artistemeut  travaille'e,dont 
il  a  orne'  une  de  leurs  principales 
églises.  L'académicien  français  ,  au- 
teur des  Mémoires  sur  la  vie  de 
Bolingbroke  y  nous  paraît  avoir  été' 
injuste,  lorsqu'après  avoir  reconnu 
que  Wincliescomb  avaitfait  un  bien 
immense  à  ses  concitoyens,  il  lui  a 
reproche'  comme  wue  faiblesse  d'a- 
voir été  aussi  le  bienfaiteur  de  l'E- 
glise. Le  reproche  serait  mérité  si  le 
donataire ,  immodéré  dans  ses  dons  , 
eût  privé  ses  héritiers  légitimes  d'une 
partie  considérable  de  sa  succession , 
pour  ajouter  à  la  richesse  de  moines 
opulents  ;  mais  il  s'en  faut  bien  que 
Jacques  Winchescomb  ait  déshérité 
sa  famille  des  biens  qu'il  avait  acquis 
par  sa  noble  et  patriotique  industrie. 
Son  descendant  direct ,  sous  le  règne 
de  Charles  II  ,  était  le  chevalier- 
baronnet  Henri  Winchescomb  de 
Bucklebury  dans  le  comté  de  Berks. 
La  richesse  de  ce  gentilhomme  était 
.si  considérable  que  sa  fille  ,  quoique 
cohéritière  avec  son  frère  aîné  de  la 
fortune  paternelle ,  fut  jugée  un  parti 
excellent  et  très  -  desiralole  pour  le 
célèbre  lord  vicomte  de  Bolingbroke, 
alors  Henri  Saint- Jean.  La  dot  qu'elle 
lui  apporta  fut  une  des  dernières  res- 
sources de  cet  illustre  personnage  , 
lorsque  les  incroyables  vicissitudes 
qui  ont  rempli  sa  destinée  l'eurent 
précipité,  du  faîte  de  la  puissance  et 
de  la  richesse,  dans  l'abîme  de  la  pros- 
cription  et  de  la  détresse.  L — T — l. 
WINSHEMIUS  ou  de  WIND- 
SHEIM  (  Fitus-Ortelius),  phi- 
lologue, naquit,  en  i5oi ,  dans  un 
bourg  de  la  Franconie  ,  dont  il 
prit  le  nom ,  suivant  l'usage  com- 
mun des  savants  de  son  siècle. 
Ayant  achevé  ses  études  à  l'aca- 
démie de  Wittemberg ,  il  y  reçut  le 
grade  de  docteur  dans  la  faculté  de 


WIN  49 

médecine.  Mais  il  fut  pourvu,  peu 
de  temps  après,  de  la  chaire  de  lan- 
gue grecque ,  et , renonçant  à  la  prati- 
que de  l'art  médical,  il  se  consacra 
tout  entier  à  l'enseignement  littéraire. 
Winshemius  mourut  le3  janv.  lô^o. 
Outre  une  édition  augmentée  et  corri- 
gée de  la  Syntaxe  latine dieMé\3Lïïc\\- 
thon ,  Strasbourg ,  1 538 ,  in-8o. ,  on 
connaît  de  ce  professeur  des  tra- 
ductions latines  :  i«.  de  la  Seconde 
Harangue  de  Démosthènes  contre 
Aristogiton ,  Haguenau  ,  i^'i^,  in- 
8".  j  2°.  des  Tragédies  de  Soj)hoclc 
(en  prose) ,  Francfort,  i546,  in-8'>.; 
cette  version ,  excessivement  médio- 
cre, soit  pour  le  style,  soit  pour  la 
fidélité  ou  la  netteté  de  l'interpréta- 
tion, a  cependant  été  reproduite, 
faute  de  mieux  ,  Heidelberg ,  1 597  , 
in -8».,  et  avec  les  notes  tant  de 
Joach.  Camerarius  que  de  Henri 
Estienne ,  Genève ,  1 6o3  ,  in- 4^.  ;  3*^. 
des  Idylles  de  Théocrite  (en  vers) , 
Francfort,  i558,in-8". ,  très-rare; 
l\^.  de  V Histoire  de  Thucydide, 
Wittemberg,  i56g,  in-fol.;  ibid.  , 
1 58o ,  \n-'6^.  Ses  autres  ouvrages  sont 
wiit  Préface  y  ou  introduction  à  la  lec- 
ture d'Homère  ;  —  des  Harangues 
prononcées  à  l'académie  de  Wittem- 
berg :  De  studiis  linguœ  grœcœ  ; 
De  dialecticd;  Declamatio  in  cjud 
recitatur  quomodb  Guelfus,  dux  Ba- 
s^aricCy  liberatus  sit  periculo  in  obsi- 
dione  Winsbergensi  y  cumfilio  ho- 
nesto  ,  sed  vafro  conjugis  suœ  ;  les 
Oraisons  funèbres  de  Mélanchthon , 
de  Grég.  Pontanus  et  de  Sebald. 
Numyter.  L'édition  originale  de  V  O- 
r«/5ow/wwèère de  Mêla nchth on,  Wit- 
temberg, i56o,  in -40.,  est  placée 
parmi  les  livres  rares  (  Voy.  la  Bibl. 
de  Bauer).  Elle  a  été  réimprimée 
dans  différents  recueils  (  Voy.  le  Gâ- 
tai, de  Bunau  ).  Les  différents  opus- 
cules de  Winshemius  q;i'ori  vient  de 


5o  WIN 

citer  se  trouvent  reunis  dans  le 
tome  V  des  Déclamations  de  Me'- 
lanclilhou.  —  Winsuemius  (  Fi- 
tus-OrtcUus  ),  fils  du  piëcëdent  , 
ne  à  Witlemberg  en  iSai  ,  marcha 
d'abord  sur  les  traces  de  son  pè- 
re ,  fut  reçu  docteur  en  droit ,  par- 
courut l'Italie^  se  fitnommer  profes- 
seur à  l'université  dePavie  ,en  i5£l7_, 
et  trois  ans  après  revint  à  Wiltem- 
berg  où  il  remplit  une  chaire  deju- 
risprudence.  Dans  la  suite  il  fut  iait 
conseiller  aulîque  du  prince  Auguste 
de  Saxe,  rpii  l'employa  dans  plu- 
sieurs ambassades.  Divers  princes 
d'Allemagne  lui  donnèrent  aussi  le 
titre  de  conseiller  ,  entre  autres  le 
roi  de  Danemark j  et,  en  1087,  il 
devint  doyen  de  la  cathédrale  de 
Hambourg.  Il  mourut  le  i3  nov. 
1608,  laissant  des  Programinata 
et  un  Discours  latin  sur  Albert  de 
Saxe  y  imprimés  dans  les  Déclama- 
tions de  Méianchthon.  Il  avait  aussi 
donné  une  édition  de  la  traduction 
de  Thucydide  ,  par  son  père  ,  avec 
scolies.  W — s. 

WINSLOW  (Edouard),  gou- 
verneur de  la  colonie  de  Plymouth 
dans  l'Amérique  du  nord,  fut  un  des 
premiers  Anglais  qui  s'établirent  dans 
cette  contrée,  en  lô^o.  Doué  de  beau- 
coup de  courage  et  d'activité,  il  ren- 
dit de  grands  services  aux  colons  dans 
leurs  rapports  avec  les  Indiens.  Nom- 
mé agent  de  la  colonie  auprès  de  la 
métropole,  il  revint  en  Aiigleterre  , 
et  retourna  bientôt  à  la  nouvelle  Ply- 
mouth ,  avec  le  titre  de  gouverneur. 
En  i655  ,  il  fut  du  nombre  des  com- 
missaires que  l'on  chargea  de  sur- 
veiller une  expédition  contre  les  Es- 
pagnols dans  les  Indes  occidentales  j 
mais  cette  expédition  essuya  un  échec 
près  de  Saint-Domingue, et  Winslow 
mourut, en  passant  d'Hispaniola  à  la 
Jamaïque,  le  8  mai  i655.  Il  avait 


WIN 

publié  :  I.  Les  bonnes  nouvelles  de 
la  Noui^elle-  Angleterre ,  ou  rela- 
tion des  choses  remarquables  dans 
cette  plantation  ,  avec  une  Notice 
sur  les  Indiens.  Cet  ouvrage  a   été 
imprimé  plusieurs  fois.  II.  V Hypo- 
crite démasqué  y   ayant  trait  à  la 
communion  des    Églises  réformées 
avec  les  indépendantes.  — Winslow 
{Josué)y  fils  du  précédent,  fut  gou- 
verneur de  Plymouth  ,  depuis  iGSj 
jusqu'à  1680,  époque  où  il  mourut, 
après  avoir  commandé  avec  honnçur 
les  forces  de  cette  colonie  dans  diffé- 
rentes  expéditions.  —  W  i  n  s  l  o 
{Jean)^  petit-fils  du  précédent,  étaî 
capitaine  dans  la  malheureuse  expé 
dition  de  Cuba,  en  1740  ;  il  devin 
major -général,  fit  plusieurs  cani 
pagnes  en  cette  qualité  ,  notammen 
dans  les  guerres  contre  la  France 
et  mourut  à  Hingham  ,  en    1774 
à  l'âge  de  soixante-onze  ans.     Z. 

WINSLOW   (  Jacques  -  Béni 
gne),  analomiste,  naquit  à  Odensé 
dans   l'île    de    Funen  ,    en   Dane 
mark  ,  de   Pierre  Winslow  ,    paj 
teur    luthérien  ,    le  1   avril    166c 
Destiné  par  sa  naissance  à  l'état  ec 
clésiastique ,  il  passa  ,  comme  Boei 
haave  ,  de  l'étude  de  la  théologie 
celle  de  la  médecine,  dont  il  apprit 
dans   sa   patrie  ,   les  premiers  éh 
ments  sous  Borrich.  Il  se  mit  ensuit 
à  voyager  (i  697)  pour  se  perfectioi 
ner,  séjourna  en  Hollande,  et  de  li 
vint  en  France ,  vers  le  commencej 
ment  de  l'année  i6u8.  C'était  l'épo^ 
que  où  l'astre  du  grand  roi  commen- 
çait à  pâlir.   Louis  XIV  paraissait 
presque  entièrement  occupé  du  projet 
de  ramener  au  sein  de  l'église  catho- 
lique les  protestants  de  ses  états.  La 
conversion  d'un  hérétique  de  quel- 
que importance  était  alors  célébrée: 
comme  naguère  la  conquête  d'une 
province^  et  rien  ne  coûtait  poun 


WIN 

l'obteuir.  C'est  dans  de  telles  circons- 
tances que,  comme  Voltaire  l'a  dit  de 
Pelissou  ,  Winslow  eut  le  bonheur 
d'être  éclaire  et  de  cliangor  de  reli- 
gion dans  un  temps  où  ce  change- 
ment pouvait  le  mener  aux  dignités 
et  à  la  fortune.  Il  fit  abjuration  en- 
tre les  mains  de  Bossuct,  le  8  octo- 
bre   i6gq.  On  comprend  bien  que 
tous  les  chemins  s'aplanirent  devant 
le  nouveau  converti  y  et   que  sous 
les  auspices  de  l'ilhistre  e'veque  de 
Meaux  ,  qui  voulut  bien  lui  servir  de 
j    parrain  ,    et   lui  donner  ses   deux 
I'    prénoms,  Winslow  obtint   rapide- 
:    ment   les    avantages   que    sa    pro- 
fession pouvait  lui  procurer.  La  fa- 
culté de  médecine  l'admit  à  prendre, 
sans  frais ,  tous  ses  grades ,  et  l'élo- 
quent pi-élat ,  malgré  les  infirmités 
qui  l'accablaient ,  ne  dédaigna  poijit 
de  se  faire  transporter  aux  écoles 
pour  l'entendre  soutenir  la  ])remicre 
de  ses  thèses.  Reçu  docteur  de  la  fa- 
culté de  médecine  de  Paris ,  Wins- 
lowr  devint  ensuite  (1707)  membre 
de  l'académie  des  sciences ,  interprète 
de  la  langue  teutonique  à  la  biblio- 
thèque, puis,  à  la  mort  d'Hunault, 
professeur  d'anatomie  et  de  physio- 
logie au  jardin  du  Roi ,  etc.  Loin  de 
nous  toutefois  la  pensée  que  la  con- 
version de  Winslow  ne  fût  pas  le 
fruit  d'une  conviction  sincère ,   ou 
qu'il  ne  méritât  pas  les  honneurs  et 
les  avantages  dont  il  fut   condjlé. 
Bossuet  avait  ramené  dans  le  sein  de 
l'église  un  homme  d'un  mérite  émi- 
nent,  et  bientôt  son  talent  justilia 
;    ses  protecteurs.  A  leur  tête  était  Du- 
ti  verney,  auquel  Winslow  dut  autant 
■    qu'à  ses  goûts  peut-être  de  faire  de 
i    i'anatomie  l'objet  spécial  de  ses  étu- 
-    des.  Ce  fut  en  qualité  d'élève  de  Du- 
e    verney ,  et  comme  auatomiste ,  que 
f   l'académie  des  sciences  l'admit  au 
r   nombre  de  ses  membres ,  et  de  ce 


WIN 


5i 


moment,  1707  ,  il  s'adonna  presque 
exclusivement  aux  recherches  ana- 
tomiques ,  publiant  leurs  résultats 
dans  une  foule  d'excellents  Mémoi- 
res ,  dont  les  plus  curieux  sont  relatifs 
à  l'action  des  muscles.  Dans  son  grand 
ouvrage  qui  parut  en  1732,  sous 
le  iilit  à^  Ex  position  anatoi  nique  du 
corps  humain ,  la  myologie  est  aussi 
sans  contredit  ce  qu'il  y  a  de  meil- 
leur et  de  plus  soigné.  Le  traité  d'a- 
natomie de  Winslow  fut  long-temps 
classique  dans  nos  écoles,  et  n'a  mê- 
me été  tout-à-fait  abandonné  qu'à 
l'époque  oîi  la  connaissance  des  rap- 
ports de  situation  qu'ont  entre  eux 
nos  organes  devint  l'objet  le  ])lus 
important  de  la  science  ,  princij)ale- 
ment  dirigée  vers  l'utilité  chirurgi- 
cale. On  y  trouve  inséré  en  entier  le 
travail  deSténon  ,  sur  I'anatomie  du 
cerveau.  Ce  savant  danois  était  le 
grand-oncle  de  Winslow  ;  comme 
lui  converti  par  Bossuet  à  la  foi  ca- 
tholique ,  il  abandonna  la  médecine 
])0ur  la  théologie,  et  finit  ses  jours 
dans  le  Nord,  où  il  était  devenu  évê- 
que  inpartihus  {V.  Stenon  ).  Bien 
que  Borelli,  dans  la  première  partie 
de  son  ouvrage  De  motu  anima- 
lium ,  eût  donné  la  solution  d'une 
foule  de  problèmes  relatifs  à  l'action 
musculaire,  la  mécanique  des  mou- 
vements de  l'homme  fut  pour  Wins- 
low un  champ  fécond  en  découver- 
tes. Le  premier  il  démontra  que  l'ac- 
tion en  apparence  la  plus  simple  ,  le 
mouvement  le  moins  compliqué  exi- 
geait la  coopération  et  le  concours 
d'une  multitude  de  muscles ,  par  la 
nécessité  dans  laquelle  se  trouve  celui 
ou  ceux  qui  produisent  le  mouve- 
ment d'avoir  un  point  fixe  d'action. 
Ainsi^  par  exemple,  un  homme  cou- 
ché sur  le  dos,  et  étendu  sur  un  plan 
parfaitement  horizontal,  ne  peut  flé- 
chir la  tête  sans  que  tous  ses  muscles 
4.. 


bi 


WIN 


jusqu'à  ceux  de  la  plante  des  pieds 
ne  soient  de  proche  en  proche  obli- 
ges à  se  contracter.  De  cette  consi- 
dération importante  se  déduisent  une 
foule  de  préceptes  relatifs  au  traite- 
ment des  maladies,  à  l'exploration 
facile  et  fidèle  du  bas-ventre  _,  à  la  ré- 
ducliou  des   hernies,  etc.,  etc.  Au 
temps  de  Winslow  l'anatomic  hu- 
maine n'était  point  comme  de  nos 
jours  une  science  pour  ainsi  dire  vul- 
gaire 'y  et  bien  qu'indispensable  aux 
médecins,  elle  était  presque  entière- 
ment ignorée  du  plus  grand  nombre 
d'entre  eux.  Plusieurs  se  rappellent 
encore  ce  temps  où  l'on  appelait  aux 
consultations  médicales  un  médecin 
anatomiste ,  chargé  de  palper  le  ma- 
lade et  d'explorer  la  partie  du  corps 
dans  laquelle  on  soupçonnait  le  siè- 
ge principal  de  la  maladie  •  et  le  res- 
pectable M.  Portai  nous  a  plusieurs 
fois  raconté  qu'à  son  arrivée  à  Paris, 
ce  fut  surtout  à  ce  genre  de  talent 
qu'il  dut  ses  premiers  succès.  Cette 
sorte  d'application  pratique  de  ses 
connaissances  en  anatomie  et  l'ensei- 
gnement de  cette  science  occupèrent 
principalement  Winslow  durant  sa 
longue  carrière ,    sans    l'empêcher 
toutefois  de  se  livrer  avec  ardeur  à  une 
multiplicité  de  travaux  particuliers 
dont  il  nous  suffira  de  signaler  les 
plus  importants.  Lemery  avait  ex- 
pliqué les  monstruosités  en  les  attri- 
buant à  la  confusion  de  deux  germes 
qui  en  s'unissant  perdaient  chacun 
plus  ou  moins  de  leurs  parties  :  Wins- 
iow   prétendit   qu'au    contraire  les 
monstres  venaient  d'un  seul  germe  , 
primitivement  monstrueux  •  et  voilà 
la  guerre  allumée.  La  controverse 
produisit  une  foule  de  mémoires  et 
de  répliques.  La  question  s'embrouil- 
lait de  plus   en  plus.  Chacun  des 
contendants  persista  et  mourut  dans 
son  opinion ,  dont  il  était  réservé  à 


WIN 

notre  siècle  de  démontrer  la  fausse-l 
té.  On  sait  aujourd'hui,  et  ces  véri- 
tés résultent  d'une  multitude  de  faitJ 
judicieusement   rapprochés   et    soi^ 
gneuscmentcomparés,  que  la  machine 
humaine,  loin  d'être  constituée  d'uu 
seuljet,  se  compose  de  parties  d'abord 
séparées ,  et  se  forme ,  pour  ainsi  dire^ 
pièce  à  pièce.  En  outre ,  le  fœtus  de 
l'homme  parcourt  toute  l'échelle  de 
l'animalité  avant  d'arriver  au  com- 
plément d'organisation  qui  l'élève  au- 
dessus  des  embryons  et  des  fœtus  des 
autres  espèces  )  en  sorte  que  les  mons^ 
très  ne  sont,  pour  la  plupart,  que 
des  individus  arrêtés  dans  leur  déve-« 
loppement,  et  présentant  des  orga- 
nisations incomplètes ,  dont  on  peut 
trouver  les  analogues  dans  les  espè- 
ces inférieures.  C'est  ainsi  que  l'ob- 
servation attentive  des  monstruosités 
ou  vices  de  conformation  que  les  en- 
fants apportent  en  naissant,  a  con-j 
tribué  à  faire  découvrir  une  des  Wii 
les  plus  importantes  de  l'organisa-l 
tien ,  et  montre  que  loin  de  pouvoil 
être  regardés  comme  des  écarts  dj 
la  nature ,  les  monstres  prouvent  ai 
contraire  que,  dans  la  production  de^ 
êtres  vivants ,  elle  suit  une  march( 
constamment   régulière.   Winslow 
dans  sa  jeunesse,  avait  couru  deux 
fois  le  danger  d'être  inhumé  vivant- 
C'en  était  plus  qu'il  ne  fallait  sans 
doute  pour  fixer  son  attention  sui 
Vincertitude  des  signes  de  la  mort. 
dont  il  fit  le  sujet  d'un  ouvrage  ce 
deux  volumes  in- 12  ,  publié  en  l'ani 
née  174^  y  et  auquel  il  avait  préludé 
deux   ans  auparavant  par  son  An 
mortis  incertat  signa  minus  incerta 
à  chirurgicis  quàm  ab  aliis  experi- 
mentis  ?  (Paris,    l'j^Oj  in-4*^.  ) 
Cette  longue  Dissertation ,  c'est  le 
nom  que  Winslow  lui  donne,  laisse , 
comme  l'ont  laissée  tous  les  traites 
postérieurs  relatifs  à  la  matière,  la 


i 


WIN 

question  indécise,  ou  plutôt  établit 
que  les  phénomènes  de  la  putréfac- 
tion sont  les  seuls  signes  incontesta- 
bles de  la  mort  réelle.  Plus  versé  dans 
la  connaissance  de  la  structure  hu- 
maine que  tous  les  médecins  de  son 
époque  j  Winslow  se  montra  le  plus 
timide  dans  la  pratique  de  la  méde- 
cine ;  et  bien  que  l'on  ait  évidemment 
exagéré  cette  timidité,  en  racontant 
qu'il  n'administra  jamais  deux  onces 
de  manne  sans  trembler ,  il  est  juste 
d'avouer  qu'il  ne  se  livrait  qu'avec 
répugnance  à  la  pratique  de  la  mé- 
decine, domiué  sans  doute  par  la 
même  pensée  qu'un  des  anatomis- 
tes    les    plus   distingués   de    notre 
âge  ,  le   célèbre  Mascagni  ,  lequel 
s'en  est  toujours    abstenu  ,    parce 
qu'il  la  jugeait,  disait-il,  troppo  pe- 
ricolosa.  Winslow  termina  en  1760 
sa  longue  et  utile  carrière  ,  à  l'âge 
de  quatre-vingt-onze  ans,  laissant  de 
son  mariage,  contracté  à  quarante 
ans^  un  fils  mort  capitaine  de  vais- 
seau ,  sans  postérité ,  et  une  fille  dont 
les  descendants  exercent  encore  la 
médecine  à  Paris  ,  non  sans  distinc- 
tion. \J Exposition  anatomique  de 
la  structure  du  corps  humain  _,  Pa- 
ris^ 1732,  I  vol.  in-4°.  ?  ou  quatre 
tomes  in-i  2  ,a  été  fréquemment  réim- 
pi'imée  dans  le  cours  du  dernier  siècle, 
et  traduite  en  latin  (Francfort,  17  53, 
in-8«. ,  Venise,  1758  ,  in-8».  )  ,  en 
italien  (  Naples,  1746  7  in -8°.)  ,  en 
anglais  (Londres,  i733,in-4'^0 ,  et  en 
allemand  (Berhn,  1733  ,  in-80.)  Ou- 
tre ce  principal    ouvrage,  Bruhier 
publia  séparément  \aDissertation  sur 
l'incertitude  des  signes  de  la  mort , 
Paris,  174^  ,  grossie  par  des  addi- 
tions au  point  de  former  deux  volu- 
mes in-i  2.  Mais  le  plus  grand  nombre 
des  travaux  de  Winslow  existe  dans 
la  collection  des  Mémoires  de  l'aca- 
d(;niie  des  sciences  ,  dont  il  fui  l'un 


WIN 


53 


des  membres  les  plus  laborieux  :  on 
y  trouve  aussi  son  Eloge  prononcé 
par  Grandjean  de  Fouchy  le  12  no- 
vembre 1760.  R — c — D 

W^NSTANTLEY  (William), 
biographe  anglais ,  vécut  sous  les  rè- 
gnes de  Charles  I*^»'. ,  Charles  II  et 
Jacques  II.  Il  avait  d'abord  exercé 
le  métier  de  barbier.  Ses  écrits  ne 
se  distinguent  point  par  un  grand 
mérite;   mais  on  y  trouve  des  faits 
qu'on  chercherait  inutilement  dans 
des  écrivains  d'un  ordre  supérieur. 
On  a  de  lui  :  I.   Fies  des  poètes. 
L'auteur  ne  s'est  pas  fait  scrupule 
de  prendre,  sans  l'avouer,  les  juge- 
ments sur  les  poètes  anglais ,  dans  le 
Theatrumde  Phillips ,  et  dans  d'au- 
tres ouvrages.  II.  Fies  des  person- 
nages éminents  de  V Angleterre .\jdi 
première  édition  contenait  des  notices 
sur  les  héros  de  la  république;  mais 
les    circonstances    politiques   ayant 
changé ,  Winstantley  s'empressa  de 
remplacer ,  pour  la  seconde  édition , 
ces  notices  par  d'autres  _,  conformes 
à  l'esprit  du  jour.  Aussi  les  ama- 
teurs qui  recherchent  encore  ses  ou- 
vrages réunissent-ils    les  deux  édi- 
tions de  1660  et  1684  ,  afin  d'avoir 
l'œuvre  complète.  III.  Barètes  his- 
toriques. IV.  Le  Martyrologe  royal. 
V.  Des    Poésies  et   quelques  Noti- 
ces détachées.  Tous  ces  écrits  furent 
imprimés  dans  le  format  in-8'\     L. 
WINSTON  C  Thomas  ) ,  médecin 
anglais,   né   en    1576 ,  étudia  son 
art  sous  Fabricius  d'Aquapendente  , 
Prosper  Alpin  ,  Gaspard  Bauhin  ,  et 
reçut  le  doctorat  à  Padoue.  Il  s'éta- 
blit à  Londres  vers  1607  ;  fut  élu 
membre  du  collège  des  médecins ,  et 
professeur  de   médecine  du  collège 
Gresham,  en  i6i5.  Cette  chaire  fut 
occupée  par  lui  jusqu'en   1642  ;  il 
vint  alors  en  France  ,  et  ne  rentra 
en  Angleterre  qu'après  que  les  trou- 


54  WIN 

blcs  y  furent  apaises.  Il  mourut  le 
'Al^  ocLi6j5.  Ses  Lee oiisd'ajiatomie, 
imprimées  en  iGSget  1664,  in-B*^., 
furent  regardées  comme  ce  qu'il  y 
avait  alors  de  pins  complet  en  ce 
genre  dans  la  langue  anglaise.  Z. 
W  I N  ï  E  R  (  George-Simon  ) , 
écuyer  et  vétérinaire ,  né ,  dans  le 
dix-septième  siècle,  d'une  famille  ori- 
ginaire duduclié  de  Clèves , consacra 
sa  vie  entière  à  l'étude  et  à  Ja  prati- 
que de  son  art.  De  grands  seigneurs  , 
des  princes  même  suivirent  ses  le- 
çons. On  est  surpris  que  les  biogra- 
phes allemands,  tels  que  Vogt,  Beyer, 
Freytag  ^  n'en  aient  but  aucune  men- 
tion. Il  consigna  les  résultats  de  son 
expérience  dans  plusieurs  ouvrages* 
qui  sont  très-recliercliés  :  I.  Trac- 
tatio  nova  de  re  equarid,  complec- 
tens  partes  très  ,  IN  uremberg .  1 6-^  a , 
in-fol.  de  169  pag. ,  lig.  L'auterr  y 
traite  de  la  connaissance  des  che- 
vaux ,  de  leur  éducation  ,  et  des 
moyens  curalifs  ci  employer  dans 
leurs  maladies.  Le  texte  allemand  est 
accompagné  de  trois  traductions  , 
latine,  italienne  et  française.  Cet  ou- 
vrage a  été  réimprimé  avec  des  ad- 
ditions ,  ibid.  ^  lÔS^  ,  et  1 708 ,  in-fol. 
de  223  pag.  La  prernière  édition 
ne  contient  qnè  34  planches  ,  la  se- 
conde et  la  troisième  en  renferment 
4-B.  L'édition  de  t7o3  n'est  pas, 
comme  le  dit  M.  Brunet  {Manuel  du 
libraire ,  au  mot  FTinter)^  la  même 
que  celle  de  1687  ?  ^^^^  "^  nouveau 
frontispice  j  c'est  réellement  une  nou- 
velle réimpression.  II.  Nouveau 
traité  de  l'art  du  maîiége,  JJlm  ^ 
1674,  in-fol.  (  alL).  III.  Belle- 
rophon,  sive  Eqiies  peritus  y  hoc 
est  artis  equestris  accuratissima 
institutio  ,  latin  et  allemand  ,  Nu- 
remberg ,  1678,  in-fol.  avec  ii5 
planches.  L'auteur  y  traite  de  l'art 
de  Téquitation  ,   et  donne  les  pré- 


WIN 

ceptes  les  plus  propres  à  former  un 
cavalier.  III.  Hippiater  experlus  , 
seu  medicina  equorum  ahsolutissi-  _- 
ma  tribus  libris  comprehensa ,  latin  il 
et  allemand ,  ibid.  ,   1678  ,  in-fol.  ,  ■■ 
avec  fig. ,   et  orné  du   portrait  de 
Winter.  C'est  un  traité  complet  de 
l'art  vétérinaire.  Il  y  en  a  deux  édi- 
tions in-8*^.,  avec  pi.,  Nuremberg, 
1767  et  1778.  W— s. 

WINTER  (NicoLAs-SiMON  Van), 
poète  hollandais,  né  à  Amsterdam  en 
17  18,  fut  élevé  dans  le  goût  des  let- 
tres et  des  muses.  A  portée  d'orner 
son  esprit  de  connaissances  étendues 
et  variées ,  il  ne  tarda  pas  à  faire 
preuve  lui-même  d'heureuses  dispo- 
sitions pour  la  poésie.  Sa  première 
production  fut  un  petit  poème  in- 
titulé Cdin  et  Jbel,  en  174^7  mdÀ?, 
il  prit  un  tout  autre  essor  dans 
son  poème  de  VAmstel ,  en  six 
chants ,  Amsterd. ,  1755,  in-4*'.  Une 
imagination  riante  et  féconde,  une 
grande  pureté  de  diction  et  de  sty- 
le, un  rare  talent  pour  le  genre  des- 
criptif ,  recommandent  cet  ouvra- 
ge, dont  le  sujet  est  le  fleuve  qui  don- 
ne son  nom  à  la  ville  d'Amsterdam. 
Il  eut  VA\  succès  éclatant,  et  plaça  le 
nom  de  Van  Winter  à  côté  de  celui 
de  Smits  (Didéricj,  qui,  en  1780, 
avait  chanté  avec  beaucoup  de  talent 
la  Piotte y  dont  l'autre  métropole  du 
commerce  hollandais  ,  Rotterdam  , 
a  emprunté  son  nom.  En  17^9,  Van 
Winter  donna  son  poème  des  Sai- 
sons ^  en  4  chants,  imité  de  Thom- 
son ,  dans  lequel  il  rivalisa  honora- 
blement avec  son  modèle.  On  doit 
encore  à  Van  Winter  deux  tragédies: 
3îo7izongo  ou  V Esclave  royal  ^  et 
Menzikojf.  La  première  de  ces  deux 
productions,  très-supérieure  à  l'autre, 
est  restée  au  théâtre.  Van  W'inter  a 
publié,  en  1793,  avec  les  poésies 
posthumes  de  ]VIi"«.  Van  Winter,  un 


WIN 

recueil  de  Poésies  mêle'es ,  Fables , 
etc.  ;  et  ces  deux  ëponx  ont  eu  aussi 
leur  part  à  une  excellente  traduction 
des  Psaumes  de  David  ,  connue  sous 
la  rubrique  de  Laus  Deo ,  salus  po- 
pulo,  et  pour  laquelle  les  poètes  de 
Bosch  ,  Pater  ,  Harlscn,  RouUaud, 
Meyer  et  Asschcnberg  furent  leurs 
collaborateurs. — Wl^TErl  {Lucrèce- 
Guillelminc  Vau) ,  nce  Fan  Mcr~ 
ken  ,  épouse  du  précèdent ,  vit  le 
jour  à  Amsterdam  ^  en  i  -^22  ,  et  mé- 
rite d'être  placée  au  nombre  des  mu- 
ses batavcs.  Elle  comptait  parmi  hzs 
ancêtres  Gaspard  Bar!aiusct  Gérard 
Brandt;  et  elle  était  ])roclie  paieutc 
du  poète  de  Haas  (François) ,  qui  se 
plut  à  la  diriger  par  ses  conseils.  Ri- 
chement douée  d'esprit ,  d'imagi- 
nation, et  surtout  d'une  mémoire 
qui  décuplait  pour  elle  les  avantages 
deses  leclnres  ;  enfin  vivant  dans  une 
société  littéraire  du  meilleur  clioix, 
elle  réunissait  tous  les  avantages.  En 
174^  ,  elle  publia  ,  sous  le  voile  de 
l'anonyme,  sa  tragédie  à'Artémire  , 
dont  le  sujet  était  pris  dans  Hérodo- 
te. Cette  pièce,  où  l'on  ne  peut  mé- 
connaître du  talent ,  donna  des  espé- 
rances. Cependant  elle  ne  l'a  pas  ad- 
mise dans  son  Théâtre.  En  17^)2, 
parut  son  poème  intitulé  :  VUtililé 
des  ajjîictious,  en  trois  chants,  suivi 
de  quelques  Héroïdes,  etc.  La  mora- 
le religieuse  ne  pouvait  avoir  un  plus 
digne  organe  ni  un  plus  touchant  in- 
terprète. La  considération  poéjique 
de  l'auteur  s'accrut  encore,  qiialre 
ans  après ,  par  son  poème  de  David ^ 
en  douze  chants.  S'il  ne  répond  pas 
à  toutes  les  conditions  de  l'épopée, 
il  n'en  doit  pas  moins  être  considéré 
comme  un  chef-d'œuvre  dans  un  gen- 
re qui  en  approche.  Tous  les  carac- 
tères y  sont  dessinés  de  main  de  maî- 
tre ,  et  parfaitement  soutenus.  Les 
descriptions  y  sont  magnifiques.  L'au- 


WIN 


55 


leur  touche  la  lyre  inspirée  de  son 
héros  d'une  manière  digne  de  lui. 
Aussi  le  David  csX-\\  une  des  produc- 
tions les  plus  nationalisées  du  Parnas- 
se batave.  Elle  l'est  plus ,  sous  cer- 
tains rapports ,  que  le  Germani- 
cus ,  en  seize  chants,  qui  parut  en 
1779.  Le  choix  du  sujet  peut  avoir 
nui  au  succès  populaire  de  Germa- 
nicus ,  d'ailleurs  si  riche  d'invention 
et  de  style ,  mais  dont  les  beautés  , 
d'un  genre  plus  sévère,  n'excitent 
pas  le  même  intérêt  de  sentiment. 
L'ambition  de  Rome,  avide  de  ven- 
geance et  de  sang  contre  les  peuples 
de  la  Germanie,  effarouche  plutôt 
qu'elle  n'attache;  et  le  dévouement 
d'un  Claudius  Civilis  ou  d'un  Armi- 
nius  pour  la  cause  de  la  liberté  de 
leurs  concitoyens  eût  été  tout  au- 
trement nalioual.  Au  surplus,  on  ne 
peut  donner  trop  d'éloges  à  Germa- 
nicus  ;  il  mit  le  sceau  à  la  réputa- 
tion de  son  auteur.  H  en  a  paru  une 
traduction  fiançaise  ,  en  prose  ,  à 
Leyde  ,  in-!2.  Depuis  onze  ans, 
]\llle_Yau  iVIerken  avait  épousé  uu  des 
grands  admirateurs  de  ses  qualités 
personnelles  et  de  son  mérite  litté- 
raire ,  Van  Winter,  qui  lui  avait  dé- 
dié ses  Saisons.  Il  donna  beaucoup 
de  soins  au  poème  de  Germani- 
eus,  et  mérite,  à  ce  titre  ,  d'en 
partager  le  succès.  ^\^^.  Van  Win- 
ter est  auteur  de  tragédies,  non  tradui- 
tes, mais  originales,  comme  \eMon- 
zongo  et  le  M enzikojf  de  son  mari.  Le 
théâtre  français  leur  servait  de  mo- 
dèle à  l'un  et  à  l'autre.  Toutes  les  piè- 
ces des  deux  époux  réutiies  forment 
deux  volumes  in-4".,  dont  le  premier 
contient  :  i».  le  Siège  de  Leyde,  par 
]M»n«.  Van  Winter  j  2».  Jacoh  Si- 
monsz  de  Bj'k,  par  la  mêmej  3°. 
Monzongo  ou  V Esclave  royal ,  par 
M.  Van  Winter  :  c'est  un  sujet  d'i- 
magination ,  dont  le  but  est  d'inspi- 


WIN 

rCT  de  raversion  pour  la  traite  des 
noirs  ;  la  scène  est  à  Vcra-Crnz  ;  /j.". 
les  Camisards,  par  M"i«.  Van  Win- 
ter.  Le  second  volume  contient  :  i», 
Marie  de  Bourgogne ,  comtesse  de 
Hollande,  par  M'n«.  Van  Winter^ 
2».  Menzikoff',  parM.VanWinter:  la 
scène  est  en  Sibérie  j  3"^.  Louise  d'Ar- 
lac ,  fille  de  Dominique  de  Gourges, 
par  M"'*'.  Van  Winter  :  la  scène  est 
dans  l'Amérique  septentrionale  j  4^* 
Sihjlle  d'Anjou ,  femme  de  Gui  de 
Lusignan,  roi  de  Jérusalem  ,  par  la 
même  :  la  scène  est  à  Jérusalem;  5». 
Gélonide y  su]et  d'imagination, par  la 
même  :  c'est  le  triomphe  de  la  ten- 
dresse maternelle  ;  il  y  a  des  cliœurs  ; 
la  scène  est  à  Athènes.  Nous  avons 
déjà  fait  mention  des  OEuyres  pos- 
thumes de  M"^e.  Yan  W^inter  ,  qui 
mourut  à  Leyde  le  19  avril  1795, 
dans  la  soixante  -  dix-septième  an- 
née de  son  âge.  —  Un  fils  du  pre- 
mier mariage  de  M.  Van  Winter, 
Pi'e/Te  Van  Winter,  cultivait  éga- 
lement avec  succès  la  poésie  hollan- 
daise. On  a  de  lui  une  traduction  en 
vers  des  Odes  d' Horace,  Amsterd., 
i8o4,  in-4°.  ;  une  traduction  en  vers 
de  quelques  livres  de  V Enéide  ;  une 
de  VEssai  sur  l'homme  de  Pope. 
Nous  sommes  informés  que  la  socié- 
té de  déclamation  théâtrale  établie  à 
Amsterdam  s'occupe  de^  l'érection 
d'un  monument  en  l'honneur  de  M.  et 
de  M™e.  Wan  Winter.        M— on. 

W I N  T  E  R  (  Jean-Guillaume 
DE  ),  vice -amiral,  naquit  en  1750 
au  Texel.  Destiné  par  sa  famille  à 
servir  dans  la  marine ,  il  y  entra  dès 
l'âge  de  douze  ans,  et  il  ne  tarda 
pas  à  se  faire  remarquer  par  son 
zèle  et  son  courage.  De  Winter  était 
parvenu  au  grade  de  lieutenant  de 
vaisseau,  lors  de  la  révolution  qui 
éclata  en  Hollande  en  1787.  Il  em- 
brassa avec  la  plus  grande  ardeur  le 


WIN 

parti  patriotique;  mais  la  cause  stat- 
îioudérienne  ayant  triomphé  dans 
cette  lutte  ,  il  se  vit  forcé  de  se  réfu- 
gier en  France.  La  révolution  y  était 
dans  toute  sa  force;  De  Winter, 
qui  en  partageait  les  principes  , 
demanda  et  obtint  du  service  dans 
l'armée  de  terre;  il  fit  les  campa- 
gnes de  1792  et  1  793 ,  sous  les  or- 
dres de  Dumouriez  et  de  Pichegru  ; 
et  parvint  bientôt  au  grade  de  géné- 
ral de  brigade.  Lorsque ,  en  1 795,  les 
armées  de  la  république,  sous  le  com- 
mandement de  Pichegru ,  envahirent 
la  Hollande,  De  Winter  profita  de  cet- 
te occasion  pour  rentrer  dans  sa  pa- 
trie. Les  États-Généraux  lui  offrirent 
de  reprendre  du  service  dans  la  ma- 
rine ,  avec  le  grade  de  contre-amiral, 
et  l'année  suivante  il  fut  nommé  vi- 
ce-amiral et  commandant  de  l'armée 
navale  du  Texel.  Après  avoir  été 
long-temps  bloqué  par  des  forces  su- 
périeures ,  il  parvint  enfin  à  trom- 
per leur  surveillance,  et  il  appareilla 
le  7  octobre  1797,  à  la  tête  de  vingt- 
neuf  bâtiments  de  guerre,  dont  seize 
vaisseaux  de  ligne.  Le  1 1  au  matin , 
il  eut  connaissance  de  l'armée  an- 
glaise aux  ordres  de  l'amiral  Dun- 
can  ,  laquelle  était  forte  de  vingt 
vaisseaux  de  ligne  ,  et  d'environ 
quinze  frégates  et  autres  bâtiments 
légers.  L'action  s'engagea  immédia- 
tement ,  et  elle  dura  pendant  près  de 
trois  heures  avec  un  acharnement 
égal  de  part  et  d'autre.  Le  vaisseau 
la  Liberté  y  de  soixante -quatorze, 
que  montait  De  Winter,  fut  aux  pri- 
ses avec  trois  vaisseaux  anglais. 
Après  avoir  perdu  ses  trois  mâts  et 
plus  de  la  moitié  de  son  équipage,  il 
se  vit  amariner  par  une  frégate  an- 
glaise, qui  le  conduisit  h  bord  du 
vaisseau  de  l'amiral  Duncan.  Le  ré- 
sultat de  cette  journée  fut ,  pour  la 
marine  hollandaise,  la  perte  de  neuf 


WIN 

vaisse:uix  de  ligne  pris  ou  coules; 
six  cents  hommes  environ  furent 
tues  ,  et  huit  cents  blesses.  L'armée 
anglaise  ne  fut  guère  moins  maltrai- 
tée; plusieurs  de  ses  vaisseaux  furent 
coulés  ,  et  l'on  estima  ses  pertes  en 
hommes  à  six  cents ,  tant  tués  que 
blessés.  De  Winter  ,  en  rendant 
compte  de  ce  combat  aux  États-Gé- 
néraux, ajoutait  que  «  cette  journée 
»  était  la  plus  malheureuse  de  sa  vie.  » 
Il  fut  accueilli  en  Angleterre  avec 
tous  les  égards  dus  au  courage  mal- 
heureux ,  et  ses  compatriotes,  en  dé- 
plorant les  funestes  résultats  de  cet 
engagement,  rendirent  pleine  justice 
aux  talents  et  à  la  bravoure  qu'il  y 
avait  déployés.  Échangé  quelques 
mois  après.  De  Winter  revint  dans 
sa  patrie  ,  et  le  conseil  de  guerre 
chargé  d'examiner  sa  conduite  dans 
la  journée  du  ii  octobre  déclara 
qu'il  avait  glorieusement  soutenu 
l'honneur  du  pavillon  de  la  républi- 
que bataA'e.  Au  mois  de  juillet  1798, 
il  fut  envoyé  auprès  du  gouverne- 
ment français  comme  ministre  pléni- 
potentiaire. Il  conserva  ce  poste 
jusqu'en  1802,  époque  à  laquelle  il 
fut  rappelé  en  Hollande  pour  y  pren- 
dre le  commandement  des  forces  na- 
vales. La  régence  ^e  Tripoli  ayant 
donné  quelques  sujets  de  méconten- 
tement à  la  république j  De  Winter^ 
à  la  tête  d'une  forte  escadre  ,  par- 
courut pendant  quelques  mois  les  co- 
tes de  Barbarie,  et,  après  avoir  ter- 
miné les  différents  qui  existaient  en- 
tre la  Hollande  et  la  régence  de  Tri- 
poli^ il  parvint  à  conclure  un  traité 
de  paix  avec  celte  dernière.  Louis 
Buonaparte,  devenu  roi  de  Hollan- 
de, accorda  toute  sa  confiance  à  l'a- 
miral De  Winter;  il  le  créa  maré- 
chal du  royaume ,  comte  de  Hues- 
sen  ,  et  commandant  en  chef  de  ses 
armées  de  terre  et  de  mer.  Lorsque 


WIN  57 

Napoléon  réunit  la  Hollande  à  l'em- 
pire français  ,  il  ne  le  traita  pas  avec 
moins  de  faveur ,  et  le  nomma  suc- 
cessivement grand- officier  de  la  Lé- 
gion-d'Honneur  ,  et  inspecteur-géné- 
ral des  côtes  de  la  mer  du  Nord.  Au 
mois  de  juillet  181 1  ,  il  lui  confia  le 
commandement  en  chef  des  forces 
navales  réunies  au  Texel  ;  mais  bien- 
tôt De  Winter,  attaqué  d'une  mala- 
die grave,  suite  des  fatigues  qu'il 
avait  éprouvées ,  se  vit  contraint  de 
quitter  son  armée  pour  se  rendre  à 
Paris ,  où  il  mourut  le  1  juin  1812. 
Ses  obsèques,  faites  aux  frais  du  gou- 
vernement, furent  environnées  d'une 
grande  pompe;  M.  Marron  pronon- 
ça son  oraison  funèbre  ,  et  ses  restes 
furent  déposés  au  Panthéon,  dans  les 
formes  du  cérémonial  usité  pour  les 
grands  dignitaires  de  l'empire. 

H Q N. 

WINTERBURGER  (  Jean  ) ,  le 
plus  ancien  imprimeur  de  Vienne, 
naquit  à  Winterburg ,  près  de  Krcu- 
tzenach  dans  le  comté  de  Spon- 
heim.  Étant  venu  dans  la  capita- 
le de  l'Autriche  ,  il  y  établit  une 
imprimerie,  dont  il  gravait  lui-même 
les  caractères.  Pendant  dix-sept  ans, 
il  travailla  seul  ;  et  plus  tard  il  prit 
pour  aide  -  compositeur  un  géomètre 
de  Breslau ,  appelé  Jean  Michaelis. 
De  ses  presses  sont  sortis  un  grand 
nombre  d'ouvrages  devenus  extraor- 
dinairement  rares.  Les  plus  remar- 
quables sont  :  I.  Flacci  satjrœ , 
Vienne ,  149^ ,  in  -  4°-  ^n  n'en  con- 
naît qu'un  seul  exemplaire.  Avant 
cet  ouvrage,  le  Tractatus  distinc- 
tionum  Johannis  Mejger  avait  déjà 
paru  à  Vienne,  en  1482;,  mais  sans 
nom  d'auteur  ;  et  on  ne  peut  pas  as- 
surer qu'il  soit  de  Winterburger.  II. 
Frederici  III  imperatoris  obitus 
exequiœque ,  Vienne ,  in  -  4"-  ■>  sans 
date^  ce  doit  être  de  i493.  lil.Pané- 


58 


WIN 


gyrique  de  V empereur  Maximilien 
I  .  y  en  vers  hexamètres  latins , 
Vienne,  in-fol. ,  avec  planches  en 
bois  enluminées,  sans  date;  ce  doit 
être  de  149^  ou  1494*  IV.  Hiero- 
njmi  Balhi  utriusque  juris  doctoris 
necnon  poetœ,  atque  oratoris  insig" 
nis  opusculum  epigrammaton  félici- 
ter incipit  M^interburg  in  celeherri- 
md  urhe  FTiennen ,  anno  Domini 
i494'  V.  Constitution  es  sjnodales 
ecclesice  cathedralis  Strigoniensis , 
Vienne^  ^494?  infol.  \l.  Josephi 
Gruenpeck  pronosticon  ,  sive  judi- 
cium  ex  conjunctione  Saturni  et  Jo- 
^is,  etc.,  Vienne,  i490,in-4'^-  VII. 
Lucii  Jpulei  Platonici  et  jéristote- 
lici  philosophi  epitome  divinuni  de 
mundo  seu  cosmographia  y  ductu 
Conradi  Celtis  impressum ,  Vienne, 
1497.  VIII.  Ausonii  sententiœ  sep- 
tem  sapientium  septenis  versibus 
expUcatœ,  ejusdem  Ausonii  ad  Dre- 
panum  de  ludo  septem  sapientium, 
Vienne,  i5oo,  in-4°-  IX.  Arbor 
consanguiîiitatis ,  ajjinilatis  nec- 
non spiritualis  cognitionis ,  Vienne^ 
i5oo^  in-4".  Ce  petit  ouvrage,  étant 
indispensable  aux  tribunaux  civils 
et  ecclésiastiques,  fut  souvent  réim- 
primé. X.  Ausonii  Peonii  poetœ 
prœclarissimi  oratio  matutina  ad 
omnipotentem  Deum  herdico  car- 
miné deducta ,  Vienne,  i5o2,  in- 
4^^.  Cette  édition  est  très-soignée  : 
on  n'en  connaît  qu'un  exemplaire 
à  la  bibliothèque  impériale  de  Vien- 
ne. XI.  Grammatica  nova,  cum 
tractatulo  perulili  prosodiœ  et  ar- 
ti  melrorum  subsen^ienti ,  Vienne, 
i5o2,  avec  une  figure  d'homme 
qui  tient  un  livre,  gravée  en  bois. 
C'est  la  première  gravure  pareille 
qui  ait  paru  dans  les  impressions 
de  Winterburger.  XII.  Missale 
olomucense.  On  trouve  à  la  fin  , 
eu  lettres  rouges  :  /.    JVinterhurg 


WIN 

artis  impressoriœ  studios issimus 
et  caracterum  sculpendorum  in- 
geniosissimus  :  in  Jloridd  urhe 
Fiennensi  austriacd ,  anno  i5o5. 
On  voit  d'après  cela  qu'il  gravait 
lui-même  ses  caractères  et  ses  plan- 
ches en  bois.  Ce  Missel  est  remarqua- 
ble par  la  beauté  de  l'exécution. 
^IW.Tractatusdeschachismjsticè 
interpretatus  de  morihus  per  singu- 
los  liominum  status ,  1 5o5 ,  in  -  4^. 
Le  lieu  de  l'impression  n'est  point 
indiqué*  mais  ce  sont  les  caractères 
de  Winterburger ,  qui  se  fait  d'ail- 
leurs connaître  par  six  vers  qu'il 
adresse  au  lecteur  : 

A cc'ipe  qnod  offert  liiheriitl  ax  arce  Joanncs 
Sc/iac/icrii  muitus.   ,   ,   . 

Ici  y  comme  dans  quelques  autres  de 
ses  ouvrages  ,  il  latinise  son  lieu 
natal  :  ex  arce  hiberna  ,  Winter- 
burg  signifiant  en  français  châ- 
teau d'hii^er.  Ce  Traité  sur  les  échecs 
se  trouve  à  la  bibliothèque  du  duc  de 
Brunsv\'ick  ;  composé  par  Jacques 
de  Cessolcs  (  F.  ce  nom  , V 1 1 ,  588) ,  et 
traduit  dans  toutes  les  langues.  XIV. 
Missale  pataviense ,  Vienne ,  1 5o6, 
in-fol.  XV.  Missale  saltzhurgense , 
Vienne ,  i5o7  ,  in-fol.  Le  canon  de  la 
messe  y  est  sur  parchemin.  On  y 
trouve,  pag.  ^58,  une  Messe  de  S. 
Job  _,  contra  morbum  gallicum ,  et 
dans  un  nouveau  missel  de  Passau  , 
de  i5o7  ,  avec  une  figure  de  Jésus- 
Christ  crucifié,  gravée  en  bois.  XVL 
Computus  novus  et  ecclesiasticus 
totius  ferè  astronomiœ  funda- 
menturii  pulcherrimum  continens , 
Vienne,  i5o8  et  i5i3,  in -4''.  ,  fig. 
XVII.  Opusculum  musices perquàm 
hrevissiniwn,  de  Gregoriand  etfigu- 
rativd  atque  contrapuncto  simplici 
percommodè  tractans  ,  omnibus 
cantu  ohlectantibus  utile  ac  neces- 
sarium  /Vienne,  1.509.  C'est  un  des 
plus  anciens  ouvrages  qui  aient  été 


WIN 

imprimes  en  plain-cliant.  Il  avait 
e'tc  commande'  pour  la  chapelle  du 
duc  de  Milan.  XYin.  Missalepata- 
uiense,  Vienne ,  i  Sog.  Cctait  le  troi- 
sième ouvrage  de  ce  genre  que  Win- 
terburger  imprimait  dans  six   ans. 

XIX.  Pauli  Crosnensis  Fuitheni 
artium  liheralium  magistri^  poetœ- 
qiie  quàm  sucwissimi ,  panegjrici 
ad  dhnmi  Ladislaum ,  Famioniœ 
regcm  victoriosissimum  _,  et  sanc- 
tum  Stanislawn  prœsulem  ac  mar- 
tjrem    Poloniœ  ^    Vienne,    lôog. 

XX.  Psalterium  patasnense  ciim 
aîitiphonis  ,  responsoriis  hjmnis- 
que  in  nous  musicalihus.  XXî. 
Almanacli  noviim  atqiie  correc- 
tum  calculatum  super  anno  Do- 
mini  i5i2.  Dans  la  préface,  on 
donne  une  leçon  très -sévère  à  un  as- 
tronome de  Cracovie  ,  cpii  ,  selon 
l'imprimeur,  avait  fait  paraître  un 

'  Almanacli  plein  de  fautes,  XXIÏ. 
Exemplar  in  modiini  accentuandi 
secundiim  ritiim  chori  ecclesiœ  pa- 
taviensis ,  Vienne,  i5i3.  Les  leçons 
sur  la  prononciation ,  le  ton ,  la  pro- 
sodie ,  les  pauses  ,  y  sont  expliquées 
par  des  exemples  tiie's  du  chaut  de  i'e- 
glise.XXIlI.  Ruhricahreviset  utilis- 
sima  scptemdistinctanormulis  qui- 
hiis  orandi,  cantandi ,  anticipandi- 
qiie  séries  ordinatissimè  cernitur  y 
Vienne ,  1 5 1 3  ,  in  -  4°.  C'est  ce  que 
l'on  appelle  aujourd'hui  un  directoi 
re  ou  ordo  pour  la  récitation  du  bré- 
viaire ou  pour  la  célébration  des  of- 
fices. XXIV.  Description  de  Vé- 
glise  métropolitaine  de  S.-Étienne 
à  Tienne  (ail.),  Vienne,  i5i4. 
XXV.  Tahidœ  eclipsium  magis- 
tri  Georgii  Peurbachii.  Tahidœpri- 
mi  mohilis  Johannis  de  Monte  -  Re- 
gio.  Indices  prœtereà  monumento- 
rum ,  quœ  clarissimi  viri  studii 
Viennensis  alumni  in  astronomid 
et    aliis   matkeinaticis    disciplinis 


WIN  59 

scripta  reîîqueriint ,  Vienne ,  1 5 1 4 , 
iu-fol.  Cet  ouvrage  est  le  plus  remar- 
quable parmi  ceux  que  Winlcrburger 
a  imprimés.  On  y  trouve  :  i».  la  bio- 
graphie des  Viennois  qui  jusque  -  là 
s'étaient  illustrés  par  leurs  connais- 
sances en  astronomie;  2°.  le  calcul 
pour  une  éclipse  de  soleil  et  une  de 
lune,  en  14O0,  par  Peurbach  {V. 
ce  nom  ,  XXXllI ,  541  );  3*^.  cent 
quinze  tables  astronomiques  pour 
calculer  les  éclipses.  XXVI.  Aidu- 
laria  Plauti  comœdia  lepidissimè 
exccrahilem  seniorum  avaritiam. 
lu  dens, Y  ieune,  1 5 1 5,in-4^.  XXVII. 
Casus  in  cend  Domini  et  alii  casus 
papales  quantum  ad  censuras  eccle- 
siasticas  ,  casusque  episcopales  , 
Vienne ,  1 5 1 7  .^WYW.Antiphona- 
rius  ad  rectum  consuelumque  can- 
tandi rituni ,  Vienne  ,  1 5 1 9 ,  in-fol. 
Cet  Antiphonaire,  d'une  exécution 
typographique  richement  soignée ,  est 
la  dernière  production  que  nous  con- 
naissions de  Winterburger.  Ce  que 
nous  avons  cité  de  lui  forme  le  ber- 
ceau de  l'imprimerie  à  Vienne.  Tous 
ces  ouvrages  sont  extrêmement  ra- 
res. Mich.  Denis,  conservateur  de  la 
bibliothèque  impériale  de  Vienne,  qui 
les  a  recherchés  avec  soin  ,  n'en  a 
souvent  découvert  qu'un  seul  exem- 
plaire. On  les  conserve  comme  rare- 
tés dans  les  bibliothèques  publiques 
d'Autriche.  G — y. 

WllN  ÏERFELD  (Jean-Charles), 
i'mi  des  lieutenants  du  grand  Frédé- 
ric ,  naquit  dans  l'Ukermark  ,  en 
1709,  d'une  famille  obscure ,  et  s'en- 
gagea comme  simple  soldat ,  dès  l'âge 
de  quatorze  ans  ,  dans  un  régiment 
d'infanterie  prussien.  Sa  belle  taille 
et  ses  autres  avantages  extérieurs  le 
firent  remarquer  du  roi  Frédéric  I^^^, 
Il  entra  dans  le  corps  favori  de  ce 
prince  que  l'on  appelait  le  régiment 
de  Géants  ;  et  sa  bonne  conduite  lui 


Go  WIN 

mérita  bientôt  de  ravaiicement.  Il 
était  adjudant  lorsque  Frédéric  II 
monta  sur  le    trône  ^  en  174^'  Ce 
prince  le  fit  major  j  et  dans  la  pre- 
mière guerre  de  Silesie ,  il  lui  donna 
le  commandement  d'un  bataillon  de 
grenadiers  ,  à  la  tête  duquel  Winter- 
fe!d  se  distingua  dans  plusieurs  occa- 
sions. Devenu  colonel ,  il  fut  envoyé 
à   Pétersbourg  pour  y    rompre  les 
liaisons   que  la   Russie   avait  alors 
avec  l'Autriclie.  Cette  mission  diffi- 
cile eut  un  plein  succès  ;  et  Winter- 
feld'  vint  reprendre  sa  place  à  l'ar- 
mée.   Il  se  distingua   encore   dans 
plusieurs    combats  ,    notamment  à 
Landsliut ,  où  il  repoussa  une  attaque 
meurtrière  du  général  Nadasti.   Cet 
exploit  lui  valut  le  grade  de  général- 
major;  et,  ce  qui  était  plus  précieux, 
l'estime  et  la  confiance  de  son  sou- 
verain. Dès-lors  ce  monarque  voulut 
qu'il  l'accompagnât  partout  dans  ses 
campagnes  et  dans  ses  voyages.  Win- 
terfeld  redoubla  d'efforts  pour  le  ser- 
vice d'un  tel  prince  j  et  il  lui  fat  sur- 
tout très-utile  par  son  activité ,  lors- 
que Frédéric  II  ,  à  l'ouverture  de  la 
guerre  de  Sept-Ans  ,  fut  informé  des 
projets   que  les    cours  de  Russie  , 
d'Autriche  et  de  Saxe  tramaient  con- 
tre lui  (  F'qx.  Frédéric   II,  XV, 
568  ).  Ce  monarque  apprécia  si  bien 
son  zèle  dans  cette  circonstance, qu'il 
le  nomma  lieutenant-général  d'infan- 
terie (  i-jSô).   L'époque  la  plus  glo- 
rieuse de  la  carrière  de  Winterfeld 
est,  sans  aucun  doute,  celle  des  deux 
premières  campagnes  de  la   guerre 
de  Sept-Ans.    11   eut   d'abord  une 
grande  part  à   la  capitulation  que 
Frédéric    II    fit    subir    à     l'armée 
saxonne  au  camp  de  Pirna.   Ayant 
ensuite  pénétré  dans  la  Bohême  ,  il 
commanda  un   corps  d'armée  à  la 
sanglante  bataille  de  Prague  •  et  il  y 
reçut  une  blessure  grave  ,  marchant 


WIN 

à  côté  du  brave  Schwerin  (  Fqy.  ce 
nom).  Frédéric  l'envoya  ensuite  en 
Silésie.  Le  -^  septembre  i-jS-j ,  il  dé- 
fendait une  position  importante  avec 
un  corps  peu  nombreux;  obligé  de  s'en 
éloigner  personnellement  pour  une 
conférence  avec  le  duc  de  Bevern , 
il  fut  prévenu  que  son  poste  était 
attaqué  par  Nadasti.  Aussitôt  il  ac- 
court ,  et  se  met  à  la  tête  des  troupes 
pour  reprendre  les  positions  qu'elles 
avaient  perdues  ;  mais  il  est  atteint 
d'un  coup  de  feu  ,  et  meurt  glorieu- 
sement les  armes  à  la  main.  Frédé- 
ric donna  de  grands  regrets  à  sa  1 
mémoire  ;  il  en  parle  avec  éloge  dans  ^ 
plusieurs  endroits  de  ses  écrits  ,  et  il 
lui  a  fait  élever  une  statue  en  marbre 
blanc  sur  la  place  Guillaume  à  Ber- 
lin. Winterfeld  avait  mérité  l'estime 
de  ce  prince  par  un  dévouement  et 
un  courage  à  toute  épreuve.  Dépour- 
vu d'instruction,  il  suppléait  à  ce  qui 
lui  manquait  sous  ce  rapport  par 
beaucoup  de  sagacité  et  d'esprit  na- 
turel. M— D  j. 
WINTERTHUR  (  Jean  de  ).  T. 

VlTODURANUS. 

WINTERTON  (  Ralph  ) ,  un  des 
philologues  les  plus  distingués  de  l'An- 
gleterre ,  naquit  dans  le  comté  de 
Leicester  à  Lutterworth  ,  et  fit  ses 
études  au  collège  du  Roi  à  Cambridge. 
Pendant  cette  première  époque  de  sa 
vie ,  il  eut  le  malheur  de  tomber  dans 
des  accès  de  démence  ;  mais  l'art 
triompha  du  désordre  de  ses  facultés 
mentales  ,  et  Winterton  ,  rendu  à  la 
santé ,  se  livra  avec  ardeur  à  l'étude 
des  sciences  et  des  langues.  La  méde- 
cine et  le  grec  l'occupèrent  principale- 
ment, et  il  acquit,  très- jeune  encore, 
une  grande  réputation  comme  hellé- 
niste. La  chaire  de  grec  de  Cambrid- 
ge étant  venue  à  vaquer  par  la  mort 
de  Downes  ,  il  fut  un  des  cin([  can- 
didats qui  la  disputèrent.  Gepcuda»t 


WIN 

il  n'eut  pas  le  bonheur  de  l'obtenir  , 
et  à  partir  de  ce  moment  il  sembla 
renoncera  solliciter  des  emplis  pour 
concentrer  toute  son  activité  dans 
Tëtude.  Il  publia  d'abord  une  ver- 
sion en  vers  grecs  du  premier  livre 
des  Apliorismes  d'Hippocrate ,  Cam- 
bridge ,  i63i  ,  in-40.  ;  et  encouragé 
par  le  succès  qu'obtint  cet  essai  il 
publia ,  les  années  suivantes ,  l'ouvra- 
ge entier  traduit  de  la  même  manière. 
Cependant  la  poésie  de  Winterton  ne 
s'élève  point  au-dessus  du  médiocre, 
et  il  semble  bien  plus  avoir  suivi  pour 
modèle  la  Tliériarpie  delSicandre  que 
l'Iliade  ou  l'Odyssée.  Mais  on  sent 
aisément  qu'il  faut  s'en  prendre  au 
sujet  autant  qu'au  manque  de  gé- 
nie de  la  part  de  l'auteur  qui ,  sans 
doute ,  n'aspira  à  d'autre  réputation 
qu'à  celle  de  savant  versificateur. 
En  i633,  sur  l'avis  du  docteur  J. 
Collins ,  professeur  de  médecine  ,  il 
donna  ,  à  Cambridge ,  une  édition 
in- 40.  du  texte  grec,  accompagnée 
de  la  version  en  vers  latins  de  Frère, 
de  la  sienne  en  vers  grecs  ,  et  enfin 
de  la  traduction  en  prose  latine  de 
J.  Hcurnius  d'Utreclit.  Ce  volume  cu- 
rieux se  termine  par  une  petite  col- 
lection d'épigrammes  et  d'opuscules 
poétiques  composés  par  les  hommes 
les  plus  habiles  de  Cambridge  et 
d'Oxford,  mais  principalement  par 
les  professeurs  du  collège  du  Roi.  Ces 
travaux  ne  l'empêchèrent  point  de 
publier  dans  l'intervalle  une  traduc- 
tion des  Méditations  de  Gérard, 
Cambridge,  i63i  ,  in-8**. ,  traduc- 
tion qui  fut  réimprimée  jusqu'à  cinq 
fois ,  pendant  les  huit  années  suivan- 
tes ;  une  excellente  édition  de  Denys 
le  Periégète ,  Cambridge,  i635.  ;  se- 
conde édition ,  Londres  ,  1 668  _,  in- 
1 2 ,  et  quelques  autres  écrits  impor- 
tants. Tant  de  preuves  d'activité  et 
d'érudition  lui   valurent  enfin    juie 


WIN 


61 


récompense  ;  et  il  fut  désigné ,  sans 
même  l'avoir  demandé  ,  pour  pro- 
fesser pendant  quatre  ans  la  méde- 
cine au  collège  du  Roi.  Mais  il  n'at- 
teignit point  le  terme  fixé  à  sa  car- 
rière professorale,  et  mourut  le  i3 
septembre  i636  ,  après  avoir  rempli 
deux  ans  la  chaire  qui  venait  de  lui 
être  confiée.  Outre  les  publications 
ci-dessus  mentionnées,  on  doit  à  Win- 
terton :  I.  Une  édition  de  la  Chaîne 
d'or  des  Aphorismes  divins  ,  par 
Gérard,  Cambridge,  i632_,  in-8". 
II.  Une  traduction  du  traité  de 
Drexelius  sur  l'Eternité,  Cambridge, 
i632.  La  préface  contient  plusieurs 
observations  paradoxales  ,  et  qui , 
sans  blesser  en  rien  le  respect  dû  à 
la  religion,  annoncent  une  liberté 
singulière  dans  l'interprétation  des 
textes  saints.  III.  Poetœ  grœci  mi- 
nores ,  Cambridge,  i635,  in-80.  , 
très-souvent  réimprimé.  Cette  édition 
est  précédée  d'observations  sur  Hé- 
siode. IV.  Une  traduction  anglaise 
du  traité  de  Jérôme  Zanchius  sur  les 
Devoirs  imposés  par  le  christianis- 
me {posthume) ,  Londres,  i65g,  in- 
8*^.  Winterton  coopéra  aussi  à  la 
rédaction  de  plusieurs  ouvrages  sor- 
tis ,  à  cette  époque ,  de  l'université 
Cantabrigienne  ;  mais  nous  omettons 
à  dessein  des  détails  minutieux,  et 
qui  d'ailleurs  n'offrent  point  de  cer- 
titude. P OT. 

WINTHROP  (Jean),  premier 
gouverneur  de  la  colonie  anglaise  de 
Massachusets ,  naquit,  en  1587, 
dans  le  comté  de  SufFolk  ,  fut 
d'abord  destiné  au  barreau ,  et  s'em- 
barqua ,  en  1629 ,  avec  le  titre  de 
gouverneur  d'une  nouvelle  colonie. 
11  arriva  à  Salem  l'année  suivante  , 
puis  à  Charlestown  et  à  Boston.  Il 
gouverna  sa  colonie  avec  beaucoup 
d'habileté  et  de  prudence  jusqu'à 
l'année  1649,  époque  de  sa  mort. 


di  WIN 

Un  journal  exact  qu'il  tint  de  toutes 
les  circonstances  de  son  administra- 
tion, et  qui  a  ctc  publie  en  1790, 
in-8**.  y  fut  très-utile  à  son  successeur. 
—  WiNTHROP  {Jean),  lils  du  précé- 
dent ,  fut  gouverneur  du  Gonnecticut. 
Apres  avoir  voyage  pendant  plusieurs 
années  sur  le  continent  avec  beaucoup 
d'utilité  pour  son  instruction  ,  il  ar- 
riva à  Boston  en  i635  ,  muni  de 
pouvoirs  pour  former  un  établisse- 
ment au  Gonnecticut.  Il  envoya  dans 
la  même  année  un  grand  nombre 
d'ouvriers,  pour  établir  un  fort  à  Say- 
brook.  Il  administra  avec  beaucoup 
de  sagesse,  et  fut  réélu  gouverneur 
tous  les  ans  jusqu'à  sa  mort  ,  en 
1676.  Wintlirop  avait  des  counais- 
sances  en  chimie  et  en  médeci- 
ne. Il  a  publié  plusieurs  Mémoi- 
res dans  les  Transactions  philo- 
sophiques. —  WiNTHROP  {Jean  ) , 
descendant  des  précédents ,  naquit  en 
1714  ,  et  se  livra  dès  sa  jeunesse  à 
l'étude  des  sciences  matbématiqucs. 
Nommé,  en  1738,  professeur  de 
physique  au  collège  de  Harward, 
il  se  fit  beaucoup  de  réputation  dans 
cette  chaire.  En  1761  ,  il  s'embar- 
qua pour  aller  observera  Saint- Jean, 
en  New-Foundland ,  le  passage  de 
Vénus  sur  le  disque  du  soleil  le  6 
juin,  annoncé  par  Halley,  et  il  eut 
le  bonheur  d'observer  un  phénomène 
qui  n'avait  encore  été  vu  que  de  l'as- 
tronome Horrox ,  en  i636.  Lorsque 
les  dissensions  commencèrent  avec  la 
métropole  ,  il  se  montra  un  des  plus 
ardents  défenseurs  de  l'indépen- 
dance ,  et  fut  nommé  membre  du 
grand  conseil.  Son  élection  ayant  été 
annulée  par  le  gouvernement  anglais, 
il  fut  élu  conseiller,  lorsque  la  Grande- 
Bretagne  eut  perdu  tout  son  pou- 
voir ,  et  continua  néanmoins  de  pro- 
fesser jusqu'à  sa  mort ,  en  1779.  Les 
connaissances  de  Winthrop  dans  les 


WIN 

sciences ,  la  morale  et  la  politique , 
étaient  très  -  étendues.  La  société 
royale  de  Londres  a  mentionné 
honorablement ,  dans  le  quarante- 
deuxième  volume  de  ses  Transac- 
tions ,  les  observations  de  Winthrop 
sur  le  passage  de  Mercure  ,  en  1 740» 
Ce  savant  a  publié  :  I.  Un  Dis- 
cours sur  les  tremblements  de  terre  , 
1755.  II.  Réponse  à  la  Lettre  sur 
les  tremblements  de  terre,  1756.  HT. 
Deux  Discours  sur  les  comètes.  IV. 
Une  Notice  de  plusieurs  météores 
igués  ,  observés  dans  le  nord  de  l'A- 
mérique. Z. 

WINTLE  (  Thomas),  théologien 
anglais^  né  à  Gloucester  en  1737, 
fut  élevé  à  Oxford,  où  il  devint  asso- 
cié et  gouverneur  au  collège  de  Pcra- 
broke.  L'archevêque  Secker  lui  don- 
na ,  en  1767  ,1e  vicariat  de  Wittris- 
ham ,  dans  le  comté  de  Kent,  et  le 
choisit  pour  un  de  ses  chapelains. 
Transféré,  en  1774 1  ^^  rectorat  de 
Brightwell,  en  Berkshire,  il  y  resta 
quarante  ans  ,  et  y  mourut  le  29 
juillet  1814.  Wintle  joignait  des 
vertus  au  talent  et  à  l'érudition  dont 
il  a  fait  preuve  dans  divers  écrits  : 
I.  Essai  d'une  nouvelle  traduction 
de  Daniel,  avec  une  Dissertation 
préliminaire  et  des  notes  critiques  , 
historiques  et  explicatives,  179'^  ? 
in-4'^.Il.  Huit  Sermons  sur  V utilité , 
lapré diction  et  V accomplissement  de 
la  rédemption  chrétienne  ,  prêches 
pour  la  fondation  de  Bampton  , 
1794,  in-8^.  III.  Dissertation  sur 
la  vision  contenue  dans  le  second 
chapitre  de  Zacharie ,  1 797  ,  in-8^. 
IV.  La  morale  chrétienne ,  ou  Dis- 
cours sur  les  béatitudes  y  etc.    Z. 

WINTRINGHAM  (  Glifton  ), 
médecin  anglais  ,  membre  de  la  so- 
ciété royale  de  Londres  ,  exerçait  sa 
profession  à  York ,  où  il  mourut  le 
12  mars  1748.  il  s'est  fait  une  ré- 


WIN 

piitation  distinguée  par  les  ouvrages 
suivants  :  I.  Tractatus  depodagrd, 
in  quo  de  uUimis  vasis  et  liquidis 
et  succo  nutritio  tractatur ,  York , 
17 14  ,  in-B*^.  La  théorie  qu'il  donne 
de  la  goutte  est  en  partie  mécanique 
et  en  partie  humorale.  Ainsi  il  attri- 
bue le  développement  de  cette  mala- 
die à  la  viscosité  acrimonieuse  du 
fluide  nerveux  ,  à  la  rigidité  des  fi- 
bres et  au  rétrécissement  du  diamè- 
tre des  vaisseaux,  qui  avoisineut  les 
articulations.  La  dilliculté  de  guérir 
la  goutte  tient,  selon  lui,  à  ce  que 
la  cause  prochaine  de  celte  affection 
élude  presque  toujours  l'action  des 
médicaments  les  mieux  appropriés. 
II.  Traité  des  maladies  endémi- 
ques ,  York ,  1 7 1 8 ,  in-S». ,  en  an- 
glais. IIÏ.  Commentarium  nosologi- 
cum  ,  morhos  epidemicos  et  aeris 
variai iones  in  urhe  eboracensi  _,  lo- 
cisqiie  vicinis ,  ah  anno  1 7  1 5  ad 
anni  1725  fmem  gras  sautes ,  com- 
plectens ,  Londres,  1727,  in-8^\; 
ibid. ,  1733  ,  in-8**.  Ses  œuvres  ont 
été  réunies  et  publiées  avec  de  nom- 
breuses additions  et  corrections  fai- 
tes par  son  liLs ,  Londres,  1752,  1 
vol.  in-8".  R — D — N. 

WINTRINGHAM  (  Clifton  ) , 
fils  du  précédent ,  naquit  à  York,  et 
suivit  avec  la  plus  grande  distinction 
la  carrière  de  son  père.  Après  s'être 
fait  connaître  par  des  expériences 
physiologiques  très-importantes,  il 
devint  membre  de  la  société  royale 
de  Londres,  obtint  la  confiance  du 
duc  de  Cumberland,  en  1749  j»  puis 
fut  nommé  médecin  en  chef  des  ar- 
mées anglaises,  et  en  1762,  méde- 
cin ordinaire  du  roi.  11  mourut  à 
Londres,  le  10  janvier  1794,  à 
l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans. 
Quoique,  dans  la  théorie,  il  eût  as- 
socié les  mathématiques  à  la  mé- 
decine, cependant  Wintringham  fut 


WIN 


63 


un  habile  praticien ,  parce  qu'il  sut 
faire  une  heureuse  alliance  du  rai- 
sonnement avec  les  faits  observés. 
Ses  ouvrages  sont  :  I.  Recherches 
expérimentales  sur  quelques  parties 
de  la  structure  animale ^  Londres, 
1740,  in-8°. ,  en  anglais.  Dans  cet 
ouvrage  remarquable ,  Wintringham 
prouva ,  par  ses  grandes  connais- 
sances en  mathématiques ,  qu'il  avait 
approfondi  son  compatriote  Newton. 
Il  était  jeune  encore  ,  lorsqu'il  entre- 
prit ses  expériences  sur  la  force  et 
la  densité  des  tiuiiques  artérielles,  en 
portant,  à  l'aide  d'une  machine,  de 
l'air  dans  ces  vaisseaux  jusqu'à  ce 
qu'ils  crevassent ,  et  déterminant  eu- 
suite  le  degré  de  ténacité  dont  ils 
étaient  doués.  Il  trouva  qu'en  géné- 
ral les  branches  des  artères  opposent 
plus  de  résistance  que  les  troncs,  et 
que  l'aorte  a  les  membranes  les  plus 
faibles  ]  car  leur  force  est  à  celle  des 
artères  rénales,  comme  mille  est  à 
mille  quatre-vingt-sept.  Les  tuniques 
des  artères ,  qui  se  rendent  aux  or- 
ganes des  sécrétions  ,  sont  celles  qui 
lui  parurent  les  plus  résistantes.  En- 
suite il  établit  une  comparaison  en- 
tre les  parties  solides  des  vaisseaux 
et  les  fluides  qu'ils  renferment,  et 
acquit  la  conviction  que  la  masse  de 
ces  derniers  augmente  eu  proportion 
de  l'épaisseur  des  parois;  car  elle 
est  de  deux  mille  trente-sept  dans 
les  artères  rénales ,  et  seulement  de 
douze  cent  vingt-neuf  dans  l'aorte; 
de  sorte  que ,  dans  les  grosses  artè- 
res ,  la  moindre  quantité  du  fluide 
contenu  compense  la  plus  grande 
faiblesse  des  tuniques.  D'après  ses 
expériences  aussi ,  les  veùies  ont  des 
parois  plus  épaisses ,  mais  plus  sou- 
ples que  celles  des  artères ,  et  elles 
renferment  une  plus  grande  quantité 
de  fluides.  La  structure  et  les  fonc- 
tions de  diverses  parties  de  l'œil  at- 


64  WIN 

tirèrent  également  son  attention.  II. 
Recherches  sur  la  ténuité  des  vais- 
seaux du  corps  humain ,  Londres , 
J']l\'ij  in-8<*. ,  en  anglais.  Les  cal- 
culs de  l'auteur  sur  la  tcnuite'  infinie 
de  la  fibre  primitive  offrent  des  ré- 
sultats plus  curieux  que  solides. 
Ainsi,  par  exemple,  il  évalua  le 
poids  d'un  animalcule  séminal  à  la 
cent  quarante  mdie  millionième  par- 
tie d'un  grain  ,  calcula  que  tous  les 
stainina  dont  l'homme  provient , 
réunis  ensemble ,  ne  formeraient  pas 
une  masse  supérieure  à  la  quatre- 
vingt-douze  trillionième  partie  d'un 
grain;  que  le  poids  total  des  stamina 
des  fibres  sensibles  s'élève  à  la  qua- 
torze mille  huit  cent  soixante  dix- 
sept  trillionième  partie  d'un  grain , 
et  que  par  conséquent  toute  la  diffé- 
rence qui  existe  entre  les  individus, 
relativement  à  l'état  du  corps ,  dé- 
pend de  celle  des  stamina  primitifs. 
Cette  application  des  mathématiques 
à  la  médecine  a  toujours  été  plus 
nuisible  qu'utile  à  la  science ,  parce 
qu'il  est  de  l'essence  même  de  la  vie 
de  se  dérober  à  toute  espèce  de  cal- 
cul rigoureux.  III.  De  morhis  qui- 
busdam  commentarii  y  Londres  , 
1782-1791,  2  volumes  in-B". ,  ou- 
vrage de  médecine  pratique.  Win- 
tringham  a  de  plus  donné  une  édi- 
tion de  l'ouvrage  du  docteur  Mead, 
intitulé  Monita  et  prœcepta  medi- 
ca,  avec  des  notes  et  des  observa- 
tions,  1773,  2  vol.  in-S».  R-D-N. 
WINWOOD  (SirtlALPH),  minis- 
tre anglais ,  sous  le  règne  de  Jac- 
ques 1er.  ^  naquit  vers  i565  à  Aynho 
en  Northamptonshire ,  fit  ses  éludes 
à  Oxford .  et  vint  ensuite  sur  le  con- 
tinent se  former  à  l'école  du  monde. 
En  i5g9,  il  accompagna,  en  qualité 
de  secrétaire ,  sir  Henry  Neville,  am- 
bassadeur en  France ,  et,  en  l'absence 
de    ce   dernier ,   fut   nommé   rési- 


WIN 

dent  à  Paris.  En  i6o3 ,  son  souve^ 
rain  l'envoya  aux  états  de  Hollande^ 
il  y  reparut  en  1607  ,  comme  am- 
bassadeur, conjointement  avec  sir  , 
Richard  Spencer.  Ce  fut  lui  qui,  en  ; 
1609,  prononça  dans  l'assemblée  des 
états  la  remontrance  du  roi  Jacques 
contre  l'arminien  Conrad  Vorst 
(  Fojr.  ce  nom,  XLIX,  627  ).  Les 
services  de  Winv^^ood  furent  récom- 
pensés, en  1607,  par  le  titre  de  che- 
valier. Devenu  secrétaire-d'état  en 
161 4,  il  conserva  cet  emploi  jusqu'à 
sa  mort ,  arrivée  le  27  octobre  161 7. 
Doué  de  talents  et  d'intégrité ,  il  était 
particulièrement  versé  dans  les  af- 
faires militaires  et  commerciales.  On 
a  publié  à  Londres  _,  en  1725,  en 
trois  volumes  in -fol.  :  Mémoires 
(  Memorials  )  sur  les  araires  d'é- 
tat sous  les  règnes  de  la  reine  Eli- 
sabeth et  du  roi  Jacques  I" . ,  re- 
cueillis principalement  des  papiers 
originaux    de    sir    Ralph     PTin- 

wood y    comprenant   aussi  les 

négociations  de  sir  Henry  Neville , 
sir  Charles  Cornwallis,  sir  Dudley 
Carleton,  sir  Thomas  Edmondes,  M. 
Trumble,M.  Cottington,  et  autres, 
dans  les  cours  de  France  et  d'Espa- 
gne, en  Hollande,  à  Venise,  etc.,  où 
les  principales  transactions  de  ces 
temps  sont  fidèlement  rapportées,  et 
la  politique  et  les  intrigues  de  ces 
cours  complètement  dévoilées  5  le 
tout  disposé  suivant  l'ordre  chrono- 
logique ,  etc. ,  par  Edm.  Sawyer. 
Ce  sont  de  précieux  documents  pour 
l'histoire  de  cette  époque.         L. 

WINZENGERODE(lcbaronDE) , 
général  russe,  né  en  i7(J9,  dans  le 
Wurtemberg ,  d'une  famille  noble  , 
très-répandue  en  Allemagne ,  entra 
jeune  encore  au  service  d'Autriche  , 
et  fit  la  guerre  contre  la  France.  A 
la  paix  il  obtint  un  emploi  dans  l'ar- 
mée russe ,  où  il  parvint  rapidement 


WIN 

aux  premiers  grades.  Devenu  aide- 
dc-camp  de  l'empereur  Alexandre, 
il  figura  à  la  cour  dans  le  parti  anti- 
français ,  qui  excitait  à  la  guerre 
contre  Buonaparte.  Ses  opinions 
connues  autant  que  ses  talents  diplo- 
matiques le  firent  nommer ,  au  mois 
de  juin  i8o5,  ambassadeur  extraor- 
dinaire auprès  du  roi  de  Prusse  , 
avec  la  mission  de  déterminer  ce 
prince  à  prendre  part  à  la  coalition 
projetée  contre  le  nouvel  empereur. 
Il  passa  ensuite  à  Vienne,  assista 
aux  conférences  relatives  au  plan  de 
campagne,  et  liâta  la  conclusion  du 
traité  entre  l'Angleterre,  la  Russie  et 
l'Autriche.  Les  hostilités  ayant  éclaté 
peu  de  temps  après ,  il  suivit  Alexan- 
dre dans  le  voyage  que  ce  monarque 
fit  en  Allemagne  et  à  Berlin  ,  et  ne 
fut  pas  sans  influence  sur  ks  pre- 
mières opérations  de  farmée  russe. 
Au  mois  de  novembre  de  la  même 
année  ,  après  le  combat  d'Holla- 
brun,  en  Moravie,  il  fut  charge' 
de  négocier  ,  en  faveur  du  corps 
d'armée  commandé  par  Kutusow , 
un  armistice  que  Napoléon  refu- 
sa de  ratifier ,  sous  prétexte  que 
les  pouvoirs  du  baron  de  Winzen- 
gerode  n'étaient  pas  suffisants.  Ce 
général  ne  quitta  point  l'empereur 
Alexandre  ,  et  à  la  bataille  d'Auster- 
litz  il  faillit  être  fait  prisonnier.  11 
prit  une  part  moins  active  à  la  guerre 
de  1806  et  de  1807  ,  en  Prusse  et  en 
Pologne;  et  néanmoins  il  suivit  le  czar 
à  Mémel  et  à  Kœnisberg.  Mais  à  la 
paix  de  Tilsit  Winzengerode  parut  ne 
plus  jouir  de  la  même  faveur  auprès 
de  son  souverain  qui  avait  adopté 
un  système  politique  tout  diilérent 
du  sien.  Cependant  il  recouvra  plus 
tard  son  ancien  crédit,  et  on  le  vit 
reparaître  de  nouveau  sur  le  théâ- 
tre des  événements  pendant  la  fa- 
meuse campagne  de  181 2.  Après  la 

Lï. 


WIN 


65 


bataille  delaMoscowa ,  il  commanda 
un  corps  de  cavalerie  séparé _,  et  fut 
spécialement  chargé  d'inquiéter  l'ar- 
mée française  dans  Moscou.  Le  corps 
français  du  général  Delzons  s'étant 
avancé  le  29  sept,  sur  Diuistrow  , 
pour  agrandir  le  cercle  dans  lequel 
la  grande  armée  française  était  obli- 
gée de  fourrager,,  Winzengerode  se  re- 
plia surKlin  avec  sa  cavalerie.  Aver- 
ti le  i'2  octobre  du  départ  de  Del- 
zons ,  il  se  mit  à  sa  poursuite  ,  arriva 
devant  Diuistrow  ,  fit  douze  beues 
sans  s'arrêter,  et  prit  quelques  ma- 
raudeurs et  quelques  bagages.  Dès- 
lors  i!  épia  le  moment  de  la  retraite 
des  Français  ,  qu'il  jugea  inévitable. 
Le  22  octobre ,  brûlant  d'entrer  le 
premier  dans  Moscou ,  et  croyant  ne 
plus  y  trouver  qu'un  piquet  d'arrière- 
garde  ,  il  se  met  à  la  tête  d'un  régi- 
ment de  Cosaques  ,  et  s'avance  vers 
la  barrière  de  Twer,  ordonnant  à 
d'autres  régiments  de  le  suivre.  Une 
charge  rapide  l'ayant  porté  dans  la 
ville,  au  travers  des  petits  postes  qui 
gardaient  encore  les  avenues  ,  il  s'e'- 
lance  vers  le  Kremlin.  Mais  à  la  vue 
d'un  corps  réglé  qui  vient  barrer  sa 
marche,  ses  Cosaques  tournent  bride 
et  l'abandonnent.  Winzengerode  se 
voyant  seul  avec  son  aide- de-camp  , 
le  jeune  comte  de  Nariskin,  déploie 
son  mouchoir  et  s'annonce  comme 
un  parlementaire  qui  vient  sommer 
le  commandant  du  Kremlin.  Mais 
cette  ruse  ne  trompe  point  les  Fran- 
çais qui  les  font  tous  deux  prison- 
niers ,  et  les  conduisent  au  maréchal 
Mortier  qui  se  mettait  en  retraite. 
Ce  général  les  emmène  avec  lui  ,  en 
leur  déclarant  qu'il  ne  peut  avoir 
égard  à  une  manière  aussi  inusitée 
de  se  présenter  en  parlementaires. 
Le  26  octobre ,  Winzengerode  parut 
devant  Napoléon;  et  voici  comment 
il  en  fut  reçu  :  «  Qui  êtes  -  vous?  lui 


(J8  WIO 

WION  (i)  (  Ar.NOLD) ,  iiistoricn 
(le  l'ordre  de  Saiul-Bcnoît ,  était  fds 
du  procîirenr-liscal  de  Douai ,  et  na- 
quit en  celte  ville  le  ICI.  jiiai  1554. 
Ayant  achevé  ses  études ,  il  embrassa 
la  vie  religieuse  à  Fabbaye  d'Arden- 
burg  ,  près  de  Bruges.  Les  troubles 
qui  désolaient  les  Pays-Bas  l'enga- 
gèrent à  se  retirer  en  Italie  ,  et  il  fut 
admis  ,  en  1577  ,  dans  la  congréga- 
tion du  Mont-Cassin.  11  partagea  le 
reste  de  sa  vie  entre  Texercice  de  ses 
devoirs  et  l'étude ,  et  mourut  dans  les 
premières  années  du  dix-septième 
siècle.  On  a  de  lui  :  I.  Brève  dicldara- 
zionedelV  arbore  monastico  Bene- 
dittinOj  intitolato  :  legno  délia  vita, 
Venise ,  1 5gf^  ,  in-8".  C'est  le  plan 
de  l'ouvrage  qui  suit ,  avec  l'expli- 
catioiî  des  figures  dont  il  est  orné. 
II.  Lignum  vit  en  ^  ornamentum  et 
decus  ecclesiœ ,in  qainque  libros  di- 
i'isum  ,  in  quibus  totius  SS.  reli- 
gionîs  D,  Benedicti  initia ^viri  dig- 
nitate ,  doctrind  ,  sanctitate  ac 
principatuclari  describuntur ,  ibid. , 
1595,  2  vol.  in-4'^.  (2).  Cet  ouvrage 
est  rempli  de  faljles  ;  cependant  on 
assure  que  D.  Mabillon  en  a  profité 
pour  la  rédaction  de  ses  Annales  ord. 
S,  Benedicti.  Cli.  Steingel  en  a  don- 
né une  traduction  allemande ,  Augs- 
bourg ,  1607  j  dont  on  lui  reproche 
d'avoir  retranché  tout  ce  qui  concer- 
nait l'histoire  littéraire  (  /^.  Vogt , 
Cat.  libror.  rarior.  ).  On  trouve  dans 
le  premier  volume ,  après  la  dédi- 
cace, adressée  au  roi  d'Espagae , 
Philippe  II ,  ime  dissertation  intitu- 
lée :  De  antiquissimd  et  illustris- 
simdfamilid  romand  Anicid,  etc. , 


(i)  Et  non  pas  J^Vyon,  comme  il  est  écrit  par 
cireur  typographique  à  l'art.  MALA.CHIE, 

(a)  D.  J.  François  dit  qu'il  eti  parut  une  secon- 
de édition,  Reggio,  if}2(),  in-fol.  (^Bihl.des  ccrU'. 
de  Vordi-c  de  S.  Benoît^  ITI ,  aG?.)  ;  mais  comme 
on  ne  l'a  trouvée  dans  aucim  catalogue  ou  u'ose 
pas  en  garantir  rexislence. 


WIP 

où  l'auteur  cherche  à  prous^er  qiie 
saint  Benoît  descend  de  celte  famille, 
et  qu'elle  est  également  ia  tige  de  la 
maison  d'Autriche.  II  a  recueilli 
dans  le  même  volume  (  pag.  807  ) 
la  fameuse  Prophétie  attribuée  faus- 
sement à  saint  Malachie  (  F.  XXYI, 
3 19  ) ,  laquelle  avait  été  composée  , 
dit-on ,  en  1 590 ,  pendant  le  conclave 
assemblé  pour  l'élection  du  succes- 
seur d'Urbain  VII  ,  par  les  parti-  . 
sans  du  cardinal  Simoncelli  ,  l'uiij 
des  prétendants  à  la  tiare  ,  qu'on  y 
désigne  par  les  mots  De  antiquitate 
urbis  y  parce  qu'il  était  d'Orvietle ,  en 
latin  urbs  vêtus.  Dans  le  tome  11 ,  on 
trouve  le  Martyrologe  de  l'ordre  de 
Saint-Benoît,  que  D.  Menard  a  fait 
réimprimer  avec  des  notes  curieuses 
{r.  XXVIII,  264). III.  FitaS.  Ge- 
rardi  è  Fenetd  familid  deSagredo, 
martfris  et  Hungarorum  apostoli, 
notationibus  illustrata ,  ibid. ,  1 597 , 
in-4''.  Cette  vie  est  recherchée  à  cause 
du  commentaire  dont  elle  est  accom- 
pagnée. Le  P.  Wion  promettait  une 
édition  des  OEuvres  de  B.  Platine; 
et  il  a  laissé  en  manuscrit  quelques 
opuscules  ascétiques ,  et  une  concor- 
dance de  la  chronologie  des  Septante 
avec  celle  de  la  Vulgaîe,  qu'il  se 
proposait  de  publier  k  la  tête  d'une 
Chronique  universelle.  On  trouve- 
une  notice  sur  la  vie  et  les  ouvrages 
du  P.  Wion  dans  le  tome  iv  de  la 
Nuova  raccolta  Calogerana.  W-s.. 
WIPPO  ou  WILPO ,  né  en  Bour-^ 
gogne,  était  aumônier  de  Tempe 
reur  Henri  III,  vers  l'an  io45.  Sesj 
écrits  sur  l'histoire  du  temps  pas- 
sent pour  les  meilleurs  de  son  épo- 
que. I.  Vita  Conradi  Salici  publiée 
par  Pistorius  ,  dans  ses  Scriptores 
rerum  germanicarum ,  t.  m.  IL 
Panegyricus  ad  Henricwn  III , 
dans  le  Thésaurus  de  Basnage ,  t. 
m.  TIL  Sententiœ  Conradi  ad  lien- 


wia 

iicuui  filium  ,  dans  la  Bihlioih.  lai. 
med.  œi^i  de  Fabriciiis,  t.  i.  Voy. 
Vossiiis  ,  (le  Hist.  lat.,  lib.  ii.  G- y. 

WTPREGHT.  Fo^y.  Wigbert. 

WIRSUNG,  eu  lalin  Firsungiis, 
(  Christophe),  médecin,  ne  à  Augs- 
bomg  en  i5oo,  e'tudia  tout  à-la-fois 
la  médecine  et  la  théologie,  ce  qui 
n'était  pas  alors  fort  rare.  Il  fut 
très- lié  avec  Conrad  Gesner  j  et 
dans  le  même  temps  qu'il  pratiquait 
son  art  avec  beaucoup  de  distinction 
dans  sa  ville  natale,  il  y  remplissait 
avec  le  même  succès  les  fonctions 
depredicatcurcvangelique.il  mourut 
à  Ileidelbcrg  en  iS^i.  On  a  de  lui: 
Nouveau  livre  de  médecine  {  ail.  ), 
Heidclbcrg,  1 568 ,  in-fol.  jNeustadt, 
I  588  et  i5c)7.  —  Wirsung  {Jean- 
George  ) ,  chirurgien ,  de  la  même 
famille  que  le  précédent,  naquit  à 
Augsbourg ,  et  se  rendit  à  Padoue , 
où  il  reçut  des  leçons  de  Vesiing. 
Ses  progrès  furent  rapides  dans  l'a- 
natomie;  et,  le  premier,  il  démontra 
dans  l'homme  le  cauà\ pancréatique^ 
que  d'autres  anatomistes  avaient  dé- 
jà aperçu  dans  les  animaux.  Ce  con- 
duit porte  encore  aujourd'hui  son 
nom  dans  la  science  anatomiquc.  Le 
mérite  de  Wirsung  lui  fit  des  enne- 
mis :  un  médecin  dalmate ,  qu'il 
avait  réduit  au  silence  dans  une  dis- 
cussion publique,  s'introduisit  dans 
son  cabinet ,  et  le  tua  d'un  coup 
de  pistolet.  Z. 

WIUTZ  ou  WIRZ  (Jean),  ar- 
tiste suisse,  dont  la  célébrité^  selon 
Fuessli ,  est  lein  d'égaler  le  talent , 
naquit  à  Zurich  en  i64o,  et  reçut 
sous  les  yeux  de  son  père,  professeur 
en  théologie  ,  une  éducation  libé- 
rale. Il  n'avait  pas  encore  terminé 
ses  études  lorsqu'il  eut  le  malheur 
de  perdre  un  œil.  Cet  accident  ne 
put  l'empêcher  de  se  livrer  avec  ar- 
deur au  dessin^  et  il  y  fit,  en  peu  de 


WIR 


69 


temps ,  de  grands  progrès.  Conrad 
Meycr  l'initia  aux  mystères  de  la 
peinture,  ainsi  qu'à  ceux  de  l'art  de 
graver  à  l'eau-fortc;  et  Wirz  devint 
bientôt  un  de  ses  disciples  favoris.  Il 
est  malheureux  que  les  circonstances 
n'aient  ])oint  permis  au  génie  de  ce 
jeune  peintre  de  se  développer.  Obli- 
gé de  se  servir  de  son  talent  pour  vi- 
vre, il  fit  des  portraits  ,  et  se  consa- 
cra presque  exclusivement  à  ce  gen- 
re. Pendant  ses  instants  de  loisir,  il 
s'abandonnait  aux  caprices  d'une 
imagination  vagabonde  et  bizarre , 
et  réalisait  sur  la  toile  ou  l'acier  des 
conceptions  toujours  absurdes  ou  ri- 
dicules. Le  seul  ouvrage  qui  reste  de 
lui  est  son  Romœ  animale  exem- 
plum,  Zurich  ,  1677  ,  in  -  8^.  C'est 
une  collection  de  dialogues  sur  l'A- 
pocalypse ,  dialogues  qui  en  fait  de 
puérilitéSjd'extravagancesetdesingu- 
larités ,  peuvent  le  disputer  aux  com- 
mentaires les  plus  bizarres  écrits  sur 
la  prophétie  de  l'évangéliste  de  Path- 
mos.  Zèle  aveugle,  légendes  absurdes, 
incohérences  et  barbarismes  dans  le 
style ,  il  n'y  manque  rien  de  ce  qui  ca- 
ractérise trop  souvent  les  interpréta- 
tions de  l'ouvrage  le  plus  obscur  de  la 
Bible.Mais  les  quarante-deux  planches 
qu'il  a  jointes  à  son  texte  sont  pres- 
que toutes  remarquables  par  l'habi- 
leté de  la  composition,  la  magnificen- 
ce ou  la  grâce  des  paysages,  la  dégra- 
dation de  la  lumière  et  l'expression 
passionnée  des  figures  ,  qu'il  groupe 
ou  distribue  avec  un  art  infini.  Tour- 
à-tour  ,  et  souvent  à-Ia-fois,  brillant, 
terrible,  gracieux,  sombre,  pathéti- 
que ,  il  semble  jouer  avec  les  formes, 
la  lumière ,  les  ombres ,  les  cou- 
leurs ;  et  le  fantastique  de  ses  com- 
positions a  quelque  chose  qui  cap- 
tive l'œil  ,  et  frappe  l'imagina- 
tion ,  plus  que  la  pureté  ou  la  cor- 
rection d'un  tableau  composé  selon 


(J8  WIO 

WION  (i)  (  Ar.NOLD) ,  historien 
(le  l'ordre  de  Saiiit-lîcnoît  ,  était  fils 
du  procureur-Hscal  de  Douai ,  et  na- 
quit en  cette  ville  le  !«»■.  mai  i554. 
Ayant  achevé  ses  études ,  il  embrassa 
la  vie  religieuse  à  Tabbaye  d'Arden- 
burg  ,  près  de  Bruges.  Les  troubles 
qui  désolaient  les  Pays-Bas  l'enga- 
gèrent à  se  retirer  en  Italie ,  et  il  fut 
admis  ,  en  1577  ,  dans  la  congréga- 
tion du  Mont-Cassin.  Il  partagea  le 
reste  de  sa  vie  entre  l'exercice  de  ses 
devoirs  et  l'étude ,  et  mourut  dans  les 
premières  années  du  dix-septième 
siècle.  On  a  de  lui  :  I.  Brève  dichiara- 
zionedelV  arbore  monastico  Bene- 
ditlino,  intitolato  :  legno  délia vita, 
Venise ,  1 594  ,  in-8".  C'est  le  plan 
de  l'ouvrage  qui  suit ,  avec  l'expli- 
catioii  des  figures  dont  il  est  orné. 
II.  LigTUim  vitœ  ,  ornamentum  et 
decus  ecclesice^in  quinque  lihros  di- 
visum  ,  in  quibus  totius  SS.  reli- 
gionis  D.  Benedicti  irdtia,viri  dig- 
nitate ,  doctrmd  ,  sanctitate  ac 
princjpatu  clari  describuniur ,  ibid. , 
iSqS,  1  vol.  in-4°.  {'^)'  Cet  ouvrage 
est  rempli  de  fables  ;  cependant  on 
assure  que  D.  Mabillon  en  a  profité 
pour  la  rédaction  de  ses  Annales  ord. 
S,  Benedicti.  Ch.  Steingel  en  a  don- 
né une  traduction  allemande ,  Augs- 
bourg ,  1607  ,  dont  on  lui  reproche 
d'avoir  retranché  tout  ce  qui  concer- 
nait l'histoire  littéraire  (  F.  Vogt  j 
Cat.  libror.  rarior.  ).  On  trouve  dans 
le  premier  volume ,  après  la  dédi- 
cace, adressée  au  roi  d'Espagiie , 
Philippe  II ,  ime  dissertation  intitu- 
lée :  De  antiquissimd  et  illustris- 
simdfamilid  romand  Anicid,  etc.  y 


(i)  Et  non  pas  T^'yon,  comme  il  est  écrit  par 
erreur  typographique  à  l'art.  MALA.CHIE. 

(2)  D.  J.  François  dit  qu'il  en  parut  une  secon- 
de eiilion,  Reggio,  16*9,  in-fol.  {lU/jl.des  écriv. 
tie  V ordre  de  S.  fienoil,  lU ,  0.67.)  ;  mais  comme 
tm  ne  l'a  trouvée  dans  aucun  catalogue  on  u'ose 
pas  en  garantir  l'existence. 


WIP 

où  l'auteur  cherche  à  prouver  q'.ie 
saint  Benoît  descend  de  celte  famille, 
et  qu'elle  est  également  ia  tige  de  la 
maison  d'Autriche.  Il  a  recueilli 
dans  le  même  volume  (  pag.  Soy  ) 
la  fameuse  Prophétie  attribuée  faus- 
sement à  saint  Malachie  (  F,  XXVI, 
3 19  ) ,  laquelle  avait  été  composée  , 
dit-on  ,  en  1 590 ,  pendant  le  conclave 
assemblé  pour  l'élection  du  succes- 
seur d'Urbain  VII  ,  par  les  parti- 
sans du  cardinal  Simoncclli  ,  l'un 
des  prétendants  à  la  tiare  ,  qu'on  y 
désigne  par  les  mots  De  antiquitate 
urbis ,  parce  qu'il  était  d'Orviette^  en 
latin  urbs  vêtus.  Dans  le  tome  11 ,  on 
trouve  le  Martyrologe  de  l'ordre  de 
Saint-Benoît,  que  D.  Menard  a  fait 
réimprimer  avec  des  notes  curieuses 
{F.  XXVIII,  264). III.  FitaS.  Ge- 
rardi  è  Fenetd  familid  deSagredo, 
martyris  et  Himgarorum  apostoli, 
notationihus  illustrata ,  ibid. ,  1 697 , 
in-4°.  Cette  vie  est  recherchée  à  cause 
du  commentaire  dont  elle  est  accom- 
pagnée. Le  P.  Wion  promettait  une 
édition  des  OEuvres  de  B.  Platine  j 
et  il  a  laissé  en  manuscrit  quelques 
opuscules  ascétiques ,  et  une  concor- 
dance de  la  chronologie  des  Septante 
avec  celle  de  la  Vulgate  ,  qu'il  se 
proposait  de  publier  à  la  tête  d'une 
Chronique  universelle.  On  trouve 
une  notice  sur  la  vie  et  les  ouvrages 
du  P.  Wion  dans  le  tome  iv  de  la 
Nuova  raccolta  Calogerana.  W-s^ 
WIPPO  ou  WILPÔ ,  né  en  Bour- 
gogne, était  aumônier  de  l'empe- 
reur Henri  IIÏ,  vers  l'an  io45.  Ses 
écrits  sur  l'histoire  du  temps  pas-j 
sent  pour  les  meilleurs  de  son  épo-j 
que.  I.  Fita  Conradi  Salici  publiée, 
par  Pistorius  ,  dans  ses  Scriptores 
rerum  germajùcarum ,  t.  m.  IL 
Panegyricus  ad  Henricum  III , 
dans  le  Thésaurus  de  Basnage ,  t. 
ni.  IIL  Sententice  Conradi  ad  Hen- 


wm 

ricwn  filiinn  ,  dans  la  Bibliolh.  lai. 
mcd.  œwi  de  Fabricius,  t.  i.  Voy. 
Vossius  ,  (le  Ilist.  lat.j  lib.  ii.  G- y. 

WIPRECHT.  Foj-.  WiGBLRT. 

WIRSUNG,  cil  lalin  Firsungus, 
(  Christophe) ,  médecin ,  ne  à  Augs- 
boiirg  en  i5oo,  étudia  tout  à-la-fois 
la  médecine  et  la  théologie ,  ce  qui 
n'était  pas  alors  fort  rare.  11  fut 
très- lié  avec  Conrad  Gesner  •  et 
dans  le  même  temps  qu'il  pratiquait 
son  art  avec  beaucoup  de  distinction 
dans  sa  ville  natale ,  il  y  remplissait 
avec  le  même  succès  les  fonctions 
de  prédicateur  cvangélique.Il  mourut 
à  Heidelberg  en  1571.  On  a  de  lui: 
Nouveau  livre  de  médecine  {  ail.  ), 
Heidelberg,  1 568 ,  in-fol.  jNeustadt, 
i588  et  i5c)7.  —  Wirsung  {Jean- 
George  )  y  chirurgien ,  de  la  même 
famille  que  le  précédent,  naquit  à 
Augsbourg ,  et  se  rendit  à  Padoue , 
où  il  reçut  des  leçons  de  Vcsiing. 
Ses  progrès  furent  rapides  dans  l'a- 
natomic;  et,  le  premier,  il  démontra 
dans  l'homme  le  caim\ pancréatique^ 
que  d'autres  anatoraistes  avaient  dé- 
jà aperçu  dans  les  animaux.  Ce  con- 
duit porte  encore  aujourd'hui  son 
nom  dans  la  science  anatomiquc.  Le 
mérite  de  Wirsung  lui  lit  des  enne- 
mis :  un  médecin  dalmate ,  qu'il 
avait  réduit  au  silence  dans  une  dis- 
cussion publique,  s'introduisit  dans 
son  cabinet ,  et  le  tua  d'un  coup 
de  pistolet.  Z. 

WIRïZou  WmZ  (Jean),  ar- 
tiste suisse,  dont  la  célébrité^  selon 
Fuessli ,  est  lein  d'égaler  le  talent , 
naquit  à  Zurich  en  i64o,  et  reçut 
sous  les  yeux  de  son  père,  professeur 
en  théologie  ,  une  éducation  libé- 
rale. Il  n'avait  pas  encore  terminé 
ses  études  lorsqu'il  eut  le  malheur 
de  perdre  un  œil.  Cet  accident  ne 
put  l'empêcher  de  se  livrer  avec  ar- 
deur au  dessin^  et  il  y  fit,  en  peu  de 


WIR 


% 


temps,  de  grands  progrès.  Conrad 
Meyer  l'initia  aux  mystères  de  la 
peinture,  ainsi  qu'à  ceux  de  l'art  de 
graver  à  l'eau-forte;  et  Wirz  devint 
bientôt  un  de  ses  disciples  favoris.  Il 
est  malheureux  que  les  circonstances 
n'aient  ])oint  permis  au  génie  de  ce 
jeune  peintre  de  se  développer.  Obli- 
gé de  se  servir  de  son  talent  pour  vi- 
vre, il  fit  des  portraits  ,  et  se  consa- 
cra presque  exclusivement  à  ce  gen- 
re. Pendant  ses  instants  de  loisir ,  il 
s'abandonnait  aux  caprices  d'une 
imagination  vagabonde  et  bizarre, 
et  réalisait  sur  la  toile  ou  l'acier  des 
conceptions  toujours  absurdes  ou  ri- 
dicules. Le  seul  ouvrage  qui  reste  de 
lui  est  son  Romœ  animale  exem- 
plum,  Zurich  ,  1677  ,  in  -  S'*.  C'est 
une  collection  de  dialogues  sur  l'A- 
pocalypse ,  dialogues  qui  en  fait  de 
puérilitéSjd'extravagances  et  de  singu- 
larités ,  peuvent  le  disputer  aux  com- 
mentaires les  plus  bizarres  écrits  sur 
la  prophétie  de  l'évangéliste  de  Path- 
mos.  Zèle  aveugle,  légendes  absurdes, 
incohérences  et  barbarismes  dans  le 
style ,  il  n'y  manque  rien  de  ce  qui  ca- 
ractérise trop  souvent  les  interpréta- 
tions de  l'ouvrage  le  plus  obscur  de  la 
Bible.Maislesquarante-deux  planches 
qu'il  a  jointes  à  son  texte  sont  pres- 
que toutes  remarquables  par  l'habi- 
leté de  la  composition,  la  magnificen- 
ce ou  la  grâce  des  paysages,  la  dégra- 
dation de  la  lumière  et  l'expression 
passionnée  des  figures  ,  qu'il  groupe 
ou  distribue  avec  un  art  infini.  Tour- 
à-tour  ,  et  souvent  à-la-fois,  brillant, 
terrible,  gracieux,  sombre,  pathéti- 
que ,  il  semble  jouer  avec  les  formes, 
la  lumière ,  les  ombres ,  les  cou- 
leurs ;  et  le  fantastique  de  ses  com- 
positions a  quelque  chose  qui  cap- 
tive l'œil  ,  et  frappe  l'imagina- 
tion ,  plus  que  la  pureté  ou  la  cor- 
rection d'un  tableau  composé  selon 


70  WIR 

les  règles  du  goût ,  et  dont  le  but  se- 
rait de  reprcsciUer  les  realite's  de  la 
vie.  Parmi  les  artistes  de  l'Italie, 
Paul  Veronèse  et  Salvator  Rosa'  sont 
ceux  qui  peuvent  le  mieux  donner 
l'idée  de  la  manière  de  Wirtz;  mais 
il  y  a  dans  sa  représentation  du  Juge- 
ment dernier  quelque  chose  du  gran- 
diose et  de  la  subiimite  de  Micliel- 
Ange.  On  a  même  de  la  peine  à  con- 
cevoir comment,  sans  jamais  avoir 
franchi  les  Alpes,  le  peintre  de  Zu- 
rich a  pu,  non-seulement  imiter  avec 
autant  de  ti  délite  le  st5'le  de  quelques- 
uns  des  grands  maîtres  des  éco- 
les italiennes  ,  mais  encore  repro- 
duire avec  une  exactitude  qui  tient 
du  prodige  l'aspect  des  lieux  et  la 
physionomie  du  paysage,  les  varie'- 
tcs  du  costume  ,  les  détails  les  plus 
frivoles  de  rarchitecture  et  mille  par- 
ticularités non  moins  minutieuses  et 
non  moins  fugitives.  Wirtz  mourut 
en  1709,  dans  une  petite  maison  de 
campagne  qu'il  possédait  près  de 
Zurich.  —  Jean  Wirtz,  en  latin 
Wirtzius y  son  père,  inspecteur  des 
élèves,  chanoine,  professeur  de  logi- 
que, puis  de  théologie,  à  Zurich, 
011  il  mourut  en  1 658,  avait  laissé 
dans  cette  vilie  la  réputation  d'un 
ministre  doué  de  toutes  les  vertus  , 
d'un  bon  poète  et  d'un  théologien 
éclairé.  On  a  de  lui  un  grand  nombre 
d'ouvrages  ,  parmi  lesquels  il  faut 
distinguer  son  6rjr.atj.okoyh.  et  le  De 
ementito  in  fidei  dogniatîbus  Ec- 
clesiœ  romance  doctorum  consensu. 

P— OT. 

WIRTZ  (  Jean-Conrad  )  ,  né  à 
Zurich  en  1688,  fit  ses  études  dans 
sa  patrie  et  à  l'université  d'Utrecht. 
Depuis  1713,  il  occupa  différents 
emplois  ecclésiastiques  dans  sa  ville 
natale,  dont  il  devint  premier  pas- 
teur en  Ï737.  Aussi  respectable  par 
ses  vertus  que  par  ses  connaissances, 


I 


WIS 

il  mérita  d'être  compté  parmi  les 
restaurateurs  des  lettres  et  de  la 
théologie  à  Zurich.  11  combattit  l'in- 
tolérance avec  autant  de  courage  et 
de  dignité  que  de  prudence  et  de 
modestie,  et  rendit  la  paix  religieuse 
à  sa  patrie.  Il  mourut  en  1769.  La 
plupart  des  écrits  qu'il  a  publiés  sont 
du  genre  ascétique.  On  distingue  la 
collection  de  sç.s  Discours  synodaux  ^ 
Zurich,  177*2  <à  1775,  4  "vol.  in- 
8*^.  ,  et  d'excellents  morceaux  in- 
sérés dans  le  Muséum  helveticum^ , 
dont  on  ne  citera  que  le  Dialogus  de 
intempestiçis  disputationihus  et  ca- 
tholico  coniroversiarum  in  causa 
religionis  judicio.  V — i. 

WISCHER  (Théodore),  pein- 
tre, né  à  Harlem  vers  t65o  ,  apprit 
son  art  dans  l'école  de  Berghem  ,  et 
profita  bea  ucoup  des  leçons  d'un  aussi 
bon  maître.  Devancé  par  sa  réputa- 
tion à  Rome,  il  fut  très-bien  reçu 
des  meilleurs  artistes  de  cette  ca- 
pitale, où  il  composa  des  tableaux 
estimés ,  et  les  vendit  fort  avanta- 
geusement; mais  son  goût  pour  la 
dissipation  et  l'ivrognerie  l'empê- 
cha d'arriver  au  degré  de  perfec- 
tion qu  il  pouvait  atteindre  ,  et  il 
mourut  dans  la  misère  à  la  fin  du 
dix-septième  siècle ,  après  lui  sé- 
jour de  plus  de  vingt-cinq  ans  en 
Italie.  —  WiscHER  (  Corneille  ),  • 
de  la  même  famille,  fut  un  des  plus 
habiles  graveurs  de  son  siècle,  et  fit 
surtout  des  portraits  d'une  rare  per- 
fection pour  la  finesse  et  la  pureté  du 
burin.  On  cite  entre  autres  celui  du 
poète  Vondel  (  Fof. cenom  ).  Bazan 
a  donné  le  catalogue  de  son  œuvre. 
—  WiscHER  (  Jean  ) ,  frère  du  pré-- 
cédent ,  a  aussi  gravé  avec  quelque 
succès.  Z. 

WISE  (Jean),  ministre  d'Ips- 
wich  en  Massachusetts  ,  fit  ses  étu- 
des au  collège  d'Harward  ,  et  prit 


WIS 

part,  dès  l'année  1688,  aux  pie- 
miers  actes  de  rébellion  qu'excitè- 
rent dans  sa  patrie  les  taxes  exces- 
sives. Ayant  montre  beaucoup  d'exas- 
pération ,  il  fui  emprisonné;  et  lorsque 
le  calme  fut  rétabli  il  intenta  une 
action  au  chef  de  justice,  qui  n'avait 
pas  fait  valoir  en  sa  faveur  l'acte 
àliaheas  corpus.  En  1690,  il  était 
cli.Tpel.iin  dans  la  niallieureusc  expé- 
dition du  Canada  _,  et  il  s'y  distin- 
gua par  son  zMe  et  son  courage.  En 
1705, quand  plusieurs  ministres  vou- 
lurent former  des  associations  dis- 
sid<'ntes,  à  l'exemple  de  son  prédé- 
cesseur Ward  ,  Wise  fit  tous  ses 
elTorts  pour  écarter  le  danger  qui 
menaçait  les  Églises  de  la  congré- 
gation ,  et  il  composa,  à  cette  occa- 
sion ,  deux  oiiyrap,es  estimés  :  I. 
Querelle  de  l'Église  épousée.  II. 
Défense  du  gouvernement  des  Egli- 
ses de  la  Nouvelle-Angleterre,  1718, 
réimprimée  en  1772.  JeanWisemou- 
rut  en  lyotS. — W \se  (Jérémie) , 
ministre  de  Berwick  en  Massaclni- 
setts,  mort  en  1 766  ,  a  publié  divers 
sermons  et  éloges  funèbres.        Z. 

WISE  (Francis),  antiquaire  an- 
glais ,  (ils  d'un  mercier,  naquit  en 
i6f)5  à  Oxford ,  et  acheva  ses  études 
à  l'université  de  cette  ville.  Admis 
comme  conservateur-adjoint  à  la  bi- 
bliothèque Bodiey,  il  y  fut  à  même 
de  satisfaire  son  goût  pour  l'histoire 
littéraire  et  les  antiquités.  11  devint, 
en  1 7  1 9 ,  membre  du  collège  de  la 
Trinité  ,  où  il  fut  chargé,  en  17^1  , 
de  veiller  y  comme  gouverneur,  sur 
l'éducation  de  Francis  North ,  de- 
puis comte  Gui'ford.  Ce  choix  fixa 
en  partie  sa  destinée.  Ce  seigneur  lui 
donna  la  petite  cure  d'Ellestield  près 
d'Oxford.  Wise  loua  dans  le  voisi- 
nage un  terrain  de  quelques  acres , 
dont  il  fit  un  séjour  charmant,  oiî 
des  fabriques  variées  et  une  imita- 


WIS  71 

tien  heureuse  de  monuments  anti- 
ques ,  comme  la  tour  de  Babel ,  un 
temple  des  Druides  ,  une  pyramide 
égyptienne,  attestaient  le  goût  et  l'in- 
dustrie du  possesseur.  Wise  avait 
mis  au  jour  ,  en  1 7 '22  ,  Asser  Mene- 
vensis  de  rébus  gestis  Alfredi  niag- 
ni  ,  vol.  in-S*^.,  élégamment  impri- 
mé et  orné  de  gravures.  En  1 738  ,  il 
publia  une  Lettre  au  docteur  M ead^ 
concernant  quelques  antiquités  du 
Berkshire  ,  où  l'on  fait  voir  que  le 
Cheval  blanc  était  un  monument 
5«a:o7z ,  iu  4"  Uïï  anonyme  lui  ré- 
pondit dans  un  pamj)hlet  très-inju- 
rieux ,  où  il  donne  à  entendre  que 
l'auteur  de  la  lettre  était  mal  dispo- 
sé pour  la  maison  régnante.  (îelte 
insinuation  chagrina  d'autant  plus 
Wise,  alors  garde  des  archives, 
qu'il  avait  des  prétentions  à  la  place 
de  bibliothécaire  de  la  Radcliflè.  Il 
reprit  la  ])lume  sur  le  même  sujet , 
et  donna  en  174^  des  Observations 
nouvelles  sur  le  Cheval  blanc.  Un 
de  ses  amis  s'attacha  également, 
mais  en  gardant  l'anonyme,  à  justi- 
fier ses  principes  politiques^,  ainsi  que 
la  justesse  de  ses  conjectures  savan- 
tes; et  la  malveillance  ne  put  empê- 
cher queWise  obtînt, en  1748, l'em- 
ploi qu'il  desirait.  La  cure  de  Ro- 
therfield-Greys  ,  dans  le  comté  et  le 
diocèse  d'Oxford  ,  lui  fut  aussi  confé- 
rée en  174')-  Il  publia,  en  1750,  son 
Catalogue  des  monnaies  de  la  bi- 
bliothèque bodléicnne  ,  in-fol.  ,  où 
l'on  trouve  quelques  vues  de  sa  mai- 
son et  de  ses  jardins  à  EllesOeld  ;  en 
1758,  des  Becherches  concernant 
les  premiers  habitants  ,  les  connais- 
sances et  la  littérature  de  V Europe, 
par  un  membre  de  la  société  des 
antiquaires  ;  enfin  ,  en  1  764 ,  Consi- 
dérations sur  l'histoire  et  la  chro- 
nologie des  temps  fabuleux;  ces 
deux  derniers  écrits  ne  portent  que 


^2  WIS 

les  lettres  initiales  du  nom  de  l'au- 
teur. Il  mourut ,  fort  tourmente  de 
la  goutte,  le  6  octobre  1767.  Wise 
avait  enrichi  la  bibliotlièque  Bodley 
d'un  grand  nombre  de  médailles  qui 
manquaient  dans  les  séries  ;  après  sa 
mort  j  sa  sœur  lit  présent  d'une  belle 
collection  du  même  genre  à  la  bi- 
bliothèque Radcliffe.  L. 

WISEMAIN  (Richard),  chirur- 
gien anglais,  fut  attache  par  sa  pro- 
fession à  la  famille  royale,  au  temps 
de  la  guerre  civile  de  1640  ,    et  ac- 
compagna le  prince  Charles  fugitif 
en  France  j  en  Hollande  et  dans  les 
Pays-Bas.  Rentre  avec  lui  en  Ecosse, 
il  fut  fait  prisonnier  à  la  bataille  de 
Worcester  •  mais  il  recouvra  la  li- 
berté   en    i6V.i ,   et  exerça  dès-lors 
son  art  dans  la  capitale.  Sa  pratique 
s'accrut  considérablement  après   la 
restauration,  et  ses  avis  jouissaient 
d'une  grande  autorité.  Il  publia  ,  en 
1676 ,  Divers  traités  chirurgicaux , 
en  I  vol.  in-fol. ,  réimprimé  en  1686, 
et  en  1 7 1 9 ,  2  vol.  in-B».  Ces  traités 
ont  pour  sujets  les  tumeurs  ,  les  ul- 
cères, les   maladies  de  l'anus,  les 
écronellcs  ,  les  blessures ,  les  plaies 
faites  par  des  armes  à  feu  ,  les  frac- 
tures et  luxations  ,  la  maladie  véné- 
rienne.   La  description  générale  de 
chaque  maladie  est  suivie  d'observa- 
tions écrites  avec  un  ton  de  sincérité 
propre  à  inspirer  la  confiance,  les 
mauvais   succès  n'étant  pas  moins 
rapportés  que  les  guérisons.  Ce  livre 
donne  nue  idée  de  ce  qu'était  la  chi- 
rurgie dans  ce  temps  où  l'on  recou- 
rait aux  médicaments  et  aux  appli- 
cations topiques  plus  qu'aux  opéra- 
tions. Z. 

WISHART  ou  SFOCARD  (i) 
(  George),  l'un  des  premiers  et  des 
plus  ardents  promoteurs  des  nouvel- 

(i)  IJisl.  ceci,  de  rieury. 


WIS 

les  doctrines  en  Ecosse ,  et  l'un  des 
premiers  que  les  protestants  hono- 
rent du  titre  de  martyrs  de  la  réfor- 
mation, naquit  dans  les  premières 
années  du  seizième   siècle,  e£   peu 
de    temps  avant   qu'elle    commen- 
çât.  Il   descendait  des   Piltarows  , 
illustre  maison  d'Ecosse.  Il  fut  de 
bonne  heure  imbu  des  opinions  nou- 
velles ,  soit  qu'il  les  eût  puisées  en 
Allemagne,  dans  un  voyage  qu'on  pré- 
tend qu'il  y  fit,  etoùil  vit  Luther,  soit 
que  ce  fût  à  Cambridge,  où  il  passa 
quelques  années ,  et  où  elles  commen- 
çaient à  se  répandre-  mais  personne 
ne  les  embrassa  avec  plus  d'ardeur. 
Ce  qu'il  y  a  de  plus  certain,  c'est 
que ,  de  retour  dans  sa  patrie ,  en 
1 54 4?  son  premier  soin  et  l'occupa- 
tion de  tout  son  temps  fut  de  travail- 
ler à  les  propager.  Il  ne  manquait  ni 
d'éloquence  ni  de  savoir.  Doué  d'ail- 
leurs par  la  nature  d'heureuses  qua- 
lités, d'unegrande  douceur  de  carac- 
tère, qui  lui  attiraitla  confiance;  pieux 
à  sa  manière,  zélé  jusqu'à  l'enthou- 
siasme pour  la  doctrine  qu'il  avait 
embrassée,  il  se  mit  à  la  prêcher  avec 
un  courage  qui  allait  jusqu'à  l'au- 
dace.  Il  mêlait  à  ses  prédications 
des  déclamations  continuelles  contre 
l'Lglise  romaine  ,  qu'il  accusait  de 
corruption ,  et  contre  le  clergé  ca- 
tholique ,  auquel  il  imputait  toute 
sorte  de  vices.  Ces  nouveautés  et  le 
talent  de  l'orateur  lui  eurent  bientôt 
attiré  un  auditoire  nombreux.  On  le 
suivit ,  on  l'écouta  ,  on  le  crut  ',  et 
l'erreur  fit  de  rapides  progrès.  Le 
cardinal  Beaton  (2),  arcl^evêque  de 
Saint-André  et  légat  du  Saint-Siège  , 
dans  le  diocèse  duquel  Wishart  prê- 
chait, lui  lit  défendre  de  continuer. 
Celui-ci  n'en  tint  compte,  et  se  con- 
tenta de  quitter  le  lieu ,  pour  aller  dé- 


(■>)   I/IIisloire   ecck'siaslique  l'apj)clle  Béton  et 
Fellcr  Beaton. 


1 


WIS 

biter  ailleurs  ses  opinions  et  ses  ca- 
lomnies. Le  cardinal  ne  faisait  assu- 
rément que  ce  qu'il  devait  en  cher- 
chant à  préserver  son  troupeau  de  la 
corruption.  Les  protestants  préten- 
dent qu'il  fut  alors  résolu  d'attenter  à 
la  vie  de  Wishart,  et  que  des  tentati- 
ves furentfaitesdanscedessein.  S'il  en 
était  ainsi,  ce  n'est  certainement  pas 
là  l'esprit  de  l'Évangile  j  et  ceux  qui 
les  auraient  ordonnées  seraient  cou- 
pables :  mais  quoiqu'on  cite  quel- 
ques faits  à  l'appui  de  cette  accusa- 
tion ,  est  -  elle  bien  prouvée  ?  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  cardinal ,  dont  sans 
doute  on  ne  niera  pas  que  le  devoir 
était  de  faire  tout  son  possible  pour 
remédier  au  mal,  employa  une  me- 
sure plus  légale.  11  assembla  un  sy- 
node à  Edinbourg  ,  pour  aviser  aux 
moyens  de  s'opposer  aux  progrès  de 
l'hérésie.  Pendant  qu'on  était  à  dé- 
libérer sur  un  objet  aussi  important, 
on  apprit  que  Wishart  n'était  qu'à 
quelques  milles  d'Édinbourg  ,  oîi  il 
continuait  hardiment  ses  prédica- 
tions. Le  cardinal  l'y  lit  arrêter  et 
amener  au  synode ,  où  il  fut  interrogé 
et  sommé  de  cesser  de  répandre  ses 
erreurs.  Loin  d'y  paraître  disposé  , 
il  les  soutint,  et  prétendit  qu'il  ne 
prêchait  que  la  parole  de  Dieu  et 
l'Évangile  dans  toute  sa  pureté.  Con- 
vaincu alors  d'hérésie  et  d'obstina- 
tion à  y  persister ,  il  fut  livré  au  ma- 
gistrat séculier,  qui,  suivant  la  ju- 
risprudence du  temps  ,  le  condamna 
aux  flammes  ,  sentence  qui  fut  exé- 
cutée en  janvier  i644'  Les  écrivains 
protestants  reprochent  au  cardinal 
Èeaton  cette  exécution ,  qu'il  eut  le 
tort  de  voir  de  son  palais  ,  et  quel- 
ques autres  exécutions  encore,  lesquel- 
les eurent  lieu  dans  ces  temps  désas- 
treux. Elles  sont  sans  doute  à  déplo- 
rer; mais  comment  ces  mêmes  écri- 
Tains  excuseront  -  ils  la  vengeance 


WIS  ^3 

qu'on  en  lira  peu  de  mois  après  (  le 
29  mai  de  la  même  année)?  «  Douze 
hommes  entrèrent  à  Saint-André ,  et 
le  lendemain,  dès  le  matin,  s'empa- 
rèrent de  la  porte  du  ])alais  épisco- 
pal,  qu'ils  trouvèrent  ouverte.  Ils  se 
rendirent  ensuite  au  logement  des  of- 
ficiers ,  qu'ils  firent  sortir.  Étant  ain- 
si maîtres  du  palais ,  ils  avancèrent 
vers  l'appartement  du  cardinal ,  qui 
dormait  encore.  S'étant  éveillé  au 
bruit  des  conjurés,  il  barricada  sa 
porte  j  mais  aussitôt  qu'il  les  enten- 
dit parler  d'envoyer  chercher  du  feu, 
il  consentit  à  capituler,  et  se  ren- 
dit ,  à  condition  qu'on  lui  sauverait 
la  vie.  Les  conjurés  lui  manquèrent 
de  parole.  Dès  qu'ils  le  virent  en- 
tre leurs  mains,  ils  se  jetèrent  sur 
lui  comme  des  furieux,  et  le  massa- 
crèrent. La  ville  était  déjà  en  ru- 
meur ;  les  amis  du  cardinal  se  pré- 
paraient à  le  secourir  :  mais  on  leur 
montra  son  corps  par  la  même  fenê- 
tre où,  peu  de  temps  auparavant,,  il 
avait  paru  pour  être  spectateur  du 
supplice  de  Sfocard.  On  ne  s'ac- 
corde pas  sur  ce  que  devinrent  les 
meurtriers  (3).  »  Mais  le  patient ,  qui 
avait  aperçu  le  cardinal  à  sa  fenêtre^ 
avait ,  au  dire  des  protestants ,  pré- 
dit le  sort  qui  lui  était  réservé  à  la 
même  fenêtre ,  et  qu'en  effet  il  éprouva 
quelque  temps  après;  preuve  assez 
convaincante  que  la  secte, non-seule- 
ment n'y  était  pas  étrangère,  mais  en- 
core qu'elle  s'était  chargéedel'accom- 
plissement  de  la  prédiction  (4).  L-y. 

(3)  Hisl.  eccl.  de  Fleury,  lom.  XXIX,  liv.  \l{i  , 
11°.  a4' 

(4)  Le  cardinal  Beaton  se  nommait  David  ;  il 
élail  écossais  ,  et,  à  ce  qu'on  croit,  appartenait  à  la 
maison  royale,  I]  fi,t  ses  études  à  Paris,  avec  suc— 
ces,  plut  au  roi  d'Ecosse  Jacques  V  ,  qui  le  jugea 
capable  de  grands  emplois  ,  et  fut  envoyé  en  ambas- 
sade près  de  François  1«" . ,  qui  le  nomma  évêque 
de  Mirepoix.  Promu  li  l'ariLevêclié  de  Saint-An- 
djé,  par  Jacques  V,  et  élevé  ensuite  au  cardinalat 
par  Paul  III  ,  qui  l'envoya  légat  en  Ecosse,  il  s'op- 
posa toujours  avec  zèle  à  l'hérésie  naissi'ulc  {Hist, 
eccl.  de  Fleury  ,  loco  citalo  ). 


WIS 

WISHART     ou    WISCHEART 

(George),  ne  en  1602  dans  l'East-Lo- 
ihian,  en  Ecosse,  fit  ses  éludes  à  l'uni- 
versite'd'Édinbourg  ,  et  aprèsy  avoir 
pris  ses  degrés  entra  dans  les  ordres. 
Ministre  d'abord  à  North-Leith,  son 
refus  de  souscrire  le  covenant  (i) 
l'en  fit  expulser.  On  le  mit  même  en 
prison.  Ayant  recouvré  sa  liberté ,  il 
devint  chapelain  du  marquisde  Mont- 
rose,  et  l'accompngna  à  Tarraée.  Ce 
marqnis  fut  défait;,  en  i6^|5,par 
le  général  IJsiey,  et  Wishart  fut 
fait  prisonnier  :  il  eût  été  mis  à  mort 
avec  beaucoup  de  noLles  et  autres 
personnes  du  parti  de  Charles,  qui 
éprouvèrent  ce  sort ,  si  quelques-uns 
des  chefs,  parmi  les  vainqueurs,  tou- 
chés de  sa  douceur  et  de  son  carac- 
tère aimable,  ne  l'avaient  pris  sous 
leur  protection.  Échappé  de  ce  dan- 
ger, il  crut  n'avoir  rien  de  mieux  à 
faire  que  de  quitter  l'Ecosse.  Elisa- 
beth ,  sœur  de  Charles  \^^.  et  reine 
de  Bohême,  le  nomma  son  chape- 
lain. En  1660, il  retourna  en  Angle- 
terre avec  cette  princesse,  qui  venait 
y  visiter  Charles  II ,  son  neveu,  qu'on 
y  avait  rappelé,  et  qui  était  monté 
sur  le  trône.  Wishart  alors  obtint  le 
rectorat  de  Newcastle;  et  l'épiscopat 
ayant  été  rétabli  en  Ecosse,  il  fut 
nommé,  le  i^^"^  jd^^  1662,  évêque 
d'Édinbourg.  Parvenu  à  cette  digni- 
té, il  eut  souvent  l'occasion  de  fai- 
re preuve  de  sa  charité  bienveil- 
lante et  du  pardon  des  injures,  ca- 
ractère du  vrai  chrétien.  11  en  donna 
surtout  un  exemple  remarquable  à 
l'égard  des  presbytériens  qui  avaient 


(1)  Le  mot  covenanl  en  histoire  ecclésiastique, 
Résigne  un  contr.il  ou  convention  passée  entre  des 
Ecossais  presliytériens,  en  l'année  ifiB?.  ,  pour  le 
maintien  de  certains  articles  de  la  doctrine  presby- 
te'rienne,  contre  toute  innovation.  Le  serment  exi- 
gé pour  ce  maintien  reçut  le  nom  ie.  covenant , 
et  ceux  qui  s'y  obligeaient  étaient  appelés  covc- 
iianlers  (  Lncyclopédie  anglaise  de  John  Selby- 
Jloward  j  au  mot  Covetiant  ). 


WIS 

été  ses  persécuteurs ,  et  qui  furent 
à  leur  tour  emprisonnés  pour  cau- 
se de  rébellion;  non-seulement  Wis- 
hart les  assista  de  tous  ses  moyens, 
mais  il  sollicita  même  et  obtint  leur 
grâce.  11  mourut  en  iCi"]  t  ,  et  fut  in- 
humé dans  l'église  de  l'abbaye  de 
Holyrood  -  Iluuse  ,  sous  une  tombe 
magnifique,  accompagnée  d'une épi- 
taphe  honorable.  «  C'était,  dit  M. 
Keith  ,  un  prélat  pieux,  attaché  à  son 
devoir  et  d'une  grande  charité  envers 
les  prisonniers.  ^Sesouvenantqu'il  l'a- 
vait été  lui-même  ,il  prenait  rarement 
ses  repas  sans  avoir  envoyé  à  la  pri- 
son quelques  plats  de  sa  table.  »  11  a 
écrit  l'histoire  de  la  guerre  d'Ecosse 
sous  le  commandement  du  marquis 
de  Moiitrose  ,  de  laquelle  voici  le  ti- 
tie  :  De  rehus  suh  imperio  serenis- 
simi  et  poteniis  imi  Caroli  Magn.- 
Britan.  régis  ,  etc. ,  et  suh  imperio 
illustrissimi  Mont isRos arum  "mar- 
chionis ,  etc.,  anno  1664,  et  duo- 
bus  sequentihus  ,  prœclarè  gestis, 
commentarius.  Elle  fut  publiée  en' 
1 64^3  ;  et  a  été  plusieurs  fois  tra- 
duite en  anglais.  En  17*20,  il  en 
parut  une  nouvelle  édition  avec' 
une  seconde  partie  que  Keith  dit 
avoir  été  trouvée  dans  les  papiers 
de  Wishart.  Cet  ouvrage  est  très-es- 
time. L — Y. 

WISNIEWSKT  (Antoine),  prê- 
tre piariste,  né  à  Eenszyce  en  1718, 
mort  à  Varsovie  en  1774^  se  distin- 
gua dans  son  ordre  comme  savant 
et  comme  professeur.  En  1746,  il 
publia  ses  Propositiones  philosophi- 
cœ  ,  ex  physicd  reeentiorum ,  011  ilj 
se  déclara  pour  les  nouvelles  décou- 
vertes en  physique.  Le  savant  prélat 
Zaluski  l'encourageait  et  lui  avait 
ouvert  sa  riche  bibliothèque.  Les  jé- 
suites et  les  dominicains  polonais,  qui 
tenaient  à  la  philosophie  d'Aristote,j 
s'élevèrent   vivement  contre    Wis- 


WIS 

iiîewslu.  LeP.  Rudzki,  jésuite,  pu- 
blia contre  lui  :  Aristotelica  philo- 
sopliia  iUustrata.  Le  piariste  ne  re'- 
pondit  point  à  cet  ouvrage  ,  dont 
l'auteur  oubliait  toute  modération. 
Ayant  été  choisi  pour  accompagner 
en  Italie  le  jeune  prince  Lubomirs- 
ki,  Wi>niewski  passa  deux  ans  avec 
son  élevé,  à  l'université  de  Turin  , 
où  il  prit  des  leçons  de  physique  ex- 
périmentale et  de  mathématiques 
sous  les  deux  célèbres  piaristes  Yac- 
ra  et  Beccaria.  A  Vienne,  il  écouta 
les  leçons  de  l'astronome  Marinoni , 
et  celles  du  P.  Franz,  jésuite  et  cé- 
lèbre professeur  de  mathématiques. 
Étant  retourné  à  Varsovie,  ses  su- 
périeurs le  chargèrent  d'accompa- 
gner le  jeune  comte  Loewendhal ,  qui 
se  rendait  à  Paris,  auprès  de  son  pè- 
re, nommé  maréchal  de  France. 
Pendant  une  année  il  suivit  les  cours 
de  ^'ol!et  et  des  autres  professeurs 
de  physique  et  de  mathématiques. 
DePaiis,  il  se  rendit  à  Londres,  et 
revint  par  la  Hollande  et  l'Allema- 
gne, visitant  les  bibliothèques,  les 
cabinets,  et  remportant  avec  lui  une 
riche  collection  de  livres  et  d'instru- 
ments. Après  son  retour  à  Varsovie, 
il  fut  nommé  professeur  de  philoso- 
phie et  de  mathématiques  au  collège 
des  Nob!es.  En  prenant  possession 
de  sa  chaire,  il  parla  De  la  préémi- 
nence de  la  nouvelle  philosophie  sur 
V ancienne.  Ce  discours  excita  le  mé- 
contentement des  jésuites  et  des  do- 
minicains •  mais  les  religieux  des  au- 
tres ordres,  surtout  les  franciscains, 
embrassèrent  son  parti ,  et  l'aidèrent 
à  établir  la  nouvelle  physique  sur  les 
ruines  du  péripatétisme.  Dans  les 
séances  publiques ,  le  P.  Tori ,  reli- 
gieux théatin  ,  le  soutint  vigoureuse- 
ment contre  les  dominicains.  Com- 
me ses  ennemis  l'accusaient  haute- 
ment d'hérésie,  le  résident  de  Fran- 


WIS  75 

ce ,  Du  Perron  de  Gastera  ,  lui  accor- 
da sa  protection.  La  douceur,  la 
modération  de  Wisniewski  désar- 
mèrent enfin  ses  adversaires,  j^.  dans 
Bieiski,  Fila  et  scripta Piaristarum^ 
la  Vie  de  Wisniewski ,  de  qui  nous 
avons  :  I.  Histoire  de  Pologne  et 
de  son  droit  public  (  franc.  ) ,  Var- 
sovie ,  17  ^>ç).  11.  Considérations  sur 
les  causes  de  la  grandeur  des  Ro- 
mains et  de  leur  décadence ,  par 
Montesquieu,  traduit  en  polonais, 
Varsovie,  à  l'imprimerie  des  pia- 
ristes, 1762,  in-8".  ni.  Gramma- 
tica  gallica  hrevis  etfacilis  ad  usum 
scholarum  Piarum,  \ arsoxie,  1 775, 
in-8'\  WisnicAvski  a  eu  part  à  la 
traduction  des  Opéra  posthuma  du 
P.  Sarbiewski  ,  jésuite,  publiée  à 
Varsovie,  en  1769,  ainsi  qu'à  la 
traduction  d'Horace  ,  qui  parut  aussi 
à  Varsovie ,  1773,2  vol.  in-8<\ 

G— Y. 

WISNIOWÏZKI  (Michel- Jere- 
MiE  KoRiBUTii  )  ,  fameux  général 
polonais,  appartenait  à  une  famille 
illustre,  originaire  de  la  Lithuanie, 
et  portait  entre  autres  litres,  celui  de 
Wisniowizka ,  de  Zaloz  et  de  Lubne. 
Sa  première  jeunesse  s'était  passée 
dans  les  camps  de  diverses  puissan- 
ces allemandes,  et  à  combattre ,  sur 
les  bords  du  Dnieper,  les  ïartares 
qui  cherchaient  à  entamerla  Pologne. 
En  1644  ?il  se  joignit  avec  quelques 
troupes,  levées  à  ses  frais  ,  au  géné- 
ral Stanislas  Koniekpolzki,  dont  il 
devint  un  des  principaux  officiers, 
et  contribua  puissamment,  par  l'ha- 
bileté et  i'à -propos  de  ses  manœu- 
vres, au  gain  de  la  bataille  d'Achme- 
ror.  Quatre  ans  après  (164^),  aigris 
de  nouveau  par  la  tyrannie  des  Polo- 
rais  qui  les  blessaient  dans  l'exercice 
de  leurs  droits ,  et  attentaient  à  leur 
liberté  de  conscience,  les  Cosaques 
Zaporowzki  se  révoltent  encore  et 


76 


WIS 


mardi cnt  sur  la  Pologne.  Wisniowiz- 
ki  fut  un  des  premiers  à  s'opposer 
aux  progrès  de  leur  gcne'ral  Bogdam 
Chmielnizki^  et  se  signala    par  sa 
bravoure  dans  divers  combats  ,  dont 
le  résultat  fut  à  peu  près  égal  pour 
les  deux  partis  ,  mais  qui  eurent  l'a- 
vantage de  préserver  le  sol  polonais 
d'une  invasion.  Il  parut  ensuite  à  la 
dicte   de  Varsovie^  et  après  avoir 
donne  sa  voix  au  prince  Jean-Casi- 
mir, il  assista  à  son  couronnement 
au  commencement  de  l'année  1649. 
On  sait  que  le  nouveau  monarque,  en- 
core étranger  aux  sentiments  et  aux 
habitudes  de  la  royauté' ,  refusait  de 
marcher  contre  les  Cosaques  ,  qui, 
disait-il,  avaient  réellement  eu  à  se 
plaindre  de  la  Pologne,  et  dont  on 
n'aurait   dû  ni  contrarier  l'opinion 
religieuse  ni   brûler   les   cliâteaux. 
Wisniowizki  fut  un  de  ceux  qui  par- 
vinrent  à   prouver   au   prince   que 
ces  reflexions,  au  fond  très-justes, 
étaient  alors  intempestives,  et  qu'il 
s'agissaitpour  l'instant  d'arrêter  l'en- 
nemi toujours    en  armes   et  prêt  à 
franchir  la  frontière.  Jean- Casimir 
finitpar  ce'der  et  s'avança  en  person- 
ne contre  les  Barbares.  Au  reste  Wis- 
niowizki n'avait  point  attendu  qu'il 
se  décidât  pour  prendre  une  part 
active  aux  hostilités  ,  et  de  concert 
avec  la  haute  noblesse  du  royaume, 
il  avait  envoyé'  de  l'argent  et  des 
troupes  pour  arrêter  l'irruption  des 
Cosaques  alors  allies  aux  Tartares. 
Lui-même  s'était  trouve  à  la  plupart 
des  rencontres  qui  avaient  eu  lieu  , 
et  quoique  souvent  accable  par   la 
supériorité  numérique  ,  il  avait  tou- 
jours héroïquement   dispute  la  vic- 
toire. L'arrivée  du  roi  avec  son  ar-' 
mée  fixa  enfin  l'avantage  du  cote  des 
Polonais;  et  deux  traités  séparés  fu- 
rent coiiclus  avec  les  Tartares  et  les 
bordes  de  l'Ukraine.  Wisniowizki , 


WIS 

dont  le  patriotisme  et  les  talents  mi- 
litaires brillaient  depuis  huit  ans  sur 
tous  les  champs   de  bataille  de  la 
Pologne  et  des  régions  voisines,  ob- 
tint alors  pour  récompense  la  sta- 
rostie  de  Przémysl.  Mais  il  ne  jouit 
pas  long-temps  de  sa  nouvelle  digni- 
té. Les  Cosaques  ayant  repris  les  ar- 
mes eu  iG5i ,  et  Jean-Casimir  ayant 
été  de  nouveau  obligé  de  paraître 
dans  les  camps  ,  il  le  suivit  et  eut  le 
commandement  d'une  des   ailes  de 
l'armée  à  la  bataille  de  Bcrestetzkott , 
qui  se  termina  par  la  défaite  totale 
des  ennemis.  Mais  il  mourut  au  mois 
d'août  suivant ,  au  camp  devant  Pa- 
woloczy  ,  d'une  fièvre  chaude  ,  qui, 
probablement,,  était  la  suite  de  ses  fa- 
tigues ou  de  ses  blessures.  Il  n'avait 
alors  que  trente-six  ans.         P — ot. 
WISSENBACH  (Jean-Jacques), 
savant  jurisconsulte,  né  le  8  octobre 
1607,  à  Frolinshausen  ,  dans  le  pays 
de  Nassau,  fut  nommé,  en  i634, 
professeur  à  l'université  de  Pleidel- 
berg,  alla  ensuite  à  Groningue,  voya- 
gea en   Angleterre  et   en  France  ', 
puis ,  étant  revenu  en  Hollande  dans 
l'année  i64o  ;  il  obtint  aussitôt  une 
chaire  de  jurisprudence  à  Franeker. 
C'est  là  qu'il  mourut  le  16  fév.  i665. 
Ses  ouvrages  critiques  sur  la  juris- 
prudence sont  très-estimés  :  I.  Dis- 
putationes  ad  jus  civile,  Franeker, 
1G48,  in-4"^.  ÏI.  Disputationes  ad 
Pandectas,  Franeker,  i66i,in-4". 
III.  Disputationes  adinstitutiones  , 
ibid.,  1666,  in^''.  IV.  Prœlectio- 
nes  iji  Codicem,  ibid.,  1701,  2 vol. 
in-4^.  V.  Emhlemata  Triboniani  seu 
leges    à    Triboniano   interprétât  ce 
et  ad  novi  juris  rationem   infle- 
xœ  y  Franeker,    164 2,  in-4"- 7   ^^' 
imprimé  avec  /.    Wibonis    Tribo- 
nianus  ab  emblematibus  TFissenba- 
chii  liberatus y  Halle,  1736,  in-8'-\ 
G— Y 


WIS 

WISSING  (William),  peintre 
de  portraits,  ne  à  Amsterdam  ,  en 
i6r)(),  reçut  les  leçons  de  Dodaens  , 
peintre  d'histoire  à  la  Ha  je.  Ktant 
passe  en  Angleterre,  il  s'attacha, 
non  sans  succès,  à  saisir  la  ma- 
nière de  Peter  Lely  ,  et  eut  de  la 
vogue  après  la  mort  de  cet  artiste. 
Charles  II  et  la  reine,  le  duc  de 
Monmouth ,  Jacques  II ,  et  presque 
toutes  les  personnes  de  la  cour  vou- 
lurent avoir  leurs  portraits  de  sa 
main.  Il  lut  quelque  temps  en  con- 
currence avec  Kneller ,  dont  la  répu- 
tation croissait  chaque  jour.  Jac- 
ques II  l'envoya  en  Hollande  pour 
qu'il  peignît  le  prince  et  la  princesse 
d'Orange.  On  prétend  que  lorsqu'une 
dame  se  présentait  chez  cet  artis- 
te pour  qu'il  fit  son  portrait,  s'il  la 
trouvait  troj)  pâle,illa  prcnaitparla 
main  ,  et  la  faisait  danser  jusqu'à  ce 
que  son  teint  s'animât.  H  mourut  en 
1687,  n^ayant  que  trente-un  ans.  Z. 

WISSOWATZI  (André),  théo- 
logien de  la  secte  des  Unitaires ,  ne' 
en  1608  à  Philippowie,  en  Lithua- 
uie  ,  était  par  sa  mère  petit-fiIs  de 
Fauste  Socin.  11  lit  ses  e'tudes  à 
Leyde  ,  adopta  avec  beaucoup  d'ar- 
deur toutes  les  opinions  de  son  grand- 
père  ,  et  visita  l'Angleterre  et  la 
France.  A  son  retour,  il  fut  établi 
jninistre  en  Wolhinie.  Comme  dans 
son  zèle  pour  les  intérêts  de  sa  secte  il 
ne  savait  garder  aucune  mesure,  il  fut 
obligé  de  se  réfugier  d'abord,  à  Przyp- 
covitz,  en  Hongrie,  puis  dans  le  Pa- 
latinat,  et  en  lin  en  Hollande  ,  où  il 
mourut  en  1678.  On  a  de  lui 
plusieurs  ouvrages  polémiques,  et 
des  notes  sur  le  Nouveau-Testament 
que  l'on  trouve  dans  la  Bibliotheca 
Fratrum  Polonoriim.  L'ouvrage  sui- 
vant :  Andr.  JVlssowatii  narratiOj 
quomodo  in  Polonid  à  Trimtariis 
reformatis  separatl  sint  Christiani 


WIS 


77 


Unitarii}  accedit  historia  de  Spi- 
rltu  Beîgd^  a  été  publié  par  Sand , 
auteur  socinien  ,  dans  sa  Bibliothe- 
ca Anti-Trinitariorum.  On  trouve 
dans  la  même  bibliothèque  :  Anony- 
mi  epistola,  exhibeiis  vitœ  ac  mortis 
Andreœ  TFissowatii,  iiecnon  eccle- 
siariim  Unitarioruni  ejiis  tempore  , 
brei^eni  historiain.  Wissowatzi  a 
mis  en  vers  polonais  les  Psaumes  de 
David;  mais  cette  traduction  est 
restée  manuscrite.  G — y. 

WÏSTAR  (  Gaspar  ) ,  professeur 
d'anatomie  à  l'université  de  Pcnsyl- 
vanie  ,  fut  un  de  ces  hommes  rares 
dont  le  caractère  mérite  d'être  re- 
marqué ,  car  la  nuance  qui  le  distin- 
gue est  de  nature  à  ne  pas  se  repro- 
duire souvent ,  même  dans  le  pays 
où  il  vécut.  Les  temps  qui  le  pré- 
cédèrent n'y  offraient  pas  les  chances 
de  le  faire  éclore  ,  ceux  qui  suivront 
doivent  offrir  d'autres  combinaisons, 
car  tout  marche  avec  une  extrême 
rapidité  dans  ces  contrées.  Il  était  né, 
en  1 761 ,  d'une  famille  honnête  de  la 
sociéié  des  Amis  ,  qu'on  appelle  com- 
jnunément  les  quakers.  La  nature 
particulière  de  cette  société  est  d'u- 
nir à  des  principes  moraux,  simples, 
doux ,  bienfaisants ,  un  esprit  d'en- 
thousiasme qui  peut  aller  très- 
loin  ,  et  parfois  produire  des  fana- 
tiques ,  quoique  jamais  il  n'ait 
fait  des  persécuteurs.  C'est  dans  ces 
principes  que  le  docteur  Wistar  fut 
élevé ,  et  il  était  sans  doute  très-- 
sincèrement  persuadé  de  leur  vérité , 
car  rien  ne  fut  plus  loin  de  son  cœur 
que  la  duplicité.  L'exactitude  de  son 
jugement,  les  études  auxquelles  il  se 
livra  à  Philadelphie  ,  à  Londres  ,  à 
Ldinbourg  ,  les  observations  re- 
cueillies dans  ses  voyages,  firent  de 
lui  un  des  hommes  les  plus  éclairés 
de  son  siècle.  Devenu  professeur  d'a-^ 
natomie ,  et  placé  à  la  tête  de  cette 


78 


WIS 


science  dans  sa  patrie  ,  il  voulut  que 
sa  méthode  d'enseignement  fût  tout 
au  profit  des  étudiants  ;  cliercliant 
peu  à  Li'illcr  lui-mcme  ,  quoique  son 
elocution  lût  claire  ,  et  son  discours 
très-nourri  de  faits  et  d'idées  ,  il  s'ar- 
rangea toujours  pour  que  la  leçon  du 
jour  fût  répétée  le  lendemain  par  les 
écoliers  sur  les  questions  détachées 
qu'il  leur  faisait ,  avant  de  leur  en 
donner    une    nouvelle.     L'urbanité 
du    maître   était   toute  occupée  de 
ménager  les  vanités  ,  et  d'encoura- 
ger le  zèle.  Wistar  distribuait  (  sur- 
tout   pour  l'ostéologie  )    des  suites 
d'échantillons  des  parties  à  chacune 
dos  classes  d'étudiants  qu'il  formait, 
pour  leur  inspirer  de  l'émulation.  Il 
avait  fait  construire  sur  une  grande 
échelle  des  modèles  de  tous  les  orga- 
nes du  corps  humain.  Il  commença 
et  poussa  très-loin  une  collection  de 
préparations  anatomiques  à  l'univer- 
sité de  Pensyîvanie ,  qui  est  la  grande 
école  de  médecine  des  États-Unis. 
L'ouvrage  qu'il  publia  quelque  temps 
avant   sa   mort  ,  intitulé    Système 
d'anatomie ,  fruit  de  beaucoup  d'é- 
tude et  de  travail ,  a  obtenu  les  suf- 
frages de  tous  les  maîtres  de  l'art. 
Comme  médecin ,  il  était  fort  atten- 
tif,   doux  et  bienveillant  pour    les 
malades.   Son  système  était  d'aider 
la  nature.  Jamais  il  ne  se  livrait  à 
des  épreuves   hasardeuses.    Il  fut , 
dans  les  dernières  années  de  sa  vie  , 
président  de  la  société  philosophi- 
que de  Philadelphie  ,  et  ce  court  in- 
tervalle fut  marqué  par  l'établisse- 
ment d'un  comité  permanent,  char- 
gé  de  l'histoire    naturelle  de  cette 
intéressante  contrée  à  toutes  les  épo- 
ques. Wistar  avait  surtout  de  pro- 
fondes connaissances  dans  cette  par- 
tie ;  et  c'est  lui  qui  le  premier  a  di- 
rigé l'attention  de  ses  compatriotes 
vers  l'étude  des  dillérentes  espèces 


WIT 

d'animaux   fossiles  de  rAmérique. 
Le  septième  volume  des   Transac- 
tions de  Philadelphie    contient    ses 
premières  observations  à  cet  égard. 
Ce  savant  si  doux  ,  si  généreux  ,  joi- 
gnait à  ces  avantages  le  ton  de  la 
meilleure  compagnie  sans  la  moindre 
affectation.  Il  donna  le  premier  ,  en 
Amérique  ,  l'exemple  de  réunir  pé- 
riodiquement chez  lui  et  de  recevoir 
avec  élégance  les  hommes  de  tous  les 
pays  qui  aimaient  les  lettres   et  les 
sciences.  Il  mourut  à  Philadelphie  le 
23  janvier  1818.  Son  éloge  funèbre 
fut  prononcé  dans  une  des  églises  de 
cette  ville  par  le  chef  de  la  justice. 
G_S— A. 
WITASSE.  roj,  VuiTAssE. 
WIÏCHELL  (George),  astrono- 
me et  géomètre  anglais,  né  en  1728, 
était  de  la  secte  des  quakers ,  et  exer- 
ça l'état  d'horloger.  La  science  l'oc- 
cupa dès  son  enfance  ;  car  on  lit  d-ans 
le    Gentleman  s   Diary   de    1741? 
un  article  sur  un  point  d'astrono- 
mie ,  qu'il  écrivit   à  l'âge  de  treize 
ans.  Divers  journaux  scientifiques, 
qui  portent  le  titre  de  Diary ,  et  le 
Gentleman  s  magazine ^^  furent  fré- 
quemment enrichis  de  morceaux  sor- 
tis de  sa  plume,  et  la  plupart  signés 
G.  W.  En  1764  ,  il  publia  une  carte 
représentant  très-exactement  le  pas* 
sage  de  l'ombre  de  la  lune  sur  l'An- 
gleterre dans  la  grande  éclipse  solai- 
re du  1^1'.  avril  de  celte  année.  L'an- 
née suivante,  il  présenta  aux  com- 
missaires du  buieau  des  longitudes 
un  plan  pour  calculer  les  effels  de  la 
réfraction  et  de  la  parallaxe,  d'après 
la  distance  de  la  lune  d'avec  le  so- 
leil ou  une  étoile ,  afin  de  faciliter  la 
découverte  de  la  longitude  en  mer. 
Wilchell  enseigna  long -temps  les 
mathématiques    à    Londres  ,    avec 
beaucoup  de  réputation.  En  1767, 
la  société  royaîe  l'admit  au  nombre 


WIT 

de  SCS  membres.  Nomme  graiid-maî- 
Ire  de  l'ccoîe  royale  de  marine 'à 
Portsmouth,  il  y  mourut  en  1785. 

Z. 

WIÏENES,  duc  de  Lithuaiiie  , 
bisaïeul  de  Viadislas  Jagelloii ,  fonda 
la  dynastie  des  princes  de  ce  nom. 
Son  prédécesseur  Troydem  n'eut 
qu'un  fils ,  appelé  Raymund  ,  qui 
avait  embrasse  la  vie  religieuse , 
probablement  dans  un  couvent  de 
Russie  ,  la  Liliuianie  étant  encore 
païenne  à  cette  époque.  Le  jeiuie 
prince,  ayant  appris  que  son  père 
avait  été  assassmé  par  un  de  ses 
proches  parents,  sortit  de  son  cou- 
vent ,  combattit  la  tête  desLilhua- 
uiens,  tua  de  sa  main  le  meurtrier  de 
son  père ,  et  après  avoir  mis  VVitenes, 
un  des  premiers  seigneurs  de  la  Li- 
tluianie  ,  en  possession  du  duché,  il 
rentra  dans  son  couvent  (  i283). 
Pendant  trente  années  ,  Witenes  ré- 
pandit la  terreur  parmi  ses  voisins  , 
surtout  parmi  les  chevaliers  Teuto- 
niques  et  les  Polonais.  Les  Annales 
de  la  Po'ogne  citent  entre  autres  une 
invasion  qu'il  (it  dans  la  Grande-Po- 
logne :  s'étant  jeté  subitement  sur 
Lencziz,  le  jour  de  la  Pentecôte, 
au  moment  où  les  habitants  étaient 
à  l'église,  il  mit  le  feu  à  la  ville  ,  et 
se  retira ,  emmenant  un  si  grand  nom- 
bre de  prisonniers ,  que  chacun  de 
ses  soldats  en  avait  vingt  pour  sa 
part  (  1294  ).  "Witenes  en  voulait 
surtout  aux  chevaliers  Teutoniques  ; 
eu  revenant  d'une  expédition  qu'il 
avait  entrcpri  e  contre  eux  ,  il  fut 
assassiné  par  Gédymin  ,  son  propre 
fils,  qui  lui  succéda  en  i3i5.   G — y. 

WITRRIC.  Foy.  Viteric. 

WIÏEZ  DE  ZaEDNA(jEAN), 
chancelier  de  Hongrie ,  eut  une  gran- 
de part  aux  a  (Ta  ires  de  ce  royaume  , 
dans  le  quinzième  siècle.  Il  était  iils 
d'un  pauvre  gentilhomme  de  la  Sla- 


WIT 


79 


vonie.  Ayant  fait  de  bonnes  études 
à  l'université  de  Bologne ,  il  devint 
le  secrétaire  du  grand  Huniade  ,  et^ 
en  1445,  fut  proposé  aux  états  par 
ce  prince  pour  l'évêché  de  Grand- 
Waradein.  Le  monarque  représenta 
que  cette  ville  étant  la  clef  de  la 
Transilvanie,il  était  de  la  plus  haute 
importance,  que,  tandis  qu'il  serait  en 
présence  des  Turcs,  elle  fut  occupée 
par  un  évêque  sur  le  dévouement  du- 
quel il  pût  compter.  La  diète  promit 
par  acclamation  qu'elle  appuierait 
ce  choix  près  du  pape  ;  et  les  bulles 
furent  envoyées  à  Huniade  qui  ne 
cessa  d'admettre  Witez  dans  tous  ses 
conseils,  et  de  lui  confier  les  ])!us  im- 
portantes négociations.  Les  étals  de 
Hongrie  desiraient  vivement  qu'une 
réconciliation  pût  avoir  lieu  entre 
George,  duc  de  Servie,  et  les  au- 
tres membres  de  la  puissante  famille 
Ci'.lcy,  afin  que  Huniade  n'eût  plus 
d'autres  ennemis  à  combattre  que  les 
Turcs.  Pour  entrer  dans  de  telles 
vues ,  Huniade  envoya  Witez  à  Se- 
mendria  ,  où  se  conclut  un  arrange- 
ment dont  la  principale  condition 
fut  le  mariage  de  Viadislas,  fils  aîné 
de  Huniade  ,  avec  la  princesse  Elisa- 
beth ,  fille  de  George.  En  i452, 
l'empereur  Frédéric  ayant  été  forcé 
de  relâcher  le  jeune  roi  Viadislas  , 
qu'il  retenait  comme  otage  ,  Witez 
fut  nommé  ministre  plénipotentiaire 
pour  régler  avec  iEneasSylvius^  les 
points  litigieux  ,  et  surtout  pour  ré- 
clamer la  sainti  couronne  de  Hon- 
grie,  que  Frédéric  gardait  en  dépôt. 
Le  jeune  roi  Viadislas,  pour  flat- 
ter Huniade,  nomma  Witez  chance- 
lier du  royaume  (  1 453  ),  et  l'année 
suivante  ce  prince,  se  rendant  en 
Bohême  et  en  Moravie  ,  prit  le  nou- 
veau chancelier  avec  lui.  Le  pape 
ayant  envoyé  à  Viadislas  un  légat 
pour   proposer   une  ligue   générale 


8o 


WIT 


contre  les  Turcs ,  Witez  fut  en- 
core charge'  de  négocier  avec  le  pon- 
tife. Eu  1454,  il  fut  l'amc  de  la 
diète  générale  que  présida  le  grand 
Huniade  ,  en  l'absence  du  roi;  et  il 
se  rendit  ensuite  à  Ratisbonne,  pour 
presser  rerapereur  Frédéric  et  les 
états  de  l'empire  d'accéder  à  la  ligue. 
Là ,  il  seconda  puissamment  les  ef- 
forts de  Philippe,  duc  de  Bourgo- 
gne ,  ainsi  que  ceux  du  zélé  Jean  de 
(iapistran ,  et  il  fit  adopter  à  la  diète 
(1456)  les  mesures  les  plus  vigou- 
reuses contre  les  Turcs.  La  campa- 
gne qui  s'ouvrit  bientôt  fut  très-glo- 
rieuse ;  fluniade  délivra  Belgrade, 
et  repoussa  Mohammed  jusqu'à  So- 
phia  ;  mais  il  mourut  au  milieu  de 
ses  triomphes.  Witez  conserva  le  mê- 
me dévouement  à  ses  deux  fils.  Ces 
deux  jeunes  princes  ayant  été  arrêtés, 
il  fut  lui-même  conduit  à  Gran  pour 
y  être  gardé  à  vue.  Mais  le  roi  vint 
bientôt  le  délivrer,  et  l'engagea  à 
négocier  avec  la  mère  des  jeunes 
Huniade  un  arrangement  qui  fut  ar- 
rêté le  i3  juillet  i458  (  J^oj.  Vla- 
DiSLAs ,  XLIX ,  386  ).  La  captivité 
^e  Witez  avait  produit  à  la  cour  de 
Rome  une  pénible  sensation.  Le 
cardinal  jEneas  Sylvius  écrivait 
au  roi  Vladislas  :  «  Quand  j'eus 
appris  que  vous  aviez  donné  l'or- 
dre d'arrêter  l'évêque  de  Wara- 
dein  ,  je  me  hâtai  de  vous  écrire 
et  de  vous  indiquer  les  mesures  que 
je  croyais  commandées  par  la  gloire 
de  votre  couronne.  Notre  Saint-Père 
vous  a  aussi  écrit  plusieurs  fois  à  ce 
sujet. En  ce  moment  nous  apprenons 
que  vous  faites  mettre  ce  prélat  en 
liberté.  Cette  nouvelle  a  rempli  de 
joie  la  cour  de  Rome.  Notre  Saint- 
Père  et  le  collège  des  cardinaux  vous 
donnent  à  ce  sujet  les  louanges  que 
vous  méritez  j  et  moi ,  qu'une  ami- 
lié  intime  lie  à  ce  prélat  ,  je  n'ou- 


WIT 

blicrai  jamais  ce  que  vous  venez  de 
faire  pour  lui.  »  Le  roi  Vladislas 
étant  mort  presque  subitement ,  et 
la  voix  publique  demandant  que  Ma- 
thias  fût  son  successeur  ,  Witez  se 
rendit  à  Prague  pour  délivrer  le 
jeune  prince  qui  y  était  retenu  cap- 
tif. Il  avait  pris  avec  lui  quatre  mille 
ducats  ,  pour  ouvrir  les  portes  de  la 
prison.  Pendant  qu'il  négociait,  Ma- 
thias  fut  élu  roi  ,  et  le  16  février 
1458  Witez  le  présenta  à  la  dicte 
rassemblée  à  Ofen.  Signalant  ensuite 
de  plus  en  plus  son  zèle,  il  obtint  à 
prix  d'argent ,  que  l'empereur  ren- 
dît la  sainte  couromie  de  Hongrie  , 
qu'il  retenait  depuis  vingt  ans;  et  il 
eut  l'honneur  de  rapporter  lui-même 
ce  dépôt  sacré  (  19  juillet  i463)  à 
Bude,  où  Mathias  ceignit  le  précieux 
diadème  aux  acclamations  de  toute 
la  Hongrie  (  Foj.  Corvin  ,  X ,  23  ). 
De  tels  services  valurent  à  Witez  de 
nouvelles  faveurs  ;  et  il  employa  en- 
core son  crédit  pour  des  choses 
utiles.  Ayant  fait  agréer  au  jeune  roi 
le  plan  d'une  université  qu'il  voulait 
fonder  près  de  Bude  ,  en  prenant 
celle  de  Bologne  pour  modèle  ,  des 
députés  furent  envoyés  au  pape 
Paul  II ,  qui  confirma  les  statuts  de 
ce  grand  établissement ,  dont  Witez 
fut  nommé  chancelier  (  i465).  On 
appela  IstrojJoUs  la  ville  destinée  à 
renfermer  les  nouvelles  institutions  , 
et  à  recevoir  les  élèves  et  les  maîtres 
que  l'on  fit  venir  des  pays  étrangers. 
Witez ,  qui  était  passionné  pour  l'as- 
tronomie, appela  entre  autres  savants 
le  célèbre  Jean  Regiomontanus.  Ce 
plan  eut  peu  de  succès  ;  son  exé- 
cution eut  exigé  des  temps  plus 
tranquilles;  mais  la  Hongrie  n'était 
pas  destinée  à  jouir  alors  d'un 
tel  bonheur.  La  cour  de  Rome  , 
voulant  détrôner  Podiébrad ,  roi 
de    Bohême,     ofTrit    sa    couronne 


WIT 

à    Matliias.   Witez  ,   qui   jusque-là 
avait  diri<^c    avec   tant  de    sagesse 
les  conseils  du  jeune  roi,  se  laissa 
gagner.  Depuis  ce  moment ,  Matliias  , 
au  lieu  de  marcher  sur  les  traces  du 
grand  Iluniade,  son  père,  qui  avait 
toujours  eu  le  sabre  levé  contre  les 
Turcs,  tourna  toute  son  ambition 
vers  la  Bohême  et  la  Moravie.  Les 
iiommes  sages  virent  avec  douleur 
reparidre  le  sang  des  Hongrois ,  et 
prodiguer  leurs  trésors,  pour  aller 
attaquer  des  frères  ,  pendant  que  l'en- 
nemi du  nom  chrétien  s'avançait  jus- 
que dans  le  cœur  de  la  Hongrie.  Dès- 
lors  Matliias  ne  vécut  plus'que  dans 
l'inquiétude,  environné  de  complots 
et  d'hostilités.  Witez, qu'il  avait  nom- 
mé archevêque  de  Gran  et  primat 
du  royaîime ,  entraîné  dans  une  faus- 
se politi([ue  ,  et  ne  pouvant  fournir 
au  roi  tout  l'argent  que  le  prince  de- 
mandait, perdit  son  crédit  et  sa  fa- 
veur. Oubliant  alors  ce  qu'il  devait 
aux  lluniade,  qui  l'avaient  tiré  de  la 
poussière,  il  se  lia  avec  les  ennemis 
du  monarque.  A  leur  instigation  les 
états  de  Bohême  ,  après  avoir  rejeté 
Mathias  ,  élurent  Vladislas,  fils  aîné 
de  Casimir ,  roi  de  Pologne  (  2-^  mai 
1471).  Witez  fut  arrêté,  puis  il  fit 
sa  paix,  fut  arrêté  de  nouveau,  mis 
en  liberté;  et,  le  8  août  1472,  il  mou- 
rut ayant  à  se  reprocher  d'avoir  souil- 
lé par  l'ingratitude  une  carrière  glo- 
rieuse. Un  de  ses  sccréraires  avait 
recueilli    les  lettres  et  instructions 
écrites  au  nom  du  grand  Huniade , 
depuis   1445  jusqu'à   i45i.  Le  ma- 
nuscrit   original,    qui  se    trouve  à 
la  bibliothèque  impériale  de  Vienne, 
a  été  publie ,  en  1746 ,  dans  le  tome 
II  des  Scriptores  rerinn  hmigarica- 
rum  ,   pag.    i    à  106.    Cette    cor- 
respondance ,  composée  de  soixante- 
dix  -  sept  lettres  et  pièces  diplomati- 
ques ,  ne  se  rapporte  qu'à  un  très- 

LI. 


WIT 


81 


court  espace  du  ministère  que  Witez 
a  rempli  près  de  Huniade  et  près  de 
la  diète  de  Hongrie.  Elle  jette  néan- 
moins un  grand  jour  sur  une  époque 
remarquable  de  l'histoire  de  ce 
royaume. — Jean  Witez  ,  neveu  dii 
précédent ,  remplit  des  missions  im- 
portantes à  la  cour  de  Rome ,  et  fut 
nommé  archevêque  de  Veszprim  , 
dont  il  ouvrit  les  portes  à  l'archiduc 
Maximilien  d'Autriche ,  lorsque  ce 
prince  envahit  la  Hongrie,  après  la 
mort  de  Mathias  Corvin.         G — t. 

WITEZ  (Michel  de  Csoronaï), 
né  à  Débreczin  en  Hongrie  le  17  no- 
vembre 1773  ,  y  est  mort  le  9.S  jan- 
vier i8o5,  après  avoir  annoncé, 
pendant  une  si  courte  carrière,  un 
talent  remarquable  pour  la  poésie 
nationale.  H  excellait  surtout  dans 
les  compositions  lyriques.  Ses  Idyl- 
les et  ses  chants  anacréontiques  sont 
des  chefs-d'œuvre  ;  et  ils  expriment 
bien  les  douces  modulations  de  la 
langue  dans  laquelle  le  poète  écrivait. 
On  remarque  surtout  une  épopée 
comique  ,  en  4  chants  ,  publiée  sous 
ce  titre  :  Dorothée  ou  le  Triomphe 
des  dames  pendant  le  temps  du  car- 
naval,  Grosswaradin  et  Waitzen , 
i8o4,in-8«.  G— y. 

WITEZOWITCH  (Paul  )  , 
conseiller  à  la  cour  de  Vienne ,  est 
connu  par  ses  recherches  savantes 
sur  les  antiquités  et  l'histoire  de  la 
Croatie  et  des  provinces  voisines.  Né 
à  Zeng  ou  Segina ,  il  assista,  en  1681, 
comme  député  de  cette  ville,  à  la 
diète  d'OEdenbourg ,  et,  en  1682  ,  il 
fut  député  par  la  même  ville  à  la 
cour  de  Vienne  ,  où  il  publia  quelques 
pièces  envers  latins,  entreautres:  No- 
va Musa  j  sive  Pars  artificiosa  ope- 
rumpoeticorum  anni  1689.; — Sacer 
chorus  Josepho  Leopoldi  i  filio.  H 
profita  de  son  séjour  à  Vienne  pour 
travailler  sur  l'histoire  de  son  pays 
6 


82  WIT 

Ou  lui  douna  accès  dans  les  biblio- 
thèques ,  archives  de  la  monarchie  , 
et  Jjcopol*!  le  renvoya  en  Croatie  , 
avec  la  mission  d'y  rassembler  les 
pièces  d'après  lesquelles  la  cou- 
ronne de  Hongrie  pouvait  établir  ses 
droits  sur  cette  province,  et  en  dé- 
terminer les  limites.  L'empereur  don- 
na aux  autorités  civiles  et  militaires 
de  la  Croatie  l'ordre  d'assister  et 
de  protéger  dans  ses  rechercbes 
Witezovvitch  ,  qui  alors  avait  déjà 
germanisé  son  nom  ,  prenant  celui 
de  Paul  Ritter  ,  sous  lequel  il  est 
connu  depuis  cette  époque.  Nommé 
chevalier  de  l'Éperon  d'or,  il  assista 
en  cette  qualité  à  la  diète  de  Pres- 
bourg  ,  tenue  ,  en  1687  ,  pour  le 
couronnement  de  Joseph  I^i".  Sur  ses 
instances  ,  les  états  des  trois  royau- 
mes qui  composent  la  Hongrie  dé- 
cidèrent, en  1691  ,  qu'une  imprime- 
rie serait  établie  à  Agram.  Ce  savant 
estimable  mourut  à  \ienne  le  1 7  oc- 
tobre 17 13.  Dans  le  grand  nombre 
de  ses  ouvrages  nous  remarquerons  : 
I.  Croatia  redivwci  remuante  Leo- 
■poldo  inagjio  Cœsare  ,  Yieime  , 
1700.  II.  Stemmatographia  swe 
Armorum  Illfricorum  delineatio  et 
descriptio ,  Vienne,  1701.  \\\.Bos- 
nia  captiva,  sive  Regmim  et  interi- 
tus  Stepliani  idtimi  Bosniœ  régis  , 
Tirnau  ,  17 12.  TV.  Natales  D.  La- 
dislao  restitua.  V.  Sibjlla  ,  en  lan- 
gue croate  ,  Agram.  VI.  Witezo- 
witch  lit  aussi  imprimer  à  Agram 
une  Chronique  croate,  qui  a  eu  plu- 
sieurs éditions  et  deux  continuations 
dont  l'une  va  jusqu'à  l'an  1744  >  ^^ 
l'autre  jusqu'en  1762.  Cette  publica- 
tion est  la  seule  où  il  ait  pris  son 
nom  croate  de  Paul  fFitezowitch ; 
dans  toutes  les  autres  il  prend  celui  de 
Bit  ter.  Cet  ouvrage  est  divisé  en  trois 
parties  :  la  première  comprend  les 
évcncmenls  depuis  la    création  du 


WIT 

monde  jusqu'à  la  naissance  de  J.-C.j 
la  seconde,  depuis  J.-C.  jusqu'à  l'an 
1744  'y  ^^  troisième  va  jusqu'en 
1762.  Quoiqu'il  en  ait  paru  trois 
éditions  ,  il  est  fort  rare  et  curieux. 
La  bibliothèque  impériale  de  Vienne 
possède  un  exemplaire  de  la  troisiè- 
me ,  avec  des  notes  manuscrites  ;  on 
y  lit  que  Ritter  avait  composé  sa 
Chronique  croate,  en  grande  partie  , 
d'après  une  ancienne  Chronique  ra- 
gusaine  ou  monténégrine  ,  et  que  le 
P.  Laurenchich  ,  de  la  société  de 
Jésus  ,  a  soigné  cette  troisième  édi- 
tion. Paul  Kitter  ou  Witezowitch 
laissa  en  mourant  des  manuscrits 
précieux  qui  se  trouvent  dans  les  ar- 
chives du  chapitre  métropolitain 
d' Agram.  Le  comte  Szechénvi  les  a 
fait  transcrire  pour  la  riche  biblio- 
thèque qu'il  a  formée  à  Bude.  On  y 
trouve  :  1°.  une  Grammaire  et  \m 
Dictionnaire  croate;  2^.  XesAnjiales 
de  la  Servie  et  de  la  Croatie  ,  en  la- 
tin j  S'^.  des  Dissertations  sur  les 
limites  de  ces  provinces ,  sur  les 
droits  de  la  couronne  de  Hongrie  ', 
4*^.  une  Dissertation  où  l'on  réfute 
les  prétentions  de  la  république  de 
Venise  sur  les  mêmes  provinces;  5^. 
la  collection  précieuse  des  Diplômes 
qu'il  avait  transcrits  sous  le  nom  de 
Kitter  ,  dans  les  archives  de  la  Hon- 
crieet  de  la  monarchie  autrichienne. 
^  G-v. 

WITHER  (George),  poète  an- 
glais, né,  en  i588,  à  Bentworth  , 
près  Alton  dans  le  Hampshire  ,  ter- 
mina ses  études  à  l'université  d'Ox- 
ford ,  et  vint  plus  tard  à  Londres,  se 
former  à  la  connaissance  des  lois  , 
dans  le  collège  de  Lincoln's  inn.  La 
fréquentation  du  monde  dans  i|fl 
temps  de  perversité  développa  f 
penchant  naturel  qu'il  avait  pour  la 
satire.  Néanmoins  les  premiers  écrits 
sortis  de  sa  p'.iune  furent  d'un  cai 


^araA 

J 


WIT 

tère  bien  différent.  11  composa,  en- 
tre autres  poèmes,  des  Élégies  sur  la 
mort  du  prince  Heuri ,  en  1612; 
mais  l'année  suivante  vit  paraître  ses 
Satires  intitulées  :  les  Jhus  mis  à  nu 
et  fouettés,  écrites  avec  une  liberté 
excessive,  et  qui,  lues  avec  un  vif 
empressement,  ne  manquèrent  pas 
d'attirer  à  leur  auteur  les  poursuites 
de  la  justice.  Renfermé  pendant  trois 
mois  dans  la  prison  de  la  Marshal- 
sea ,  il  y  produisit  une  suite  d'Églo- 
gues ,  publiées  en  i()i5  sous  le  titre 
de  la  Chasse  du  berger,  et  qui,  au 
jugement  de  sirEgerton  Brydgcs,son 
dernier  éditeur,  offrent  un  style  plein 
d'images ,  et  respirent  une  sensibilité 
touchante ,  et  sulilraient  seules  pour 
déceler  une  vocation  poétique.  C'est 
aussi  de  sa  prison  que  fut  datée  sa  Sa- 
tire au  roi ,  16 1 4«  On  imagine  qu'un 
homme  qui  s'érigeait  en  censeur  des 
vices  de  son  siècle  devait  offrir  dans 
sa  conduite  le  modèle  des  vertus  dont 
il  paraissait  animé;  mais  il  n'en  est  pas 
toujours  ainsi.  Withcr  faisait  partie, 
en  1(339,  comme  capitaine  de  cava- 
lerie, de  l'expédition  dirigée  contre 
les  Écossais;  mais  dès  que  la  guerre 
civile  éclata,  en  164:2,  il  vendit  ses 
biens  pour  lever  à  ses  frais  un  régi- 
ment de  son  arme,  au  service  du  par- 
lement. Bientôt  il  fut  élevé  au  rang 
de  major  j  mais  il  tomba  dans  les 
mains  des  royalistes  ;  et ,  si  l'on  en 
croit  Antoine  Wood,  il  ne  dut  alors 
la  vie  qu'cà  sir  John  Denham  (  F.  ce 
Jiom),  qui  engagea  le  roi  à  ne  pas 
l'envoyer  à  la  potence,  «  parce  que 
tant  que  Wither  vivrait ,  disait  -  il , 
J)enham  ne  serait  pas  regardé  com- 
me le  plus  mauvais  poète  de  l'An- 
gleterre. »  Wither  ne  fut  donc  pas 
pendu.  11  reparut  au  milieu  de  son 
parti.  Le  long  parlement  le  créa 
juge  de  paix  pour  les  comtés  de 
Hamp,  de  Surrey  et  d'Essex;  et  Oli- 


WIT 


83 


vi^  Cromvv^ell  le  nomma  depuis  ma- 
jor général  de  la  cavalerie  et  de  l'in- 
fanterie dans  le  Surrey.  Wither  pro- 
fita de  l'occasion  pour  s'empa- 
rer des  propriétés  des  royalistes, 
ainsi  que  des  biens  de  l'Église,  qui  se 
trouvèrent  cire  à  sa  convenance. 
Mais  la  restauration  arriva;  et  ses 
spoliations  passées  le  signalèrent 
comme  une  des  victimes  d'une  réac- 
tion inévitable.  Poursuivi  par  la  hai- 
ne de  SCS  ennemis,  suspect  au  nou- 
veau gouvernement ,  inquiété  pour  la 
publication  d'un  pamphlet  jugé  sé- 
ditieux ,  et  qui  avait  pour  titre  Fox 
populi ,  il  fut  renfermé  d'abord  à 
Newgate,  et  de  là  transféré,  par  or- 
dre du  parlement ,  à  la  Tour  de  Lon- 
dres ,  pour  y  être  étroitement  res- 
serré ,  privé  de  l'usage  du  papier  et 
des  plumes;  mais  étant  parvenu  à  in- 
téresser le  concierge  en  sa  faveur,  il 
en  obtint  les  moyens  de  charmer  l'en- 
nui de  sa  captivité,  et  écrivit  quel- 
ques opuscules,  qu'il  publia  par  la 
suite ,  entre  autres  de  nouvelljfs  sa- 
tires ,  genre  dont  il  n'avait  pas  perdu 
le  goût.  La  liberté  ne  lui  fut  rendue 
que  plus  de  trois  ans  après.  11  mourut 
le  2  mai  1667.  Ce  poète  se  distingua 
par  une  imagination  féconde ,  par  la 
clai'té  et  le  naturel  du  style  et  par 
une  facilité  dont  il  abusa,  et  qui  nui- 
sit à  sa  réputation.  Dès  qu'il  eut  une 
fois  saisi  la  plume  ,  il  ne  cessa  guère 
jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  d'entasser  to- 
me sur  tome ,  sans  se  soucier  de  per- 
fectionner ses  ouvrages.  Aussi  est  -  il 
de  ces  écrivains  auxquels  on  rend  un 
grand  service  en  réduisant  leurs  œu- 
vres nombreuses  à  quelques  minces 
volumes.  C'est  ce  qu'ont  fait  pour 
Wither  Alexander  Dalrymple ,  en 
donnant,  en  1785,  un  choix  de  ses 
Juvenilia}  mais  surtout  sir  Eger- 
ton  Brydges  ,  en  réimprimant  la 
Chasse  du  berger  ,  Londres  ,  181 4 
(3.. 


s\ 


WIT 


(  à  cent  exemplaires  seuleraenl)  j  Wi- 
delia  ,  i8i5,.cr.  ies  Ifynuws  et 
Chants  de  l  Église,  18 15,  3  élé- 
gants vol.  in-  \'i ,  eoricliis  de  préfa- 
ces cl  de  remarques  judicieuses  ,  par 
ce  savant  baronnet ,  (pu  a  ,  en  outre  , 
inséré  clans  le  Bibliographe  ^  tomes 

I  et  3  ,  une  notice  étendue  sur  le  poè- 
te qui  est  le  sujet  de  cet  article.    L. 

WITHERING  (William),  mé- 
decin et  botaniste  anglais,  né,  en 
l'jj^i  ,  à  Wilîington  en  Sliropsliire  , 
dut  à  son  père  les  premiers  éléments 
de  îa  médecine  et  de  la  pharmacie. 

II  étudia  ensuite  à  l'université d'Edin- 
bourg  ,  et  prit  le  doctorat  en  i'j66. 
Établi  successivement  à  Stafford  et  à 
Birmingliam,  c'est  dans  cette  der- 
nière ville  que  sa  réputation^  comme 
praticien,  commença  et  s'étendit  ra- 
pidement. Peu  de  médecins  de  pro- 
vince avaient  une  clientelle  aussi  nom- 
breuse. Économe  du  temps,  il  évitait 
la  grande  société  ,  et  sut  mettre  à 
prolit,  pour  l'avancement  de  la  scien- 
ce ,  les  loisirs  que  lui  laissait  l'exer- 
cice de  son  art.  En  1776  ^  parut  la 
première  édition  de  son  arrange- 
ment botanique  dans  la  Grande- 
Bretagne  y  avec  une  Introduction  à 
C étude  de  la  botanique  ^  2  vol.  in- 
8".  Cet  ouvrage  pouvait  n'être  re- 
gardé alors  que  comme  une  simple 
traduction  de  ce  qu'a  écrit  Linné 
sur  les  genres  et  les  espèces  déplan- 
tes indigènes  de  la  Grande-Bretagne; 
et  Withering  avait  pu  d'ailleurs  ti- 
rer un  grand  secours  des  ouvrages 
de  Ray  et  de  Hudson  ;  mais  dans  la 
seconde  édition,  publiée  en  1787, 
augmentée  d'un  volume  en  1793,  et 
surtout  dans  la  troisième  ,  qui  fut 
imprimée  en  1 796,  en  quatre  volumes 
in^*^.  ,  le  plan  primitif  fut  tellement 
étendu  et  perfectionné  ,  que  l'ouvra- 
ge fut  considéré  en  quelque  sorte 
comme  original  :  c'est  une  flore  na- 


WIT 

tionale  très-soignée  et  très -complète 
surtout  relativement  aux  usages  des 
plantes  en  médecine  et  en  économie 
domestique.  L'auteur  lit  paraîlre,  en 
1 779 ,  in-8". ,  wn  Mémoire  sur  la  fiè- 
vre scarlatine  et  le  mal  de  gorge 
(  sore  tbroat  )  qui  ont  régné  à  Bir- 
mingham en  1778.  La  chimie  et  la 
minéralogie  furent  aussi  des  objets 
de  son  attention.  On  lui  doit  une  tra- 
duction anglaise  de  la  Sciagraphia 
regni  mineralis  de  Bergmann,  sous  le 
titre  à' Éléments   de  minéralogie ^ 

1783,  in-S'*.  ;  et  les  Transactions 
philosophiques  de  la  société  royale 
de  Londres,  dont  il  était  membre, 
ainsi  que  de  la  société  d'Édinbourg  , 
contiennent  quelques  articles  de  lui 
sur  des  sujets  analogues  :  en  1773, 
ses  expériences  sur  différentes  es- 
pèces de  marne  trouvées  en  Stafford- 
shire  j  1782 ,  l'analyse  de  la  crapau- 
dine,  fossile  trouvé  en  Derbyshire  j 

1784,  expérience  sur  la  terra  ponde- 
rosa  y'  1798,  analyse  d'eaux  miné- 
rales chaudes  en  Portugal.  Dans  un 
Mémoire  sur  la  gantelée  (  fox-glo- 
ves  ) ,  et  quelques-uns  de  ses  usages 
en  m,édecine  y  publié  en  1795,  il 
s'est  attaché  à  démontrer  par  des 
faits  les  qualités  diurétiques  de  cette 
plante  dans  divers  cas  d'hydropisie. 
Si  l'on  doit  à  un  autre  que  lui  la  dé- 
couverte de  ce  remède ,  il  en  a  du 
moins  le  premier  indiqué  les  doses 
et  les  préparations ,  et  les  meilleurs 
moyens  de  l'employer  avec  sûreté  et 
eificacité.  La  constitution  du  docteur 
Withering  était  naturellement  déli- 
te. Tourmenté  d'une  pneumonie  chro- 
nique ,  il  fit  deux  fois  (  1 793-95  )  le 
voyage  du  Portugal  pour  passer  l'hi- 
ver dans  un  climat  plus  doux;  il  y 
analysa  les  eaux  minérales  appelées 
les  Caldas  ,  et  cette  analyse  fut  d'a- 
bord insérée  dans  les  Mémoires  de 
l'académie  royale   des  sciences  de 


WIT 

Lisbonne,  à  laquelle  il  fut  agrégé. 
Le  soulagement  qu'il  éprouva  de  la 
be'nignitë  du  climat  ne  fut  que  pas- 
sager. Il  mourut  près  de  Birmingliam 
le  G  octobre  1799.  On  a  publie  ,  en 
1822,  ses  Traités  divers  (Miscella- 
neons  tracts  ) ,  précèdes  d'une  no- 
tice sur  sa  vie  et  son  caractère  , 
Londres,  'i  vol.  in -8^.  Ce  médecin 
e'tait  doue  de  beaucoup  de  tact  et  de 
pénétration  ,  et  très -réservé  dans  la 
prescription  des  médicaments.     Z. 

WITriEBSPOON(JoiiN),  théo- 
logien distingué,  né  en  1722  à  Yes- 
ter  près  d'Edinbonrg  ,  descendait 
directement  du  fameux  réformateur 
Knox.  Après  avoir  terminé  ses  étu- 
des à  l'université  d'Édinbourg  ,  il  fut 
admis  à  prêcher  ,  et  devint  ministre 
dans  la  ville  de  Paislej.  Son  savoir 
et  ses  talents  oratoires  commencèrent 
une  réputation  à  laquelle  ajoutèrent 
depuis  quelques  écrits  remarquables. 
L'Église  d'Ecosse  était  alors  divisée 
en  deux  partis  :  celui  des  Ortho- 
doxes, ou  ceux  qui  adhéraient  stric- 
tement aux  doctrines  contenues  dans 
la  Confession  de  foi  ;  et  celui  des 
Modelées  ,  qui  voulaient  étendre  les 
droits  des  seigneurs  dans  les  promo- 
tions ecclésiastiques.  Les  chefs  de  ce 
dernier  parti  étaient  Biair  ,  Gérard, 
Campbell  et  Kobertsoii,  et  c'était  à 
des  hommes  d'un  si  grand  mérite, 
que  Witherspoon  ,  qui  figurait  dans 
les  rangs  opposés  ,  avait  à  dis- 
puter l'ascendant  à  l'assemblée  géné- 
rale. Ses  discours  lui  acquirent  une 
grande  influence^  etplus  encore  lapu- 
blication  des  Caractères  ecclésiasti^ 
rjues ,  satire  piquante,  dirigée  contre 
les  modérés  ,  qui  fut  recherchée  avec 
avidité,  et  continua  d'être  lue  avec 
plaisir  en  Ecosse ,  long  -  temps  après 
la  cessation  de  l'état  de  choses  qui  y 
avait  donné  lieu.  Des  offres  sédui- 
santes furent  faites  à  l'auteur  pour 


WIT 


85. 


l'engagci'  à  venir  s'e'tablir  à  Dublin , 
à  Dimdée  ou  à  Rotterdam  ;  il  préfé- 
ra d'aileren  Amérique,  où  la  renom- 
mée de  ses  talents  l'avait  devancé. 
A  peine  arrivé  à  Prince-Town,  il  j 
fut  nommé  président  du  collège,  où 
il  s'attacha  ta  introduire  les  améliora- 
tions que  l'éducation  et  la.  science 
avaient  éprouvées  en  Europe.  Grâce 
à  son  zèle,  ce  séminaire  d'instruction 
prit  un  vaste  développement.  Lors- 
que labrîche  fut  ouverleentre  la  mé- 
tropole et  les  colonies  ;,  l'opinion  de 
Witherspoon  se  prononça  fortement 
en  faveur  de  l'indépendance.  En  1 7  7G 
les  habitants  de  ]New- Jersey  le  dépu- 
tèrent au  congrès  ,  et  il  s'y  fit  remar- 
quer pendant  sept  ans  par  sa  ferme- 
té, comme  par  son  éloquence.  Il 
mourut  à  Prince-Town  le  1 5  novem- 
bre 1794.  On  a  de  lui  ,  outre  les  Ca- 
ractères ecclésiastiques  ,  ])lusieurs 
écrits  distingués  par  l'esprit  et  par 
l'élégance  du  style  :  Essai  sur  des 
sujets  importants  ,  3  vol.  in-8<*.  j  nii 
livre  5«r  la  nature  et  les  effets  du. 
théâtre ,  qui  fit  du  bruit  dans  le  temps 
où  il  parut;  des  Sermons,  2  vol. 
Le  recueil  des  OEuvres  de  ce  théolo- 
gien a  été  imprimé  en  1802  ,4  vol. , 
par  les  soins  du  docteur  Rodgers.  Ou 
trouve  sous  son  nom,  dans  V Ame- 
rican muséum,  1788,  plusieurs 
opuscules  ,  entre  autres  des  Lettres 
sur  le  mariage  et  sur  l'éducation. 
L. 
WITHOF  (  Jean-Hildebrand  ) , 
philologue,  né  le  27  juillet  1694,  à 
Lengerich  ou  Lemgerké  ,  dans  le 
comté  de  Teckîenbourg  ,  fit  ses  étu- 
des à  Brème  et  à  Utrecht.  Nommé, 
en  1716  ,  recteur  de  l'école  latine  à 
Bommel ,  dans  le  pays  de  Gueldres, 
il  fut  appelé  à  Duisbourg  pour  y 
occuper  la  chaire  d'histoire ,  d'élo- 
(jaence  et  de  littérature  grecque  ;  et 
il  muurut  dans  cette  ville  le  3o  lé- 


WIT 

vricr  1769.  Suivant  les  traces  du  sa- 
vant Bentley  ,  il  corrigea  avec  beau- 
coup de  succès  un  grand  nombre  d'au- 
teurs anciens.  On  a  de  lui  :  \.  Spécimen 
eniendationum  ud  Guntheri  Ligu- 
riniim  ,  Duisbourg  ,  1731,  in-4°.  ; 
ibid. ,  1755.  IL  Encœnia  critica  f 
swe  Lucanus ,  y4rrianus ,  et  Maxi- 
mianiis  integritati  restituti ,. Wesel , 
1741  ,  in  4*'«  in.  Primitium  cru- 
ciimi  criticariiin  ,  prœcipuè  ex  Se- 
necd  Tragico ,  Leyde  ,  1  7^9,  in-4*'. 
IV.  l)'e  maxime  necessarid  critico- 
rum  operd  ,  dissertation  ])ubliëe 
sous  k  pseudonyme  de  C/^M^ms 
Cii'ilis  j  dans  les  Observationes  mis- 
cellaneœ  ,  J'^^o  ,  tom.  i«^.  V.  Be- 
marques  criticpies  sur  Horace  et  au- 
tres auteurs  romains ,  inse'rees  dans 
V Intelligenz - Blatt  ,  journal  alle- 
mand qui  paraissait  à  Duisbourg  , 
et  publiées  par  H. -A.  Grimm  ,  à 
Dusseldorf,  1791,  1  vol.  ia-8«. 

G— Y. 

WITHOF  (Jean-Philippe-Lau- 
rent)  ,  fils  du  pre'cëdent,  ne  à  Duis- 
bourg le  \^^\  juin  1 79.5  ,  lit  ses  études 
sous  les  yeux  de  son  père  ,  et  quitta 
les  belles-lettres  pour  se  livrer  à  la 
médecine.  En  1745,  il  donnait  des 
leçons  particulières  sur  cette  science. 
Envoyé  par  son  père  en  Hollande^  il 
suivit  les  leçons  des  premiers  maîtres. 
Revenu  dans  sa  patrie  ,  en  1750  ,  il 
y  enseigna  Fanatomie,  la  physio- 
logie et  la  pathologie.  La  socie'të 
royale  des  sciences  et  celle  de  la 
littérature  allemande  le  nommè- 
rent un  de  leurs  membres,  et  l'uni- 
versité' de  Duisbourg  lui  confia  la 
chaire  que  son  père  y  avait  remplie. 
Il  mourut  dans  cette  ville  le  3  juillet 
1 789.  Comme  médecin  il  eut  de  la 
vogue ,  et  la  confiance  de  quelques 
maisons  souveraines.  A  l'exemple  de 
Werlhof ,  de  Haller  et  de  quelques 
autres    docteurs    célèbres     Withof 


\ 


WIT 

prit  une  place  distinguée  parmi  les 
poètes  allemands.  On  a  de  lui  :  L 
Poésies,  Brème,  i75i,  in-8<^.  IL 
La  Probité,  poème  en  trois  chants  , 
Halberstadt  ,  1770.  IIL  Poésies 
morales^  Dortmund  ,  1705,  ia- 
8«.  IV.  Poésies  académiques  , 
Clèves  et  Leipzig,  1782  et  1783  ,  2 
vol.  in-8".  On  a  publié  des  extraits 
de'  SCS  poésie?  :  \  ^.  Dans  la  Théorie 
de  la  Poésie ,  par  C.-H.  Schmid  ; 
1^.  dans  les  Odes  des  Allemands  ; 
3'\  dans  le  Recueil  d'Eschenbourg; 
4^.  dans  V Anthologie  Ijrique  de 
Mathisson.  Après  la  mort  de  Wi- 
thof on  a  publié  ses  Entj^etiens  avec 
ses  enfants  y  Duisbourg,  1792  et 
K793,  3  vol.  in-8'\  Dans  les  Lettres 
sur  la  littérature  moderne  ,  on  lit  : 
«  Haller  ,  Bodmer,  Hagedorn,  Wie- 
»  land ,  Dusch  et  quelques  autres 
»  de  nos  ])oètes  ont  donné  des  poésies 
»  morales.  Dans  ce  genre ,  Withof 
^)  s'est  le  plus  approché  de  Haller.  » 
Sa  pensée  est  énergique  ,  hardie  j 
mais  il  est  moins  égal  que  Haller, 
qu'il  a  surpassé  par  la  vivacité  de 
l'imagination.  Un  biographe  alle- 
mand dit  que  Withof  a  publié  sur 
l'histoire  naturelle  et  la  médecine 
des  dissertations  savantes;  et  effecti- 
vement nous  trouvons  sous  son  nom 
dans  les  catalogues  bibliographiques 
allemands  De  castratis  commenta- 
tiones  :  mais  il  est  plus  connu  comme  ■ 
poète  et  philosophe.  Presque  l'égal  de  | 
Haller,  il  sait  resserrer  ses  idées.,  il 
est  riche  en  pensées  dont  plusieurs 
ont  passé  en  proverbes.  Ses  descrip- 
tions sont  hardies  ;  mais  sa  versifi- 
cation est  souvent  négligée.  G — y. 
W1Ï1KI^'D  (  des  deux  anciens 
mots  saxons  Wite-  Kind ,  qui  si- 
gnifient V Enfant  blanc)  est  un  des 
héros  les  plus  célèbres  de  l'ancienne 
Germanie.  On  n'a  que  des  tradi- 
tions fort  incertaines  sur  son  origi*- 


I 


à 


VVIT 

ue.  Quelques  cliroiiiques  du  moyeu 
âge  lui  donueut  pour  père  uu  prin- 
ce Weniekiug  ,  qui  était  uu  des 
principaux  chefs  de  la  nation  saxon- 
ne. Cette  nation  puissante  habitait 
le  territoire  compris  entre  le  Rhin 
et  TEibe,  et  elle  s'avançait  mcuie 
au  nord  jusqu'à  l'Oder.  Tributai- 
res des  Francs  saliens  dis  les  pre- 
miers siècles  de  la  monarchie, 
les  Saxous  trouvaient  dans  ce  tribut 
même  un  prétexte  continuel  de  guer- 
re. Ils  essayèrent  de  profiter  de 
rëloignemeut  de  Charlemagne ,  oc- 
cupe d'expéditions  dans  le  midi  de 
l'Europe,  pour  faire  une  irruption 
dans  la  partie  septentrionale  de  ses 
états.  L'empereur  accourt,  passe  le 
Rhin  à  Worms,  prend  et  rase  la 
forteresse  d'Eresbourg  (  i  ) ,  boule- 
vard de  la  Saxe  ,  et  reçoit  sur  les 
bords  du  Weser  les  supplications  , 
les  otages  et  les  serments  des  vaincus. 
Son  premier  soin  est  de  renverser 
l'idole  qui  était  l'objet  principal  de 
la  ve'ne'ration  du  pays ,  et  que  nos 
historiens  français,  se  copiant  les 
uns  les  autres ,  appellent  communé- 
ment Irminsul  {i).  C'est  alors  (vers 
']']i)  que  parut  un  nouvel  Hermann, 
ce  Witikind,  le  seul  rival  qui  se 
montra  digue  de  Charlemagne  par 
sa  valeur  et  par  sa  constance.  Cet 
homme ,  aussi  éloquent  qu'intrépide , 
ne  cessait  d'exhorter  les  Saxons  à 


(i)  AujoiHcl'lmi  StadUierg,  entre  Cassel  el  Pa- 
derboru. 

{•x)  Ou  est  honteux  de  voir  uti  écrivain  tel  que 
Gaillard  réduit  jiar  l'ignorance  de  la  langue  tudes- 
<jue  à  cberclier  quelle  divinité  grecque  ou  romai- 
ne représentait  cette  idole.  L'étymologie  même  de 
ce  nom  à^ Irminsul ,  quelque  dénaturé  qu'il  ait  été 
j)ar  les  Français  ,  lui  eut  révélé  que  cette  idole 
prétendue  n'était  qu'un  monument  érigé  à  la  mé- 
moire du  célèbre  Herinann  ,  vainqueur  de  Varus  , 
Iransforiné  eu  Arininiui  par  les  Romains  :  /7e/- 
iiicnni-So'ide  ,  c'est-à-dire  colonne  d'Herniann. 
Cette  colonne,  enterrée  par  ordre  de  Charlema- 
gne, fut  retrouvée  sous  le  r<'gue  de  Louis-le-l>é- 
bonnaire ,  et  transportée  dans  l'église  d'Hildes- 
heim.  Ou  célèbre  encore  tous  les  ans  ,  dans  celte 
ville,  la  veille  du  dimanche  Laslurc ,  la  destruc- 
tion de  cette  idole   prétendue   des  Saxons. 


WIT 


«7 


la  d(5fense  de  leur  pays.  INon  content 
de  voler  d'une  pen|)lade  à  une  autre 
pour  les  animer  toutes  de  son  esprit, 
il  dirigea  sa  politique  vers  les  puis- 
sances étrangères ,  et  parvint  ainsi  à 
attirer  les  armes  de  l'empereur  eu 
Italie.  Mais  ce  héros,  accoutumé  à 
passer  rapidement  d'une  extrémité 
de  ses  vastes  états  à  l'autre,  reparaît 
lout-à-coup   au  milieu   des  Saxons 
('"74),:  s'avance  cette  fois  au-delà  du 
Weser  ;  et ,  après  les  avoir  écrasés 
de  nouveau,  cède  à  leurs  protesta- 
tions de   fidélité.   Pensant  que  leur 
conversion  au  christianisme  était  la 
seule  garantie  qu'ils  pussent  lui  olTrir 
deleur.soumission  future,  il  voulut 
introduire  le  baptême  parmi  ces  sau- 
vages belliqueux*  mais  les  Angriens 
furent  à  peu  près  les  seuls  qui  se  mon- 
trèrent dociles.  Deux  ans  se  passèrent 
ensuite   assez   tranquillement.  Mais 
en   776  l'amour  de  l'indépeudance 
excite  une  nouvelle  guerre  ,  les  Fran- 
çais sont ballus,Eresbourg est  repris. 
Alors  l'infatigable  Charlemagne  re- 
vient contre  les  Saxons  avec  rapidi- 
té. 11  les  attaque,   les  défait  à  Sie- 
gcnbourg  (  ville  de  la  victoire)  et  les 
extermine  à  la  bataille  des  sources 
de  la  Lippe.  Ceux  qui  ont  échappé 
au  massacre    demandent  à  genoux 
miséricorde   et  le  baptême  j   et  le 
vainqueur  consent  à  leur  laisser  la 
vie     au    prix    d'une    abjuration  ; 
il   élève   des    forts  ^  s'empare    des 
bourgades    principales ,   désigne  la 
ville    de   Paderborn    pour    être   le 
lieu  où  se  rendront  les  Leudes ,  les 
grands  de  la  France ,  et  y  convoque 
les  principaux  Saxons.  Tous  lui  pro- 
mirent ce  qu'il  exigea.  Un  seul  de 
leurs  chefs  refusa  d'y  paraître  ;  cet 
homme  était  Witikind.  Pendant  que 
ses  compatriotes  s'humiliaient ,  il  al- 
la porter  sa  haine  et  sa  douleur  à  la 
cour  de  Sigefroi ,  roi  des  Danois  ou 


88 


WIT 


Normands.  Celle  époque  n'est  que 
trop  remarquable  :  ce  fut  cette  al- 
liance de  Witikind  avec  le  chef  de 
ces  terribles  Normands,  ce  furent 
ses  continuelles  instigations  qui ,  pen- 
dant plus  d'un  siècle ,  les  attirèrent 
sur  les  cotes  de  France.  Se  croyant 
désormais  maître  absolu  de  la  Saxe , 
Charlemagne  porte  la  guerre  au-delà 
des  Pyre'nces  •  mais  au  moment  mê- 
me 011  il  essuyait  l'ccliec  de  Ronce- 
vaux  ,  il  apprend  que  les  nouveaux 
chrétiens  des  pays  situés  entre    le 
Ehin  et  le  Weser   ont   derechef  se- 
coué son  joug,  et  que  Witikind, 
plus  audacieux  que  jamais,  se  re- 
met à  leur  tête.  Charles,   avec   la 
rapidité  de  la  foudre,  passe  d'Espa- 
gne en  Westphalie ,  et  atteint  Witi- 
kind à  Bucholt  y  sur  les  bords  de  la 
Lippe.  Les  Saxons,  malgré  les  ef- 
forts héroïques  de  leur  chef,  sont 
terrassés  et  obligés  d'implorer  cette 
fois  encore  la  clémence  du  vainqueur 
(  779  ).  Mais  Charlemagne  s'éloigne 
de   nouveau ,  et  Witikind   médite 
aussitôt  des  projets  de  délivrance. 
A  sa   voix  éclate  une   insurrection 
plus  générale  et  plus  violente  qu'au- 
cune de  celles  qui  avaient  précédé 
(  V.  Wnyslas  ).   Réprimée  presque 
aussitôt^  elle  est  réorganisée  par Wi- 
tikind.  Le  comte  Théodéric ,  parent 
de  l'empereur ,  marche  à  sa  rencontre 
avec  une  armée  considérable,  parta- 
gée en  trois  corps.  Le  héros  saxon 
profite  habilement  de  cette  division , 
et,  déployant  contre  les  Français  ce 
génie  qui  ne  pouvait  être  vaincu  que 
par  celui  de  Charlemagne ,  il  rem- 
porte la  victoii'e  la  plus  complète , 
au  pied  du  Mont  Sinthal ,  près  du 
Weser  (782).  Charlemagne  ne  vou- 
lut confier  qu'à  lui-même  le  soin  de 
sa   vengeance.   A    son   aspect  ,   les 
Saxons,  frappés  de  terreur  ,  deman- 
dent grâce  comme  s'ils  étaient  déjà 


WIT 

vaincus.  Cinq  mille  périssent  massa- 
crés à  Verden,  et  expient  ainsi  le 
crime  d'avoir  été  braves  à  Sinthal. 
Cette  éclatante  vengeance  ne  fît 
qu'exaspérer  les  Saxons  et  les  rendre 
plus  dociles  aux  insinuations  de  Wi- 
tikind qui^  abandonné  de  tous  les 
siens ,  réduit  à  prendre  la  fuite ,  épiait 
encore  le  moment  de  rentrer  dans  la 
lice ,  et  ne  tarda  pas  à  y  reparaître.  La 
fureur  qui  le  transportait  aveugla  sa 
prudence  :  trois  fois  il  osa  livrer  ba- 
taille en  plaine  aux  troupes  françai- 
ses^ mieux  disciplinées  que  les  sien- 
nes ,  et  trois  fois  il  éprouva  la  plus 
sanglante  défaite.  Instruit  par  l'ex- 
périence, il  se  remit  sur  la  défensi- 
ve ,  et  profita  avec  habileté  des  mon- 
tagnes et  des  forêts  dont  le  théâtre 
de  la  guerre  était  hérissé.  Après  plu- 
sieurs campagnes  où  le  sang  coula 
])ar  torrents ,  Charlemagne  ,  con- 
vaincu que  l'indomptable  chef  des 
Saxons  ne  lui  laisserait  que  des  dé- 
serts et  des  ruines ,  prit  enfin  la  ré- 
solution de  traiter  directement  avec 
Witikind.  Il  lui  envoya  des  prélats 
qui  vantèrent  avec  adresse  les  dou- 
ceurs de  la  vie  civile ,  les  charmes 
de  la  paix ,  et  s'attachèrent  surtout 
à  le  convaincre  de  la  sainteté  du 
christianisme.  La  persuasion  fît  ce 
que  n'avait  pu  faire  la  force  des  ar- 
mes :  Witikind,  dépouillant  toute 
haine,  ne  craignit  pas  de  se  fier  à  la 
générosité  de  Charlemagne.  Il  se 
rendit  auprès  de  ce  prince  à  Altigny- 
sur-Aisne,  et  témoigna  le  désir  sincè- 
re d'être  baptisé  en  sa  présence , 
ainsi  que  plusieurs  chefs  saxons  qui 
l'accompagnaient  (  786).  C'est  alors 
que  Charlemagne  lui  conféra  le  titre 
de  duc  de  Saxe,  qui  n'impliquait 
d'ailleurs  aucun  droit  de  souveraine- 
té sur  le  pays.  Witikind  ,  étant  re- 
tourné en  Allemagne  ,  se  montra 
scrupuleux   observateur  des   traités 


WIT 

avec  la  France.  Il  fut  lue'  en  807  , 
dans  un  combat  contre  Gcrold,  duc 
de  Souabe.  Depuis  sa  conversion, 
sa  yie  fut  si  chrétienne,  que  quel- 
ques chroniques  n'ont  pas  hésite' 
à  le  mettre  au  rang  des  saints.  Des 
généalogistes  en  font  la  tige  de  la 
troisième  race  de  nos  rois.  «  Sapos- 
»  térité ,  dit  Etienne  Pasquier,  com- 
M  mença  de  s'établir  en  France  ,  et 
»  fut  destinée  pour  la  lin  et  clôture 
»  de  celle  de  Charlemagne.  »  Selon 
cet  auteur,  Witikind  11,  fils  du  hé- 
ros saxon,  ayant  pris  au  baptême  le 
nom  de  Robert ,  fut  père  de  llobert- 
le-Fort,  bisaïeul  de  Hugues-Gapet 
(3).  Sagittarius  a  publié,  en  1679, 
une  Dissertation  sur  les  tombeaux  de 
la  famille  Witikind,  depuis  la  mort 
d'Othon-le-Riche,  Onpeut  aussi  con- 
sulter Annales  Witekindi ,  ainsi  que 
Crusius  et  Schurszlleischer  qui  ont 
écrit  sur  Witikind.  J.-H.  Boeder 
a  donné  une  savante  dissertation  in- 
titulée Le  grand  TFitikind^  1 7  ^  3  , 
in-S*^.  On  trouve  dans  la  Bibliothè- 
que politique  d'Él.  Reusner  l'indica- 
tion de  toutes  les  familles  qui  tirent 
leur  origine  de  Witikind.  S — v — s. 
WITIKIND  ou  WITEKIND, 
historien,  florissait  vers  le  milieu 
du  dixième  siècle.  Il  embrassa 
très-  jeune  la  règle  de  saint  Benoît, 
dans  l'abbaye  de  Corvey  (  Corheia 
Nova),  en  Westphalie;  profitant 
des  leçons  et  des  exemples  de  ses 
maîtres,  il  se  rendit  très-habiie  dans 
toutes  les  sciences  cultivées  à  cette 
époque,  et  à  son  tour  il  enseigna  dans 
cette  abbaye  la  littérature  sacrée  et 


(3")  CeUe  opinion  a  peu  de  partisans  cle  nos  jours  ; 
la  plupart  de  nos  érudits  pensent ,  comme  l'éta- 
blit M.  de  Forlia  d^Urban  ,  dar.s  son  Histoire  gé- 
néiilogi^ue  de  la  maison  de  France^  que  llobert- 
Ic'Fort  était  d'origine  française  et  descendait  de 
failli  Ariiould ,  maire  du  palais  d'Auslrasic,  et 
évèque  de  Metx  au  comuieuceuient  du  sepliètne 
siècle. 


WIT  89 

j3rofane  avec  beaucoup  de  succès.  Il 
y  mourut  après  rannée973. Witikind 
avait  composé  plusieurs  ouvrages  en 
vers  et  en  prose;  mais  il  ne  nous  reste 
de  lui  que  les  Annales  des  Saxons  , 
Annales  de  gestis  Otlionuni  ,  en 
trois  livres ,  qui  se  terminent  à  la 
mort  de  l'empereur  Othon  P''.  Ces 
Annales  ,  publiées  pour  la  première 
fois,  Baie,  1082,  in -fol.,  dans  un 
recueil,  devenu  très-rare,  de  mor- 
ceaux historiques  de  la  même  épo- 
que ,  furent  reproduites  par  Reinier 
Reineccius ,  Francfort ,  1 5^5 ,  in-fol. 
Henri  Meibom  l'ancien  (  V.  ce  nom  , 
XXVIII ,  1 89  )  en  donna  une  édition 
plus  correcte  et  enrichie  de  notes  et 
de  dissertations,  ibid. ,  1621 ,  in-fol. 
Le  petit  -  lils  de  Meibom ,  nommé , 
comme  son  aïeul ,  Henri ,  les  fit  réim- 
primer en  1660,  et  les  inséra  dans 
sou  édition  des  Scriptor.  rerum  ger- 
manicar. ,  Helmstœdt,  1688.  Dom 
Bouquet  en  a  donné  l'extrait  dans 
son  Recueil  des  historiens  de  Fran- 
ce, VIII  ,217.  Trithèine  {Hist.  scripte 
écoles.)  loue  la  piété  de  Witikind, 
son  érudition  ,  son  éloquence  et  son 
talent  pour  la  poésie  j  mais  tous  ses 
ouvrages,  excepté  les  Annales  des 
Saxons ,  étaient  déjà  perdus  _,  puis- 
qu'il avoue  que  malgré  toutes  ses  re- 
cherches il  n'en  a  pu  découvrir  au- 
cun autre.  W — s. 

WITIZA.  rof.YiTizA. 

WITOLD  ou  WITWALD 
(  Alexandre)  ,  grand  -  duc  de  Li- 
thuanie  ,  s'est  placé ,  par  son  coura- 
ge et  ses  qualités  éminentes ,  au  pre- 
mier rang  des  princes  de  sa  maison. 
Étant  du  même  âge  que  Vladislas  Ja- 
gellon  ,  son  cousin  germain ,  il  fut 
élevé  avec  lui  ;  et  ces  deux  princes 
vécurent  dans  la  plus  parfaite  intimi- 
té. Cependant  Ki  es  luth  ,  père  de 
Witcld.,  avertit  celui-ci  que  Jagel- 
Ion,  oubliant  ce  qu'il  leur   devait, 


9« 


WIT 


formait  contre  eux  des  trames  pcr- 
i.ides.  Ne  s'en  tenant  pas  à  cet  aver- 
tissement, i!  se  mit  à  la  tète  de  ses 
troupes  en  i38'2,  s'avança  siir  Wil- 
na  ,  s'empara  de  celle  ville,  de  Ja- 
^ellon  et  de  sa  correspondance.  Par 
les  ordres  de  son  père,  Witold  ac- 
courut ;  et  quoiqu'il  eût  sous  les 
yeux  les  preuves  de  la  perfidie  de  son 
ami,  il  vint  à  bout  de  le  réconcilier 
avec  son  père  {F.  Jagellon  ).  Mais 
Licntôt  de  nouvelles  dissensions  s'é- 
tant  élevées  ,  Kiestuth  et  Jagellon 
se  trouvèrent  en  pre'sence  ,  à  la  tête 
de  lewrs  troupes.  Jagellon,  qui  crai- 
gnait l'issue  du  combat,  eut  de  nou*- 
veau  recours  à  la  médiation  de  Wi- 
told ,  qui ,  ])lein  de  con (lance  dans  sa 
loyauté,  u'hésita  point  à  venir  le 
voir  dans  son  camp ,  et  y  entraîna 
même  ensuite  son  père  ;  mais  le  per- 
fide Jagellon,  au  mépris  de  l'hon- 
neur et  de  la  parenté ,  fit  conduire 
Kiestuth  dans  un  cachot ,  oij  ce 
vieillard  fut  étranglé.  Witold  fut  sé- 
vèrement gardé  à  vue  ;  et  i!  se  croyait 
destiné  au  même  supplice,  lorsque 
son  épouse,  qui  avait  seule  la  per- 
mission de  le  voir,  accompagnée 
de  deux  de  ses  femmes,  lui  lit  pren- 
dre les  habillements  de  l'une  d'elles, 
et  réussit  à  le  sauver.  Il  se  réfu- 
gia chez  les  chevaliers  teutoniques , 
où  son  épouse  le  suivit  bienlôt ,  Ja- 
gellon s'étant  laissé  toucher  par  le 
dévouement  de  cette  princesse.  Wi- 
told se  rendit  dans  la  Samogitie,qui 
alors  appartenait  à  la  Lithuanie.  Les 
habitants  le  reçurent  avec  joie,  de- 
mandant qu'il  se  mît  à  leur  tête  ,  et 
qu'il  les  conduisît  contre  Jagellon. 
Les  chevaliers  lui  ollrircnt  des  ar- 
mes et  des  chevaux  :  mais  il  se  ré- 
conciliabienlot  avec  Jagellon,  et,  tou- 
jours confiant,  il  l'accompagna  en 
1 385  à  Cracovie ,  lorsque  ce  prince 
y  lit  célébrer  son  mariage  avec  la 


WIT 

reine  Hedwige.  Cette  union  avait  été 
formée  à  son  préjudice,  pendant  son 
exil,  a  Par  ses  hautes  qualités,  dit 
))  Dlugosz  ,  Witold  était  incontesta- 
»  blement  le  ])remier  parmi  les  prin- 
»  ces  de  la  Lithuanie.  Jagellon,  d'un 
»  esprit  borné,  était  y)!us  propre  à 
»  arranger  une  partie  de  chasse  qu'à 
»  gouverner  un  grand  empire.  IVL'us 
»  il  avait  la  souveraine  autorité  en 
»  main;  et  il  ollrait  la  Lithuanie  aux 
»  Polonais.  Ils  le  préférèrent  donc  à 
»  Witold,  qui  par  ses  exploits  mé- 
»  rite  d'être  mis  à  côté  d'Alexandre 
»  le  Macédonien,  dont  il  portait  le 
»  nom.  »  Le  i4  février  i386,  Wi- 
told fut ,  ainsi  que  Jagellon  ,  baptisé 
solennellement  à  Cracovie  ,  après 
avoir  renoncé  au  ])aganisme  ;  et  il 
prit  le  nom  d'Alexandre.  Pendant 
qu'on  se  livrait  à  la  joie  dans"  cette 
ville  ,  on  y  apprit  que  le  grand-maî- 
tre des  chevaliers  ,  au  lieu  de  se  ren- 
dre à  l'invitation  que  lui  avait  adres- 
sée Jagellon,  s'était  jeté  sur  les  pro- 
vinces limitrophes  de  la  Lithuanie. 
Le  roi  ,  qui  connaissait  la  loyau- 
té de  Witold ,  l'envoya  pour  repous- 
ser cette  irruption;  et  l'ennemi  se 
hâta  de  rentrer  dans  ses  limites.  Ce- 
pendant ,  ne  pouvant  s'entendre  avec 
Skirgiellon  ,  frère  du  roi,  qui  était 
chargé  d'administrer  avec  lui  la  Li- 
thuanie, Witold  se  retira  en  Prusse, 
d'oii,  pendant  cinq  ans,  il  ne  cessa 
d'inquiéter  Jagellon.  Enfin  celui  -  ci 
réussit  à  faire  la  paix  ;  et  Witold 
étant  arrivé, en  iSg^,  à  Wilna,  Ja- 
gellon s'y  rendit ,  accompagné  de  la 
reine  Hedwige  et  des  grands  de  la 
Pologne.  Witold  fut  nommé  son  lieu- 
tenant-général en  Lithuanie;  et  il  fut 
installé  à  Wilna  ,  aux  acclamations 
du  peuple.  Pendant  les  quatre  pre- 
mières années  de  son  administration, 
après  avoir  repoussé  les  chevaliers 
teutoniques,  il  reprit  les  duchés  de 


d 


WIT 

Siewiersk  ,  de  Novogrod  ,  de  Kiuw, 
de  Podolie  ,  de  Vitepsc  et  de  Smo- 
leiisk.  11  pénétra  dans  Ja  Livonie  et 
dans  le  duché  de  Rezan.  En  i3g6  , 
il  pria  Vassili  II  (F",  ce  nom),  à  qui 
il  avait  donne  en  mariage  sa  lille  So- 
phie, de  venir  le  trouver  à  Smo- 
lensk.  Là  ,  pendant  qu'en  appa- 
rence on  ne  pensait  qu'aux  fêtes 
et  aux  divertissements  ,  on  lixa 
les  limites  des  deux  états.  Witoîd 
avait  tellement  agrandi  ses  domai- 
nes ,  que  les  gouvernements  actuels 
d'Orel ,  de  Kalouga  et  de  ïula  hii 
appartenaient.  Possédant  Rjev,  Ve- 
likii-Lucki  ;  s'étendant  depuis  les 
frontières  de  Pskow  jusqu'à  la  Ga- 
licie  et  la  Moldavie  d'un  coté,  et 
de  l'autre  jusqu'aux  bords  de  l'O- 
ka  ,  de  la  Sou  la  et  du  Dnieper ,  il 
commandait  en  maître  dans  toute  la 
Russie  méridionale,  tandis  que  Vas- 
sili, relégué  dans  les  tristes  contrées 
du  Nord  ,  pouvait ,  de  Mo|aïsk  ,  de 
Borowsk  ,  de  Kalouga  et  d'Alexine  , 
contempler  la  ligne  des  frontières  li- 
thuaniennes. Witold  était  trop  puis- 
sant pour  que  l'on  osât  lui  proposer 
d'y  faire  des  changements.  Ce  ])rince 
promit  à  Vassili  protection  pour  le 
culte  grec  dans  les  provinces  qu'il 
venait  de  soumettre.  On  parla  aussi 
à  Smolcnsk  de  l'expédition  que  Wi- 
told méditait  contre  les  ïartares  ;  et 
ce  fut  probablement  l'objet  princi- 
pal des  conférences.  Le  lier  Jokta- 
misch  ,  vaincu  par  les  lieutenants 
de  Tamerlan,  s'était  réfugié  à  Kiow, 
avec  sa  femme ,  ses  enfants  et  ses  tré- 
sors ,  implorant  le  secours  de  Wi- 
told ,  qui  s'empressa  de  prendre  sous 
sa  protection  un  exilé  aussi  célèbre , 
lui  promettant  de  le  reconduire  à 
main  armée  à  la  Horde  ^  et  de  le  re- 
placer sur  ie  trône  de  Bâti.  Déjà  il 
avaitfaituneexcursion  jusqu'à  i\.zow, 
d'oii  il  avait  ramené  un  grand  nom- 


WIT  i,, 

bre  de  captifs  (i).  Ne  se  proposant 
rien  moins  que  de  renverser  le  trône 
de  ïamerian  ,  il  députa,  en  i3()9, 
un  de  ses  généraux  à  Vassili ,  pour 
demander  à  ce  prince  de  coopérer  à 
l'exécution  de  son  plan.  Le  grand- 
duc  de  Russie  envoya  son  épouse  à 
Witold,  qui  reçut  sa  lille  à  Smo- 
lensk  avec  les  témoignages  de  la  plus 
vive  affection.  La  princesse  représen- 
ta à  son  père  que  la  Russie  ne  pou- 
vait s'exposer  en  prenant  une  part 
visible  à  cette  guerre.  Witold ,  qui 
le  sentait ,  se  rendit  à  Kiow  ,  pour  y 
rassend)lerson  armée.  La  reine  Hed- 
Avige  lui  fit  en  vain  les  représenta- 
tions les  plus  pressantes  :  rien  ne  put 
l'arrêter.  Jagellon  lui  confia  ses  meil- 
leures troupes;  et  il  se  trouvait  à  la 
tête  d'une  armée  aussi  nombreuse 
que  brave,  ayant  soiis  ses  ordres  cin- 
quanfe  princes  polonais,  russes  ou  li- 
thuaniens. Le  12  août  1399,  i^  P^ssa 
la  Worskla ,  et  l'action  commerça. 
Les  Tartares  avaient  à  leur  tête  Edi- 
gée,  vieilli  sous  les  drapeaux  de  Ta- 
merlan. Us  l'emportaient  de  beaucoup 
en  nombre  sur  les  Lithuaniens.  Wi- 
told se  confiait  dans  son  habileté  et 
surtout  dans  ses  canons  et  ses  arque- 
buses y  mais  comme  on  ne  savais  alors 
ni  charger  promptement  les  armes  à 
feu,  ni  les  bien  diriger,  elles  lui  fu- 
rent de  peu  de  secours.  Les  Tartares 
l'ayant  débordé,  il  fut  mis  en  désor- 
dre ;  et  dans  cette  fatale  journée ,  il 
ne  se  retira  qu'avec  peine ,  laissant 
les  deux  tiers  de  son  armée  sur  le 
champ  de  bataille.  Les  Tartares 
s'emparèrent  de  Kiow  ,  et  portèrent 
la  désolation  dans  les  provinces  voi- 
sines. Witold,  s'étant  promptement 
relevé  de  cette  défaite^  s'unit  plus 


(1"^  Ces  Tartares  ,  rjtii  ont  conservé  leurs  mœurs 
et  leur  religion  inahométane,  occupent  encore  au- 
jourd'hui plusieurs  villaces  dans  les  euviroiis  de 
W^ilna. 


WIT 

étroitement  avec  Jagellon,  qui,  en 
i4oi  ,  vint  le  visiter  à  Wilna.  Eu 
.  1 4o3  ,  un  prince  lithuanien  avait  pro- 
fité des  circonstances  pour  s'empa- 
rer de  Sraolensk.  Witold  l'eut  bien- 
tôt chassé  de  cette  place  importante. 
D'après  l'avis  de  Jagellon,  il  fit  une 
paix,  qu'il  croyait  durable,  avec  les 
chevaliers  teutoniques,  auxquels  il 
céda  la  Samogitie.  En  1 407  ,  des  dis- 
cussions s'élevèrent  entre  Witold  et 
Vassili  II,  au  sujet  de  Pskow  et  de 
Novogrod  ;  et  les  explications  de- 
mandées par  le  prince  lithuanien  ne 
l'ayant  point  satisfait,  il  prit  un  ton 
si  menaçant,  que  Vassili ,  effrayé,  de- 
manda des  secours  à  la  grande  Hor- 
de. Les  deux  princes  se  rencontrèrent 
sur  les  bords  de  la  Krapiwna  ,  près 
de  ïula.   Yassiii  ayant  fait  les  pre- 
mières démarches ,  on  conclut  un  ar- 
mistice qui,   l'année  suivante,  fut 
changé  en  un  traité  de  paix.  Les  che- 
valiers teutoniques  menacèrent  alors 
encore  une  fois  la  Lithuanie  ;  et  l'on 
courut  aux  armes  de  part  et  d'autre. 
Le  i5  juillet  i4io^  l'armée  polo- 
naise, commandée  par  Jap;ellon  ,  et 
celle  de  Lithuanie  par  Witold,  se 
trouvèrent,  près  de  Grunwald,  en 
présence  des  chevaliers ,  qui  avaient 
à  leur  tête  leur  grand-maître,  Ulrich 
de  Juningen.  (i  On  voyait,  dit  Dlugosz, 
»  Alexandre    Witold    voler    tantôt 
»  vers  les  Polonais ,  tantôt  vers  les 
»  Lithuaniens,  sans  garde,  n'ayant 
»  avec  lui  que  quelques    olliciers  , 
»  changeant  souvent  de  chevaux ,  ré- 
»  tablissant  les  rangs  ,  l'ordre  par- 
»  tout ,  et  faisant  entendre  sa  voix 
»  d'une  armée  à  l'autre.  »  L'issue  du 
combat  fut  terrible  pour  les  cheva- 
liers ,  qui  laissèrent  sur  le  champ  de 
bataille  quarante  mille  hommes,  par- 
mi lesquels  se  trouvait  Ulrich  ,  leur 
général.  La  paix  se  fit*  et  les  cheva- 
liers cédèrent  la  Samogitie.  En  1 4 1 5, 


WIT 


remi>ereur  Sigismond,  «e  rendant 
au  concile  de  Constance ,  pria  Wi- 
told de  protéger  la  Hongrie  con- 
tre les  Turcs.  De  concert  avec 
Jagellon  ,  le  prince  lithuanien  dé- 
cida Mahomet  à  conclure  avec  la 
Hongrie  une  trêve  de  six  ans.  Dans 
la  même  année,  il  envoya    sur  le 


Di 


nepcr   une    provision   consi 


déra- 


ble  de  vivres  pour  l'empereur  de 
Gonstantinople.  La  réputation  de  Wi- 
told s'était  répandue  si  loin  ,  qu'en 
1419  les  Tartares  appelés  Trans- 
Folgenses  ou  d'au-delà  du  Volga, 
étantdésunisentreeuXjleprirentpour 
arbitre,  et  reçurent  pour  khan  celui 
qu'il  fit  couronner  avec  pompe  à  Wil- 
na. En  i^*^!  j  il  donna  pour  épouse 
à  Jagellon  la  princesse  Sophie,  sa 
nièce.  Les  Bohémiens  lui  olï'riient 
alors  la  couronne,  il  la  refusa.  Son 
ambition  était  de  se  faire  couronner 
roi  de  Lithuanie.  Sachant  que  la  na- 
tion polonaise  s'y  opposerait,  il  ga- 
gna l'empereur  Sigismond,  qui  , sur  sa 
proposition ,  indiqua  pour  le  mois  de 
janvier  il^'i^  une  assemblée  à  Lus- 
ko,  villecapitale  de  la  Volhinie.  Cette 
réunion  fut  remarquable  par  les  per- 
sonnages qui  y  assistèrent.  On  y  vit 
l'empereur  Sigismond  avec  son  épou- 
se et  les  princes  de  l'empire;  Jagel- 
lon, roi  de  Pologne;  Éric,  roi  de 
Danemark  et  de  Suède;  les  ambas- 
sadeurs de  Jean  Paléologue  ,  les  prin- 
ces voisins  de  la  Russie ,  deux  khans 
des  Tartares  et  les  grands  -  maîtres 
de  Prusse  et  de  Livonie.  Witold  dé- 
fraya ces  hôtes  illustres,  pendant 
près  de  deux  mois ,  avec  une  magni- 
ficence qui  les  étonna.  Chaque  jour, 
on  tirait  de  ses  caves  sept  cents  ton- 
neaux d'hydromel  et  de  vin ,  et  de  la 
bière  en  proportion.  Ses  cuisines 
sufilsaieiit  a  peine  pour  ajîprêter , 
chaque  jour,  sept  cents  bœufs  et  gé- 
nisses, quatorze  cents  moutons,  cent 


WIT 

buffles,  autant  d'ëlans  et  de  san- 
gliers ,  etc.  Les  conférences  publiques 
eurent  particulièrement  pour  objet 
les  moyensde  reponsserles  Turcs  on 
Asie.  Dans  les  entrevues  particuliè- 
res ,  Sigismond  fit  tous  ses  efî'orts 
pour  gagner  Jagellon,  ailn  qu'il  con- 
courût au  couronnement  de  Witold. 
Ce  prince  y  était  assez  porte  :  mais 
les  sénateurs  polonais  qui  l'entou- 
raient repoussèrent  toutes  les  propo- 
sitions 'j  ils  résistèrent  mcme  en  fa- 
ce à  Witold  ,  qui  voulait  les  gagner; 
et  sur  leurs  instances,  Jagellon  quit- 
ta la  dicte  sans  avoir  pris  congé  de 
l'empereur.  Witold ,  indigné  ,  se  ré- 
pandit en  menaces.  La  diète  polo- 
naise ,  qui  craignait  les  eii'ets  de  sa 
vengeance ,  députa  vers  lui ,  de  con- 
cert avec  le  roi ,  pour  lui  offrir  la 
couronne  de  Pologne ,  après  la  mort 
de  Jagellon.  Il  rejeta  cette  offre;  et 
d'accord  avec  l'empereur  il  fixa 
son  couronnement  au  mois  d'octobre 
i43o.  Jagellon  se  rendit  lui-même  à 
Troki  ,  pour  tâcher  de  le  fléchir. 
Il  trouva  le  fier  Lithuanien  en- 
touré de  ses  courtisans.  Vassili  111, 
son  petit-fils  ,  les  princes  de  Tver , 
de  Kezan  ,  d'Odoief  ,  de  Mazo- 
Vie,  le  khan  de  Tauride,  l'hospo- 
dar  de  Valachie,  les  ambassadeurs 
de  l'empereur  d'Orient,  les  grands- 
maîtres  de  Prusse  et  de  Livonie ,  s'y 
étaient  rassemblés ,  invités  par  Wi- 
told à  son  couronnement.  Le  grand- 
duc,  octogénaire,  étonna  encore  cet- 
te assemblée  par  l'éclat  de  sa  repré- 
sentation. Mais  les  sénateurs  polo- 
nais s'étant  montrés  inébranlables,  les 
hôtes  augustes  se  retirèrent  l'un  après 
l'autre.  Witold,  accablé  de  chagrin, 
sentit  ses  forces  diminuer.  Il  mourut 
le  27  octobre  i43o,  entre  les  bras 
de  Jagellon  et  de  sa  famille.  Ce  prin- 
ce ,  le  plus  illustre  de  son  temps  par- 
mi les  souverains  du  Nord,  et  peut- 


WIT 


93 


être  le  premier  général  de  son  siècle^ 
était  petit  de  corps.  Il  savait  répan- 
dre habilement  les  trésors  qu'il  de- 
vait à  ses  victoires  et  au  commerce 
de  ses  états.  S'étant  interdit  l'usage 
du  vin  et  des  liqueurs  spiritueuses ,  il 
était  toujours  en  état  de  s'occuper 
des  affaires  les  plus  sérieuses  ;  à 
table,  en  voyage  et  à  la  chasse,  il 
songeait  constamment  à  ses  pro- 
jets. Dans  l'expédition  qu'il  entre- 
prit ,  en  1  ^16  y  contre  Novogt  od ,  il 
fit  traîner  par  quarante  chevaux  un 
énorme  canon  de  siège ,  qui  d'un  seul 
coup  renversa  une  tour  de  la  ville  ; 
mais  ayant  été  ensuite  trop  forte- 
ment chargé  ,  il  éclata  et  fit  périr 
beaucoup  de  monde  ,  entre  autres 
l'ouvrier  allemand  qui  l'avait  fondu. 
Quoique  Witold,  par  ses  conquêtes, 
eût  considérablement  resserré  l'em- 
pire russe,  Vassili  11  l'avait  nommé, 
par  son  testament ,  tuteur  de  ses  en- 
fants. G — Y. 

WITS  ou  WITSIUS  (Hermann), 
savant  théologien  protestant ,  naquit 
le  1 2  fév.  1 636  (  i  )  à  Enchuysen 
dans  la  Nord-Hollande.  Son  père , 
membre  du  conseil  de  cette  ville ,  est 
auteur  de  Méditations  pieuses  ou 
Cantiques  en  flamand  (2).  Admis 
en  i65o  à  l'académie  d'Utrecht,  il 
y  fit  ses  cours  de  philosophie  et  de 
théologie  avec  succès,  et  se  distingua 
surtout  par  ses  rapides  progrès  dans 
les  langues  orientales.  Il  n'avait  pas 
dix-huit  ans  lorsqu'il  prononça  pu- 
bliquement un  discours  hébreu  de 
sa  compoûtion ,  sur  le  Messie  des 
Juifs  et  celui  des  Chrétiens,  D'U- 


(i)  Quelques  auteurs  placent  la  naissance  de 
Wits  en  169.6;  mais  c'est  une  erreur  évidenle.  Il 
aurait  eu  soixante-douze  ans  à  lepoque  où  il  serait 
venu  à  Leyde,  remplacer  Spanlieim  ,  admis  à  la 
retraite  comme  trop  âgé  pour  continuer  ses  fonc- 
tions. 

(2)  Voy.  son  article  dans  les  Mémoires  liltér.  de 
Paquot,  X  ,  190  ,  édit.  in- fol. 


~ 


WIT 


trecht ,  il  se  rendit  à  Groningiie  pour 
suivre  les  leçons  du  cëlcbre  Samuel 
Desmarels  (  Foy.  ce  nom  ).  Ses 
éludes  aclievces,  il  embrassa  la  carriè- 
re evangelique;  et  depuis  1657  rem- 
plitles  fonctions  du  paslorat, dans  dif- 
lerenles  églises, jusqu'en  1675,  épo- 
que à  laquelle  il  fut  nommé  professeur 
de  théologie  à  l'académie  de  Frane- 
ker.  11  refusa  la  chaire  qui  lui  fut 
ollcrte  à  Groningue,  en  1(379  ;  mais, 
l'année  suivante  ,  il  remplaça  Fr. 
Burraann  à  l'académie  d'U trecht.  Il 
accompagna  ,  en  qualité  de  chape- 
lain, les  ambassadeurs  que  les  États 
de  Hoilande  envoyèrent  à  Jacques 
II  (i6i35),  pour  le  complimenter 
sur  son  avènement  au  trône  d'Angle- 
terre. En  1698 ,  Fréd.  Spanhcim 
s'étant  démis  de  sa  chaire  à  l'acadé- 
mie de  Lcyde  ,  à  raison  de  son  grand 
âge,  Witb  fut  choisi  pour  lui  succé- 
der. 11  passa  de  cette  place  à  celle 
de  recteur  du  collège  théologique  , 
qu'il  remplit  avec  zèle  ,  et  mou- 
l'ut  le  'l'i  octobre  1708,  à  l'âge  de 
soixante-douze  ans.  Wils  avait  une 
grande  érudition  ,  et  écrivait  bien  en 
latin  et  en  hollandais.  11  penchait 
pour  le  coccéianisme  ;  mais  il  ne  se 
déclara  jamais  pour  aucun  des  par- 
tis qui  divisaient  alors  l'église  de 
Hollande.  Ses  principaux  ouvrages 
sont  :  I.  Judeus  christianizans  cir- 
ca  principia  fidei  et  SS.  Trinita- 
tem  ;  swe  dissertatio  de  principiis 
fidei  Judœorum  ,  etc.  ,  Utrecht , 
1661  ,  in-i'2.  II.  De  œcononiid 
fœderum  Dei  cuin  ho  minibus  libri 
JF  y  Leuwarde,  i()77  ,  in-8'^. ,  réim- 
primé plusieurs  fois.  111 .  Diatribe  de 
septem  cpistolarum  apocalyptica- 
rum  sensu  historico  ac  prophetico  , 
Franeker  ,  1G78  ,in-  f  9..  1 V.  Exerci- 
taliones  sacrœ  in  symboluni  quod 
apostoloruni  dicitur  ;  et  in  oratio- 
nem   Doniinicam  y  ibid.  ,    1681  , 


WIT 

1G89,  in  4"«  ;  Amsterdam  ,  1697  » 
même  format  5  Herborn  ,  I7i'2.  Les 
dernières  éditions  ont  été  revues  et 
corrigées  par  l'auteur.  Y.  uEgrp- 
tiacaet  ^.svA'f<Aov ^  sivede  jEgjptio- 
rum  sacrorum  cuni  Hebraicis  col- 
latione  libri  très  ;  et  de  decem  tri- 
bubus  ïsraëlis  liber  singularis  ;  ac- 
cessit diatribe  de  le gione  fulmina' 
trice  Christianorum  sub  imperat, 
M.  Aurelio  Antonino,  Amsterdam, 
i()83,  ibid.,  1696,  in^'*-  Le  but  de 
l'auteur ,  dans  cet  ouvrage ,  est  de 
réfuter  le  système  de  Marsham  et 
de  Spencer ,  qui  prétendaient  trouver 
dans  les  rits  égyptiens  l'origine  de 
ceux  des  Juifs  ;  Wits  s'attache  à 
montrer  que'ce  sont  au  contraire  les 
Égyptiens  qui  ont  emprunté  quel- 
ques-unes de  leurs  cérémonies  aux 
Hébreux.  Les  Ègjptiaques  ont  été 
réimprimées  par  Bl.  CJgolini,  dans 
le  Thesaur.  antiquitat.  sacrar. ,  i , 
74o  (3).  Le  second  traité  de  Wits 
contient  l'histoire  des  dix  tribus 
d'Israël  ;  et  l'auteur  rapporte  dilïe- 
rents  textes  de  l'écriture  d'après  les- 
quels les  tribus  doivent  un  jour  être 
rassemblées  en  un  seul  peuple  qui 
croira  en  J.-C.  La  dissertation  de 
Wits  sur  la  légion  fulminante  a  été 
critiquée  vivement  parLarroque  {V. 
XXIII,  398).! VI.  Miscellanea  sa- 
cra, Utrecht,  1692-1700,  1  vol. 
in-4°.  Le  premier  volume  a  été  ré- 
imprimé, Leyde ,  1695,  in-4".  La 
seconde  édition  est  augmentée  de 
trente  dissertations ,  et  d'une  préface 
dans  laquelle  l'au'eur  relève  quelques 
erreurs  qui  lui  étaient  échappées  dans 
la  première.  YII.  Exercitationuin 
academicarum  ,  maximd  ex  parte 
historico-critico-ilieologicarumduo- 
decas  y  Utrecht ,  i  G94  ,  in-i  a.  VIII. 


(3)  Ou  trouve  dans  le  même  recueil  une  disser- 
laliou  de  Wits  De  synehiis  Hebrœomm ,  XXVl  , 
iio(3. 


I 


WIT 

Meletemala  leidcnsia  ,  Lc)de  , 
1703,  in-4".  Ou  doit  en  outre  à 
Wits  plusieurs  ouvrages  asceiiqursen 
hollandais.  11  est  l'éditeur  de  l'ouvra- 
ge deThom.  Godwin ,  Moïse  et  Aa- 
ro«  ,  Utreclit ,  1690,  iu-8<^. ,  aug- 
mente de  deux  dissertations  ;  des 
OEuvres  critiques  de  Tliom.  Gata- 
ker  (  Foy.  ce  nom  ,  XVI ,  548)  j 
de  la  traduction  frauçaise  du 
Christianisme  primitif  àe  G.  Cave  , 
avec  uue  préface  (  Foy.  Cave  , 
VII,  450- On  peut  cousulter  pour 
plus  de  détails  les  Mémoires  liltér. 
des  Pays  Bas  de  Paquot,  i,  191  et 
suiv. ,  édit.  in-t'ol.  (4).  Les  OEuvres 
choisies  de  Wits  ont  été  publiées  à 
Bàle  ,  1739,  1  vol.  in-4*^*.  On  en  a 
le  recueil  complet ,  Herboru  ,  1712- 
17,6  vol.  in-4''.  W — s. 

WITSEN  {  Nicolas  )  né  à  Ams- 
teidara  eu  1640  ,  joua  un  rôle  im- 
portant dans  la  magistratiue  de  cette 
ville,  surtout  à  l'époque  de  l'expcdi- 
tion  de  Guillaume  111  eu  Auglelerrc 
(  1688).  L'historien  Wagenaar  a 
fait  usage  des  notes  tenues  par  Wit- 
sen  sur  les  préparatifs  de  cette 
expédition,  dont  le  secret  lui  avait 
été  coulié  ,  et  sur  les  résultats  qui  en 
furent  les  suites  immédiates  ;  spéciale- 
meut  sur  l'alliance  offensive  et  défen- 
sive siguée  entre  l'Angleterre  et  les 
Étals-genéraux  le  i3  sept.  1689. 
Wilsen  y  iigure  plutôt  comme  un 
négociateur  prudent  et  cousciencieux, 
que  comme  un  homme  doué  de  l'é- 
nergie et  de  la  fermeté  qu'exigeaient 
les  circoustançes  (  Voy.  ['Histoire  de 
la  patrie  j  par  Wagenaar,  tomexv, 
pag.4'-i5  et  suiv.  jtome  xvi,  pag.  'ii 
et  suiv.  ).  Il  avait  des  couuaissances 
peu  communes  en  mathématiques  et 
en  mécanique  ,  et  il  en  a  fait  preuve 

t  ^\  \jH  liste  c£ue  Patjiiol  (loiiiic  de'»  écrits  de 
Wits  s'élève  h  rùngl-sefil  ;  initis  il  admet  dans  ce 
uoia\)re  les  ouvrnges  dont  il  n'est  que  l'éditeur. 


WIT 


9^ 


dans  son  ouvrage  sur  la  Construc- 
tion ancienne  et  moderne  des  vais- 
seaux (en  hollandais),  1671  ,  un 
vol.  in-fol.  Witsen  se  rendit  encore 
utile,  sous  ce  rapport,  dans  le  rè- 
glement du  pilotage ,  sur  lequel  il 
fut  essentiellement  consulté.  On  esti- 
me beaucoup  sa  belle  Description  de 
la  Tartarie  septentrionale  et  orien- 
tale ,  Amsterdam  ,  1O92  et  lyoS  ,  'i 
vol.  in-fol.,  ornésdeson  portrait  à  l'â- 
ge de  trente-six  ans.  Elle  a  été  réimpri- 
mée avec  une  introduction  de  Pierre 
Boddaert,  Amsterdam,  1 786,  in-fol . 
Le  dix-huitième  vohunc  des  Trans- 
actions philosophiques  contient  une 
Lettre  de  Witsen  à  Martin  Lister 
sur  les  ruines  de  Persépolis.  Le  czar 
Pierre-  le-  Grand  l'honorait  du  plus 
haut  degré  de  considération  et  de 
bienveiliance.  Voltaire ,  dans  son 
Histoire  de  cet  autocrate,  a  consacré 
à  Witsen  ces  lignes  honorables  : 
«  Pierre  -  le  -  Grand  s'instruisait 
»  dans  la  maison  du  bourgmes- 
M  tre  Witsen,  citoyen  recoinman- 
»  dable  à  jamais  par  son  patrio- 
»  tisine  et  par  l'emploi  de  >es  ri- 
»  cliesses,  qu'il  prodiguait  en  citoyen 
))  du  monde;  envoyant  à  grands  frais 
M  des  hommes  habiles  chercher  ce 
»  qu'il  y  avait  de  plus  rare  dans 
»  toutes  les  parties  de  l'univers  ,  et 
»  frétant  des  vaisseaux  à  ses  dépens 
»  pour  découvrir  de  nouvelles  ter- 
»  les.  »  Witsen  avait  formé  un  ri- 
che cabinet  d'antiquités  et  d'objets 
curieux  ,  sur  lequel  on  peut  voir 
Charles  Patin,  Quatre  recueils  his- 
toriques ,  Baie,  1673  ,  in-8^.,  pag. 
'202.  Un  bon  nombre  d'objets  de 
cette  collection  a  passé  dans  le  ca- 
binet de  l'université  de  Leyde  (  P^oy. 
Sax,  Onomast.,  tome  v,  pag.  190). 
M.  Scheltema  ,  dans  son  Staatkun- 
dig  Nederland  (Hollande  politique), 
tome  iT ,  pag.  5  08  ,  exprime  je  desii' 


gf)  WIT 

de  voir  paraître  sur  un  homme  aussi 
distingue  une  notice  ,  que  personne 
ne  pourrait  mieux  faire  cjue  lui.  — 
(7orn6'i7/c'W  JTSEN ,  père  de  Nicolas,  et 
comme  lui  bourgmestre  d'Amster- 
dam, avait  les  mcnies  goûts  littérai- 
res {F.  Siix,  Onom. ,  tome  iv  ,  pag. 
548  ).  On  voit  son  portrait  sur  deux 
médailles  dans  V Histoire  métallique 
des  Pays-Bas,  par  Van  Loon^  tome 
Tïi,  pag.  65.  M — ON. 

WÏTT  (  Jean  de  ),  célèbre 
ministre  liollaiidais  ,  naquit  le  iS 
septembre  lô'iS,  à  Dordreclit ,  où 
son  père  exerçait  les  fonctions  de 
bourgmestre.  Député  en  même 
temps  au  conseil  des  États  de  Hol- 
lande et  de  Frise,  ce  citoyen,  non 
moins  remarquable  par  ses  lumières 
et  son  courage  que  par  son  patrio- 
tisme et  son  incorruptible  probité, 
se  montra  invariablement  opposé 
aux  prétentions  de  la  maison  d'O- 
range. Élevé  dans  ses  principes  et 
formé  par  son  exemple,  Jean  de 
Wiît  apprit  de  bonne  heure  à  redou- 
ter les  envahissements  de  la  prépon- 
dérance militaire  j  et  l'emprisonne- 
ment de  son  père  au  château  de 
Loevestein  ,  en  i65o,  ne  changea 
point  ses  dispositions  à  cet  égard. 
Le  prince  d'Orange ,  Guillaume  II , 
étant  mort  le  1  octobre  i65o,  la 
chance  tourna  en  faveur  des  ennemis 
de  sa  maison ,  alors  réduite  à  une 
douairière  aussi  impuissante  qu'or- 
gucilletise.  et  à  un  héritier  posthume. 
Aussi  tandis  que  Corneille,  son  frè- 
re ,  devenait  bpurgmestre  de  Dor- 
drecht,  député  de  cette  ville  aux 
Ktats  de  Hollande  et  de  West-Frise, 
et  inspecteur  des  digues  dans  le  pays 
de  Putten ,  Jean  était  nommé  pen- 
sionnaire de  la  ville  de  Dordrecht;  et 
deux  ans  plus  tard  (i652),  grand- 
pensionnaire  de  Hollande,  il  exer- 
çait une   influence  encore  plus  im- 


I 


W 

médiate  et  plus  directe  sur  toutes 
les  afïaircs  des  Provinces  -  Unies. 
Ce  ne  fut  pas  cependant  sans  de 
grandes  difficultés  qu'il  vint  à  bout 
de  faire  adopter  ,  même  momenta- 
nément ,  ses  idées  et  ses  plans  par  la 
confédération.  Ruiner  à  jamais  la 
puissance  de  la  maison  d'Orange  et 
rayer  des  lois  hollandaises  l'institu- 
tion du  stathoudérat,  telle  était  la 
pensée  dominante  du  grand-pension- 
naire. La  Zélande,  remplie  des  amis 
et  des  créatures  de  Tancien  stathou- 
der ,  s'opposait  vigoureusement  à 
tout  ce  qui  semblait  devoir  amener 
ce  résultat  j  et  les  autres  provinces  , 
soit  par  amour  pour  la  maison 
d'Orange  ,  soit  par  une  jalousie 
secrète  contre  la  suprématie  des 
États  de  Hollande,  qui  effectivement 
dominaient  toutes  les  délibérations 
faites  en  commun,  balançaient  à  fai- 
re cause  commune  avec  les  de  Witt, 
ou  n'adoptaient  leurs  idées  qu'en  les  ^ 
modifiant,  comme  exagérées.  A  l'é- 
poque oh  de  Witt  prit  les  rênes  du 
gouvernement ,  les  États  avaient  à 
soutenir  contre  l'Angleterre  une  guer- 
re ruineuse.  Les  amiraux  hollandais 
avaient  éprouvé  des  échecs  terri- 
bles. Tromp ,  un  de  leurs  plus  célè- 
bres marins^  était  mort  au  milieu 
d'un  combat  j  enfin  la  flotte  anglai- 
se stationnait  sur  les  côtes  de  la 
Hollande,  et  paralysait  tout  le  com- 
merce de  la  république,  (cependant 
telles  furent  ,  et  la  rapidité  avec 
laquelle  de  Witt  répara  ces  mal- 
heurs^ et  l'attitude  formidable  que 
recouvra  aussitôt  la  marine  hollan- 
daise j  grâce  à  son  administration 
éclairée  et  k  sa  vigilance,  que  les  pro- 
positions d'accommodement  trouvè- 
rent CroraAvell  accessible.  D'ailleurs 
cet  heureux  usurpateur ,  après  avoir 
eu  besoin  de  la  guerre ,  avait  besoin 
de  la  paix.  Un  traité  négocié  par 


WIT 

ks  soins  du  graud-pcusioniiairc  ,  et 
signé  à  Westminster  (  i5  avril 
i654  );  remit  les  choses  dans  la  si- 
tuation où  elles  étaient  avant  la 
guerre.  Seulement  la  republique  imie 
reconnut  la  supc'riorite  du  pavillon 
anglais  dans  la  Manche.  En  re- 
vanche il  fut  stipule  que  la  dy- 
nastie des  Stuarts  ne  trouverait 
point  d'appui  dans  les  Provinces- 
Unies  j  et  qu'on  u'elirait  pour  sta- 
thouder  ou  pour  amiral-gcncral  au- 
cun prince  de  la  maison  d'Orange. 
Au  reste,  la  clause  qui  venait  d'êlrc 
adoptée  contre  les  rejetons  de  Guil- 
laume de  Nassau  ne  fut  signée  d'a- 
bord que  par  la  province  de  Hol- 
lande ,  et  demeura  long-temps  un 
article  secret  du  traité.  Elle  n'en 
devint  pas  moins  pour  Jean  de  Witt 
la  base  de  la  résohition  qu'il  vint 
à  bout  de  faire  adopter  ,  en  1 667  , 
par  l'assemblée  générale  des  États  , 
et  qui ,  sous  le  nom  inédit  perpétuel, 
abolissait  le  stathoudérat ,  et  en  dé- 
fendait à  jamais  le  rétablissement. 
Les  partisans  de  la  maison  d'Orange 
eux-mêmes  durent,  jusqu'à  un  certain 
point,  applaudir  à  ce  règlement ,  qui 
au  moins  leur  garantissait  que  l'auto- 
rité souveraine ,  masquée  du  nom  mo- 
deste de  Stathouderj  n'appartien- 
drait point  à  d'autres  qu'à  leur  chef. 
Mais  il  est  facile  de  voir  que  l'acte 
fut  principalement  dirigé  contre 
l'ambition  naissante  du  jeune  Guil- 
laume ,  dont  l'éducation  était  con- 
duite sous  les  auspices  du  grs^nd- 
pensionuaire  ,  avec  les  soins  les  plus 
éclairés ,  mais  à  qui  l'influence  d'u- 
ne mère ,  fdle  d'un  souverain  et 
veuve  d'un  stathouder ,  inspirait 
les  idées  les  plus  opposées  à  l'éga- 
lité nidispensable  dans  une  répu- 
blique. Aussi  jurèrent- ils  dès -lors 
une  haine  implacable  au  ministre 
qui  contrariait  si  opiniâtrement  leur 


Wlï  97 

parti.  Celui-ci  s'occupa  de  son  côté  à 
paralyser  toutes  leurs  entreprises,  et 
à  assurer  autant  que  possible  l'exé- 
cution de  redit  qu'il  venait  d'ar- 
racher à  l'inexpérience  de  ses  com- 
patriotes. Cependant  la  guerre  s'était 
rallumée  entre  les  sept  Provinces  et 
l'Angleterre;  et,  malgré  la  protection 
que  la  France  accordait  aux  premiè- 
res ,  elle  ne  continua  qu'avec  des 
succès  variés  ,  jusqu'à  ce  que  l'habi- 
leté du  ministre  hollandais  eût  dé- 
terminé le  roi  de  Danemark  à  se 
déclarer  contre  l'Angleterre.  De  Witt 
donna  aussi ,  dans  cette  guerre ,  des 
preuves  particulières  de  couiage  et 
de  connaissances  profondes  dans  la 
marine.  L'amiral  Opdam  avait  été 
battu  à  Karwich ,  en  i665 ,  par  le 
duc  d'York  et  le  prince  Rupert;  et 
à  peine  Tromp  avait  ramené  les  dé- 
bris de  sa  flotte  vers  l'embouchure 
du  Texel.  Il  s'agissait  de  la  faire 
parvenir  à  Anvers  ;  quoique  tous 
les  pilotes  s'accordassent  à  déclarer 
qu'il  ét:nt  impossible  d'y  réussir  , 
à  cause  des  bas-fonds  qui  rendaient 
la  navigation  extrêmement  périlleu- 
se ,  Jean  de  Witt  monta  sur  les 
vaisseau3^ ,  et  faisant  lui-même  les 
fonctions  de  pilote,  dont  personne 
ne  voulait  se  charger,  il  entra  dans 
le  port  d'Anvers  sans  le  moindre 
accident.  Deux  autres  batailles  na- 
vales eurent  lieu  l'année  suivante. 
Dans  l'une,  livrée  du  i^^".  au  4  juin? 
l'escadre  hollandaise ,  après  une  ac- 
tion des  plus  longues  et  des  plus 
meurtrières  dont  les  fastes  de  la 
guerre  navale  fassent  mention  ^  reprit 
l'avantage;  mais  e\h  le  perdit  de 
nouveau  le  4  août.  Comme,  grâce 
aux  alliances  contractées  par  de 
Witt  et  l'activité  déployée  par  les 
républicains,  les  espérances  ambi- 
tieuses conçues  par  l'Angleterre  ne 
se  réalisaient  nuUemeût ,  Charles  II , 

7 


gH  WIT 

plus  ami  du  repos  que  de  la  gloire  , 
songea  à  la  paix.  Les  conférences 
d'abord  tenues  à  P;iris  furent  en- 
suite transférées  à  Breda.  De  Witt 
eut  l'art  de  prolonger  les  prélimi- 
naires du  traité  ;  et  pendant  que 
les  plénipotentiaires  faisaient  valoir 
de  vaines  prétentions  ,  il  com- 
manda aux  amiraux  hollandais  d'at- 
taquer la  flotte  anglaise  mal  entre- 
tenue par  la  négligence  du  roi 
Charles,  qui ^  croyant  déjà  la  paix 
immanquable  ,  avait  détourné  à 
son  usage  une  partie  des  subsides, 
votés  par  les  chambres,  pour  faire  la 
guerre.  L'éclatant  succès  qu'obtin- 
rent en  plusieurs  endroits  les  descen- 
tes des  Hollandais  hâtèrent  la  fin 
des  discussions ,  et  les  quatre  puis- 
sances belligérantes  (  le  Danemark  , 
la  France  ,  l'Angleterre  et  la  Hol- 
lande )  signèrent  la  paix^  et  se  ren- 
dirent mutuellement  tout  ce  qu'elles 
s'étaient  pris,  en  s'en  garantissant 
la  possession.  Le  calme  étant  ainsi 
rétabli  au  dehors,  le  grand -pen- 
sionnaire dirigea  son  attention  vers 
l'intérieur  de  l'état.  Mais  il  s'agissait 
dès  -lors  de  tout  autre  chose  que  de 
se  prémunir  contre  les  Orangistes.  H 
commençait  h  devenir  évident  pour 
les  hommes  habiles  dans  la  politi- 
que ,  et  Jean  de  Witt  était  de  ce 
nombre ,  que  la  France  nourrissait 
des  projets  de  conquêtes.  La  célèbre 
campagne  d'hiver  pendant  laquelle 
Louis  XIV  s'empara  de  la  Franche- 
Comté  annonça  bientôt  encore  plus 
clairement  ses  projets ,  et  quoique 
jusqu'alors  toutes  les  démonstrations 
hostiles  portassent  ou  sur  l'Espagne^ 
ou  sur  la  maison  d'Autriche,  le  voi- 
sinage d'un  monarque  trop  puissant 
devait  donner  ombrage  à  la  Hollande. 
La  puissance  maritime  des  sept  pro- 
vinces n'était  qu'un  faible  obstacle  en 
cette  circonstance  ;  d'ailleurs  celle  de 


WIT 

Louis  XIV  avait  augmenté  dans  une 
proportion  considérable  pendant  la 
guerre  précédente  •  et  tandis  que"  les 
forces  hollandaises  diminuaient  par 
une  lutte  sérieuse  avec  l'Angleterre  , 
les  Français  avaient  construit  plus 
de  cent  navires ,  et  établi  une  fonderie 
de   canons  pour  le  service  mariti- 
me.   Les  finances  françaises   admi- 
nistrées   par    Colbert  étaient   dans 
l'état  le  phis  brillant  ;  et  Louis  avait 
encore  exigé  que  les  États  lui  payas- 
sent un  subside  pour  l'entretien  dcses 
troupes.  Ces  concessions,  qui  devaient 
bientôt  devenir  funestes  à  la  Hollan- 
de, étaient  sans  doute  forcées  parles 
circonstances  et  par  les  besoins   de 
secours  ;    mais  rien    n'obligeait   de 
Witt  à  laisser  les  frontières  presque 
sans  fortifications  ,  et  à    congédier 
presque  toutes  les  troupes  étrangère 
pour  épargner  quelques  dépenses  au 
Etats.  Il  est  vrai  que  cette  faute  leu 
fut  commune  ,  et  que,  relativemeni 
aux  fortifications  surtout ,  les  Éta 
de  chaque  province ,  trop  portés 
user  de  l'indépendance  qui  leur  étar 
laissée,  furent  les  vrais  coupables^D 
Witt  n'osa  ,  sans  doute,  faire  usag* 
de  tous  ses  moyens  d'influence ,  d 
peur  d'offenser  la  susceptibilité  om 
brageuse  des  États, toujours  portés  k 
voir  un  empiétement  de  pouvoir  dans 
les  ^propositions  faites  par  la  provin- 
ce de  Hollande,  et  peu  disposés  d'ail 
leurs  à  accueillir  des  mesures  dispen- 
dieuses^ quand  la  nécessité  d'y  avoii 
recours  pouvait  sembler  problémati-* 
que.   Ses  ennemis  n'auraient   point 
manqué  dans  cette  occasion  de  join 
dre  leurs  clameurs  à  celles  des  oppo- 
sants, et  de  répéter  qu'il  était  inutile 
d'abolir  la  puissance  stathoudérien- 
ne ,  si  l'on  établissait  un  stathouder 
sous  le  nom  de  grand-pensionnaire. En- 
fin ,  et  c'est  en  cela  que  consiste  prin- 
cipalement l'erreur  de  ce  politique 


WïT 

si  distingue  ,  il  crut  riicure  du  péril 
plus  éloignée  qu'elle  ne  l'était  effecti- 
vement; et  dans  le  fait,  avec  tout  au- 
tre   souverain    que    Louis    XIV  à 
Versailles  ,   ou    que    Charles  II   à 
Saint  James ,  la  France  cul  mis  moins 
de  précipitation  à  se  jeter  sur  la  Hol- 
lande. Au  reste  ,  il  faut  avouer  que  le 
roi  de  France  put,  avec  quelque  jus- 
tice ,  se  plaindre  de  la  ligne  de  con- 
duite suivie  par  les   Hollandais,  si 
cependant  on  a  droit  de  se  plaindre 
d'une  défiance   à  -  la  -  fois   légitime 
et   inoffensive.    A   peine   la   Fran- 
che -  Comté  eut  été  conquise,  qu'il 
lut  non  pas  force',  mais  obligé  de  la 
rendre.  L'Angleterre,  la  Hollande  et 
la  Suède  unies  ensemble  par  la  triple 
alliance,  et  l'année  suivante  cosigna- 
taires d'un  traité  particulier  à  la  Haye, 
se  portèrent  garants  de  la  première 
paix  d'Aix-la-Chapelle.  Cette  négo- 
ciation ,  qui  fut  l'ouvrage  de  William 
Temple,  pour  FAnglelerre  ,   et  de 
de  Witt  pour  la  Hollande,  fut  peut- 
être  le  clief-d'œuv're  de  ce  minisire. 
Ne  voulant  point  faire  lui-même  les 
premières  démarches  pour  contra- 
rier la  France ,  en  quoi  que  ce  fût ,  il 
eut  l'adresse  de  se  faire  demander 
par  l'Angleterre  ce  qu'il  aurait  sol- 
licité  lui-même.    Craignant  ensuite 
avec  raison  de  blesser  trop  profon- 
dément la  susceptibilité  orgueilleuse 
d'un  allié  aussi  puissant,  aussi  an- 
cien que  Louis  XIV,  pour  se  réunir 
à  un  prince  versatile  et  dominé  en 
secret  par  la  France,  il  profita  des 
paroles  mêmes  du  monarque  fran- 
çais, et  sembla  ne  viser  qu'à  assurer 
l'adoption  des  offres  faites  par  ce 
conquérant.  Enfin,  se  mettant  pour 
le  bien  public  au-dessus  des  lois  ,  il 
prit  sur  lui  de  faire  signer  et  ratifier 
par  les  États-Généraux  un  traité  qui 
aurait  dû  être  soumis  h  l'assentiment 
de  toutes  les  villes  de  chaque  pro- 


WIT 


99 


vince.  L'année  suivante  (  1670  ) , 
de  Witt  forma  aussi  avec  l'em- 
pereur et  l'Espagne  une  alliance, 
dont  le  but  unique  était  de  mettre 
des  entraves  aux  progrès  de  Louis 
XIV.  Ce  dernier  n'en  fut  que  plus 
animé  contre  les  Hollandais  ;  et  , 
comme  il  ne  pouvait  songer  à  les  sa- 
crifier à  sa  vengeance  tant  qu'ils  se- 
raient défendus  par  de  puissants  al- 
liés, il  ne  songea  plus  qu'à  rompre 
les  nœuds  de  la  coalition  défensive 
formée  contre  son  ambition.  Le  roi 
de  Suède  se  détacha  de  la  triple  al- 
liance, que  jamais  il  n'avait  contrac- 
tée par  lui-même,  puisqu'il  était  mi- 
neur à  l'époque  du  traité.  Bientôt  un 
.succès  encore  plus  marqué  se  fit  sen- 
tir au  cabinet  de  Saint- James.  L'or 
prodigué  aux  ministres  anglais,  une 
maîtresse  française  (  M^^®.  de  Qué- 
rouet,  depuis  duchesse  de  Ports- 
mouth  )  jirocurée  au  monarque  ,  fi- 
rent oublier  aux  chefs  de  l'état  les 
promesses  les  plus  sacrées,  et  les  rè- 
gles les  plus  simples  de  la  politique. 
Assuré  de  la  coopération  de  Charles, 
Louis  déclara  brusquement  la  guer- 
re, et  marcha  en  personne  contre 
les  Hollandais(  1672).  La  paixd'Aix- 
la  -  Chapelle  ,  en  lui  accordant  les 
Pays  Bas  ,  avait  mis  ses  provinces 
immédiatement  en  contact  avec  celles 
de  la  confédération  batave.  Les  villes 
froniières  attaquées  inopinément,  et 
avant  d'avoir  pris  les  précautions 
nécessaires  pour  résister  à  un  ennemi 
formidable  ,  tombèrent  rapidement 
au  pouvoir  des  armées  françaises. 
Orsoi ,  Rees ,  Wesel,  Rheinberg,  em- 
portées ,  donnèrent  aux  autres  le  si- 
gnal d'ouvrir  leurs  portes  :  bientôt 
le  passage  du  Rhin  ouvrit  la  Hol- 
lande sans  défense;  le  pays  fut  com- 
me conquis  en  moins  de  trois  mois. 
D'autre  part,  la  flotte  hollandaise  , 
commandée  par  Ruyter  ,  faisait  en 

7- 


lUO 


WIÏ 


pure  perle  des  prodiges  de  valeur  à 
SoLilt-Baye  ,  où  elle  avait  à  combat- 
tre le  duc  d'York  à  la  tête  des  An- 
glais ,  et  le  comte  d'Estrees  ,  amiral 
de  la  flotte  française.  Pressés  de 
toutes  parts,  les  Hollandais  crurent 
ne  pouvoir  trouver  de  salut  que  dans 
le  rétablissement  d'une  autorité  dic- 
tatoriale ,  et  abrogeant  leur  ëdit  per- 
pétuel ,  après  cinq  années  d'existen- 
ce, ils  confièrent  le  statlioudérat  au 
jeune  Guillaume  III ,  que  déjà  ils 
avaient  nommé  capitaine  et  amiral- 
général  (  25  février  16721  ) ,  malgré 
les  plaintes  et  les  réclamations  des  de 
Witî.  Quelque  temps  après  cette  no- 
mination, quatre  assassins  se  jetèrent 
sur  de  Witt,  et  le  laissèrent  dans 
les  rues  ,  couvert  de  blessures.  Un 
seul  fut  puni,  et  les  autres  ne  furent 
pas  même  recliercliés.  Vers  le  môme 
temps ,  Corneille  de  Witt ,  accusé 
par  un  aventurier  d'avoir  voulu  at- 
tenter aux  jours  de  Guillaume^  avait 
été  condamné  à  un  bannissement  per- 
pétuel. Mais  cette  sentence  rigoureuse 
semblait  encore  trop  douce  aux  im- 
placables ennemis  des  de  Witt.  Pen- 
dant que  Corneille  dans  sa  prison 
songeait  au  lieu  qu'il  allait  choisir 
pour  son  exil,  son  accusateur  criait 
dans  les  rues  que  les  États  traliis- 
saient  la  république  ;  qu'il  fallait 
châtier  l'attentat  médité  contre  le 
statbouder  ;  que  le  peuple  ne  devait 
pas  soulFrir  l'impunité  et  l'évasion 
d'un  grand  criminel.  Le  reste  des 
Orangistes  excitait  la  multitude ,  et 
lui  présentait  les  deux  frères  comme 
les  auteurs  de  tous  les  désastres  de  la 
Hollande.  On  disait  que ,  vendus  à 
Louis  XIV,  ils  avaient  licencié  les 
régiments  étrangers,  autrefois  protec- 
teurs des  provinces  confédérées  j  dé- 
mantelé les  villes ,  les  forts  ;  travaillé 
à  augmenter  la  marine,  l'artillerie 
du  conquérant  5  et  qu'ils  avaient  vidé 


WIT 

les  coffres  de  l'état  pour  payer  soit 
alliance.   Tandis  que  ces  calomnies 
étaient  répétées   par  la   populace  , 
Jean  de  Witt  allait  chercher  son 
frère  dans  la  prison,  et  le  faisait 
monter  dans  sa  voiture,  soit  pour 
fuir  plus  vite ,  soit  pour  braver  les 
vociférations  du  peuple.  Selon  quel- 
ques historiens ,  tous  deux  affectaient 
en  cet  instant  de  se  mettre  au-dessus 
de  l'indignation  publique ,   et  lan- 
çaient sur  les  groupes  fanatiques  qui 
les  environnaient  des  regards  de  pi- 
tié et  de  dédain.  A  la  porte  de  la  ville 
ils  trouvèrent  le  passage  fermé  :  on 
les  força  de  rétrograder  ;  l'exaspéra-  ^ 
tion  de  la  multitude ,  habilement  sou- 
levée ,  croissait  d'instant  en  instant. 
La  vue  de  quelque  cavalerie  et  de  la 
garde  bourgeoise,  envoyées  pour  dé- 
fendre les  deux  frères,  précipita  la  , 
catastroplie.  Les  plus  furieux  se  je- 
tèrent sur  eux ,  les  renversèrent ,  et 
les  frappèrent  jusqu'à  ce  qu'ils  res- 
tassent morts   sur  la   place.   Selor 
d'autres,  dont  la  narration  moins 
dramatique  nous  semble  plus  con-j 
forme  à  la  vérité  ^  les  deux  de  WittI 
auraient  été  massacrés  dans  la  prison,' 
oii  Jean  était  allé  rendre  visite  à  son 
frère.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il  est  cer-i 
tain  qu'immédiatement  après    leur 
mort  leurs  cadavres  furent  traînés 
en  triomphe  par  ceux  qui  venaient 
de  les  égorger ,  et  suspendus  à  un  gi- 
bet, la  tête  en  basj  après  quoi  les 
chefs  de  l'émeute  les  frappèrent  en- 
core ;,  et  mirent  leurs  membres  en 
lambeaux.  Enfin  à  minuit,  quand  la 
foule  fut  dissipée ,  les  deux  cadavres 
furent  détachés  du  gibet,  par  ordre 
des  États-Généraux,  et  ensevelis 
la  Haye.  Plusieurs  médailles   furent 
frappées  en  leur  honneur.    UHiS' 
toire    métallique    des  Pays  -  Bas 
par  Van  Loon  en  présente  quatre, 
dont  deux  sont  remarquables   par 


WIT 

la  beauté  de  l'exécution.  Dans  l'une 
on  voit  les  deux  frères  en  buste, 
l'un  vis-à-vis  de  Tautre  ,  et  revêtus  , 
le  premier  du  costume  de  guerrier  , 
k  second  de  celui  de  magistrat.  Au- 
dessous,  la  légende  Hic  armis  nui- 
ximus  ^  ille  togd ,  est  disposée  de 
manière  à  ce  que  maximus  se  trouve 
entre  les  deux  portraits ,  tandis  que 
les  deux  mots  qui  précèdent  corres- 
pondent à  l'image  de  Corneille ,  pla- 
cée sur  la  gauche ,  et  que  la  lin  du 
pentamètre  répond  à  celle  de  Jean. 
Au  revers,  la  sédition  populaire ,  dont 
tous  deux  lurent  victimes,  est  symbo- 
lisée par  un  monstre  à  sept  têtes ,  qui 
dévore  deux  hommes  renversés  j 
l'exergue  porte  :  Nohile  par  fra- 
trum  sœvofuror  ore  trucidât.  Au- 
tour se  lisent  ces  deux  vers  : 

Nunc  redeunt  animis  ingentia  consuUs  acta  , 
El  JhrmidaU  sceplris  oracla  ministri. 

La  seconde  médaille  représente  les 
deux  hommes  d'état  avec  l'inscrip- 
tion :  Illustrissimi  fratres  Joh.  et 
Corn,  de  JVitt,  et  derrière,  deux 
vaisseaux  qui  périssent  du  même 
coup  de  vent.  Le  stathouder  ,  à 
qui  il  est  difficile  de  ne  point  impu- 
ter l'organisation  du  tumulte  auquel 
mit  lin  cette  déplorable  tragédie  ,  ne 
s'opposa  point  à  ces  tristes  témui- 
guages  d'amitié  et  de  regret.  11  dit 
lui-même  publiquement ,  à  quelques 
flatteurs  qui  lui  faisaient  leur  cour  en 
calomniant  la  mémoire  des  deux  frè- 
res, qu'ils  avaient  été  d'excellents 
magistrats  et  de  vrais  républicains. 
Sans  doute  un  si  habile  guerrier  riait 
aussi  de  ceux  qui  répétaient  autour 
de  lui  ou  qui  écrivaient  que  Jean 
de  Wilt  n'avait  qu'une  idée  superii- 
cielle  de  la  guerre  ;  et  que ,  livré  uni- 
quement à  la  diplomatie  ou  au 
gouvernement  intérieur ,  il  s'imagi- 
nait qu'une  armée  pouvait  se  faire  en 
un  jour ,  et  qu'il  suffisait  de  com- 


WIT  loi 

mander  dans  une  place  pour  la  bien 
défendre.  Ce  ne  sont  point  là  les  fau- 
tes qu'on  doit  reprocher  à  ce  grand 
ministre ,  dont  au  reste  les  malheurs 
résultèrent  plutôt  delà  violence  de  ses 
ennemis,jointe  àla  gravitédes  circons- 
tances ,  que  d'aucune  de  ses  actions. 
Peut-être  pourtant  est-il  juste  de  di- 
re qu'il  négligea  trop  les  murmures 
du  peuple  et  les  sermons  des  prédi- 
cateurs séditieux.  Peut-être  aussi  sut- 
il  trop  peu  céder  au  temps ,  et  fut-il 
trop  ferme  dans  ses  résohitious.  Son 
obstination  à  exclure  le  prince  d'O- 
range de  l'administration  des  afl'ai- 
res  fut  une  des  causes  de  sa  perte. 
S'il  eût  réussi  à  abolir  pour  tou- 
jours le  stathoudérat ,  la  républi- 
que eût  iini  par  lui  ériger  des  statues. 
Du  reste,  personne  n'a  nié  son  cou- 
rage, son  intrépidité,  sa  patience 
dans  les  maux.  Peu  d'hommes  d'état 
ont  réuni  à  un  plus  haut  degré  la  vi- 
vacité de  l'esprit,  la  solidité  du  ju- 
gement, le  don  d'une  éloquence  per- 
suasive ,  l'habileté  pour  les  négocia- 
tions et  pour  les  affaires  du  gou- 
vernement. Il  était  l'oracle  des  as- 
semblées de  l'état.  Il  mit  un  si  grand 
ordre  dans  les  finances ,  qu'après 
qu'il  se  fut  démis  de  sa  charge,  les 
Etats  de  Hollande  le  prièrent  de  leur 
donner  par  écrit  une  idée  des  opéra- 
tions qu'il  avait  suivies.  Personne  ne 
connaissait  mieux  les  différents  inté- 
rêts des  princes.  Nous  avons  vu  ci- 
dessus  une  preuve  de  son  habileté 
dans  la  science  du  pilotage ,  pour  la- 
quelle il  paraît  qu'il  fut  le  premier 
homme  de  son  temps.  C'est  aussi  à 
lui  que  l'on  attribue  l'invention  des 
boulets  à  chaîne.  On  a  de  Jean 
de  Witt  divers  ouvrages  ,  parmi 
lesquels  nous  nommerons  :  1.  Ele- 
menta  linearum  cwvarnm ,  Leyde , 
1  Q^o.W.Mémoires  de  Jean  de  JViit, 
grand-pensionnaire  de  Hollande , 


101 

la  Haye,  1667;  traduit  en  français 
par  M'»c.  de  Zoiitclandt,  ib. ,  1 709, 
in- 12.  Les  Mémoires ,  pnbiies  anté- 
rieurement ,  mais  sans  l'aveu  de  l'au- 
teur et  avec  des  fautes  qui  les  ren- 
dent méconnaissables  ,  sous  le  ti- 
tre de  V  Intérêt  de  la  Hollande  y 
1662 ,  sont  divisés  en  trois  parties. 
Dans  la  première,  il  examine  suc- 
cessivement les  principes  de  la  pros- 
périté et  de  la  décadence  des  états; 
puis  ,  faisant  l'application  de  ses 
théories  à  la  Hollande ,  il  passe  en 
revue  les  avantages  de  cette  provin- 
ce, tant  par  rapport  à  ses  produc- 
tions que  relativement  à  sa  situation 
et  aux  facilités  commerciales.  La  co- 
lonie, la  paix ,  la  guerre,  les  allian- 
ces ,  les  formes  du  gouvernement  li- 
bre,  font  l'objet  du  livre  suivant. 
L'auteur  s'y  déclare  sans  ménage- 
ment, soit  contre  les  guerres  ofîén- 
sives  et  cette  manie  des  conquêtes 
qui,  dit-il,  a  toujours  été  un  princi- 
pe de  dissolution  et  de  mort  pour  les 
républiques  commerçantes,  soit  con- 
tre je  sîathoudérat,  où  il  ne  voit 
qu'une  royauté  déguisée  et  la  ruine 
des  franchises  qni  sont  la  base  des 
constitutions  hollandaises.  Dans  la 
troisième  partie,  il  élargit  cette  dis- 
cussion j  et,  an  lieu  de  considérer  sim- 
plement la  compatibilité  du  système 
des  stathoudériens  avec  les  formes 
répjiblicaines,  il  compare  la  républi- 
que à  la  monarchie,  lll.  Lettres  et 
négociations  entre  Jean  de  JVitt  et 
les  plénipotentiaires  des  Provinces- 
Unies  aux  cours  de  France  ,  d'An- 
gleterre ,  de  Suède ,  de  Danemark 
et  de  Polof^ne,  depuis  Van  i652 
jusqu^à  î 6G9 ,  Amsterdam ,  1725, 
5  vol.  in-i2j  Irad.  en  français,  1728. 
La /^/e  de  Corneille  et  de  Jean  de  Witt 
a  été  écrite  par  M*"*',  de  Zoutelandt, 
Utrecht^  1709;  2  volumes  in-12. 

P — OT. 


WITT  (Corneille de),  frère da 
précédent,  naquit  à  Dordrecht  le 
25  juin  1623  ,  et  se  livra,  dans  sa 
jeunesse,  à  la  jurisprudence,  ainsi 
qu'à  l'art  militaire.  11  servit  aussi 
pendant  plusieurs  années  sur  la  flotte 
de  la  république  ,  et  s'y  distingua 
par  une  valeur  à  toute  épreuve.  Ce- 
pendant, malgré  le  renom  qu'il  s'ac- 
quit par  son  intrépidité  et  ses  con- 
naissances dans  l'art  de  la  guerre  ,  et 
malgré  l'idée  (^we  peut  inspirer  la  lé- 
gende [Hic  armis  maximus,  ille 
togd)  de  l'une  des  deux  médailles 
que  nous  avons  décrites  ci-dessus,  il 
ne  faut  point  s'imaginer,  ainsi  que 
l'ont  écrit  quelques  biographes ,  qu'il 
ait  jamais  rempli  les  fonctions  d'a- 
miral ou  de  chef  de  la  flotte ,  sous 
quelque  titre  que  ce  soit.  A  l'époque 
même  où  il  jouit,  ainsi  que  son  frè- 
re ,  de  la  plus  haute  autorité  à  la- 
quelle de  vrais  républicains  puissent 
aspirer  dans  une  république,  il  ne 
fut  que  commissaire  politique,  en 
d'autres  termes ,  inspecteur  du  gou- 
vernement sur  les  vaisseaux  de  la 
confédération.  C'est  en  cette  qualité 
qu'il  se  trouvait,  en  1667,  sur  la 
flotte  hollandaise  qui,  pendant  les  né- 
gociations de  Bréda  ,  alla  ,  sous  les 
ordres  de  Ruyter,  opérer  des  descen- 
tes dans  l'est  et  le  midi  de  l'x'^ngle- 
terre,  et  qui  brûla  plusieurs  vaisseaux 
anglais  sur  les  ondes  de  la  Tamise  et 
à  quelques  milles  de  Londres.  Il  rem- 
plissait aussi  une  mission  politique  à 
bord  de  la  flotte,  lors  de  la  bataille  de 
Soult  Baye  (  28  mai  1(372  )  ;  et  il  s'y 
comporta  avec  autant  de  valeur  que 
dans  les  premiers  temps  de  sa  jeu- 
nesse. Mais  c'est  principalement  com- 
me magistrat  qu'il  est  célèbre  dans 
les  fastes  de  la  Hollande.  Bourg- 
mestre de  sa  ville  natale,  député  par 
elle  auxÉtats  de  Hollande  et  de  Wesl- 
Frise ,  enfm  inspecteur  des  digues 


WIÏ 

dans  le  bailliage  de  Putteii ,  il  montra 
dans  l'exercice  de  chacune  de  ces 
charges  une  vigilance,  un  désintéres- 
sement et  une  capacité  rares.  Sa  fer- 
meté surtout  était  admirable  ;  et  il 
n'opposait  aux  attaques  les  plus  vio- 
lentes de  ses  ennemis  qu'un  front  se- 
rein et  inaltérable.  Quoique  moins 
èleve  que  son  frère  dans  la  hiérarchie 
politique,  il  joua  cependant  un  des 
principaux  rôles  sous  son  adminis- 
tration ,  et  fut  un  de  ceux  qui  contri- 
bufTcnt  le  plus  au  triomphe  du  parti 
de  Loevestein  sur  !es  partisans  de  !a 
maison  d'Oraugr.  La  haine  que  lui 
portaient  ces  fau leurs  ellrincs  de 
J'omuipotence  statlioudenduic  parut 
dans  tout  son  joiw  lors  de  l'abolition 
de  l'cdit  perpétuel.  Toutes  les  pro- 
vinces av.iient  été  souîevces  par  eux; 
et  les  magisiiatsdeDordreclitav.iirnt 
signéla  révocation.  Corneille  de  Wilt, 
après  avoir  combattu  à  Soult-Baye  , 
avait  été  obligé  par  une  maladie  de 
revenir  dans  sa  ville  natale.  Les  fac- 
tieux coururent  en  foule  vers  sa  mai- 
son, et  voulurent  qu'il  apposât  sa  si- 
gnature à  la  révocation.  11  refusa. 
En  vain  ses  amis,  ses  parents,  ses 
domestiques  ,  l'avertissaient  qu'il  y 
allait  de  sa  vie ,  qu'on  ne  pouvait  ré- 
pondre de  celte  populace  irritée,  qui 
cernait  sa  demeure.  «  Croit-on ,  dit- 
il  ,  que  depuis  trente  ans  je  brave  les 
ondes  et  la  mitraille  pour  craindre 
la  mort  dans  mon  appartement?  » 
Enfin  cependant  il  céda  aux  instan- 
ces de  sa  femme  et  de  ses  entants , 
qui  se  prosternèrent  à  ses  pieds  ,  en 
le  suppliant  de  leur  sauver  la  vie; 
mais  il  ajouta  à  son  nom  les  deux 
lettres  V.  C.  La  foule  alors  en  de- 
manda le  sens;  et  comme  il  répondit 
que  c'étaient  les  initiales  des  mots 
latins  vicoactus,  obéissant  à  la  vio- 
lence ,  le  tumulte  recommença  avec 
plus  de  force,  jusqu'à  ce  que  des 


WIT  io3 

amis  grattassent  les  deux  initiales 
trop  véridiques  ;  encore  fut-il  oblige 
de  se  défendre  contre  des  assassins  ; 
et  ce  ne  fut  qu'avec  beaucoup  de  pei- 
ne que  ses  domestiques  le  préservè- 
rent du  courroux  de  la  multitude.  Peu 
après  un  deceshommes  qui  font  tou- 
jours cortège  à  la  tyrannie,  un  miséra- 
ble barbier,  nommé  Tychelaer,  note' 
d'infamie  pour  divers  crimes,  alla 
annoncer  aux  Etats  que  le  grand-bail- 
li de  Puttcn  ,  le  croyant  du  parti  anti- 
stathoudérien,  avait  essayé  de  le  dé- 
terminera assassuierleprince  d'Oran- 
ge. Quoique  cette  accusation  lut  dé- 
mentie par  la  contradiction  et  l'ab- 
surdité des  ])reuves  ,  non  moins  que 
par  le  caiactère  du  dénonciateur, 
et  de  celui  qu'il  dénonçait,  les  ju- 
ges n'osèrent  s'oj)poser  au  torn  lit  po- 
pulaire ;  et  C-oriK'dle  de  Wilt,  em- 
prisonné à  la  Haye,  le  'if\  juillet,  et 
conduit  ensuite  devant  les  États,  se 
vit,  pourprixdeses  services,  livré  aux 
tortures  de  la  question  préparatoire, 
et  déchiré  par  les  plus  cruels  tour- 
ments. On  dit  que  dans  cette  situa- 
tion il  cita  à  haute  voix  la  belle 
strophe  d'Horace  : 

Jiislum  et  tenaccm  proposilt  virum 
JSon  civium  ardor pravu  jubentium ,  etc. 

Comme  on  n'alléguait  aucune  charge 
décisive  contre  lui ,  si  ce  n'est  le  té- 
moignage isolé  de  son  accusateur,  ses 
ennemis  ne  purent  faire  décréter  la 
sentence  de  mort;  mais  il  fut  dépouil- 
lé de  ses  dignités  ,  ainsi  que  de  tous 
ses  biens  ,  et  condamné  à  un  bannis- 
sement perpétuel.  La  haine  appela  de 
cette  sentence  à  la  rébellion;  et  nous 
avons  vu  dans  l'article  précédent 
comment  les  deux  frères  périrent,  dé- 
chirés par  les  mains  de  leurs  com- 
patriotes. —  WiTT  (  Jean  de  )  , 
chanoine  d'Utrecht  .  mort  à  Rome 
en  1622,  était  un  des  plus  savants 
philolognes  de  sou  temps.  11  a  pu- 


io4  WIT 

blié  une  Histoire  de  Charles  VI  , 
e'crite  en  latin  par  un  moine  de  Saint- 
Denis  ,  et  quelques  opuscules  de  Ful- 
gence^  etc.  P — ot. 

WITTE  (LiÉviN  de),  peintre, 
naquit  à  Gand  vers  l'an  i5io.  Il 
excellait  à  peindre  rarcîiitecturc  et 
la  perspective.  Il  finit  par  peindre 
rhistoire  avec  succès,  et  Ton  faisait, 
de  son  temps,  beaucoup  de  cas  de 
son  tableau  repre'sentanl  la  Femme 
adultère.  Ses  ouvrages  sont  rares  et 
estimës.U  existe  dans  l'église  de  Saint- 
Jean  à  Gand  plusieurs  vitraux  fort 
beaux,  peints  d'après  ses  composi- 
tions. De  Witte  avait  aussi  du  talent 
comme  architecte.  L'électeur  Maxi- 
miJien  de  Bavière  av-ait  formé  le 
projet  de  construire  le  grand  palais 
électoral  de  Munich,  d'après  ses  pro- 
pres plans;  mais  on  sait  que  de  Witte 
y  eut  la  plus  grande  part ,  et  que  la 
décoration  intérieure  surtout  lui  fut 
spécialement  confiée.  L'escalier  pas- 
sait pour  un  chef-  d'œuvre  d'archi- 
tecture ;  mais  il  faut  le  chercher  au- 
jourd'hui ,  parce  que  l'entrée  en  a  été 
changée.  Un  des  ouvrages  qui  con- 
tribuèrent également  à  sa  réputation, 
c'est  !e  mausolée  de  Louis  de  Bavière, 
qu'il  a  élevé  dans  l'église  de  Notre- 
Dame  de  Bavière  ,  et  qui  peut  soute- 
nir le  paraifcle  avec  les  plus  beaux 
monuments  de  ce  genre.  Cet  ouvrage 
remarquable  nous  prouve  de  plus 
que  de  Witte  n'était  pas  moins  habi- 
le sculpteur  que  peintre.  Il  mourut  à 
Munich,  toujours  attaché  au  service 
de  l'électeur. — Camille  de  Witte, 
frère  de  Candito  (  Foy.  ce  nom  ), 
embrassa  la  carrière  militaire,  et  fut 
reçu  oliicier  dans  les  gardes  de  l'élec- 
teur de  Bavière  ;  cependant  il  vou- 
lut comme  son  frère  cultiver  la  pein- 
ture ,  et ,  quoiqu'il  n'eût  commencé 
que  fort  tard  à  manier  le  pinceau  , 
il   devint    lin  peintre    de    j^^ysagc 


WIT 

assez  habile. — Emaniiel  àe  Wjtte, 
peintre  d'architecture ,  naquit  à 
Alcmaer  en  1(307.  Son  père,  assez 
bon  humaniste  et  mathématicien , 
tenait  une  pension  ;  il  voulut  di- 
riger lui-même  l'éducation  de  son 
fils  ,  et  lui  fit  faire  d'excellentes  étu- 
des. Mais  le  jeune  Émanuel  avait  un 
penchant  décidé  pour  la  peinture.  Il 
entra  chez  Van  Aelst ,  qui  le  conduisit 
à  Delft ,  et  il  ne  tarda  pas  à  s'y  distin- 
guer par  plusieurs  tableaux  d'histoire 
et  de  beaux  portraits.  Il  vint  ensuite 
habiter  Amsterdam ,  et  quitta  le  gen- 
re qu'il  avait  cultivé  jusqu'alors  , 
pour  s'adonner  uniquement  à  la  pein- 
ture de  l'architecture.  D'un  caractère 
jaloux,  inquiet  et  peu  sociable,  il 
ne  pouvait  vivre  avec  personne  ,  et 
ses  meilleurs  amis  n'étaient  point  à 
l'abri  de  son  humeur  bizarre.  Ses 
plaisanteries  étaient  parfois  si  inju- 
rieuses ,  qu'il  était  impossible  de  les 
supporter,  et  Lairesse,  contre  lequel 
il  s'en  permit  un  jour  une  trop  forte, 
fut  obligé  de  le  traiter  de  manière 
à  lui  donner  plus  de  retenue.  Sa  vie 
est  pleine  de  traits  de  ce  genre  ;  mais 
il  raciietait  ces  défauts  par  la  beauté 
de  ses  ouvrages.  Peu  de  peintres 
ont  représenté  des  intérieurs  d'église 
avec  autant  d'art  et  une  intelligence 
aussi  admirable  ;  et  personne  ne  l'a 
surpassé  dans  la  manière  de  saisir 
les  jeux  de  la  lumière  ,  et  les  diffé- 
rents tons  de  couleur  qu'elle  reçoit 
des  objets  environnants.  Il  a  peint 
l'intérieur  de  la  plupart  des  églises 
d'Amsterdam  ,  sous  des  aspects  dif- 
férents. Il  y  montre  tantôt  un  pré- 
dicateur en  chaire  au  milieu  d'un 
nombreux:  auditoire  ,  tantôt  la  foule 
qui  entre  dans  l'église,  ou  qui  en  sort. 
Il  tire  le  plus  grand  parti  des  oppo- 
sitions que  lui  présentent  soit  un  buf- 
fet d'orgue,  soit  un  mausolée;  et  ses 
figures  bien  coloriées ,  dessinées  avec 


WIT 

finesse,  et  touchées  avec  esprit  et  in- 
telligence, ajoutent  un  nouveau  prix 
au  reste  de  la  composition.  On  re- 
grette un  tableau  ,  regarde  comme 
son  chef-d'œuvre,  et  qui  représentait 
la  nouvelle  église  d'Amsterdam,  dans 
laquelle  se  trouve  le  tombeau  de  l'a- 
miral Ruyter.  Ce  tableau  lui  avait  ëte' 
commande  par  le  frère  de  ce  célèbre 
marin;  mais  cet  amateur  mourut 
avant  que  le  travail  fût  terminé.  Ber- 
nard Soomer ,  gendre  de  l'amiral, 
ayant  refusé  d'en  payer  le  prix  con- 
venu _,  le  peintre,  dans  son  dépit, 
le  mit  en  pièces,  au  grand  regret 
de  tous  les  amateurs.  Malgréla  beau- 
té de  ses  ouvrages,  de  Witte,  tou- 
jours malheureux  par  son  caractère, 
fut  assailli  dans  sa  vieillesse  par  la 
misère.  Repoussé  par  tous  ceux  qui  le 
connaissaient,  et  ne  pouvant  suppor- 
ter les  justes  reproches  de  son  hôte, 
il  jura  de  ne  plus  remettre  les  pieds 
chez  lui  :  c'était  en  l'année  1692.  Pen- 
dant quelque  temps,  on  ignora  ce 
qu'il  était  devenu  ;  mais  après  le 
dégel  on  trouva  son  corps  près  de 
Féclusc  d'Harlem.  Une  corde  qu'il 
avait  au  cou  fit  présumer  qu'il  avait 
voulu  se  pendre,  et  que  la  corde  avait 
cassé.  Il  était  alors  âgé  d'environ 
quatre-vingt-cinq  ans.  —  Pierre  de 
WiTTE,  peintre,  naquit  à  Anvers 
en  1620.11  jouit,  comme  paysagiste, 
d'une  réputation  méritée. Sestableaux 
sont  agréablement  composés  ,  d'une 
couleur  aimable,  d'une  touche  lé- 
gère et  pleine  de  goût.  On  les  payait 
fort  clier  de  son  vivant ,  et  depuis  sa 
mort  ils  n'ont  fait  qu'augmenter  de 
prix. On  ne  croit  pas  qu'il  ait  jamais 
quitté  son  pays.  —  Son  frère  ,  Gas- 
pard de  Witte  ,  naquit  dans  la  mê- 
me ville,  en  1621.  Il  se  rendit  fort 
jeune  en  Italie  ,  et  y  demeura  long- 
temps. A  son  retour  il  séjourna  en 
France ,  où  sa  réputation  l'avait  de- 


WlT  io5 

vancé  ,  et  oii  il  vit  son  talent  estimé 
et  encouragé.  Son  succès  ne  fut  pas 
moins  grand  dans  sa  patrie  ,  où  il  se 
fixa  ,  après  avoir  renoncé  aux  voya- 
ges. Il  peignait  le  paysage  en  petit , 
et  ornait  ordinairement  sa  façade  de 
débris  d'architecture  ,  souvenirs  de 
son  séjour  en  Italie.  Sa  couleur  était 
fine  et  transparente  ,  et  le  fini  de  son 
pinceau  ajoutait  même  encore  au  va- 
poreux avec  lequel  ils  étaient  peints. 
Quelques  amateurs  préfèrent  ses  ta- 
bleaux à  ceux  de  son  frère  Pierre. 
P— s. 

WITTE  (  Pierre  de  ).    Voyez 
Candito. 

W  I  T  T  E  (  Gilles  de  ) ,  célèbre 
théologien  janséniste ,  naquit  à  Gand 
en  1648.  Il  n'avait  pas  encore  ache- 
vé ses  cours  ,  lorsqu'il  eut  une  dis- 
pute très-vive  avec  le  P.  Estrix  ,  sur 
le  mode  suivi  dans  les  écoles  pour 
l'enseignement  de  la  théologie;  et 
depuis  il  ne  cessa  de  faire  une  guerre 
opiniâtre  aux  jésuites  ,  ses  premiers 
maîtres.  Étant  venu  peu  de  temps 
après  à  Paris,  il  s'y  lia  d'une  manière 
intime  avec  Arnauîd,  et  travailla  sous 
sa  direction  à  perfectionner  ses  con- 
naissances. De  retour  dans  les  Pays- 
Bas  ,  en  1684  ,  il  fut  nommé  doyen 
et  curé  de  l'église  de  N.-D.  de 
Malines.  Ayant  été  dénoncé  à  l'au- 
torité supérieure  par  trois  méde- 
cins devant  lesquels  il  avait  dit 
que  le  papie  était  soumis  aux  con- 
ciles ,  il  soutint  cette  opinion  dans 
divers  écrits  qui  tinrent  long-temps 
divisés  les  théologiens  de  Hollan-^ 
de.  Le  nouvel  archevêque  de  Ma- 
lines ,  Guillaume  de  Précipiano  ,  s'c- 
tant  déclaré  contre  les  jansénistes, 
de  Witte  prit  à  tâche  de  critiquer 
toutes  les  opérations  de  ce  prélat  ; 
mais  voyant  que  cette  lutte  inégale 
ne  pouvait  avoir  qu'un  résultat  fâ- 
cheux ,  il  donna  en  1691  sa  démis- 


îo6  wr 

sion  de  sa  cure,  et  revint  à  Gaiid  d'où 
il  passa  bientôt  à  Utreclit.  11  publia 
dans  cette  ville  ,  en  1696 ,  une 
version  flamande  du  Nouveau-Testa- 
ment. Martin  Steyaert  {V.  ce  nom), 
son  compagnon  d'ëtudes  et  son  ami, 
ayant  critiqué  quelques  passages  de 
cette  version  ,  de  Witte  lui  repondit 
de  la  manière  la  plus  brutale  •  et  la 
mort  de  son  adversaire  n'apaisa 
point  son  ressentiment.  De  Witte  prit 
la  défense  de  M.  Codde ,  arche- 
vêque d'Utreclit  ,  déposé  comme 
suspect  de  jansénisme.  11  se  montra 
l'un  des  plus  grands  adversaires  de 
la  bulle  Vineam ;  çl  soutint  que  ceux 
qui  signaient  le  formulaire  s'enrô- 
laient parla  dans  l'armée  de  l'ante- 
ciirist.  L'âge  ne  ralentit  point  son  ar- 
deur pour  les  disputes.  11  se  signala 
par  la  vivacité  de  ses  attaques  contre 
la  bulle  Unigenllus ,et  mourutau  mi- 
lieu des  débats  qu'elle  avait  suscités, 
k  7  avril  17 '2  1  ,  à  l'âge  de  soixante- 
treize  ans.  Tous  les  ouvrages  de  de 
Witte  sont  empreints  de  la  passion 
qui  les  a  dictés,  et  ne  présentent  au- 
cun intérêt.  Ils  ont  été  publiés  pour 
la  plupart  sous  des  noms  empruntés, 
dont  Barbier  a  donné  la  liste  alpha- 
bétique dans  son  Dictionnaire  des 
Anovymes ,  n«.  :2ï  1 3  1  (  i  ;.  Les  cu- 
rieux peuvent  consulter  l'Idée  de  la 
vie  et  des  écrits  de  M.  G.  de  JVitte, 
Rome  (Amsterd.),  1756,  in-iade 
024  P^S-  {'^')'  Où  y  trouve  les  titres 
de  cent  quarante ,  opuScules  de  de 
Witte.  L'auteur  (  Pierre  Leclerc  ), 
qui  nomme  deWi  t  te  un  grand  homme, 


(«)  De  Wilte  s'esf  caché  sous  vingt  noms  diffé- 
rents :  JE'^ùlius  Albanns,  h'rb'uus  Alelhoph'dus , 
J,  Atiieliiis,  Avitus  ylcademirus  ,  ./K^idius  Candi- 
dus,  J,  Canlor,  CalhoLicus  Pldlorietes ,  etc. 

(p.)  On  trouve  aussi  des  détails  sur  de  W^itte 
dans  un  autre  ouvrage  de  P.  Leclerc  .  intitulé  : 
/yc  Renversement  de  la  nligion  cl  des  lois  divines 
e/ ^Mma;ne5,  par  toutes  les  bulles  et  brefs  donnés 
depuis  deux  cents  ans  contre  Raius ,  etc.,  Home, 
(  Auisterd.  ),  175G,  a  vol.  iu-i«. 


WIT 

dit  qu'il  serait  utile  pour  l'Église 
qu'on  fît  une  nouvelle  impression  de 
tous  ces  écrits  qui  sont  devenus  si  ra- 
res ,  qu'il  a  eu  beaucoup  de  peine  à 
trouver  ceux  dont  il  rend  compte 
{Préf.,\  ),  Les  travaux  les  plus  utiles 
de  de  Witte  sont  sans  contredit  ses 
versions  flamandes  du  Nouveau-  Tes- 
tament ,  de  la  Bible  et  de  V Imitation 
de  J.-C;  mais,  ses  adversaires  les 
ayant  fait  condamner ,  les  exemplai- 
res en  ont  presque  entièrement  dis- 
paru. W — s. 

WITTICHIUS-WŒSTHOVIUS, 
poète  latin  allemand  ,  naquit  à  Bo- 
sov  ,  petit  village  de  l'évêché  de  Lu- 
beck,  en  1577  ,  et  fit  ses  premières 
études  dans  les  écoles  de  sa  ville  épis- 
copale.  De  là  il  alla  à  Rostock  et  à 
Francfort  sur-l'Oder,  oli  il  se  mit  ei 
état  de  suivre  les  cours  académiques^ 
visita  les  universités  de  Leipzig 
d'Iéna  ,  d'Altdorf,  d'ïngolstadt ,  d 
Baie  J  parcourut  successivement  l'I 
talie,  l'Autriche,  la  Bohême ,  la  Li 
thuanie,  la  Courlande  et  la  Prusse 
et  enfin  se  rendit  à  Berghen  en  Nor- 
wége  ,  où  son  père,  autrefois  minis 
tre  de  Boson  ,  avait  été  envoyé,  d 
puis  peu ,  par  le  sénat  de  Lubeck 
comme  pasteur  de  l'église  allemande  i 
mais  il  ne  resta  qu'environ  un  an 
dans  la  maison  paternelle;  et  quit 
tant  la  Norvvége  ,  il  alla  à  Copenba- 
gue,  pour  se  livrer  à  l'étude  de  la 
médecine,  sous  Thomas  Finchius  " 
puis  à  Leipzig ,  où  il  publia  son  pre 
mjer  Recueil  de  poésies  latines.  Ce 
taient  de  violentes  et  grossières  épi 
grammes.  Le  peu  d'accueil  qu'on  leui 
lit  et  les  vives  réclamations  auxquel 
les  elles  donnèrent  lieu  l'engagf^ren 
à  dire  un  adieu  éternel  à  la  Saxe.  I 
revint  en  Dane'm.irk ,  en  i6o3  ,  et  fi 
nommé  presque  immédiatement  rcG 
teur  de  l'école  d'Harlov  dans  l'î 
le  de  Zélandej  obtint,  quelques  an 


WIT 

nées  après ,  le  titre  et  les  privilèges 
de  noble  du  roi  de  Danemark,  Chris- 
tian IV ,  et  de  l'empereur  Matliias , 
à  qui  il  fut  pre'senté ,  en  i6i3  ,  à  la 
dicte  de  Ratisbonne  ;  il  se  rit  ensuite 
charge  de  la  direction  des  études  du 
jeune  Christiern,  duc  de  Brunswick, 
et  enfin  obtint,  en  1O19  ,  du  monar- 
que régnant  (Christiern  IV)  un  ca- 
nonicat  de  la  cathédrale  de  Lunden 
en  Schonie.  C'est  là  qu'il  mourut^  en 
1643.  Ses  principaux  ouvrages  sont  : 
I.  Plusieurs  recueils  iVÈpigrammeSy 
savoir  :  1°.  Libellas  epigraruma- 
tum  adversiis  Conradiim  Hittershu- 
sium  et  Fridericiim  Tauhmannuiii 
pro  poetîs  laureatis.  C'est  le  Re- 
cueil d'épigrammes  dont  nous  avons 
parlé  ci -dessus.  Taubmann  et  Rit- 
lershuys  ne  répondirent  point  :  mais 
tilie  Putschius  eut  moins  de  patience; 
et,  prenant  la  défense  des  deux  pro- 
fesseurs de  Leipzig,  il  reprocha  à 
leur  antagoniste  une  foule  de  solécis- 
mes  et  de  baibarisnies,  et  ne  fut  pas 
plus  économe  d'injures  dans  sa  prose 
que  Wcsthovius  ne  l'avait  été  dans 
ses  vers;  'i"^.  Epigrummata  miscel- 
lanea,  t6o(3;  S^.  Epigrammala  ad 
Christianum  N ,  prbicipem  Danice 
ac  Norwegiœ  regem  desigualuin  ; 
4".  Epigrammatum  lihri  très  prio- 
res  ^  i^^-y  ;  Epigrammatum  libri 
très  posLeriores ,  1646.  II.  Oaù.icc 
poetica ,  1604.  III.  ^utoschedias- 
ma  {impioyïsation)poeticumin  lau- 
deiii  regiœ  Danorum  academiœ 
Hafniejisis ,  i6o4j,  in -4".  IV.  Isa- 
' goge  seii  introductio  ad  dialecti- 
cain  Philippi  Melanchlhonis ,  iGo5; 
Isagoge  seu  introductio  ad  rhetori- 
cam  Fhil.  Melanchthonis ,  1606.  V. 
Poematum,  pars  prima  y  i()o6;  — 
pars  secunda  y  1621.  Vï.  Urhes  et 
oppida  Zeelandice  ,  insulœ  regni 
danici  prœstantissimœ  ,  epigram- 
matis  delineata  f   1607.  Vil.  Iso- 


WIT  107 

cratis  oratio  parœnetica  de  legiti- 
mo  régis  officio  ,  carminé  heroico 
reddita ,  i  (i  i  o .  VI 1 1 .  IM  ô).û  rip  icf.  de 
hello  per  Christianum,  IF  y  Dano- 
rum regem,  adversùs  Carolum  IX y 
Sueciœ  regem  ,  juste  suscepto  et 
prospère  conlinuato,  1 6 1 1 . 1 X.  Em,- 
hlematum  liber  divo  Mathiœ  Ro- 
manorum  imperatori  augustissimo 
sacratus  y  161 3  ,  présenté  par  l'au- 
teur à  l'empereur  Mathias,  lorsqu'il 
reçut  de  lui  ses  lettres  de  noblesse. 

X.  Jrbuscula  parnassca ,     1619. 

XI.  Poematum  in  festum  connu- 
biale  Christiani  F  ac  Magdalenœ 
Sibjllœ  electoris  Saxonici  filiœ  , 
ï634.  Xll.  Illustres  sentenliarum, 

flores  è  Saxonis  grammatici  libris 
XVI  historiée  damcœ  lecti ,  1617. 
Ces  divers  ouvrages  sont  générale- 
ment médiocres.  On  voit  que  le  poè- 
te avait  plus  de  mémoire  qne  d'ima- 
gination ,  plus  d'érudition  que  de  ge'- 
nie.  On  excuserait  pçut-cîre  ces  dé- 
fauts y  qui  pourtant  ne  sont  guère 
plus  compatibles  avec  la  vivacité  de 
i'épigramme  qu'avec  l'éclatde  la  hau- 
te poésie  ;  mais  l'aiFectalion  et  le 
mauvais  goût  qui  régnent  dans  toutes 
ses  compositions  en  rendent  la  lectu- 
re insoutenable.  On  peut  en  juger  par 
les  trois  distiqiies  suivants  ,  compo- 
sés ,  peu  de  temps  avant  sa  mort , 
pour  lui  servir  d'épitaphe  : 

Miinde  intmunde ,  vale  !  Iiinc  nd  mundum  iranseo 
mundiim  . 

Miindus  eiio  ;  immundi  nnin  capit  œllira  nihll. 
Tpsc  suo  toliini  mnndavil  sanguine  Clirls/u.t; 

Esl  niundaiidi  alius  non  tilii ,  miinde ,  modus. 
Exid  I  ram  deries  fex  et  sex  insnpcr  annon; 

J\  une  cœlo  rcductrn  pallia  latajovet. 

On  dirait  que  l'auteur  de  tels  vers 
a  pris  à  tâche  de  justifier  la  criti- 
que un  peu  vive  de  Putschius ,  dont 
nous  sommes  obligés  dé  partager  ici 
l'avis  ,  quant  à  la  latinité  de  Wcstho- 
vius ,  latinité  qui  certes  n'a  rien  de 
celle  d'Horace  et  d'Ovide ,  ni  même 
de  celle  de  Stace  ou  de  Martial.  Ce- 


io8 


WIT 


pendant  nous  avouerons  que ,  dans 
le  nombre  des  pièces  de  Westhovius 
que  nous  avons  parcourues ,  quel- 
ques e'pigrammes  nous  o»t  paru 
avoir  un  tour  piquant,  et  se  ter- 
miner par  des  traits  ingénieux  ,  et 
que  son  ëpilhalame  pour  le  ma- 
riage de  son  élève  avec  Sibylle  de 
Saxe,  ainsi  que  le  soi  -disant  im- 
promptu à  la  louange  de  l'académie 
de  Copenhague,  ne  sont  dépourvus 
ni  de  vivacité  ni  d'élan  poétique. 

P— OT. 

'WIÏTIGHIUS  (  Christophe  )  , 
savant  théologien  protestant  ,  était 
né,  le 7  octobre  lôiS,  à Brieg ,  dans 
la  Bassc-Silésie.  Son  père  ,  vice-sur- 
intendant ecclésiastique  de  cette  ville, 
cultiva  ses  dispositions  pour  l'étude 
avec  le  plus  grand  soin.  Il  fréquenta 
successivement  les  académies  de  Brè- 
me ,  de  Groningue  et  d'Utrecht ,  et , 
après  avoir  terminé  ses  cours,  fut 
nommé  professeur  de  mathématiques 
à  Hcrborn  (i65i),  d'oi^i  il  passa 
bientôt  a.  Duisbourg.  Le  gymnase  de 
cette  dernière  ville  ayant  été  érigé  en 
académie  (  i655  ) ,  Witlichius  y  re- 
çut le  doctorat  dans  les  facultés  de 
philosophie  etde  théologie ,  et  se  ren- 
dit à  Nimègue  où  il  remplit,  pendant 
seize  ans ,  une  chaire  de  théologie  avec 
le  plus  grand  éclat.  Son  attachement 
aux  principes  de  Descartes  l'enga- 
gea dans  des  disputes  très-vives,  qui 
ne  firent  qu'ajouter  à  sa  réputation. 
En  1671  ^  il  fut  appelé  à  Taca demie 
de  Leyde,  la  première  des  Pays-Bas, 
et  s'y  montra  le  digne  rival  des  plus 
illustres  professeurs,  il  mourut  dans 
cette  ville  le  19  mai  1G87  '  ^  ^'^8^  ^^ 
soixante-deux  ans.  Gronovius  pronon- 
ça son  Oraison  funèbre.  Une  mé- 
daille frappée  en  son  honneur  est  fi- 
gurée dans  Van  Loou,  Hist.  Pen- 
ningen. ,  m  ,  349,  et  dans  le  Muséum 
Mazzuchdîian,  j,  11,  pi.  i33.  Outre 


WIT 

quelques  thèses  et  les  éloges  d'A, 
Heydart  etde  J.  Schulting,  son  col- 
lègue ,  on  a  de  Wittichius  :  I.  Co?i- 
sideratio  theologica  de  stylo  S» 
Scripturce,  etc.,  Lcyde ,  1 656,  iu- 
12.  II.  Theologia  pacifica  ^  ibid.  , 
1671  ,  in-4^.  j  nouv.  édit.  avec  un 
appendix,  ibid. ,  167*2  ,  in-4^.;  3^. 
édit.,  i683  ,  in-4^.  III.  Exercita- 
tiones  theologicœ  quinque ,  ibid.  , 
1682  ,  in-4°.  IV.  Causa  Spiritûs 
Sancti  victrix ,  ibid. ,  1682 ,  in-8<>. 
V.  Consensus  veritatis  in  scripturâ 
dii'ind  et  infallibili  rei'elatœ  ,  cum 
veritate  philosophicd  à  Cartesio  dé- 
tecta ^  ibid.,  1682,  in-4°.  Cet  ou- 
vrage est  un  des  plus  importants 
que  Wittichius  ait  publiés.  Aucun 
docteur  protestant  n'a  su  mieux  con- 
cilier le  cartésianisme  avec  la  théo- 
logie. VI.  Metalleia ,  seu  Imesti- 
gatio  epistolœ  ad  Romanos  ,  ah 
apostolo  Paulo  exaratœ  gr,  lat.  , 
ibid.,  i685,in-4«.  ^\\,  Investiga- 
tio  epistolœ  ad  Hebrœos,  etc. ,  Ams- 
terdam, 1692,  in-4*^.  VIII.  Anti* 
Spinosa ,  sive  examen  ethices  Ben. 
de  Spinosa  et  comment arius  deDeo. 
et  ejus  attrihutis ,  ibid. ,  1690  ,  in- 
4'^  Cet  ouvrage  et  le  précédent  ont 
été  publiés  par  le  frère  deWittichius , 
avocat  à  Aix-la-Chapelle.  On  trouve 
une  notice  sur  ce  célèbre  théologieik 
dans  le  Dictionnaire à&^di^\t.  W-s. 
WITTOLA  (  MARc-Ar^ToiNE  ), 
prévôt  mitre  de  Bienko  en  Hongrie , 
était  né  à  Kosel  en  Silésie  le  2  5 
avril  1736.  Étant  devenu  curé  de 
Scheiïerling ,  dans  l'Autriche  supé- 
rieure ,  il  embrassa  avec  chaleur  les 
opinions  théoiogiqucs  que  l'on  favo- 
risait alors  dans  les  états  autrichiens^ 
et  il  traduisit  en  allemand  plu- 
sieurs livres  français  oii  elles  étaient 
enseignées  ,  surtout  les  écrits  des 
Appelants  ,  et  se  mit  en  correspon- 
dance avec  un  des  plus  ardents  de 


WIT 

cette  secte,  Va]ûié  de  Bellegarde.  En 
mourant ,  l'abbé  de  Stock ,  partisan 
zélé  des  nouvelles  reformes,  désigna 
Wittola  à  Marie-The'rèse ,  comme 
l'homme  le  plus  propre  pour  bii  suc- 
ce'der*  la  princesse  se  contenta  de 
donner  à  ce  dernier  la  curedePropst- 
dorf,  qui  était  vacante,  et  elle  l'ad- 
joignit à  la  commission  de  censure. 
Il  fut  destitué  pour  avoir  approuvé 
la  réimpression  du  Prospectus  des 
Annales  des  Jésuites,  par  Gazai- 
gncs.  Afin  de  s'insinuer  à  la  cour , 
Wiltola  parlait  avec  enthousiasme 
des  reformes  que  Joseph  II  poursui- 
vait avec  tant  de  chaleur  j  et  il  publia 
alors  :  I.  Lettres  d'un  curé  autri- 
chien sur  la  tolérance  (  ail.) ,  Vien- 
ne, i-jSî  et  1782  ,  in-8o.  II.  Texte 
d'un  intolérant  d'Augsbourg,  avec 
les  notes  d'un  Autrichien  tolérant 
( al lem.),  Vienne,  1782,  in-8".  En 
I784 ,  il  commença  à  publier  la  Ga- 
zette ecclésiastique ,  qui  était  rédi- 
gée dans  le  même  esprit  que  les  Nou- 
i>elles  ecclésiastiques.  Cette  gazette 
'  ayant  cessé  en  178g,  il  la  reprit  en 
1790,  sous  ce  titre  :  Mémoire  des 
choses  les  plus  récentes  sur  l'ensei- 
gnement de  la  religion  et  l'histoire 
de  l'Église,  et  la  continua  jusqu'en 
1793.  11  mourut  subitement  à  Vien- 
ne, le  25  nov.  1797.  Wittola  a  ira- 
Auit  les  Actes  du  concile  de  Pis- 
toie ,  avec  les  Pièces  qui  y  sont  re- 
latives ;  les  Discours  de  Fleury  sur 
r histoire  ecclésiastique  ;  V  Abrégé 
de  V Ancien  et  du  Nouveau  Testa- 
ment, par  Mésenguy  ;  le  Directeur 
spirituel  pour  ceux  qui  n'en  ont 
point,  par  Treuvé;  V Instruction 
pastorale ,  par  Rastignac  •  la  Reli- 
gion chrétienne  méditée ,  par  le  P. 
Jard,  et  le  Catéchisme  àe  Bossuet. 
Les  biographes  protestants  vantent 
fort  le  zèle  de  Wittola  j  et,  eu  faisant 
son  éloge ,  la  Chronique  des  honnê- 


WIT  109 

tes  gens  le  désigne  comme  un  enne- 
mi des  Jésuites ,  du  monachisme  , 
ainsi  que  du  curialisme  des  Ro- 
mains. G — Y. 

WÏTTWP:R  (Philtppe-Louis), 
né  à  Nuremberg  le  19  mai  1752, 
y  commença  avec  distinction  ^  en 
1776,  sa  carrière  médicale.  Sa  ré- 
putation le  conduisit,  en  1788,  à 
une  chaire  de  l'université  d'Altdorf, 
que  sa  sauté  le  força  de  quitter  l'an- 
née suivante.  Il  mourut  à  Nuremberg, 
le  20  décembre  1792.  Nous  avons  de 
lui  :I.  Delectus  dissertationum  me- 
dicarum  Argentoratensium  ,  Nu- 
remberg, 1777  à  1781  ,  4  vol.  in- 
8<^.  II.  Vie  de  /.-  R.Spielmann, 
professeur  de  médecine  à  Stras- 
bourg ,  etc.  (  allem.  ) ,  Heimstœdt  et 
Leipzig,  1784,,  in-8".  111.  Archives 
pour  l'histoire  de  la  médecine,  Nu- 
remberg ,  1 790 ,  2  vol.  in-8*'. — Son 
père,  habile  médecin  et  accoucheur 
à  Nuremberg,  a  publié  :  Dissertalio 
devomitu,  Alldorf,  174^?  in-4^. 
G— Y. 

WITZENDORF  (Guillaume), 
historien  et  philosophe  allemand,  né, 
le  1 3  janvier  1 609 ,  à  Medingen  dans 
le  comté  de- Lunebourg,  étudia  à 
Wittenberg,  où  il  prit  en  i63i  le 
degré  de  maître-ès-arts;  voyagea  en 
Hollande ,  en  Angleterre  et  en  Dane- 
mark ,  €t  enfin  se  fixa  en  Prusse ,  où 
il  fut  successivement  professeur  de 
phdosophie  pratique  à  Kœnigsberg , 
surintendant  et  pasteur  à  Bardewick 
et  premier  pasteur  à  Rastenbourg.  Il 
mourut  le  17  février  1746.  On  a  de 
lui ,  entre  autres  ouvrages  intéres- 
sants pour  l'histoire  de  l'Allemagne  : 
I.  De  Cœsare  Romano.  II.  Diseur- 
sus  de  status  et  adniinistrationis 
imperii  romani  forma  hodiernâ  , 
etc.  5  dissertation  où  Witzendorf  sou- 
tient contre  Jean  Linnaeus  l'opinion 
de  Reinking  en  faveur  de  l'omnipo- 


Bcrgiwn 


WLA 

tence  monarcliique  de  l'empereur. 
LiiniiTus  répondit  par  une  Disserta- 
tion apolugélif/uc.  III.  De  arte  fé- 
liciter rempuhlicam  administrandi. 
IV.  De  prœmiis  et  pœnis.  V.  Col- 
legiunipnliticiwi.  Witzendorf  a  aus- 
si écrit  sur  la  théologie;  et  l'on  dis- 
tingue, parmi  ses  publications  sur  cet- 
te matière,  une  Dissertation  Deprœ- 
cipuis  punctis  de  sanctd  Cœnd  inter 
Liillieranos  et  Calvinianos  contra 
P— Oï. 

WLADIBOY,  duc  de  Bohême, 
était  le  second  fils  de  iMieczyslas  I^i-. 
et  frère  cadet  de  Bolcslas  I^»".,  roi  de 
Pologne.  iMecontent  de  l'apanage  qui 
lui  était  échu  après  Ja  mort  de  son 
père  ,  ce  prince  alla  à  Kiow  trouver 
Vladimir-!e- Grand,  qui,  saisissant 
avec  joie  cette  occasion,  entra  dans 
la  Chrobatie  et  ia  ravagea  (  992  ). 
Ayant  été  arrêté  par  une  irruption 
de  Pieczyngowiens  ,  le  prince  russe 
conclut  avec  Buleslas  un  arrange- 
ment ,  dont  on  ne  connaît  point  les 
conditions.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
que  Wladiboy,  probablement  aban- 
donné par  les  Russes ,  se  réfugia  en 
Bohême,  près  du  duc  Boleslas  II, 
son  oncle  maternel.  A  son  instiga- 
tion, les  Bohémiens  entrèrent  dans 
la  Silésie  supérieure  ,  et  s'avancèrent 
jusqu'à  Gracovie,  dont  ils  s'emparè- 
rent après  une  faible  résistance.  Ils 
donnèrent  à  Wladiboy  la  partie  de 
la  Silésie  qu'ils  venaient  de  conqué- 
rir ,  ne  se  réservant  que  la  ville  de 
Gracovie,  que  le  roi  de  Pologne  re- 
prit peu  de  temps  après.  Plus  tard  , 
Wladiboy  se  réconcilia  avec  son  frè- 
re, et  retourna  en  Pologne.  Boleslas 
III ,  duc  de  Bohême,  ayant ,  par  sa 
cruauté  et  son  avarice,  soulevé  con- 
tre lui  toute  la  nation  ,  les  mécon- 
tents jetèrent  les  yeux  sur  Wladiboy 
pour  le  mettre  à  la  place  de  leur  duc. 
Ils  vinrent  le  trouver  en  Pologne  , 


is 


WNY 

et  lui  représentèrent  que  tenant  de 
si  près  à  leurs  princes  par  sa  mère . 
Dombrowska  (t)  ,  il  n'aurait  qu'à 
montrer ,  et  qu'aussitôt  toute  la  na-J 
tion  se  mettrait  de  son  parti.  Wladi 
boy  pressentit  le  roi  son  frère ,  qui] 
lui  accorda  facilement  la  permission' 
qu'il  desirait.  Le  prince  polonais 
étant  entré  en  Bohême  (  loci) ,  à  laj 
tête  d'un  parti  nombreux,  mit  ei 
fuite  Boleslas  Ilï,  se  fit  reconnaître 
duc  de  Bohême,  et  afin  d'affermii 
son  autorité,  il  alla  trouver  à  Bâtis- 
bonne  l'empereur  Henri  II,  qui  con- 
firma le  choix  fait  par  la  nation  bo- 
hémienne. Le  prince  reconnaissant 
prêta  foi  et  hommage  à  l'empereur. 
Mais  à  peine  eut-il  gouverné  la  Bo- 
hême pendant  un  an,  qu'il  fut  obli- 
gé de  s'éloigner  et  de  rentrer  en  Po- 
logne. Depuis  cette  époque  (  ioo3), 
il  vécut  dans  l'obscurité.  G — y. 
WLADIMIR.  Foj^.  Vladimir. 

WLaDISLAS.  rq/.VLADISLAS, 

WLASTA.  /^qr.  Vlasta. 

WNYSLAS  ,  quatrième  duc  de 
Bohême,  succéda,  en  ^57,  à  son  pè 
re  Vogen.  Pendant  les  seize  premiè- 
res années  de  son  règne ,  il  ne  s'oc« 
cupa  que  de  l'administration   inté- 
rieure ,  et  construisit  un  grand  nom- 
bre de  châteaux,  autour  desquels  se 
sont  élevées  des  villes  aujourd'hui" 
florissantes.  Il  agrandit  et  fortifia 
Prague,  que  Przemyslas  ,  son  aieul ,  , 
avait  fondé.  Par  ses  soins  ,  les  trou-j| 
peaux  qui  faisaient  la  richesse  de  la' 
Bohême  se  multiplièrrnt  dans  tou- 
tes les  parties  du  duché.  Il  fit  frap- 
per des  pièces  de  monnaie  que  l'on 
donnait  en  échange  aux  peuples  de 
la  Germanie  et  de  la  Moravie,  ])our 
les  objets  d'industrie  qu'ils  introduis 


(0  Cette  princesse,  fille  de  Boleslas  I^r, ,  duc  d« 
Bohème,  e'pouse  de  Mieczyslas  I<"". ,  duc  de  Polo., 
gne ,  est  appelée  la  ClolUda  des  Polonais ,  parce 
qu'elle  convertit  son  éponx  à  la  foi  cbrétienDC. 


WNY 

saient  en  Bohême.  Ce  bonheur  inté- 
rieur fut  tout-à-conp  trouble',  lors- 
qu'en  7-^*2  Charleniagnc,  après  avoir 
soumis  la  Germanie  occidentale,  s'a- 
vança contre  les  Saxons.  Les  Slaves 
Czèches,  qui  depuis  le  commence- 
ment du  cinquième  siècle  avaient  en- 
vahi la  Bohême,  s'étaient  réunis  aux 
anciens  habitants,  Germains  d'ori- 
gine ,  ainsi  que  les  Lusiziens ,  et  les 
Wilsiens ,  également  Slaves  ,  établis 
le  long  de  l'Elbe,  jusqu'aux  mers  du 
Nord.  Tous  ces  peuples  avaient  un 
intérêt  commun  à  se  défendre  avec 
les  Saxons  ,  qui  étaient  aussi  un  mé- 
lange de  Germains  et  de  Slaves.  Il 
se  lit  contre  Charlemagne  une  ligue 
générale.  En  lisant  Éginhard  et  les 
autres  historiens  francs  de  cette  épo- 
que ,  on  voit  que  le  soulèvement  s'é- 
tendit depuis  l'embouchure  de  TEIbe 
etduWeser  jusqu'au  Daîuibe.  Wnys- 
las  fut  donc  l'allié  de  Witikind  (  F. 
ce  nom).  Les  Saxons  s'étant  soumis 
en  7-^9,  Charlemagne  leur  proposa 
de  se  joindre  à  lui  pour  forcer  les 
peuples  slaves  à  mettre  bas  les  ar- 
mes. Au  lieu  d'obéir  à  cette  invita- 
tion, les  Saxons  réunis  aux  Slaves 
se  jetèrent  sur  Geil  et  Adalgise  ,  lieu- 
tenants de  Charlemagne;  et,  après  les 
avoir  complètement  battus  ,  ils  se 
répandirent  dans  la  Germanie  jus- 
qu'auxbordsduRhin.  Apprenant  que 
Charles  s'avançait  lui-même  contre 
eux  ,  ils  se  retirèrent,  chargés  de  bu- 
tin ,  et  poussant  devant  eux  les  trou- 
peaux de  prisonniers  qu'ils  desti- 
naient à  l'esclavage.  Witikind  se 
soumit  en  786^  mais  Wnyslas  sou- 
tint encore  son  indépendance.  En 
789  ,  Charlemagne  ,  ayant  avec  le 
secours  des  Saxons  et  des  Frisons 
vaincu  les  Slaves  établis  sur  les  deux 
rives  de  l'Elbe  inférieur  ,  voulut 
aussi  pénétrer  en  Bohême*  mais  il 
fut  repoussé  avec  une  perte  considé- 


WOD 


m 


rable.  Il  paraît  que  Wnyslas  n'était 
plus ,  et  que  ces  derniers  événements 
arrivèrent  sous  le  règne  de  son  fils 
('rzezomyslas,  que  son  oncle  Wra- 
tislas ,  frère  de  Vnyslas  ,  aida  effi- 
cacement dans  cette  dernière  lutte 
soutenue  pour  la  défense  de  la  liberté 
germanique.  Les  descendants  de  ces 
princes  slaves  se  sont  maintenus  en 
Bohrme ,  d'abord  comme  ducs  ,  en- 
suite comme  rois,  jusqu'à  la  mort  de 
Venceslas  V,  arrivée  en  i3o6.  Alors, 
leur  race  étant  éteinte,  la  Bohême 
est  passée  entre  les  mains  des  princes 
allemands.  G-y. 

WOBESER  (Ernest'Guillau- 
ME  de),  littérateur  allemand,  né 
en  17 '27  à  Lukenwald  dans  le  pays 
de  Brandebourg  ,  passa  dix-huit  ans 
à  la  cour  du  prince  de  Neuwied  ,  qui , 
pendant  la  guerre  de  Sept- Ans ,  l'em- 
ploya dans  des  missions  importantes. 
Il  quitta  ,  en  1764,  la  religion  pro- 
testante pour  entrer  dans  la  com- 
munion des  Anabaptistes  ou  Frères 
Moraves,  auxquels  depuis  cette  épo- 
que il  consacra  son  activité  et  ses 
connaissances  dans  le  maniement  des 
affaires.  Il  a  traduit  en  vers  :  I.  Les 
Odes  d'Horace j  Leipzig,  1779  ,  et 
Gorlitz,  1795.  II.  h'' Iliade  d' Ho- 
mère j  Leipzig,  1781  -  17B7.  III. 
Les  Psaumes  de  David  j  Winter- 
thur,  1793.11  a  aussi  fait  paraître 
le  Recueil  de  ses  poésies ,  Francfort, 
1758,  et  Leipzig,  1,779.  Il  était 
occupé  à  traduire  V Enéide  ;  et  il 
terminait  le  troisième  livre  ,  lorsque 
la  mort  le  surprit,  le  16  décembre 
1795,  à  llerrnhut,  chef-lieu  de  la 
communion  des  Frères  ,  dans  la 
Haute- Lusace.  G — y. 

WODHULL  (MiCHAEL),  littéra- 
teur anglais,  né  en  1740  à  Then- 
ford  en  Northamptonshire,  reçut  la 
première  instruction  à  Twyford  en 
Buckinghamshire,  et  fit  ses  études  à 


II 2  WOD 

Tccolc  de  Wiucliester  et  à  rimiver- 
sité  d'Oxford.  La  mort  de  sou  père 
le  rcudit  de  bonne  heure  possesseur 
d'une  fortune  considérable,  qui  lui 
permit  de  se  livrer  presque  unique- 
ment à  son  goût  pour  la  culture  des 
lettres  ;,  ainsi  que  pour  l'acquisition 
des  livres  précieux  et  rares.  Il  publia, 
à    divers   intervalles  ,    des  poèmes 
qui  respirent  en  ge'ne'ral  des  senti- 
ments nobles  et  élevés ,  particulière- 
ment V Egalité  du  genre  humain, 
i-^ôS,  qui  reparut  avec  des  amélio- 
rations, en  1798,  in-8<^.  Mais  il  est 
plus  généralement  connu  comme  tra- 
ducteur ,  en  vers  anglais ,  de  toutes 
les  tragédies  et  fragments  qui  restent 
d'Euripide.  Cette  traduction  parut 
pour  la  première  fois  en  \']S'i ,  4  V. 
in-8''. ,  et  a  été  réimprimée  depuis ,  en 
3  vol.  de  même  format.  Le  traduc- 
teur a  donné  la  préférence  au  vers 
blanc ,  comme  étant  le  mieux  adapté 
au  dialogue  •  et  il  a  rendu  presque 
tous  les  chœurs  dans  des  odes  pinda- 
riques.  Quel  que  soit  le  mérite  de  ce 
travail ,  la  traduction  du  même  tra- 
gique ,  par  Robert  Potter ,  qui  fut  im- 
primée  presque  en   même  temps  , 
est  plus  estimée.   Wodhulî   profita 
d'un  court  intervalle  de  paix  pour 
venir,  en  i8o3,  dai^s  la  capitale  de 
la  France,    visiter  les  grandes  bi- 
bliothèques qu'elle  renferme.   Il  fut 
un  des  Anglais  que  le  chef  du  gouver- 
nement français  retint  alors  prison- 
niers. On  le  mit  ensuite  en  liberté, 
par  égard  pour  son  âge;  mais  Wod- 
hulî ne  rentra  dans  son  pays  qu'acca- 
blé d'inlirmités.  En  1 80.4,  il  corrigea 
et  réunit  les  poésies  qu'il  avait  don- 
nées au  public  séparément,  et  en  for- 
ma ,  sous  le  titre  de  Poèmes  divers 
(  Miscellaneous  poems  ) ,  un  volume 
in  8"^.,  orné  de  son  portrait ,  et  des- 
tiné à  ses  amis.  Outre  V Egalité  du 
genre  humain  y  on  trouve  dans  ce 


WOD 

volume ,  entre  autres  productions , 
cinq  Odes  et  treize  Épîtres  adressées 
à  di(Férents  amis.  L'auteur  n'y  a  pas 
admis  une  Ode  à  la  critique ,  com- 
posée dans  sa  jeunesse,  et  dirigée 
contre  le  mérite  littéraire  de  Thomas 
Warton  ;  mais  celui-ci ,  pour  se  don- 
ner sans  doute  le  plaisir  d'une  petite 
vengeance^  a  pris  soin  de  conserver 
cet  opuscule  peu  estimable ,  en  l'in- 
sérant dans  le  recueil  intitulé  le  Sau- 
cisson d' Oxford.  WodhuU  est  mort  * 
dans  son  lieu  natal ,  le  1  o  novembre 
1816.  On  a  rendu  hommage  à  ses 
vertus  ,  et  surtout  à  sa  bienfaisance 
sans  faste.  Après  avoir  donné  un 
grand  nombre  de  ses  livres ,  il  en  a 
encore  laissé  plus  de  quatre  mille , 
qui  sont,  pour  la  plupart,  des  pre- 
mières éditions  et  des  monuments  de 
l'imprimerie  naissante.  L. 

WODROW  (Robert  ) ,  Écossais, 
fameux  par  une  Histoire  ecclésiasti- 
que de  son  temps,  naquit  en  167g. 
Il  était  iîls  du  révérend  James  Wo- 
drow  ,  professeur  de  théologie  à  l'u- 
niversité de  Glascow ,  et  l'un  des  mi- 
nistres de  cette  ville,  où  le  jeune 
Wodrow  fit  ses  cours  académiques 
sous  la  direction  de  son  père.  Après 
les  avoir  achevés,  il  fut  nommé  bi- 
bliothécaire de  l'université.  Il  était 
né  avec  le  goût  des  recherches  et  des 
études  d'érudition.  C'était  une  belle 
occasion  pour  satisfaire  ce  penchant; 
et  il  en  profita.  Ce  fut  surtout  l'his- 
toire et  les  antiquités  de  l'église  d'E- 
cosse qu'il  eut  en  vue;  et  pendant 
les  quatre  ans  qu'il  demeura  dans  ce 
poste ,  il  trouva  le  temps  de  recueillir 
d'excellents  et  nombreux  matériaux , 
que  par  la  suite  il  sut  mettre  en  œuvre. 
Cependant  il  ne  borna  point  à  cela 
son  travail  ;  et  les  antiquités  celti- 
ques ,  romaines  et  britanniques  y  eu- 
rent part.  Il  rassembla  des  médail- 
les, des  inscriptions,  et  fut,  dit-on^^ 


WOD 

en  Ecosse ,  un  des  premiers  qui  y 
cultivèrent  les  sciences  naturelles.  On 
voit  par  des  lettres  Je  sa  main,  con- 
servées parmi  ses  papiers,  qu'il  était 
en  correspondance  avec  des  savants 
qui  s'occupaient  de  ces  objets;  et  iiii- 
mcn\e  laissa  une  collection  de  fossi- 
les ,  de  minéraux,  de  plantes  peiri- 
fiëes  et  d'autres  curiosités.  11  quitta 
Glascow  ,  en  170'^ ,  pour  se  livrer  à 
la  prédication ,  y  obtint  des  succès  , 
et  acquit  !a  réputation  d'un  xles  pre- 
miers et  des  plus  habiles  théologiens 
de  l'Ecosse.  La  même  année,  la  cure 
d'Eastwood  ayant  vaqué,  il  en  fut 
pourvu  ;  humble  et  mince  bénéfice  , 
qu'il  conserva  toute  sa  vie ,  sans  por- 
ter plus  haut  sou  ambition  ,  quoique 
de  Glascow  et  de  Stirliug  il  lui  eût 
été  fait  des  offres  très- avantageuses. 
Mais  il  était  estimé  et  chéri  de  ses 
paroissiens,  qui  ne  l'auraient  vu  par- 
tir qu'avec  regret  et  luie  peine  extrê- 
me; de  sorte  que  son  inclination  s'ac- 
cordant  avec  leurs  désirs  il  se  refusa 
à  tout  cliangemcjit.  Cet  liumme  sa- 
vant et  modesie,  à  qui,  sans  l'erreur 
dans  laquelle  il  avait  eu  le  malheur 
d'être  élevé,  on  n'aurait  aucun  re- 
proche à  faire,  mourut  en  1734, 
4gé  seulement  de  cinquante-cinq  ans. 
Son  ouvrage,  publié  en  17*21  ,  a 
pour  titre  :  llie  liistory  ofthe  siji- 
^ular  siifferings  qf  the  church  of 
Scotland  y  diiring  the  i-wentf  eight 
^ears  inimediately  preceding  the 
revoliUion^  2  vol.  in-fol. ,  c'est  -  à- 
dire  :  Histoire  des  souffrances  singu- 
lières de  l'église  d'Ecosse  pendant 
les  vingt -huit  ans  qui  précédèrent 
'immédiatement  la  révolution.  Cet 
ouvrage,  écrit  avec  une  fidélité  qui 
ne  laisse  aucun  doute  ,  et  appuyé  ,  à 
la  lin  de  chaque  volume ,  de  pièces 
justificatives,  n'excita  pas  d'abord 
«ne  grande  attention ,  même  dans  le 
pays  où  les  e'vénemenls  s'e'taientpas- 

LI. 


WOE  ii3 

se's  ,  et  mohis  encore  en  Angleterre , 
où  il  demeura  presque  inconnu,  si  ce 
n'est  peut-être  par  V Abrégé  (\n  en  a 
donné  le  révérend  M.  Cruicksliancks; 
mais  depuis  la  publication  de  l'œu- 
vre historique  du  célèbre  et  honora- 
ble Charles- James  Fox  et  des  écrits 
de  MM.  Sommerville  et  Laing ,  sa 
réputation  et  son  prix  se  sont  fort 
accrus.  «  Aucun  fait  historique,  dit 
M.  Fox  ,  n'a  une  certitude  plus  as- 
surée que  ceux  qui  sont  rapportés 
par  Wodrow.  Dans  tous  les  cas  où 
il  s'est  agi  de  les  confronter  avec  les 
monuments  historiques,  on  lésa  trou- 
vés parfaitement  exacts.  »  Wodrow 
passa  les  douze  dernières  années  de 
sa  vie  à  recueillir  des  Notes  biogra- 
phiques sur  les  auteurs  de  la  réfor- 
mation d'Ecosse ,  les  principaux  per- 
sonnages qui  la  propagèrent,  et  sur 
les  théologiens  presbytériens  les  plus 
renommés.  Ces  Notes ,  restées  ma- 
nuscrites, sont  conservées  dans  la 
bibliothèque  pubhque  de  Glascow. 
L— Y. 
WOEHNER  (  André  -  George  ) , 
professeur  de  langues  orientales  à 
i'iuiiversité  de  Giittingue,  né,  le  24 
février  1 6()3 ,  dans  le  comté  de  Hoya, 
reçut  les  premières  leçons  de  grec  et 
d'hébreu  de  son  père ,  qui ,  en  1 7 1 o^ 
le  conduisit  à  runiversitc  d'Belm- 
stadt.  Après  un  an  et  demi  de  séjour 
dans  celte  école,  le  jeune  Wœhner 
fut  en  état  de  donner ,  sur  la  langue 
grecque  et  sur  les  langues  orientales, 
des  leçons  qui  attirèrent  un  grand 
concours  d'auditeurs.  En  1715,  il 
publia  sa  Grammaire  grecque  ,  d'a- 
près le  vœu  de  J.-Alb.  Fabricius ,  qui , 
en  sa  qualité  d'inspecteur  général  des 
études  ,  l'introduisit  dans  les  écoles 
du  pays  de  Brunswick.  De  Helm- 
stadt  Wœhner  revint  à  Gottingue, 
où  il  publia,  en  1705  ^  sa  Granimai^ 
re  héhrdique  ^  la  première  qui  ait 
<S     . 


ii4  WOE 

paru  à  celte  école  si  célèbre.  En  1 789, 
il  obtint  la  cljaire  qui  faisait  l'objet 
de  ses  vœux,  celle  des  langues  orien- 
tales. Voulant  donner  à  ses  études  tou- 
te la  pertection  possible,  il  attira 
dans  sa  maison,  et  il  y  garda  pen- 
dant six  ans  ,  Benjamin  Wolf  Ginz- 
bourg  ,  médecin  de  Gottingue.  Ce 
savant  Israélite  était  tellement  ins- 
truit dans  l'histoire  et  la  littérature 
de  sa  nation ,  qu'on  l'appelait  le  Dic- 
tionnaire vivant  du  Talmud.  En 
conversant  et  en  étudiant  constam- 
ment avec  lui,  Wœliner  devint  un 
des  premiers  orientalistes  de  l'Alle- 
magne. Il  mourut  à  Gottingue,  le 
'Il  lévrier  1762.  Nous  avons  de  lui  : 

I.  Grammaire  de  la  langue  grec- 
que (  ail.  ) ,  Wolfcnbuttel ,  1 7 1 5  et 
1753  ,  in-  8°.  Au  lieu  du  verbe 
TÛTTTw  ,  qui  n'est  point  légulier  au 
parfait,  il  prit  pour  paradigme  l'an- 
cien verbe  cw,  sum,  qu'il  trouvait 
beaucoup  plus  propre  pour  servir  de 
base  à  son  tableau.  11  chercha  à  per- 
fectionner la  théorie  des  aoristes , 
de  laquelle  Mélanchthon  dit  : 

Hoc  opiis ,  hic.  lahorest,  secemere  tempora. 

II.  Syntaxis  grœca  ou  Particu- 
larités de  la  langue  grecque  , 
Wolfenbuttel  ,  1716,  in-S-^.  C'é- 
tait, à  proprement  parler,  la  se- 
conde   partie    de   sa    Grammaire. 

III.  Dissertatio  philologica  in  2 
Reg. ,  riii.  1 ,  qud  David,  Moahita- 
rum  Victor ,  crudelium  numéro  exi- 
mitur  ,  Gottingue,  1788  ,  in  -  4''. 
Cette  dissertation ,  qui  n'a  rapport 
qu'à  un  seul  verset  de  l'Écriture  sain- 
te ,  est  intéressante  par  les  détails. 
L'auteur  y  explique  les  rapports  des 
Moabitcs  avec  les  Israélites ,  et  sur- 
tout avec  David.  Ayant  présenté  les 
différentes  traductions,  il  en  donne 
lui-même  trois  ,  qui  justifient  égale- 
ment David., La  dernière,  qui  est  la 
meilleure ,  dit  :  Prœlio  quoque  vicit 


WOE 

Moahitas  y  quos  in  turmas  distri- 
huit ,  supplices  sibi  factos.  Duas 
quippè  turmas  descripsit ,  quas  oc- 
ci  deret  ;  maximum  autem  agmen  , 
quod  in  vita  conservaret.  Atque  ità 
Moahitœ  servi  Davidis  j'acti  sunt , 
qui  tributa  pendere  cogerentur. 
D'après  cette  version,  David  n'au- 
rait fait  mourir  qv.e  les  chefs  de  la 
rébellion.  IV.  De  Endorensi prœsti- 
gialrice ,  Gottingue ,  »  7 38 ,  in- 4^.  Il 
y  est  question  de  la  célèbre  Pytho- 
nisse  que  Saiil  alla  consulter  la 
veille    de   la    bataille    de    Gelboé. 

V.  De  prunis  ,  in  capite  inimi- 
ci  y  ou  Des  charbons  ardents  ras- 
semblés sur  la  tête  de  son  enne- 
mi, dans  les  Prov.  25,  et  aux  Rom. 
12,  Gottingne,  1738,  in  -  4°.  En 
traitant  ce  Siijet,  l'auteur  examine 
les  traditions  des  Juifs  et  les  opinions 
des  rabbins  sur  lelivredes  Proverbe 

VI.  Sur  la  réponse  de  Jésus- Chr 
aux  Juifs,  Év.  de  S.  Jean,  ch. 
V.  25.  Selon  la  Vulgate,  Jésus 
pondit  :  Principium  qui  et  loqu 
vobis.  Selon  notre  auteur,  on  devrait 


Dns 
•es. 

i 


lire  :  Quod  in  principio  locutus  su 
hoc  et  ipsum  nunc  loquor  vobis 
prétend  que  celte  explication  est 


î 


seule  qui  dissipe  l'obscurité  de  ce 
passage.  VIL  Dissertatio  philoliM 
gica  de  eruditione  judaicd ,  Go^| 
tmgue,  174'-*?  i"-4°'  1^^»^  ce  traité, 
l'auteur  a  rassemblé  les  traditions 
qu'il  avait  reçues  de  son  maître,  Ben- 
jamin Wolf,  sur  la  littérature  des 
Juifs.  VI IL  De  Hebrœorum  prose- 
lytis ,  Gottingue  ,  1 743  ,  in  -  4°.  IX. 
De  valle  spectaculorum ,  t  742  ,  in- 
4^.  X.  l>e  Melchisedech  Cliristi  t^ 
po,  1745,  in-4'^'«  XL  Qrammaii 
de  la  langue  hébraïque,  avec 
bleaux  (  allem.  ) ,  Gottingue,  1 7. 
XIL  Antiquilates  Hebrœorum  m 
Israèliticœ  geniis  origine ,  fatis ,  re 
bus  sacris,  civilibus  et  domesticis , 


WOE 

jïde ,  moribits,  ritihus  et  consuetu- 
dinihus  antiquiorihus ,  rcceniioribus ^ 
Gottiiigne ,  \  743  ,  2  voliira.  in  -  H». 
Wœhner  a  donne ,  dans  cet  ouvrage , 
une  liistoire  littéraire  des  Juifs,  bien 
supérieure  à  celles  qui  ont  paru  jus- 
qu'à présent.  G — y. 

WOELFL  (  Joseph  ) ,  pianiste  et 
compositeur ,  naquit  à  Saltzbourg 
en  1772  ,  et  étudia  les  cléments  de 
la  musique  dans  sa  ville  natale ,  où  il 
eut  l'avantage  de  compter  parmi  ses 
maîtres  Le'opold  Mozart  et  Michel 
Haydn.  Au  commencement  de  1794, 
il  se  mit  à  voyager  ,  et  dirigea  sa 
course  vers  la  Pologne  ,  dont  la  ca- 
pitale l'arrêta  quelque  temps.  Il  fil 
un  séjour  plus  long  à  Vienne,  où ,  en 
1795,  il  donna  son  premicropéra  (le 
Hollenher^) ,  et  jeta  ainsi  les  fonde- 
ments de  sa  réputation.  Il  parcourut 
ensuite  l'intérieur  de  l'Allemagne  , 
s'arrètant ,  de  temps  en  temps ,  dans 
les  villes  principales  ,  et  y  donnant 
des  concerts  qui  bientôt  attirèrent 
une  foule  extraordinaire.  Il  avait 
ainsi  visité  Prague^  Dresde,  Leipzig , 
Berlin  et  Hambourg,  lorsqu'en  1799 
il  partit  pour  l'Angleterre,  où  il  reçut 
encore  un  accueil  plus  distingué  ,  et 
où  son  jeu  brillant,  léger  et  suave , 
excita  l'entliousiasme.Venuen  Fran- 
ce deux  ans  après,  1801  ,  il  passa  à 
Paris  pour  le  pianiste  le  plus  ex- 
traordinaire de  l'Europe ,  et  entendit 
ses  louanges  retentir  dans  toutes  les 
feuilles  publiques,  ainsi  que  dans  les 
salons.  IN  éanmoins  il  revint  bientôt  à 
Londres,  et  c'est  là  qu'il  resta  jusqu'à 
sa  mort,  arrivée  en  181 1.  11  n'avait 
encore  que  trente-neuf  ans  ,  et  fut 
vivement  regretté  de  tous  les  amis 
de  l'art  musical.  En  effet ,  quoique 
la  principale  partie  de  sa  gloire  ,  et 
surtout  de  ses  ricliesses,  fût  due  à  la 
brillante  facilité  de  son  exécution  ,  il 
avait  un  talent  estimé  comme  corn- 


WOE 


ii5 


positeur  ,  et  a  produit  un  très- grand 
nombre  de  morceaux.  Cinq  seulement 
ont  été  destinés  au  théâtre ,  ce  sont  : 
I.  Le  Hollenherg  ,  opéra  ,  Vienne  , 
1795.  II.  hsi  Belle  Laitière  y  opéra- 
comique.  Vienne^  1797. III.  I^a  Tête 
sans  homme,  opéra-com. ,  Vienne  , 
1 798.  IV.  Le  Cheval  de  Troie  ,  opé- 
ra-com. V.  Enfin ,  X ÂDiour  roma- 
nesque, opéra-comique,  Paris,  i8o4- 
La  musique  de  cette  bluette  fut  géné- 
ralement goûtée  :  on  s'accorda  à  y 
trouver  des  chants  purs ,  des  accom- 
pagnements riches  et  de  bon  effet , 
de  la  science  et  de  la  grâce  dans  les 
modulations.  Le  reste  des  OEuvres 
de  Woelfl  ne  se  compose,  à  l'excep- 
tion d'une  bonne  méthode  de  piano 
{School  for  the  piano -forte)  ,  que 
de  musique  de  salon  •  mais  on  n'en 
compte  pas  moins  de  cinquante. 
Les  principaux  sont  des  trios ,  duos, 
concertos  et  sonates  ,  parmi  lesquels 
l'œuvre  23 ,  (  3  grands  trios  pour  le 
clavecin,  violon  et  violoncelle),  l'œu- 
vre 4 1  (  ^on  plus  ultra  ,  grande 
sonate  pour  P. -F.  ) ,  et  l'œuvre  49 
dédiée  à  M"^^.  Ferrari ,  méritent  une 
mention  des  plus  honorables.  On  en- 
tend aussi  avec  plaisir  une  foule  de 
variations  ,  riches  et  élégantes  bro- 
deries qu'il  a  jetées  sur  des  chants 
favoris  ,  tirés  d'opéras  italiens  et  al- 
lemands ,  entre  autres  celle  sur  deux 
airs  du  Labyrinthe  et  sur  l'ariette  La 
stessa  ,  la  stessissima.     P — ot. 

WOELFLEIN  ou  LUPULUS 
(Henri),  hagiographe,  né,  vers 
1470,  à  Berne,  d'une  famille  hono- 
rable ,  fut  recteur  du  gymnase  de  Ber- 
ne, et  contribua  beaucoup  à  ranimer 
en  Suisse  la  culture  des  lettres,  et 
surtout  des  langues  anciennes.  Au 
nombre  de  ses  disciples,  il  compta 
le  célèbre  Zuingle  {P^.  ce  nom),  dont 
il  devait  plus  tard  partager  les  er- 
reurs. Un  cordelier  milanais,  enr 
8.. 


ii6 


WOE 


voyé  dans  le  canton  de  Berne,  pour 
y  prêcher  les  indulgences  accordées 
par  le  pape  Lcon  X ,  choisit  Woel- 
llein  pour  interprète ,  et  n'eut  qu'à 
se  louer  du  zèle  avec  lequel  il  se- 
conda son  pieux  tralic.  Cependant 
WocHlcin  e|)rouvait  déjà  des  doutes 
sur  l'eilicacitè  réelle  des  mérites  qu'on 
acquérait  à  prix  d'argent.  Un  cano- 
nicat  du  chapitre  de  Berne  avait  été 
la  récompense  de  ses  services  dans 
l'enseignement,  Néanmoins  il  se  dé- 
clara l'un  des  premiers  pour  la  ré- 
forme religieuse;  et,  comme  tous  les 
novateurs  de  la  même  époque ,  il  pas- 
sa de  la  critique  des  abus  à  celle  des 
dogmes  les  plus  respectables.  S'ctant 
marié  en  iS'i/y ,  il  fut  privé  de  son 
canonicat  ;  mais  en  1 5i']  il  fut  nom- 
mé secrétaire  du  consistoire.  On  igno- 
re l'époque  de  sa  mort  ;  mais  on  est 
certain  qu'il  survécut  à  Zuingle,  puis- 
qu'il composa  son  Epitaphe,  en  un 
distiqueîatinchronographique,  qu'on 
trouve  dans  les  Fraginents  histori- 
ques sur  Berne ,  i,  334-  Ainsi  l'on 
ne  peut  placer  la  mort  de  WoelOein 
qu'après  l'année  1 53 1 .  On  cite  de  lui  : 
1.  la  rie  de  l'ermite  Nicolas  de  F  lue 
(  Foj.  ce  nom ,  XV ,  1 1  '2  ).  Elle  est 
écrire  en  latin ,  et  fut  publiée  eu  1 5o  i . 
On  l'a  reproduite  par  les  soinsd'Eich- 
horn,  Fribourg,  i6o8,  i6i3,  et 
depuis  à  Constance,  en  1 63 1.  Cette 
Vie  est  dédiée  au  fameux  cardinal 
Schinner  (  F.  ce  nom  ).  La  préface  , 
adressée  aux  habitants  du  canton 
d'Underwald,  a  été  recueillie  dans 
les  ^cta  sanctorum  des  Boilandis- 
tes  ,  mars  ,  m  ,  4^7-  H- La  Fie  de 
saint  Vincent,  patron  de  Berne, 
Baie ,  1 5 1  -^  ,  in-8o.  On  aperçoit  déjà 
dans  quelques  passages  le  penchant 
de  l'auteur  pour  les  opinions  des  ré- 
formateurs. W — s. 

WOELLNER  (  Jean-Ghristophe 
de),  né  en  173'i  à  Dœberitz,  vil- 


WOE 

lagede  la  Marche  électorale,  où  son 
père  était  ministre  de  la  religion  , 
étudia  la  théologie  à  l'université  de 
Halle  ,  et  entra  dans  l'état  ecclésias- 


tique. On  lui  donna  ,  en 


cure  du  village  de  Gross-Behnitz , 
aux  environs  de  Berlin.  Dans  cette 
place  ,  il  acquit  toute  la  confiance  de 
la  veuve  du  général  Itzenplilz,  dont 
il  éleva  le  lils  ;  et  se  chargea  de"  la 
gestion  de  ses  biens,  après  avoir  re- 
noncé à  ses  fonctions  pastorales.  Il 
épousa  en  se("ret  la  fille  de  cette  veu- 
ve. La  famille  ayant  attaqué  la  léga- 
lité de  ce  mariage  contracté  sans  les 
formalités  ordinaires,  Wœllner  jugea 
prudent  de  transiger  avec  elle  ,  en 
renonçant  à  la  succession  de  sa 
femme  ;  concession  dont  il  se  lit 
relever  dans  la  suite  par  le  roi.  Il 
se  livra  dès-lors  à  l'économie  rurale, 
et  se  fit  remarquer  tant  par  la  pra- 
tique que  par  les  théories  qu'il  publia. 
Son  Mémoire  sur  le  part.ige  des 
biens  communaux  et  sur  d'autres 
objets  d'économie  publique  donna 
une  bonne  opinion  de  ses  vues  ;, 
il  fut  consulté  dans  des  affaires  im- 
portantes ;  le  prince  Henri,  frère 
du  roi  de  Prusse ,  l'appela  dans  son 
conseil  des  domaines ,  et  le  prince 
héréditaire  de  Prusse  reçut  de  lui  des 
leçons  d'économie  publique  ,  ainsi 
que  des  Mémoires  sur  la  plupart  des 
branches  de  l'administration.  Ce  fut 
l'origine  de  la  faveur  dont  Wœllner 
jouit  dans  la  suite  auprès  de  ce  prince 
lorsqu'il  fut  monté  sur  le  trône  Pour 
arriver  à  cette  faveur ,  il  s'était  fait 
initier  dans  l'ordre  secret  des  rose- 
croix,  et  en  propageait  avec  chaleur 
les  doctrines  ,  moins  sans  doute  par; 
conviction  que  par  calcul.  Les  rose- 
croix  de  Berlin  formaient  une  secte 
d'un  caractère  particulier.  A  leur  tcte| 
se  trouvait  Bischotfswerdcr  {F.  cej 
nom,  IV,  5^i6) ,  homme   intrigant, 


WOE 

■tjtti  tirait  toute  la  confiance  du  roi.  Us 
professaient  luic  religion  mystique, 
croyaient  ou  feic^naientdc  croire  à  la 
magie  ,  e'voquaient  les  ombres  ,  cher- 
chaient la  pierre  philosophale  ,  etc. 
Dans  le  public  on  les  accusait  d'être 
des  jésuites  déguisés,  paice  qu'ils 
paraissaient  favoriser  les  dogmes  ou 
du  moins  les  cérémonies  de  la  reli- 
gion catholique.  A  peine  le  prince 
héréditaire  fut-il  monté  sur  le  troue, 
sous  le  nom  de  Frédéric-Guillaume, 
qiie  l'on  vit  tout  l'ascendant  que 
Wœllner  avait  pris  sur  lui.  11  fut  élevé 
au  rang  de  la  noblesse,  nommé  con- 
seiller des  finances  ,  et  surintendant 
des  bâtiments.  En  1788,  le  roi  le 
désigna  pour  être  ministre  d'état  et 
de  justice  ,  et  le  mit  à  la  place  de 
Zedliz  ,  chef  des  affaires  ecclésiasti- 
ques. La  Prusse  vit  bientôt  les  eilets 
de  cette  faveur  sigualée.  Wœllner, 
empressé  de  se  distinguer  par  des 
coups  d'état  ,  fit  d'abord  siguer  par 
le  roi  le  fameux  édit  de  religion  , 
dans  lequel  on  tonnait  contre  les. 
novateurs  en  matière  de  religion, 
contre  les  partisans  des  lumières, 
et  contre  la  détérioration  de  la  doc- 
trine évangélique  et  protestante.  L'é- 
dit  enjoignait  aux  pasteurs  et  insti- 
tuteurs de  revenir  à  l'ancienue  doc- 
trine ,  sous  peine  de  destitution  et 
de  punitions  plus  graves  encore.  Un 
pareil  édit  signé  par  un  roi  volup- 
tueux et  insouciant,  et  contre-signe  par 
un  pasteur  intrigant ,  dut  surpren- 
dre les  sujets  du  feu  roi  Frédéric  II 
qui  avait  laissé  au  culte  la  plus  gran- 
de liberté.  La  partie  éclairée  de  l'É- 
glise protestante  n'admet  pas  de 
système  invariable  de  dogmes.  Il  y 
avait  d'ailleurs  quelque  chose  de 
ridicule  dans  cette  ferveur  apparente 
d'un  gouvernement  aussi  mondain  , 
pour  la  pureté  de  la  foi.  L'édit  fut 

-attaqué  dans  une  foule  de  brochures. 


WOE  1 1  7 

L'écrit  qui  eut  le  plus  de  succès  fut 
la  lettre  d'un  vieux  pasteur  à  Wœll- 
ner ,  dans  laquelle  on  exhortait  le 
nouveau  ministre  à  repousser  le 
mysticisme  et  la  superstition,  au  lieu 
d'exiger  de  l'orthodoxie  et  d'encou- 
rager l'hypocrisie.  La  vivacité  des 
attaques  anonymes  fournit  bientôt 
un  prétexte  pour  enchaîner  la  presse; 
et ,  loin  de  se  laisser  elfrayer  par  le 
cri  public,  Wœllner  pressa  de  toutes 
ses  forces  l'exécution  de  l'édit  de 
religion  ,  et  l'espèce  de  réforme  qu'il 
avait  imaginée. Un  médiocre  ouvrage 
du  conseiller  Rœnniberg  ,  Des  livres 
symboliques  par  rapport  au  droit 
public ,  qui  contenait  l'apologie  du 
fameux  édit ,  et  qui  justifiait  par  de 
faibles  raisonnements  l'intervention 
du  roi  dans  les  matières  d'enseigne- 
ment dogmatique,  fut  recommande 
à  tout  le  clergé.  On  écrivit  con- 
tre cette  apologie;  Wœllner  vou- 
lut supprimer  la  réfutation  ,  mais 
le  consistoire  n'y  trouva  de  blâ- 
mable que  quelques  expressions. 
Wœllner  arracha  au  roi  une  défense 
d'imprimer  la  brochure  ;  l'auteur  , 
Villaiime,  la  fit  paraître  à  l'étran- 
ger; et  le  public  apprit  ainsi  la  dis- 
sidence qui  existait  à  Berlin  entre  le 
chef  du  département  ecclésiastique 
et  le  consistoire.  Un  autre  auteur  , 
Bahrdt^  qui  avait  mis  l'édit  de  re- 
ligion en  comédie  ,  fut  incarcère'. 
Wœllner  fit  prescrire  ensuite  à  tout  ' 
le  clergé  de  se  servir  d'un  catéchis- 
me et  d'un  autre  livre  d'instruction 
religieuse^  qui  étaient  mauvais  ,  et 
qui,  selon  l'avis  de  quelques  théolo- 
giens^ n'enseignaient  même  pas  bien 
exactement  la  doctrine  luthérienne.  Il 
fallut  les  refaire  ou  du  inoinsles cor- 
riger. De  deux  universités  prussien- 
nes qui  avaient  été  consultées  ,  pour 
savoir  s'il  convenait  d'introduire  ces 
instructions  religieuses  ,  l'une  avait 


i8 


WOE 


donné  un  avis  négatif  j  le  consistoire 
de  Berlin  avait  été  de  la  même  opi- 
nion •  Wœilner    n'en   persista   pas 
moins  dans  son  projet  qui  fut  attaqué 
par  une  foule  de  nouvelles  brochures. 
Dans  quelques-unes  on  contestait  aux 
souverains   protestants  le  droit   de 
déterminer  les  dogmes  qui  doivent 
être  enseignés  à  leurs  coreligionnai- 
res. Une  commission  qu'il  institua 
pour  les  examens  ecclésiastiques  ,  et 
qui  devait  s'enquérir  avec  soin  des 
opinions  religieuses  des  candidats  , 
provoqua  de  nouveaux  murmures.  Il 
avait  mis  à  la  tête   de  cette  espèce 
d'inquisition  un  prédicateur  médio- 
cre ,    nommé  Hermès  ,   qui   exerça 
ses  fonctions  avec  toute  la  morgue 
d'un  parvenu.    Les  pasteurs   furent 
obligés   de    faire    preuve    d'ortho- 
doxie ^  on  tira  de  la  poussière  des 
livres  surannés  pour  leur  servir  de 
modèles  et  de  guides;  on  leur  prescri- 
vit les  textes  sur  lesquels  ils  devaient 
prêcher.   Assez  de  plumes  revendi- 
quèrent la  liberté  religieuse;  ce  fut 
en  vain  ;  on  donna  de  nouveaux  or- 
dres pour  arrêter  la  circulation  des 
ouvrages  non  approuvés  par  la  cen- 
sure. Le  publiciste  prussien  Dohm  ac- 
cuse Wœllner  d'à  voir  dirigé  un  parti 
qui  déjà  ,  du  vivant  de  Frédéric  II , 
s'occupait  à  détruire  son  système  de 
gouvernement;  c'est  à  cette   haine 
pour  Frédéric  ,   que   Dolim    attri- 
bue   la    démarcbe    qu'avait    faite 
Wœilner  pour  se  mettre  en  posses- 
sion des  manuscrits  du  feu  roi.  Pro- 
fitant de  son  ascendant  à  la  cour  , 
celui  -  ci  demanda  ces  manuscrits  au 
roi  régnant ,  et  les  obtint  sans  peine. 
Il  les  vendit  au  libraire  Voss  et  à 
l'imprimeur  Decker,  en  chargeant 
l'académicien  de  Moulines  des  soins 
d'éditeur. Dohm  prétend  qu'on  laissa 
subsister  à  dessein,  dans  les  OEuvres 
posthumes  de  Frédéric  II  ,  les  pcr- 


WOE 

sonnalités  et  les  expressions  offensan- 
tes, afin  d'augmenter  le  nombre  de 
ses  ennemis  ;  mais  il  y  avait  proba- 
blement en  cela  plus  de  paresse  que 
d'intention.  Le  fait  est  que  ni  Wœil- 
ner ni  de  Moulines  ne  se  donnèrent 
la  moindre  peine  pour  classer  ,  met- 
tre en  ordre  et  préparer  pour  le  pu- 
blic la  masse  de.  papiers  qu'ils  avaient 
en  leur  possession.  Les  liasses  furent 
remises  à  l'imprimeur  telles  qu'on 
les  avait  trouvées  ,  sans  qu'on  s'in- 
quiétât même  si  les  pièces  se  suivaient. 
Il   en  résulta  la  collection  la  plus 
désordonnée  qu'on  eût  jamais  vue. 
Aussi  Jean  de  Miiller  observe  qu'il 
est  permis  de  douter  si  c'est  un  être, 
raisonnable  ou  le  hasard  qui  a  pré- 
sidé  à  cette  édition.  Cependant  on 
avait  déjà  imprimé  quinze  volumes 
quand   Wœilner    et   de    Moulines  j 
trouvant  ,  dans  le  restant  des  pa- 
piers, des  passages  trop  irréligieux 
et  dont  la  publication  ne  s'accordait 
guère  avec  le  fameux  édit  de  reli- 
gion ,  ni  avec  les  ordonnances  sur  la 
censure  ,  voulurent  s'arrêter  ;   mais 
les  libraires   insistèrent  pour  l'im- 
pression de   tous  les  papiers   sans 
distinction  ,  attendu   qu'ils  avaient 
acheté  le  tout  à  deniers  comptants. 
Wœilner  y  consentit   sous  la  con- 
dition que  l'on  publiât  les  six  volu- 
mes refîîants   avec  le  titre  de  Sup- 
plément  aux  OEuvres  posthumes , 
et  en  désignant  pour  le  lieu  de  l'im- 
pression Cologne  à  la  place  de  Ber- 
lin.  Moyennant  cet  exjiédient  tout 
fut  imprimé  dans  le  même  désor- 
dre que  les  quinze  volumes  précé- 
dents. Il  vint  pourtant  à  Wœilner 
encore     quelques    scrupules     après 
l'impression.  On  supprima  les  passa- 
ges   trop    choquants  ,    et    l'on    fit 
des  cartons.  Dohm  assure  qu'il  s'est 
répandu  néanmoins  dans  le  public 
beaucoup    d'exemplaires   qui  n'ont 


WOE 

])oiiit  ces  cartons.  Les   manuscrits 
devaient  être  restitues  à  la  bibliotlic- 
que  royale  ;  Wœllner  n'en  (it  rien  ; 
ce  ne  fut  que  long  temps  après  qu'on 
les   reclama  auprès  du  libraire;  et, 
sans  les  verider  ,  on  les  cacheta  ,  et 
on  les  déposa  aux  archives.  Pendant 
que    les   intrigues  dominaient   à   la 
cour,  et  que  le  roi  était  livre  à  ses 
maîtresses,  la  guerre  de  ia  révolution 
éclata  ;  Hertzberg  cessa  de  diriger  la 
diplomatie  de  la  Prusse,  qui  devint 
dès-lors  vacillante;    ce  règne,  peu 
glorieux  ,  fut  enfin  termine  en  1797. 
Le  roi  actuel ,  dès  son  avènement , 
mit  lin  à  quelques-uns  des  nombreux 
abus  souiî'erts  par  son  prédécesseur. 
Le  fameux  éditde  religion  fut  révoque'; 
l'examen  des  candidats  de  théologie 
fut  enlevé  à  Findigne  commission  à 
laquelle  Wœllner  l'avait  confié.  On 
attendait  avec  impatience   que    cet 
lîomme,  généralement  haï  ,  se  retirât. 
Ayant  recommandé ,  par  une  circu- 
laire ,  aux  chefs  du  clergé  de  veiller 
sur  les  opinions  religieuses  de  leurs 
subordonnés,  il  fut  vivement  répri- 
mandé par  le  roi  ;  et,  comme  il  ne  s'é- 
loigna point  à  la  suite  de  cette  scène 
Lumilianie,  il  fut  enfin  congédié  le  1 1 
mars  «798,  à  la  grande  satisfaction 
des  Prussiens.  Ses  créatures  eurent  le 
même  sort.  11  restait  à  Wœllner  une 
fortune  considérable;  il  se  retira  dans 
une  de  ses  terres  à  Grossriez,  auprès 
de  Beeskow ,  oij  il  ne  survécut  que 
deux  ans  à  sa  disgrâce  ;  il  mourut  le 
II  septembre  1800.  Son  éloge  a  été 
prononcé  en  janvier  1802,  par  Tel- 
îer  à  l'académie  des  sciences  de  Ber- 
lin. Meuse!  donne  la  liste  des  ouvra- 
ges de  Wœllner.  On  remarque  dans  ce 
nombre  une  traduction  ,  avec  notes  , 
àesPrincipes  d'agriculture  de  Home, 
et  plusieurs  Sermons.  Ou  a  imprimé 
aussi  de  lui,  mais  seulement  pour  les 
adeptes ,  les  discours  qu'il  avait  pro- 


WOE  i\g 

nonc(^  dans  les  réunions  des  rose- 
croix.  Nicolaï  a  donné  des  détails  sur 
la  part  que  Wœllner  a  prise  aux 
opérations  secrètes  de  cet  ordre  , 
vol.  56  et  68  de  la  Nouvelle  Biblio- 
thèque  générale    d'Allemagne. 

D— G. 

WOERIOÏ  ou  WOEUUOT  (i) 
(Pierre),  habile    graveur  lorrain. 
Les  monogrammatisles  et  les  histo- 
riens de  la  gravure  ne  donnent  sur 
cet  artiste  que  des   renseignements 
inexacts  et  incomplets.  Christ  {Dict. 
des   monogram. ,   255),  Papillon 
(Histoire  de  la  gravure  en  bois) , 
etc. ,  persuadés  que  c'était  à  Woei- 
riot  qu'on  devait  attribuer  les  estam- 
jies  en  bois  marquées  de  la  double 
croix  de  Lorraine ,  qu'on  trouve  dans 
divers    ouvrages    imprimés    depuis 
i5a8,  placent  sa  naissance  dans  les 
premières  années  du  seizième  siècle. 
Jonheri (Man.  de  l'amat.  d'estam- 
pes,  III,  18))  s'est  donné  plus  de 
latitude  que  ses  devanciers  ,   en  la 
mettant  de  i5io  à  i525;  et  cepen- 
dant il  n'a  pas  mieux  rencontré.  Le 
portrait  de  Woeiriot ,  qu'on  trouve 
à  la  tête  de  l'ouvrage  dont  on  parlera 
tout-à-l'heure  ^  le  représente  à  l'âge 
de  vingt  -  quatre  ans.  Ce  portrait  est 
de  i556,  ou  au  plus  tôt  de  l'année 
précédente.  Ainsi  Woeiriot  était  ne' 
en  i53i  ou  i532.  Dans  son  mono- 
gramme ,  il  joint  aux  initiales  de  son 
nom  la  lettre  B.  On  en  a  conclu  qu'il 
était  de  Bar  le-Duc.  Mais  une  estam- 
pe de  cet  artiste,  qu'on  voit  au  cabi- 
net du  roi ,  est  signée  P.  TVoeriotius 
Bozœus  y  qui  certainement   n'a  ja- 
mais signifié  de  Bar-le-Duc.  Ce  n'est 
donc  point  dans  cette  ville,  mais  à 
Bozé  ou  Boiizy  ,  qu'il  avait  vu  le 
jour.  L'éducation  de  Woeiriot  n'a- 


(1")  Il  cci'it  de  cette  manière  son  nom ,  que  les 
nuleurs  de  l'IIisloire  de  la  gravure  ont  presqnc 
tons  défiguré. 


WOE 

vait  point  ctè  ncgligëe ,  même  sous 
le  rapport  lilleraire.  H  possédait  le 
latin  et  le  grec.  11  s'appliqua  de  bon- 
ne heure  à  l'art  de  ciseler  et  de  gra- 
ver les  métaux  ;  et  il  y  lit  de  rapides 
progrès.   S'il  eût  nommé  le  maître 
dont  il  reçut  les  premières  leçons  ,  il 
est  probable  que  Ton  connaîtrait  l'ar- 
tiste lorrain  à  qui  l'on  est  redevable 
des  jobes  estampes  qui  décorent  les 
ouvrages  de  Geoff'.  Tory  (  Vojez  ce 
nom)  et  plusieurs  livres  imprimés 
par  les  Colines ,  les  Estienne  et  les 
plus   célèbres  typographes   de    Pa- 
ris, dans  la  première  moitié  du  sei- 
zième siècle.   Woeiriot   s'établit    à 
Lyon   vers     i555.    Quoique     bien 
jeune,  il  égalait  déjà   les  meilleurs 
artistes,   par  la   force  et  la   déli- 
catesse  de  son  burin.  L*année   sui- 
vante,   il  y  publia   :  Pinax  iconi- 
cus  antiquorum  ac  variorum  in  se- 
jndturis  rituum  ex  Lilio  Gregorio 
(  Gyra!dio  Cynthio)  excerpta,  etc., 
Lugduni,  apud  Clément,  Baldinum^ 
i556,  pet.  in-8'\  obi.,  de  3^  feuilieîs 
non  cMlï'rés.  Cet  ouvrage  est  si  rare, 
qu'aucun  des  auteurs  qui  l'ont  cité  ne 
paraît  l'avoir  vu.  Ce  n'est  que  depuis 
peu  de  temps  que  la  bibliothèque  du 
Roi  en  possède  un  exemplaire.  Indé- 
pendamment du  frontispice ,  du  por- 
trait de  l'auteur  et  de  la  marque  du 
libraire,  placée  sur  un  feuillet  sépa- 
ré, le  volume  contient  neuf  gravures 
en  cuivre ,  toutes  signées  P.  Woei- 
riot, dont  le  nom  est  surmonté  de  la 
croix  de  Lorraine.  Dans  la  dédicace 
au  duc  Charles  de  Lorraine^  Woei- 
riot compare  ce  prince  à  Alexandre, 
ce  qui  l'amène  naturellement  à  se 
comparer  lui-même  à  Lysippe  et  à 
Apelle.  «  C'est,  dit-il,  leur  exemple 
que  je  me  suis  elforcé  d'imiter  dans 
l'un  et  l'autre  art  qu'ils  ont  cultivés, 
non-seulement  par  la  gravure,  mais 
dans  tous  les  ouvrages  que  j'ai ,  com- 


WOE 

me  un  autre  Tubal,  exécuté  en  bron- 
ze, en  fer,  en  argent  et  en  or  (ti).  » 
Il  nous  apprend  ensuite  qu'aju'cs 
avoir  gravé  ses  estampes,  il  les  avait 
imprimées  lui-même ,  et  rend  compte 
brièvement  de  ses  procédés;  ce  qui 
prouve  qu'ils  étaient  alors  encore  peu 
répandus  en  France  (3).  Le  nom  de 
Woeiriot  se  lit  au  bas  du  portrait  de 
Jacq.  Bornonius ,  jurisconsulte, 
avec  la  date  de  1673  (4).  Une  autre; 
pièce  de  ce  maître ,  conservée  au  ca- 1 
binet  des  estampes  du  roi ,  est  datée 
de  1576.  On  lui  attribue  les  gravures 
qui  décorent  le  Discours  d'Ant.  Le 
Pois,  sur  les  médailles,  imprimé 
en  15-9.  Woeiriot  était  alors  âgé 
de  cinquante  -  sept  à  cinquante-huit 
ans; mais  on  ne  connaît  de  lui  aucun 
ouvrage  qui  soit  postérieur  à  ceux 
qu'on  vient  d'indiquer.  Outre  plu- 
sieurs pièces  qu'il  a  gravées  d'après 
ses  propres  dessins ,  tels  que  le  Sacri- 
fice d^ Abraham  et  Mdise  sauvé  des 
eaux,  il  a  gravé  d'après  Raphaël, 
le  Peruzzi  et  quelques  autres  peintres 
d'Italie.  Christ .  Basan  (  Diction,  des 
graveurs  )  ,  Hiiber  (  Man.  des  cu- 


(2)  Ego  itaqiie  ad  illorum  exemphim  ,  quorum 
utriimque  arUm ,  non  moib  in  ^ropkicis  Inhui'S, 
sed  eliain  in  onini  operd,  ni  Tnhal  ille  Jielnœns , 
cens  etjerri,  argenli  et  ami  sludiosè  sum  conatus 
cemulari. 

(3)  Tabulas  equidnm  ex  cerejudi  el  expolii  • 
expolitas  iinaginum  tineamenti.i  ad  nionoi^rammos 
tisqtie  quàni  fieii  potiiit  ,  sprciosissimè  depinxi  : 
deind'e  sic  delineatas  scalpello  ac  cœlo  exaravi  : 
deniquè  exaratas  prœli  lornienlo  et  eucnusti  utra- 
menla  excudi.  Le  liîiiaire,  dans  sou  avertissement, 
ajoute  encore  quelques  détails  sur  cet  art,  qui 
méritent  d'être  recueillis:  Perfecimus  tandem, 
ut  (eneœ  istie  tal'ulœ  t  Lahorclissinio  aitijîciu  ah- 
solulœ  ,  et  non  ad  lypogrophicum  pra-luni  ,  sed  ad 
rotaruni  -volumen  excusa  ma^nis  lahotihus  ac  mnl- 
lo  teniporis  ac  rei  dispendio  quàni  cninculatissimè 
expressœ.  Le  Pinax  est  donc  un  des  pre^niiers 
essais  de  la  gravure  en  cuivre  qui  aient  été  faits  en 
France.  Celte  considération  seule  doit  lui  donner 
uu  grand  prix  aux  yeux  des  amateurs. 

^4)  Huber  ,  Joubert,  etc.,  disent  que  ce  por- 
trait est  eu  bois,  mais  un  examen  plus  attentif  fait 
présumer  qu'il  est  eu  cuivre.  C'est  l'opinion  de 
plusieurs  connaisseurs  dont  le  nom  paraîtrait  une 
autorité  décisive,  s'ils  nous  avaient  permis  de  le 
révéler. 


WOI 

ru'ux),  les  auteurs  des  Notices  suj^les 
i^ravcurs  (  V.  Bavkrel  ,  au  Suppl.)^ 
Juubcrt,  Brulljot  (Dict.  des  mono- 
gram.),  n'ont  indiqué  qu'un  très- 
jH'tit  nombie  de  morceaux  de  cet  ar- 
tiste. M  faudrait  des  recherches  lon- 
gues et  diiilciles  pour  parvenir  à  don- 
ner le  catalogue  complet  de  son  OEu- 
vre.  W — s. 

WOIDE  (  Charles  -  Godkfrid  ) , 
célèbre  orientaliste,  né  en  i']i5 , 
dans  la  Grande  -  Pologne ,  suivant 
((uelques  Liograjdies,  ou  en  Hollan- 
de ,  suivant  Chalmers;  fit  ses  élu- 
des à  Francfort-surd'Oder  et  à  Ley- 
de.  Il  fut  nomme,  à  Lissa  ,  ministre 
de  la  confession  socinienne  helvé- 
tique. Les  disscnters  anglais  l'ayant 
invité  à  venir  à  Londres ,  vejs  1770, 
il  y  exerça  le  ministère  à  la  cha- 
pelle hollandaise  de  la  cour.  Il  fut, 
j)îus  tard  ,  dans  la  même  ville  ,  pré- 
dicateur et  aumônier  à  la  chapelle 
hollandaise  du  palais  de  Savoy.  Il 
acquit  une  connaissance  profonde 
des  langues  orientales ,  et  fut  consi- 
déré comme  celui  des  savants  de  ce 
temps  qui  était  le  plus  versé  dans  la 
langue  copte.  La  société  des  anti- 
quaires l'admit  dans  son  sein  en 
1778.  Ce  fut  dans  cette  même  année 
qu'il  donna  ses  soins  à  des  éditions, 
sorties  des  presses  de  Clarendon  ,  à 
Oxford;,  de  la  Grammaire  égyptien- 
ne (  Grammatica  œg^yptiaca  utrîus- 
que  dialecti) ,  par  Scholfz,  et  du 
Lexicon  œgjptiaco  -  latimim ,  par 
Lacroze  (  F^,  Lacroze  )  •  deux  ouvra- 
ges que  leurs  auteurs  avaient  laissés 
manuscrits,  et  que  le  manque  de  ca- 
ractères égyptiens,  ou  peut-être  la 
crainte  d'y  perdre  les  frais  d'impres- 
sion avait  fait  négliger.  L'université 
d'Oxford  pourvut  à  la  dépense  né- 
cessaire pour  les  mettre  au  jour. 
Woide  fut  invité  ,  mais  trop  tard , 
à  enrichir  de  quelques  additions  le 


WOI  121 

Dictionnaire  égyptien  ;  et  elles  ne 
purent  être  faites  qu'aux  trois  der- 
nières lettres.  Il  abrégea  la  gram- 
maire ,  et  de  deux  volumes  in- 4*^-  ^à 
réduisit  de  manière  à  pouvoir  la  pla- 
cer à  la  suite  du  Dictionnaire ,  en  un 
seul  volume  de  ce  format.  Woide  fut 
nommé  ,  en  1 78*2 ,  sous  -  bibliothé- 
caire au  musée  britannique.  L'uni- 
versité de  Copenhague  lui  avait  con- 
féré le  degré  de  docteur  en  théolo- 
gie. Celle  d'Oxford  le  créa  docteur 
en  droit,  en  1786.  Alors  il  publia 
sa  précieuse  édition  du  Novum  Tes- 
tamentum  grœcum  ,  e  codice  ma- 
nuscripto  Âlexandrino ,  qui  Londi- 
7ii  in  Bill,  musœi  hritamiici ,  etc. , 
ex  prelo  Johan.  Nicliols ,  tjpis 
Jacksonianis ,  in -fol.  C'est  sur  celte 
édition  que  repose  la  réputation  de 
Woide.  Avant  delà  rendre  publique,  il 
avait  envoyé  le  manuscrit  autogra- 
phe à  l'académie  de  Cracovie,  qui  le 
conserve  précieusement  dans  sa  bi- 
bliothèque. L'histoire  de  ce  manus- 
crit (  I  ) ,  ainsi  perpétué ,  dit  Nicliols, 
f)ar  un  exact y<îc  simile,  se  lit  dans 
a  savante  préface  de  l'éditeur ,  qui 
fut  réimprimée  avec  des  notes  de 
G.-  L.  Spohn,  à  Leipzig  en  17(^0  , 
un  vol.  in-80.  de  476  pages  :  TFoi' 
dii  notilia  codicis  alexandrini ,  etc. 
Ce  savant,  qui  était  membre  de  la 
société  royale  depuis  1788,  mourut 
à  Londres,  au  mois  de  mai  1790,  des 


.  (i'  Ce  manuscrit,  qui  paraît  avoir  été  écrit  en 
Egypte  par  une  dame  nommée  Teola,et  d'autres 
religieuses,  après  le  concile  de  Nirée ,  ajiparle- 
nait  au  patriarche  grec  d'Alexandrie.  Cyrille  Lucar 
l'apporta  ensuite  à  Constaiitiuople ,  et  en  fit  don  au 
roi  d'Angleterre  Charles  II.  Patrick  Young  s'em- 
pressa de  le  conférer  avec  d'autres  manuscrits,  se 
proposant  de  le  laire  imprimer  en  caractcres  coiv- 
îbrmes  à  l'original  ;  mais  il  n'en  fit  paraître  (i643) 
qu'un  spécimen  contenant  le  i".  chapitre  de  la 
Genc'se,  accompagné  de  notes.  Le  y  élus  Tesla- 
mentiiin  ,  d'après  le  même  manuscrit  alexaiidrin, 
fut  publié,  en  1707-179.0,  par  J.-E.  Grabe  (  f^.  ce 
nom").  On  trouve,  sur  le  matériel  de  ce  manuscrit, 
quelques  détails  dans  ]es  Litcrarjy  anecdotes ,  par 
Nichols  ,  t.  IX  ,  p.   10  et  suiv. 


1 11 


WOL 


suites  d'une  attaque  d'apoplexie  dont 
il  fut  frappe  dans  le  salon  de  sir  Jo- 
seph Banks  (  F.  ce  nom  au  Supplé- 
ment). L. 

WOKEN  (  François  )  ,  savant 
orientaliste  et  tlie'ologien  distingue, 
ne  en  i685  à  Ravin  ,  en  Pomëranie , 
fut  nomme  en  i']i'\  professeur  de 
philosophie  à  Leipzig,  et  en  1727 
professeur  d'hébreu  et  de  langues 
orientales  à  l'université  de  Wit- 
tenberg  ,  où  il  mourut  le  18  fé- 
vrier 1734.  H  a  laissé  près  de 
quatre  -  vingts  ouvrages  tant  en 
latin  qu'en  allemand,  dont  la  bio- 
graphie de  Jœcher  donne  la  nomen- 
clature. La  plupart  sont  relatifs  à 
l'explication  des  livres  saints  ou  à  des 
controverses  théologiques  ;  les  au- 
tres roulent  sur  les  langues  orienta- 
les, sur  la  philosophie  ou  sur  des 
particularités  biographiques.  Les  plus 
estimés  sont  :  L  T ex  tus  veteris  Tes- 
tamenti  ab  enallages  et  hfpallages 
vitio  liberatus  ,  Leipzig  ,  1726  , 
in-80.  IL  Moses  harmonicus ,  seu 
Harmonia  veteris  et  novi  Testa- 
menti  _,  Leipzig  ,  1730,2  vol.  in-4°. 
Cet  ouvrage  offre  des  vues  remar- 
quables, des  raisonnements  solides 
et  des  rapprochements  ingénieux. 
IIL  Meletemata  antiqiiaria  ,  phi- 
lologico-critica  ,yV  \iteuher^ ,  1730, 
in-4°.  IV.  Bihliotheca  theologica  , 
philosophica  ,  historica  ,  Witten- 
berg,  1732  ,  in-80.  V.  Liber  de  el- 
lipsibus  è  textu  biblico  hebrœo  sol- 
licité eliminandis ,  ibid. ,  in-4°.  VL 
Mémoires  pour  l  Histoire  de  la  Po- 
mëranie (  ail.  ) ,  ibid.    G-y  et  P-ot. 

WOLBODON  (Saint), évêque  de 
Liège,  descendait  d'une  famille  il- 
lustre du  comté  de  Flandres.  Doué 
des  dispositions  les  plus  rares  pour 
l'étude ,  il  fit  de  rapides  progrès 
dans  les  lettres ,  et  ayant  embrassé 
la  vie  religieuse   fut  nommé  recteur 


WOL 

ou  écolâtre  du  chapitre  d'Utrechl 
dont  il  devint  prieur.  Le  zèle  avec 
lequel  il  défendit  les  droits  de  son 
chapitre  contre  l'empereur  Hen- 
ri II  ne  l'empêcha  pas  d'obtenir  la 
bienveillance  de  ce  prince  qui  le  fit , 
dit-on,  son  chapelain  ,  et  ensuite  sou 
chancelier.  Sestalents,etplus  encore 
ses  vertus,  relevèrent,  en  1018,  sur 
le  siège  épiscopal  de  Liège  ;  mais  il 
ne  l'occupa  que  peu  de  temps  ,  et 
mourut  le  10  avril  1021.  Les  restes 
du  saint  prélat  furent  inhumés  dans 
l'église  Saint-Laurent,  où  l'on  voyait 
son  épitaphe  rapportée  par  divers 
auteurs.  Le  nombre  des  miracles  qui 
s'opéraient  chaque  jour  à  son  tom- 
beau était  si  grand  ,  que  l'abbé  le 
conjura  de  n'en  plus  faire  ,  parce 
que  l'affluence  du  peuple  pourrait 
troubler  la  tranquillité  du  monastère. 
On  conservait  dans  le  trésor  de  la 
cathédrale  de  Liège  un  Psautier 
écrit  de  la  main  du  prélat ,  où  il 
avait  intercalé  des  prières  pleines 
d'onction.  La  Fie  de  saint  Wol- 
bodou ,  par  Reiner ,  moine  de  Liè- 
ge ,  en  ii3o,  a  été  insérée  dans 
l'ouvrage  deChapeauville  De  gestis 
episcopor.  Leodevsium  ;  dans  les 
J4cta  sanctorum  ord.  S.  Benedicti 
de  Mabillon  (  Sec.  ri  ,  pars  i  , 
l74-5i),  et  avec  une  autre  Vie  ano- 
nyme dans  le  Recueil  des  Bollan- 
distcs  ,  au  21  avril ,  jour  où  l'Église 
honore  la  mémoire  de  ce  i-aint  pré- 
lat. On  trouve  une  courte  notice  sur 
Wolbodon  àsiUsV Histoire  littéraire 
de  la  France  ,  vu,  243.     W-s. 

WOLCOTT  (Roger),  gouver- 
neur du  Connecticut,  né  à  Windsor 
dans  l'Amérique  du  nord  ,  en  1679, 
était  fils  d'un  fermier  qui  eut  beau- 
coup à  souffrir  des  incursions  que  fi- 
rent dans  sa  province  les  Sauvages 
indiens ,  et  qui  ne  put  donner  à  ses 
enfants  qu'une  éducation  fort  incom- 


J 


WOL 

plèle.  Dès  i'âge  de  vingt  ans  "Roger 
se  livra  à  des  spéculations  agricoles, 
et  parvint  à  Ibrce  de  travail  et  d'é- 
conomie à  se  faire  une  fortune  consi- 
dérable. Eu  1711  ,  il  fut  nommé 
commissaire  des  troupes  de  sa  pro- 
vince qui  marclièrcnt  contre  les 
Français  dans  le  Canada  ,  et  dès- 
lors  il  suivit  la  carrière  des  armes  , 
où  il  obtint  un  avancement  rapi- 
de. En  T747  7  il  se  trouvait  comme 
major- gênerai  à  la  prise  de  Louis- 
bourg  ,  et  fut  ensuite  membre  de 
l'assemblée  et  du  conseil,  puis  juge 
de  la  cour  du  comté  ,  et  enfin  gou- 
verneur de  sa  province  ,  place  qu'il 
occupa  depuis  i^Si  jusqu'en  1754. 
Il  mourut  en  1767.  On  a  de  lui  : 
I.  Méditations  poétiques  ,  l'j'iS  , 
avec  une  préface  de  Buikley.  IL 
Lettre  à  M.  Hohard  sur  les  églises 
coîigré Rationnelles  d' Angleterre  , 
1761  ,  in-8*^.  in.  Récit  abrégé  de 
Vagence  de  Jean  Winthrop  à  la 
cour  de  Charles  II ,  en  1662.  (  V. 
Winthrop  ).  Cet  ouvrage  ,  conser- 
vé dans  la  collection  de  la  société 
historique ,  contient  une  relation  dé- 
taillée de  la  guerre  qui  eut  lieu  ,  à 
cette  époque  ,  dans  les  colonies 
anglaises  de  rÀmérique.  —  Eraste 
WoLcoTT,  fils  du  précédent ,  né  en 
1723,  commanda  un  régiment  de 
milices  dans  la  guerre  de  l'indépen- 
dance américaine  ,  fut  ensuite  juge, 
puis  membre  du  congrès,  et  mourut 
en  1795.  On  lui  doit  V\n  petit  Traité 
sur  la  religion. —  OZw/er  Wolcott, 
frère  du  précédent,  né  en  1727  , 
commanda  une  compagnie  de  mili- 
ces dans  la  guerre  contre  la  France, 
et  se  retira  bientôt  après  du  service 
pour  s'appliquer  à  l'étude  de  la  mé- 
decine. Mais  il  fut  presque  aussitôt 
détourné  de  ce  projet  par  la  place 
de  haut-shérif  du  comté  de  Litch- 
fiel  qu'on  lui  conféra,  et  qu'il  rem- 


WOL  ia3 

plit  avec  distinclion  pendant  qua- 
tor7>c  ans.  Elu  dej)i:is  membre  du 
congrès ,  qui  proclama  l'indépendan- 
ce des  États-Unis ,  il  fut  l'un  des 
plus  ardents  promoteurs  de  cette 
mesure,  et  fut  nommé ,  en  1 796  ,  au 
gouvernement  de  Connecticut.  11 
ne  jouit  pas  long -temps  de  cette 
marque  de  confiance  accordée  à  ses 
services;  car  il  mourut  Tannée  sui- 
vante à  l'âge  de  soixante-dix  ans. 
Une  incoriuplible  intégrité  ,  une 
inébranlable  fermeté,  formaient  les 
traits  distinctifs  de  son  caractère.  Z. 
WOLCOTT  (  John  )  ,  poète  an- 
glais, plus  connu  sous  le  nom  de  Pe- 
ter-Pindar,  né  en  1 7.38  à  Dodbrook, 
dans  le  comté  de  Devon ,  était  fils 
d'un  fermier.  Un  maître  d'école 
d'une  petite  ville  voisine  l'instruisit 
dans  le  latin  et  le  grec  j  et  il  fut 
envoyé  en  France  pour  achever 
ses  études  ,  puis  reçu  comme  ap- 
prenti par  son  oncle,  chirurgien-apo- 
thicaire à  Fov^'ey  en  Cornouaille  , 
qui  voulait  en  faire  son  successeur. 
Wolcott  fit  des  progrès  dans  cette 
profession^mais  en  même  temps  il  des- 
sinait beaucoup ,  et  s'occupait  encore 
plus  de  poésie.  On  dit  qu'il  aimait  à  se 
retirer  dans  les  ruines  d'une  tour  bâ- 
tie sur  un  rocher  au  bord  de  la  mer, 
et  qu'il  s'y  livrait  tout  entier  à  des 
inspirations  poétiques.  Il  se  rendit  à 
Londres  pour  se  perfectionner  dans 
la  chirurgie,  et  revint  ensuite  auprès 
de  son  oncle  qui  était  l'apothicaire 
de  la  famille  ïrelawney.  En  1769, 
sir  William  Trelawney  ayant  été 
nommé  gouverneur  de  la  Jamaïque , 
Wolcott  l'accompagna  dans  cette 
colonie ,  avec  le  titre  de  médecin  du 
gouvernement,  malgré  l'opposition 
de  son  oncle  qui  déplorait  vivement 
l'inconstance  de  ses  goûts.  Dans  la 
navigation,  sous  le  beau  climat  des 
Canaries,  il  composa  plusieurs  pièces 


124  WOL 

de,  vers  pleines  de  verve.  Arrivé  ^Ha 
Jamaïque,  son  epictiréisme  céda  aux 
influences  du  climat  ;  il  amusait  le 
gouverneur  par  sa  gaîle'^  exerçait  un 
peu  la  médecine  sous  le  titre  de  mé- 
decin en  chef  de  l'île,  et  passait  Ja 
plus  grande  partie  de  son  temps  dans 
la  joie.  Un  Jour  il  lui  prit  fantai- 
sie de  remplacer  le  recteur  de  la 
principale  paroisse  qui  venait  de 
mourir,  et  il  monta  en  chaire  avec 
la  permission  du  gouverneur  ,  qui 
trouva  sans  doute  plaisant  d'entendre 
prêclier  un  médecin  qui  se  moquait 
de  tout,  et  qui  aimait  trop  les  joies 
de  ce  monde  pour  songer  beau- 
coup à  l'autre.  Mais  le  protecteur  de 
Wolcott  vint  h  mourir,  et  il  fallut 
bientôt  renoncer  à  la  vie  volup- 
tueuse des  colonies.  Il  revint  vers 
son  oncle  ,  qu'il  perdit  aussi  peu 
de  temps  après  j  il  liérita  de  lui ,  et 
alla  s'établir  comme  mérk^iu  dans 
la  petite  ville  de  Truro.  Là  ,  il  com- 
posa des  satires  ,  dessina  de  temps 
en  temps  des  caricatures,  mystifia  ses 
voisins ,  et  se  fit  des  querelles  avec 
beaucoup  de  monde.  Ayant  perdu  un 
procès  contre  l'autorité  municipale  , 
il  abandonna  cette  petite  ville  pour 
Helstan,  d'où  il  se  retira  à  Exeter. 
Ce  fut  à  Truro  que  Wolcott  composa 
ses  meilleures  odes  ,  entre  autres 
celle  qu'il  adressa  à  Gambria  ,  mon- 
tagne de  la  Cornouaille  ,  et  que  l'on 
met  à  coté  des  meilleures  odes  de 
Collins  et  même  deGray.  Dans  cette 
retraite  obscure  il  aida  quelques  ta- 
lents naissants  ,  dont  il  avait  su 
apprécier  le  mérite.  De  ce  nom- 
bre fut  Jobn  Opie  (  Fqy.  Opie  ) , 
simple  charpentier  ,  qui  ,  grâce  à 
ses  encouragements,  devint  un  pein- 
tre fameux.  Wolcott  possédait  lui- 
même  un  talent  fort  agréable  en  pein- 
ture, et  en  même  temps  il  cultivait  la 
musique  et  compo.'ait  de  jolies  ro- 


WOL 

^nâncës!  Cependant  son  goût  domT 
nant  le  portait  vers  la  raillerie  et  la 
satire;  il  débuta  ,  en  l'j'yB  ,  dans  la 
poésie  satirique  par  nne  épître  ou 
une  pétition  aux  auteurs  des  Re- 
vues littéraires.  Il  s'était  établi 
l'année  précédente  à  Londres ,  et 
y  avait  conduit  son  protégé  Opie, 
qui  y  eut  de  grands  succès.  Il  lança 
alors  dans  le  monde  une  critique  très- 
amère  de  l'exposition  des  tableaux 
et  dessins ,  sous  le  titre  d' Odes  lyri- 
ques, aux  académiciens  roj  aux,  par 
Peter-Pindar ,  parent  éloigné  du 
poète  de  Thèhes ,  in85.  Quelques 
grandes  réputations  ,  entre  autres 
celle  de  Benjamin  West,  y  étaient  at- 
taquées sans  ménagement.  Le  succès  de 
cette  critique  encouragea  le  poète,  et 
l'année  suivante  il  en  lit  une  seconde  j 
eniin,  il  devint  de  plus  en  plus  har- 
di. Le  roi,  étant  uu  jour  à  table  , 
avait  aperçu  sur  son  assiette  un  in- 
secte dégoûtant  ;  aussitôt  l'ordre  fut 
donné  de  raser  toutes  les  têtes  des 
cuisines  royales  :  aucun  marmiton  , 
aucun  cuisinier  ne  put  se  soustraire  à 
cet  ordre  sévère.  Ce  fut  pour  Wolcott 
le  sujet  d'un  poème  burlesque ,  The 
Lousiad ,  dans  lequel  le  monarque 
fut  traivf  un  peu  lestement.  11  paraît 
que  les  ministres  eurent  d'abord  Tin- 
lention  de  poursuivre  l'auteur  ;  mais 
ils  furent  retenus  par  la  crainte  du 
ridicule  et  par  la  vérité  du  fait. 
Du  reste  le  poète  ne  les  ménagea 
pas  plus  que  leur  maître  ;  Pitt  sur- 
tout fut  p.oursuivi  avec  beaucoup 
d'aigreur  ,  particulièrement  dans 
V Elégie  sur  la  taxe  de  la  j)Oudre  à 
poudrer  ,  et  dans  son  Epître  à 
un  ministre  tombant.  La  couleur 
politique  des  écrits  de  Wolcott  sem- 
l)lait  le  ranger  parmi  les  ennemis  du 
trône;  on  dut  être  fort  surpris  de 
voir  celui  qui  avait  fait  si  vertement 
la    leçon   aux  rois  ,  exprimer  son 


WOL 

indignation  contre  leurs  adversai^ 
res,  lorsqu'il  publia  en  1791  les  Odes 
à  (  Tiioinas  )  Paine  ,  auteur  des 
Droits  de  l'iiommc  ,  sur  le  projet  de 
célébrer  la  chute  de  V  empire  fran- 
çais,  par  une  bande  de  démocrates 
aji^lais,  le  ï^  juillet,  10  pages  in- 
4".  Wolcott  coin[)osa  plus  taid  une 
satire  intitulée  Eglogue  urbaine  , 
contre  les  JiiographeS  qui  recueil- 
lent les  moindres  détails  de  la  vie 
des  hommes  célèbres,  comme  Bos- 
well  venait  de  le  faire  dans  la  Vie 
de  Jolinson.  Mais  à  son  tour  il 
fut  chansonnë  par  Gifford ,  auteur 
du  poème  satirique  the  Bawiad.Yn- 
rieus.  de  cette  attaque,  Wolcott  court 
à  la  boutique  du  libraire  ,  et  donne 
des  coups  de  canne  à  son  adversaire 
qui  riposte  de  la  mrme  manière  j  ou 
finit  par  mettre  Wolcott  à  la  porte. 
Cette  affaire  lit  grand  bruit  dans  les 
journaux  (1800).  On  publia  même 
à  ce  sujet  un  récit  burlesque  :  Le 
combat  des  Bardes ,  poème  héroï- 
que en  deux  chants  j  avec  une  pré- 
face et  des  notes,  1  vol.  in-4**.  Une 
autre  allaire  conduisit  le  poète  devant 
la  justke.  Plus  que  sexagénaire,  Wol- 
cott fut  traduit  à  la  cour  du  banc  du 
roi,  comme  prévenu  d'adultère-  mais 
il  fut  acquitté  ,  et  Ton  préti  nd  que  le 
mari,  son  accusateur,  n'avait  voulu 
que  se  faire  donner  de  l'argent.  On 
raconte  qu'ayant  été  attaqué  d'une 
maladie  asthmatique  en  1793,  il 
fut  presse  par  des  libraires  de 
leur  céder  la  propriété  de  ses  ou- 
vrages ,  moyennant  une  rente  via- 
gère de  deux  cents  livres  sterling. 
Le  rusé  poète  accepta  cette  proposi- 
tion ,  puis  il  s'en  alla  dans  son  pays 
habiter  la  campagne.  L'air  salubre 
du  Devon  et  de  Cornouaille  eut  une 
influence  si  heureuse  sur  sa  santé , 
qn'il  revint  parfaitement  guéri  à 
Londres  ,  au  grand  ctonncmcnt  des 


WOL 


125 


libraires,  qui  moururent  tous  avant 
lui.  Wolcott  alors  recommença  ses 
travaux;  il  lit  des  vers  satiriques  sur 
les  événements  publics,  soigna  une 
nouvelle  édition  du  Dictionnaire  des 
peintres ,  ])ar  Piikington ,  publia  un 
choix  des  Beautés  de  la  poésie  an- 
glaise ,  ainsi  qu'une  tragédie  ano- 
nyme ,  intitulée  :  la  Chute  du  Por- 
tugal, qui  n'a  pas  été  jouée.  Alken  a 
gravé  à  Taqua-tinla  une  suite  de 
paysages  d'après  ses  dessins.  lis 
ont  été  publiés  sous  le  titre  de  Fues 
pittoresques.  Ayant  presque  perdu 
la  vue,  Wolcott  se  retira  dans  une 
maison  isolée,  près  de  Londres  ,  011 
il  composa  encore  quelques  pièces  de 
vers ,  entre  autres  le  Prologue  qui 
devait  être  prononcé  à  l'ouverture 
du  théâtre  de  Drury-Lane,  i8iJi  ,et 
une  Epitre  à  l'empereur  de  la 
Chine  ,  au  sujet  du  renvoi  de  l'am- 
bassadeur anglais,  lord  Amherst,  en 
18 17.  Cette  pièce  fut  son  dernier 
ouvrage  ;  il  mourut  à  Soraerston 
le  i3  janvier  1819.  Wolcott  avait 
désiré  être  enterré  dans  le  cimetière 
de  Covcnt-Garden  ,  près  du  tombeau 
de  Butler,  auteur  du  poème  à!Hudi- 
bras.  La  plupart  de  ses  poésies 
ont  perdu  de  leur  mérite,  étant  rem- 
plies d'allusions  qui  sont  devenues 
inintelligibles  et  sans  intérêt  pour  la 
postérité.  Une  nouvelle  édition  de 
ses  OEuvres  a  été  donnée  en  1816  , 
4  vol.  in-24-  On  trouve  dans  YAn- 
nual  biographf  and  obituarf  de 
i8'2o  une  Notice  étendue  sur  le  doc- 
teur Wolcott.  hit?>  Torys  ne  lui  par- 
donnaient point  d'avoir  raillé  la  cour, 
les  ministériels ,  le  clergé  5  lesWhigs 
n'étaient  pas  plus  contents  de  lui,  et 
les  uns  et  les  autres  avaient  des  re- 
proches fondés  à  lui  faire.  D — g. 
WOLDECK  D'ARNEBOURG 
(  Jean-George  ) ,  général  prussien , 
naquit  en  17  i:^  ,  dans  rAUmarck  ou 


jiCy 


VVOL 


Vicille-Mai'clic,  à  Storckovv,  seigneu- 
rie dont  il  devint  propriétaire ,  après 
la  mort  de  son  père,  il  lit  ses  pre- 
mières armes  dans  le  régiment  des 
gendarmes,  où  il  était  lieutenant  en 
1738.  Le  roi ,  Frédéric-Guillaume  , 
l'envoyait  chaque  hiver  en  Silésie  et 
dans  les  autres  contrées  de  l'empire, 
pour  y  lever  des  recrues.  Par  son 
adresse  il  sut  procurer  à  ce  prince 
des  hommes  de  la  taille  la  plus  éle- 
vée, tels  qu'il  les  desirait,  et  ob- 
tint ainsi  sa  faveur  en  flattant  sa 
passion  dominante.  Il  fit ,  en  1  ^4  '  ? 
la  première  campagne  de  Silésie, 
et  dans  une  attaque  qui  eut  lieu  au 
mois  d'avril  174^?  ^^^  village  de 
Scliorwitz,  près  d'Olmutz,  il  se  dis- 
tingua tellement  que  Frédéric  11  lui 
envoya  l'ordre  du  Mérite.  A  la  ba- 
taille de  Sorr  ,  il  eut  un  cheval  tué 
sous  lui, et  mérita  ce  jour-là  que  le  roi 
le  nommât  sur  le  champ  de  bataille 
capitaine  de  l'état-major.  Il  était 
dans  le  régiment  de  Saxe,  lorsque  la 
guerre  de  Sepl-Ans  éclata  ,  et  à  la 
bataille  de  Lowosits  il  commanda 
ce  régiment.  Sa  belle  conduite  à 
Rosbach  et  à  Zorndorf  lui  fit  don- 
ner le  commandement  d'une  briga- 
de composée  de  deux  régiments 
de  cuirassiers.  En  1760  ,  après  la 
bataille  de  Torgau  ,  il  fut  nommé 
colonel ,  et  en  1764  ,  le  roi  lui  ayant 
donné  un  régiment  qui  devait  porter 
son  nom,  et  l'ayant  nommé  chef  de 
celui  des  cuirassiers  de  Schraettau  y 
le  fit  major- général  de  cavalerie. 
Woideck  mourut  le  4  janvier  1785. 
G— Y. 

WOLDEMAR  ou  WOLMAR  , 
rois  de  Danemark.  F,  Valdemar, 
XLVI1,^8^.  89. 

W  0  L  F  (  JÉRÔME  ) ,  naquit ,  en 
1 5 16, d'une  famille  ancienne  et  dis- 
tinguée ,  dans  la  principauté  d'OEt- 
tingen  en  Souabe.  11  fit  d'alund  de 


WOL 

grands  progrès  dans  le  grec  et  le  la- 
tin, à  Nordlingue ,  puis  à  Nuremberg; 
mais  la  faiblesse  de  son  tempérament 
bilieux  et  mélancolique  le  fit  tomber 
malgré  sa  jeunesse  dans  une  espèce 
de  misanthropie.  Son  père  ,  pour  le 
distraire  des  idées  sombres  aux- 
quelles il  se  livrait ,  le  retira  de 
ses  étiîdes  ,  et  le  plaça  auprès 
du  chancelier ,  comte  d'OEttingen. 
Il  en  mérita  la  confiance  par  sa 
probité,  sa  modestie  et  son  assi- 
duité au  travail  ,•  mais  quelques  désa- 
gréments qu'il  éprouva  dans  cette 
piace  le  rejetèrent  bientôt  dans  son 
humeur  noire.  La  lecture  trop  sérieuse 
des  poètes  grecs  et  latins  lui  écliauffa 
la  tête,  de  sorte  que  son  père,  déses- 
pérant de  le  voir  réussir  dans  la  juris- 
prudence, l'envoya  reprendre  ses  étu- 
des à  Tubingue.II  passa  de  là  à  la  cour 
de  l'évêque  de  Wiirtzbourg ,  d'où  le 
bruit  que  faisaient  alors  Luther,  Mé- 
lanchthon  et  Amerbach  ,  par  leurs 
prédications,  l'attira  à  celle  de  Wit- 
temberg.  Il  s'attacha  aux  sectaires. 
Mais,  son  humeur  inquiète  ne  lui  per- 
mettant de  se  fixer  nulle  part,  il  me- 
na une  vie  errante, touj  ours  aux  prises 
avec  le  besoin  ,  et  faisant  la  fonction 
de  maître  d'école.  On  lui  confia  l'é- 
ducation de  plusieurs  jeunes  gens  de 
qualité ,  avec  lesquels  il  fit  le  voyage 
de  Paris.  Vascosan,  Ramus,  Turnè- 
be  et  les  autres  savants  de  France 
l'accueillirent  ;  mais  les  invectives 
de  Strazel,  professeur  royal,  contre 
sa  traduction  de  Démosthène,  l'o- 
bligèrent de  quitter  cette  ville.  11  re- 
vint à  Baie  dans  un  état  pitoyable. 
Ses  amis  ,  mécontents  de  son  incons- 
tance, le  reçurent  froidement.  Il  pu- 
blia dans  cette  ville ,  en  1 547  •>  "*^^ 
édition  de  Zonare^  avec  une  traduc- 
tion latine,  où  il  jugea  à  propos  de 
changer  la  division  de  l'auteur,  qui 
est  en  àç-x^^  parties ,  et  de  la  mettre 


I 


WOL 

en  trois.  Ducaiige,  qui  en  a  donne 
plus  tard  une  nouvelle  édition  ^  a  ré- 
tabli la  division  fixée  par  l'auteur 
et  corrige  la  traduction  de  Wolf. 
Enfin  il  trouva  un  asile  à  Augsbourg, 
chez  Fugger,  qui  lui  procura  la  pla- 
ce de  principal  du  collège  et  celle  de 
bibliothécaire.  Il  eut  beaucoup  à 
combattre  contre  son  inquiétude  na- 
turelle, pour  se  fixer  dans  cette  ville, 
où  il  mourut  de  la  pierre  en  i58i. 
C'était  un  honnête  homme  et  d'un  sa- 
voir profond  ;  mais  il  avait  la  tête 
faible.  11  crut  à  l'astrologie  judi- 
ciaire, et  chercha  dans  l'inllucncedes 
astres  la  cause  de  ses  raaiheuis ,  qui 
ne  proveuaicnt  que  de  son  caractère 
inquiet^  ombrageux,  tout  à-la- fois 
timide  et  orgueilleux,  passant  rapi- 
dement d'une  extrême  confiance  au 
plus  grand  désespoir.  11  s'était  mis 
en  tête  que  le  diable  le  poursui- 
vait continuellement,  que  les  magi- 
ciens le  persécutaient,  que  ses  ali- 
ments étaient  pleins  de  vers,  d'arai- 
gnées ,  etc.  Tous  ces  travers  ne 
l'empêchèrent  pas  de  se  rendre  très- 
habile  dans  le  grec  ,  et  de  composer 
des  ouvrages  fort  utiles.  Les  prin- 
cipaux sont:  I.  Des  traductions  élé- 
gantes et  des  additions  accompa- 
gnées dénotes  savantes,  à'Isocrate, 
de  De'jnosthène  ,  d'Epictète ,  des 
Scolies  de  Démophile  sur  le  Tctra- 
hihlon  de  Ptolémée ,  de  Suidas ,  de 
Zonare,  de  Nicétas  ,  de  Léonicus 
Chalcond^las  y  Aq  Nicéphore  Gré- 
goras ,  etc.,  Je  tout  à  Baie,  chez 
Oporin.  11.  Nicephori  historia  hy- 
zantina  y  grœcè  et  latine.  Baie, 
i56'2  ,  et  Paris,  170'^,  1  vol.  in-fol. 
Dans  son  édition  de  Grcgoras,  Boi- 
vin  a  retouché  la  version  de  Woif , 
et  il  y  a  ajouté  beaucoup  de  notes. 
On  reproche  au  savant  traducteur  la 
témérité  avec  laquelle ,  dans  le  texte 
grec  de  ses  éditions ,  surtout  dans 


WOL  127 

celui  de  Démosthène ,  il  insère  des 
corrections  fondées  sur  ses  seules 
conjectures.  III.  De  vero  et  licito 
astrologiœ  usu.  IV.  De  expeditd 
lUriusque  linguœ  discendœ  ratione, 
V.  Beaucoup  de  Notes ,  scolies  y 
commentaires  ,  entre  autres  sur  le 
tableau  de  Cebès,  le  songe  de  Sci- 
pion  ,  etc.  VI.  Judicium  de  poetis 
legendis.  VII.  Elegia  in  stuporem 
Germaniœ.  C'est  à  tort  qu'on  lui 
a  attribué  un  catalogue  des  manus- 
crits de  la  bibliothèque  d'Augsbourg 
(  F.  le  Répertoire  bibliographique 
universel  de  M.  Peignot,  page  4^)» 

T-D. 

WOLF  (  Jean  ) ,  médecin ,  né  à 
Berg-Zabern  ,  dans  le  pays  de  Deux- 
Ponts  ,  le  10  août  1537,  fut  pro- 
fesseur à  l'université  de  Marpourg  , 
pratiqua  long -temps  avec  suc- 
cès ,  et  devint  médecin  du  land- 
grave de  Hesse ,  qu'il  guérit  des  hé- 
morrhoïdes  par  un  remède  dont  ce 
prince  lui  acheta  le  secret  moyennant 
la  rente  viagère  d'un  bœuf  gras  tous 
les  ans.  Il  est  probable  que  ce  secret 
n'était  autre  chose  que  l'onguent  de 
linaire.  J.  Wolf  mourut  le  i^^. 
juillet  1616  ,  après  avoir  publié 
plusieurs  dissertations  latines  sur 
l'hypochondrie,  l'épilepsie,  l'asth- 
me ,  le  scorbut,  le  catarrhe  , 
la  pleurésie^  la  fièvre  maligne,  la 
fièvre  intermittente  quarte,  toutes 
dissertations  qui  virent  le  jour  sépa- 
rément et  à  didérentes  époques.  On  a 
encore  de  ce  médecin  :  1.  De  acidis 
wildungensibus  earumque  mineris, 
naiurd ,  viribus  ,  ac  usûs  ratione , 
Marpourg,  i58o,  in-4°'  H-  Versio 
latina  decem  dialogorum  Joannis- 
Bapt.  de  Gello  ,  de  naturœ  huma- 
nœ  fabricd ,  Amberg  ,  i6og ,  in- 12. 
III.  Exercitationes  semeioticœ  in 
Galeni  de  locis  ajfectis  libros  sex , 
Helmstadt,   1620,   in-4«.  IV.  De 


viS 


WOL 


aqud  vilce  juniperind  epislola  , 
avec  les  observations  mcdicales  de 
Greg.  Horstins,  Ulm,  i(3y.8,iii-4''- , 
p,  4i  ï*  — On  a  quelquefois  confon- 
du cemedeciii  avec  son  frère  jumeau 
Jean  Wolf,  jurisconsulte,  qui  fut 
attaché  au  duc  de  Deux-Ponts^  et 
devint  ensuite  conseiller  du  margrave 
do  Bade.  Il  mourut  à  liei'bronn  ,  où 
il  s'était  retire,  le  2 3  mai  1600.  On 
a  de  lui  :  I.  Clavis  historiarum.  IL 
Tahulœ  Jïinemonicœ  historiœ  uni- 
versalis.  111.  Lectiones  memorahi- 
les  et  reconditœ  y  seu  opéra  theo- 
logico-historico-poUtica y  Francfort , 
107:2  ,  2  vol.  in-fol.  On  lui  doit  en- 
core de  nouvelles  éditions  des  ouvra- 
ges historiques  de  llob.  Gaguia  et 
d'Alb.  Krantz  (  Fof.  ces  noms  ). — 
Wolf  {Gaspard) ,  ne  à  Zurich  vers 
t5'25  ,  étudia  la  médecine  à  Montpel- 
lier,etyprit  ses  grades  en  i558.  Re- 
venu dans  sa  patrie,  il  fut  nommé  pro- 
fesseur de  physique  à  la  place  de  Con- 
rad Gesner  son  ami ,  et  joignit  ensuite 
à  cette  place  celle  de  professeur  de 
langue  grecque.  Il  mourut  en  1601 , 
ayant  composé  divers  écrits  re- 
marquables par  l'érudition  ,  entre 
autres  :  I.  Fiaticum  nowum  de  om- 
nium ferè  particularium  morbo- 
rùm  curatione ,  Zurich  ,  1 565  ,  in- 
\'î ,  deuxième  édition,  iS^S,  in- 
8".  II.  Folumen  Gjnœciorum ,  de 
muUerum  grai^idarum ,  parturien- 
tium  et  aliarum  naturd  et  morhis  ^ 
Baie,  i566,  i586^  in- 4*^.  ;  Stras- 
bourg ,  1597,  in-fol.  C'est  dans 
cette  collection  que  fut  publié  pour 
la  première  fois  le  traité  de  Mos- 
chion  sur  les  maladies  des  fem- 
mes. III.  Alphabeticum  empiricuni, 
sii^e  Dioscoridis  et  Stephani  Athe- 
niensis  de  remediis  expertis  liber, 
Zurich,  i58r,  in-80.  IV. />e  stir- 
pium  collectione  tabulée,  tùm  géné- 
rales ,  tùm  per  duodecim  menses , 


WOL 

Zurich,  1587,  in-8«.  V.  Tabula 
gêner alis  dii^ersorum  ponderum  : 
virorum  illastrium  alpliabeiica  enu-  • 
meratio  qui  de  ponderum  et  men- 
surarum  doctrind  scripserunt  (dans 
le  traité  De  ponderibus  de  Massa- 
ria).  Lié  avec  Conrad  Gesner,  Wolf 
en  publia  la  biographie,  avec  pro- 
messe d'être  l'éditeur  de  V Histoire 
des  plantes  de  son  ami  :  mais  il  ne 
livra  au  public  que  la  collection  des 
lettres  de  l'illustre  naturaliste.  — 
Wolf  {Jacques) ,  né  à  Naumbourg 
le  3o  décembre  16^2,  lit  ses  pre- 
mières études  médicales  chez  son  pè- 
re,  qui  était  apothicaire,  alla  les  ter- 
miner cl  Leipzig  ,  et  pratiqua  long- 
temps à  Altcubourg,  où  il  laissa  des 
regrets  quand  il  quitta  cette  ville  pour 
se  rendre  à  ïéna.  Il  y  obtint  une 
chaire  de  professeur,  et  mourut,  après 
l'avoir  occupée  qiiatre  ans  ,  le  ^5' 
juillet  1694.  Il  était  de  l'académie 
des  curieux  de  la  nature,  sous  le. 
nom  de  Socrate.  On  a  de  lui  dif- 
férentes Dissertations  :  I.  De  in- 
sectis  in  génère ,  Leipzig,  1669, 
in-4°-  IL  De  urinœ  incontinentid , 
léna  ,  1678 ,  in-  4"'.  HI.  De  littera- 
torum  potu ,  ejusque  usu  et  abusu  , 
léna  ,  1684  ,  iu-4'*.  IV.  Scrutinium. 
amuletorujn  m.edicum ,  Leipzig  et 
léna  ,  i()90  ,  in-4*'.  ,  Francfort, 
1692,  in-4^.  avec  l'ouvrage  de  Ju- 
les Reichelt,  intitulé:  Exercitatio- 
nes  de  amuletis.  Son  Éloge  se  trou- 
ve dans  le  Recueil  de  J.-G.  Zeumer. 
—  Wolf  (  Jean  -  Christian  ) ,  mé- 
decin ,  né  en  1678,  fut  l'éditeur  d'un 
ouvrage  utile,  laissé  manuscrit  par 
son  père  ,  Yves  Wolf ,  qui  avait  été 
chirurgien  du  prince  d'Anhalt,  sous 
ce  titre:  Obsen>ationum  chirurgico- 
medicarumlibri  duo,  cum  scholiis  et 
variis  interspersis  historiis  medicis, 
Quedlinbourg ,  1704,  in  -  8*^.  Ces 
Observations  roulent  sur  les  plaies , 


WOL 

les  tumeurs,  les  contusions  ,  etc.  — 
WoLF  {Pancrace),  médecin,    ne 
à  Altdorf  en  i(-)74;»  pratiqua  dans 
difï'crentcs  villes,  et  fut   professeur 
à  Halle.  Son  attachement  au  sys- 
tème de  l'école  mécanique  lui  suscita 
quelques    démêlés  avec  Alberti;   il 
eut  aussi  des  discussions  avec  Stahl, 
au  sujet  de  l'or  fulminant,  et  pub'ia, 
à  cette  occasion  :  Aiirlfulminantis 
defensio,  purgantis  in  fcbribus  acii- 
tis,  propter  orgasmuuL  tempesim , 
tutissimi ,  Halle,  1707,  in-zj.**.  On  a 
encore  de  lui  :  I.  Ilippocratis  regidcv 
de  febrium  crisibus  pcr  abscessus, 
erysipelata ,  etc. ,  Halle  ,  1 704  ,  in- 
4".  II.  Hippo Gratis  cautela ,  exem- 
plo    Halicarnassensis    super  venœ 
sectione  intempesWd  in  phrenilide 
et  deliriofebrili ,  Halle ^  1 706 ,  in-4.*^. 
m.  Fhfsica  Hippocratica,  qudex- 
ponitiir  Immance  natiirœ  mecanis- 
mus  geometrico-cliymicus ,  Leipzig, 
1 7  1 3 ,  in-8''.  IV.  Des  Dissertations  : 
De  ictero  ,  De  insomniis ,  etc.  Ou 
ignore  quand  mourut  ce   médecin. 
—  Woi.F  (  Gaspard  -  Frédéric  ) , 
anatomiste,    né  à  Berlin  en  1735, 
professeur  de  jiliysiologie  et  d'ana- 
toniie  à  Pétersbourg ,  où  il  mourut 
en   1 794 ,  a  f^iit  des  recherches  lu- 
uiiueuses  sur  le  mode  de  formation 
lu  canal  intestinal ,   et  son  opinion 
est  encore  aujourd'hui  dominante. 
Ses  écrits  sur  cet  objet ,  ainsi  que  sur 
'auatomie   du   cœur  ,   sont  insérés 
laus  les  Nova  Commentaria  Fe- 
rop.  On  a  encore  de  lui  :  Disserta- 
io  sistens  theoriani  generationis  ^ 
lalle,  1759,  in-4'^.  et  in-S"-'.;  trad. 
!n  allemand _,  Berlin,  1764,  in-  8^. 
R — D — N. 
WOLF  (  Jean-Latjrent  ) ,  savant 
anois  ,  était ,  vers  le  milieu  du  17^. 
iècle,  libraire  à  Gopenhague.il a  pu- 
lié  :  I.  Diarium^  seu  Calendarium 
cclesiasticum ,  poUticum  et  œcono- 

LI. 


WOL 


29 


inicum  perpeluum  ,  Go]>enhague  , 
1648,  in-4'^.  IL  Chroiiologia,  ab  ortu 
Christi  ad  annum  Christi  1648  , 
Copenhague,  1648  à  1662,  in  -  4". 
IIÏ.  De  exsequds  Cliristiaiû  F,  Co- 
penhague, 1648,  in-4^^  IV.  Enco- 
niion  regni  Daniœ ,  Copenhague, 
i65i  ,  in  4'^  V.  JVon^egia,  Islandia 
et  Groenlandia  illustrata ,  Copeii- 
hagiie,  i65i,  in-4^.  G — y. 

WOLF  ou  WOLFF  (  Jean- 
Chrétien  ,  baron  de  ) ,  célèbre  phi- 
losophe et  mathématicien,  naquit, 
le  24  janvier  1G79  ,  à  Breslaw  , 
où  sou  père  exerçait  la  profession  de 
brasseur.  On  peut  compter  WoKF 
au  petit  nombre  des  enfants  pié- 
coces  qui  sont  devenus  ensuite  des 
hommes  distingues.  Il  témoignait, 
dès  sa  plus  tendre  jeimesse,  un  ardent 
et  insatiable  désir  de  s'instruire ,  et 
annonçait  eu  même  temps  les  plus 
heureuses  dispositions.  Son  père,  au 
milieu  de  ses  travaux  ,  commença  ;à 
seconder  lui-mcme  ces  dispositions, 
eu  lui  enseignant ,  à  l'âge  de  8  ans ,  la 
langue  latine ,  comme  en  jouant,  et  ne 
négligea  rien  ensuite,  pour  lui  procu- 
rer des  maîtres  habiles.  Jl  étudia  an 
gymnase  de  sa  ville  natale,  qui  porto 
le  nom  de  Marie -Madeleine ,  la  phi- 
losophie du  temps,  qui,  comme  oii 
sait,  était  un  aristolélisme  encore 
tout  empreint  des  traditions  scolas- 
tiques.  11  y  excella  tellement  dans  le 
triste  art  de  la  dispute  ,  qu'il  était  en 
état  de  lutter  avec  ses  propres  maî- 
tres. Cependant,  d'après  ce  qu'il  ra- 
conte lui  -  même,  WollF  sentait  s'é- 
veiller eu  lui  l'esprit  inventif.  Il  en- 
tendit parler  des  travaux  de  Descar- 
tes ,  et  fut  impatient  de  se  procurer 
les  moyens  d'étudier  une  philo- 
sophie nouvelle  qui  répandait  alors 
tant  d'éclat.  Enflammé  d'une  géné- 
reuse émulation ,  il  conçut  l'idée  de 
rendre  à  la  philosophie  ]natique  le 

9 


i3o 


WOL 


même  service   que  Descartes  avait 
voulu  rendre  à  !a  pluiosopliietlicori- 
que  ,  par  l'application  des  méthodes 
mathématiques.   Cette   vue  ,  qui  le 
frappa  de   si  bonne  heure,   et   qui 
s'empara  pleinement  de  lui ,  fit  l'oc- 
cupaliou  de  sa  vie  entière.  Ce  fut 
dans  ce  dessein  qu'il  se  livra  avec 
ardeur  à  l'ëtude  des  séicnces  exactes. 
Il  puisa  dans  cette  étude  le  goût  de 
l'ordre  et  de  la  précision.  Il  y  apprit 
à  penser  d'après  lui  -  même ,  et  à  se 
créer  des  opinions  indépendantes.  A 
l'âge  de  vingt  ans ,  il  suivit  les  cours 
de  l'université  d'Iéna ,  et  vint  ensuite 
prendre  ses  grades  à  Leipzig.  Il  y  fit 
quelque  séjour,  et  soutint,  en  1701, 
sur  l'application  de  la  méthode  ma- 
thématique ,  une   thèse    qui   attira 
l'attention  des   savants  ,  et  mérita 
leurs  suffrages.  Là,  il  s'aida  des  con- 
seils et  des  exemples  de  Tscliirnhau- 
sen^  géomètre  lui-même  et  philoso- 
phe.  Burkhard  Munken  le  mit  en 
rapport  avec  Leibnitz  ^  qui  l'encou- 
ragea ,  et  avec  lequel  il  eut  le  bonheur 
d'entrer  en  correspondance.  Ainsi  se 
forma  l'éducation  philosophique  de 
Wolff.  Il  puisa  à  l'école  de  Descartes 
le  désir  d'une  réforme  ,  le  sentiment 
de   l'indépendance    néces^iire  pour 
l'opérer ,  et  l'idée  de  la  méthode  qu'il 
adopta. Il  puisa  à  l'écolede  ïschirn- 
hauscn    le   besoin  de  Tunité  systé- 
matique^ l'exemple  de  la  précision 
dans  le  langage,  l'exactitude  des  dé- 
finitions,la  dispositionàconcilieravec 
les  méthodes  ûj/^nor/ les  instructions 
de  l'expérience ,  et  surtout  celles  de 
l'expérience  intérieure,  dont  la  cons- 
cience est  le  théâtre.  A  l'école  de 
Leibnitz,   il  s'éleva   aux   sommités 
des  spéculations  mét.iphysiques  sur 
les  principes  élémentaires  des  êtres 
et  la  coordination  générale  des  phéno- 
mènes. Woîir  comprit  que  le  .moment 
élaitvenudcdonneràrAliemacjneunc 


WOL 

philosophie  nationale,  comme,  à  la 
même  époque,  elle  sollicitait  aussi  une 
littérature  indigène.  La  philosophie 
scolastiqiie  était  discréditée  :  Aristo- 
te ,  trop  confondu  avec  elle ,  avait 
vieilli  comme  elle  :   le  platonisme  , 
peu  connu,  manquait  d'ailleurs  d'un 
caractère  didactique. Thomasius  était 
resté  dans  des  régions  trop  vulgaires*. 
Descartes  avait  pris  un  vol  trop  har- 
di •  ses  succès  partiels  ne  pouvaient 
être  durables  :  Leibnitz  avait  posé  des 
bases,  mais  n'avait  point  construit 
un  édifice.  Wolff  osa  se  présenter 
pour   architecte.   Il  avait    d'abord 
dirigé   ses  vues    vers   le    ministère 
ecclésiastique  ;    mais  l'amour    des 
sciences  lui  fit  préférer  la  carrière 
de  l'enseignement.   Deux   Disserta- 
tions ,  l'une  sur  la  mécanique  et  {'au- 
tre sur  la  langue,  furent  ses  premiers 
essais  ,  après  sa  thèse.  Repoussé  d' 
bord  dans  quelques  démarches  po 
obtenir  une  chaire ,  il  se  vit ,  en  1 70 
appelé  à-la-fois  à  Giessen  et  à  HaU 
Il  préféra  cette  dernière  ville,  et 
fut  chargé  de  l'enseignement  des  m 
thématiques  et  de  la  physique.  Ses 
premiers  travaux  eurent  pour  ob]^ 
la  science  qu'il  était  chargé  d'expû 
ser  j  et  ce  fut  alors  qu'il  exécuta  e 
publia  ses  Éléments  de  mathémati 
ques ,  ainsi  que  la  plupart  de  ses  ou 
vrages  sur  le  même  sujet.  Mais  il  n 
tarda  point  à  payer  aux  sciences  phi 
losophiques  le  tribut  qu'elles  atten 
daient  de  lui.  11  leur  consacra  su 
cessivement  plusieurs  écrits,  et 
craignit  point  d'emprunter  la  lan^ 
nationalejexempIenouveaupourl'Al»- 
lemagne,  mais  dont  l'influence  dev 
être  salutaire,et  que  le  pub'icaccuei 
avec  une  juste  reconnaissance.  C 
ouvrages  détachés  ne  portaient  q 
le  titre  de  Pensées  sur  les  forces 
l'entendement  humain  ,  sur  Dieu  , 
monde    et    l'ame  humaine ,    etc 


TS 

1 


ue 


WOL 

l'cdigcs  sons  une  forme  plus  concise 
et  plus  simple  que  son  grand  corps 
de  philosophie  îatine  ,  quoiqu'ils 
aient  précède  celui-ci ,  ils  sont  cepen- 
dant plus  utiles  à  consulter  encore 
aujourd'hui ,  pour  faire  bien  connaî- 
tre les  systèmes  de  leur  auteur ,  com- 
me dans  le  temps  ils  décidèrent  de 
leur  succès.  Déjà ,  dans  le  monde  sa- 
vant ,  le  nom  de  Wollf  se  plaçait  à 
la  suite  de  celui  de  Leibnitz.  On  l'ap- 
pelait à  Wiltenberg,  à  Leipzig,  à 
Saint-Pétersbourg.  Le  roi  de  Prusse 
lui  décernait  le  titre  de  conseiller  de 
cour,  et  augmentait  ses  honoraires. 
Les  honneurs  littéraires  s'unissaient 
aux  applaudissements  de  ses  disci- 
ples, aux  sulfrages  de  l'opinion.  Ce 
triomphe  éclatant  et  rapide  ne  tarda 
pas  à  être  troublé  par  un  violent  ora- 
ge. Le  piétisme  régnait  alors  parmi 
les  professeurs  de  théologie:  ceux-ci 
concevaient  cha(jue  jour  contre  la 
philosophie  de  leur  collègue  les  pré- 
ventions les  plus  fâcheusesj  ils  lui 
attribuaient  une  tendance  contraire 
à  la  religion  et  à  la  morale;  ils  l'ac- 
cusaient de  substituer  l'action  des 
causes  mécaniques  à  l'empire  de  la 
Providence ,  dans  le  gouvernement  de 
l'univers;  ils  lui  reprochaient  d'in- 
troduire le  fatalisme  dans  la  philo- 
sophie ,  par  l'emploi  qu'il  faisait  de 
l^hypothèse  de  l'harmonie  prééta- 
blie. A  leur  tête  était  le  mystique 
Joachim  Lange,  homme  exalté  dans 
ses  opinions  ,  violent  par  caractère  , 
personnellement  animé,  dit-on,  con- 
tre Wolff,  parce  que  celui-ci ,  doyen 
de  la  faculté  de  théologie ,  avait  vou- 
lu conserver  pour  adjoint  Thûm- 
fBiig ,  l'un  de  ses  propres  disciples  , 
qui  était  en  même  temps  son  ami,  et 
avait  repoussé  le  fils  de  Lange  lui- 
même  ,  lequel  aspirait  à  ces  fonc- 
tions, comme  étant  peu  capable  de 
HfS  remphr.  La  philosophie  de  Wollf 


WOL 


i3i 


était  chaque  jour  attaquée  avec  vé- 


hémence. Une  circonstance  se 


pre 


senta  pour  lui  attirer  une  persécution 
de  la  part  de  l'autorité ,  et  elle  fut 
avidement  saisie.  Le  monde  savant 
était  alors  fort  préoccupé  par  les  no- 
tices que  donnaient  les  missionnaires 
jésuites  sur  les  mœurs  et  les  opi- 
nions des  Chinois.  Wolif ,  dans  le 
discours  solennel  qu'il  prononça  en 
quittant  le  prorectorat  académique, 
traitant  de  la  philosophie  de  Gonfu- 
cius ,  fit  l'éloge  de  la  doctrine  mo- 
rale léguée  par  ce  sage ,  et  déclara  que 
les  principes  de  cette  doctrine  étaient 
en  accord  avec  ceux  qu'il  avait 
adoptés  lui-même.  On  cria  an  scan- 
dale ,  en  voyant  un  professeur  chré- 
tien adopter  ainsi  les  maximes  d'un 
peuple  privé  des  lumières  de  l'Évan- 
gile. 1 1  est  assez  curieux  de  remarquer 
que  WolfT,  en  écrivant  au  ministre 
de  Cocceji,  à  Berlin,  pour  réclamer 
contre  l'attaque  dont  il  était  l'objet , 
déclara  qu'il  avait  eu  le  projet  de 
faire  imprimer  sa  dissertation  à  Ro- 
me ,  avec  l'approbation  de  l'inquisi- 
tion. La  métaphysique  de  Wolfffut 
ouvertement  et  vivement  critiquée 
par  l'un  de  ses  anciens  disciples  , 
Strahler,  qui  paraît  avoir  été  excité 
par  Lange  ,  et  influencé  aussi  par 
quelqiie  ressentiment  personnel.  Cette 
critique,  publiée  en  deux  volumes, 
à  lena ,  donna  le  signal  de  la  guerre 
qiù  fut  déclarée  au  professeur  de 
Halle.  Lange  le  dénonça  aux  minis- 
tres du  roi  de  Prusse  :  il  alla  jusqu'à 
prétendre  que  Woltf  renversait  les 
preuves  del'existencedeDieu,  jusqu'à 
voir  en  lui  un  complice  de  Spinosa  ; 
il  l'accusa  de  corrompre  les  mœurs 
et  d'altérer  la  foi  des  étudiants  de 
l'université.  Les  intrigues  s'unirent 
aux  déclamations.  Quelques  ofiiciers 
alarmèrent  le  roi ,  en  lui  persuadant 
que  la  doctrine  de  Wol userait  dan- 


l32 


WOL 


gereusc  ])our  rarracc ,  en  offrant  nne 
excuse  à  la  deseilion.  Un  ordre  du 
cabinet  enleva  au  malheureux  profes- 
seur toutes  les  fonctions  qu'il  remplis- 
sait, et  lui  prescrivit  de  quitter  sous 
deux  jours  le  territoire  du  royaume. 
Le  23  nov.  17213,  il  s'éloigna  de 
cette  ville  de  Halle ,  où  il  enseignait 
depuis  seize  ans.  Son  départ  plongea 
dans  la  douleur  son  nombreux  audi- 
toire. Dès-lors  ses  adversaires  ne 
f:;ardèrent  plus  de  mesure.  Lange  et 
Breitliaupt  prêchèrent  publiquement 
en  chaire  contre  lui.  Franke ,  le  pieux 
fondateur  de  l'hospice  des  orphelins  à 
Halle,  prosterne  dans  l'ëglise ,  rendit 
grâces  à  Dieu  de  ce  que  Wollf  avait 
quitte  cette  ville.  Le  savant  Buddee 
fut  entraîne'  malgré  lui  dans  cette 
lutte  passionnée.  Le  philosophe,  per- 
sécuté en  Prusse  ,  trouva  auprès  du 
landgrave  de  Hesse-Gassel  un  asile 
honorable ,  fut  investi  par  lui  du  ti- 
tre de  conseiller  aulique  ,  et  des 
fonctions  de  professeur  de  philoso- 
phie à  Marbourg.  De  là ,  il  se  défen- 
dit à  son  tour  avec  une  véhémence 
égale  à  celle  de  ses  antagonistes.  La 
querelle  s'étendit  au  loin  j  toute  l'Al- 
lemagne y  prit  part  en  quelque  sorte. 
Aux  ennemis  personnels  de  Wolff ,  à 
ceux  que  l'envie  avait  animés  contre 
lui  ,  aux  hommes  religieux  qu'un 
zèle  mal  entendu  avait  soulevés  ,  se 
joignirent  naturellement  tous  les  en- 
nemis des  innovations  en  fait  de  doc- 
trine, tous  les  partisans  aveugles  des 
routines  de  l'enseignement.  Wolff 
eut  à  son  tour  pour  partisans  ceux 
qui  desiraient  voir  restaurer  les 
sciences  philosophiques  en  Allema- 
gne ;  sa  cause  acquit  ainsi  une  haute 
importance ,  prit  un  caractère  géné- 
ral, en  devenant  celle  de  l'indépen- 
dance du  philosophe.  C'est  aussi 
sous  ce  point  de  vue  que  Wolff  lui- 
même  la   défendit,   en  s'attachant 


WOL 

d'ailleurs  à  justifier  ses  opinions  con 
treles  inculpations  dont  elles  avaient 
été  l'objet.    Les    deux    partis  ,    et 
surtout  leurs  chefs,  ne  s'épargnèrent 
réciproquement  ni  les  injures,  ni  les 
sarcasmes.  Au  milieu  de  ces  ardentes 
querelles ,  quelques  esprits  plus  cal- 
mes et  plus  justes,  en  blâmant  les 
mesures  prises  contre  Wolff,  en  dé- 
plorant l'animosité  de  ses  antago- 
nistes ,  portèrent  sur  le  fond  de  sa 
doctrine  des  jugements  plus  ou  moins 
sévères.  Ce  fut  cà  Marbourg  qu'il  ré- 
digea et  publia  le  corps  entier  de  sa 
philosophie  en  latin.   Cependant  de 
nouveaux  honneurs  venaient  le  con- 
soler des  inimitiés  et  des  disgrâces. 
L'académie  des  sciences  de  France  , 
celles  de  Londres  et  de  Stockholm  se 
l'associèrent  j   Pierre-le-Grand ,  le 
nommant  vice-président  de  celle  qu'il 
venait  de  fonder  à  Pétersbourg ,  ra[ 
pela  dans   sa   capitale  ,  et ,  sur  so 
r'îfus,  lui  assigna  une  pension.  Le  goi 
vernement  prussien  ,  lui-même  ,  n 
gretta  d'avoir  précipité  ses  décrel 
de  bannissement  j   une  commissio 
fut  instituée  pour  en  examiner  les  me 
tifs  ;  son  rap])ort  fut  favorable  ,   I 
doctrine  du  philosophe  fut  reconnu 
innocente  j  il  lui  fut  permis  de  ren 
trer  dans  le  royaume ,  et  l'on  imposj 
silence  à  Lange.  Frédéric-le-Gran( 
monta  sur  le  trône  ;,  et  l'un  des  pre 
miers  soins  de  ce  prince,  qui  lui-mê 
me  avait  étudié  et  goiité  la  philoso 
phie  de  WoliF,  fut  de  réparer  les  in- 
justices dont  il  avait  été  victime,  et  de 
le  rétablir  dans  sa  chaire  de  Halle, 
avec  les  titres  de  conseiller  privé ,  d^ 
vice-chancelier  et  de  professeur  à{ 
droit  de  la  nature  et  des  gens.  Mai 
Wolff  n'y  retrouva   plus    son   auj 
ditoire  ;   à  peine  quelques  discipU 
vinrent-ils  encore  l'entendre.  H  linil 
par  se  trouver  seul  dans  sa  chaire  , 
pendant  que  ses  écrits  étaient  entre 


WOL 

les  mains  de  tous  les  étudiants  ,  et 
en  grande  partie  précisément  aussi 
par  cette  cause.  L'électeur  de  Ba- 
vière, pendant  la  vacance  du  siège 
impe'rial  ,  lui  de'cerna  le  titre  de  ba- 
ron de  Tempire,  faveur  peu  ordi- 
naire pour  les  philosoplies.  Atteint 
d'attaques  de  goutte ,  il  supporta  la 
douleur  avec  calmej  mais  succombant 
à  un  marasme  ,  qui  en  fut  la  suite, 
il  mourut  le  g  avril  1764  ,  avec  les 
sentiments  de  la  pieté'  chrétienne. 
Wolir  oiï'rit  dans  son  caractère  et 
dans  sa  vie  l'exemple  de  celte  sa- 
|«essedont  il  donna  les  leçons.  Sa  vie 
fut  celle  d'un  homme  de  bien  j  son  ca- 
ractère respiraitia  candeur,  la  simpli- 
cité et  le  désintéressement  :  le  roi  de 
Suède  qui  professait  pour  lui  une 
haute  estime ,  et  qui  l'avait  nommé 
son  conseiller  de  régence ,  le  pressait 
souvent  de  faire  connaître  ce  qu'il 
pouvait  désirer  :  «  Je  n'ai  besoin  de 
rien  ,  »  répondait  le  philosophe.  11 
conserva  la  sérénité  et  l'égalité  d'ame, 
au  milieu  de  toutes  les  circonstances 
de  sa  vie.  Sa  conversation  était  agréa- 
ble et  douce ,  ses  mœurs  sans  tache. 
La  vanité  assez  marquée,  mais  naïve, 
l'emportement  dans  les  discussions 
littéraires,  qu'on  pourrait  lui  repro- 
cher ,  étaient  ,  si  l'on  peut  dire 
ainsi ,  dans  les  mœurs  des  savants  de 
son  temps  j  mais  ils  ne  l'empêchaient 
point  d'avoir  une  certaine  aménité 
dans  ses  manières ,  de  montrer  de  la 
douceur  et  même  de  la  générosité 
envers  ses  ennemis.  Sa  passion  do- 
minante ,  ou  plutôt  sa  passion  uni- 
que était  l'amour  de  la  vérité;  il  la 
cherchait  partout ,  il  aspirait  à  la 
répandre,  surtout  à  la  rendre  utile. 
Le  ministère  de  la  philosophie ,  à  ses 
yeux  ,  consistait  à  affermir  toutes 
les  doctrines  conformes  à  la  raison, 
propres  à  servir  les  intérêts  de  la  re- 
ligion ,  de  la  société  et  des  bonnes 


WOL 


i33 


mœurs.  La  perspicacité  ,  l'étendue  , 
la  clarté  ,  la  suite  ,  la  méthode  , 
étaient  les  traits  principaux  de  son 
esprit.  Quoique  le  cercle  de  ses  con- 
naissances fût  en  quelque  sorte  ency- 
clopédique ,  elles  ne  formaient  pour 
lui  qu'un  seul  et  même  système.  Tel 
était  cet  homme  qui  renversa  dans 
les  écoles  d'Allemagne  le  vieux  em- 
pire de  la  philosophie  aristotélique  , 
qui  y  régna  lui-même  pendant  près 
d'un  siècle  ,  et  d'une  manière  pres- 
que absolue ,  qui  obtint  ainsi  un  pou- 
voir dont  Leibnitz  n'a  pas  joui,  et 
qui  contribua  même  en  partie  à  éten- 
dre et  à  perpétuer  l'influence  de  Leib- 
nitz. Le  génie  de  Wolff  était  cepen- 
dant fort  inférieur  à  celui  de  Leib- 
nitz ',  disons  mieux  :  Wolff  ne  fut 
point  proprement  créateur  en  philo- 
sophie ,  du  moins  sous  le  rapport 
des  doctrines;  mais  il  fut  un  grand 
ordonnateur ,  et  peut-  être  nul  hom- 
me ,  dans  les  temps  modernes ,  n'a- 
vait apporté  dans  l'ensemble  et  les 
détails  des  sciences  philosophiques 
une  coordination  plus  vaste ,  plus  ré- 
gulière. Il  a  donné  aux  sciences  une 
forme  didactique  qui  leur  était  alors 
inconnue  ;  et  il  semblait ,  par  cela 
même ,  appelé  à  présider  à  l'ensei- 
gnement. D'ailleurs  _,  s'il  a  peu  in- 
venté, dans  un  ordre  de  recherches 
qui  ne  laissait  peut-être  pas  une  grande 
carrière  à  l'invention  ,  il  a  usé  de 
l'éclectisme  le  plus  large  ,  le  plus  in- 
dépendant ;  il  a  également  emprun- 
té aux  anciens  ,  aux  modernes ,  et 
aux  scolastiqiies  eux-mêmes  ;  il  a 
associé  Descartes  et  Leibnitz  ;  il  a 
puisé  partout  où  il  a  cru  voirie  vrai  ; 
il  a  choisi  souvent  avec  discernement^ 
toujours  avec  liberté;  il  a  combiné 
avec  assez  d'art.  Cependant ,  on  re- 
connaît trop  souvent ,  en  rappro- 
chant les  notions  éparses  dans  l'im- 
mense  appareil  de  ses  doctrines  , 


34 


WOL 


qu'elles  se  composaient   d'clcmcnts 
hétérogènes  ,  quelquefois  incompati- 
bles. On  a  ,  en  général ,    considéré 
sa  philosophie  comme  un  dévelop- 
pement et  une  continuation  de  celle 
de  Leibnitz  ;  elle  a  même  reçu  pour 
ce  motif  le  nom  de  Leibnitzo-Wolf- 
fienne  ,•   cependant ,   quoique  WollT 
ait  en  effet  développé  des  idées  dont 
Leibnitz avait  jeté  les  germes  ,  quoi- 
qu'il ait  combiné  des  idées  qui  se 
trouvaient  éparses  chez  son  prédé- 
cesseur, il  n'a  employé  ces  éléments 
que  pour  une  partie  de  l'immense  com- 
binaison qu'il  a  formée  ,  il  les  a  mo- 
difiés en  les  employant.  Ce  qu'il  y  eut 
de  véritablement  neuf  dans  la  philo- 
sophie de  Wolff,   ce  fut  la  forme 
dont  il  la  revêtit  j  la  seule  création 
véritablement  propre  qui  lui  appar- 
tienne ,  c'est  sa  méthode  ,  ou  ,  pour 
mieux  dire  ,    l'application   qu'il   a 
voulu  faire,  à  tout  l'ensemble  de  la 
philosophie,  de  la  méthode  des  géo- 
mètres.   Déjà  ,    sans   doute  ,  Des- 
cartes ,  Spinosa ,  Newton ,  Tschim- 
hausen  ,  Leibnitz  lui-même  ,  avaient 
tenté  ce  genre  d'application  ,  mais 
d'une  manière  seulement   partielle  : 
Wolff  voulut  en  faire  un  emploi  bien 
plus   absolu,  plus  étendu  ,  plus  ri- 
goureux. Cette  entreprise  qui  le  sé- 
duisit ,  qui  l'occupa  constamment , 
à  laquelle  il  attacha  sa  gloire,  re- 
posait   sur  une   idée  radicalement 
fausse,  et  par  cela  même  ne  put  être 
que  malheureuse.   Loin  d'éprouver 
pour  l'exemple   de    Descartes    une 
émulation  aussi  mal  entendue ,  il  eût 
dû  être  averti,  par  les  erreurs  de  ce 
philosophe ,  des  dangers  d'une  ap- 
plication  qui    l'avait   égaré.    Pour 
transporter  dans  les  sciences  philo- 
sophiques la  méthode  qui  préside  à 
celle  du  calcul ,  il  faudrait  d'abord 
pouvoir  réduire  les  premières  à  se 
renfermer,  comme  les  secondes,  dans 


WOL 

les  spéculations  purement  rationnel- 
les;  il  faudrait  ensuite   transporte! 
dans  les  premières  cette  homogéuéitc 
qui  est  propre  à  toutes  les  notions  d( 
quantité,  et  qui  permet  de  s'élevc 
aux  plus  hautes  combinaisons,  pari 
une  suite  de  transformations  conslan-l 
tes ,  régulières ,  uniformes  dans  leurs] 
lois.  Mais  les  sciences  philosophiques! 
appartiennent  aux  connaissances  ex- 
périmentales autant  qu'aux  spécula- 
tions abstraites,  et,  même  dans  leun 
parties  spécula  tives ,  elles  ne  compor-i 
tcnt  point  des  conditions  semblables 
à  celles  des  mathématiques;  leurs  élé- 
ments sont  essentiellement  mixtes , 
comme  leurs  combinaisons  sont  va^  « 
riées.  En  vain,  Wolff,  pour  échap-J 
per  à  cette  difliculté ,  a-l-il  essayé  de  " 
séparer,  dans  chaque  branche  de  la 
philosophie ,  la  partie  purement  ra- 
tionnelle ,  de  celle  qui  appartient  àl 
l'expérience  :  la  séparation  en  elle-[ 
même  est  forcée,  et  contrarie  la  naJ 
ture  des  choses;  elle  ne  peut,  dans! 
ses  effets,  satisfaire  aux  vues  de  l'au-j 
teur,  qu'avec  un  détriment  réel  pour^j 
la  science.  Tantôt  on  voit  notre  phi- 
losophe ,  en  présentant  un  théorème 
philosophique  qui  se  justifierait  fort 
bien  par  lai-même,  se  croire  obligé 
de  l'entourer  cependant  d'un  appareil 
de  démonstration,  pour  lui  assigner 
sa  place  dans  la  grande  cliaîne,  et 
pour  le  présenter  comme  un  corol- 
laire de  tontes  les  propositions  qui  le 
précèdent  :  tantôt  on  le  voit  fa  ire  vio- 
lence à  une  vérité  philosophique  lors- 
qu'il veut  condamner  un  fait  à  sortir 
des  propositions  précédentes  comme 
un  simple  corollaire  logique.  Wolff 
a  encore  abusé  d'une   méthode  qui 
par  elle-même  était  déjà  une  erreur. 
On  a  reproché  aussi  à  cette  méthode 
l'extrême  rudesse  et  l'aridité  de  ses 
formes  ;  elle  contraint  le  lecteur  à 
parcourir  comme  autant  de  démons- 


WOL 

îralions  géométriques  ,  ])ar  une  suite 
de  renvois  des  propositions  qui  sont 
sous  ses  yeux,  à  celles  qu'il  a  déjà 
rencontrées  ,  toutes  les  vérités  qui  ap- 
partiennent à  la  connaissance  de  soi- 
mnne  ,  qui  s'aj)pliqueiit  aux  plus 
grands  intérêts  de  la  vie.  WoHï'a 
(rouvé  le  moyen  de  rendre  cette  ma- 
nière de  procéder  plus  fastidieuse  en- 
core ,  par  une  prolixité  sans  exem- 
ple- il  ne  vous  iait  grâce  d'aucun  dé- 
veloppement, et  s'obstine  à  déployer 
tout  l'appareil  scientifique  pour  les 
vérités  les  plus  simples.  Son  corps 
de  philosophie  latine  n'a  pas  moins 
de  i>-4  gros  volumes  in-4°. ,  qui  pour- 
raient être  réduits  à  un  seul  sans  rien 
perdre;  il  atteste  une  rare  patience 
dans  son  auteur;  mais  il  en  exige  une 
trop  héroïque  de  la  part  du  lecteur , 
pour  que  l'amour  même  de  la  vérité 
puisse  rendre  capable  du  dévouement 
nécessaire  à  l'étude  d'un  tel  ouvra- 
ge. Toutefois  on  ne  peut  contester  à 
cette  méthode  l'avantage  de  con- 
traindre à  déterminer  exactement  les 
termes,  à  suivre  constamment  une 
chaîne  d'idées,  et  à  procéder  rigou- 
reusement du  connu  à  l'inconnu.  Elle 
a  quelque  chose  de  grave  ,  de  sévè- 
re et  de  solennel.  Nous  sommes  re- 
devables à  WolfT  lui-même  de  con- 
naître la  marche  de  ses  idées  et  l'es- 
prit qui  a  présidé  à  ses  travaux: il  a 
voulu  en  cire  l'historien ,  dans  son 
écrit  intitulé  Ratio  prœlectionum , 
et  c'est  un  des  plus  grands  services 
sans  doute,  comme  les  plus  rares, 
que  nous  puissions  demander  aux 
hommes  qui  ont  joué  un  rôle  éminent 
dans  les  sciences.  Emhvassant  com- 
me x4.ristotc  et  comme  Bacon  le  sys- 
tème entier  des  connaissances  phi- 
losophiques ,  WoUF  a  voulu  comme 
eux  les  classer;  il  a  préféré  la  no- 
menclature du  premier  à  celle  du  se- 
cond ,  mais  en  la  réformant  et  pré- 


WOL 


[35 


tendant  la  perfectionner.  La  division 
générale  qu'il  a  établie  est  à-peu-près 
celle  qui  est  encore  aujourd'hui  sui- 
vie dans  toute  l'Allemagne.  Il  a 
banni  l'histoire  naturelle  et  la  physi- 
que ,  du  domaine  de  la  philosophie. 
La  logique  et  la  métaphysi([iîe  sont 
à  ses  yeux  les  deux  ])rincipaux  ob- 
jets de  la  philosophie  théorique  : 
«  la  métaphysique  embrasse  à  son 
tour  l'ontologie  ,  la  psychologie  , 
la  cosmologie  et  la  théologie  natu- 
relle :  la  philosophie  pratique  com- 
prend l'éthique,  la  politique  et  le 
droit  delà  nature  et  des  gens.»  On  y  a 
joint  plus  tard  l'esthétique,  ou  la  théo- 
rie du  beau  dans  les  arts.  Wolff  dis- 
tingue trois  ordres  de  connaissances  : 
l'un  historique ,  l'autre  philosophi- 
que ,  le  troisième  mathéniatique. 
«  Le  premier  comprend  les  faits  qui 
apparlienneut  soit  au  monde  maté- 
riel ,  soit  aux  substances  imma- 
térielles, et  qui  nous  sont  révélés 
par  les  sens  ou  par  la  conscience  in- 
time. Le  second  embrasse  la  raison 
des  faits,  et  paraît  à  Woldplus  certain 
que  le  précédent.  Le  troisième,  en- 
lin,  est  la  connaissance'de  la  quantité 
des  choses.  »  Wolffdéfmit  la  philoso- 
phie :  la  science  des  possibles ,  en 
tant  qu'ils  peuvent  être  :  elle  doit 
rendre  compte,  suivant  lui,  de  ce  en 
vertu  de  quoi  ce  qui  est  possible  peut 
se  réaliser ,  et  peut  se  réaliser  de  pré- 
férence à  une  autre  chance  également 
possible.  Il  défmit  la  science,  l'ha- 
bitude de  démontrer  les  assertions. 
La  logique,  suivant  lui ,  doit  la  pre- 
mière occuper  lephilosophe,  comme 
moyen  d'études  ;  cependant  la  logi- 
que ,  assure-t-il ,  emprunte  ses  prin- 
cipes à  l'ontologie  et  à  la  psycholo- 
gie* la  psychologie  à  son  tour  em- 
prunte les  siens  à  la  cosmologie  et 
à  l'ontologie  ;  les  démonstrations  en 
philosophie  pratique  et  en  physique 


136 


WOL 


doivent  emprunter  les  leurs  à  la  me'- 
tapLysique.  La  psychologie  ration- 
nelle, dont  Wolff  a  voulu  faire  une 
branche  sepnree  de  la  psychologie 
expérimentale  on  empirique ^  est  ca- 
ractérisée  par   lui    la   science   des 
choses  possibles  relativement  aux 
âmes,  WollF  ne  s'est  forme,  com- 
me on  voit ,  des  rapports  qui  unis- 
sent les  diverses  sciences,  qu'une  idée 
inexacte   et  incomplète  ,  parce  que , 
domine  toujours  par  sa  pensée  pri- 
mitive ,  il  n'a  voulu   chercher  ces 
rapports  que  dans  la  déduction  abs- 
traite des  notions   scientifiques.  Sa 
logique  est  csscnliellcment  aristotéli- 
que 'y  il  a  remis  en  houneur  le  syllo- 
gisme ,  mais  en   coniplétant  et  per- 
fectionnant les  formes  qui  en  régis- 
sent \es  différentes  combinaisons.  Le 
critérium  de  la  vérité  consiste ,  dit- 
il  ,  en  ce  que  le  prédicat  puisse  être 
déterminé  par  la  notion  du  sujet. 
Le  choix  d'un  tel  critérium  ne  peut 
répandre  une  grande  lumière  sur  la 
logique.  Aussi  WoîfT,  en  s'efforçant 
de  tracer  une  méthode  pour  l'inves- 
tigation de  la  vérité,  ne  peut-il  sor- 
tir des  simples  combinaisons  artifi- 
cielles des  termes  du  raisonnement. 
On  conçoit   comment  en  procédant 
par  une  telle  voie  il  n'a  pu  attein- 
dre lui-même  à  de  véritables  décou- 
vertes. Ses  longues  dissertations  sur 
la  manière  de  procéder  en  philoso- 
phie ,   sur  l'emploi  des  hypothèses, 
sur  les  inductions  à  tirer  de  l'expé- 
rience ,ne  sont  que  le  développement 
de  quelques  maximes  judicieuses  et 
prudentes  ,  mais  banales.  Il  y  avait 
quelque  chose  de  plus  neuf  pour  son 
temps  dans  les  vues  qu'il  présente 
sur  la  langue  philosophique  et  sur  ia 
liberté  de  philosopher- celles  qui  se 
rapportent  à  ce  dernier  sujet  pou- 
vaient   alors    avoir    quelque    har- 
diesse;  mais  toujours   elles  paraî- 


WOL 

Iront  pleines  de  sagesse  et  mérite-^ 
ront  une  sincère  estime  à  leur  au- 
teur y  comme  elles  peignent  fidèle- 
ment sou  caractère.  WolfF  a  com- 
pris dans  sa  logique  des  conseils  sur 
la  manière  d'écrire,  de  lire  et  de  ju- 
ger les  livres ,  pour  communiquer  la 
vérité,  pour  évaluer  les  forces  intel- 
lectuelles; il  a  essayé  d'appliquer  la. 
logique  à  la  pratique  habiluelle  de  la 
vie  :  c'est  une  idée  qu'il  a  eue  le  pre- 
mier ,  quoiqu'elle  semblât  devoir  être 
naturelle;  bien  exécutée,elle  serait  fort 
utile  sans  doute.  La  philosophie,cn  Al- 
lemagne ,  est  redevable  à  Wolff  d'un 
service  semblable  à  celui  que  Cicé- 
ron  lui  rendit  à  Rome  :  il  a  introduit 
avec  bonheur  dans  la  langue  usuelle 
un  grand  nomljre  de  termes  scienti- 
fiques dont  elle  était  dépourvue.  Il 
a  fondé  la  métaphysique  entière  sur 
le  principe  de  la  contradiction  ;  il  a 
même  considéré  celui  de  la  raison 
suffisante  comme  appuyé  sur  le  pré- 
cédent. Leibnitz  n'admettait  comme 
réels  que  les  êtres  simples;  Wolff  ad- 
met aussi  les  composés.   L'essence 
d'une  chose  consiste ,  à   ses  yeux , 
dans  sa  possibilité  intrinsèque,  pos- 
sibilité dont  la  réalité  est  l'accom- 
plissement :  l'essence  du  composé  est 
donc  dans  le  simple  ;  d'oii  il  suit 
qu'il  y  a  des  éléments  simples ,  quoi- 
qu'ils échappent  à  nos  sens.  Leib- 
nitz accordait  à  chacun  de  ses  élé- 
ments simples  une  force  représenta- 
tive; Wolff  leur  refuse  ce  caractère 
intellectuel,    et   ne    leur  reconnaît 
qu'une  énergie  productive.  La  subs- 
tance ,  dit- il,  est  ce  qui  renferme  en 
soi  la  source  de  ses  propres  muta- 
tions; elle  contient  donc  une  force 
qui  opère  ces  changements ,  force  ac- 
tive qui  fait  passer  le  possible  à  la 
réalité;  chaque  mutation  contient  en 
elle  le  principe  de  celle  qui  la  doit 
suivre ,  et  tout  est  lié  dans  l'univers. 


WOL 

Wolil  admet  avec  Leibnitz  une  sorte 
d'harmonie  préétablie,  de  laquelle 
de'rive  l'accord  des  opérations  de 
l'ame  avec  celles  du  corps  j  mais 
cette  harmonie  n'est  point  le  simple 
re'sultat  de  la  volonté  de  Fauteur  de 
la  nature  j  elle  se  fonde  sur  ce  que 
les  mutations  qui  s'opèrent  dans  l'â- 
me et  dans  le  corps  ont  à-la-fois  leur 
fondement  dans  celles  que  subit  l'u- 
nivers, lesquelles  se  réfléchissent  à- 
la-fois  dans  l'un  et  dans  l'autre. 
WollFa  banni  de  la  cosmologie  le 
spiritualisme  que  Leibnitz  y  avait 
introduit  :  l'univers  (  considéré  à 
part  de  sa  cause  première  )  n'est 
point  à  ses  yeux  un  organisme  vi- 
vant, mais  un  mécanisme  régulier 
auquel  le  mouvement  est  imprimé. 
Wolir  a  développé  avec  un  grand 
soin  la  démonstration  de  l'existence 
de  Dieu ,  déduite  de  l'être  nécessai- 
re^ et  l'a  établie  sur  le  principe  de 
la  raison  suffisante  ;  il  a  tâché  aussi 
de  compléter  la  célèbre  preuve  de 
Descartes.  Il  s'est  attaché  à  écarter 
de  l'idée  de  la  Divinité  celle  de  l'ame 
du  monde.  Du  reste ,  l'auteur  de  tou- 
tes choses  ,  étant  aussi  puissant  que 
parfait ,  lui  semble  avoir  dû  créer  le 
meilleur  des  mondes  possibles.  La 
liberté  du  choix  dans  les  actes  de  la 
volonté,  telle  qu'elle  est  attestée  par 
la  conscience  intime,  est  le  point  de 
départ  de  WolfF,  dans  la  philoso- 
phie pratique  et  dans  la  morale  qui 
en  occupe  la  première  partie.  On  s'é- 
tonne de  le  voir  bientôt  après  attri- 
buer cependant  une  telle  ellicacite' 
aux  motifs  déterminants  ,  que  leurs 
eflets  deviennent  inévitables;  car, 
«  il  est  impossible,  dit-il,  qu'on  ne 
»  veuille  pas  le  bien  ,  qu'on  ne  dé- 
»  teste  pas  le  mal ,  dès  qu'on  les  con- 
•n  çoit  clairement;  or,  ce  qui  nous 
»  fournit  lemotif ,  ajoule-t-il ,  par  Ic- 
»  quel  nous  sommes  déterminés  à  vou- 


WOL  13^ 

»  loir,  nous  lie  par  là  même  à  agir; 
«  car  on  ne  peut  agir  sans  motif.  »La 
liberté  se  réduit  donc  à  la  faculté 
qu'a  l'homme,  de  pouvoir  se  déter- 
miner pour  ce  qui  lui  paraît  le  meil- 
leur dans  son  état  présent.  Aussi 
Wollî'a-t-il  été  vivement  accusé  de 
détruire,  dans  les  conséquences  de  sa 
doctrine,  ce  même  libre  arbitre  qu'il 
avait  posé  en  principe.  La  règle  gé- 
nérale de  la  morale  ,  selon  lui ,  est 
celle-ci  :  Fais  ce  qui  peut  rendre 
véritablement  jAus  parfait  ton  état 
et  celui  des  autres,  autant  qu'il 
dépend  de  toi.  Mais  en  quoi  consiste 
cette  perfection?  La  réponse  est  loin 
de  satisfaiie  à  l'attente  que  cette  no- 
ble définition  pouvait  faire  conce- 
voir :  elle  consiste ,  dit-il ,  dans  l'ac- 
cord de  l'état  actuel  de  l'homme 
avec  celui  qui  précède  et  celui  qui 
doit  suivre.  Et  il  ajoute  :  «  La  mo- 
rale est  donc  une  loi  de  la  nature  ; 
la  raison  apprécie  les  rapports 
qui  naissent  des  conséquences  de 
nos  actions  ;  clic  enseigne  donc  et 
promulgue  la  loi  de  la  nature  : 
l'homme  ne  peut  être  raisonnable , 
sans  se  conformer  à  cette  loi ,  et  par 
conséquent  sans  être  bon  :  l'hom- 
me raisonnable  est  en  quelque  sorte 
sa  loi  à  lui-même  :  il  n'a  aucun  be- 
soin d'être  dirigé  par  la  perspective 
des  récompenses  ou  des  peines  :  une 
action  est  donc  bonne  ou  mauvaise 
en  elle-même,  indépendamment  de 
toute  prescription  divine  ;  la  morale 
subsisterait  dans  toute  sa  force ,  mê- 
me en  écartant  l'existence  de  la  Di- 
vinité; la  morale  existe  pour  l'athée 
lui-même.  Toutefois  la  nature  a  reçu 
de  son  auteur  les  lois  qui  la  régis- 
sent :  Dieu  est  donc,  en  ce  sens,  la 
source  première  des  lois  de  la  mo- 
rale ;  en  réglant  l'enchaînement  ge'- 
néral  des  causes  et  des  effets^  il  a  at- 
taché le  bonheur  à  la  vertu,  comme 


38 


VVOL 


le     malheur     au    vice.  »   Dans   ce 
sy-stcme  le  bonlicur   et  le  malheur 
suut ,  même  ici -bas ,  distnl)ucs  pour 
le  plus  grand  avantage  de  l'iiomme 
de  bien.  WollF  a  fait  entrer  dans 
son  éthique,  non-seidementdes  règles 
pour  la  connaissance  de  soi  -  même, 
mais  encore  pour  l'élude  des  autres 
hommes  •  et  à  cette  occasion  il   a 
jirésenle' ,  sur  la  physioguomifpie  , 
des  aperçus  qui  ne  sont  pas  sans  mé- 
rite.  Le  droit  naturel  est ,  dans  son 
point    de   vue  ,    en   quelque    sorte 
identique  avec  la  morale.   Il  repose 
sur  le  même  fondement,  sur  l'obli- 
gation de  tendre  à  la  perfection  in- 
dividuelle, réciproque  et  commune: 
de  ce  principe  resuite  la  belle  et  jus- 
te conséquence  ,  que  chaque  droit  est 
corrélatif  à  un  devou-,  et  même  que 
tout  droit  repose  primitivement  sur 
un  devoir.  On  a  reproché  à  Woîff 
d'avoir  compris  dans  le  domaine  du 
droit  naturel  des  règles  qui  n'appar- 
tiennent qu'à  la  morale  seule,  d'avoir 
trop  souvent  asservi  les  principes  du 
droit  naturel  aux  maximes  du  droit 
romain:  cependant  il  a  contribué  cer- 
tainement à  viviiier  en  Allemagne 
l'élude  de  la  jurisprudence  par  un 
nouvel  esprit,  à  lui  assigner  un  but 
élevé ,  à  lui  donner  un  caractère  vrai- 
ment scientifique.  La  dernière  por- 
tion de  la  philosophie  pratique,  à 
laquelle   il  donne    le  nom   de  poli- 
tique ,  embrasse  à-la-fois  les  com- 
munautés individuelles  ou  domesti- 
ques ,  c'est  -  à  -  dire  qu'elle  préside 
aux  rapports  des  époux  ,  à  ceux  des 
parents   avec  leurs  enfants ,  à  tout 
ce   qui  appartient  à  la  famille^  aux 
communautés  générales  ou  à  la  cité  , 
en  même  temps  qu'elle  gouverne  les 
lois  de  la  société  ,  les  droits  du  sou- 
verain,  l'exercice  de  son  autorité^ 
la  conduite  du  gouvernement ,  et  mê- 
me les  règles  de  la  guerre.  11  a  don- 


WOL 

né  de  la  sorte  à  la  politique  le  ca- 
ractère d\nie    science.    Ainsi   con- 
çue, elle  n'est  encore  pour  lui  que  la 
morale  appliquée  «lux  conditions  de 
ces  communautés  diverses*  et  sou- 
vent il   se  trouve    conduit   par  là 
à  faire  entrer  dans   le   code  de   la 
politique  des  règles  de  morale  privée, 
et  quelquefois  même  de  simples  con- 
seils ,  dont  les  lois  positives  ne  se 
sont  point  occupées.  C'est  ainsi  que 
notre  philosophe  traite,  par  exem- 
ple, des  circonstances  qui  contribuent 
au  bonheur  de  l'union  conjugale,  etdu 
danger  auquel  on  s'expose  en  la  con- 
tractant ,dangerqu'il  considère  com- 
me le  plus  grand  que  l'homme  puisse 
courir  dans  sa  vie  entière.  La  politi- 
que appliquée  aux  communautés  ci- 
viles générales  ,  ou  à  la  cité,  repose 
sur  cette  règle  :  Fais  tout  ce  quexi- 
gelé  bien  commun,  et  ce  qui  main- 
tient la  sûreté  commune.  «  Le  meil- 
leur gouvernement  est  celui  qui  tend 
le  mieux  à  un  tel  but.  »  VVolff  n'hésite 
pas  à  reconnaître  ce  caractère  dans 
la  forme  monarchique  ,  quoiqu'il  ne 
s'en  dissimule  pas  les  inconvénients. 
Il  refuse  aux  sujets  le  droit  d'exami- 
ner ce  qu'exige  l'intérêt  général ,  et 
le  réserve  au  prince: il  limite  cepen- 
dant le  droit  du  dernier  à  procurer 
ce  qu'exige  l'intérêt  général  ;  il  sou- 
met le  prince  aux  lois.  Il  se  demande 
quelle  garantie  on  peut ,  dans  des 
monarchies,  demander  au  pouvoir, 
pour  l'observation  des  lois  ;  il  n'eu 
aperçoit    pas    d'autre  ,     n'en    de- 
mande pas  d'autre   que  le  serment. 
«  Le  sujet  n'est  pas    tenu  d'obéir 
aux  volontés  injustes  du  prince.  11 
doit    alors    subir   sans    hésiter   les 
peines   attachées  à  la   violation  de 
ses   ordres.  »  Mais  le  sujet  peut-il 
être   autorisé ,    en   certains  cas,    à 
résister ,  à  refuser  son  obéissance  ? 
C'est  ce  que  Woliîn'a  point  discuté. 


WOL 

Il  ne  s'est  pas  borne'  à  traiter  les 
questions  relatives  à  la  conslitutioa 
des  états ,  à  la  législation  générale , 
aux  devoirs  politiques  :  il  a  parcouru 
toute  la  variété  des  objets  qui  ap- 
partiennent à   l'administration   pu- 
blique, et  qui  peuvent  ou  procurer 
le  bien  être  de  la  société,  ou  accroître 
ses  forces  :  il  a  examiné  les  causes 
de  la  richesse  des  nations ,  les  moyens 
de  seconder  leur  prospérité,  sans  fai- 
re cependant  de  l'économie  politique 
une  science  à  part.  Ses  vues  sur  ce 
sujet  sont  en  général  fort  étroites  j 
elles  expriment  plutôt  ce  qui  se  pra- 
tiquait de  son  temps  ,  que  ce  qui  eût 
pu  tendre  à  l'améliorer.  Mais  ici  en- 
core l'Allemagne  a  dû  lui  savoir  gré 
de  soumettre  aux  investigations  de 
la  raison,  à  une  discussion  publique 
et  méthodique  ,  des  matières  qui  jus- 
qu'alors étaient  en  quelque  sorte  re- 
tenues dans  le  secret  des  cabinets,  et 
d'avoir  imposé  le  devoir  de  les  consi- 
dérer dans  leur  véritable  but,  l'intérêt 
général  de  la  société.  L'enseignement 
et  les  écrits  de  WoUï'ont  opéré  en  Alle- 
magne une  véritable  révolution  ;  ils 
ont  donné  ,  pour  la  première  fois,  à 
cette   nation  éclairée  ,  une  philoso- 
phie qui  lui  appartient  en  propre.  Le 
rôle    qu'il  a  joué  était  donc   trop 
important  pour  qu'on  pût  se  dispen- 
ser d'oll'rir  ici  une  idée  sommaire  de 
sa   doctrine  :   cette    doctrine  ne  se 
caractérisant  cependant  par  aucune 
vue  originale  ou  prédominante,  mais 
seulement  par  l'enchaînement  et  la 
distribution  générale  de  ses  princi- 
pes constitutifs  ,  il  était  indispensa- 
ble aussi  d'indiquer  quelques-uns  de 
ses  principes   fondamentaux.    C'est 
une  sorte  d'encyclopédie  qui  a  eu  du 
moins  l'avantage  de  donner  l'exem- 
ple  des  nomenclatures  philosophi- 
ques ,  d'essayer  de  grandes  classifi- 
cations ,   d'eu  préparer  de  meilleu- 


WOL 


loi) 


Tes ,  d'étendre  et  d'élargir  le  do- 
maine de  la  science  ,  de  multiplier 
les  points  de  vue,  en  faisant  mieux 
distinguer  les  objets  par  de  nom- 
breuses énumérations ,  et  de  fournir 
l'occasion  déconsidérer  les  questions 
sous  leurs  divers  rapports  ,  comme 
dans  leur  connexion  naturelle.  A 
cet  égard  elle  a  certainement  don- 
né aux  sciences  morales  en  Allema- 
gne uu  heureux  essor ,  et  une  di- 
rection utile.  On  peut  appliquer  aux 
travaux  de  Wolll"  dans  les  sciences 
exactes  ce  que  nous  venons  de  dire 
de  ses  recherches  en  philosophie  ;  il 
n'a  attaché  son  nom  à  aucune  décou- 
verte positive;  mais  on  doit  con- 
venir qu'il  a  rendu  un  vrai  service 
à  l'enseignement,  par  la  forme  qu'il 
a  donnée  à  l'exposition  de  la  vérité. 
Ici,  il  n'avait  point  à  lutter ,  dans 
l'emploi  de  sa  méthode,  contre  la  na- 
ture des  choses;  au  contraire,  il  était 
merveilleusement  secondé  par  elle, 
et  il  a  su  bien  comprendre  ce  que 
la  science  attendait  du  professeur. 
Ses  démonstrations  étaient  coordon- 
nées avec  une  exactitude,  exprimées 
avec  une  clarté  ,  qui,  en  rendant  les 
opérations  de  l'esprit  plus  rapides  et 
plus  sûres,  lui  donnaient  de  nouvelles 
forces.  Son  cours  de  mathématiques 
était  le  plus  complet  qui  eût  paru 
jusqu'alors;  il  a  conservé  long-temps 
cet  avantage  ;  mais  on  lui  a  reproché 
le  même  excès  de  diffusion  qu'aux 
autres  ouvrages  du  professeur  de 
Halle.  Wolif  a  eu  de  zélés  partisans 
qui  ont  soutenu  sa  cause  dans  la 
grande  controverse  qui  a  agité  sa  vie; 
il  a  eu  d'illustres  disciples  qui  ont 
continué  son  ouvrage  ;  il  a  eu  ,  ce  qui 
était  plus  heureux  encore ,  des  suc- 
cesseurs qui ,  profitant  de  ses  exem- 
ples, s'emparant  quelquefois  ou  de 
ses  cadres ,  ou  de  ses  définitions  , 
ont  su  rectifier  ses  erreurs ,  ou  corn- 


i4o 


WOL 


blcr  des  lacunes  qu'il  avait  laissées. 
La  plupart  d'entre  eux^  les  derniers 
surtout ,  ont  plus  ou  moins  associé 
Wolff  à  Leibnitz  dans  leurs  propres 
considérations.  Dans  la  première 
classe  ont  figuré  surtout  Bulfinger  , 
Hanorvius,  Harenberg,  Riebowj  dans 
la  seconde  ,  Cramer  et  Glatey  qui 
appliquèrent  sa  philosophie  à  la  ju- 
risprudence ,  Feuerlin,  Hagen,  Stell- 
wan ,  Croon  ,  qui  s'appliquèrent  à 
justifier  ou  à  étendre  l'emploi  de  la 
méthode  mathématique,  Ludo\ ici , 
Thiimmig,  Winkler,  Baumeister,Er- 
ncsti,  Schierschmied  ^  Beinbeck,qui 
commentèrent  ses  doctrines  ^  dans  la 
troisième  classe  se  signalent  princi- 
palement Baumgartcn ,  Meyer,  Da- 
ries,  Creuz,  Pluquet ,  Lambert ,  Men- 
delshon,  Garve,  Rcimarus^,  Éber- 
hard  ,  etc.  L'école  allemande  tout 
entière  se  rattache  à  cette  grande  sou- 
che y  pendant  la  seconde  moitié  du 
dernier  siècle  ,  jusqu'au  moment  oii 
Kant  vient  ouvrir  une  nouvelle  carriè- 
re à  ses  méditations.  Ludovici  (i)  et 
Gottsched(2)  ont  été  les  historiens  de 
Wolff.  Notre  célèbre  M'^^.  Duchâtelet 
a  donné  à  la  France  un  abrégé  de  sa 
philosophie.  Cephilosophe  a  eu  aussi 
des  adversaires  qui  n'étaient  point 
les  ennemis  de  sa  personne ,  et  qui , 
étrangers  aux  querelles  de  parti ,  se 
sont  bornés  à  discuter  et  à  contredire 
ses  doctrines  :  quelques-uns  ,  comme 
André  Rudiger  ,  Gundling ,  Buddée , 
Crousaz  ,  Crusius ,  Walsch  ,  Mill- 
ier ,  contestèrent  ses  hypothèses  , 
critiquèrent  ses  principes  ;  d'autres , 
comme  Poppo,Hismann ,  Basedow, 
blâmèrent  l'introduction  de  la  mé- 
thode mathématique  dans  les  ma- 
tières philosophiques.  Les  principaux 


(i)  Vila,fala  el  scilplct  Chr.  ÏVolffii,  philoso- 
/jfii ,  Leipzig  et  lîreslaw  ,  1789,  Jn-S». 

(•;«)  Eloge  histvrique  de  TVolj},  01»  allemand  , 
Huile  .  1755,  iu-4"- 


WOL 

ouvrages  de  Wolff ,  en  langue  aile 
mande,  portent  le  titre  de  Pen 
sées  raisonnables  sur  les  forces  de 
l'esprit  humain ,  et  leur  juste  em- 
ploi dans  la  connaissance  de  la 
vérité,  Halle,  1712;  ouvrage  qui 
a  été  traduit  en  français  par  Des- 
champs. —  Sur  Dieu  ^  le  monde  ^ 
Vame  humaine ,  etc.  ,  Francfort 
et  Leipzig,  1719,  in-S*^.  —  Eemar- 
ques  sur  le  précédent  ouvrage,  Franc- 
fort et  Leipzig,  17^4  ?  "^  "  ^°*  — 
Pensées  raisonnahles  sur  les  opéra- 
tions de  la  nature  ,  Halle,  1728, 
in-8^.  —  Sur  le  but  des  états  natu- 
rels,  Francfort,  1723,  in-S»^. — 
Sur  les  actions  de  l  homme  dans  la 
recherche  de  son  bonheur ,  Halle, 
1 720.  —  Sur  le  bonheur  des  hom- 
mes y  et  spécialement  sur  la  société 
considérée  comme  un  moyen  de 
procurer  le  bonheur  de  l'espèce  hu- 
maine ,  ouvrage  qui  est  proprement 
la  seconde  partie  du  précédent,  Halle, 
1 721  ,  in-8". — Institutions  du  droit 
de  la  nature  et  des  gens^  etc. ,  Halle, 
1754,  in-Sf".  ;  publié  aussi  en  latin, 
Halle ,  1 754 ,  in-4^.  ;  traduit  en  fran- 
çais, avec  des  remarques  par  Lusac, 
Leyde  ,  1 7  7  '^ ,  in  -  4**.  —  Récit  de 
ses  propres  ouvrages ,  Francfort, 
1726,  in -8".  —  Écrits  philosophi- 
ques détachés, UoiWe,  1 740,  iu-80.; — 
Un  Dictionnaire  de  mathématiques ^ 
in-80.  Son  grand  corps  de  philoso- 
phie en  latin  comprend  :  i».  Philo- 
sophia  rationalis  ,  sive  logica  mé- 
thode scientijicd  pertractata  ,  etc.^ 
Francfort  et  Leipzig,  1728  ,  2  tom. 
in-4^.  —  2^.  Psychologia  empirica, 
etc.  ,  ib.  ,  in-4^\  —  Z^.  Philosophia 
prima,  sii>e  ontologia  .,  etc.,  ibid.  , 
1 780,  in-4". — 4*^*  Cosmologia  gene- 
ralis  j  etc. ,  ib.  ,  1731 ,  in-4".  — 5". 
Psjchologia  rationalis,  etc.,  ibid., 
1734  ,  in-4*'. — 6".  Theologia  imtu- 
ralis  y  etc.  ,ib.,  1736,  1737,  3  to- 


I 


WOL 

mes  in-4''' — ']^.Philosophia  practi- 
ca  universalis  ,  etc.  ,  ibid.  ^  1*^38  , 
l 'jZç) ,  1  tomes  111-4*^. — 8«.  Fhiloso- 
phia  nioralis  ,  sive  etliica  ,  etc.  , 
Halle,  1732,  4  tomes  m-4'*-  —  9^*. 
Jus  naturœ ,  Francfort  et  Leipzig ,  8 
tom.  in-4^. — 10°.  Jus  geniium^eic, 
Halle,  1752,  in-4".  Ces  deux,  der- 
niers ouvrages  ont  cte  abrèges  par 
Formey  dans  un  seul  re'sume' ,  public 
en  1758,  3  vol.  in- 12. —  ii*^. Spéci- 
men phfsicœ  ad  theologiani  natu- 
ralem  appUcatœ  ,  in-4  '.  Hauorvins 
a  achevé  la  politique  de  Wolff,  sous 
le  titre  de  Philo sophiœ  civilis  ,  si^e 
politicœ  partes  iv ,  Halle,  174^^) 
4  tomes  in-4^.  Son  cours  de  mathé- 
matiques a  cte'  publie  d'abord  en 
deux ,  puis  en  cinq  volumes  in-4^.  , 
Genève,  1731  et  174 1  ,  et  abrè- 
ge' ensuite  par  Pernetti  en  3  vol. 
in-8^.  On  a  un  grand  nombre  d'ar- 
ticles de  Wolirdans  les  Acta  eru- 
ditorum,  de  Leipzig.      D.  G — o. 

WOL  F  (  Jean  -  Christophe  ) , 
théologien  et  philologue,  né  le  21 
lévrier  i683  à  Wernigerode  ,  dans 
la  Haute-Saxe,  était  fils  de  J.  Wolf, 
surintendant  et  conseiller  ecclésiasti- 
que. Ayant  achevé  ses  humanités  au 
gymnase  de  Hambourg ,  il  alla  con- 
linuer  ses  études  à  l'académie  de 
Wittemberg  ,  et  y  reçut  le  grade  de 
docteur  en  philosophie  ,  à  l'âge  de 
vingt  ans.  En  1707  ,  il  fut  nommé 
co-recteur  de  l'école  de  Flensbourg  • 
mais,  d'après  le  conseil  de  ses  pa- 
trons ,  il  fit ,  l'année  suivante ,  un 
voyage  dans  les  Pays-Bas  et  en 
Angleterre  ,  où  ses  talents  précoces 
lui  méritèrent  la  bienveillance  des  sa- 
vants. Pendant  son  séjour  à  Oxford , 
il  collationna  les  manuscrits  grecs 
de  la  bibliothèque  Bodiéienne  ,  et  en 
tira  des  variantes  et  un  grand  nom- 
bre de  fragments  inédits.  A  son  re- 
tour en  Allemagne  (  1709),  il  obtint 


WOL 


41 


le  titre  de  professeur  extraordinaire 
de  philosophie  à  Wittemberg.  L'an- 
née suivante  ,  il  visita  Berlin  ,  et  se 
lia  de  l'amitié  la  plus  intime  avecLa- 
croze  (  F",  ce  nom  )  ,  conservateur 
de  la  bibliothèque  royale.  H  avait  le 
projet  de  donner  une  édition  aug- 
mentée de  la  Bihl.  vêtus  et  nova  de 
Kœnig  (  Foy.  ce  nom);  mais  la  dif- 
ficulté de  se  procurer  les  matériaux 
nécessaires  le  força  d'y  renoncer. 
Admis  ,  en  17  12  ,  à  la  société  royale 
de  Berliu,  il  reçut  en  même  temps 
sa  nomination  à  la  chaire  de  langues 
orientales  de  l'académie  de  Ham-" 
bourg.  Il  la  remplit  d'une  manière 
brillante.  En  1 7  1 5  ,  il  fut  nommé 
recteur  5  et  à  cette  place  il  joignit 
celle  de  pasteur  de  l'église  Sainte- 
Catherine.  Les  devoirs  qu'on  venait 
de  lui  imposer  ne  ralentirent  point 
son  ardeur  pour  l'étude  ,  et  chaque 
année  de  nouveaux  ouvrages  ajou- 
taient à  sa  réputation.  Eu  1724  ,  il 
fit  un  second  voyage  en  Hollande  , 
pour  examiner  les  manuscrits  hé- 
breux des  bibliothèques  de  Leyde  et 
d'Amsterdam  ,  et  en  rapporta  les 
matériaux  qui  lui  servirent  à  com- 
pléter plus  tard  sa  Bibliothèque  hé- 
braïque. Il  se  rendit ,  après  la  mort 
d'Uffenbach  (  F.  ce  nom  ,  XLVII , 
i56) ,  acquéreur  de  sa  précieuse  col- 
lection de  lettres  autographes  des 
savants  les  plus  illustres  du  seizième, 
du  dix- septième  et  du  dix-huitième 
siècle  (i).  H  promettait  d'en  publier 
les  plus  importantes;  mais  l'affai- 
blissement de  sa  santé  ne  lui  permit 
pas  de  s'occuper  de  ce  travail  ;  et  il 
mourut  le  25  juillet  1739,  à  cin- 
quante-six ans.  Il  légua  sa  riche  bi- 
bhothèque  à  la  ville  de  Hambourg. 
Son  frère,  J.-Chrétien  (  dont  l'art. 
suit),  imita  cet  exemple.  Le  sénat 

(1)  Ce  recueil  formait  65  vol.  in-fol. ,  et  54  in-Zl". 


WOL 

de  Hambourg  a  fait  placer  les  bmlcs 
en  inaibrc  de  ces  deux,  savants,  dans 
la  principale  salle  de  sa  bibliothè- 
que ,  avec  une  inscription  en  vers  la- 
tins de  Godef.  Scbnitz.  Elle  est  rap- 
portée dans  IcSupplém.  à  la  Biblioth. 
littér.  de  Jœcber^95.  Outre  descdi- 
tions  de  l'ouvrage  de  Théophile  à 
Autolycus  ,  Hambourg,  179.47  in-8^'. 
(  r.  Théophile  ,  XLV,  33o);  de 
Vît  alla  et  Hlspcmia  orientalis  de 
Columiès  (  V.  ce  nom  ,  IX,  3i  i  )  ; 
et  des  Lettres  de  Libanius  (  f^^ojy.  ce 
nom,  XXIV, 43 1  )  ('2  ) ,  on  a  de  Wolf: 

I.  Deux  Dissertations  de  mjthica 
moralia  tradendi  ratione  nof-an- 
tiqiia  ,  Wittemberg  ,    1 704  ,  m-4''. 

II.  Historia  lexicormn  hehraico- 
rum  ,  quœ  tàm  à  judœis  ,  quàm  à 
christianis  ad  nostra  usque  tempo- 
ra  in  liiceni  vel  édita  vel  promissa 
sunt  y  ibid.  ,  1705  ,  in-8".  Cet  ou- 
vrage annonçait  un  critique  sage  et 
judicieux.  III.  Dissertatio  de  Za- 
hiis ,  ouvrage  polémique  contre  Jean 
Spencer,  ib.,  1706,  in-4*^.  IV.  Ori- 
genis  cotkoaofoûiJisvc/.  (  le  véritable 
titre  porte  ce  mot  en  lettres  grec- 
ques )  recognita  et  notis  illustra- 
ta,  Hambourg,  1706,  in -8». 
Jacques  Gronove  avait  publie  ce 
livre  ,  avec  une  version  latine  , 
dans  le  tome  x  du  The  saur,  anti- 
quitat.  grœcar.  Wolf  conserva  cetîe 
version  ,  mais  en  la  corrigeant.  Les 
notes  dont  il  a  d'ailleurs  enriclû  cet 
ouvrage  en  font  une  véritable  his- 
toire de  !a  philosophie  ancienne.  Il 
faut  joindre  à  cette  édition  un  Sup- 
plément de  1716  ,  contenant  les  va- 
riantes des  manuscrits  de  Florence  et 
de  Turin  ,  et  deux  dissertations  dans 
lesquelles  Wolf  prouve,  contre  l'opi- 


{•>.)  Avant  de  donner  celle  lielle  édilioii  dos  let- 
tres de  Libanius,  Wolf  avait  public  ;  I.ihanii  cpis- 
tolariim  adhiin  non  edilarum  renlurin  aelerin  f^r . 
<iim  ters.  el  tiotii,  Ilaiitliniirg  ,  1711,  in-8". 


nion  d'Hermann,  que  l'auteur  des 
Philos ophumena  ne  peut  pas  être 
Didyme  d'Alexandrie.  V.  Oratio 
inauguralis  de  prœcocïbus  eruditis , 


ibid. 


1707  ,  m-4°.  C'est  le  discours 


qu'il  prononça  lors  de  sa  nomination 
à  la  place  de  co-recteur  de  Flens- 
bourg.  J.-H.  Von-Seelen  l'a  réim- 
primé dans  un  Recueil  de  pièces  du 
même  genre,  Hambourg,  1713,  in- 
4^-  Vî.  Phœdrifahulœ  ,  cum  bre~ 
vibus  adnotationib.  et  vindiciis  Gu- 
dianis  adversiis  Jacob.  Gronoviuni , 


Hambou 


ï^g^  ï7"9' 


8".  Cette  édi 


I 


tion  est  devenue  très-rare.  Burmann 
l'avait  cherchée  inutilement  (  V.  sa 
préf,  ad  Phœdrum  ).   VII.  Disser- 
tatio   epistolica  qud  Hieroclis  in 
aurea  Pjthagorœ  carmina  com- 
mentarius  nuper  in  Anglid  éditas 
partim  illustrât ur  ^  partim  emen- 
datur,  Leipzig ,    1710,  in-80.  C'est 
un  examen  critique  de  l'édition  d'Hie- 
roclès  publiée    par  Needham  (  V. 
cenom  ).  VIII.  Dissertatio  de  atheis- 
mifalso  suspectis,  Wittemb.,  1  n  1 0, 
in-4°.  Wolf  y  venge  un  grand  nom- 
bre de  savants  du  reproche  d'athéis- 
me. IX.  Casauboîùana,  etc.,  Ham- 
bourg ,  1710  ,  m-8<^.  (  F.  Casau- 
BON,  VU,  262).  Ce  recueil  est  cu- 
rieux et  plein  d'érudition,  Wolf  y  a 
joint  une  dissertation  sur  ]cs  ^na, 
dissertation   que   Mich.  LiJienthal  a 
complétée  dans  les  Selecta  historica 
etlitterar.j  i4ï-77-  X.  Dissertatio 
de  carcere  eruditoruni  museo  ,'ih,, 
1710  ;  réimprimé  en  1718,  in-40. 
C'est  l'histoire  des  ouvrages  qui  ont 
été  composés  en  prison.  On  y  voit 
figurer  Cardan,  Campanella  ,  Peu- 
cer  ,   etc.  XI.  Historia  Bogomih- 
rum  ,  Wittemberg,  1712,  in-4''.  Les 
Bogomiles  étaient  des  hérétiques  qui 
parurent  dans  le  onzième  et  le  dou- 
zième siècle.  Wolf  a  tiré  cet  ouvra- 
ge en  partie  de  la  Panoplie  à'F.u- 


WOL 

thyme-Zigabenc  (  F.  ce  nom ,  XIII „ 
540).  XII.  Dissertatio  de  caLenis 
patrum  grœcis,  iisque  pofissimùm 
Mss.,  ibid.,  I7i'2,m-4".XIII.  Bi- 
hliotheca  hebrœa,  swe  Notltia  tùm 
aiictorum  hehrœorum  ,  tùm  scrip- 
toriim  ,  etc. ,  Hambourg  et  Leipzig  , 
1715-35  ,  4  ^'^''  in-4"-  C'est  un  ex- 
cellent abrégé  de  la  Bibliothèque  de 
Bartolocci ,  corrigée  et  augmentée.  Le 
tome  premier  contient  la  notice  des 
auteurs  hébreux  ,  au  nombre  de  deux 
mille  deux  cent  trente-un;  lesecond  , 
l'indication  bibliographique  de  tous 
les  ouvrages  imprimés  ou  manuscrits 
relatifs  ai' Ancien-Testament,  à  la  Ma- 
sore ,  au  Talmud  et  à  la  grammaire 
hébraïque;  la  bibliothèque  judaïque 
et  anti-judaïque  ;  la  notice  des  para- 
phrases chaidaïques  ^  des  livres  sur 
la  cabale  ,  et  enfin  des  écrits  anony- 
mes des  Juifs.  Les  deux  derniers 
volumes  renferment  les  corrections 
et  les  suppléments.  J.  -  Just  Von  Ei- 
nem  a  publié  une  introduction  à  l'ou- 
vrage de  Wolf,  1787  ,in-4*^.;  et  J.- 
Herm.  Kœcher  Ta  continué  (  For. 

KOECHER,    XXII,    517).   XIV.    A'O- 

titia  Karœontm  ex  tractatu  Mar- 
docliœi  karœi,  recentioris  ,  etc.,  ib. , 
1714  ,  in-4°.  On  trouve  à  la  suite  le 
traité  De  sectd  karœonim  de  Tri- 
gland  (  F.  ce  nom ,  XLVI  ,  S'il  ). 
XV.  Anecdota  grœca  sacra  et 
profana  ,  ibid. ,  l'-jii-i^  ,  4  tomes 
in  8".;  collection  très-estimée.  Fabri- 
cius  a  donné  dans  la  Bihl.  gr. ,  xiii, 
78388,  la  liste  des  auteurs  dont 
elle  contient  des  opuscules  ou  âas 
fragments.  XVI.  Curœ  philologicœ 
in  Nov.  Testamentuntj  ibid. ,  1725- 
35,  4  touies  in-4°.  Ces  remarques  de 
Wolf  ont  été  critiquées  par  Valcke- 
iiaeret  d'autres  savauts.XVII.J5/Z?//o- 
ihecaaprosiana,  liber  rarissimus  et 
à  nonnidiis  inter  à-jiv.'Jô-ovç  nume- 
ralus  ,  jani    ex    ling.    italic.    in 


WOL 


143 


lat.  conversa  cum  prœfat.  et  notis  , 
ibid.,  1734,  in-8"\  Wolf  n'a  point 
traduit  la  première  partie  de  cet 
ouvrage,  qui  lui  parut  inintelligible. 
On  lui  reproche  en  outre  de  n'avoir 
pas  reproduit  dans  leur  langue  les 
titres  des  ouvrages  ,  ce  qui  les  rend 
méconnaissables.  Aussi  cette  traduc- 
tion n'a-t-eilc  point  diminué  le  prix 
de  l'original  [F,  Aprosio,1I  ,  34 1). 
XVIII.  Conspectus  supellectilis 
epistolicœ  et  litterariœ  manu  exa- 
ratœ ,  ibid.,  1736,  in-8".  C'est  la 
notice  des  lettres  autographes  qu'il 
avait  acquise  à  la  vente  d'Ûirenbach. 
Ou  [leut  consulter  pour  plus  de  détails 
l'ouvrage  de  Seelen  :  JVoJfd  vita  , 
scripta  et  mérita  in  Rempublicam 
litterariam  ,  Stade,  1717  ,  in-4'^.  ; 
et  la  Bibl.  eruditor.  prœcocium  de 
Klefeker,  42i-'-29.  Le  second  volume 
du  Thesaur.  epistolicus  de  Lacroze 
conticut  cent  soixante-huit  lettres  de 
Wolf,  qui  mériteut  toutes  d'être  lues 
par  les  amateurs  d'histoire  littéraire. 
Son  portrait  a  été  gravé  format  in- 
4'*.  Une  médaille  frappée  en  son  hon- 
neur est  figurée  dans  le  Mus.  Maz- 
zuchellian. ,  1 1 ,  pi.  17(3.      W — s. 

WOLF  (  Jean  -  GnRETrEN  )  , 
frère  du  précédent ,  avec  lequel  la 
plupart  des  bibliographes  l'ont  con- 
fondu ,  était  né,  le  8  avril  1689, 
à  Wernigerode.  Ayant  achevé  ses 
études  avec  le  plus  brillant  succès, 
il  voulut ,  à  l'exemple  de  son  frère  , 
visiter  la  Hollande  et  l'Angleter- 
re ,  et ,  comme  lui ,  s'arrêta  quelque 
temps  à  Oxford ,  pour  collationner 
les  anciens  manuscrits  grecs  de  l'a- 
cadémie ,  et  en  recueillir  les  varian- 
tes et  les  fragments  inédits.  De  re- 
tour de  son  voyage,  en  1716,  il 
donna  des  leçons  gratuites  de  physi- 
que ,  et  contribua  de  tout  son  pou- 
voir à  ranimer  le  goût  de  cette  scien- 
ce en  Allemagne.    Sur  l'invitation  de 


WOL 

quelques  amis,  il  se  rendit ,  en  1 728, 
àGliicksladt,  pour  dresser  le  catalo- 
gue de  la  bibliothèque  de  Gustave 
Sclira^dter  (  1  ) ,  riche  surtout  en  li- 
vres espagnols.  En  17^5,  il  fut  nom- 
me' professeur  de  physique  et  de  poe'- 
sie  au  gymnase  de  Hambourg ,  et ,  le 
^4  mai  y  il  prit  possession  de  cette 
double  claire  par  un  discours  qui 
fut  très-a])plaudi.  Donc  d'une  ar- 
deur infatigable  pour  l'ëtude  ,  il  cul- 
tivait en  même  temps  les  sciences  et 
la  littérature;  et  préparait,  dans  ses 
loisirs  ,  les  ouvrages  qui  lui  assurent 
une  réputation  honorable  ]iarmi  les 
philologues  de  son  siècle.  Il  fit ,  en 
1731 ,  un  second  voyage  à  Gliicks- 
tadt ,  pour  inventorier  les  médailles 
modernes  du  cabinet  de  Schrœdter  , 
et  il  en  rédigea  le  catalogue.  Jean 
Chrétien  imita  la  noble  générosité' 
de  son  frère  ,  en  léguant  ses  livres  à 
la  ville  de  Hambourg;  et  il  joignit  à 
ce  don  ,  en  1749?  environ  douze 
cents  manuscrits  qu'il  venait  d'ac- 
quérir des  héritiers  de  Conrad  Uiïen- 
bach  (  ^.  ce  nom).  Il  jouit  long- 
temps de  l'estime  et  de  la  reconnais- 
sance de  ses  compatriotes  ,  et  mou- 
rut le  9  février  1770,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-onze  ans.  On  a  de  lui  : 
I.  Sapphus  poetrice  Lesbiœ  frag- 
menta et  elogia  y  cum  virorum  doc- 
toriim  notis  integris  gr.  et  lat.  ^ 
Hambourg,  1733,  in-4^.  II.  Poe- 
triarumocto,  Érinnce ,  MfrûSjMxr- 
tidis,  Corinnœ,  TelesilUe ,  Nossidis  y 
Anytœ ,Elepliantidis ,fragm.  et  elo- 
gia, gr.  lat.,  ib.,  1735,  in-4o.nï. 
Mulierum  grœcarum  quœ  oratione 
prosd  iisœ  suntfragmenta  et  elogia 


(i)  Gustave  Schracdter  avait  rempli  peudant 
plusieurs  aunccs  les  fonctions  decliapelaiu  deram- 
hassadeur  de  Danemark  eu  France  et  en  Espagne  ; 
il  avait  rapporté  de  ses  voyages  vme  collection 
précieuse  de  livres  et  de  médailles.  Il  mourut  pas- 
teur à  GKickstadt. 


WOL 

gr.  lat. y  Gottingue ,  1 739 ,  in-4^.  Le 
savant  éditeur  a  joint  à  cet  ouvrage 
une  notice  de  toutes  les  femmes  illus- 
tres de  l'antiquité,  dans  laquelle  il  a 
fondu  presque  entièrement  V Histoire 
des  femmes  philosophes  par  Ménage 
(  V.  ce  nom  ).  Il  promettait  de  don- 
ner, d'après  les  médailles  et  les  au- 
teurs anciens ,  les  vies  des  héroïnes  , 
des  reines  et  des  impératrices  ;  mais 
il  n'a  point  exécuté  ce  projet.  IV. 
Monumenta  tjpographica  quœ  ar- 
tis  hujus  prœstajitissimœ  origi- 
nem ,  laudcm  et  ahusum  posteris 
prodiint ,  etc. ,  Hambourg  ,  1740  ,  2 
tom.  en  4  vol.  in-8^.  Ce  recueil  est 
très-estime.  Il  est  précédé  d'une  bi- 
bliothèqtie typographique,  contenant 
la  liste  de  tous  les  ouvrages  relatifs 
à  l'histoire  de  l'imprimerie;  elle  est 
suivie  de  cinq  tables  qui  donnent: 
\^.  l'indication  des  villes  regardées 
comme  le  berceau  de  la  typographie  ; 
2t>.  les  différentes  dates  assignées  à 
cette  découverte;  3*^.  les  noms  des 
personnes  auxquelles  on  en  a  fait  hon- 
neur; et  enfmdans  les  deux  dernières^ 
les  chiffres  renvoient  aux  pages  du 
recueil  dans  lesquels  il  est  question 
des  avantages  ou  des  abus  de  l'im- 
primerie. Voy.  le  Répert.  bibliogra- 
phique universel  de  M.  Peignot  , 
340-41.  W— s. 

W  0  L  F  (  Jean  -  Christophe  )  , 
voyageur  allemand  ,  nous  apprend 
lui-même  qu'il  était  né  ,  le  i5  août 
1730  ,  à  Ploebel ,  petite  ville  du  du- 
ché de  Mecklenbourg-Schwerin ,  et 
que  ses  parents  étaient  des  bourgeois. 
Ce  qu'il  ajoute,  qu'ils  purent  seule- 
ment lui  faire  apprendre  à  lire  et  à 
écrire ,  donne  lieu  de  présumer  qu'ils 
n'étaient. pas  riches.  Ayant  perdu 
son  père  à  dix  ans  ,  Wolf  fut  obligé 
d'abandonner  l'école ,  parce  que  le 
beau-père  que  sa  mère  lui  avait  don- 
né n'était    pas  d'humeur  à  payer 


I 


WOL 

un    gros   ou   quinze    centimes    par 
semaine  au  maître  d'e'cole,  et  qu'il 
aimait  mieux  l'employer  à  des  tra- 
vaux   manuels.    Les    supplications 
de  l'enfant  ,  pour    retourner  à  l'é- 
cole, furent  inutiles  ,   le  beau -père 
le  battit;  il  lui  défendit  de  parlera 
sa  mère,   sa  protectrice  naturelle; 
lorsque  cette  injonction  était  enfrein- 
te ,  il  cliercliait  à  se  venger  sur  la 
mère  et  sur  le  fils.   Au  bout  de  cinq 
ans  de  cette  cruelle  servitude  ,  Wolf 
obtint  enfin  la  permission  d'aller  où 
il  voudrait  ,  mais  sans  recevoir  la 
moindre  chose  ,  même  de  sa  mère  , 
car  le  beau-père  avait  exige'  par  ser- 
ment qu'elle  ne  lui  donnât  rien.  Ar- 
rive dans  une  ville  éloignée  de  qua- 
rante milles ,  le  directeur  d'un  éta- 
blissement d'éducation  pour  les  or- 
phelins ,  récemment  formé  ,    s'inté- 
ressa vivement  à  son  sort  ,  et  le  prit 
auprès  de  lui.  Un  an  après  ,  il  l'en- 
voya continuer  ses  études  à  Berlin  , 
afin  qu'il  se  mît  en  état  de  remplir 
une  place  de  professeur  qu'il  lui  des- 
tinait. Le  protecteur  du  gymnase  de 
Graukloster  à  Berlin  prit  Wolf  en 
amitié  ,  et  lui  procura  une  place  de 
boursier  et  de  chantre,  ainsi  que  des 
écoliers   en  ville.   Wolf  était  donc 
assez  à  son  aise.  Une  aventure  sin- 
gulière ,   qui  lui  valut  le  reproche 
d'empiéter  sur  les  fonctions  des  ec- 
clésiastiques ,  lui  fit  prendre  la  réso- 
lution de  quitter  Berlin  :    il  alla  à 
Hambourg,  où  il  s'embarqua  jiour 
Amsterdam.  Là  il  fut  mené  par  le 
capitaine  chez  un  de  ces  recruteurs 
nommés  Ziehcrkooper  qui  faisaient 
des  avances  aux  jeunes  gens  ,  puis  les 
vendaient  à  la  compagnie  des  Indes. 
Heureusement  ,   par  l'entremise   de 
l'embaucheur  auquel  il  fut  adressé, 
Wolf  obtint  une   place  de  cbape- 
lain  à  bord  d'un  vaisseau  ,  et  même 
avant  son  embarquement  le  recruteur 

LI. 


WOL 


45 


lui  donna   encore    quelques   florins 
et  un  colFre  bien  garni ,  sauf  à f  être 
remboursé  quand  son  protégé  aurait 
fait  fortune.  L'amiral,  qui  avait  conçu 
de  l'amitié  pour  Wolf  ,  mourut  dans 
la  traversée;  mais  il  l'avait  recom- 
mandé fortement  au  capitaine   qui 
lui  succéda  :  celui-ci  combla  Wolf 
de   marques  de   bonté ,    et   voulut 
qu'il  s'instruisît  dans  l'art  de  la  na- 
vigation. Après  avoir  relâché  au  cap 
de  Bonne-Espérance,  le  navire  pour- 
suivit sa  route  vers  les  Indes,   et^ 
après  avoir  touché  à  quelques  comp- 
toirs de  la  côte  de  Maduré  ,  arriva 
près  de  Colombo  dans  l'île  de  Gey- 
lan.  Wolf  y  ayant  débarqué,  avec  les 
soldats  destinés  pour  y  faire  le  ser- 
vice ,  fut  envoyé  par  le  gouverneur 
à  JafFanapatnam.  11  avait  alors  dix- 
neuf  ans;  on  l'employa  dans  les  bu- 
reaux de  l'administration  pendant 
plus  d'un  an ,  puis  on  le  congédia.  Au 
bout  de  neuf  mois,  on  l'y  réintégra; 
le  gouverneur^ayant  reconnu  son  zèle 
et  sa  capacité,  lui  accorda  toute  sa 
confiance  et  la  direction  de  ses  bu- 
reaux; enfinTassiduitéde  Wolf  lui  mé- 
rita des  places  importantes ,  entre  au- 
tres celle  de  secrétaire- d'état  de  la 
justice  et  de  l'administration  civile. 
«Mais,  dit-il,  avec  toute  ma  grandeur, 
•n  je  n'étais  guère  qu'un  porteur  defar- 
»  deaux,  qui  durant  presque  toutes  les 
»  nuits  ,  pendant  que  les  autres  pou- 
»  vaicnt  se  livrer  au  sommeil ,  était 
»  obligé  de  travailler.  »  Après  vingt 
ans  de  séjour  à  Ceylan,  Wolf  quitta 
cette  île ,  où  il  fut  vivement  regretté, 
et  oij  il  avait  acquis  une  grande  for- 
tune. Les  directeurs  de  la  compagnie 
des  Indes  desiraient  qu'il  y  retournât 
occuper  de   nouveau  le  poste  qu'il 
avait  si  bien  rempli  ;    mais   Wolf 
brûlait  d'envie  de  revoir  son  pays.  Il 
trouva  ses  parents  morts ,  et  fut  obli- 
gé, par  une  maladie  grave,'  d'y  res- 
10 


46 


WOL 


Ut  ,  et  de  renoncer  à  tout  projet  de 
voyage'lointain.  Ensuite  j  il  fut  nom- 
me bailli.  On  a  de  lui  en  allemand  : 
Voyage  ci  Ceylan  ,  avec  une  rela- 
tion du  gouvernement  hollandais  à 
JaJJ'anapatnam  ,  Berlin  et  Stettin  , 
178*2  ,  in -8^.  L'auteur  publia  ,  en 
1784  ,  une  seconde  partie  qui  con~ 
tient  des  suppléments  à  divers  pas- 
sages de  la  première.  Wolf  est  un 
auteur  très-digne  de  foi  ;  sa  relation 
est  amusante ,  et  recommandable 
par  le  ton  de  sincérité  qui  y  règne  j 
on  y  trouve  des  détails  curieux  sur 
l'île  de  Geylan  et  sur  ses  habi- 
tants ,  qui ,  à  l'époque  où  il  les  vit, 
avaient  fait  des  progrès  dans  la  ci- 
vilisation ,  et  différaient  sous  ce 
rapport  de  ceux  que  Rob.  Knox  (  V. 
ce  nom  )  avait  décrits.  Le  livre  de 
Wolf  fut  publié  par  un  de  ses  amis , 
qui  y  ajouta  des  notes,  et  dans  sa 
prélace  passa  en  revue  divers  auteurs 
qui  avaient  écrit  sur  Ceylan.  La  re- 
lation de  Wolf  a  été  traduite  en  an- 
glais ,  Londres,  1784,  in-S^.,  et  en 
français  par  Langlès ,  dans  un  re- 
cueil intitulé  :  Description  du  Pegu 
et  de  Vile  de  Cejlan  ^  etc. ,  Paris  , 
1793  ,  in-S"^.  C/^.  Eschels-Kroon). 
Cette  version  n'estpas  toujours  lidèle, 
et  d'ailleurs  elle  n'est  pas  complète. 
E— s. 
WOLF  (Ernest-Guillaume),  mu- 
sicien allemand,  né  en  1785  àGross- 
Lehringen ,  village  dépendant  des  do- 
mainesde  ia  maison  de  Wangenlieim, 
montra  ,  dès  l'âge  de  quatre  ans,  une 
aptitude  extrême  pour  la  musique, 
et  apprit  en  un  jour,  non  -  seule- 
ment toutes  les  notes,  mais  encore 
un  air  de  clavecin.  A  sept  ans  ,  il 
était  déjà  habile  sur  l'orgue  ,  et  tou- 
chait, en  se  jouant ,  des  pièces  très- 
difficiles.  Cependant  il  fut  contrarié 
dans  le  désir  qu'il  avait  de  se  livrer 
exclusivement  à  la  musique.  Son  pè- 


WOL 

re  le  destinait  à  être  chasseur  du  sei- 
gneur de  Wangenheim.  Le  seigneur 
de  son  coté  voulait  en  faire  un  tan- 
neur.  Le  jeune  Wolf  fut  donc  ap- 
pliqué aux  principes  de  la  vénerie 
et  à  l'art  de  préparer  les  cuirs.  Ce- 
pendant,  comme  il  ne  faisait  dans 
l'un  et  dans  l'autre  que  de  très-mé- 
diocres progrès  ,    on  consentit  en- 
fin à  le  laisser  suivre  sa  vocation  ;  et 
il   fut  envoyé  à  l'école  d'Eisenach  , 
avec  une  petite  somme  d'argent.  Mais 
on  l'avertit  de  ne  plus  compter  doré- 
navant sur   les  bienfaits  paternels. 
Wolf  n'avait  encore  que  treize  ans. 
Il  prit  des  leçons  d'un  habile  chan- 
teur d'Eisenach,  et  fit,  en  peu  de 
temps  j  assez  de  progrès  pour  être 
nommé  chef  des  élèves  de  chant.  Ses 
dispositions  et  la   recommandation 
de  son  maître  lui  concilièrent  la  bien- 
veillance de  plusieurs  personnes  q 
aimaient  la  musique  ,  et  qui  lui  don 
ncrent  la  table  avec  les  moyens 
gagner  quelque  argent.  Plus  tard 
entendit  pour  la  première  fois  exe' 
cuter,  dans  la  chapelle  ducale,  la 
Mort  de  Jésus  f  par  Graun.  Ce  mo 
ceau  l'électrisa.  Il  se  plaisait,  da 
ses  dernières  années ,  à  raconter  qu 
pendant  l'audition  de  cette  admira- 
ble composition  il  fut  comme  perd 
dans  l'enchantement  ,  tant  son  ami 
était  accessible  aux  impressions  mU' 
sicales.  Il  se  livra  dès-lors ,  en  secretj 
à  la  composition  ,  malgré  son  extrême 
jeunesse.  En  même  temps,  il  eut  l'a- 
vantage de  se  faire  remarquer  par  si 
belle  voix  de  ténor ,  et  obtint  dans  les 
chœurs  de  la  chapelle  la  place  de  co-J 
ryphée;  de  sortequesanspouvoirêtri 
comparé  aux  célèbres  chanteurs  d( 
écoles  modernes ,  il  plut  beaucoup 
Gotha ,  et  y  trouva  de  quoi  vivr^ 
par  l'intérêt  qu'il  inspira  aux  plus 
riches  des  habitants.  Wolf  était  â^ 
de  dix-sept  ans  lorsque  ses  caraara^ 


;n- 

î 


WOL 

des  lui  demandèrent,  a  propos  d'une 
solennité  scolasîiqiic,  un  morceau  de 
musique.  Le  célèbre  Émanuel  Bach  , 
se  trouvant  alors  à  Gotha  ,  fut  invite 
à  la  réunion;  et  sans  connaître  le  jeune 
compositeur,  il  loua  beaucoup  son 
ouvrage.  Un  suffrage  d'un  si  grand 
poids  rehaussa  encore  le  mérite  de 
Wolf  aux  yeux  de  ses  amis  et  de  ses 
protecteurs.  On  lui  donna  le  conseil 
d'aller  à  lèna  ,  où  il  se  rendit  en  effet, 
et  dont  le  séj  our  fut  pour  lui  utile  et  lu- 
cratif. Il  y  enseigna  les  éléments  de 
la  musique  ,  reçut  lui-même  d'excel- 
lentes leçons,  et  finit  par  être  nom- 
me directeur  de  la  musique  de  la  cha- 
pelle. Néanmoins  cette  place  ne  put  le 
retenir  à  léna  ;  et  il  alla  passer  quel- 
que temps  à  Leipzig  et  à  Naum- 
bourg.  C'est  dans  cette  dernière  ville 
qu'il  connut  un  certain  comte  de 
Ponikau  ,  qui  lui  présenta  comme 
très-agréable  un  voyage  en  Italie, 
et  qui  lui  offrit  de  l'emmener  avec 
lui.  On  pense  bien  qu'il  eut  peu  de 
peine  à  déterminer  Wolf  ;  mais  bien- 
tôt de  prétendus  obstacles  vinrent  se 
mettre  à  la  traverse ,  et  le  pèlerinage 
musical  en  Italie  se  changea  en 
un  voyage  à  Weimar  :  encore  le 
comte  laissa-t-il  là  son  compagnon 
dès  qu'ils  furent  arrivés.  Quelque 
désagréable  que  fût  cette  aventure , 
elle  tourna  cependant  au  profit  de 
Wolf ,  à  qui  elle  fournit  l'occasion  de 
se  faire  connaître  de  la  duchesse  Ama- 
lie  (  Voy.  ce  nom  ).  Cette  princesse , 
si  habile  à  démêler  le  vrai  talent ,  et 
si  prompte  à  l'encourager, désira  en- 
tendre Wolf,  et  fui  tellement  satisfaite 
de  son  jeu  ,  qu'elle  se  l'attacha  sur-le- 
champ.  Elle  lui  donna  d'abord  pour 
élèves  le  jeune  duc  et  le  prince  Cons- 
tantin ,  son  frère  ;  et  ensuite  elle  lui 
confia  la  place  de  gouverneur  des  deux 
enfants  :  mais  Wolf  ne  resta  investi 
de  cette  charge  que  quelque  temps. 


WOL  147 

S'étant  marié  à  la  fille  du  célèbre 
compositeur  Benda  ,  maître  de  cha- 
pelle du  roi  Frédéric  II,  il  se  ren- 
dit à  Berlin  avec  sa  femme  ,  et  se 
fit  entendre  avec  applaudissement. 
Le  prince,  depuis  roi,  Frédéric-Guil- 
laume voulait  même  que  les  deux 
époux  fussent  attachés  à  la  cour  du 
roi  de  Prusse.  Mais  ils  s'y  refusèrent 
pourne  point  quitter  la  duchesse  Ama- 
îie ,  et  ils  la  rejoignirent  à  Weimar,  oii 
Wolf  resta  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours 
malgré  les  conseils  et  les  offres  de  ses 
protecteurs .  Il  y  demeura  même  après 
la  mort  de  Bach,  quoiqu'il  ne  tînt  qu'à 
lui  d'avoir  la  place  que  celui-ci  oc- 
cupait à  Hambourg.  C'était  cepen- 
dant le  poste  qui  lui  eût  le  mieux 
convenu.  Sa  composition  sévère  ^ 
mâle  et  énergique,  son  style  large  et 
majestueux  ,  quelquefois  un  peu 
lourd  j  tout  semblait  l'appeler  à 
exécuter  et  à  faire  de  la  musique 
sacrée  dans  les  plus  vastes  propor- 
tions. Les  habitants  de  Weimar  ne 
lui  rendirent  pas  tout-à-fait  justice; 
et  sans  nier  ses  talents,  ils  l'accusè- 
rent de  rester  fidèle  aux  vieux  erre- 
ments de  ses  devanciers.  Wolf  lui- 
même  sembla  reconnaître  l'équité  de 
ce  reproche  ,  et  tomba  dans  une  es- 
pèce de  découragement  lors  de  l'ap- 
parition de  VAlccste\)3iY  Schweitzer. 
Eu  vain  la  duchesse  Amalie  ,  avec  sa 
bonté  ordinaire,  essaya-t-elie  de  lui 
procurer  des  consolii tiens  ,  au  point 
même  de  prendre  de  lui  des  leçons  de 
clavecin.  Sa  mélancolie,  augmentant 
de  jour  en  jour,  le  rendit  méconnais- 
sable. Il  s'adonna  en  même  temps  à 
l'usage  des  liqueurs  fortes  ,  dont  il 
s'était  abstenu  auparavant ,  et  il  al- 
téra ainsi  l'excellrnce  de  son  tempé- 
rament. Quatre  ans  avant  sa  mort 
on  lui  apporta  un  morceau  sacré  à 
mettre  en  musique  :  le  texte  lui  en 
déplut,  on  ne  sait  pourquoi  :  à  peine 
10.. 


i4B 


WOL 


e'tait-il  à  roiivragc  qii*il  se  plaignait 
de  maux  de  tcte  violents  :  ii  toussait, 
crachait  le  sang  ,  était  quelquefois 
tlans  des  crises  d'apoplexie.  Enfin  , 
une  esquinancie  des  plus  graves  le 
mit  au  tombeau  le  8  décembre  179'Jt. 
On  a  de  ce  musicien  un  très -grand 
nombre  d'œuvres  et  quelques  ouvra- 
ges relatifs  à  la  musique.  Ces  der- 
niers sont  au  nombre  de  quatre  ,  et 
ont  pour  titre  :  I.  Encore  un  voya- 
ge,  mais  un  petit  voyage  musical 
dans  les  mois  de  juin  ,  de  juillet 
et  d'août  1782^  etc.,  Weimar  , 
i784«  II.  Avant-Propos  en  guise 
d'introduction  à  l'art  de  toucher 
le  clavecin  ,  sous  le  titre  de  So- 
natines,  etc.,  17B5.  m. Institution 
musicale  du  ton ,  des  gammes ,  des 
tons  consonnants  et  dissonants  ;  des 
accords  qui  en  résultent  ,  etc.  , 
Dresde  ,  1788.  IV.  Vérités  sur  la 
musique  ,  énoncées  franchement 
par  un  honnête  homme  de  l'Alle- 
magne, Parmi  ses  compositions  mu- 
sicales y  les  amateurs  estiment  sur- 
tout sa  Cantate  pour  laj'éte  de  Pâ- 
ques (  paroles  d'Herder  ) ,  partition 
imprimée  en  1782.  Il  avait  encore 
écrit  beaucoup  de  morceaux  de  mu- 
sique sacrée  ,  des  oratorios  pour  la 
Passion  ,  et  pbisieurs  cantates  dont 
les  vers  appartenaient  à  Wieland  et  à 
llerder.  Ses  pièces  profanes  sontbien 
plus  nombreuses.  Voici  la  liste  de 
celles  qui  sont  encore  recherchées  , 
ou  qui  figurent  dans  les  catalogues 
des  marchands  de  musique.  I.  La 
fête  des  Roses  ,  romance  pour  pia- 
no ,  1771.  II.  ia  Fille  du  jardi- 
nier ^  romance,  1774-  HI-  «^^-^  '^^" 
/ia^e5  pour  le  piano,  Leipzig  ,  1775, 
in-4".  Cet  œuvre  était  aux  yeux  de 
VVolf  lui-même  ce  qu'il  avait  pro- 
duit de  meilleur  en  musique  de  sa- 
lon. Les  chants  en  sont  suaves  et 
purs;    mais   peut-être  y  sent  -  on 


WOL 

quelque  chose   de   suranné ,  repro- 
che qui  peut  s'appliquer  avec  enco- 
re plus  de  justesse  aux  accompagne- 
ments quelquefois  trop  nus ,  et  aux 
passages   en  modulations   qui   n'of- 
frent rien  de  net  à  l'oreille.  Du  reste, 
il  faut  avoir  soin  de  distinguer  ce  re- 
cueil de  plusieurs  autres  qui  se  com- 
posent aussi  de  six  sonates  on  sona- 
tines pour  piano ,  et  qui  viennent  du 
même  auteur,   mais  qui  datent  des 
années  1779,  1781  ,  1783  (  Dessau), 
1789    (Leipzig),    1793  (Berlin), 
et  qui  d'ailleurs  sont  toutes  dans  le 
format  in-folio.  IV.  Le  Soir  dans  la 
forêt j  romancepour  piano  ,  1775.  V. 
Poljphème ,  monodrame  h  plusieurs 
parties,  1776.  VI.  Iphigénie ,  can- 
tate ta  chanter  en  parties ,  1 779.  Vil. 
Séraphine ,   cantate,  idem,    1783. 
VIIT.  Cérès,  \)ro\o»y\Q.{ys..  Cinquan- 
te-une chansons  des  meilleurs  pot 
tes  allemands ,  mises  en  musique 
Weimar,    1784.  X.    Beaucoup  d 
Concertos    et   plusieurs   Quintetti 
dont    nous    ne    donnerons    pas    1 
détail  ,  parce   que    l'on    rechercli 
moins  aujourd'hui  ce  genre  de  con 
positions,  surtout  le  premier  doi 
les  formes  ont  le  double  tort  d'êti 
solennelles  et  trop  monotones.  Nou 
ne  parlerons  pas  non  plus  d'une  foui 
d'autres  morceaux    pour   orchestr 
ou  instruments  à  vent,  tels  que  synj 
phonies,  etc.  ,  qui  sont  restés  ma 
nuscrils ,  et  qui  probablement  ne  se 
ront  jamais  gravés.  P — ot. 

WOLF  (FrédépxIc-Auguste)  ,  ui 
des  premiers  philologues  de  l'Aile 
magne,  naquit  à  Haynrode,  villag 
près  de  INordhausen,  le  i5  févrie 
1759.  Il  dut  sa  première  insîru( 
tion  aux  soins  de  son  père  ,  chan 
tre  et  organiste  de  l'église  pro 
testante  d'Haynrode,  et  qui  p!u 
tard  devint  maître  de  chant  à  l'< 
rôle   des  filles  de  la   ville  voisin( 


^ 


WOL 

A   sept  ans  ,    le  jcmic   Wolf    fut 
admis  dans  la  troisième  classe  du 
collège  de  Noidliausen  ,  où  le  cours 
entier  de  renseignement  était  divise 
en  sept  classes.  11  manifesta  des -lors 
ses  heureuses  dispositions  pour  l'é- 
tude des  langues  anciennes,  et  s'a- 
donna en  même  temps  aux  langues 
vivantes    dont  les  littératures    lui 
devinrent  familières  avant  son  en- 
trée à  l'université.  Déjà  même  à  cette 
époque  il  avait  conçu  le  projet  d'une 
grammaire   com])arce   des    langues 
anciennes  et    modernes.  De   bonne 
heure  il  attachait  aux  connaissances 
acquises  par  transmission  moins  de 
prix  qu'à  celles  qui  sont  le  fruit  de 
nos  propres  efforts;  et  cette  disposi- 
tion ,  bien   digne  d'un  esprit  aussi 
original  et  aussi  puissant  que  le  sien  , 
était  d'ailleurs  favorisée  par  la  ma- 
nière dont  l'un  de  ses  maîtres  l'a- 
vait initié  à  l'intelligence  des  prin- 
cipales langues  modernes.  Répétant 
sans  cesse  à  ses  élèves  que  cette  étu- 
de est  facile  à  quiconque  connaît  dé- 
jà les  langues  de  l'antiquité,  et  ne 
leur  laissant  entre  les  mains  le  dic- 
tionnaire de  chaque  idiome  vulgaire 
que  pendant  deux  mois,  pour  en  ex- 
traire une  quantité  de  mots  suffisan- 
te ,  ce  maître,  nommé  Frankenstein , 
l'avait  accoutumé  à  compter  sur  ses 
recherches  solitaires,  et  à  marcher 
avec  indépendance  dans  ses  propres 
voies.  Une  vive  prédilection  pour 
les  études   philologiques  l'empêcha 
de  répondre  aux  vues  de  son  père , 
qui ,  voulant  le  consacrer  à  la  profes- 
sion de  musicien,  lui  avait  fait  ap- 
prendre le  chant,  la  composition  et 
plusieurs  instruments.  Son  maître  de 
musique,  nommé  Schrôter,  savant 
organiste ,  l'intéressait  beaucoup  en 
lui  apprenant  à  connaître  les  écrits 
des  anciens  sur  l'art  musical  j  mais 
la  partie  mathématique  de  cet  art  lui 


WOL 


'49 


était  insupportable,  et  il  conserva 
toujours  depuis  la  même   aversion 
pour  les  sciences  de  calcul.   A  l'âge 
de  dix-neuf  ans ,  il  se  rendit  à  l'uni- 
versité de  Gottingue  ,  où  il  prit  ins- 
cription sous  le  titre  inusité  alors  de 
philologîœ  studio  sus ,  titre  qui  fail- 
lit faire  refuser  son  admission  parles 
supérieurs  ,  entre  autres  par  Heync  ; 
mais  le  jeune  Wolf  ne  voulut  point 
se  départir  de  cette  qualité ,  et  il  fut 
impossible  de  le  décidera  s'inscrire 
pour  là  faculté  de  théologie  qui  im- 
pliquait plus  ou  moins  positivement 
les  études  philologiques.  Gatterer , 
Schlozer,  Michaelis,  Feder,  Mei- 
ners  et  Heyne ,  furent  les  professeurs 
dont  il  suivit  les  cours ,  mais  sans 
assiduité.  Le  dernier  lui  sut  mauvais 
gré  du  désordre  apparent  de  ses  tra- 
vaux, qui ,  ainsi  que  son  peu  d'exac* 
titude  aux  leçons ,  tenait  surtout  à 
ce  besoin  d'étudier  par  lui-même, 
et  à  cette  habitude  d'indépendance 
dont  nous  avons  parlé.  Heyne  jugea 
donc  à    propos   de    l'écarter    d'un 
cours  particulier  {coUegium  priva- 
tum  )  qu'il  faisait  sur  Pindare ,  com- 
me peu  en  état  de  le  suivre,  malgré 
ses  instances  pour  être  mis  à  l'épreu- 
ve. Ce  traitement  était  d'autant  plus 
rigoureux  ,   que  Wolf ,   étranger  à 
toute  dissipation  ,  connu   à  Gottin- 
gue de  peu  de  personnes,  et  profitant 
avec  ardeur  des  richesses  de  la  bi- 
bliothèque, se  hvrait  sans  relâche 
au  travail.  Son   excessive  applica- 
tion alla   même  jusqu'à   lui   causer 
deux  dangereuses  maladies  pendant 
les  deux  ans  et  demi  qu'il  passa  dans 
cette  université.  Cet  éloignement  de 
Heyne,  pour  un  jeune  homme  que  sa 
gloire  était  intéressée  à  traiter  com- 
me son  élève ,   empêcha   Wolf  de 
solliciter  auprès  de  lui  une  place  au 
séminaire     philologique  ,     quoique 
cette  ressource  convînt  fort  à  sa  po-« 


i5o 


WOL 


sition.  Il  s'en  dédommageait  péni- 
blement en  donnant  quelques  leçons 
de  grec  et  de  langues  modernes ,  par- 
ticulièrement d'anglais.  C'est  pour 
ce  dernier  objet  qu'il  jiuhlia  ,  en 
1778  (  Gotlingue  ),  le  texte  du 
Macbeth  de  Shakespeare,  avec  des 
notes  et  des  e'clarrcissemenls.  En 
1779,  il  fut  appelé  au  collège  d'Ile- 
feid ,  en  qualité  de  régent  extraordi- 
naire. Avant  de  quitter  l'université  , 
il  offrit  à  Heyne ,  comme  une  preuve 
de  déférence ,  de  lui  soumettre  un 
essai  où  il  avait  déposé  le  germe  des 
idées  qu'il  développa  depuis  avec 
tant  de  force  et  d'éclat  sur  les  poè- 
imes  d'Homère*  mais  cet  liommage 
fut  repoussé  avec  peu  de  ménage- 
ment. Pendant  son  séjour  à  Ilefeld, 
Wolf  s'annonça  au  monde  savant 
par  une  édition  du  Banquet  de  Pla- 
ton, Leipzig,  17B2,  in-80.,  dans 
laquelle  il  joignit  au  texte  grec  une 
exposition  de  ce  dialogue, une  intro- 
duction et  des  notes  en  allemand.  Ce 
travail,  dans  lequel  Wolf  manifes- 
tait de  si  bonne  heure  une  critique 
savante  et  spirituelle,  large  et  exac- 
te ,  grave  et  agréable  en  même 
temps,  attira  sur  lui  l'attention  du 
public  ,  et  particulièrement  celle  du 
ministre  prussien  Zedlitz.  Peu  après 
cette  pubbcation  ,  il  signala  son  ta- 
lent pour  l'enseignement ,  et  son  im- 
mense érudition  dans  un  exercice 
solennel  (  Prohelection  ) ,  à  la  suite 
duquel  il  fut  nommé  recteur  de  l'é- 
cole d'Osterrode  près  du  Harz.  A 
cette  même  époque,  il  se  maria, 
e'tant  âgé  de  vingt-trois  ans  ,  et  dès 
l'année  suivante  on  lui  offrit  la  di- 
rection du  collège  de  Géra,  qu'il 
n'accepta  point  malgré  les  avanta- 
ges attachés  à  celte  place  ,  préférant 
le  titre  de  professeur  à  l'université 
de  Halle,  qui  lui  était  offert  d'un 
autre  côté,  avec  la  direclion  de  l'ins- 


WOL 

titut  pédagogique  de  cette  ville.  Ce» 
fonctions  lui  convenaient  davantage 
par  l'influence  plus  étendue  qu'elles 
lui  permirent  d'exercer,  influence 
toute  pratique  dont  les  effets  tou- 
jours croissants  peuvent  diliicilement 
être  racontés  ,  mais  sont  attestés  par 
la  reconnaissance  et  la  gloire  qui  ont 
consacré  son  nom  dans  la  mémoire 
de  ses  compatriotes.  Sa  plus  haute 
vocation  fut  toujours  à  ses  yeux 
celle  de  professeur,  quoiqu'il  réunît 
comme  écrivain  critique  toutes  les 
qualités  qui  tiennent  du  génie ,  et  qui 
atteignent  à  la  perfection.  Ses  cours 
furent  peu  fréquentés  pendant  la  pre- 
mière année  de  son  enseignement  à 
Halle  :  il  avait  cru  devoir  le  prendre 
sur  le  pied  le  plus  élevé ,  et  il  trou- 
vait peu  d'étudiants  en  état  de  l'en- 
tendre. Dès  l'année  suivante,  il  se 
réduisit  à  des  formes  plus  élémen- 
taires ,  et  se  vit  entouré  d'un  audi- 
toire nombreux.  Assisté  du  ministre 
Zedlitz,  il  obtint  bientôt  l'autorisa- 
tion de  transformer  l'institut  péda- 
gogique confié  à  ses  soins  en  un  sé- 
minaire philologique ,  c'est-à-dire  un 
établissement  d'instruction  secondai- 
re en  une  école  normale.  Le  succès 
avec  lequel  il  s'appliquait  à  fortifier 
les  études  académiques  répandit  le 
plus  grand  éclat  sur  l'université  de 
Halle  ,  pendant  vingt -trois  années 
qu'il  y  fut  professeur ,  et  il  se  vit  en 
position  durant  les  dix  dernières  de 
reprendre  en  présence  d'une  foule 
attentive  le  genre  d'enseignement  qui 
lors  de  son  début  s'était  trouvé  en 
disproportion  avec  la  faiblesse  des 
auditeurs.  Ce  qui  caractérisait  la  ma- 
nière de  ce  grand  maître  ,  c'est  qu'à 
une  érudition  toujours  vraie,  sobre 
et  forte  ,  ennemie  de  la  routine  et  du 
pédantisme,  il  joignait  la  plus  haute 
intelligence,  le  sentiment  le  plus  vif 
du  génie    de  l'antiquité  classique , 


I 


WOL 

^ont  il  semblait  anime  lui-même ,  et 
dont  il  voulait  donner  la  noble  em- 
preinte à  la  vie  intellectuelle  et  mo- 
rale des  hautes  écoles.  Aussi  trou- 
vait-on sans  cesse  dans  ses  leçons  et 
dans  son  commerce  privé  quelque 
chose  de  fier  et  de  généreux  qu'an- 
nonçaient aussi  les  avantages  exté- 
rieurs de  sa  personne  ,  en  même 
temps  qu'un  abandon  plein  de  bonté 
avec  lequel  il  prodiguait  ses  moments 
comme  les  livres  de  sa  bibliothèque 
aux  jeunes  gens  assez  heureux  pour 
lui  inspirer  quelque  intérêt.  Pendant 
ses  vingt-trois  ans  d'exercice  à  Hal- 
le ,  il  oiïrit  la  preuve  d'une  activité 
|)eut-êtresans  exemple  parmi  les  pro- 
fesseurs si  laborieux  de  l'Allema- 
gne ,  en  faisant  plus  de  cinquante 
cours  dilférents  sur  des  auteurs  ou 
sur  des  matières  diverses ,  sans  comp- 
ter les  soins  qu'il  donnait  au  sémi- 
naire philologique.  Par  une  singula- 
rité plus  rare  encore,  il  dédaigna 
constamment  les  profits  qu'il  pou- 
vait s'assurer  en  publiant  des  livres 
à  l'aide  du  travail  de  ses  leçons,  et 
destinés  à  leur  servir  de  texte.  Lfne 
édition  de  la  Théogonie  d'Hésiode , 
avec  des  commentaires  (  1784),  ré- 
sultat de  l'un  de  ses  cours,  fit  seul« 
exception  à  cette  règle  que  !ui  avaient 
imposée  sa  conscience  littéraire  et 
l'originalité  toute  vivante  de  sa  ma- 
nière d'enseigner,  d'après  laquelle 
il  ne  voulait  donner  ni  traductions 
d'auteurs,  ni  dictées.  Il  lui  arriva  mê- 
me de  faire  suspendre  à  la  porte  de 
son  auditoire  les  traductions  déjà  pu- 
bliées de  l'auteur  qu'il  expliquait,  en 
permettant  à  ses  élèves  d'en  détacher 
chacun  un  morceau.  Une  entreprise 
qui  lui  fut  confiée  ,  ainsi  qu'il  l'avait 
souvent  désiré  ,  par  des  libraires  de 
Halle ,  appela  ses  travaux  particu- 
liers sur  Homère,  et  lui  fournit  l'oc- 
casion de  rendre  à   la   critique  de 


WOL  iSi 

l'antiquité  un  de  ces  éminenls  servi- 
ces dont  le  temps  ne  peut  effacer  le 
souvenir  ,  et  auxquels  il  semble  mê- 
me ne  pouvoir  rien  ajouter.  H  ne 
s'agissait  d'abord  que  de  diriger  une 
réimpression  des  OEuvres  d'Homère, 
d'après  l'édition  de  Glascow  :  et  c'est 
ce  que  Wolf  exécuta  avec  un  soin 
scrupuleux  qui  répondit  à  cette  pre- 
mière intention  ,  en  donnant,  avec  la 
plus  grande  exactitude  typographi- 
que ,  le  texte  grec  tel  qu'une  critique 
bien  insuffisante  l'avait  laissé  subsis- 
ter jusqu'alors  (Halle,  1784  et  85  , 
in-8".)-  ^'^'s  il  conçut,  dès  ce  mo- 
ment, le  projet  de  revoir  à  fond  et 
de  restituer  ce  texte ,  sinon  dans  son 
état  primitif,  ce  qui  était  impossible, 
du  moins  avec  de  telles  améliora- 
tions sous  le  rapport  de  la  langue , 
du  sens  littéral  et  poétique  ,  de  la 
ponctuation  et  des  accents  ,  qu'il  pût 
représenter  les  meilleures  leçons  des 
grands  critiques  d'Alexandrie.  Aucun 
travail  de  ce  genre  n'avait  été  entre- 
pris d'après  une  méthode  aussi  large 
et  aussi  laborieuse  :  Wolf  relut  jus- 
qu'à trois  fois  l'immense  commen- 
taire d'Eustathe,  et  les  autres  sco- 
lies  ,  relevant  de  toutes  parts  les 
variantes  et  les  gloses  omises  par 
Ernesti  et  ses  devanciers.  11  parcou- 
rut les  scoliastes  des  divers  écri- 
vains grecs,  les  lexicographes  ,  et 
autres  grammairiens  anciens  •  il  cher- 
cha la  trace  des  textes  antiques  d'Ho- 
mère chez  les  prosateurs  qui  l'ont 
cité,  chez  les  poètes  et  particulière- 
ment ceux  d'Alexandrie  ,  qui  en  l'i- 
mitant ont  indiqué  souvent  de  quelle 
manière  ils  lisaient  ou  entendaient 
certains  passages.  En  1  788  ,  la  pu- 
blication, faite  par  Dansse  de  Villoi- 
son ,  du  précieux  manuscrit  de  Ve- 
nise, lui  fournit  la  matière  d'un  nou- 
veau travail ,  et  le  fit  revenir  sur 
tout  ce  qu'il  avait  fait  jusque-là.  Les 


t52 


WOL 


scolies  de  ce  manuscrit,  qui  avaient 
etc  inconnues  à  Eustathc;,  remplies 
des  traditions  et  des  signes  critiques 
qu'avaient  laissés  sur  la  plupart  des 
vers  de  l'Iliade  les  Aristarque,  les 
Zenodote  ,  les  Aristophane;  (  de  By- 
sance  ) ,  et  d'autres  éditeurs  célèbres 
de  l'antiquité  ,  offrirent  à  Wolf  une 
multitude  d'éraendations  nouvelles  , 
et  la  confirmation  d'un  grand  nom- 
bre de  ses  conjectures  (  Voy.  l'art. 
Homère,  XX  ,  5o7  ).  L'édition  d'Al- 
ler (  1789-90  et  94  ),  d'après  les 
mss.  de  Vienne,  ajouta  encore  à  ses 
travaux  et  à  ses  ressources.  De  là  , 
portant  ses  regards  sur  l'histoire 
tout  entière  des  poèmes  homériques, 
et  particulièrement  sur  leur  origine  , 
après  s'être  convaincu  par  tant  de 
témoignages  des  variations  conti- 
nuelles qu'ils  ont  subies  à  travers  les 
siècles  j  par  l'infidélité  des  souvenirs 
et  des  copies ,  par  le  désordre  de 
l'enSemble  et  le  manque  de  divisions 
précises ,  par  l'audace  des  interpo- 
lateurs  ,  l'ignorance  ou  les  subtilités 
des  interprètes  ,  il  trouva  la  raison 
de  celte  instabilité  des  textes ,  dans 
la  manière  dont  ces  poésies  avaient 
été  composées  et  répandues  ,  puis 
enfin  rédigées  enlonie,  en  Grèce,  et  à 
Alexandrie.  Ce  fut  la  matière  d'un 
célèbre  traité  qu'il  publia,  en  i  793  , 
sous  le  litre  de  Prolcgomena  ad 
Homerum y  Halle,  in-8'\,  première 

Fartie.  Abandonnant  avec  hardiesse 
ornière  des  critiques  accoutumés  à 
envisager  sous  le  même  aspect ,  et  à 
juger  d'après  le  même  esprit  Homère 
et  les  poètes  épiquçs  des  siècles 
civilisés  ,  Wolf  se  demanda  si  l'au- 
teur ou  les  auteurs  de  l'Iliade  et  de 
rOdyssée  avaient  su  écrire  ou  s'ils 
avaient  pu  faire  usage  de  l'écrituie. 
Des  preuves  sans  nombre  le  convain- 
quirent de  la  fausseté  de  cette  hypo- 
thèse ,   et  en  particulier  le   silence 


WOL 

absolu  des  deux  poèmes  sur  un  ai 
que  la  Poésie,  fille  de  Mémoire,  était 
alors  destinée  à  suppléer.  Quelle  étail 
donc  la  condition  d'Homère  ou  des} 
heureux  génies  représentés  par  cei 
nom  qu'aucune  circonstance  histori- 
que n'accompagne  ?  Celle  de  chan- 
tres publics  (  àoioùi  )  dépositaires! 
des  traditions  religieuses,  politiques 
guerrières  des  nations  grecques  à  pei- 
ne sorties  de  l'enfance  :  professioi 
révérée  à  cette  époque  ,  et  que  l'arl 
d'écrire  des  livres  en  prose,  pratique 
seulement  trois  siècles  plus  tard  ,. 
vers  les  premières  olympiades ,  de- 
vait faire  dégénérer  et  enfin  dispa- 
raître ,  mais  qui  se  trouve  avec  deslj 
caractères  analogues  chez  toutes  lesj 
nations  à  demi-civilisées,  dont  le  gé- 
nie et  la  langue  oflfrent  quelque  origi-^ 
nalité.  Aiusi  se  répandaient  de  contrée 
en  contrée  les  plus  beaux  chants  con-l 
saciés  à  la  gloire  des  héros  ,  et  d( 
nouveaux  épisodes  venaient  s'y  rat-' 
tacher  sans  cesse  ,  de  manière  à  for- 
mer ces  immenses  cycles  épiques  que 
l'antiquité  eile-même  ne  put  conser- 
ver sous  leurs  formes  natives.  La 
gloire  des  Homérides  entre  les  diver^ 
ses  familles  ou  écoles  de  Rhapsodes 
fut  sans  doute  de  choisir,  de  conser- 
ver et  de  perfectionner  les  deux  plus 
belles  parties  de  cet  héritage  poéti- 
que, quelque  distance  qu'on  soit  obli- 
gé d'ailleurs  d'établir  entre  ces 
deux  parties  comme  monuments  de 
la  culture  intellectuelle,  politique, 
industrielle  et  religieuse  des  peu- 
ples à  des  époques ,  ou  plus  proba- 
blement encore  dans  des  contrées 
différentes.  Examinant  ensuite  la 
forme  et  le  dessin  de  l'Iliade  et 
de  l'Odyssée  ,  Wolf  ne  craignit 
point  ,  malgré  tout  l'art  qu'y  ont 
pu  introduire  les  éditeurs  anciens , 
de  leur  contester  cette  unité  savante 
qu'une  raison  plus  moderne  a  im- 


gi-  ?■ 

I 


WOL 

posée  au  poème  e'pique  ,  mais  qu*A- 
ristolc  ,  faute  de  véritables  modèles, 
a  si  vaguement  déterminée  dans  ses 
préceptes  sur  ce  genre  de  composi- 
tion. Ces  importantes  discussions 
sont  suivies  d'une  recherche  histori- 
que sur  les  destinées  de  ces  poèmes 
aux  diverses  époques  de  Lycurgue  , 
de  Solon  ^  de  Platon  ,  d'Alexandre  , 
où  il  est  si  peu  à  présumer  qu'ils 
formassent  un  corps  semblable  à 
celui  qu'ils  ollrent  aujourd'hui  ,  et 
enfin  aux  époques  de  Zcnodote  ,  d'A- 
ristopliaue  et  d'Aristarque ,  où  une 
critique  habile  ,  mais  souvent  témé- 
raire et  systématique,  s'en  empara 
pour  corriger  les  détails  et  ordonner 
l'ensemble.  Telle  est  la  matière  de 
ces  admirables  Prolégomènes  dont 
le  style  aussi  plein  ,  aussi  fort,  aussi 
original  que  la  doctrine  ,  révélait 
non-seulement  le  plus  habile  latiniste 
de  son  temps  ,  mais  encore  un  grand 
écrivain.  La  sensation  que  ce  livre 
produisit  dans  le  monde  littéraire 
fut  vive  et  diverse.  Sans  avoir  re- 
cherché le  paradoxe  ,  l'auteur  en 
subit  tous  les  honneurs  ou  plutôt  les 
inconvénients.  11  fut  de  toutes  parts 
attaqué  ou  défendu  ,  injurié  ou  célé- 
bré ,  et  souvent  sans  avoir  été  bien 
compris.  Quelques  lignes  d'Is.  Ca- 
saubon  et  de  l'illustre  Bentley  étaient 
les  seules  autorités  respectables  qui 
eussent  précédé  sa  doctrine  ,  et  l'on 
ne  manqua  pas  ,  comme  il  l'avait 
pressenti  ,  d'associer  son  jugement 
sur  Homère  aux  impertinentes  pro- 
positions hasardées  par  l'abbé  d'Au- 
bignac,  comparant  l'Iliade  à  un  pot- 
pourri  du  Font  -  Neuf.  Bien  loin 
pourtant  de  déprécier  la  poésie  ho- 
mérique ,  Wolf ,  en  l'atTranchissant 
des  conditions  arbitraires  et  indivi- 
duelles d'un  livre  moderne ,  indi- 
quait aux  esprits  sérieux  la  source 
plus  large  et  plus  féconde  des  gran- 


WOL  i53 

des  poésies  nationales  dans  le  génie 
des  peuples  à  cet  âge  où  les  imagina- 
tions ,  naïves  et  hardies  comme  le 
langage,  ne  savent  que  revclir  d'har- 
monieux mensonges  l'histoire  ,  la 
religion,  la  nature  et  l'humanité  tout 
eplières.  En  un  mot  il  faisait  dispa- 
raître en  partie  le  prodige  de  l'I- 
liade et  de  l'Odyssée  y  sans  rien  ôter 
à  l'admiration  qui  leur  est  due. 
Mais  les  superstitions  littéraires 
d'un  grand  nombre  de  savants ,  en 
Allemagne  et  à  Tétranger ,  se  soule- 
vèrent en  faveur  de  la  personne  et 
des  écrits  du  divin  poète  :  des  aca- 
démies provoquèrent  le  combat  par 
des  récompenses  -,  les  feuilles  pério- 
diques furent  partagées -la  Gazette 
de  Leipzig  se  déclara  en  faveur  de 
Wolf  (  1796,  n».  33),  tandis  que 
Heyne  ,à  Gôltingue,  accueillait,  avec 
un  mécontentement  équivoque,  des 
idées  dont  il  prétendit,  plus  tard, 
avoir  eu  les  premiers  soupçons,  et 
dont  il  fit  ensuite  son  profit  dans  les 
derniers  Excursus  de  son  édition  de 
l'Iliade,  tome  viii.  Ses  prétentions 
à  la  priorité  sur  Wolf,  et  les  plaintes 
qu'il  exprima  d'avoir  été  dérobé  par 
ce  dernier,  dès  l'époque  où  il  le  comp- 
tait parmi  ses  élèves,  donnèrent  lieu 
à  celui-ci  de  publier  des  Lettres  à 
Hef/ie y  en  allemand,  dont  les  trois 
premières  surtout  passent  pour  des 
modèles  de  polémique  savante  et  de 
fine  ironie.  Voyez  aussi  Bottiger  sur 
Vinvention  du  papyrus  égjptien  et 
son  introduction  en  Grèce ,  dans  le 
Mercure  allemand ,  1 796  j  Schnei- 
der, Préface  des  Argonautiques 
d'Orphée; Hermann,  De emend.  rat. 
gramm.  gr.  ,  pag.  38  et  44*  D'uue 
autre  part ,  on  peut  voir  pour  l'opi- 
nion contraire  :  Sainte-Croix  ,  B.efu- 
tation  d'un  paradoxe  littéraire  de 
M.  Wolf,  1798,  in-8°.;  J.-L.  Hug, 
sur  l'invention  de  l'écriture  alpha- 


i54 


WOL 


hétique  ,  etc. ,  avec  des  considéra- 
tions relatives  aux  nouvelles  recher- 
ches sur  Homère ,  en  allem. ,  1801  j 
Cesarolti,  Dissertations  au  tome  ix, 
de  sa  traduction  de  l'Iliade  ,  Pise, 
1802  ;  Wassemberg  ,  Oratio  de 
ahusu  ingenii ,  in  ed  prœserlim 
sententid  spectato  quœ  lliadcm  et 
Odjsseam  Homero  magnam  par- 
tent ahjudicat,  1797.  Mais  depuis 
long-temps  l'Allemagne  savante  s'ac- 
corde à  reconnaître  pour  légitime  le 
scepticisme  éclairé  de  Woifrdes  cri- 
tiques philosophes  et  des  philologues 
s'en  sont  habilement  servis  -,  et  les 
Prolégomènes  subsistent  comme  un 
rare  modèle,  qu'on  a  quelquefois  ap- 
pelé le  Torse  ,  à  cause  de  la  beauté 
de  l'ouvrage  et  de  sa  forme  incom- 
plète. Kn  eifet ,  par  un  caprice  assez 
bizarre,  l'auteur,  qui  a  survécu  trente 
ans  à  la  publication  de  ce  livre ,  ne 
Ta  jamais  achevé.  Sa  première  partie 
devait  amener  l'histoire  des  poèmes 
d'Homère  jusqu'à  la  première  édition 
imprimée  de  Démélrius  Chalcondyle , 
et  elle  s'arrête  avant  l'époque  de  Lon- 
gin  et  de  Porphyre  :  la  seconde  partie 
devait  donner  les  règles  et  la  méthode 
d'après  lesquelles  il  préparait  sa  nou- 
velle édition  à! Homère.  Cette  édition 
parut  en  180 4, Leipzig ,  4  vol.  in-80., 
peut-être  l'immense  succès  qu'elle 
obtint,  ainsi  que  les  travaux  qu'elle 
^vait  exigés ,  le  dispensèrent-ils  de 
songer  à  rendre  compte  de  ses  motifs. 
Dès  l'année  17921,  malgré  les  soins 
'qu'il  consacrait  à  Homère  et  à  ses 
leçons ,  Wolf  avait  donné  une  édi- 
tion de  la  Harangue  de  Démosthène 
contre  Leptine  (  Halle  ,  in-80.  ) ,  pré- 
vcédée  d'une  dédicace  remarquable  à 
Beiz  ,  et  d'un  discours  préliminaire, 
et  suivie  de  notes  relatives  aux  di- 
verses leçons ,  ainsi  qu'à  l'interpré- 
tation du  texte,  en  y  joignant  une 
réimpression  du  Discours  d'Aristide 


WOL 

sur  le  même  sujet,  donné  pour  la 
première  fois  par  Morelli  à  Venise. 
Depuis  les  plus  hautes  considérations 
sur  l'éloquence  grecque  ,  jusqu'aux 
moindres  nuances  de  la  diction  ,  et 
aux  détails  des  mœurs  et  des  locali- 
tés ,  ce  comujentaire  répond  à  tous 
les  besoins  de  la  critique  avec  une 
telle  supériorité  ,  que  l'on  ne  sau- 
rait trouver  aucun  travail  du  même 
genre  exécuté  avec  autant  de  per- 
fection. La  simplicité  et  la  pureté 
de  style  des  grandes  époques  anti- 
ques ,  si  bien  caractérisées  dans  les 
plus  beaux  passages  des  Prolégomè- 
nes de  ce  dernier  ouvrage  ,  avec  une 
latinité  digne  du  sujet  ,  devinrent 
pour  Wolf  les  principaux  moyens 
d'apprécier  la  légitimité  des  ouvra- 
ges attribués  aux  classiques  du  pre- 
mier ordre.  C'est  par-là  qu'il  fut 
conduit  à  révoquer  en  doute  l'authen- 
ticité de  plusieurs  discours  attribués 
généralement  à  Cicéron ,  renouve- 
lant ainsi  un  procès  littéraire  qui 
avait  divisé  un  demi-siècle  aupara- 
vant les  savants  de  l'Angleterre  et 
de  l'Allemagne,  et  qui  semblait  aban- 
donné sinon  jugé.  On  peut  consulter 
sur  cette  première  époque  du  débat 
les  articles  Middleton  ,  Tunstat.l, 
J.-Math.  Gesner  ,  et  en  particulier 
Marrland,  XXVII,  194.  Wolf 
releva  la  discussion  en  publiantlc  tex- 
te de  Quatre  discours  prétendus  de 
Cicéron  y  Post  reditum  in  senatu  y 
Ad  Quirites post  reditum;  Pro  domo 
sud  ad  pontifices  ;  De  Haruspicum 
responsis  ;  avec  les  observations  de 
Markiand  contraires  à  l'authenticité 
de  ces  discours  ,  les  réponses  de  Ges- 
ner et  ses  propres  répliques,  Berlin, 
1801.  Il  eût  pu  s'épargner  la  peine 
de  traduire  en  latin  le  commentaire 
anglais  de  Markiand  ,  s'il  eût  su  que 
ce  travail  avait  déjà  été  fait  en  An- 
gleterre. Cette  publication ,  dédiée  à 


à 


WOL 

notre  célèbre  Larclier,  fut  bientôt 
suivie  d'une  autre  attaque  inouïe  jus- 
qu'alors contre  la  foi  des  écoles  ci- 
ce'ronicnnes:  le  Pro  Marcello ,  cette 
oraison  pompeuse,  étudiée  depuis  si 
long-temps  commeun  modèle  de  dic- 
tion et  d'éloquence,  fut  traitée  d'a- 
pocryphe, et  dénoncée  par  l'illustre 
critique  sur  un  ton  auquel  on  peut 
reprocher  trop  d'audace  et  une  sorte 
de  tyrannie  envers  l'opinion  com- 
mune. Dans  un  commentaire  détaillé 
sur  cette  harangue,  il  prétendit  prou- 
ver que  Cicéron  n'avait  ni  pu,  ni 
dû  s'exprimer  avec  autant  d'étendue, 
dans  un  te!  esprit  et  dans  un  tel  lan- 
gage ;  que  les  expressions  ,  les  phra- 
ses et  les  constructions  sont  sou- 
vent à  peine  latines;  que  la  com- 
position tout  entière  est  jylate  et 
ridicule,  enûn  plus  digne  du  bauard 
empereur  Claude ,  que  de  Cicéron. 
D'imposants  suffrages,  entre  autres 
ceux  de  MM.  Schiitz  et  Beck,  vin- 
rent appuyer  en  faveur  de  ce  para- 
doxe l'aulorité  de  Wolf;  néanmoins 
de  nombreux  contradicteurs  s'élevè- 
rent; enfin  de  zélés  imitateurs  ne 
manquèrentpoint,  qui  voulurent  por- 
ter la  serpe  sur  d'autres  branches  de 
la  littérature  ancienne, et  particuliè- 
rement sur  d'autres  écrits  de  Cicé- 
ron. Des  esprits  prudents  prirent  l'a- 
larme et  annoncèrent  un  bouleverse- 
ment général  dans  l'empire  du  goût 
et  de  la  critique ,  si  l'exemple  des 
maîtres  continuait  à  encourager  les 
entreprises  d'un  téméraire  scepticis- 
me, susceptible  de  se  prêter  aisé- 
mentaux  caprices  et  aux  prétentions 
de  la  médiocrité.  Quelques-uns  eu- 
rent recours  au  sarcasme;  et ,  à  l'imi- 
tation d'un  pamphlet  qui  avait  été 
publié  en  Angleterre  contre  Markland 
{Fof.  ce  nom),  il  parut  à  Berlin 
une  dissertation  ironique,  oii  l'on 
prétendait  prouver  que  la  diatribe 


WOL 


55 


contre  Cicéron ,  attribuée  générale- 
ment à  M.  Wolf ,  ne  méritait  point 
de  lui  être  imputée^  et  n'était  nulle- 
ment son  ouvrage.  Enfin  il  se  forma 
une  opinion  moyenne  assez  propre  à 
tempérer  les  esprits  trop  remuants  r 
selon  cette  doctrine,  des  interpola- 
tions et  d'autres  altérations  nombreu- 
ses peuvent  sans  doute  être  souvent 
soupçonnées  dans  les  textes  antiques 
si  long-temps  livrés ,  avant  l'inven- 
tion de  la  presse,  à  l'arbitraire  des 
interprètes,  au  bel  esprit  des  rhé- 
teurs ,  et  à  l'ignorance  des  copistes; 
mais  depuis  que  les  progrès  de  l'ins- 
truction et  du  bon  sens  ont  fait 
rejeter  quelques  misérables  compila- 
tions décorées  de  grands  noms  an- 
tiques ,  à  la  faveur  des  derniers 
âges  de  la  décadence  ,  ou  d'un 
frauduleux  trafic  de  manuscrits  au 
quinzième  siècle,  il  ne  nous  reste 
plus  pour  condamner  ainsi  des  ou- 
vrages entiers,  ni  assez  de  données 
historiques  ou  grammaticales  ,  ni  des 
raisons  de  goût  qui  soient  péremp- 
toires  (i).  Néanmoins  à  ce  dernier 
égard,  quoiqu'on  puisse  trouver  les 
conclusions  de  Wolf  généralement 
trop  absolues ,  nous  osons  dire  qu'il 
faut  lui  savoir  gré  d'avoir  voulu  re- 
trancher de  l'éloquence  romaine  ,  ou 
d'y  avoir  blâmé  du  moins  cette  redon- 
dance et  cette  contention  de  style  dont 
les  maîtres  mêmes  ne  furent  point  as- 
sez exempts.  Après  tout  ,  il  ne  faut 
pas  trop  s'étonner  qu'après  avoir 
donné  de  si  fortes  et  de  si  heu- 
reuses impulsions  à  la  science  par 
un  salutaire  scepticisme  ,  il  ait  été 
entraîné  trop  loin  dans  son  propre^ 


(i^  Voyez  en  faveur  de  cette  doctrine  ,  ainsi- 
que  sur  l'ensemble  de  la  dispute  provoquée  pajr 
Wolf  et  sur  ses  antécédents ,  les  excellentes  ob- 
servations préliminaires  qui  précédent  chaque 
partie  des  OEiwres  de  Cicéron  dans  la  traduction 
de  M.  Jos.-Vict.  Leclerc  ,  t.  XI  ,  p.  61 ,  et  toioi 
XXt ,  p.  45o  (  i»-».  édition  iu-8«>.  ). 


56 


WOL 


mouvement  :  et ,  pour  en  donner  un 
autre  exemple,  nous  lui  avons  en- 
tendu dire ,  un  aii  avant  sa  mort , 
qu'il  préparait  sur  tel  passage  d'Ho- 
mère ,  dont  il  ne  voulait  pas  encore 
donner  l'iudication,  un  travail  dans 
lequel  il  démontrerait  non-seulement 
que  ce  passage  n'est  point  de  l'épo- 
que d'Homère ,  mais  encore  qu'il 
n'est  pas  même  grec.  Voici  l'indica- 
tion des  principaux  écrits  auxquels 
donna  lieu  le  paradoxe  de  Wolf  sur 
Cicéron  :  M.  T.  Cic.  Oratlonem  pro 

Marcello  voOzixç  suspicione li- 

herare  conatus  est  Olaûs  TVormius, 
Copenhague,  1804,  in-H».  ,  réfuta- 
tion remarquable ,  surtout  pour  les 
détails  philologiques  ^  écrite  avec 
beaucoup  de  mesure  et  d'élégance. 
Benj.  Weiske  ,  Commentarius  in 
orat,  M.  T.  Cic,  pro  Marc.  ,  avec 
nn  Appendix  de  orat.  qiiœ  vulgb 
fertur  M.  T.  Cic. pro  Ligario,]jeip- 
zig,  i8o5  et  1819.  Weiske  admet 
contre  Wolf  la  légitimité  du  discours 
pour  Marcellus,  et  il  conteste  celle 
du  discours  pour  Ligarius.F.Kalau, 
Comm.  exhibens  nonnidla  ad  fVol- 
fianas  orationis  pro  Marc,  castiga- 
tiones ,  Francfort-sur-le-Mein,  1804. 
G.-L.  Spalding,  De  orat.  Marcellia- 
nd  disputatio  dans  le  premier  cahier 
du  Muséum  antiquitatis  studiorum, 
Berlin,  1808.  A. -L.-W.  Jacob  ,  i)e 
orat.  quœ  inscribitur  pro  Marc.  Ci- 
ceroni  vel  abjudicanda  vel  adjudi- 
canda  ,  quœstio  novaque  conjecta  , 
Berlin,  181 2.  J.-Leonh.  Hug. ,  De 
origine  orat.  Cic.  pro  Marc.,¥reih. , 
1809  y  iû-4°*  —  L'attachement  de 
Wolf  pour  sa  patrie  et  pour  l'école 
qu'il  avait  formée  à  Halle  lui  avait 
fait  refuser  les  offres  les  plus  avanta- 
geuses venues  ,  en  1 796  ,  de  Ley- 
de;  en  1798  ,  de  Copenhague  , 
où  on  l'appelait  à  la  direction  de 
toutes  les  hautes  e'coles  j  et  eulin ,  en 


WOL 

1 80 5  ,  de  Munich.  Lorsqu'en  1806 
le  bras  de  Napoléon  s'appesan- 
tit sur  la  Prusse,  la  ville  de  Halle 
fut  occupée  militairement,  et  son 
université  dispersée.  Ce  fut  pour 
Wolf  une  époque  désastreuse  et  dont 
les  suites  furent  aussi  funestes  à  ses 
travaux  qu'à  son  bonheur  person- 
nel. H  s'enfuit  à  Berlin  ,  lais- 
sant derrière  lui  une  bibliothèque 
précieuse,  et  d'immenses  matériaux 
manuscrits  qui  furent  saccagés.  A 
son  retour  ,  l'absence  de  ses  papiers 
et  de  ses  livres  les  plus  précieux,  par- 
mi ceux  qui  lui  avaient  été  enlevés , 
lui  fit  soupçonner  qu'ils  n'étaient 
pas  tombés  entre  les  mains  de  l'en- 
nemi ,  et  n'avaient  servi  à  rien  moins 
qu'à  faire  des  cartouches.  Il  ne  pen- 
sait pas ,  disait-il  quelquefois ,  que  les. 
soldats  se  fussent  avisés  d'un  discer- 
nement critique  aussi  habile.  Nous 
ignorons  quel  est  parmi  ses  compa- 
triotes le  savant  auquel  se  rappor- 
tent ces  vagues  imputations ,  et  nous 
n'oserions  ,  sur  un  fait  aussi  de'- 
nué  de  preuves ,  hasarder  aucune 
conjecture.  Quoi  qu'il  en  soit ,  depuis 
cette  époque,  Wolf  sembla  renoncer 
aux  grandes  entreprises  littéraires 
qu'il  avait  pu  former.  Son  projet  de 
publier  le  texte  de  Platon,  qui  l'oc- 
cupait depuis  long-temps,  subsista 
quelques  années  encore,  et  fut,  à 
son  grand  déplaisir ,  contrarié  par 
les  publications  du  célèbre  Heindorf, 
l'un  de  ses  élèves  les  plus  habiles,  con- 
tre lequel  il  laissa  éclater  un  méconten- 
tement poussé  parfois  jusqu'à  l'injus- 
tice. A  Berlin ,  il  se  vit  quelque  temps 
privé  de  toute  ressource  et  dans 
une  situation  d'autant  plus  pénible, 
que  son  humeur  généreuse  lui  ren- 
dait nécessaire  une  certaine  abon- 
dance. Une  faiblesse  que  ses  enne- 
mis lui  reprochèrent  ,  avec  trop 
de   malignité    peut  -  être  ,  ce    fut 


WOL 

d'avoir  retranché  le  feuillet  d'une 
dédicace  au  roi  de  Prusse ,  en  pré- 
sentant au  maréchal  Bernadolte  la 
belle  édition  in  -  folio  des  poèmes 
d'Homère  ,  qu'il  avait  commencé 
de  publier  peu  après  l'in-S». .,  et 
qui  ne  fut  point  achevée.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  qu'il  resta  fidèle  à 
son  prince  comme  à  sa  conscience 
littéraire,  refusant  les  propositions 
qui  lui  étaient  faites  de  toutes  parts, 
soit  parles  universités  et  les  gouver- 
nements étrangers ,  soit  par  les  li- 
braires avides  de  ses  productions, 
autant  que  lui-même  en  était  éco- 
nome. Le  roi  de  Prusse  ,  éloi- 
gné de  sa  capitale  ,  lit  savoir  à 
Wolf  l'intention  où  il  était  de  ne 
rien  épargner  pour  le  conserver 
à  sa  patrie.  Bientôt  d'honorables 
emplois  avec  le  titre  de  conseillcr- 
d'état  lui  permirent  d'exercer  une 
utile  influence  sur  les  établissements 
d'instruction  publique.  En  1808,  il 
contribua  puissamment  à  la  dé- 
termination qui  fut  prise  de  fon- 
der une  nouvelle  université  à  Ber- 
lin ,  et  l'organisation  en  fut  faite 
d'après  ses  conseils.  Il  y  prit  rang 
comme  professeur  :  l'enseignement 
oral  était  pour  lui  un  besoin,  même 
de  santé ,  qui  le  délassait  an  travail 
d'écrire.  Néanmoins  les  droits  qu'il 
avait  acquis  à  l'indépendance  et  au 
repos  le  firent  autoriser  à  ne  don- 
ner qu'autant  de  leçons  qu'il  vou- 
drait. L'université  de  Berlin  ,  qui , 
depuis  la  paix  générale,  est  deve- 
nue l'une  des  plus  florissantes  de 
l'Allemagne,  eut  d'abord  à  se  déve- 
lopper dans  des  circonstances  dilli- 
ciles.  Wolf,  en  y  reprenant  avec  joie 
ses  fonctions  de  professeur,  ne  re- 
trouva point  cette  atlluence  et  ce  zèle 
studieux  dont  il  s'était  vu  entouré  à 
Halle  j  mais  quelques  années  plus 
tard  il  vit  ses  leçons  fréquentées  par 


WOL 


157 


un  grand  nombre  de  personnages 
distingués  confondus  avec  la  foule 
des  étudiants.  Pendant  tout  ce  temps 
il  ne  donna  que  des  morceaux  dé- 
tachés ,  d'une  importance  secon- 
daire, quoique  la  plupart  portent 
l'empreinte  de  tout  son  talent.  Ce 
fut  d'abord  dans  le  Muséum  derAU 
terlhumswissenschaj'ten ,  ouvrage 
périodique  qu'il  entreprit  en  société 
avec  le  savant  Buttmann,  mais  que 
la  rigueur  des  temps  ne  permit  pas 
de  continuer  ^  ensuite  dans  les  Litte- 
rarische  u4nale.kten ,  autre  journal 
littéraire  qu'il  publia  avec  l'assistance 
de  MM.  Hermann,  Boissonade,  Mat- 
thiœ ,  Schneider,  Jacobs,  etc.  Ce 
précieux  journal  fut  trop  tôt  inter- 
rompu par  l'établissement  d'ime  cen- 
sure à  laquelle  l'illustre  éditeur  ne 
voulut  point  se  soumettre.  Dans 
un  écrit  très  -  remarquable  ,  Dars' 
tellung  der  Alterthums-wissen- 
schaft  ,  il  donna  le  tableau  des 
éludes  sur  l'antiquité  tel  qu'il  dé- 
sirait de  le  voir  réaliser  dans  les 
écoles ,  entrant  dans  les  considéra- 
tions morales  les  plus  élevées  sur  ce 
sujet  qu'il  afléctionnait  particulière- 
ment. Aussi  j  en  d'autres  temps , 
cette  partie  de  ses  leçons  qui  se  rap- 
portait à  la  science  et  à  l'esprit  des 
méthodes  était-elle  suivie  avec  le 
plus  vil'  intérêt.  Des  fragments  de 
traductions  en  vers  d'Horace  et 
d'Aristophane  furent  aussi  le  fruit 
de  ses  loisirs  forcés,  et  ces  essais 
isolés  ont  encore  paru  approcher  de 
la  perfection.  La  comédie  des  Nuées, 
une  partie  de  celle  des  Acharniens , 
et  la  première  Epîlre  d'Horace ,  re- 
produites en  vers  harmonieux  et  fi- 
dèles ,  semblables  à  ceux  du  texte , 
avec  des  observations  aussi  profon- 
des que  spirituelles  ,  sont  au  nombre 
des  productions  les  plus  singulières  du 
talent  de  Wolf,  qui _,  en  général ,  fai- 


i58 


WOL 


sait  peu  de  cas  des  traductions ,  et 
avait  renonce  dans  sa  jeunesse  à  de 
vastes  entreprises  en  ce  genre. — Des 
altérations  devenues  plus  fréquentes 
dans  sa  santé  l'engagèrent  à  se 
rendre,  d'après  le  conseil  des  mé- 
decins, dans  le  midi  de  la  Fran- 
ce. Il  arriva  de  Berlin  à  Mar- 
seille ,  épuisé  par  la  fatigue  d'un 
voyage  de  trois  mois,  que  son  impa- 
tience lui  avait  fait  encore  trop  hâ- 
ter ,  et  il  fut  aussitôt  attaqué  d'une 
fluxion  de  poitrine,  dont  il  mourut 
le  8  avril  1824,  à  l'âge  de  soixante- 
cinq  ans.  Il  était  membre  de  l'aca- 
démie des  sciences  de  Berlin ,  et  as- 
socié étranger  de  l'Institut  de  Fran- 
ce. Nous  allons  reprendre  ici  la  sé- 
rie de  ses  ouvrages ,  soit  pour  en 
compléter  la  liste ,  soit  pour  y  joindre 
quelques  nouvelles  désignations.  I. 
J^ermlschle  Schriften ,  etc. ,  mélan- 
ges en  latin  et  en  allemand,  Halle, 
1802.  La  partie  latine  contient  des 
discours  pour  des  occasions  solennel- 
les ,  et  particulièrement  une  suite 
d'allocutions  en  quatre  pages ,  pro- 
noncées pour  la  plupart  aux  époques 
des  rentrées  de  cours,  et  dont  chacu- 
ne, suivant  l'usage  constamment  suivi 
en  Allemagne ,  offre  l'éclaircissement 
de  quelques  passages  d'un  auteur 
ancien  ,  rarement  des  questions  plus 
étendues.  La  partie  allemande  pré- 
sente deux  morceaux  très-piquants  , 
l'un  sur  la  question  si  Homère  est 
traduisible  ^  l'autre  sur  les  faits 
que  les  superstitions  antiques  peu- 
vent ajouter  à  l'histoire  du  som- 
nambulisme ,  etc.  II.  Les  Histoires 
d* Hérodien ,  eu  grec  ,  texte  soi- 
gneusement corrigé.  Halle,  1792. 
III.  Suétone  ,  édition  accompa- 
gnée de  notes  courtes,  mais  très- 
estimées  ,  1802.  IV.  Ij" Hermès 
de  Harris ,  avec  des  remarques ,  Hal- 
le, 1788.  V.  Les  Fariœ  lectiones 


WOL 

de  M.-Ant.  Muret,  avec  des  notes 
(anonymes  ),  Halle,  'VQi'  VI.  Une 
édition  du  Traité  de  Reiz  :  De 
prosodiœ  grœcœ  aceentûs  incUna- 
tione,  Leipzig,  1791.  VII.  Quant  à 
V Homère  de  Wolf ,  nous  rappelle- 
rons qu'il  ne  ftiut  point  confondre 
son  édition  de  i  788  85  avec  celle  de 
1 794  ,  fruit  de  ses  plus  précieux  tra- 
vaux. On  y  joint  souvent  le  volume 
des  Prolégomènes.  Il  n'a  été  publié 
qu'un  volume  de  la  belle  édition,  pe- 
tit in  fol. ,  de  Leipzig ,  1 806 ,  laquelle 
devait  avoir  cinq  volumes.  Vlll.X>e- 
mosthenis  orat.  ad^.  Leptinem,  avec 
les  scolies  et  les  commentaires,  etc., 
Halle,  1790.  IX.  Trois  ouvrages  de 
Platon  :  VEuthjphron  ^V Apologie 
et  le  Criton,  le  texte  accompagné 
d'une  traduction  nouvelle,  en  latin, 
que  l'auteur  regardait  comme  l'une 
de  ses  meilleures  productions  en  cette 
langue,  Berlin,  1 812,  in- 4''^  C'était 
le  début  d'une  grande  entreprise , 
qu'il  eut  le  regret  de  ne  pouvoir  con- 
tinuer. 11  s'était  proposé  de  lutter 
avec  la  langue  de  Térence  contre  les 
grâces  et  l'atticisme  du  philosophe 
grec.  Ses  autres  travaux  sur  Platon 
sont  l'édition  du  Banquet,  1782,  et 
de  quelques  autres  dialogues,  sans 
commentaires,  et  une  dissertation  en 
allemand  :  Zu  Platd's  Phœdon , 
Berlin,  181 1 ,  in -4°.  X.  Les  Nuées 
d^ Aristophane  y  traduites  en  vers 
allemands  ,  avec  le  texte ,  1 81 1  ,  in- 
4°.  ;  une  partie  des  Acharniens  du 
même  poète,  trad.  en  vers,  avec  des 
remarques ,  1 8 1 1  ,  in  -  4°.  ;  séparé- 
ment quelques  autres  pièces  du  théâ- 
tre grec,  le  texte  seul.  XL  La  pre- 
mière Satire  d'Horace^  avec  une 
traduction  en  vers  et  des  remarques, 
181 3,  in -4".  XII.  Luciani  lihelli 
quidam,  avec  des  notes.  Halle ,  1 79 1 . 
ÎLlll.  GeschichtederPiœmischeji  Li- 
teratur  {Histoire  de  la  littérature  ro- 


WOL 

maine),  à  Tusage  des  cours  acadé- 
miques, Halle,  1787  ,  in -8".  XIV. 
(avec  Ph.  Buttraann)  Muséum  dcr 
uàlterthumswissenschaften,  Berlin , 
1807,  deux  cahiers.  Le  même  ou- 
vrage ,  continue  en  latin ,  deux  ca- 
Liers,  1808-  1 1 ,  ibid.  XV.  Litera- 
rische  Analckten ,  autre  ouvrage  pe'- 
riodique,  rempli  de  morceaux  très- 
curieux  ,  dont  nous  avons  désigne'  les 
principaux  rédacteurs.  Wolf,    qui 
s'était  chargé  de  la  direction  de  l'ou- 
vrage ,   y   inse'ra  plusieurs    articles 
e'tendus ,  entre  autres  une  Notice  sur 
Rich.  Bentley ,  et  beaucoup  de  frag- 
ments, écrits  avec  une  négligence  pi- 
quante j  quatre  cahiers  formant  deux 
vol., Berlin  ,1816-19, in-8*^.  V-g-r. 
WOLF  (  P.erre-Philippe  ),  his- 
torien allemand  ,  né  le   28  janvier 
1761,  à  Pfallcnhofen   en  Bavière^ 
fut  d'abord  commis  d'un  libraire  à 
Zurich,  puis  à  Munich  ,  d'où  il  alla  à 
Leipzig  établir  une  maison  de  librai- 
rie très-considérable  (  1 790).  Rappelé 
en    1807  à  Munich  ,  il  fut  nommé 
membre  de  l'académie  royale   des 
sciences  de  Bavière,  troisième  classe , 
et  mourut  dans  cette  ville  le  5  août 
1808.    Voici    ce    qu'un   biographe 
protestant  dit  de  lui  :  «  Wolf  avait 
des  talents  ,  il  a  fait  des  recherches 
profondes  sur  l'histoire  •  il  a  obser- 
vé l'esprit  de  l'Église  catholique  et 
la  tendance  de  sa  hiérarchie ,  surtout 
dans  ces  derniers  temps.  On  lui  re- 
proche d'avoir  par  trop  de  véhé- 
mence défiguré  ses  ouvrages  histori- 
ques ,  qui  d'ailleurs  ont  du  prix  ,  et 
d'avoir  injustement  attaqué  l'Église 
catholique  et  ses  institutions.  Malgré 
ces  défauts,  ses  écrits  sur  l'histoire 
peuvent  être  regardés  comme  le  ré- 
sultat d'une  étude  pénible  ;,  faite  d'a- 
près les  sources,  et  ses  observations  , 
surtout  dans  son  Histoire  des  Jésui- 
tes, ont  un  ton  d'indépendance  et 


WOL 


159 


de  hardiesse  qui  plaît.  »  On  a  de  lui, 
en  allemand  :  L  Lilienberg,  histoire 
originale ,  Francfort  f  1784,  in-8<*. 
II.  Histoires  pour  consoler  l'homme 
qui  est  dans  le  malheur  ,  Munich  , 
1 784  ,  in-8<^.  III.  Mémoires  remar- 
quables pour  Vhistoire  de  notre  siè- 
cle philosophique ,    1 784  ,  in  -  8°.  , 
sans  lieu  d'impression.  IV.  P^ertus 
et  vices  dans  des  histoires  et  lettres 
morales....  j  1785  ,  in-S».  V.  His- 
toire générale  des  Jésuites ,  depuis 
l'origine  de  leur  ordre  jusqu'aux 
temps  présents  ,   Zurich,    1789  à 
179*2  ,  4  vol.  in-8'\  ;  Brunn,  1792  ,, 
et  Leipzig  ,  i8o3.  VI.  Histoire  de 
l'Eglise   romanO'Catholique  ,  sous 
le  gouvernement  de  Pie  FI,  Zurich, 
1 783  à  1 798 ,  6  vol.  in-80.  ',   ibid. ,. 
1798   à    i8o'2  ,   7  vol.  in-80.    Le 
septième  était  entièrement  neuf.  VII. 
Histoire  de  la  religion  et  de  l'É- 
glise en  France ,  Zurich  ,  1802.  Cefc 
écrit  n'est  autre  chose  que  le  sixième 
et  le  septième  vol.  de  l'ouvrage  pré- 
cédent. VIII.  Sur  le  rétablissement 
des  Jésuites,  Lucerne ,   1799,  in-^ 
8^^  IX.  Projet  pour  une  réforme  de 
l'Eglise  catholique,  Leipzig,  1800, 
in-S*^.  X.  Histoire  statistique  et  to- 
pographie abrégée  du  Tjrol ,  Mu- 
nich ,  1807  ,  in-80.  XI.  Histoire  de 
Maximilien  P'^.  et  de  son  époque  y. 

Munich,  ler.  ct2«.  vol.,   1807,  Se.  ^ 

1809,  in-80.  Ce  dernier  ouvrage  n'a 
point  essuyé  les  critiques  sévères  que 
méritent  les  écrits  de  Wolf  contre 
la  religion  catholique  qu'il  aurait 
voulu  réformer  à  la  manière  de  Lu-^ 
ther  et  de  Calvin.  Son  Histoire  de 
Maximilien  P'.  est  précieuse  pour 
l'histoire  générale  du  dix-septième 
siècle.  G — y. 

WOLF.  rof.  WOLFE. 

WOLFAERTS  (Arthur)  ,  pein~ 
tre ,  né  à  Anvers  ,  florissait  vers  le 
milieu  du  dix-septième  siècle.  Il  se 


i6o  WOL 

fit  remarquer  parmi  les  artistes  de  ia 
Flandre  par  un  esprit  ingénieux  et 
plein  de  noblesse  tout-à-la-fois.  Il  se 
livra  particulièrement  à  l'histoire,  et 
il  a  su  conserver  aux  sujets  qu'il  a 
lires  de  TÉcnlure  Sainte  ou  des  Actes 
des  Apôtres  un  caractère  d'élévation 
qui  leur  est  tout-à-fait  analogue.  Ses 
compositions  sont  simples   ,    mais 
grandes  ;  ses  fonds  sont  ornes  d'une 
riche   arcjiitecture.    Il    observe    le 
costume  d'une  manière  scrupuleuse 
pour  le  temps  et  pour  son  pays ,  et 
ses  paysages  représentent  autant  qu'il 
dépend  de  lui  les  sites  tels  que  les  dé- 
crivent les  textes  sacres.  Ses  tableaux 
allégoriques  décèlent  également  un 
homme  d'esprit,  et  qui  n'était  pas 
étranger  à  la  littérature.  Pour  se  délas- 
ser de  ses  grands  travaux ,  il  s'amu- 
sait à  peindre ,  dans  le  genre  de  Te- 
niers  ,    de  petites  compositions  re- 
marquables par  leur   gaîté  et   leur 
originalité  ;    par  un    dessin  et    un 
coloris  pleins  de  naturel.      P — s. 
WOLFARD.  Foy.  Wolfhard. 
WOLFART  (Pierre),  médecin 
allemand,  naquit  à  Hanau  le  1 1  juil- 
let 1675,  et,aprèsavoir  achevé  dans 
sa   ville  natale  ses  études  gramma- 
ticales et  littéraires,  se  rendit  à  Gies- 
sen  pour  y  suivre  les  cours  de  mé- 
decine. Reçu  docteur  au  bout  de  quel- 
ques années  (  1696),  il  revint  à  Ha- 
nau ,  mais  il  n'y  resta  que  le  temps 
nécessaire  pour  faire  les  préparatifs 
d'un   long    voyage.  La   Hollande , 
l'Angleterre ,   la   France    attirèrent 
successivement  son  active  curiosité  j 
et  partout  il  examina  avec  un  soin 
minutieux,  avec  un  jugement  sain, 
avec  un  génie  profond.  Aussi  rap- 
porta-t-il  de  ces  pèlerinages  scientifi- 
ques des  connaissances  non  moins  so- 
lides qu'étendues.  Ses  compatriotes 
l'apprécièrent  dignement,  et  outre  une 
clientelle    nombreuse  et    lucrative  - 


WOL 

Wolfart  eut  bientôt  la  chaire  de  phy- 
sique et  d'anatomie  de  Hanau  (  1 7  o3) . 
Dans  la  suite, le  landgrave  deHesse- 
Casscl  le  nomma  son  médecin ,  et 
l'académie  des  curieux  de  la  nature 
l'admit  au  nombre  de  ses  membres, 
sous  le  nom  de  Pœonius.  Wolfart 
mourut  le  3  décembre  179.6  ,  doyen 
du  collège  de  médecine  d'Hanau.  Ses 
ouvrages  ,  qui  consistent  la  plupart 
en  dissertations  ou  traités  élémentai- 
res ,  se  recommandent  par  la  netteté 
et  la  justesse  des  idées.  Nous  n'in- 
diquerons que  les  principaux  :  I. 
Dissertatio  de  fehre  hœmoptoicd  ^ 
Giessen ,  1696,  in-4°.  IL  Claris 
philosophiœ  experimentalis ,  Hanau, 
1701  ,  in-4°.  111.  Jmœnitates  Ilas- 
siœ  inferioris  suhterraneœ ,  Cassel  , 
171 1  ,  in-4°'  IV.  Phjsica  curiosa 
experimentalis  ,  Cassel,  1712,  in- 
4".  V.  De  Thcrmis  Empsensibus  , 
Cassel  ,  1715  ,  in-4^.  VI.  Historia 
naturalis  Hassiœ  inferioris ,  Cassel, 
17 19,  in-fol.  Ce  dernier  ouvrage  a 
long-temps  été  classique  à  Hanau  ,  à 
Cassel  et  à  Giessen  j  mais  il  est  au- 
jourd'hui complètement  effacé  par 
les  ouvrages  modernes.  VIL  Descrip- 
tion  des  fontaines  salantes  de  Bra- 
hecher  (  en  allemand  ) ,  Herborn  , 
1720  ,  in-S'*.  VIII.  Pensées  sur  les 
sources  médicinales  voisines  deHofr 
Geismar  (en  allem.),  Cassel ,  1726 , 
in-8".Ces  deux  écrits  sont  estimables 
et  dénotent  un  observateur  attentif 
et  habile.  IX.  De  Chind-Chind.  X. 
De  Anllid  pneumaticd.  XL  P^ale 
Hanovia  et  salve  CasseliSy  etc. ,  etc. 

P OT. 

WOLFE  (Jacques)  ,  général  an- 
glais, né  le  i5  janv.  1726  à  Wester- 
ham ,  au  comté  de  Kent,  était  le  fils 
d'un  major-général  très-distingué,  et 
fut  dès  sa  jeunesse  destiné  à  la  car- 
rière des  armes.  Il  se  trouva  à  la  ba- 
taille de  Lawfeld  ,  en  1747  ,  dans 


WOL 

les  Pays-Bas,  lit  toutes  les  campa- 
gnes de  cette  guerre  contre  les  Fran- 
çais ,  et  parvint  successivement  au 
grade  de  gênerai  de  brigade.  Ce  fut 
en  cette  qualité  qu'il  passa  en  Amé- 
rique en  1758,  sous  les  ordres  du 
général  Abercromby.  Employé  dans 
la  même  année  à  rexpcdilion  du 
Cap  Breton,  il  concourut  tns-eili- 
cacement  par  ses  talents  t;t  sa  bra- 
voure à  la  prise  de  Louisbourg. 
Nomme  major-genéral  ,il  l'ut  charge 
en  Ï759  du  commandement  de  l'cx- 
pédition  contre  le  Canada.  Il  attaqua 
dans  le  mois  de  juillet  les  retranche- 
mentsque  les  Français  avaient  élevés 
sur  la  rivière  de  Montmorency,  et 
fut  repoussé  avec  perte;  mais  dans 
une  seconde  attaque  qu'il  dirigea 
le  i3  septembre  contre  Québec  , 
après  avoir  escaladé  des  rochers 
et  des  murs  escarpés,  il  fut  blessé 
trois  fois  sans  vouloir  quitter  le 
champ  de  bataille ,  et  mourut  glorieu- 
sement dans  le  moment  où  ses  trou- 
pes victorieuses  allaient  s'emparer 
de  Québec  {F.  Montcalm,XX1X  , 
4(>9).  Sa  mort  excita  chez  les  An- 
glais les  regrets  les  plus  vifs.  «  Ce 
î>  général ,  dit  un  de  leurs  historiens , 
»  avait  reçu  de  la  nature  une 
»  chaleur  de  sentiment,  une  viva- 
»  cité  de  pénétration ,  une  étendue 
»  de  capacité  et  un  amour  de  la 
V  gloire  ,  qui  le  rendaient  propre  à 
»  acquérir  toutes  les  connaissances 
»  militaires.»  Son  corps, transporté 
en  Angleterre ,  fut  enseveli  à  Green- 
"wich  ,  dans  le  même  tombeau  que 
son  père.  Le  gouvernement  lui  lit 
e'riger  un  cénotaphe  à  Westmins- 
ter ,  ainsi  qu'au  lieu  de  sa  nais- 
sance. Le  peintre  américain  West 
l'a  représenté  à  ses  derniers  mo- 
ments ;  et  ce  tableau  a  été  reproduit 
avec  beaucoup  de  talent  dans  une 
t'stampe  du  graveur  W^oollelt.  On  a 


WOL 


iGi 


publié  à  Londres  ,  en  1827  ,  la  Vie 
et  correspondance  du  général  JVol- 
fe  ,  9.  vol.  in-8°.  M — d  j. 

WOLFE  (  Charles)  ,  poète ,  né  en 
Irlande  vers  1791  ,  composa  très- 
jeune  encore  des  pièces  de  vers  qui 
portaient  un  cachet  particulier.  Sim- 
ple pasteur  de  campagne,  il  vivait 
très-reliré,  et  n'attachait  point  son 
nom  à  ses  poésies.  Ayant  fait  une 
pièce  de  vers  pleine  de  sensibilité 
sur  le  général  Moore  ,  qui  mourut 
de  ses  blessures  à  la  Corogne  ,  en 
1809  (  To/.  ]VIooRE,XXX,  47), 
il  eut  un  succès  général.  Cependant 
son  nom  serait  resté  inconnu  si  lord 
Byron ,  frappé  du  mérite  de  cette 
composition,  ne  fût  parvenu  à  en  dé- 
couvrir l'auteur,  ainsi  quele  capitaine 
Medvvin  Je  rapporte  dans  les  Con- 
versations de  lord  Byron.  W^olfe 
a  composé  un  assez  grand  nombre 
de  pièces  de  vers  qui ,  à  la  vérité , 
n'ont  pas  le  même  mérite  ,  mais 
qui  toutes  sont  empreintes  de  sensi- 
bilité; ({uelques-unes  ont  une  teinte 
mélancolique  pleine  de  charme.  Il 
avait  fait  de  nouvelles  paroles  pour 
un  ancien  air  irlandais,  connu  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  Gramachrée; 
ces  paroles  étaient  une  élégie  pour  "la 
tombe  d'une  amante.  On  demanda  <à 
Wolfe  s'il  avait  fait  allusion  ta  un 
événement  réel  ;  il  répondit  qu'un 
jour  ayant  chanté  plusieurs  fois  le 
vieil  air  irlandais ,  il  avait  tout-à- 
coup  versé  un  torrent  de  larmes, 
et  <]ii'au  milieu  de  son  émotion  il 
avait  jeté  cette  élégie  sur  le  papier. 
Atteint  de  phthisie,  il  fut  conduit  aux 
environs  de  Cork  ,  où  il  expira  le 
Il  février  i8'23 ,  dans  la  trente- 
deuxième  année  de  son  âge.  Ses  OEu 
vres  ont  été  recueillies  par  un  do 
ses  parents ,  John  Russel ,  sous  le 
titre  de  :  Remains  of  ihe  late  Bci*. 
Charles  Wolfe ,  Dublin,  i825>   2 


r62 


WOL 


WOL 


vol.  in-i2.  Le  premier  volume  con-     Autricliions  les  places  de  Leipzig,  de 


par  l'éditeur  ;  et  dans  le  second  se 
trouvent  ses  sermons.  D — g. 

WOLFE.  V^oy.  Tone  au  Supplé- 
ment. 

WOLFERSDORF  (Charles-Fré- 
déric de),  ge'néral  prussien,  naquit 
en  17 17  à  Zella  ,  près  de  Sclinee- 
berg  ,  dans  le  duché  de  Saxe-Go- 
tha ,  d'ime  ancienne  et  illustre  fa- 
mille. Après  avoir  passe  par  tous 
les  grades  inférieurs,  il  se  trouvait 
lieutenant  -colonel  au  service  de  Te'- 
lecteur  de  Saxe ,  lorsque,  l'armée  de 
ce  prince  ayant  mis  bas  les  armes 
devant  Pirna  ,  il  prit  du  service  dans 
les  troupes  prussiennes,  et  fut  nomme 
colonel  du  régiment  de  Haussen,  dont 
il  remplit  les  cadres  avec  des  déser- 
teurs saxons.  Mais  ces  hommes  pla- 
ce's  contre  leur  grë  sous  des  drapeaux 
qu'ils  détestaient  s'éclia  ppèrentcn  peu 
de  temps.  Wolfersdorf  que  ce  bel  exem- 
ple de  dévouement  à  la  patrie  toucha 
moins  que  les  vues  de  son  ambition , 
resta  dans  l'armée  prussienne.  11  fut 
mis  à  la  tête  du  régiment  de  Hesse- 
Cassel;  et  le  8  août  1759  il  arriva 
avec  ce  corps  à  Torgau  ,  avec  ordre 
de  défendre  cette  place  importante 
jusqu'à  la  dernière  extrémité.  11  y 
trouva  tout  dans  un  état  déplora- 
ble. Cependant  ses  mesures  furent  si 
bien  prises  ,  qu'il  la  défendit  plus 
long-temps  que  les  aulrcs  comman- 
dants prussiens  n'avaient  tenu  dans 
les  leurs.  Après  la  perte  de  la  ba- 
taille de  Kunersdorf ,  à  l'instant  où 
le  lieutenant-général  Fink  recevait 
l'ordre  d'évacuer  la  Saxe  et  de  se 
l'éunir  à  Frédéric  ,  le  prince  de 
Deux-Ponts  s'était  jeté  sur  la  Saxe 
restée  sans  défense  :  surpris  avec 
des  forces  très-inférieures  ,  les  gé- 
néraux Haussen ,  Horn  et  Schmet- 
tau     capitulèrent  et  remirent    aux 


Wittemberg  et  de  Dresde  ;  Wolfers- 
dorf montra  plus  de  fermeté.  Le  10 
et  le  I  I  août  il  repoussa  si  vigoureu- 
sement   les  Autrichiens  qui   étaient 
montés  à  l'assaut  ,   qu'il    alla   lui- 
même  les  attaquer  dans  leur  camp. 
Ce"  ne  fut  que  le  lendemain  ,    12  ^ 
que   le    prince    de   Stolberg    étant 
arrivé  devant  Torgau  avec  l'armée 
de  l'empire,  forte  de  dix  bataillons 
etde  quinze  escadrons,  etavec un  train 
d'artillerie   de   siège  ,    Wolfersdorf 
consentit  à  rendre  la  ville.  La  capitu- 
lation fut  très  honorable  :  la  garnison 
devait  sortir  avec  tous  les  honneurs  de 
la  guerre  ,  et  rejoindre  l'armée  prus- 
sienne. Le  1 5,  Wolfersdorf  commen- 
ça à  faire  défiler  ses  troupes.  Étant 
arrivé  à  la  tête  du  régiment  de  Hesse- 
Cassel ,  il  s'arrêta  auprès  du  prince 
de  Stolberg  qui,  avec  les  généraux. 
Kleefeld,  Lazinski  et  plusieurs  où 
ciers  supérieurs  ,  se  tenait  à  l'entri 
de  la  ville.  Un  bataillon  qui  était,  ( 
grande  partie,   composé  de  déseï 
teurs  saxons,  défilant  devant  le  prii 
ce,  radjudant-général  de  celui-ci  cr: 
très-haut  :  «  Sortez  des  rangs,  voi 
qui  êtes  de  braves  Saxons  ou  de  boi 
Autrichiens  :  le  prince   vous  prea 
sous  sa  protection.  »  Ces  paroles  pra 
duisirent  l'effet  de  l'éclair;  aussitôt  \ 
soldats  de  tout  le  bataillon  jettent  bi 
les  armes  et  courent  se  cacher  ,  1 
uns  derrière  les  palissades ,  les  autn 
dans  les  fossés  ,  ou  sur  les  bateau: 
qui  descendaient  l'Elbe.    Tout  autre 
que  Wolfersdorf  eût  été  déconcert( 
par  un  événement  aussi  inattendu 
loin  de  là  il  se  jette  sur  les  fuyarc 
qui  étaient  le  plus  près  de  lui  ,  c 
saisit  un  parle  collet,  et  l'étend mo: 
à  ses   pieds  d'un  coup  de  pistole 
«  Faites   de  même,    crie-t-il  à    s* 
oHlciers  ,  je  vous  l'ordonne   »  Et  s'. 
dressant  aux  hussards  de  sonescort( 


WOL 

«  Je  promets  un  ducat  pour  chaque 
fuyard  que  vous  aurez  sabre'.  »   Le 
prince  de  Stolberg  lit  d'inutiles  ef- 
forts pour  apaiser  Wolfersdorf  qui , 
loin  de  l'écouter,  Ht  rappeler  les  ba- 
taillons qui  avaient  dëj a  dcfilë  et  re- 
conduire l'artillerie  sur  les  fortifica- 
tions •   lui  -  mcme ,  le  pistolet  à  la 
main,   s'approche  du  prince,  l'ac- 
cuse d'avoir  viole'  la  capitulation  , 
et  finit  en  lui  disant  :  «  Plus  de  reddi- 
tion î  Si  vous  n'engagez  votre  hon- 
neur, et  si  vous  necommcjiccz  sur-le- 
champ  à  exëcuterla  capitulation  à  la 
lettre  ,  je  vous  ferai  entourer  vous  et 
votre  suite  parun  demes  bataillons,  et 
je  vous  fais  tous  conduire  prisonniers 
dans  la  place.  »  Tout  fut  accorde  ;  on 
arracha  les  fuyards  qui  s'étaient  ca- 
che's  sous  le  manteau  des  Croates ,  et 
on  les  rendit;  le  prince  donna  en  ota- 
ge un  ol licier  de  son  e'tat-raajor  ,  et 
un  fort  détachement  qui  fut  charge' 
d'empêcher  la  désertion.  Dans  ce  tu- 
multe, soixante-huit  fuyards  furent 
tue's  ou  sabres;  mais  Wolfersdorf  ne 
perdit  plus  un  seul  homme  ,  et  il  ar- 
riva le   16  août  avec  tout  son  corps 
à  Wittembcrg.   Les  journaux  prus- 
siens élevèrent  jusqu'aux  nues  la  con- 
duite que  le  général  avait  tenue  dans 
cette  circonstance;  et  le  célèbre  Cho- 
dowiecki  lui  consacra  une  très -belle 
gravure.    11  est  probable    que   les 
Saxons  virent   les    choses  sous   un 
autre  aspect.  Quoi  qu'il  en  soit  ,   en 
arrivant  à  Wiltemberg  ,    Wolfers- 
dorf reçut  du  roi  l'avis  de  sa  dé- 
faite à  Kunersdorf,  et  l'ordre  de 
rendre   ïorgau    aux  conditions  les 
moins  défavorables ,  afin  de  marcher 
sur  Wusterhausen  ,    et  de  couvrir 
Bcrhn.  Dès  le  19  il  était  à  son  poste. 
Le  21,  Frédéric  lui  écrivit  de  Furs- 
tenwaid  :  «  Vous  vous  êtes  conduit 
»  à  Torgau  comme  un  brave  ;  vous 
»»  avez    montré    du   zèle    et    de   la 


WOL 


[63 


»  fermeté;  je  vous  en  témoigne  toute 
»  ma  satisfaction.  »  Wolfersdorf  se 
distingua  ensuite  près  de  ïlof,  à  la 
montagne  du  Dragon  ,    et   près   de 
Torgau  ,  où  il  décida  la  victoire  des 
Prussiens.  Près  de  Maxen ,  se  voyant 
entouré  ,  il  voulut  se  faire  jour  l'épée 
à  la  main;  mais  il  fut  fait  prisonnier, 
et  ne  revint  à  son  régiment  que  le  3i 
juillet  1760.    Sous  ses  ordres  cette 
troupe    était  devenue  un  des  plus 
beaux  corps  de  l'armée  prussienne. 
On  l'accusa  de  n'avoir  point  été  déli- 
cat sur  les  moyens  de  se  procurer  de 
beaux  hommes  ,  et  les  plaintes  sur  sa 
conduite  arbitraire  et  violente  arri- 
vaient souvent  jusqu'au  roi,  qui   se 
contentait  de  dire  :   «  Que  voulez- 
vous  ?  c'est  encore  un  de  ces  Saxons 
que  j'ai  gagnés.  »   En  1763  ,  Wol- 
fersdorf fut  nommé  major-général  , 
et  en  1776  feld-maréchal-lieutenant. 
Il  mourut  au  mois  de  mai    1781. 
C'était  un  bel  homme  de  guerre,  ac- 
tif, prompt  dans  ses  résolutions,  mais 
sacrifiant  tout  à  son  ambition.    G-y. 
WOL b'ER US  ,  écrivain  ecclésias- 
tique, était  chanoine  de  la  cathédrale 
de  Hddesheim  en  Saxe,  dans  le  on- 
zième siècle.  On  a  de  lui  la  Vie  de 
saint  Godehard  qui  mourut  en  io38, 
étant  évêque  de  Hildesheim,  et  celle 
de  Gonther  ou  Gonthier ,   l'un   des 
premiers  seigneurs  de  la  Thuringe  , 
qui ,  à  la  même  époque,  renonça  au 
mt)nde  pour  embrasser  !a  vie  religieu- 
se dans  le  monastère  d'Altach  ,  et  y 
mourut  en  io45.  Wolferus  .  qui  était 
leur   contemporaine,  a  donné  à  ces 
deux  ouvrages  une  empreinte  de  piété 
et  d'onction  qui  touche  et  entraîne 
ceux  qui  les  lisent.  Ils  sont  d'ailleurs 
très-intéressants  par  un  grand  nom- 
bre de  faits  qui  appartiennent  à  l'his- 
toire générale  de  l'Église  et  de  l'em- 
pire. Mabillon  les  a  insérés  dans  ses 
u4cta  ord.  S.  Bened.,  tome  vni ,  et 


i64  WOL 

Leibnitz  dans  ses  Script,  Brunsw.  , 

tome  1*^''.  G — Y. 

WOLFF.  Foy.  Wolf. 

WOLFFHART.  /^.LycosTnÈNEs. 

WOLFGANG  (SAl^T), ëvct|iiecle 
Ratisbonnc^  uccnSouaLe^  de  l'illus- 
tre famille  des  comtes  de  Pfulingen  , 
fut  envoyé  de  bonne  heure  à  l'abbaye 
deRichen-An,  qui  était  alors  une  école 
célèbre  de  science  et  de  vertu.  Wolf- 
gang  s'y  lia  d'une  étroite  amitié  avec 
le  comte  Henri ,  qui  l'emmena  avec 
lui  à  Wurtzbourg  ,  où  tous  les  deux 
suivirent  les  leçons  d'un  grand 
maître  venu  d'Italie,  appelé  Etienne. 
Henri ,  élu  en  gSG  archevêque  de 
Trêves  ,  pressa  Wolfgang  de  l'ac- 
compagner. Celui-ci  y  consentit  ,  à 
condition  qu'il  n'aurait  d'autre  em- 

f)!oi  que  celui  de  tenir  une  école  pour 
es  enfants.  Il  se  chargea  ensuite  de 
diriger  une  communauté  d'ecclésias- 
tiques ,  avec  le  titre  de  doyen.  Henri 
e'tant  mort  en  964  ,  Wolfgang  passa 
quelque  temps  près  de  Brunou  ,  ar- 
chevêque de  Cologne,  et  frère  de 
l'empereur  Oihon  I^*'.  Ayant  refusé 
les  avantages  que  ce  prince  lui  of- 
frait ,  il  alla  se  cacher  dans  un  mo- 
nastère ,  au  fond  d'une  obscure  forêt. 
Sa  réputation  y  attira  des  disciples  , 
et  saint  Udalric  ,  étant  venu  l'y  visi- 
ter ,  l'ordonna  prêtre,  malgré  sa  ré- 
sistance. En  972,  Wolfgeiiig  passa 
le  Danube  pour  prêcher  l'Evangile 
aux  Hongrois.  L'évêque  de  Passau, 
ayant  conçu  pour  lui  la  plus  haute 
estime,  le  recommanda  a  l'empe- 
reur Othon  II,  pour  i'évêclié  de  Ra 
tisbonne.  Peu  après,  Wolfgang  con- 
duit par  les  envoyés  du  prince  dans 
cette  ville  épiscopale  en  lut  luianime- 
ment  élu  cvêque  par  le  clergé  et 
les  fidèles  (  974  )•  Pendant  les 
vingt  années  de  son  épiscopat ,  il 
s'occupa  surtout  de  rétablir  les  rè- 
gles canoniques  dans  les  cliapitreset 


WOL 

les  maisons  rebgieuses.  Il  prêchait 
souvent  ;  ses  paroles  étaient  simples, 
mais  touchantes.  S'étant  mis  en  che- 
min pour   aller  visiter  la    Bavière 
orientale ,  il  tomba  malade  à  Pupping, 
sur  les  bords  du  Danube  ,  et  y  mou- 
rut le  3o  octobre  994.  Son  corps  fut 
transporté  à  Ratisbonne,  et  enterré 
à  l'abbaye  de  Saint-Emmeran ,  dans 
laquelle  il  avait  rétabli  la  discipline 
monastique.  Le  pape  Léon  IX ,  étant 
venu  à  Ratisbonne,  en  io52  ,  fit  le- 
ver le  corps  de  saint  Wolfgang,  dont 
les  reliques  furent  enfermées  dans  une 
châsse  ])récieuse.  L'Église  célèbre  sa 
fête  le  jour  même  de  sa  mort.  Saint 
Wolfgang  a  composé  ,  sur  le  psaume 
Miserere  ,   une   paraphrase  que  D. 
Petz  a  publiée  dans  son  Thésaurus 
Anecdotorum ,  tome  11.— Il  ne  faut 
point  le    confondre    avec  un   autre 
Wolfgang  ,   bénédictin  de  Nieder- 
Altahan  ,  en  Bavière^  au  treizièm 
siècle ,  et  auteur  de  soixante-douz 
lettres  insérées  aussi  dans  le  Thesaix 
rus  de  Petz  ,  ainsi  que  dans  le  Code: 
diplomaticus  d'Huber.         G — y. 
WOLFGANG    (  Guillaume 
prince  palatin  ,   né  le   29   octobr 
1678  ,  se   mit  sur  les   rangs   ave 
Jean  Sigismond  ,  électeur  de  Brai 
debourg  ,   pour    partager    la   rich 
succession  du  prince  de  Clèves  et  d 
Juliers.  Sa  mère  était  fille  du  der 
nier   duc  ;    afin   de  réunir  tous 
droits   sur  sa  tête ,  il  demanda   L 
main  d'une    fille  de    l'électeur.   S 
trouvant  à  la  cour  de  Brandebourg 
\cs  deux  princes  qui  étaient  ivres 
suivant   l'usage    de    ce   siècle  ,   si 
dirent  des  injures  ,    et   en  vinrer 
même  à  des  voies    de   fait.  Woli 
gang,  brûlant  du  désir  de  se  venger 
se  hâta  d'aller  à  Munich,  oii  il  époi 
sa  une  princesse  de  Bavière.  Cett^ 
liaison  ,  les  insinuations  de  son  épouj 
se,  et  les  instrr.ctions  du  P.  Reichingj 


WOL 

jçsuite  et  prédicateur  de  ]a  cour , 
opérèrent  un  changement  dans  son 
cœur  ,  et  il  rentra  dans  le  sein  de 
l'Église  catholique.  On  a  attribue'  ce 
changement  à  la  politique  ,  et  peut- 
être  y  eut-elle  quelqiiepai  t.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  après  la  mort  de  son  père  , 
Wolfgang  fit  dans  ses  états  des  chan- 
gements favorables  à  Ja  religion  qu'il 
avait  embrassée.  Pendant  la  guerre 
de  Trente-Ans ,  il  soutint  vivement 
le  parti  de  la  maison  d'Autriche.  11 
mourut  le  lo  mars  i653  ,  à  Dussel- 
dorf,  avec  la  réputation  d'un  prince 
sage,  actif  et  bienfaisant.     G — y. 

WOLFGANG  (George-Andre), 
né  en  i63i  à  Chemnitz  en  Saxe  , 
est  le  chef  d'une  famille  d'artistes, 
qui  s'établit  à  Augsbourg ,  où  le  père 
mourut  en  17 16,  après  avoir  fait 
un  grand  nombre  de  gravures  dans 
le  genre  historique.  Ses  fils,  André- 
Mathieu  tX.  Jean- George  ,  avaient 
appris  la  gravure  sous  lui.  Reve- 
nant d'Angleterre  pour  visiter  la 
Hollande ,  ils  furent  pris  par  des  pi- 
rates algériens.  Le  père  les  racheta. 
Les  OEuvres  de  Jean- George  sont 
beaucoup  plus  estimées  que  celles 
de  son  frère  aîné.  On  met  au  pre- 
mier rang  un  crucifix  d'après  Char- 
les Lebrun.  Appelé  en  1704  par  l'é- 
lecteur de  Brandebourg  ,  J,-  George 
Wolfgang  s'établit  à  Berlin  ,  ou  il 
mourut  eu  1748.  —  Un  de  ses  fils  , 
George  -  André  ,  né  à  Augsbouig 
en  1703  ,  fut  un  excellent  peintre  de 
portraits  j  il  travailla  en  Angleterie, 
et  de  là  vint  à  Gotha,  où  on  le  nom- 
ma peintre  de  la  cour.  —  Giistai'e- 
André  ,  fils  d'André- Mathieu  ,  né 
en  1699.,  travailla  pendant  vingt 
ans  à  Berlin ,  et  mourut  à  Augsbourg 
en  1775.  Il  passe  pour  un  des  pre- 
miers graveurs  de  l'Allemagne.  G-y. 

WOLFHARD ,  écrivain  ecclésias- 
tinue,  fut  religieux  dans  l'abbaye  de 


WOL 


i65 


Hasenried,  diocèse  d'Utrccht^  depuis 
l'an  908  jusqu'en  9'27.  II  écrivit  à 
Adelbode,  sonéveque  ,  sur  les  mira- 
cles opérés  par  sainte  Walpurge,  deux 
Lettres  auxquelles  il  joignit  ensuite 
la  Fie  de  cette  sainte.  L'ouvrage  est 
divisé  en  quatre  livres.  Dans  le  pre- 
mier, on  trouve  des  détails  curieux 
pour  l'histoire  ecclésiastique  d'An- 
gleterre et  d'Allemagne.  Saint  Boni- 
face,  archevêque  de  Maïence,  chargé 
de  travailler  à  la  conversion  des  peu- 
ples germains ,  avait  invité  deux  de 
ses  parents  ,  Willibalde  et  Wune- 
balde  ,  à  venir  prendre  part  à  ses 
travaux. A  sa  prière,  ils  se  rendirent 
l'un  et  l'autre  en  Thuringe,  auprès 
du  saint  évèque.  Willibalde  fut  or- 
donné premier  évêque  d'Ei(  hstœdt; 
Wunebalde  fonda  le  monastère  de 
Ileidenheini.Ils  avaient  attiré  au  ser- 
vice de  Dieu  plusieurs  personnes  de 
leur  famille  ,  entre  autres  une  sœur  , 
appelée  Walpurge,  qui  établit  près 
de  l'abbaye  de  son  frère  une  com- 
munauté de  filles  qu'elle  gouverna 
jusque  vers  l'an  763.  Wolfhard  dé- 
dia son  ouvrage  à  Erchambold,  évè- 
que d'Eiclistœdt.  Cauisius  en  a  fait 
imprimer  les  deux  premiers  livres 
dans  ses  Lection.  antiq.  ^  tous  les 
quatre  ont  été  pu])!iés  par  Surius  , 
par  les  Bollandistes  etparMabillon 
dans  les  Acta  ordinis  S.  Bened., 
tome  IV.  G — y. 

WOLFRAM    d'ESGIIENBACIÎ. 

Voj.  ESCHENBACH. 

WOLFTEll  (Pierre),  né  à  Man- 
lieim  en  1708,  fut  lecteur  de  la 
princesse  Elisabeth ,  épouse  de  Char- 
les Théodore ,  électeur  de  Bavière , 
et  professeur  d'histoire  à  l'université 
de  Heidelberg,  puis  conservateur  de 
!a  bibliothèque  de  cette  maison ,  où 
il  mourut  le  28  juillet  i8o5.  Wolf- 
ter  avait  étudié  avec  soin  l'histoire 
du  moyen  âge  et  celle  de  la  réforma- 


i66 


WOL 


tion.  On  a  de  lui  :  \.  Histoire  des  em- 
pereurs et  de  l'empire  germanique , 
d'après  les  monuments  et  les  au- 
teurs contemporains  (allem.),  Man- 
lieim,  T785,  in-8''.  II.  Monuments 
pour  Vhistoire  salique  ^  palatine  et 
franque  sur  le  Rhin ,  depuis  le  neu- 
vième  jusqu'au    douzième    siècle 
(allern.  ),  Hcitle'berg  ,in-8'\  ITI.  De 
personis  imperii  romano  -  ^erniani- 
ci  ac  de  juribus  Cœsareis  ^ctc. ,  Hei- 
delberg,  1788,  iii-40.  IV.  Histoire 
des  révolutions  arrivées  dans  l'em- 
pire germanique  (  alIcm.  ),  Zurich, 
1789,    in- 8".  V.   Mémoires  pour 
éclaire ir    l'histoire     d' Allemagne 
(allem.  ),Durkheim,  179*2,  iu-80. 
VI.  Histoire  critique  de  Vexarchat 
et  duché   de    Borne  ,   Heidelberg , 
1 79a  ,  in- 80.  W\. Histoire  de  la  ré- 
formation  (allem.) ^  Rome,  Witten- 
bcrg  et  Genrve ,  1796,  in-8'^.  VIII. 
Plan  d'une  histoire  de  la  réforma- 
tion,  Heidelberg,  i8o3  ,  in-80.  IX. 
Histoire  de  Luther  et  de  la  réfor- 
mation qu'il  a  opérée  y  Maulieim^ 
i8o5,  in-80.  G— Y. 

WOLKE  (Chbetien-Henri),  au- 
teur d'ouvrages  estimés  sur  l'éduca- 
tion, naquit,  en  1741,  à  Jever,  où 
son  père  faisait  le  commerce  de  bes- 
tiaux et  de  cuirs.  Il  acheva  à  Got- 
tingue  ses  études  commencées  au 
gymnase  de  sa  ville  natale,  et  ensei- 
gna ,  en  1766,  les  mathématiques 
à  l'école  de  Klostergerode  dans 
FEichsfcId  ;  puis  il  donna  des  leçons 
particulières  à  Leipzig.  Étant  sur  le 
point  de  se  rendre  en  Angleterre, 
pour  y  chercher  une  place  de  pré- 
cepteur, il  fit  à  Hambourg  la  con- 
naissance de  Basedow  ,  qui  travail- 
lait alors  à  un  nouveau  système 
d'éducation  et  d'instruction  en  Alle- 
magne. Wolke  goûta  ses  idées  de 
réforme  des  études ,  et  consentit  à  y 
coopérer  avec  lui.  II  concourut  aux 


WOL 

livres  élémentaires  projetés  par  Ba- 
sedow,  adopta  unenouvellc  orlhogra- ! 
phe ,  qui  consistait  à  rejeter  toutes 
les  lettres  qu'on  ne  prononce  pas ,  et 
seconda   activement  Basedow   dans 
son  projet  de  fonder  un  grand  éta- 
blissement d'instruction.  11  se  rendit, 
en  1771,  avec  sa  femme ,  à  Dessau  , 
et  y  fonda  avec  son  chef,  sous  la 
protection  du  prince  d'Anhalt,  une 
maison  d'éducation ,  trois  ans  avantJ 
que  Basedow^  y  ouvrît  son  fameux] 
Philanthropacum.  Sa    méthode    eut 
du  succès;  et  son  établissement  se 
maintint  pendant  une  vingtaine  d'an- 
nées. Dans  un  voyage  fait  en  Russie  ,1 
il  prit  la  résolution  de  s'établir  à 
Pétersbourg  ,  où  Catherine  lui  assi- 
gna des  secours  pécuniaires  qu'il  ne 
reçut  jamais.  Il  y  fonda  une  mai- 
son  d'éducation  semblable   à   celle 
qu'il  avait  eue  à   Dessau  ,  et  il  la 
dirigea  jusqu'en  1801.  Cette  année, 
il   revint  en   Allemagne  ,  et  vécut^ 
dans  diverses  villes,  des  petites  pen-j 
sions   qui    avaient    été    la    récom^ 
pense  de  ses   travaux  d'instituteur, 
mais  qui  dans  les  temps  de  guerre 
furent  réduifes  à  une  seule,  celle  du 
prince  d'Anhalt-Dessau.  Se  trouvant 
à  Dresde  lors  de  la  campagne  de  Na- 
poléon contre  la  Russie  et  de  l'occu 
palion  de  la  Saxe  par  les  alliés  , 
fit,  à  l'âge  de  soixante-treize  ans,  1( 
fonctions  d'interprète  russe  au  bu.' 
reau  des  logements  militaires.  Il  pei 
dit  sa  femme  par  le  typhus  des  hô 
pitaux.  Après  la  guerre,  en  i8i4,  i 
alla  s'établir  à  Berlin,  et  y  fonda  U 
société  de  la  langue  allem 
l'exemple  de  Campe,  Wolke  s'étai 
occupé  d'épurer  sa  lingue  maternel 
le,  en  rejetant  les  mots  empruntes d 
langues  étrangères  ,  et  en  les  rcmph 
çant  par  des  mots  allemauds  de  soi 
invention.  La  société  qu'il  fonda  de 
vait  avoir  pour  but  de  maintenir 


WOL 

même  de  pousser  plus  loin  cette  épu- 
ra tiou  ,qui,  ainsi  que  sa  nouvelle  or- 
thographe ,  n'a  point  eu  de  succès. 
Il  mourut,  le  ii  janvier  1 8*25,  à 
l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans.  11  a 
paru  à  Aix-la-Chapelle,  en  1826, 
une  Notice  biographique  sur  Wolke, 
par  Hasselbach ,  avec  son  portrait  et 
un  facsimile  de  son  écriture.  On  peut 
diviser  ses  travaux  littéraires  en  deux 
classes,  ceux  qui  ont  trait  à  l'éduca- 
tion ,  et  ceux  qui  concernent  la  langue 
allemande.  Nous  citerons  les  prnici- 
paux  écrits  de  l'un  et  de  l'autre  genre: 
I.  Description  des  cent  planches  de 
l'ouvrage  élémentaire,  Leipzig, i  "jS'i- 
H-y,  2  vol.  in-80.  Cet  ouvrage  élé- 
mentaire, sur  lequel  Basedow  fon- 
dait son  instruction,  était  une  espèce 
d'encyclopédie  d'enfants,  qui  devait 
leur  apprendre  une  foule  de  choses 
par  le  moyen  de  la  gravure.  Il  fut 
traduit  en  plusieurs  langues.  II.  Pre- 
mières connaissances  pour  les  en- 
fants,  depuis  celle  des  lettres  de  l'al- 
phabet jusqu'à  celle  de  l'univers, 
1783;  trad.  en  français,  1787.  III. 
Le  Livre  pour  lire  et  pour  penser , 
1785  ;  trad.  en  français  et  en  russe. 

IV.  Histoire  de  la  nature  et  des  peu- 
ples,  1801  jtrad.  en  russe, tome  i*-''. 
Le  premier  volume  avait  été  bien  ac- 
cueilli par  le  gouvernement  russe  ; 
mais ,  dans  le  manuscrit  des  autres 
volumes ,  la  censure  trouva  à  redire 
sur  ce  que  l'auteur  avait  blâmé  le 
culte  des  images ,  cher  au  peuple  rus- 
se; et  en  conséquence  l'ouvrage  fut 
supprimé  sans  autre  forme  de  procès. 

V.  Méthode  d'éducation  physique  , 
intellectuelle  et  morale  _,  Leipzig  , 
180 5.  YI.  Communication  des  con- 
naissances et  idées  primitives ,  ib. , 
i8o5.  —  Voici  maintenant  ses  écrits 
sur  la  grammaire  :  VII.  Poésies 
dans  le  dialecte  bas  -  saxon ,  i8o4. 
Ce  recueil  avait  pour  but  de  recom- 


WOL  167 

mander  ce  dialecte  au  public ,  com- 
me étant  plusharmonieuxque  le  haut- 
allemand.  VllI-  Instruction  sur  la 
grammaire  allemande,  pour  con- 
naître et  réformer  au  moins  cinquan- 
te mille  mots  allemands ,  fautivement 
formés,  etc.,  1812.  Dans  cet  ouvra- 
ge, l'auteur  a  déposé  les  fruits  de 
vingt-quatre  ans  de  recherches  sur  sa 
langue  maternelle.  Il  y  écrit  les  mots 
selon  son  orthographe,  et  propose  les 
mots  de  sa  composition  à  la  place  de 
ceux  qui  sont  dérivés  des  langues 
étrangères.  Cet  immense  travail  fut 
pourtant  en  quelque  sorte  perdu,  puis- 
que personne  n'adopta  ses  réformes. 
Dans  ses  dernières  années  Wolke 
travaillait  à  un  Guide  pour  les  mè- 
re s,  instituteur  s  et  auteurs  de  livres 
d'éducation ,  dont  les  premiers  volu- 
mes ont  paru ,  et  qui  devait  se  com- 
poser de  sept  volumes  en  tout.  L'au- 
teur y  revient  sur  sa  matière  favori- 
te, la  réforme  de  l'orthographe  et  de 
la  langue  allemandes.  D — g. 

WOLKOFF.  Tq^'.  VoLROFF. 

WOLKOW  (Féodore),  archi- 
tecte russe,  fit  ses  premières  études 
à  l'académie  de  Saint-Pétersbourg, 
et  vint  les  achever  à  Pans ,  oii  Du- 
val  l'employa  pour  la  construction 
du  théâtre  de  la  Comédie  Française. 
Étant  retourné  dans  sa  patrie,  il 
rembellit  par  un  grand  nombre  de 
constructions ,  entre  autres  par  les 
magasins  ou  dépôts  d'eau -de -vie  et 
de  sel ,  par  les  brasseries  de  la  ville, 
du  coté  de  Wiborg ,  par  les  orange- 
ries y  les  ailes  du  palais  ïauris ,  etc. 
Il  avait  fait,  pour  le  prince  Potcm- 
kin,  des  plans  qui  n'ont  point  été 
exécutés.  Ses  facultés  intellectuelles 
s'étant  affaiblies,  il  tomba  dans  une 
mélancolie  qui  le  conduisit  au  tom- 
beau ,  à  Pétersbourg,  en  i8o3.  G-y. 

VYOLL ASTON  (Guillaume), 
savant  prêtre  de  l'Église  anglicane  , 


i68 


WOL 


uc ,  en  1 659  ,  à  Coton-Glaiiford  dans 
le  comte  de  Stafford,  d'une  famille 
ancienne,  mais  peu  riche,  trouva 
de  grands  obstacles  pour  ses  études 
dans  la  détresse  de  ses  parents ,  dans 
sa  timidité'  naturelle  et  dans  des 
maux  de  tête  continuels,  qui  ne 
s'accommodaient  guère  du  tumulte 
d'une  nombreuse  classe  d'enfants. 
Sans  patron,  sans  amis,  sans  se- 
cours d'aucune  espèce ,  il  se  vit  con- 
traint,au  sortirdeCambridge  ,  d'ac- 
cepter la  place  de  sous  -  maître,  et , 
quatre  ans  après,  celle  de  second 
maître  dans  l'école  publique  de  Bir- 
mingham. Une  riche  succession  que 
son  mérite  lui  valut,  en  1688,  de  la 
part  d'un  parent  éloigné,  le  mit  dans 
une  situation  opulente  ,  sans  rien 
changer  à  la  modération  avec  laquel- 
le il  avait  supporté  l'adversité.  11  se 
rendit,  la  même  année,  à  Londres, 
où  il  passa  le  reste  de  ses  jours  dans 
la  retraite  et  l'étude,  borné  à  la  so- 
ciété d'un  petit  nomlare  d'amis.  Les 
langues  savantes ,  les  antiquités ,  l'his- 
toire ancienne  et  moderne,  l'histoire 
naturelle ,  la  critique ,  la  philosophie, 
les  mathématiques,furent  les  objets  de 
ses  études.  Mais  comme  il  avait  prin- 
cipalement pour  but  la  connaissance 
de  la  religion  ,  il  s'instruisit  surtout  à 
fond  des  antiquités  judaïques,  des 
anciens  cfilteset  des  opinions  moder- 
nes. Son  principal  ouvrage  est  un 
Tableau  de  la  religion  naturelle  ^ 
qui  parut  eu  1722 ,  et  dont  il  ne  fit 
tirer  qu'un  petit  nombre  d'exemplai- 
res pour  ses  amis.  Il  profita  des  cri- 
tiques dans  l'édition  corrigée  qu'il 
donna  l'année  de  sa  mort.  Dix  mille 
exemplaires  de  cette  édition  furent 
vendus  en  peu  d'années;  et  il  en  pa- 
rut ensuite  sept  autres.  La  dernière, 
qui  est  de  i75o,  in-8".  ,  contient 
une  Vie  de  l'auteur.  La  ressem- 
blance de  son  nom  avec  celui  du  fa- 


WOL 

meux  Wolston ,  quelques  endroits  du 
livre  mal  compris  à  la  première  lec- 
ture, son  silence  sur  la  révélation 
et  l'honneur  qu'il  fait  à  la  raison 
d'un  beau  système  religieux ,  mirent 
d'abord  la  joie  dans  le  camp  ennemi , 
et  provoquèrent  les  attaques  des  apo- 
logistes de  la  religion,  entre  autres 
de  Glarke.  iMais  une  étude  plus  réflé- 
chie des  principes  de  l'auteur  et  les^ 
hommages  qu'il  rend  à  la  révélation' 
firent  bientôt  changer  les  idées  des^ 
uns  et  des  autres.  L'ouvrage  fut  gé- 
néralement estimé,  quoiqu'on  n'en 
admît  })as  tous  les  principes.  On  ch 
a  donné  un  abrégé  à  Londres,  en 
1788,  auquel  on  a  joint  une  courte 
Ebauche  sur  la  religion  révélée,  en 
suivc'int  toujours  la  méthode  de  l'au- 
teur. La  traduction  française  de  l'ou- 
vrage entier,  qui  a  été  publiée  à  la: 
Haye^  i  726,  in-4°. ,  a  essuyé  bien  des 
critiques  ,  parce  qu'elle  s'écarte  sou- 
vent de  la  pensée  de  l'original  ,  qui' 
est  fort  obscur  en  bien  des  endroits^! 
mais  on  convient  que  le  traducteur] 
n'a  pas  mal  réussi  à  débrouiller  le 
chaos  des  notes.  Il  y  a  ajouté  d'ail- 
leurs des  pièces  intéressantes.  Il  com- 
bat son  auteur  sur  certaines  idées 
particulières,  et  en  soutient  d'autres 
qui  avaient  élé  critiquées.  Cette  tra- 
duction a  été  réim|irïmée  en  1756, 
3  vol.  in-  12.  Wollaston  ayant 
eu  le  malheur  de  se  casser  un 
bras ,  la  douleur  qu'il  en  ressentit , 
jointe  aux  infirmités  auxquelles  il 
était  sujet,  hâta  sa  mort  ,qui  arriva 
le  29  octobre  1724.  Quelque  temps 
auparavant,  il  avait  livré  aux  flam- 
mes plusieurs  ouvrages  commencés 
sur  divers  points  intéressants  de  lit- 
térature ancienne  ,  paice  que  l'affai- 
blissement de  sa  santé  ne  lui  laissait 
point  l'espoir  d'y  mettre  la  dernière 
main.  llavaitpublié,en  1690, in-8*^., 
un  poème  sur  les  Mouvements  dérai- 


WOL 

sonnahles  des  hommes  pour  se  pro- 
curer les  agréments  de  la  vie  pré- 
sente,  ou  le  But  d'une  partie  de 
VEcclésiaste,  dont  il  chercha  depuis 
à  supprimer  tous  les  exemplaires. 
Dans  la  préface  l'auteur  témoigne  le 
regret  de  ne  s'être  pas  affranchi  du 
pénible  et  moderne  esclavage  de  la 
rime,  persuade  que  son  ouvrage  au- 
rait mieux  valu  s'il  n'avait  eu  à 
s'occuper  que  du  fond  des  pensées. 
Celte  préface  oil're  d'ailleurs  des  ré- 
llexioijs  judicieuses  sur  la  poésie  et  ses 
dillérents  genres.  Wollaston  publia 
en  i-yoS  uue  Grammaire  latine ^  k 
l'usage  de  ses  enfants.  Celait  un 
homme  orné  de  toutes  les  vertus  so- 
ciales et  religieuses  ,  doux  ,  aflable  y 
humain  ,  vivement  allécté  des  misè- 
res d'autrui ,  toujours  prêt  à  les  sou- 
lager de  sa  bourse  et  de  ses  bons  of- 
fices. L'amour  de  la  solitude  et  le 
goût  de  la  méditation  ne  l'empê- 
chaient pas  d'être  gai  dans  le  com- 
merce ordinaire  de  la  vie.  Vif,  sen- 
sible aux  mauvais  procédés,  mais 
sans  fiel  et  sans  ressentiment ,  il  fut 
bon  mari,  père  tendre,  aussi  réglé 
dans  SCS  éludes  que  dans  sa  conduite; 
modeste  ,  plein  de  déliance  de  lui- 
même,  mais  libre  dans  sa  manière  de 
penser  et  de  parler ,  quoique  plein  de 
respect  pour  la  religion  ,  dont  il  de'- 
fendit  les  droits  avec  succès,  et  dont 
il  remplissait  les  devoirs  avec  édifi- 
cation. 11  avait  refusé  luie  des  princi- 
pales dignités  de  l'Église.  La  reine 
fît  placer  son  buste  dans  la  belle  grot- 
te du  château  de  Richemond  ,  où  il  se 
voit  à  côté  de  ceux  de  Newton,  de 
Locke,  de  Glarke  ,  etc.  On  trou- 
ve une  notice  sur  Wollaston  dans 
le  tome  XLii  des  Mémoires  àe  JNi- 
ceron.  —  Wollaston  {François) 
lit  ses  études  à  Cambridge,  et  par- 
tagea sou  temps  entre  la  théolo- 
gie et  l'astronomie.  Il  montra  du 


WOL 


169 


zèle  pour  les  progrès  de  la  science, 
fut  élu  membre  de  la  société  royale 
de  Londres,  et  mourut  le  3i  oct. 
181 5,  âgé  de  quatre-vingt-quatre 
ans ,  dans  sa  cure  de  Chisslehurst,  au 
comté  de  Kent.  Ce  théologien  ap- 
puya fortement  par  ses  écrits  la  ré- 
clamation d'une  réforme  dans  la  li- 
turgie. On  a  de  lui  :  L  Adresse  au 
clergé  d'Angleterre  et  à  tous  les 
chrétiens,  J  77^^  ,  in-8*^.  IL  Des  Ob- 
servations  astronomiques,  insérées 
dans  les  Trans.  philos,  de  Londres, 
ann.  1778  ,  76,  84  (  F.  la  JBibliog. 
astronom.  de  Lalande).  111  Fasci- 
culus  astronomicus  ,  contenant  des 
observations  sur  la  région  septen- 
trionale circumpolaire ,  1 800^  in-4°. 
IV.  Tableau  (portraiture)  des  deux  y 
en  dix  planches,  1811,  in-fol.  Ï-d. 
WOLLE  (  CuRiSTorHE  ) ,  profes- 
seur de  théologie  à  Leipzig ,  où  il 
était  né  le  24  janvier  1700  ,  y  mou- 
rut en  1761  ,  après  s'être  distingue* 
par  les  connaissances  les  plus  etcn- 
duesdans  lcslanguesorienlales.il  en 
étudia  d'abord  l'espjit,  appliqua  à 
chacuned'elies  k^s  règles  de  ia  gram- 
maire latine  ,  et  d'après  cette  métho- 
de toute  particulière  se  fit  une  giam- 
mairc  pour  le  grec,  une  pour  l'hébreu^ 
et  ainsi  pour  les  autres  langues  sa- 
vantes. Ses  principauxouvragessont: 
I.  De  facultatibus  intelle ctualibus 
in  bojios  habilus  mutandis ,  Leij)zig, 
1721  ,  m-^^.  II. Regulœ  Bermeneu- 
ticœ y  ad  circumspectam  Scripturce 
sacras  illustratiojuim,ex  auctoribus 
projanis  ,  utilibus  ,  perspicuis  ratio- 
num  momentis  illustratis  ,  ibid.  , 
1722,  in-4".  \\\.  Judicium  emen' 
datœ  rationis  de  interilu  mundi  ac 
œternitate  pœnarum  infernalium  , 
à  prœcipuis  cùm  veterwn  ,  tùm  re- 
centiorum  quorwndam  philosopho- 
rum dubiisvindicatum y'ûÀà. ,  1  724, 
in-4".  IV.  De  commendatione  ani- 


170  WOL 

inœ  in  manum  Domiîii  perpétua  y 
ad  illustranda  loca  Ps.  xxxi ,  6; 
Luc. ,  XXII,  4^;  /.  Pet.,  IV,  19  ,  ib. 
17*26  ,  m-4".  ;  traduit  en  allemand, 
Leipzig,  i728,in-8o.  N.Deignoto 
Juclœorum  et  Âtheniensium  Deo  _, 
ad  illustranda  loca  Exad.,  m ,  \^', 
Jet. ,  XFii ,  23  ,  ibid. ,  1727  ?  in- 
4*^.  VI.  De  singulari  facto  etfato 
uxoris  Lothiy  ad  Gen.,  xxri ,  26^ 
ibid.  ,  1730  ;  2^.  édition  ,  1749- 
VII.  De  usu  et  abusa  Euphemisnii 
sacri  ,  ibid.,  1732,  in^*^.  VIII. 
De  ahusu  Platonico  triuni  hominis 
partium  in  explicatione  novi  Fœ- 
deris  TVhistono  aliisque  opposita  _, 
ibid.  ,  1732  ,  in-4°.  IX.  Dehonori- 
bus  medicorum  apud veteres  ,  ibid. , 
1732  ,  in-4*^.  X.  De  eo  ,quod  subli- 
me est  in  his  Moseis  verbis  :  y  svs^jÔco 
fùÇjCtc.j  ad  Longin,  tzsoÏ  u-^oyç, 
ibid.,  1735^  in-4«.  Wolle,  donnant 
les  paroles  de  Longin  en  grec ,  la- 
tin ,  français  et  italien  ,  prétend  que 
ce  rhéteur  avait  lu  Moïse,  et  qu'il 
penchait  pour  le  christianisme.  Il 
considère  les  paroles  du  législateur 
des  Hébreux  d'après  les  principes 
de  la  rhétorique  et  de  la  philoso- 
phie. XI.  Apologia  pro  verd  di- 
vinitate  Jesu  Christi ,  ex  loca 
maxime  contrôler so  Jo.  xvn , 
'6,  ducta ,  ibid.,  1741  5  in-4°.  XII. 
Commentatio  theologica  de  Eccle- 
sid  virgine,  ad  2  Corinth.  ,xi,  i,  1, 
Leipzig,  1748,  in-4°.  W^ollea  très- 
bien  présenté  dans  ce  petit  ouvrage 
l'état  de  la  ville  et  de  l'église  de  Co- 
rinlhe  au  milieu  du  premier  siècle. 
XIII.  Commentatio  philologica  de 
Parenthesi  sacrd.  Accedunt  duœ 
dissertationes  :  de  usu  et  abusu 
aù^Yiasoiç  nominumdiwinorum  sacrce; 
de  loco  Dan,  Gsn.  \l\,  contra Spi- 
nosam;  cumprœj'at.  C.-F.  Bœrne- 
ri  ,  Leipzig,  ^T^^  ■>  iïi-4°-  XIV. 
Schediasma    historico'theologicum 


WOL 

de  Jesu  spirituali ,  in  Anglid  re- 
divivo  y  ubi  de  historid ,  usu  et 
abusu  allegoriarum  patristicaruni 
in  exegesi  sacrd  contra  Thomam 
^Foolstonum  ex  instituto  disseritur^ 
ibid.,  1730,  in-4".  L'auteur,  qui 
avait  déjà  écrit  contre  Woolston, 
réfute  les  objections  que  l'écrivain 
anglais  avait  faites  contre  la  vérité 
des  miracles  de  Jésus  -  Christ  ;  il 
montre  combien  est  ridicule  le  sys- 
tème de  Woolston  ,  qui  prétendait 
avoir  démontré,  d'après  les  anciens 
pères  de  l'Église,  qu'on  devait  recon- 
naître deux  Jésus-Christ  :  l'un  spiri- 
tuel ,  l'autre  allégorique.  XV.  Exa- 
men regularum  hermeneuticarum 
ab  Aug.  Calmeto  commendata- 
rum  ,  cum  appendice  de  genuind 
loculionum  sacrarum  comparati- 
i^arum  ac  superlativarum  expla- 
natione  y  Leipzig,  1733,  in-4''. 
L'auteur  y  examine  les  règles  que 
D.  Calmet  a  exposées  dans  son 
Dictionnaire  critique  de  la  Bi- 
ble ;  il  développe  et  confirme  par  de 
nouveaux  motifs  celles  qu'il  admet  j 
et  il  discute  avec  modération  celles 
qu'il  rejette.  XVI.  Animadversio- 
nés  in  conditorum  Bibliothecœ 
Belgicœ  liberius  Judicium  de  eo , 
an  novi  fœderis  sit  auctor  clas- 
sicus  ?  Leipzig,  1783,  in -4". 
Les  Rédacteurs  de  la  bibliothè- 
que hollandaise  ayant  critiqué  le 
texte  grec  du  Nouveau-Testament, 
sous  prétexte  qu'il  est  rempli  d'hé- 
braïsmcs ,  et  d'après  ce  motif  ayant 
conseillé  à  ceux  qui  veulent  se  bien 
instruire  dans  le  grec ,  de  ne  point  lire 
le  Nouveau-Testament  en  cette  lan- 
gue; ayant  même  étendu  cet  avis  jus- 
qu'aux élèves  en  théologie ,  Wolle 
prend  la  défense  du  Nouveau-Testa- 
ment grec  ;  et  il  soutient  que  les  lié- 
braïsmes  sont  beaucoup  moins  nom- 
breux 'y  qu'en  cela  le  texte  grec  des 


WOL 

évangélistes  et  des  apôtres  peut  être 
mis  en  parallèle  avec  celui  des  auteurs 
classiques  grecs.  On  trouvedans  cet  ou- 
vragedes  détails  philologiques  intéres- 
sants. XVII.  Bibliaexversione  Seh. 
CastdUoiiis ,  cinn  dis  sert  atione  cri- 
ticd  de  eo  quod  pulchrum  est  m  hdc 
versiojie  ,  Leipzig,  i'jliS  et  i735  , 
in -80.  XVIII.  M,  Jiitonini ,  impe- 
ratoris  ac  philosophi ,  Lihri  xii  eo- 
rum  quœ  de  se  ipso  ad  se  ipsum 
scripsit  ,  ad  exeniplar  Oxoniense 
reçus i.  Introdiictionem  ad  philoso- 
phiam  stoicam  ex  mente  Antorùni 
prœmisit  Buddœus  ,  ejusque  vitam 
recensait  ,  et  criticis  ohservationi- 
hus  illustravit  C.  TVolle  ,  ibid.  ,• 
1729.  XIX.  Propriétés  véritables 
de  la  langue  hébraïque  {slW.  ),  Leip- 
zig ,  1748,  in-8«.  Wolle  fait  voir, 
par  des  exemples  pris  dans  le  grec 
et  l'hébreu  ,  que  ceux  qui  ne  con- 
naissent point  la  grammaire  tombent 
dans  des  fautes  grossières  quand 
ils  veulent  expliquer  l'Ecriture- 
Sainte.  Comme  aux  autres  interprè- 
tes ,  il  donne  à  D.  Calmet  une  le- 
çon sur  la  manière  dont  ce  savant  a 
traduit  le  titre  des  psaumes.  XX. 
Epistola  critica  de  Hehraismis  Ul- 
pianiy  jurisconsulti ,  ib.  ,  1 789  ,  in- 
4°.  On  a  encore  de  WoUedes  sermons 
et  des  discours  publiés  à  Leipzig  en 
allemand.  Il  avait  fait  sur  l'AIcoran 
un  Dictionnaire  arabe  qui  est  resté 
manuscrit,  en  4  vol.  in-4^.    G — y. 

WOLLEB  (Jean),  en  latin 
WoLLEBWs ,  né  à  Baie  ,  en  1 536 , 
d'une  famille  obscure,  fit  ses  étu- 
des à  l'académie  de  sa  ville  natale , 
et  s'appliqua  de  bonne  heure  aux 
sciences  théologiques  avec  tant  de 
succès,  qu'à  l'âge  de  vingt-deux  ans 
il  fut  admis  au  doctorat  en  théolo- 
gie. On  lui  confia  aussitôt  les  fonc- 
tions de  coadjuteur  général  ,  que 
bientôt  il  quitta  pour  le  pastoral  de 


WOL  171 

IVglise  de  Sainte  -  Elisabeth  ,  puis 
pour  le  premier  pastorat  de  la  ville. 
Le  sénat  académique  l'appela  ensuite 
à  la  chaire  du  Nouveau-Testament , 
une  des  plus  honorables  de  l'acadé- 
mie ;  il  la  remplit  avec  beaucoup 
d'éclat.  On  lui  offrit  plusieurs  fois 
le  décanat  de  la  faculté  théologique  , 
ainsi  que  le  rectorat  de  l'université. 
Il  s'était  déjà  dérobé  à  ces  témoi- 
gnages flatteurs  de  l'estime  publique, 
lorsque  enfin  il  fut  forcé  d'accepter 
au  moins  la  dernière  de  ces  deux 
places.  Les  soins  de  l'administra- 
tion ne  l'empêchèrent  pas  d'apporter 
toujours  un  soin  extrême  dans  la 
préparation  des  cours  publics  et  l'in- 
terprétation de  l'Écritnre.  Jamais 
peut-être  l'université  n'avait  eu  à  se 
féliciter  d'un  gouvernement  à-la-fois 
aussi  éclairé  et  aussi  sage.  WoUeb 
mourut  dans  de  grands  sentiments 
de  piété  le  il\  décembre  i6'2(3,  et 
fut  universellement  regretté.  Outre 
des  Dissertations  intéressantes,  ou 
doit  à  Wolleb  un  Abrégé  de  théo- 
logie (  Compendium  theolo^iœ  ) , 
chef-d'œuvre  parmi  les  ouvrages  de 
ce  genre.  Rien  n'égale  la  netteté,  la 
précision,  l'excellente  méthode  avec 
laquelle  l'auteur  dispose  et  expose 
les  détails  de  la  science.  Ce  Manuel 
a  été  long-temps  classique  dans  les 
écoles  de  théologie,  et  les  ministres 
actuels  ne  dédaignent  point  de  le  con- 
sulter encore  aujourd'hui.  Alexandre 
Ross  en  a  donné  une  traduction  anglai- 
se avec  des  notes,  intitulée:  JVollebms 
Christian  dii'initf  translated ,  clea- 
red  and  enlarged;  et  Barthélerai  de 
Hartwyss  dans  son  grand  Theatrum 
Concionum ,  9  vol.  in-4'^. ,  a  suivi 
l'ordre  adopté  par  Wolleb  ,  et  a 
donné  un  commentaire  sur  son  ou- 
vrage. P—OT. 

WOLLSTONECRAFT.    Foyez 
GoDwiN ,  XVII ,  576. 


WOLMAR  ou  VOLKIVIAR(Mel- 

CHioR  ) ,  jurisconsulte  célèbre,  sur- 
tout par  ses  connaissances  dans  la 
langue  grecque  ,  naquit  à  Rotliweil , 
dans  les  terres  des  ducs  de  Longue- 
ville  en  Suisse,  et  e'tudia  successive- 
ment à  Paris,  sous  Jacques  Lefevre 
d'Etaples^à  Bourges,  sous  Alciat, 
et  en  Allemagne  à  l'université  de  Tu- 
bingue.  Le  duc  Christophe  de  Wur- 
temberg, qui  l'avait  attire  dans  cette 
ville ,  lui  fit ,  presque  immédiatement 
après  sa  promotion  au  doctorat , 
donner  une  chaire  de  jurisprudence 
que  Wolmar  remplit  avec  éclat. 
Mais  l'élude  du  droit  n'empêchait 
point  qu'il  ne  se  livrât  aux  travaux 
les  plus  profonds  de  la  philologie. 
Passionné  pour  la  langue  et  la  litté- 
rature grecques,  dont  on  recommen- 
çait à  lire  les  chefs-d'œuvre  en  Oc- 
cident ,  il  se  voua  à  l'enseignement 
des  principes,  et  compta  parmi  ses 
auditeurs  plusieurs  hommes  renom- 
més dans  la  suite.  Calvin  et  Théodo- 
re de  Bèze  étaient  du  nombre.  Le 
premier,  pour  lui  témoigner  sa  vé- 
nération et  sa  reconnaissance,  lui  dé- 
dia son  Commentaire  sur  la  seconde 
Épître  aux  Corinthiens.  Le  second 
se  plut  toujours  à  lui  marquer  une 
extrême  déférence ,  et  disait  que  c'é- 
tait  en  partie  à  la  conversation  et 
aux  avis  de  Wolmar ,  qu'on  devait 
attribuer  sa  conversion  au  protestan- 
tisme. Comme  helléniste,  il  était  si 
familiarisé  avec  les  beautés,  et  pos- 
sédait si  bien  toutes  les  ressources  de 
la  langue  de  Démosthène ,  qu'il  di- 
sait un  jour  au  duc,  son  protecteur 
et  son  ami ,  qu'il  lui  aurait  été  plus 
facile  de  plaider  une  cause  en  grec 
qu'en  allemand.  Sa  lettre  à  Ambroi- 
se  Blaurer  {Epislola  nuncupatoria) 
sur  les  grammaires  grecques  alors  en 
usage  dans  les  écoles ,  et  spéciale- 
ment sur  les  Questions  de  Démétrius 


Chalcondylas  ,  contient  des  vues 
excellentes ,  et  fait  entrevoir  des 
méthodes  infiniment  supérieures  aux 
errements  que  l'on  suivait  de  son 
temps.  Wolmar  s'y  plaint  de  la 
multiplicité  des  règles  qui  se  heur- 
tent et  se  contredisent,  du  peu  de 
soin  que  l'on  met  à  isoler  la  partie 
invariable  des  mots  à  flexions,  enfin 
du  manque  de  distinction  entre  le 
langage  poétique  et  celui  des  ora- 
teurs. En  effet,  il  y  a  loin  d'Homère 
à  Lucien  ou  à  Démosthène  ;  et  la 
diflfc'rence  ne  repose  point  seulement, 
comme  dans  les  liitcratures  ordinai- 
res, sur  la  richesse  et  l'abondance 
des  mots  composés ,  sur  l'audace  des 
figures ,  sur  la  multiplicité  des  tours 
insolites  ou  des  inversions  :  le  secret 
est  qu'il  y  a  deux  langues  ,  l'une  sim- 
ple dans  sa  construction ,  harmonieu- 
se et  presque  molle  dans  sa  lexicolo- 
gie, mais  éminemment  pittoresque 
et  immensément  riche,  c'estîa  langue 
ionienne  ,  c'est  l'idiome  des  Horaéri- 
des  ,  d'Hésiode  ,  d'Onomacrite  ou 
d'Orphée;  l'autre  hardie ,  mais  seule- 
ment jusqu'à  certains  points,  ellipti- 
que, mais  selon  certaines  formes, nette 
et  claire  comme  le  français,  mais  com- 
me lui  visant  à  la  fixité  académique , 
c'est  la  langue  athénienne.  Wolmar 
recommande  de  commencer  par  les 
écrivains  qui  ont  employé  celle-ci. 
En  effet,  c'est  elle  qui  est  la  base 
véritable  du  grec ,  et  c'est  d'elle  qu'il 
faut  partir  pour  comprendre  les  dia- 
lectes. Vers  la  fin  de  sa  vie ,  Wol- 
mar se  retira  à  Eisenach  ,  ou,  com- 
me il  l'appelle  dans  ses  OEuvres  la- 
tines, à  Isna;  et  c'est  là  qu'il  mou- 
rut d'apoplexie,  en  i56i,  à  l'âge 
de  soixante-quatre  ans.  Sa  femme 
étant  morte  le  même  jour,  ils  furent 
ensevelis  dans  le  même  tombeau ,  et 
Théod.  de  Bèze  lit  pour  tous  deux 
une  épitaphe  latine  qu'on  peut  voir 


WOL 

dans  ses  OEuvres.  Wolmar  était 
d'une  probité'  ,  d'une  douceur  et 
d'une  pieté  exemplaires  :  ces  vertus 
firent  que  ses  amis  ne  le  nommaient 
que  Melior  au  lieu  de  Melchior. 
Malgré  sa  profonde  connaissance  de 
ja  littérature  grecque,  ce  savant  avait 
trcs-peu  écrit  j  et,  outre  VEpistola 
nuncupatoria ,  dont  il  a  été  parlé 
plus  haut,  et  qui  se  trouve  à  la  tête 
de  l'édition  de  Déniétrius  Clialcon- 
dylaSjBâle,  1 546,  petit  in-S». ,  il 
ne  nous  reste  de  lui  qu'un  commen- 
taire sur  les  deux  premiers  livres  de 
l'Iliade,  Paris,  i5'i3,  in-40.  Il  pa- 
raît qu'à  cette  époque  il  était  correc- 
teur d'épreuves  chez  l'imprimeur 
Gourmont,  mais  que  cette  occupa- 
tion ne  rcm})êchait  point  de  pour- 
suivre SCS  travaux  de  philologie  et  de 
jurisprudence.  P — ot. 

WOLSEY  (  Thomas  ) ,  cardinal , 
archevêque  d'York,  naquit  en  147  i 
à  ïpswich  ,  dans  le  comté  de  Suf- 
folk.  L'opinion  vulgaire  en  fait  le 
lils  d'un  Loucher  •  mais  c'est  une  fa- 
ble qui  a  pris  sa  source  dans  les  li- 
belles de  ses  ennemis.  Le  testament 
de  son  père  ,  que  Fiddes  nous  a  con- 
servé, prouve,  par  les  legs  considé- 
rables qui  y  sont  indiqués,  que  c'était 
un  riche  bourgeois.  Thomas  VVolsey 
fit  ses  études  au  collège  de  la  Ma- 
deleine d'Oxford ,  avec  tant  de  suc- 
cès ,  que,  par  une  distinction  extra- 
ordinaire ,  il  obtint,  à  l'âge  de  quin- 
ze ans,  les  grades  de  bachelier  et  de 
raaître-ès-arts,  et  fut  mis  à  la  tête 
d'une  école  qui  acquit  une  grande 
célébrité  sous  sa  direction.  Érasme 
étant  venu  dans  cette  ville,  ils  se  liè- 
rent d'une  étroite  amitié  ,  et  travail- 
lèrent de  concert  à  mettre  la  langue 
grecque  en  vogue  dans  l'université. 
Après  la  mort  du  marquis  de  Dor- 
pet ,  dont  il  avait  élevé  les  enfants  , 
et  qui  l'avait  nommé  curé  de  Ly- 


WOL  173 

mington  en  Somersetshire  ,  Wol- 
sey  s'attacha  au  chevalier  Nanphan, 
receveur  des  deniers  royaux  à  Calais, 
qui ,  étant  hors  d'état  à  cause  de 
son  grand  âge  de  remplir  ses  fonc- 
tions ,  s'en  déchargea  sur  lui.  Cette 
commission  mit  Wolsey  en  relation 
avec  la  cour  ,  et  particulièrement 
avec  Richard  Fox  ,  secrétaire-d'é- 
tal ,  qui  le  recommanda  au  roi  Hen- 
ri VII ,  comme  un  homme  capible 
de  rendre  de  grands  services.  11  avait 
dit  souvent  à  ses  amis  ,  que,  s'il  pou- 
vait une  fois  mettre  le  pied  à  la  cour , 
il  n'y  avait  pas  de  degré  d'élévation 
auquel  il  ne  se  sentît  en  état  de  par- 
venir ;  et  il  ne  tarda  pas  à  justifier  ce 
pressentiment.  Henri,  qui  l'avait  fixé 
auprès  de  sa  personne  par  une  place 
de  chapelain,  le  chargea  d'aller  trai- 
ter ,  à  Bruxelles ,  avec  l'empereur 
Maximilien ,  d'une  affaire  très-déli- 
cate, et  qui  exigeait  beaucoup  de  cé- 
lérité. Étonné  de  le  voir  reparaître 
à  la  cour  au  bout  de  peu  de  jours, 
le  roi  crut  qu'il  n'était  pas  encore 
parti ,  et  lui  en  lit  des  reproches  ; 
mais  il  fut  bien  surpris  lorsque  le 
négociateur  lui  présenta  le  traité  con- 
clu. «  J'avais,  lui  dit-d  ,  envoyé  un 
»  courrier  après  vous  avec  de  plus 
»  amples  instructions. — Sire,repaf~ 
»  tit  Wolsey,  je  l'ai  rencontré  à 
»  mon  retour;  mais  j'avais  pris  sur 
»  moi  de  remplir  ce  que  je  prévoyais 
»  être  vos  intentions.  »  Ce  succès 
lui  valut  la  j)lace  d'aumonier  du  roi 
et  le  riche  doyenné  de  Lincoln.  Sa 
faveur  s'accrut  encore  à  l'avènement 
de  Henri  VIII.  L'élégance  de  ses 
manières  ,  la  gaîlé  de  son  esprit ,  sa 
souplesse  et  sa  complaisance  peu 
scrupuleuse  ne  tardèrent  pas  à  lui 
mériter  la  confiance  presque  exclusi- 
ve du  nouveau  roi.  On  l'a  accusé 
d'en  avoir  abusé  pour  supplanter  le 
comte  de  Surrey  et  Fox  lui  -  mémo , 


1^4 


WOL 


qui  l'avait  introduit  à  la  cour.  Ce 
reproche  paraît  deiuië  de  fondement. 
Si  l'on  pouvait  s'en  rapporter  à  Po- 
lydore  Virgile  ,  il  faudrait  croire 
qu'il  était  de  toutes  les  parties  de 
plaisir  du  jeune  monarque  ,  flattant 
ses  goûts  et  ses  passions;  qu'il  s'ap- 
pliqua à  lui  rendre  suspects  les  an- 
ciens ministres  ;  qu'il  lui  insinua  , 
qu'en  attendant  que  l'âge  des  plai- 
sirs fût  passe,  il  serait  à  propos  de 
conlicr  les  rênes  du  gouvernement  "à 
un  ministre  qui  pût  le  mettre  au  fait 
des  alfaires  ,  et  le  former  insensible- 
ment à  la  science  du  gouvernement, 
sans  trop  le  distraire  d'ailleurs  ; 
que  ces  insinuations  présente'es  avec 
art  eurent  tout  l'effet  qu'il  en  at- 
tendait. On  a  cependant  des  preu- 
ves authentiques  que  Henri ,  à  cette 
époque  même ,  s'occupait  sérieuse- 
ment des  affaires  de  l'état.  Ce  qu'il 
y  a  de  plus  vrai  dans  tout  cela ,  c'est 
que  l'adroit  ministre  avait  l'art  de 
diriger  son  maître ,  en  le  laissant  dans 
la  pejsuasion  qu'il  se  conduisait  par 
lui-même; que,  s'il  insistait  sur  quel- 
ques mesures  contraires  à  celles  de 
Henri  ,  il.  savait  céder  à  propos  , 
et  travaillait  à  faire  réussir  ce  que 
voulait  le  roi  avec  autant  de 
zèle  et  d'activité  que  s'il  les  eût 
lui-même  suggérées.  Entré  en  i5io 
dans  le  conseil  -  d'état ,  il  y  prit 
le  plus  grand  ascendant,  et  par- 
vint avec  une  rapidité  étonnante 
au  plus  haut  degré  d'autorité  que 
puisse  ambitionner  un  homme  né 
dans  une  condition  obscure.  Devenu 
l'arbitre  de  l'Europe  par  le  rôle  qu'il 
eut  l'habileté  de  faire  jouer  à  l'An- 
gleterre, dans  les  querelles  des  puis- 
sances continentales ,  il  fut  recherché 
par  l'empereur  et  par  le  roi  de  Fran- 
ce; et  ces  princes  le  prirent  souvent 
pour  médiateur  dins  leurs  différends. 
Regardé  comme  le    pontife    de   la 


WOL 

Grande-Bretagne,  par  l'extension 
qu'il  donna  à  ses  fonctions  de  légat , 
dignité  qu'il  rendit  permanente  dans 
sa  personne  ,  il  aspira  à  l'être  de 
toute  l'Église.  A  la  mort  de  Léon  X , 
il  envoya  ledocteur  Peace,son  secré- 
taire confidentiel ,  à  Rome,  pour  lui 
gagner  les  suffrages  des  cardinaux; 
mais  cet  agent  n'arriva  qu'après  l'é- 
lection d'Adrien  VI.  Ce  pontificat 
n'ayant  duré  qu'un  an,  Wolsey  reprit 
son  projet;  mais  les  cardinaux  fran- 
çais, qui  le  regardaient  comme  le  plus 
dangereux  ennemi  de  leur  roi  ^  le 
firent  échouer.  On  lui  allégua  que  , 
n'ayant  jamais  été  à  Rome,  il  man- 
quait de  l'expérience  qu'exigeait 
cette  haute  dignité,  et  que  d'ailleurs 
il  fallait  un  pape  résidant  en  Italie. 
Persuadé  cependant  que  c'était  la 
faction  impériale  qui  lui  avait  été  le 
plus  nuisible,  il  en  conçut  un  vif  res- 
sentiment contre  l'empereur  ,  qui 
l'avait  flatté  de  faire  réussir  ses  pré- 
tentions; et  il  chercha  à  s'en  venger 
en  ménageant  une  alliance  entre  son 
maître  et  François  I^r. ,  contre  Char- 
les-Quint. Wolsey,  maître  de  dispo- 
ser de  tous  les  bénéfices  du  royau- 
me ,  ne  s'oublia  pas  dans  celte  dis- 
tribution. En  passant  sur  le  siège 
d'York ,  il  conserva  l'administration 
temporelle  de  celui  de  Lincoln.  11 
posséda  en  commande  l'évêché  de 
Bath,  qu'il  échangea  pour  celui  de 
Durham  ,  beaucoup  plus  riche ,  et 
celui-ci  pour  l'évêché  de  Winchester, 
qui  l'était  encore  davantage,  et  au- 
quel il  joignit  l'abbaye  de  Saint-Âl- 
ban.  Il  donna  les  évêchés  de  Wor- 
cester  et  d'Heieford  à  des  Italiens 
qui ,  résidant  à  Rome ,  se  conten- 
taient d'une  pension  assez  modique  , 
et  en  laissaient  le  revenu  à  celui  qui 
les  leur  avait  procurés.  En  aban- 
donnant l'administration  temporelle 
de  l'évêché    de    Tournai  ,   lorsque 


WOL 

cette  ville  retourna  aux  Français  ,  il 
se  réserva  une  pension  de  douze 
mille  francs.  Le  pape  LeonX  ,  pour 
s'attacher  un  personnage  si  puissant , 
lui  accorda  une  pension  de  sept  mille 
cinq  cents  ducats  sur  les  ëvêches  de 
Tolède  et  de  Placentia.  En  le  créant 
légat  àlatcre  y  dignité  très-lucrative 
par  elle-même,  il  lui  laissa  la  facul- 
té d'en  étendre  les  prérogatives  au- 
delà  de  toute  mesure;  et  Wolsey  en 
abusa  pour  restreindre  la  juridiction 
priraaiiale  de  l'aichevêque  de  Can- 
torbéry.  Le  même  pape  lui  donna  le 
droit  de  créer  cinquante  chevaliers, 
cinquante  comtes  palatins  ,  quaran- 
te notaires  apostoliques  ,  avec  les 
mêmes  attributions  que  les  siens  pro- 
pres, de  légitimer  les  bâtards,  de 
conférer  des  degrés  dans  toutes  les 
facultés ,  d'accorder  toutes  sortes  de 
dispenses,  de  visiter,  de  réformer, 
de  supprimer  les  monastères.  Le  roi 
y  joignit  le  pouvoir  d'expédier  des 
lettres  de  naturalisation,  de  délivrer 
des  congés  et  d'élire  pour  les  grands 
bénéfices,  de  recevoir  les  serments 
de  fidélité,  etc.  Comme  grand  chan- 
celier et  légat,  il  tirait  des  émolu- 
ments considérables  des  cours  qu'il 
présidait.  Enfin  ,  l'empereur  lui  fai- 
sait une  pension  de  dix  mille  du- 
cats sur  le  duché  de  Milan,  à  la- 
quelje  il  en  joignit  une  autre  de  neuf 
mille  couronnes  d'or.  Par  l'accumu- 
lation de  tant  de  bénéfices,  de  pen- 
sions et  de  prérogatives  ,  les  reve- 
nus de  Wolsey  égalèrent  presque 
ceux  de  la  couronne.  Son  train  ré- 
pondait h  ses  immenses  ricliesses  et 
à  l'étendue  de  son  ambition.  Sa  mai- 
son surpassait  en  faste  celle  des  sou- 
verains eux-mêmes.  Les  principaux 
emplois  en  étaient  remplis  par  des 
comtes,  des  barons,  des  chevaliers, 
des  lils  des  familles  les  plus  distin- 
guées du  royaume  qui  voulaient  s'a- 


WOL 


,75 


vancer  par  la  faveur  dont  il  jouis- 
sait. Le  duc  de  Northumberland 
ne  dédaigna  pas  d'y  faire  entrer  son 
fils ,  lord  Percy.  On  y  comptait  jus- 
qu'à huit  cents  personnes.  Lorsque 
Wolsey  alla  en  ambassade  auprès  de 
François  I*^^'. ,  il  avait  une  escorte  de 
mille  chevaux.  La  magnificence  de 
ses  habits  ,  de  ses  équipages  ,  le  luxe 
de  ses  livrées  ,  l'éclat  de  tout  ce  qui 
l'entouraitéblouissaient  tous  les  yeux. 
C'est  le  premier  prélat  anglais  qui 
ait  porté  de  l'or  et  de  la  soie  dans 
ses  habits  ,  sur  les  selles  et  les  hous- 
ses de  ses  chevaux.  On  comptait 
jusqu'à  deux  cent  quatre-vingts  lits 
de  soie  dans  son  magnifique  château 
de  Hamptoncourt.  Dans  les  grandes 
cérémonies ,  on  portait  devant  lui 
les  insignes  de  ses  dicnités.  Un  hom- 
me de  qualité  marchait  en  avant,  te- 
nant élevé  son  chapeau  de  cardinal , 
et  il  avait  ordre  de  ne  le  déposer 
dans  la  chapelle  du  roi,  que  sur  l'au- 
tel. Sa  croix  de  cardinal  était  de 
même  placée  sur  une  colonne  d'ar- 
gent et  portée  par  un  ecclésiastique  1 
d'une  taille  et  d'une  beauté  remar- 
quables ,  tandis  qu'un  autre  ecclésias- 
tique ,  distingué  par  les  mêmes  for- 
mes, l'accompagnait  avec  sa  croix 
d'archevêque.  Il  célébrait  la  messe 
avec  la  même  pompe  que  le  pape, 
assisté  par  des  évêques ,  des  abbés , 
et  servi  par  des  gentilshommes 
en  sa  qualité  de  légat  à  latere. 
Mais  Wolsey ,  parvenu  au  faîte  des 
grandeurs  ,  touchait  au  moment  de 
sa  chute;  et  ce  fut  la  fameuse  ad'aire 
du  divorce  qui  l'amena.  Quelques 
historiens  l'accusent  d'en  avoir  fait 
naître  la  première  idée  à  Henri  VIII , 
soit  dans  la  vue  de  procurer  à  l'An- 
gleterre un  héritier  de  la  couronne, 
soit  pour  satisfaire  son  ressentiment 
contre  Charles-Quint ,  neveu  de  Ca- 
therine d'Aragon.  Ce  dernier   pro- 


176 


WOL 


i'et  se  liant  avec  l'inlërêt  de  son  am- 
)ition,  il  voulait  faire  épouser  à  son 
maître  ,  ou  la  duchesse  d'Alençon  , 
sœur  de  François  1^^. ,  ou  la  prin- 
cesse Renée,  fille  de  Louis  Xll ,  afin 
de  resserrer  l'alliance  des  deux  rois 
contre  Terapereur,  de  se  menapjcr 
la  protection  de  la  nouvelle  reine 
pour  se  maintenir  en  faveur.  Lors- 
que Henri  lui  eut  fait  confidence  de 
sa  passion  pour  Anne  de  Boleyn ,  il 
craignit  d'être  supplante  par  une  pa- 
reille rivale,  et  le  supplia  à  genoux 
de  renoncer  à  un  projet  qui  le  désho- 
norerait à  cause  de  la  disparité  de 
naissance.  Mais  quand  il  vit  qu'il  n'y 
avait  pas  moyen  de  l'en  détacher, 
il  s'occupa  sérieusement  de  faire 
réussir  le  divorce  :  il  en  ménagea 
toute  l'intrigue  à  Rome,  par  ses 
agents  ,  en  dressa  tous  les  actes ,  et  se 
iit  nommer  commissaire  avec  le  car- 
dinal Campege  ,  pour  faire  juger 
l'affaire  en  Angleterre,  ou  il  pré- 
voyait qu'elle  devait  souffrir  moins 
de  dilficultés  qu'en  Italie.  S'étant 
ensuite  aperçu  ,  par  'es  liaisons  qui 
se  renouaient  entre  le  pape  et  l'em- 
pereur,  et  par  les  lenteurs  que  Cam- 
pege ,  suivant  ses  instructions  secrè- 
tes, mettait  dans  l'instruction  du 
procès  ,  que  le  divorce  ne  réussirait 
pas  ,  il  se  désista  de  sa  commission, 
en  alléguant  que  sa  qualité  d'Anglais , 
de  favori  et  de  ministre  du  roi ,  four- 
nirait des  moyens  d'appel  contre 
le  jugement  qui  interviendrait.  Ces 
raisons  ne  purent  le  préserver  de  la 
colère  de  l'amant  et  des  fureurs  de 
l'amante ,  lorsque  l'affaire  fut  subite- 
ment évoquée  à  Rome  contre  l'atten- 
te de  tout  le  monde.  Henri,  qui  jus- 
que-là avait  réussi  dans  ses  projets 
les  plus  difficiles  par  l'habileté  de 
son  ministre ,  le  rendit  responsable 
de  ce  contre-temps.  Anne  de  Boleyn  , 
qui  n'ignorait  pas  que  Wulsey  avait 


WOL 

pensé  à  lui  substituer  une  princesse 
étrangère  dans  le  cœur  de  son  amant, 
n'eut  pas  de  peine  à  communiquer 
son  animosite  au  monarque.  Enfin 
la  reine  et  ses  partisans,  irrités  de 
l'activité  avec  laquelle  il  avait  d'a- 
bord poursuivi  l'affaire  du  divorce, 
ne  lui  tinrent  aucun  compte  de  son 
désistement ,  de  sorte  que  toutes  les 
passions ,  toutes  les  cabales  se  réu- 
nirent pour  conspirer  sa  perte.  Ce- 
pendant, comme  le  roi  n'avait  au- 
cun motif  ostensible  pour  justifier 
la  disgrâce  d'un  ministre  dont  il  ne 
pouvait  se  dissimuler  les  talents  et 
les  services ,  il  suspendit  son  ressen- 
timent. Mais  enfin  le  moment  était 
arrivé  où  Wolsey  devait  être  préci- 
pité du  faîte  des  grandeurs  avec  la 
même  rapidité  qu'il  y  était  monté  : 
l'avocat-général  l'accusa  devant  la 
cour  du  banc  du  roi,  d'avoir,  comme 
légat,  transgressé  ses  statuts,  quoi- 
qu'il eût  reçu  à  cet  égard  la  licence 
royale,  et  qu'il  y  fût  autorisé  par 
l'usage  immémorial  et  par  la  sanc- 
tion du  parlement.  Toute  défense 
eût  été  inutile.  Le  grand  sceau  lui 
fut  repris.  Le  roi  s'empara  du  palais 
de  l'archevêque  d'York,  lui  ordon- 
nant de  se  retirer  à  Asher,  maison 
dépendante  de  son  évêché  de  Win- 
chester •  et  tous  ces  ordres  lui  furent 
signifiés  par  les  ducs  de  Suifolk  et 
de  Norfolk ,  ses  deux  plus  grands 
ennemis.  La  nouvelle  s'étant  répan- 
due qu'il  allait  être  conduit  à  la  Tour, 
la  Tamise  se  trouva  aussitôt  cou- 
verte de  bateaux,  et  bordée  de  spec 
tateurs,  qui  témoignaient  leur  joie 
de  la  disgrâce  d'un  homme  dont 
on  n'avait  souffert  l'administration 
qu'avec  une  extrême  impatience. 
Mais  la  nouvelle  se  trouva  fausse. 
Wolsey  ne  supporta  pas  son  sort 
avec  la  dignité  d'un  grand  cœur.  La 
plus  petite  apparence  de  retour  de  la  ' 


:î 


WOL 

part  du  capricieux  monarque  le 
transportait  d'une  joie  puérile.  Hen- 
ri lui  ayant  envoyé  Norris,  son  va- 
let de  chambre  ,  qui  l'atteignit  à 
Pulney ,  et  lui  remit  un  message  se- 
cret, mais  gracieux  ,  pour  l'engager 
à  ne  pas  se  livrer  au  desespoir,  le 
cardinal ,  qui  était  à  cheval ,  descen- 
dit aussitôt,  se  prosterna  dans  la 
Loue,  la  tête  découverte,  et  exprima 
sa  reconnaissance  dans  les  termes 
du  plus  humble  courtisan.  Quand  la 
chambre  haute  du  parlement  eut 
porte  contre  lui  un  bill  d'accusation 
sur  quarante  chefs  ,  dont  les  plus 
importants  ne  prouvaient  que  la  hai- 
ne de  ses  ennemis  (i)  ,  le  roi  le  fit 
rejeter  à  la  chambre  des  communes, 
sur  la  motion  de  Gromwell ,  qui ,  du 
service  du  cardinal,  était  passe  a 
celui  de  Henri.  Instruit  que  son  an- 
cien favori  était  tombé,  à  Asher, 
dans  une  dangereuse  maladie,  il  lui 
envoya  son  propre  médecin.  11  n'y 
eut  pas  jusqu'à  Anne  de  Boleyn,  qui_, 
pour  complaire  à  son  royal  amant, 
ne  lui  fît  porter  des  tablettes  d'or, 
comme  un  gage  de  réconciliation. 
1  Enfin,  les  revenus  de  l'archevêché 
il  d'York  lui  furent  rendus,  avec  une 
artie  de  sa  vaisselle  et  de  ses  meu- 
les. Cependant  ses  ennemis  ne  ces- 
saient de  représenter  au  roi  son  op- 
position au  divorce  ,  et  le  refus  qu'il 
avait  fait  de  prononcer  la  rupture 
du  premier  mariage.  Leur  animosilé 
redoubla  lorsque  Henri  lui  permit  de 
se  retirer  dans  la  chartreuse  de  Ri- 
:hemond,  ce  qui  le  rapprochait  de 
a  cour  'y  et  ils  finirent  par  obtenir 


(i)  Cet  Bcte  d'accusation  était  composé  de  qua- 
ante-cinq  articles,  tous  fondés  sur  des  choses  va- 
;ues.  Entre  autres  on  l'accusa  de  parler  du  roi 
•omme  de  s<ju  égal ,  et  d'avoir  mis  sou  uoni  avant 
;elui  du  monarque,  Eifo  ei  rex  meus,  manière  de 
'exprimer  juslilîée  par  l'idiome  latin.  On  lui  lit 
ncore  un  crime  capital  de  ce  qu'étant  attaqué 
l'une  maladie  honteuse  ,  il  parlait  souveut  à  l'o- 
eiUe  du  roi. 

LI. 


WOL 


177 


Ei 


un  ordre  qui  le  relégua  dans  son 
diocèse.  Ce  fut  pour  lui  un  coup 
de  la  Providence.  W  parut  être 
absolument  ixvtnu  de  ses  projets 
d'ambition  ,  et  se  montra  vraiment 
digne  des  marques  de  respect  qu'on 
lui  donna  sur  toute  sa  route  et  dans 
son  diocèse.  H  y  vécut,  non  plus  en 
ministre  dont  la  politique  avait  di- 
rigé les  intérêts  de  l'Europe,  mais 
en  pasteur  tout  occupé  de  ses  de- 
voirs, partageant  sa  modique  for- 
tune avec  les  pauvres  ,  ayant  une 
table  frugale ,  exerçant  la  plus  géné- 
reuse hospitalité, s'appliquant  à  con- 
cilier amiablement  les  difïérends  des 
familles  et  de  tous  ses  diocésains.  H 
faisait  régulièrement  des  visites  pas- 
torales ,  prêchant  comme  le  dernier 
de  &^s  chapelains.  H  s'était  concilie 
l'estime  et  l'attachement  de  tous 
ceux  qui  avaient  recours  à  lui  par  sa 
douceur,  ses  libéralités  et  l'esprit  de 
justice  qui  régnait  dans  ses  conseils 
et  dans  ses  jugements.  Les  personnes 
mêmes  qui ,  au  temps  de  sa  prospé- 
rité, ne  l'avaient  vu  qu'avec  aver- 
sion, applaudirent  à  sa  conduite  dans 
l'adversité.  Le  cardinal,  se  croyant 
oublié  de  ses  ennemis  ,  jouissait  en 
paix  des  douceurs  de  «a  retraite  , 
lorsque  le  duc  de  Northumberland  , 
son  ancien  courtisan ,  se  présenta 
inopinément  à  Cawood  ,  et  lui  signi- 
fia l'ordre  qu'il  avait  de  l'arrêter  et 
de  le  conduire  à  Londres  ,  où  l'on 
devait  lui  faire  son  procès  pour  cri- 
me de  haute-trahison.  Wolsey,  sans 
se  troubler,  se  mit  aussitôt  en  devoir 
d'obéir ,  et  témoigna  le  plus  grand 
empressement  d'être  confronté  avec 
ses  accusateurs  ,  très-assuré  de  les 
confondre.  H  trouva  la  route  cou- 
verte de  personnes  de  tout  rang  et  de 
tout  état ,  accourues  pour  lui  témoi- 
gner l'intérêt  qu'elles  prenaient  à  ce 
nouveau  genre  de  persécution.  Arrive 
12 


178  WOL 

à  Sheffield,  il  y  fut  attaqué  d'une 
dyssenterie  qui  le  retint  quinze  jours 
au  lit.  S'e'tant  remis  en  route  ,  il 
sentit  le  mal  augmenter  ,  s'arrêta  à 
l'abbaye  de  Leicester,  et  dit  à  Tabbe' 
en  y  entrant  qu'il  venait  laisser  ses 
cendres  dans  son  monastère.  Kyngs- 
ton,  lieutenant  de  la  Tour,  qui  était 
chargé  de  sa  garde,  voulut  adoucir 
ses  peines  en  lui  faisant  tout  espérer 
de  la  bonté  du  roi ,  qui  n'avait  cédé 
qu'à  regret  à  l'importunité  de  ses 
ennemis.  «  Maître  Kyngston  ,  lui  ré- 
»  pliqua-t-il ,  je  supplie  Sa  Majesté 
»  de  se  rappeler  tout  ce  qui  s'est 
^>  passé  entre  nous  •  combien  de  fois 
»  je  me  suis  jeté  à  ses  genoux  pour 
»  l'engager  à  contenir  ses  passions , 
»  sans  pouvoir  y  parvenir.  Si  j 'avais 
»  servi  Dieu  avec  autant  de  zèle  que 
»  j'ai  servi  le  roi  ,  il  ne  m'aurait  pas 
»  ainsi  abandonné  dans  mes  derniers 
»  jours.  Mais  je  reçois  la  juste  ré- 
»  compense  de  tous  mes  soins  pour 
»  ne  m'être  occupé  que  de  ce  qui 
»  pouvait  être  agréable  à  mon  prin- 
»  ce  ,  saus  aucun  égard  pour  ce  que 
»  je  devais  à  Dieu.  »  Tels  furent  les 
sentim'^nts  dans  lesquels  Wolsey  ter- 
mina sa  carrière  ,  le  29  novembre 
i53o  ,  dans  la  soixantième  année  de 
son  âge.  Henri  versa  des  pleurs  en 
apprenant  sa  mort ,  et  il  aimait  à 
parler  honorablement  de  sa  person- 
ne ;  ce  qui  prouve  que  l'humeur  du 
monarque  avait  plus  influé  sur  la  dis- 
grâce du  ministre  ,  que  l'accusation 
de  trahison.  Il  est  difficile  de  donner^ 
d'îprès  ses  contemporains  ,  une  juste 
idée  du  caractère  de  ce  fameux  minis- 
tre; les  catholiques  lui  reprochaient 
d'avoir  été  le  grand  promoteur  du 
divorce  ;  les  protestants  de  s'être 
moutré  leur  implacable  ennemi.  Le 
clergé  ne  pouvait  lui  pardonner  l'a- 
bus qu'il  avait  fait  de  sa  diguité  de 
légat  pour  anéantir   la   juridiction 


WOL 

épiscopale  ;  et  les  moines  ,  l'usurpa- 
tion de  leurs  biens.  La  noblesse  le 
méprisait  à  cause  de  l'obscurité  de 
son  extraction  ,  et  toute  la  nation  le 
détestait  comme  l'auteur  des  taxes 
énormes  sous  lesquelles  elle  gémis- 
sait. Il  faut  cependant  convenir  que 
plusieurs  des  reproches  que  lui  font 
les  historiens   trouvent   leur  excuse 
dans  le  caractère  violent  et  capri- 
cieux de  son  maître.  S'il  abusa  de 
sa  faveur  ;  s'il  révolta  la  nation  par 
l'insolence  de  son  faste  ;  s'il  irrita  la 
noblesse  et  les  grands  par  ses  hau- 
teurs ,  il  eut  aussi  des  qualités  émi- 
nentes  qui  rachetèrent  ses  défauts.  Ha- 
bile et  profond  politique  ,  il  profita 
de  toutes  les  circonstances  pour  aug- 
menter la  puissance  de  son  maître  , 
et  pour  donner  une  grande  influence 
à  l'Angleterre  dans  les  afl'aires  géné- 
rales de  l'Europe.  Il  tint  la  balance 
entre  François  I''^".  et  Charles-QuiiiJ 
Lorsqu'on    réfléchit  sur  les  événéB 
mcnls  malheureux  de  ce  règne,  après 
que  les  rênes  du   gouvernement   ne 
furent  plus  dans  ses  mains  ,  et  que 
Henri  ,   oubliant    ses   conseils  ,  eut 
abandonné   le  vrai  rôle  de  l'Angle- 
terre, celui  de   ne   prendre  aucune 
part  active  aux  démêlés  du  continent, 
de  n'ambitionner  que  le  titre  d'ar- 
bitre ,  de  menacer  tour-à-tour  celui 
des  deux  rivaux  qui  se  disputaient 
alors   la   prépondérance  ;  lorsqu'on 
réfléchit ,  disons-nous,  sur  toutes  c< 
choses  ,    on   trouve  que   c'est  av^ 
injustice  qu'on   a  révoqué  en  doi 
te   ses    talents    pour    le   gouverne 
ment.  Son  administration  fut  en  g< 
néral   uniforme  ,   soutenue  ,   vigoi 
reuse  ,  tandis  qu'après  lui  tout  ft 
capricieux  ,   inconstant  et  diKlcil 
On  convient  qu'il  réforma  plusieu; 
abus  dans  l'Église  et  dans  l'état,  qu' 
obligea  le  clergé  à  mettre  plus 
régularité  dans  sa  conduite;  quedai 


J 


WOL 

Texercice  de  sa  charge  de   chance- 
lier ,  il  s'entoura  des  connaissances 
et  de  l'expérience  des  plus  habiles 
jurisconsultes  ^  et  que  les  sentences 
qui  émanèrenf  de  son   tribunal    fu- 
rent généralement  justes;  qu'a(in  que 
les    pauvres    pussent  défendre  plus 
facilement  leurs  droits ,  il  établit  des 
cours  de  requêtes,  et  introduisit  dans 
l'administration  delà  justice  des  dis- 
positions qui  furent  bien  accueillies  , 
et  fit  créer,  pour  une  plus  prompte 
expédition  des  alfaires ,  quatre  cours 
'  intérieures    qui    subsistent    encore. 
Comme  tous  les  grands  ministres  , 
il  protégea  les  sciences  et  les  arts. 
Les  deux  universités  éprouvèrent  sa 
munilicence.  Celle  d'Oxford  lui  dut 
la  création  de   sept  chaires  ,  et  la 
fondation  du  collège  du  Christ.  Il  en 
érigea  un  autre  à  Ipswich  ,  lieu  de 
sa  naissance ,  et  il  était  sur  le  point 
d'en  établir  un  à  Londres  ,  pour  le 
droit  civil  et  le  droit  canon,  lorsqu'il 
fut  arrête  dans  ce  projet  par  sa  dis- 
grâce.  On  voit  par    le  plan  d'étu- 
des qu'il  avait  tracé  pour  le  collège 
d'Ipsvvich  ,  et  qui  se  trouve  dans  la 
grammaire  de  Lilly ,  par  sa  corres- 
pondance que  Fox  nous  a  conservée , 
enfin  par  ses  lettres  sur  l'alFaire  du 
divorce,  qui  se  lisent  dans  Burnet; 
on  voit  ,   disons- nous  ,  que    si   les 
grandes    alfaires   qui    l'absorbèrent 
tout    entier     lui   eussent    laissé    le 
loisir  de  s'occuper  de  travaux  lit- 
téraires ,     il    aurait    obtenu     des 
succès   brillants  en    ce   genre.    La 
Vie   du    cardinal    TVolsey   a   été 
écrite  en  anglais  par  George  Caven- 
dish ,  qui  fut  attaché  à  sa  maison 
en  qualité  de  gentilhomme  introduc- 
teur (g^e«Z/emrt«  usher).  Ce  précieux 
morceau  de  biographie  vient  d'être 
imprimé  pour  la  seconde  fois  avec 
des  notes  et  des  éclaircissements  par 
S.-W.   Singer,  membre  de  la  so- 


WOL 


79 


ciété  des  antiquaires ,  182-^,  in-8^\  , 
orné  de  neuf  portraits  et  d'autres  gra- 
vures. Le  docteur  Fiddes  publia  une 
autre  Vie  de  Wolsey  très-étendue  , 
en  1724,  in-fol.  Elle  renferme  des 
pièces  curieuses.  L'auteur  s'y  mon- 
tre constamment  l'apologiste  du  car- 
diual.  M.  Galt  a  donné  aussi  en  an- 
glais la  Vie  et  V administration  du 
cardinal  Wolsey,  1812,  in-4".  ; 
1817,  in-8".  On  a  inséré  un  petit 
recueil  des  lettres  du  cardinal  Wol- 
sey,  daus  le  tome  \n  de  la  Col- 
lectio  amplissirna  de  Martenne  et 
Durand.  L'abbé  de  Longuerue  a  ré- 
futé quelques-unes  des  accusations 
dirigées  contre  lui,  dans  de  savantes 
remarques  ,  que  l'on  trouve  au  tome 
VI II  des  Mémoires  de  littérature 
du  P.  Desmolets.  On  lit  ,  sur  cette 
époque  ,  des  détails  tout-à-fait  neufs 
dans  la  nouvelle  Histoire  d'Angleter- 
re ,  par  M.  Lingard.  T — d. 

WOLSTAN  ou  Vohtanus,  auteur 
ecclésiastique,  était,  dans  le  dixième 
siècle,  religieux  au  nouveau  monastè- 
re deSaint-Pierre  à  Winchester,  avec 
Landfiid.  Ils  travaillèrent  ensemble 
à  l'Histoire  de  saint  Swithune,  qui 
était  mort  évêque  de  Winchester,  en 
8G3.  Les  mémoires  authentiques  leur 
ayant  manqué ,  ils  se  contentèrent 
de  rapporter  les  miracles  opérés  par 
le  saint  évêque ,  ainsi  que  les  céré- 
monies qui  avaient  eu  lieu  à  la  trans- 
lation de  ses  reliques  ,  faite  en  97  i . 
D.  Mabillon  parle  de  leur  travail , 
dans  ses  Acta  ord.S.  Bened. ,  t.  vi. 
Wolstan  composa  seul ,  sur  le  même 
sujet,  deux  livres  en  vers ,  qu'il  dé- 
dia à  Elfégus,  évêque  de  Winches- 
ter. L'épître  dédicatoire  contient  des 
particularités  intéressantes  sur  les 
deux  monastères  de  Winchester  ,  et 
a  été  de  même  insérée  dans  les  Acta, 
tome  VII.  Wolstan  écrivit  aussi,  en 
prose  et  en  vers,  la  Vie  de  saint 
12.. 


i8o  WOL 

F.lhclwold,  cvcqiio  de  Winchester, 
dont  il  avait  e'ic  disciple  {Acta,  îora. 
VII  ).  Surius  et  les  Boliandistes  l'ont 
publiée,  en  la  plaçant  au  i^r.  août. 
JVIalmcsl)iiiy  attribue  à  Wolstan  un 
ouvrage  intitulé  De  l'harmonie  des 
tons  j  (pi'il  assure  être  très -utile.  On 
y  trouvait,  selon  lui,  la  science  de 
l'auteur j  (fui  était  un  homme  d'une 
vie  sainte  et  d'une  éloquence  pure 
et  châtiée.  Ses  écrits  font  bien  con- 
naître toute  la  sévérité  des  mœurs  et 
de  la  discipline  du  dixième  siècle. 
Quant  à  son  style ,  il  se  ressent  du 
temps  où  il  vivait;  et  ses  vers  sonten- 
core  au-dessous  de  sa  prose.  G — y. 
WOLSTEIN  (Jean-Gottlieb)  , 
vétérinaire,  né  le  i4  niars  i-^iSB  à 
Flinsberg,  dans  la  Basse-Silésie  ,  fut 
depuis  17-^7  professeur-directeur  de 
l'hôpital  vétérinaire  qu'il  fonda  à 
Vienne.  Arrêté,  en  1794?  pour  des 
causes  politicpies,  il  fut  mis  en  liber- 
té peu  de  temps  après,  mais  destitué 
de  ses  fonctions.  11  se  rendit  en 
1795  à  Altona,  où  il  exerça  jus- 
qu'à sa  mort  la  médecine  vétérinaire. 
On  a  de  lui  plusieurs  ouvrages  alle- 
mands, dont  le  mérite  est  attesté  par 
le  grand  nombre  d'éditions  qu'ils 
ont  eues.  L  Instruction  pour  les  ma- 
réchaux ferrants  sur  les  blessures 
faites  au  cheval  par  l'arme  blan- 
che. Vienne ,  1778,  in-8*^.  y  et  ibid., 
1796,  3'*.  édition.  II.  Observations 
sur  Vépizootie  en  Autriche ,  avec 
des  remarques  sur  le  danger  qu'il 
^  a  de  tuer  et  de  vendre  les  hétes 
à  cornes  dans  les  temps  de  morta- 
lité,  ibid.,  1781 ,  in-8".,  et  1796  , 
4*^.  édition.  III.  Livres  classiques 
sur  Vépizootie  _,  pour  les  habitants 
de  la  campagne ,  ibid.,  1788,  in- 
8».,  et  1796,  5e.  édition.  IV.  Cinq 
Livres  élémentaires  sur  la  médeci- 
ne vétérinaire  j  ibid.,  1784,  in-8*^.^ 
{ t  1796,  1^.  édition.  V.  Sur  lesher- 


WOL 

nies  dans  les  hommes  et  dans  cer- 
taines espèces  d'animaux ,  ibid., 
1 784 ,  in  -  8". ,  et  Marpourg ,  1 799. 
VI.  De  V homme ,  de  ses  différentes 
espèces  et  de  la  manière  de  le  soi- 
gner,  Leipzig,  1784  ,  in-  iG.  VTI. 
De  la  manière  de  soigner  les  che- 
vaux de  cavalerie  et  ceux  qui  sont 
employés  aux  travaux  ordinaires  ;, 
Vienne,  1786,  1  vol.  in-B^.;  ibid., 
1788;   et  Brunswick,  1796.  VIIÏ. 
Sur   les  maladies  intérieures  des 
poulains ,  des  chevaux  de  cavalerie 
et  de  ceux  qui  sont  employés  aux 
travaux  ordinaires ,  Vienne,  1787, 
et  Brunswick,   1796,  in  -  8».   IX. 
Instruction   élémentaire  pour    les 
médecins  vétérinaires  employés  à 
r armée  y  sur  les  blessures  que  les 
chevaux  reçoivent  par  Varme  blan- 
che, publiée  par  ordre  de  l'empe- 
reur y  V  ienne ,  1 7 88 ,  in  -  8**.  ',  réim 
primée  avec  une  Instruction  abrégéi 
pour  les  maréchaux  ferrants  ,  Vien^ 
ne,  1791  ,  et  avec  d'autres  addition 
Brunswick,  1797,  in -8".  X.  /? 
flexions  sur  la  saignée  deshomm 
et  des  animaux ,  Vienne ,  1  791 ,  in 
8». ,  et  Brunswick,  1796.  XI.  Liv. 
élémentaire  sur  V  épizootie  des  bétes 
à  cornes,  desbrebis  et  desporcs , pour 
les  habitants  de  la  campagne ,  com 
posé  par  ordre  du  gouvernement 
Vienne  ;,  1 791 ,  in-8".,  et  Brunswick 
1796.  XII.  Sur  les  soins  que  l'o; 
doit  donner  aux  chevaux  de  l'a 
niée  pendant  les  quartiers  d'hiver^ 
après  une  campagne  dure  et  péni- 
ble,  Vienne,    1793,  in- 4".  XIII. 
Préface  pour  la  Méthode  de  Vart 
vétérinaire  ,    par  Lafosse  ,    tr 
duite par  Knobloch,  Prague,  1787 
in-80.  XIV.  Préface  pour  les  Prin- 
cipes de  l'anatomie  des  chevaux 
par  Tœgel,  Vienne,  179T ,  in  -  8^*, 
XV.  Instruction  pour  les  habitant 
de  la  campagne  sur  les  marques  et 


es 

"il 
I 

I 


WOL 

causes  de  LCf)\zoolic parmi  les  bétcs 
à  cornes,  Hambourg,  1799,  iii-8». 
G— Y. 
WOLTAER  (  Jean-Chrétien  )  , 
professeur  de  jurisprudence  à  l'uni- 
versité de  Halle,  naquit  le  27  juin 
1744  à  Werder,  dans  la  Moyenne- 
Marche  de  Brandebourg  ,  et  mourut 
dans  les  premières  années  de  notre 
siècle.  Il  a  publié  sur  les  dilïérenles 
branches  du  droit  public  et  parti- 
culier un  grand  nombre  d'ouvrages 
€n  allemand  ou  en  latin  :  I.  De  siicces- 
sione  agnatvrum  infeudo  pcUerno , 
Halle,  1772,  in-4".  II.  Défendis 
Marchicis  allodificatis  censuali  qua- 
litati  haiid  uhnoxiis  ,  ibid. ,  in-4^. 
III.  Defeudo  alienabili ,  ibid.  ,  in- 
4°.  IV.  Primœ  lineœ  usûs  practici 
distinctioTUim  feudalium ,  ciim  ani- 
madifersiouibus  y  Rostoch  ,  1775, 
in- 8'*.  V.  De  vid  petendœ  restitu- 
tionis  in  integrum  prœloriœ  sccun- 
diun  doctrinam  Ronianoruni,prœci- 
puè  quadriennali  ,  hodiè  verb  per- 
pétua ,  lialle,  1776,  in-4''.  VI.  Oh- 
servationes  y  quœ  ad  jus  civile  et 
Brandenhurgicum  pertinent  _,  ibid. , 
1777  à  1779  ,  in-8<^.  VII.  De  con- 
ditionum  indole  atque  naturd,  ibid. , 
,1777,  in-4^^  VIII.  Flores  ad  jus 
ijfuerelœ  de  inqfficioso  testanunto 
sparsi ,  ibid.,  1788,  in-4*^.  IX. 
Principes  de  jurisprudence  pour 
ceux  qui  ne  sont  point  initiés  à  la 
science  (  ail.  ),  ibid. ,  1785  ,  in-8^. 
X.  /.  Gott.  Heineccii  Elementa 
juris  civilis  secundàm  ordinem  ins- 
titutionumJustiniani  commodd  au- 
ditorihus  methodo  adornata  ,  ite- 
rùm  relegit  ,  polivit  et  prœlectioni- 
hus  academicis  magis  adaptavit , 
ibid.  ,  1785,  in-8^  XI.  Preuves 
que  Von  ne  peut  imputer  aux  pro- 
fesseurs en  droit  dans  les  académies 
la  chute  de  la  véritable  science  du 
droit  {diW.),  ibid.,    1789,  in-8<^. 


WOL 


181 


XIL  Schmidii  Principia  jurispru- 
dentiœ  ecclesiaslicœ,  pontificiurum , 
methodo  sfstematica  adornata  et 
passim  suppleta  ,  in  auditorii  sui 
usum  recensuit ,  ibid. ,  1 789 ,  iu-8". 
Xlll.  Bibliothèque  de  jurisprudence 
de  Malle  (  ail.  ) ,  Thorn,,  1  798  à 
1794  ,  in-80.  XIV.  Commentarii 
juris  Juslinianei  novissimi  ex  ipsis 
J'ontibus  deducti  y  Halle,  1796,  in- 
8».  XV.  Introduction  au  droit  pu- 
blic pour  les  états  prussiens  (ail.  ), 
ibid.,  1796,  in-8«.  X^l.  De/uri- 
bus  armatis ,  ibid.,  1782,  in-8*'. 
XVII.  De  fidejussore  fidcjussoris 
nec  non  di/ferentiis  inter  fidejusso- 
rem  succidaneum  ac  indemnitatis  _, 
ibid.,  1800,  iu-8*'.  Le  même  auteur 
a  publié  dans  les  Amionces  de  Halle 
un  grand  nombre  de  résolutions  sur 
des  cas  dilïlciles  du  droit  public  et 
particulier.  G — y. 

WOLTERSDORF  (  Ernlst-Ga- 
BRiEL  ) ,  professeur  à  Bunzlau ,  de 
puis  à  Breslau,  naquit  dans  la  pre- 
mière de  ces  villes  vers  l'an  1 7  5o  , 
et  mourut  au  commencement  du 
dix  -  neuvième  siècle.  Il  a  publié 
plusieurs  ouvrages  classiques  sur  la 
langue  française  ,  dont  il  donnait 
des  leçons  :  I.  Lectures  choisies  en 
français  (ail.),  Bunzlau,  1785  et 
1 794 ,  in-8''.  II.  Sur  les  devoirs  pu- 
blics quont  à  remplir  les  maîtres 
dévoués  à  V instruction  de  la  jeu- 
nesse (  ail.  ) ,  Breslau  ,  1 786  ,  in-4". 
III.  Manuel  de  la  langue  fran- 
çaise (  alL  )  ,  Breslau,  1791  ,  €t 
Zullichau,  179*2  ,  2  vol.  in-8^.  IV. 
Becueil  des  Synonymes  français  , 
Leipzig,  179^,  in- 8°.  V.  Vues  de 
la  nature ,  prises  dans  les  ouvrages 
les  plus  recherchés  y  avec  gravures 
(  ail.  ),  Breslau  et  Leipzig,  1795. 
VI.  Tableau  des  souverains  de  la 
Silésie  (  ail.  ),  Breslau,  1795,  in- 
folio.  G — y. 


l82 


WOL 


WOLTERUS  (  Henri  )  ,  cha- 
ijoiue  de  Saint-Anschaiie,  à  Brème, 
vivait  vers  le  milieu  du  quinzième 
siècle.  Il  a  écrit  eu  latin  une  Chroni- 
que de  Brème  ,  qui  finit  en  1 463. 
]^îeibomius  (Henri)  l'a  insérée  dans 
le  tome  ii  de  ses  Script  ores  reriim 
germanicarum  ,  Leyde  ^  1 688 ,  3 
vol.  in-fol.  Cet  ouvrage  contient 
l'histoire  des  archevêques  et  de  la 
ville  de  Brème.  On  y  trouve  des 
faits  importants  de  l'histoire  généra- 
le ,  tant  ecclésiastique  que  politique, 
du  temps,  principalement  touchant 
la   croisade   qui  eut  lieu  en   iiii. 

G— Y. 

WOLT!VTAN(Charles-Louisue), 
né  en  1770  à  Oldenbourg,  reçut  de 
son  père  les  premières  leçons  de  lit- 
térature et  d'histoire.  A  Tàge  de 
quinze  ans  il  lisait  Homère,  Ossian  , 
Klopstock  ,  et  pénétré  de  ces  modè- 
les il  composa  des  poésies  très- 
supérieures  à  son  âge.  Envoyé  en 
1 790  à  Goltingue ,  pour  y  faire  son 
droit ,  il  s'occupa  presque  exclusive- 
ment de  travaux  historiques  •  et ,  per- 
suadé qu'en  enseignant  il  aurait  occa- 
sion de  s'instruire  encore, il  recher- 
cha et  obtint  une  chaire  à  Gôttingue, 
d'oii  il  fut  a  ppelé  à  léna.  Dans  l'une  et 
l'autre  de  ces  universités  il  montra 
une  grande  activité  ,  comme  profes- 
seur et  comme  écrivain.  Il  composa 
aussi  quelques  écrits  ,  travailla  à  des 
journaux  littéraires,  et,  en  1800^ 
il  commença  à  Berlin  un  journal 
d'histoire  et  de  politique.  En  17î)9  , 
il  entra  dans  la  carrière  di])lomati- 
que^  fut  nommé  conseiller  de  léga- 
tion du  prince  de  Hesse-Hombourg, 
et  ])lus  tard  conseiller-d'état.  D'abord 
admirateur  passionnédeBiionaparte, 
quand  il  vit  l'Allemagne  opprimée, 
il  se  déclara  hautement  contre  le 
conquérant,  et  seconda  de  tout  son 
pouvoir  le  baron  de  Stein  dans  les 


WOL 

projets  que  ce  ministre  d'état  forma 
pour  délivrer  son  pays.  En  i8i3  , 
après  la  bataille  de  Lutzen  ,  Wolt- 
man  ^  redoutant  la  vengeance  du 
vainqueur  ,  s'enfuit  à  Prague  ,  oij  il 
mourut ,  en  181 7  ,  n'étant  âgé  que 
de  quarante  sept  ans.  Ses  principaux 
ouvrages  sont  :  E  Histoire  primi- 
tive du  genre  humain.  II.  Histoire 
de  la  paix  de  Westphalie  ,  i  ^^. 
partie,  Leipzig,  1808,  in-8''.j  2e. 
partie,  ihid.  ,  1809,  in  -  8».  III. 
Wallenstein  (  dans  le  Calendrier 
historique  pour  Vannée  vulgaire 
i8o3  ,  180*2,  in- 12  ).  IV.  Jean  de 
M  aller.  V.  Histoire  de  France.yi, 
Histoire  de  la  ré  formation  consi- 
dérée sous  le  point  de  vue  de  son 
iiifluence  politique,  i8o3.  VII. 
Histoire  de  Bohême.  VIII.  Des 
Traductions  de  Tacite  et  de  Sal- 
luste.  On  lui  a  reproché  d'avoir  usé 
d'une  sévérité  excessive  dans  sa  Cri' 
tique  sur  l'Histoire  de  Jean  de 
Millier.  Mais  on  doit  remarquer 
en  sa  faveur  qu'il  n'attaque  que  ce 
qu'il  y  a  de  véritablement  vicieux 
dans  cet  écrivain  ,  et  que  dans  ses 
compositions  historiques  il  a  évité 
complètement  ce  qui  dépare  les  ou- 
vrages du  savant  généalogiste  et  chro- 
nologiste  de  la  Suisse.  Après  la 
mort  de  Becker  ,  il  refit  V His- 
toire générale  du  Monde  que 
ce  savant  avait  publiée  ,  et  il  en  pré- 
para une  quatrième  édition  que  la 
mort  l'empêcha  de  terminer.  Dans 
ses  Mémoires  du  baron  de  S — j  ,  il 
a  représenté,  sous  des  noms  suppo- 
sés ,  les  hommes  qui ,  à  cette  époque 
remarquable  ,  exerçaient  de  l'm- 
fluence  sur  les  afï'aires  publiques. 
Sous  le  rapport  du  style,  ces  3Ié" 
moires  passent  pour  undes ouvrages 
du  temps  ,  où  la  prose  allemande  a 
atteint  son  plus  haut  degré  de  per- 
fection. Dans  sa   Littérature  aile- 


WOL 

munde ,  jugée  par  un  écrwain  alle- 
mand,  Woltman  fait  parler  un  de 
ses  compatriotes  ,  qui,  élevé  en  Italie 
et  connaissant  les  auteurs  classiques 
de  cette  contrée ,  revient  en  Allema- 
gne pour  en  étudier  la  littérature  et 
pour  la  comparer  avec  celle  des  Ita- 
liens. «  Après  avoir  lu  et  relu  ,  dit 
celui  que  Woltman  met  en  scène,  je 
m'arrêtai  à  la  Messiade  j  j'y  dé- 
couvris une  langue  harmonieuse  , 
pleine  de  noblesse ,  capable  de  rendre 
la  pensée  avec  tontes  ses  profon- 
deurs ,  pouvant  en  énergie  rivaliser 
avec  celle  des  Grecs,  qu'elle  sur- 
passe même  ,  quand  elle  a  des  senti- 
ments élevés  à  exprimer....  Qu'y  a- 
t-il  de  plus  frappant  que  ces  groupes 
de  morts  qui  ressuscitent ,  et  que  le 
poète  nous  montre  dans  la  gloire 
de  l'immortalité  I  Lisez  dans  ce 
poème  la  résurrection  de  J.-C. ,  con- 
templez les  a])6tres  placés  autour  de 
leur  maître  qui  a  triomphé  du  tom- 
beau ,  de  la  mort ,  et  montrez-moi 
dans  l'antiquité  profane  ,  un  tableau 
qui  ait  celte  force  d'expression  ,  et 
cette  magie  d'entraînement.  »  Nous 
ne  mentionnerons  pas  ici  plusieurs  ou- 
vrages de  moindre  importance, com- 
posés la  plupart  en  communauté 
avec  sa  femme.  On  a  publié  ,  au 
profit  de  celle-ci,  les  OEuvres  réu- 
nies de  Woltman  ,  Leipzig,  iSuS, 
24  et  25,  17  vol.  in-80.  Dans  le 
deuxième  volume  ,  la  Critique  de 
l'Histoire  de  Jean  de  Mïdler])ar3Lii 
dépouillée  de  toute  aigreur  et  de  toute 
personnalité.  G — y. 

WOLZOGEN  (Jean-Louis)  ,  né 
en  Autriche,  dans  l'année  1 696,  d'une 
famille  ancienne  ,  quitta  la  religion 
catholique  pour  entrer  dans  l'Église 
réformée,  fracassé  pour  ce  change- 
ment ,  il  se  rendit  en  Pologne  j  il  y 
embrassa  la  secte  des  sociniens,  et 
se  montra  zélé  partisan  de  leur  doc- 


WOL 


i83 


tiine.  Après  avoir  visité  les  Frères 
en  différentes  contrées  ,  il  mourut 
près  de  Breslau  en  Silésie,  en  i658. 
On  a  de  lui  :  I.  Explication  de  s  deux 
opinions  opposées  sur  la  nature  et 
Vessence  d'un  seul  Dieu  tout-puis- 
sant. II.  Explication  despassages  de 
V Ancien  et  du  Nouveau  Testament 
qu'on  a  coutume  d'alléguer  pour 
prouver  quily  a  trois  personnes  en 
Dieu.  Ces  ouvrages  et  quelques  au- 
tres ,  composés  en  allemand  par 
Wolzogen  ,  ont  été  traduits  en  latin 
par  Stegmann,  et  insérés  dans  la  Bi- 
blioth.  Fratrum  Polonorum.  Voy. 
V Histoire  du  socinianisme ^  par  le 
P.  Anastase  Guichard  ,  pag.  43o-32, 
et  VHistoria  bibl.  Fahricianœ.  G-y. 
WOLZOGEN  (Louis  Van),  en  la- 
tin /f^oZsog^enm^,  savant  hollandais, 
né  en  i632  à  Amersford  ,  apparte- 
nait comme  le  précédent  à  l'ancienne 
et  illustre  famille  des  barons  de  Neu- 
haus.  Après  avoir  commencé  ses  élu- 
des sous  son  père,  qui  était  aussi  re- 
ligieux qu'instruit,  et  dont  Vossius 
parle  avec  éloge  dans  ses  lettres 
(  Epist.  ccxLi  ) ,  il  alla  dans  les  uni- 
versités ,  et  y  fut  admis  de  bonne 
heure  au  ministère  évangélique.  Mais 
avant  d'accepter  aucun  emploi,  et 
de  débuter  dans  la  carrière  de  la  pré- 
dication, il  voulut  visiter  les  écoles 
étrangères,  et  entendre  les  princi- 
paux professeurs.  La  France  l'attira 
d'abord  ,  et  il  s'y  perfectionna  telle- 
ment dans  la  connaissance  de  la  lan- 
gue ,  qu'il  parvint  à  l'écrire  avec  au- 
tant de  facilité  que  s'il  eût  passé  sa 
vie  à  Paris.  11  se  rendit  ensuite  à 
Genève  ,  parcourut  attentivement 
la  Suisse  et  l'Allemagne,  et  fut  de 
retour  dans  sa  patrie  vers  1661. 
On  lui  confia  aussitôt  la  direction  de 
l'église  wallone  de  Groningue,  que 
peu  après  il  quitta  pour  celle  dcMid- 
delbourg.  Mais ,  les  habitants  ayant 


1Î54 


WOL 


refuse  de  l'admettre  à  prêcher ,  il 
se  rendit  à  Utreclit^  où  il  remplit 
simultanément  les  fondions  de  mi- 
nistre de  l'église  wallone ,  et  de  pro- 
fesseur extraordinaire  de  l'histoire 
ecclésiastique  (  \66/^.-i()']o  ).  Il  ob- 
tint ensuite  la  chaire  d'histoire  sain- 
te. Mais  il  abandonna  cette  place 
presque  immédiatement  après  sa  no- 
mination ,  et  se  rendit  à  Amsterdam , 
où  on  lui  assurait  à  des  conditions 
plus  avantageuses  les  places  qu'il  oc- 
cupait à  Utrecht.  Vainement  alors 
les  administrateurs  de  cette  ville  lui 
offrirent  pour  le  retenir  l'emploi  de 
syndic.  II  partit  pour  Amsterdam ,  et 
y  resta  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  i3 
novembre  i6go ,  et  non  1692 ,  com- 
me le  dit  le  P.  Lelong^  dans  sa 
Bibliothèque  sacrée,  La  modestie 
de  Wolzogcn  égalait  sa  piété  et  ses 
talents;  et  il  avait  constamment  re- 
fusé le  syndicat  ou  le  proconsulat 
que  lui  déféraient  les  habitants  d'Ams- 


terdam. Parmi  ses  ouvra 


ges; 


il  faut 


placer  au  premier  rang  sa  fameuse 
réfutation  du  De  philosophid  Scrip- 
turœ  interprète  de  Meyer.  Cet  écrit 
polémique,  intitulé  :  De Scriptura- 
rum  interprète  centra  exercitato- 
rem  paradoxum  ,  Utrecht ,  1 668 , 
in- 12,  semble  principalement  diri- 
ge contre  le  spinosisme  dont  Mayer 
avait  adopté  les  idées  ,  et  tenté 
de  glisser  les  doctrines  dans  l'in- 
terprétation de  l'Écriture.  Mais  ,  si 
elle  satisfit  les  adversaires  du  pan- 
théisme ,  elle  effaroucha  quelques- 
uns  de  ceux  qu'épouvantait  le  nom 
de  Socin.  On  crutj  entrevoir  dans  la 
contexture  du  livre  quelque  chose 
d'analogue  aux  principes  des  Fra- 
tres^Poloni ;  et  plusieurs  écrivains, 
pai'mi  lesquels  nous  nommerons  Jean 
Van  der  Waeyen  ,  Vogelsang,  Jacq. 
Labadie,  Colemann  et  Brown,  lirent 
paraître  des  réfutations.  II  est  pro- 


bable  que  le  nom  de  l'auteur  ne  con- 
tribuait pas  peu  à  faire  naître  ou  à 
développer  les  craintes  de  ces  hom- 
mes religieux ,  craintes  que  cepen- 
dant le  synode  de  l'église  wallo- 
ne déclara  n'être  qu'une  terreur 
panique.  En  effet  ,  ayant  évoqué 
à  lui  cette  affaire  ,  il  déclara  ,  après 
un  long  examen  ,  que  la  foi  de 
Louis  de  Wolzogen  était  pure;  et  le 
plus  virulent  de  ses  accusateurs,  La- 
badie, fut  réprimandé  et  condamné  à 
faire  une  rétractation.  On  peut  voir  ^ 
dans  le  Trajeetum  eruditum  de 
Gasp.  Burmann,  m-/\^.,  pag.  4^7 
et  suiv. ,  la  notice  des  ouvrages  pu- 
bliés à  cette  occasion  contre  le  pré- 
dicateur de  l'église  wallone,  et  dont 
le  nombre  ne  s'élève  pas  à  moins  de 
vingt-cinq.  Les  autres  écrits  de  Van 
Wolzogen  sont  :  I.  Oratio  de  sole 
jiistitiœ y  Utrecht,  1664,  in-4^.  II. 
Fides  orthodoxa ,  sive  Adversùs 
Johannem  de  Labadie  Censura  Cen- 
surée adversùs  libellum  de  interprè- 
te S  criptur  arum  ^  Utrecht,  1668, 
in- 4°.  III.  y^poîogie  pour  le  synode 
de  Naerden,  Utrecht,  1669,  in- 
4°.  (  en  français  ),  contre  Labadie, 
qui  avait  été  déposé  par  cette  assem- 
blée. IV.  Orator  sacer,  sive  de  ra- 
tione  concionandi ,  Utrecht ,  167 1 , 
in-8<^.  Ce  traité  d'éloquence  sacrée  ne 
s'élève  guère  au-dessus  de  la  médio- 
crité reprochée  aux  ouvrages  didacti- 
ques du  temps.  L'auteur  s'occupe  plus 
des  formes  techniques  et  matérielles 
du  discours  que  de  l'éloquence.  D'ail- 
leurs j  il  parle  pour  les  sermonnaires 
protestants  ,  généralement  avares  de 
ce  qui  pourrait  sembler  un  appel  aux 
passions.  Cependant  Wolzogen  s'é- 
tend assez  longuement  sur  cette  par- 
tie. Mais,  par  une  singularité  ridi- 
cule, il  prend  pour  base  de  ses  pré- 
ceptes les  principes  de  Descartes.  On 
approuve  davantage  ce  qu'il  dit  sur 


l 


WOM 

rexplication  des  textes ,  d'une  part , 
et  de  l'autre  sur  la  prononciation  et 
sur  le  geste.  Mais  ici  il  suit  pas  à  pas 
Érasme  et  le  P.  Cressol ,  ou  ,  ce  qui 
revient  au  même  _,Cicëron  et  Quinti- 
lien.  Les  rhéteurs  et  les  prédicateurs 
contemporains  de  Wolzogen  n'é- 
taient pas  encore  imbus  de  cette 
maxime ,  d'autres  temps  ,  d'au- 
tres mœurs  j  et  l'on  n'osait  pas  dire 
que  l'homme  d'état,  le  consul  ton- 
nant au  Forum  Romanum  ou  au  sé- 
nat ,  contre  les  sicaires  enrégimentés 
de  Catilina ,  ou  contre  Antoine  as- 
pirant à  l'héritage  de  César ,  devait 
avoir  un  autre  geste ,  un  autre  accent 
ue  l'humble  ministre  d'une  religion 
e  paix,  commentant  le  Décalogue 
ou  l'Apocalypse.  V.  Disserlatio  cri- 
tico-theoîogica  de  correctione  scri- 
harum  in  octodecim  Scripturœ  die- 
tionibus  adhibitd,  quas  alii  à  Ju- 
dœis  corriiptas ,  alii  mutatas  aut 
aliter  scriptas  ,  aliterque  lectas  y 
alii  mendas  mamiensium  incurid 
illapsas ,  aliiplures ,  alii  pauciores 
esse  putant ,  Harderwick  ,  16H9, 
iu-4°.VI.  Une  traduction  en  français 
àw Dictionnaire  de  la  langue  sain- 
te, parLeigh  (F",  ce  nom) ,  Amster- 
dam ,  1703  ,  in-80.  VII.  Explication 
de  la  Prière  que  Von  nomme  Confes- 
sion des  péchés ,  posthume  comme 
le  précédent,  Amsterdam,  i70o,in- 
S'^. ,  etc. ,  etc.  La  vie  de  ce  théolo- 
gien se  trouve  dans  l'Éloge  funèbre 
que  lui  consacra  son  ami  Ysarn 
{Lud.  TFolzogenii  Apologia  paren- 
talis ,  Amsterdam,  1693,  in-80.  ), 
et  dans  les  Lettres  sur  la  vie  et  les 
ouvrages  de  Louis  de  fVolzogen , 
Amsterdam,  1692  ,  in- 1*2.  P-ot. 
WOLZOGUE.  Fo^.  Wolzogeiv. 
WOMOCK  (  Laurent  ) ,  prélat 
anglican,  né  à  Norfolk  en  1612  , 
était  lils  de  Laurent  Womock  ,  rec- 
teur de  Lopham  et  de  Fersfield  , 


WOM 


i85 


dans  ce  comté.  En  1 629 ,  il  fut 
admis,  en  qualité  de  pensionnaire,  au 
collège  de  Corpus- Christi  ,  dans  l'u- 
niversité de  Cambridge  ,  et  au  mois 
d'octobre  suivant,  élu  boursier  de  la 
fondation  de  sir  Nicolas  Bacon.  11 
prit  le  degré  de  bachelier  èsarts  en 
i63'2  ,  fut  ordonné  diacre  le  ai 
septembre  1 634  ?  et  promu  au  grade 
de  maître-ès  arts  en  1639.  En  1642, 
il  succéda  à  son  père  dans  le  recto- 
rat de  Lopham  ,  mais  il  en  fut  ex- 
pulsé par  le  comité  de  recherches 
de  JNorfolk  à  l'examen  qui  se  fit 
alors  de  ceux  des  ministres  que  , 
dans  les  principes  révolutionnaires, 
on  appelait  scandaleux  _,  parce 
qu'ils  ne  les  partageaient  pas.  11  fut 
même  emprisonné  quelque  temps 
après ,  à  cause  de  ses  opinions  reli- 
gieuses ,  et  de  son  attachement  au 
roi  Charles  I*^*^.  A  la  restauration,  en 
1660 ,  et  lorsque  Charles  II  fut  monté 
sur  le  trône ,  Womock  fut  à-la-fois 
nommé  à  l'archidiaconat  de  Suf- 
folk,  et  à  une  prébende  d'Ely.  Deux 
ans  après  ,  il  fut  présenté  au  recto- 
rat d'Horningshealh  dans  le  comté 
de  Sufïblk  ,  et  en  i663  h  celui  de 
Boxford,  dans  le  même  comté.  En- 
fin ,  mais  trop  tard  et  sur  la  fin  de- 
sa  vie  (le  11  novembre  i683),  il 
fut  nommé  à  l'évêché  de  Saint-Da  vidf 
nomination  qui ,  vu  le  peu  de  temps 
qu'il  eut  à  jouir  de  ce  bénéfice  _,  loin 
d'être  avantageuse  à  sa  famille  ,  lui; 
fut  préjudiciable.  Il  mourut  le  12 
mars  i685,  âgé  de  soixante -treize 
ans,  et  fut  inhumé  près  des  restes 
de  sa  fille  unique^  dans  l'aile  sud  de 
l'église  de  Sainte-Marguerite  à  West- 
minster. Surun  pilier  voisin  on  lit  une 
inscription  consacrée  à  sa  mémoire» 
Homme  d'esprit  et  de  savoir  ,  ai- 
mant les  livres  ,  et  possesseur  d'une 
nombreuse  et  belle  bibliothèque  , 
Womock  se  distinguait  par  un  atta- 


i86  WOO 

chement  inviolable  à  la  constitution 
religieuse  et  civile  de  son  paysj  inca- 
pable de  capituler  avec  les  principes^ 
et  cordialement  oppose  à  ceux  des 
non-conformistes  ,  il  prit  une  part 
fort  active  aux  controverses  de  son 
temps  ,  et  il  s'y  était  fait  la  réputa- 
tion d'un  redoutable antagonivSte.  Ou- 
tre ses  sermons,  il  a  publié  plusieurs 
écrits  dans  le  genre  polémique.  Les 
principaux  sont  :  I.  Bcaten  oyle  for 
tlie  lamps  of  tlie  Sanctuary,  c'est-à- 
dire,  Huile  préparée  pour  les  lam- 
pes du  sanctuaire  j  en  défense  de 
la  liturgie,  Londres,  i64i  in-4°.  IL 
Examination  of  Tilenus ,  etc.  Lon- 
dres, ib58,  in-8o.  \\\.  Arcana  dog- 
matum antiremonstrantium^  1 669, 
contre  Baxter,  Hickman  et  les  calvi- 
nistes. IV.  T^e  resuit  oJJ'alse  princi- 
plcsj  dialogues,  166 1 ,  in-4°.  sansnom 
d'auteur.  V.  Uniformity  re-asserted, 
Défense  de  l'uniformité^  1661.  VL 
The  solcnin  league  and  covenant 
arraigned  and  condemned ,  c'est-à- 
dire  le  covenant  (  serment  des  non- 
conformistes  ;  cité  en  jugement  et 
Mndamné  j  Londres  ,  1661  ,  in-4*^. 
YIL  Two  letters  containiuga  farther 
justification  of  tlie  cluirch  of  En- 
gland,  ou  Lettres  contenant  une 
nouvelle  et  dernière  justification  de 
l'Eglise  d"" Angleterre  ,  Londres  , 
1682.  ^XW.SuJfragium  protestan- 
tium  ,  etc.  ,  iG83,in-8".  L — y. 
WOOD  (  Antoiine),  savant  anti- 
quaire et  biographe  ,  naquit  à  Ox- 
ford le  17  décembre  1682;  il  éfait 
fils  de  Thomas  Wood  ,  bachelier  ès- 
arts  et  en  droit  civil.  Après  avoir 
terminé  ses  études ,  il  reçut  ses  de- 
grés avec  distinction  (  i652  et 
i655  ).  Voulant  rester  étranger 
aux  disputes^,  théologiques  qui  dé- 
solaient alors  l'Angleterre  ,  il  ré- 
solut de  s'occuper  uniquement  de 
recherches  d'antiquités  ,  et  l^^rma  le 


WOO 

projet  d'écrire  l'histoire  de  l'univer- 
sité d'Oxford.  11  avait  rédigé  cet  ou- 
vrage en  anglais  j  l'université  lui  en 
acheta  le  manuscrit  en  1669,  et  J. 
Fell  ,  évêque  d'Oxford  ,  chargea 
Christ-  Wase  et  Peers  de  le  traduire 
en  latin  ,  et  se  permit  d'y  faire  beau- 
coup de  retranchements  et  d'addi- 
tions,  à  l'insu  de  l'auteur,  qui  se 
plaignit  amèrement  d'un  tel  procé- 
dé. Wood  entreprit  ensuite  de  don- 
ner, sous  le  titre  à'Academiœ  Oxo- 
nienses  ,  les  vies  des  personnages  il- 
lustres sortis  de  cette  école  ,  depuis 
sa  fondation  ,  en  1 5oo ,  jusqu'en 
1690.  Un  passage  injurieux  à  la  fa^ 
mille  du  comte  de  Clarendon  ,  chan- 
celier de  l'université,  l'engagea  dans 
un  procès  fâcheux  avec  ce  seigneur, 
et  il  le  perdit  (i).  Dans  le  même 
temps,  son  premier  ouvrage  était 
vivement  critiqué  par  Burnet,  évê- 
que de  Salisbury.  Wood  répondit 
par  une  Défense  de  Vhistoire  de 
V université  d'Oxford  ,  etc.  (  en  an- 
glais),  Londres,  i69j,in-4°.Ondit 
que  sur  la  fin  de  sa  vie  ,  ce  savant 
penchait  pour  le  catholicisme;  mais 
il  mourut  dans  la  communion  angli- 
cane, le  29  novembre  1695  (2), 
dans  sa  soixante -troisième  année. 
Par  son  testament,  il  légua  sa  biblio- 
thèque et  ses  manuscrits  à  l'univer- 
sité d'Oxford.  La  veille  de  sa  mort 
il  avait  remis  à  Mart.  Tanner  ,  son 
ami ,  la  continuation  des  Athenœ 
Oxonienses  ,ioimainX  1  vol.in-fol.,Ie 
laissant  maître  d'en  disposer  comme 
il  le  jugerait  convenable.  Les  deux 
principaux  ouvrages  de  Wood  sont  ; 
I.  Historia  et  antiquitatesuniversita- 
tis  Oxoniensis ,  Oxford ,  1 674-75  ,  '^ 
part,  in-fol.  Le  texte  anglais  ,  resté 


(1)  Lespicccs  de  ce  procès  ont  été  recueillies  dans 
les  Curions  riihceUaineu ,  Londres,  I7i4' 

{■>^  On  Iroiive  dans  Chaiif'epiê   une  lelli-e  in 
rc'^^aule  sur  lus  derniers  momcnls  de  Wood. 


à 


woo 

/long-temps  inédit  (3),  a  ëtc  publié 
par  M.  Gutsch  ,  1786  ,  supplément , 
I  -ygo,  2  vol.  in-4''.  II.  Athenœ  Oxo- 
nienseSj  an  exact  liistory  of  ail  the 
writers  and  hishops,  etc.  ^  Londres, 
1691-92,  in-fol.  Le  comte  de  Cla- 
rendon  ayant  obtenu  la  suppression 
du  second  volume  ,  qui  fut  brûlé  pu- 
bliquement ,  celte  première  édition 
est  devenue  fort  rare  ;  mais  le  passage 
supprimé  se  retrouve  dans  la  réim- 
pression publiée  par  Tanner,  avec 
des  additions  jusqu'à  l'année  i^gS  , 
Londres  ,1721  ,  in-fol.  Cette  édition  , 
regardéclong-lemps  comme  la  meil- 
leure ,  vient  d'être  surpassée  par  celle 
qu'a  donnée  M.  Bliss  ,  avec  une  con- 
tinuation jusqu'à  l'année  1800  ,  Lon- 
dres ,  181 3- 19,  4 'vol.  in-4".  C'est 
une  excellente  histoire  littéraire  de 
l'Angleterre  ;  et  les  biographes  en  ont 
beaucoup  profité.  Cej)endant  il  faut 
être  en  garde  contre  sa  partialité. 
IIL  Life  of  Ant.  Wood,  Cette 
Vie,  que  l'auteur  avait  laissée  en 
manuscrit  ,  fut  .publiée  par  Th. 
Hearne ,  avec  l'ouvrage  de  Th. 
Gains  {V.  ce  nom):  Vindiciœ  anti- 
quitat.academiœ  oxoinensis,  i73o' 
elle  a  été  rcprodiute  depuis  avec  les 
Fies  deJ.  Leland  et  de  Th.  Hearne ^ 
Oxford,  1772,  2  vol.  in-8^\  Le 
Dictionnaire  de  Chaufepié  contient 
une  bonne  notice  sur  VVood.  wSon 
portrait  a  été  gravé  plusieurs  fois. 
D'isracli  lui  a  consacré  un  article 
dans  ses  Calamities  of  authors. 
Wood  était  probe  et  désintéressé. 
Ses  compatriotes  lui  reprochent  d'a- 
voir trop  écouté  ses  préventions  en 
faveur  du  catholicisme,  ce  qui  l'a 
exposé  à  diverses  attaques  de  la  part 


(3)  L'original  anglnis  aTaitparii  dès  16G8,  in-Zj". , 
suiviiiit  Jiigler,  Èibt.  lill.  Slrnviana,  il,  laî.S. 
11  faut  que  cette  première  tdition  soit  très-rare  , 
puisqu'elle  n'a  pas  cte'  coiinue  des  bibliographes 
anglais. 


WOO  187 

des  ennemis  de  la  doctrine  romaine. 
Son  style  est    commun  et  trivial. 
W— s. 
WOOD  (  Jean  ) ,  navigateur  an- 
glais, partit  de  Dcptford  ,  le  26  sep- 
tembre 1669,  en  qualité  de  contre- 
maître avecNarborough  [V.  ce  nom), 
pour  reconnaître  le  détroit  de  Ma- 
gellan ,  et  ne  cessa  de  faire  partie  de 
cette  expédition  jusqu'à  son  retour 
dans  les  ports  d'Angleterre,  à  la  fin 
de  l'année  1671.  Sa  relation  fut  im- 
primée dans  le  recueil  qui  parut  en 
anglais ,  sous   ce  titre  :  Becueil  de 
voj  âges   originaux  contenant  ^  i». 
celui  du  capitaine  Co\>i'lej   autour 
du  monde;  2°.  celui  du  capitaine 
Sharp  à  traversV isthme  de  D arien ^ 
puis  dans  la  nur  du  Sud  ;  3^'.  celui 
du  capitaine  IFood  au  détroit  de 
Magellan ,  etc. ,  avec  plusieurs  car- 
tes et  dessins ,  publié  parle  capitaine 
Guillaume  Hacke,  Londres,  1^99, 
in-8°.  Le  journal  de  Wood  ofîre  les 
mêmes  ])articularités    que  celui   de 
ISarborough  ;  mais  quoiqu'on  y  trou- 
ve moins  de  déterminations  nautiques 
(]\\Q:  dans  celui-ci,  son  habileté  et  son 
exactitude  sont  si  généralement  re- 
connues que  les  renseignements  qu'il 
fournit  oijt  été  employés  sur  les  meil- 
leures cartes.  La  traduction  françai- 
se du  recueil  de  Hacke  se  trouve  à 
la  suite  decelicsdes  voyages  de Dam- 
pier.  On   en  voit  des  extraits  dans 
V Histoire  des  navigations  aux  ter- 
res Australes ,  par  Debrosses  ,  tom. 
II,  et  dans  V Histoire  des  voyages , 
par  Prévost ,  tom.  xi.  Ce  dernier  dit 
que  l'on  ignore  en  quelle   année  le 
voyage  de  Wood  a  eu  lieu,  puisque 
sa  relation  ne  donne  que  la  date  du 
jour  du  départ  j  mais  cette  omission 
vient  du  traducteur  français.  Pré- 
vost n'a  pas  remarqué  que  le  nom 
des  bâtiments  et  d'autres  détails  in- 
diquaient que  le  voyage  de  Wood 


i88  WOO 

c'iait  le  même  que  celui  de  Narbo- 
rougli ,  dont  sou  livre  renferme  éga- 
lement un  extrait  dans  le  même  vo- 
lume. Du  reste  l'inadvertance  de 
Prévost  était  bien  pardonnable ,  puis- 
que Wood  ne  nomme  pas  une  seule 
fois  Narboroiigb;  il  se  contente  de 
dire  :  le  capitaine  ;  tandis  que  ce 
dernier  nomme  souvent  Wood.  Le 
nom  de  Jobn  Wood  fut  donné  à  une 
baie  du  détroit  de  Magellan,  à  l'ouest 
du  cap  Froward.  En  1746,  le  P. 
Quiroga  ,  missionnaire  espagnol  qui 
parcourait  la  terre  Mageilanique, 
rencontra  près  de  la  baie  Saint- Ju- 
lien un  poteau  avec  cette  inscrip- 
tion :  John  Wood.  Le  zèle  que  ce 
navigateur  avait  montré  dans  l'expé- 
dition de  Narborough  engagea  le 
gouvernement  à  lui  confier  la  con- 
duite de  celle  qui  fut  entreprise,  en 
1676,  pour  trouver  le  passage  au 
nord-est.  Wood  était  plein  d'espoir 
de  réussir  dans  sa  tentative.  Le  roi 
donna  le  navire  le  Speedwell ,  et 
une  compagnie,  à  la  tête  de  laquelle 
était  son  frère  le  duc  d'York,  arma 
à  ses  frais  la  flûte  le  Prospérons  , 
que  commanda  le  capitaine  Flawcs. 
Le  28  mai ,  on  partit  de  la  rade  du 
Nore  à  l'emboucbure  de  la  Tamise  ; 
le  18  juin ,  on  était  par  70°.  de  lat. 
N.  Le  lendemain  on  découvrit  des 
îles  à  l'ouest  du  cap  Nord;  on  fit 
route  au  N.-E. ,  et  le  27- ,  sous  ^S». 
59'  de  lat. ,  on  découvrit  des  glaces 
qui  s'étendaient  de  l'O.-N.-O.  à  l'E.- 
S.-E.  Le  26 ,  on  eut  connaissance  de 
la  terre  de  l'E.  au  S.-E.  Elle  était 
«loignée  de  i5  lieues,  haute  et  cou- 
verte de  neige.  On  était  constam- 
ment entouré  de  neiges ,  et  l'on  éprou- 
vait un  froid  piquant.  Le  27,  Wood 
essaya  inutilement  de  faire  passer 
son  navire  entre  la  glace  et  la  côte 
de  la  Nouvelle-Zemble.  Le  29,  le 
Speedwell  toucha  sur  des  rochers 


WOO 

cachés  sous  les  eaux ,  et  ne  bougea 
plus.  Wood  fit  cml)arquer  une  par- 
tie de  son  équipage  dans  la  chaloupe 
qui  aborda  heureusement  à  terre; 
mais  la  péniche  qui  la  suivait  cha- 
vira ,  et  tout  ce  qu'elle  portait  fut 
perdu.  Wood,  malgré  les  instances 
de  son  monde ,  sortit  le  dernier  du 
bord.  Le  lendemain  le  vaisseau  se 
brisa  entièrement.  Wood  était  réso- 
lu d'agrandir  la  chaloupe  pour  s'y 
embarquer  avec  une  partie  de  ses 
gens,  lorsque,  le  temps  jusqu'alors 
iDrumeux  s'étant  éclairci ,  il  aperçut 
le  Prospérons.  Flawes  vint  aussitôt 
à  son  secours,  a  Avant  de  m'embar- 
»  quer  sur  son  navire  ,  dit  Wood  , 
»  j'écrivis  une  relation  succincte  de 
»  notre  voyage  et  de  notre  naufrage  j 
»  je  l'enfermai  dans  une  bouteille  de 
»  verre,  et  je  la  suspendis  à  un  po- 
»  teau ,  dans  le  retranchement  où 
»  nous  avions  été  menacés  de  trou- 
»  ver  notre  tombeau.  La  crainte 
»  d'être  surpris  par  de  nouvelles 
»  brumes  nous  yjit  laisser  tout  ce 
T>  que  nous  avions  sauvé  du  vais- 
»  seau....  »  Les  Anglais  reprirent ,  le 
9  juillet ,  la  route  d'Angleterre  ;  le  23 
août,  ils  étaient  de  retour  au  mouilla- 
ge du  Nore.  Le  second  voyage  de 
Wood  se  trouve,  ainsi  que  celui  de 
Narborough,  dans  le  recueil  anglais, 
intitulé  :  y^n  account  of  several  late 
voyages  and  discoveries  to  the  South 
and  JVorth;  towards  the  streights 
of  Magellan  j  etc.;  ^Iso  towards 
Nova  Zemhla,  Greenland  or  Spitz- 
herg  y  Groenland  or  Engrondland, 
etc.,  Londres,  1694,  in-8".,  avec 
cartes.  Ce  volume  offre  la  relation 
du  voyage  de  Wood ,  ainsi  que  des 
raisons  et  des  arguments  sur  lesquels 
ce  navigateur  fonde  la  démonstra- 
tion de  la  probabilité  du  passade  au 
nord- est;  son  journal,  celui  de 
Flawcs ,  enfin  le  récit  du  naufrage  et 


woo 

des  observations  sur  la  Nouvelle- 
Zemble.  Wood  donna  des  noms  à 
divers  points  de  cette  terre  de  déso- 
lation. La  traduction  française  de 
ces  divers  morceaux  est  contenue 
dans  le  tomeii  du  Recueil  des  voya- 
ges au  nord.  L^ Histoire  des  voj  a- 
ges  de  Prévost,  et  d'autres  ouvrages 
du  même  genre  renferment  des  ex- 
traits de  la  seconde  expédition  de 
Wood.  Le  Mémoire  qui  précède  son 
journal  annonce  un  homme  bien 
instruit  de  l'histoire  de  la  navigation. 
Ses  raisonnements  sont  d'autant  plus 
curieux  à  lire,  qu'ils  ont  été  en  par- 
tie reproduits  de  nos  jours  ,  et 
qu'on  les  a  allégués  pour  entrepren- 
dre au  nord  des  voyages  dont  l'issue 
n'a  pas  répondu  aux  espérances 
qu'on  s'en  e'tait  formées.  Wood 
mourut  dans  les  premières  cannées 
du  dix -huitième  siècle.  —  Wood 
{Benjamin) ,  autre  navigateur,  partit 
des  ports  d'Angleterre  en  iSqô,  et 
périt  en  mer  par  des  maladies  ,  ainsi 
que  la  ])lus  grande  partie  de  son  équi- 
page ,  dont  quatre  hommes  seulement 
abordèrent  à  la  petite  île  d'Utias  , 
près  de  Porto  -  Rico ,  où  trois  fu- 
rent massacrés  par  les  Espagnols , 
qui  s'emparèrent  des  richesses  qu'ils 
avaient  sauvées  avec  eux.  Un  seul 
matelot ,  échappé  à  ce  naufrage  ,  re- 
vint en  Angleterre.  E — s. 

WOOD  (  BoBERT  )  ,  célèbre  ar- 
chéologue anglais,  était  né  vers  1717, 
au  château  de  Riverstovvn  ,  près 
Trira ,  dans  le  comté  de  Meath  , 
d'une  famille  honorable  ,  et  qui  a 
produit  une  foule  d'hommes  de 
mérite.  Après  avoir  achevé  ses  étu- 
des à  l'université  d'Oxford  ,  d'une 
manière  brillante  ,  il  s'attacha  par- 
ticulièrement à  se  perfectionner  dans 
la  langue  et  la  littérature  grecques. 
Il  fît  ensuite  plusieurs  voyages  en 
Italie,  et  acquit  par  la  fréquentation 


WOO 


189 


des  artistes  et  des  savants  ,  ainsi  que 
par  l'examen  des  monuments  ,  luic 
connaissance  approfondie  de  l'anti- 
quité. Wood  était  trop  instruit  de 
tout  ce  qui  concerne  l'état  ancien  de 
la  Grèce,  pour  ne  pas  désirer  de 
vérifier  par  lui-même  les  descriptions 
que  les  voyageurs  ont  données  de 
cette  belle  contrée.  En  1  742,  il  était 
sur  le  vaisseau  le  Chatam  ,  à  la 
pointe  de  l'île  de  Chio  ;  mais  c'est 
tout  ce  qu'on  sait  de  sa  première 
excursion  dans  les  îles  de  la  Grèce. 
Peu  de  temps  après  ,  il  forma  le 
projet  de  visiter ,  Homère  à  la  main  , 
tous  les  lieux  dont  il  est  question 
dans  l'Iliade  et  l'Odyssée  j  il  s'asso- 
cia pour  ce  voyage  Davvkius  et  Bou- 
verie,  deux  de  ses  amis  les  plus 
intimes^  et  qui  partageaient  son  en- 
thousiasme pour  l'antiquité  •  et  tous 
les  trois  s'y  préparèrent  par  une 
lecture  attentive  des  poètes  et  des 
historiens  grecs.  Au  printemps  do 
l'année  1750  ,  ils  s'embarquèrent 
à  Naples  ,  sur  un  vaisseau  qu'ils 
avaient  fait  venir  de  Londres  ,  em- 
portant les  livres  qui  leur  étaient 
nécessaires  ,  des  instruments  de  ma- 
thématiques j  des  présents  pour  les 
Turcs,  et  emmenant  avec  eux  Borra, 
très-habile  dessinateur  italien.  Après 
avoir  exploré  les  îles  de  l'Archipel , 
ainsi  que  les  côtes  de  l'Europe  et  de 
l'Asie  ,  recueillant  partout  des  ma- 
nuscrits ,  des  inscriptions  et  des  mé- 
dailles ,  ils  s'avancèrent  dans  l'Asie 
mineure,  et  pénétrèrent  jusque  dans 
la  Syrie  ,  pour  reconnaître  l'emplace- 
ment de  Palrayre  et  en  examiner  les 
ruines.  Bouverie  mourut  dans  le  dé- 
sert, épuisé  de  fatigues.  Parvenus  au 
terme  de  leur  voyage ,  Wood  et 
Dawkins  se  trouvèrent  dédomma- 
gés amplement  de  tous  les  dangers 
qu'ils  avaient  courus  ,  par  l'impor- 
tance et  la  beauté  des  monuments 


90 


WOO 


qui  s'offrirent  à   leur  curiosité.  De 
retour  à  Londres  ,  en  ï']5'.i ,  Wood 
s'empressa  de  faire  connaître  le  re'- 
sultat  d'un  voyage  entrepris  unique- 
ment dans  l'intérêt  de  la  science,  en 
publiant  successivement  les  Ruines 
de  Palmyre  et  celles  de  Balheck  , 
deu\  ouvrages  qui  le  placent  au  rang 
des  premiers  arclieologues.  Il  s'oc- 
cupait de  rédiger  ses   observations 
sur  l'Iliade  ,  lorsqu'il  fut  revêtu  de 
la  place  de  secrétaire  d'état.  Le  zèle 
avec  lequel  il  en  remplissait  les  de- 
voirs ne  lui  permettait  plus  de  con- 
tinuer ses  travaux   d'érudition  ;  ce- 
pendant ,  encouragé  par  lord  Gran- 
ville  (  F.  ce  nom),  qui  lui  répétait 
sans  cesse  que  malgré  les  occupations 
du   ministère    il    donnait   bien    des 
moments  à  la  littérature  ,  il  acheva 
son  Essai  sur  le  génie  d'ffomère. 
Dans  la  préface  ,  il  témoigne  le  re- 
gret de  n'avoir  pas  eu  pour  ce  der- 
nier écrit  les  conseils  de  Dawkins. 
Wood  survécut  peu  à  la  publication 
de  cet  ouvrage,  et  mourut  en  1 7  7  5.  Il 
était  membre  de  la  société  royale  des 
antiquaires  de  Londres.  Nous  allons 
maintenant  donner  quelques  détails 
sur   ses  ouvrages  que  nous  n'avons 
encore  pu  qu'indiquer  :I.  Les  Ruines 
de  Palniyre  ,  autrement  dite  Ted- 
mor  au  désert  j  avec  les  réflexions 
de  l'abbé  Barthélémy  sur  l'alphabet 
et  sur  la  langue  dont  on  se  servait 
autrefois  à  Palmyre,  Londres,  I753, 
in-fol.,  avec  cinquante-sept  planches 
très -bien  exécutées.   L'ouvrage  fut 
imprimé,  en  même  temps ,  en  anglais 
et  en  français.  Le  texte  français  a  été  re- 
produit en  1819,  Paris,  Firm.  Didot, 
in-4".,  (ig.Les  descriptions  de  Wood 
sont  d'une  rare  exactitude  ;  il  a  me- 
suré lui  même ,  avec  la  plus  grande 
précision ,  tous  les  monuments  qu'il 
a  découverts  ;  et  sous  ce  rapport  cet 
ouvrage  n'intéresse  pas  moins  les  ar- 


WOO 

chitectes  que  les  antiquaires.  IL  Les 
Ruines  de  Balheck ,  autrement  dite 
Héliopolis    dans  la  Cœlé  -  Sjrie  , 
angl. -français,  Londres,  i  -yS^,  grand 
in-fol. ,  avec  quarante-sept  planches 
Cet  ouvrage  a  le  même  genre  de  mé- 
rite que  le  précédent.  L'abbé  Bar- 
thélémy a  rendu  compte  de  l'un  et 
de    l'autre    dans    deux    articles   du 
Journal  des  savants  (  i  ) ,  dont  il  est 
inutile   de  présenter    ici  l'analyse  , 
piiisqu'ils    ont    été    recueillis    dans 
l'édition  de   ses    OEuvres  diverses. 
Cassas  ,  dans  son  Voyage  pittores- 
que en  Syrie,  a  publié  quelques  mo- 
numents négligés  par  Wood,  et  com- 
battu plusieurs  fois  son  opinion.  Ilï. 
Essai  sur  le  génie  original  d' Ho- 
mère ;ai\ec  l'état  actuel  de  la  Troade 
comparé  à  son  état  ancien  {Essay  on 
the   original  genius   and  writings 
of  Homer) ,  Londres  ,  1 769  ,  in-4'^. 
Cette  première  édition  n'a  ,  dit- on  , 
été  tirée  qu'à  sept  exemplaires  (9.)  , 
ibid.  ,    1775,  grand   in-4'^.,  fig.  , 
traduit  en  italien,  en  allemand  ,  en 
espagnol  et  en  français.  La  traduc- 
tion française  par  Déraeunier,  Paris, 
1777  ,  in-80.  ,  est  ornée  d'ime  carte 
de  l'ancienne  Troade  ,  qui  manque 
dans   les   contrefaçons.  Dans  la  pre- 
mière partie  de  cet  ouvrage,  l'auteur 
traite  de  la  patrie  d'Homère  ,  de  ses 
voyages  ,  de  sa  mythologie  ,  et  enfin 
des  mœurs   et  de  la  géograpliie  de 
l'Iliade  et  de  l'Odyssée.  On  y  trouve 
une  foule  d'aperçus  nouveaux  ,  et  de 
remarques   également  fines  et  judi- 
cieuses. Dans  la  seconde  ,  il  compare 
l'état  actuel  de  la  plaine  de  Troie 
avec  les  écrits  d'Homère  ;  mais  ou- 
bliant ce  qu'il  a  dit  de  l'exactitude 
de  ce  grand  poète  dans  les  moindres 
détails ,  il  le  trouve  en  défaut  précisé- 

Ci)  Ai'ril  1754  et  juin  17G0. 

(»)  Voy.  John.  Niclioh  anecdot.  ofJV.  Bowyer, 
Loudres,  178?.,  pag.  41*). 


woo 

ment  dans  les  lieux  qu'il  avait  dû 
observer  et  de'crire  avec  le  plus  de 
soin.  Ce  n'est  point  Homère ,  comme 
on  le  pense  bien,  c'est  Wood  qui 
s'est  trompe'.  La  cause  de  sa  méprise 
vient  de  ce  qu'il  n'a  point  connu  la 
source  du  Scaraandre  ,  ainsi  que  l'a 
démontre  M.  Leclievalier  (^o/.ce 
nom ,  Biographie  des  hommes  vi- 
trants )  ,  dans  sou  Fojage  à  la 
Troade.  Wood  a  laissé  plusieurs 
manuscrits  ,  entre  autres  un  Recueil 
d'inscriptions  ,  qu'après  sa  mort  , 
l'abbé  Barthélémy  tenta  d'acquérir  . 
et  que  l'on  conserve  au  Muséum  de 
Londres.  —  Wood  (  TFilliam  ) , 
théologien  anglais  ,  né  près  de  Nor- 
thanipton,  vers  174^'  mort  le  i*^»'. 
avril  1 808,  était  ministre  d'une  con- 
grégation de  dissenters  dans  la  ville 
de  Leeds.  Il  est  auteur  de  plusieurs 
Sermons  détachés,  d'un  volume  de 
Sermons  sur  la  vie  sociale  ,  1775, 
in-8«. ,  et  de  quelques  pamphlets  po- 
litiques. W — s. 

WOODES  ROGERS.  T.  Rogers. 

WOODESON  (Richard),  auteur 
habile  instituteur,  compta 
parmi  ses  élèves  des  sujets  qui  se  sont 
distingués  dans  la  littérature.  11  fut 
professeur  de  droit  à  l'université 
d'Oxford,  et  a  publié  :  Eléments  de 
jurisprudence,  1788,  in -4".;  Ta- 
bleau systématique  de  la  loi  d' An- 
gleterre,  179^,  1793,  3  vol.  in- 
8*'.  ;  Courte  défense  des  droits  de 
la  législature  anglaise ,  en  réponse 
au  pamphlet  (de  iVI.  Reeve)  iutilulé  : 
Réflexions  sur  le  gouvernement  an- 
glais ,  1799,  in -8°.  Woodeson 
mourut  le  'ii  octobre  1822.  Z. 

WOODFORD  (Samuel),  minis- 
tre anglican  et  poète  ,  fils  de  Robert 
Woodford  ,  gentilhomme  du  comté 
de  Northampton,  naquit  à  Londres 
le  i5  avril  i636,  entra  au  collège 
Wadham,  dans  l'université  d'Ox- 


WOO 


191 


anglais 


ford,  en  i653 ,  fut  admis  trois  ans 
après  au   grade  de  maître-ès-arts  , 
et  s'appliqua  ensuite  à  la  jurispru- 
dence dans  le  collège  d'Inner-Tem- 
ple ,  où  il  fut  compagnon  de  cham- 
bre   du   poète   Flatman.   Après   la 
restauration  il   se  maria  ,  et  vécut 
successivement  à  Aldbrooket  à  Bens- 
ted  ,  dans  le  comté  de  Hamp.  Plus 
tard  il  se  voua  à  la  carrière  ecclésias- 
tiqtie ,  reçut  les  ordres  de  l'évêque 
Morley,et,  après  avoir  passéplusieurs 
années  dans  le  rectorat  de  Hartley- 
Maudet ,  il  obtint    la  prébende  de 
Chichesler    en   1676,    et  celle  de 
Winchester  en   1680.  C'est  là  qu'il 
mourut  en  1700.  Il  était  membre  de 
la  société  royale  de  Londres ,   de- 
puis 1G64.  Les  poésies  de  Wood- 
ford   sont  tombées   dans    un  oubli 
qu'elles    semblent   ne   pas  mériter. 
Sa  paraphrase  des  psaumes  en  vers 
lyriques   et   en     cinq  livres    prou- 
ve de  la  facilité  et  de  l'art  dans  la 
manière  de  versifier.  Flatman,  son 
ami ,  a  loué  cet  ouvrage ,  et  même  il 
a  composé  à  cette  occasion  une  ode 
pindarique  qui  fait  honneur  à  tous 
les  deux.  Ou  a  aussi  de  Woodford 
un  volume  qui  contient  :  \^.la  Pa- 
raphrase en  vers  de  plusieurs  can- 
tiques ;  2».  la  Légende  de  V amour , 
poème  en  trois  chants  ;  3°.  Ode  à  sa 
muse  ;  ^°.  Paraphrase  sur  quelques 
hymnes  choisis  de  l'Ancien  et  du 
Nouveau  Testament^    5"^.  diverses 
Compositions  ,  les  unes  originales  , 
les  autres  traduites  du  grec ,  du  latin 
et  de  l'italien.  De  plus  ,  il  avait  pu- 
blié,  en    1660,   un  poème  sur  le 
retour  de  Charles  IL  P-ot. 

WOODHEAD  (Abraham)  ,  né  à 
Meltham,  dans  le  comté  d'York, 
fut  envoyé,  eu  1624 ,  à  l'âge  de  sei- 
ze ans,  à  l'université  d'Oxford  ,  et  y 
prit  le  degré  de  maître-ès-arts  ,  puis 
obtint  ensuite  une  place  d'associé.  Il 


19^  WOO 

s'engagea  dans  les  ordres ,  et  passa 
sur  le  continent  vers  iG^i.  Arri- 
vé à  Rome,  Icdnc  de  Buckingliam  le 
logea  chez  lui ,  pour  qu'il  lui  apprît 
les  mathématiques.  A  son  retour  en 
Angicierre,  le  même  duc  lui  donna 
un  logement  dans  son  hôtel  à  Londres. 
Il  s'attacha  ensuite  à  la  famille  de 
lord  Capel.  Lorsque  les  visiteurs 
chargés,  en  1648, par  le  parlement, 
de  faire  sortir  des  deux  universités 
tous  ceux  qui  étaient  soupçonnés  de 
catholicisme  se  rendirent  à  Oxford , 
Woodhead  perdit  sa  place  d'associé, 
qu'il  ne  recouvra  qu'en  iGGo,  à  l'é- 
poque de  la  restauration.  Mais,  com- 
me il  fallait  se  conformer  extérieu- 
rement aux  pratiques  du  culte  angli- 
can ,  sa  répugnance  l'obligea  de  de- 
mander la  permission  de  voyager,  en 
conservant  les  émoluments  de  sa  pla- 
ce j,  qui  étaient  de  vingt  livres  ster- 
ling. Au  lieu  de  s'expatrier ,  il  alla 
se  confiner  à  Hoxton ,  dans  les  en- 
virons de  Londres ,  oii  il  se  livra  à 
l'instruction  de  quelques  enfants  de 
familles  catholiques,  et  s'occupa  de 
la  composition  de  divers  ouvrages. 
11  s'y  était  si  bien  caché  _,  qu'on  ne 
chercha  point  à  l'inquiéter  pendant 
les  troubles  du  pays.  C'est  dans  cette 
retraite  qu'il  mourut,  le  4  mai  1678, 
à  l'âge  de  soixante -dix  ans.  Wood- 
head se  mesura  successivement  dans 
l'arène  ihéologique  avec  Hcylyn  , 
Stillingfleet ,  l'archevêque  Wake  , 
Smalridge ,  Tully ,  Hooper  _,  Haning- 
ton  ,  Aldrich  et  Whitby.  Aussi 
était -il  reconnu  pour  un  des  plus 
habiles  controversistes  de  son  temps. 
C'est  le  témoignage  que  lui  rendent 
les  protestants,  aussi  bien  que  les  ca- 
tholiques. La  controverse  entre  les 
deux  Lglises  est  exposée  dans  ses  ou- 
vrages avec  plus  de  clarté  et  de  pré- 
cision que  dans  la  plupart  des  autres. 
On  y  voit  qu'il  était  profondément 


WOO 

versé  dans  la  connaissance  des  an- 
ciens Pères  et  des  théologiens  moder- 
nes. Ses  ouvrages  sont  :  L  Courte 
relation  de  V ancien  gouvernement 
de  l'Église ,  Londres,  1684,  in -4°. 
II.  Exposition  raisonnable  de  la 
doctrine  catholique^  pour  servir  de 
guide  dans  les  controverses  de  reli- 
gion ,4  666,  1667;  réimprimée  avec 
des  additions ,  en  1673,  in- 4°.,  sous 
les  initiales  R.  H.  111.  De  la  néces- 
sité d'un  guide  pour  diriger  les  chré- 
tiens dans  la  foi,  1675,  in -4''.  IV. 
Exercices  touchant  la  résolution  de 
la  foi,  1674,  in-4°-  V.  CoJisidéra- 
tions  sur  Vidée  que  le  docteur  Stil- 
lingfleet donne  de  la  foi  des  protes- 
tants, Paris,  167 1,  in-80.  VI.  Con- 
sidérations sur  le  concile  de  Tren- 
te,  167 1  et  87,  in -80.  VU.  Les 
Pratiques  de  dévotion  de  l'Eglise 
romaine  et  sa  doctrine  sur  la  péni- 
tence et  les  indulgences ,  vengées 
de  la  fausse  idée  quen  donne  le  doc- 
teur Stillingfleet,  1672,  in-8°.  VIII. 
Discours  sur  Vesprit  et  l'origine  de 
la  reforniation  de  Luther ,  et  sur  le 
célibat  ecclésiastique, Osïord,\6S']  y 
in-4".  IX.  Discours  sur  V Eucharis- 
tie ,^Oxïorà  ,  1688.  X.  De  la  foi  né' 
cessaire  au  salut,  ibid.  ,  1688  , 
in- 4°.  XI.  Motifs  pour  mener  une 
vie  sainte,  ibid.  XI L  Traduction 
des  Confessions  de  saint  Augustin 
et  dé  la  Fie  du  saint  par  Possi- 
dius  ,  1679,  in -8».  XIII.  Fie  de 
sainte  Thérèse,  avec  différents  écrits 
spirituels  de  la  sainte,  1669,  in-4°. 
On  a  encore  de  lui  divers  autres  ou- 
vrages imprimés  et  quelques-uns  res- 
tés manuscrits  •  mais  ils  sont  dans  un 
état  si  informe,  que  l'on  essaierait 
vainement  de  les  comprendre.  T-d. 
WOODHOUSE  (Jacques),  chi- 
miste célèbre ,  né  dans  l'Amérique  du 
Nord  en  1770,  fit  ses  études  à  l'uni- 
versité de  Pensylvanie  de  la  manière 


woo 

îa  plus  brillante  ,  et  après  avoir  fait 
divers  voyages  ,  pour  acquérir  des 
connaissances  ,  devint,  en  1799.  , 
professeur  de  cliimie  à  la  même  uni- 
versité. Sa  dissertation  inaugurale, 
qui  a  été  imprimée  dans  la  même  an- 
née, eut  pour  sujet  VjlnaVysc  des 
végétaux  astringents.  On  a  de  lui: 
I.  Le  Manuel  du  jeune  Chimiste, 
avecle  Laboratoire  portatif,  1797  , 
in -8^.  II.  Réponse  aux  Observa- 
tions du  docteur  Priestiey  ,  sur  la 
doctrine  du  plilogistique  et  la  dé- 
composition de  l'eau,  insérée  dans  le 
,iv*^.  volume  des  Transactions  de  la 
société  philosophique  d'Amérique. 
III.  Une  édition  de  la  Chimie  de 
Gliaptal ,  trad.  en  anglais  ,  avec  des 
notes,  1  vol.  in-8". ,  1807.  Wood- 
house  mourut  en  1809.  Z. 

WOODVILLE  (William), 
mort  en  i8o5^  médecin  de  l'hôpital 
pour  la  petite-vérole,  qui  est  situé 
dans  le  quartier  de  Paneras  à  Lon- 
dres, a  beaucoup  contribué,  par  son 
zèle  et  par  ses  écrits  ,à  propager  en 
Europe  le  bienfait  de  la  vaccine.  On  a 
de  lui:  I.  Histoire  de  l'inoculation 
de  la  petite-vérole  dans  la  Grande- 
Bretagne  ^  1796,  in-80.  II.  Bota- 
nique médicale,  1790,  3  vol.  in-4**-, 
ouvrage  estimé  pour  le  fond  comme 
.pour  ie  style  ,  et  dans  lequel  on 
trouve  une  histoire  de  la  botanique  , 
et  la  description  des  plantes  médici- 
^nales  ,  avec  l'exposé  de  leur  usage  et 
de  leurs  propriétés.  Z. 

VVOODVV ARD  (  Jean  ) ,  médecin 
et  naturaliste  anglais,  naquit  le  t*^'^. 
mai  i()(35  dans  le  comté  de  Derby. 
Quoiqu'il  fût  de  bonne  famille^  et 
que  dès  son  adolescence  il  eût  fait 
des  progrès  remarquables  dans  les 
langues  grecque  et  latine ,  ses  parents 
qui  le  destinaient  au  commerce  le 
.inirent  en  apprentissa;;e  chez  un  tis- 
l^erandde  Londres.  Woodward  avait 


WOO  193 

alors  seize  ans.  La  carrière  dans  la- 
quelle on  le  faisait  débuter  était  tota- 
lement opposée  à  son  amour  pour  la 
lecture  et  pour    les   sciences    aux- 
quelles ,  malgré  ses  nouvelles  occu- 
pations, il  voua  la  plus  grande  par- 
tie de  son  temps.  Son  aptitude  et  sa 
persévérance  le  firent  connaître  de 
quelques  personnes  recommandables, 
particulièrement  du  docteur  Barwick 
qui  le  prit  en  amitié,    et  le  retira 
chez  lui  où  il  le  garda  huit  ans.  Pen- 
dant ce  temps,  Woodward  apprit 
à  fond  l'anatomie  et  la  médecine.  Il 
s'appliqua  aussi  à  la  philosophie  ,  à 
la  physique  et  aux  sciences  naturelles. 
Ayant  été  invité  avec  le  docteur  à  se 
rendre  dans  une  maison  de  campagne 
de  Glocesler ,  à  Sherborne  ,  il  com- 
mença à  s'y  familiariser  avec  la  scien- 
ce qui  fut  dans  la  suite  l'objet  princi- 
pal de  ses  méditations  et  la  base  de 
sa  célébrité.  Tout  le  pays  aux  envi- 
rons de  Sherborne   est  semé  de  mi- 
néraux ,  et  des  carrières  y  sont  ou- 
vertes de  tous  cotés.  Woodward  ré- 
solut d'y  descendre  et  d'examiner  en 
détail  les  diverses  espèces  minéralo- 
giques    qu'elles    contiennent.    Il  fut 
frappé  surtout  du  grand  nombre  de 
coquillages  et  de  débris  marins  que 
l'on  y  trouve  enterrés  dans  le  sable. 
Attiré  par  l'attrait  delà  nouveauté, 
autant  que  par  l'importance  présu- 
mée de  cette  branche  de  l'histoire  na- 
turelle ,  il  résolut  de  parcourir  l'An- 
gleterre, pour  y  recueillir  des  données 
sur  ces  traces  fossiles  ensevelies  de- 
puis des  siècles  dans  les  entrailles  de 
la  terre.  Carrières  ,  mines ,  cavernes, 
tout  fut  successivement  l'objet  des 
longues  investigations  de  notre  jeune 
voyageur  ,  qui  crut  pourtant  devoir 
associer  à  ce  genre   de   recherches 
l'étude  approfondie  de  la  botanique 
et  des  diverses  branches  de  la  zoolo- 
gie.  Tontes  ses  observations  furent 
i3 


'94 


WOO 


soigneusement  consignées  dans  des 
notes.  Il  songea  ensuite  à  se  rendre 
dans  les  pays  étrangers  ,  pour  y  re- 
cueillir de  nouveaux  faits.  On  sait 
que  la  France,  l'Espagne  ,  TAIlema- 
gne  y  l'Italie  .  présentent  en  foule  des 
débris  de  coquillages  ,  dezoophytes, 
et  même  de  poissons.  Mais  la  guerre 
qui  venait  d'éclater,  et  qui  eiidjra- 
sail  le  continent  ,  l'empêcha  d'elTec- 
tuer  ce  desseui  ;  il  se  contenta  d'é- 
crire à  chacun  de  ceux  qu'il  connais- 
sait en  pays  étranger  de  rassembler, 
à  mesure  qu'ils  se  présenteraient, 
tous  les  détails  ,  tbus  les  renseigne- 
ments relatifs  aux.  fossiles.  Un  gen- 
tilhomme qui  avait  long-temps  voya- 
gé dans  presque  toutes  les  contrées 
de  l'Europe,  et  qui  avait  toujours 
observé  avec  intérêt  ces  vestiges  d'u- 
ne antiquité  reculée  ,  lui  fournit 
une  ample  quantité  de  matériaux.  Le 
projet  de  Woodvvard  était  d'écrire 
une  histoire  universelle  de  la  terre*  se 
croyant  assez  pourvu  de  faits  pour 
jeter  les  bases  d'une  théorie,  il  com- 
mença par  publier  son  Essai  sur 
l'histoire  naturelle  de  la  terre  ,  et 
des  corps  qu  elle  contient,  spéciale- 
ment des  minéraux  ,  ainsi  que  sur 
celle  de  la  mer ,  des  rivières  et  des 
sources ,  etc. ,  etc. ,  Londres ,  lOgS, 
I  vol.  in^*^.  La  hardiesse  et  la  nou- 
veauté des  idées  de  l'auteur  don- 
nèrent en  peu  de  temps  une  grande 
vogue  à  cet  ouvrage ,  qui  n'est  ce- 
pendant qu'un  roman  géologique 
comme  tant  d'autres.  Woodvvard  est 
parti  de  l'idée  d'un  déluge  universel, 
à  laquelle  il  subordonne  tout  son  sys- 
tème. Conduit  par  cette  idée  y  il 
pense  que  lorsque  Dieu  créa  la  terre, 
il  plaça  dans  le  centre  une  quantité 
prodigieuse  d'eaux  qui  communi- 
quaient par  des  conduits  souterrains 
àiamerct  à  dliféreutes  parties  de  la 
terre;  que  lors  du  déluge  ces  eaux  sor- 


WOO 

tirent  de  l'abîme  pour  inonder  la  ter- 
re qui  s'y  trouva  dissoute,  et  à  laquelle 
se  mêlèrent  des  milliers  de  coquilla- 
ges ,  de  zoophytes  et  de  productions 
marines  dont  on  trouve  partout  des 
vestiges  ou  des  erupreintes;  et  qu'en- 
suite, ces  eaux  étant  rentrées  dans 
leur  réceptacle  ^  la  terre  reprit  sa 
consistance  ,  et  tout  rentra  dans  l'or- 
dre accoutumé.  Cette  hypothèse  ap- 
puyée d'arginncnts  ingénieux  et  d'ob- 
servations curieuses  (  car  quel  systè- 
me ne  s'étaie  sur  quelques  appuis  de 
ce  genre?  )  n'était  au  fond  pas 
plus  admissible  que  la  théorie  de 
Burnet,  et  elle  était  beaucoup  moins 
judicieuse  que  les  idées  de  Whiston 
sur  le  déluge.  Aussi  vit-on  de  toutes 
parts  des  réfutations  générales  ou 
partielles  protester  contre  le  succès 
de  l'ouvrage.  Celles  du  docteur  Lister 
et  de  Kobinson  (  Observations  on  iht 
natural  hislorj  ofthe  -world  oj'mat 
ter  and  the  world  of  lijé)  aWiiren 
une  réponse  de  Harris,  en  1697  ;  li 
docteur  Arbuthnot  fit  paraître  auss 
un  Examen  impartial  de  la  doctrim 
de  WooJward  ,  et  conclut  en  disan 
que  son  hypothèse  ,  quoique  faible  e 
sujette  à  iieaucoup  d'objections,  m 
devait  point  cependant  être  rejetée 
Mais  son  adversaire  le  plus  redouta 
ble  fut  Élie  Gamcrarius,  professeui 
de  médecine  à  l'académie  de  Tubin- 
gue.  Quoique  ami  du  paradoxe  et  d( 
la  nouveauté  ,  cet  habile  écrivain 
n'adopta  en  aucun  point  le  système 
du  géologue  anglais,  et  il  fit  pai-aîtr^ 
à  ïubingue,  en  1712,  plusieurs  dis 
sertations  latines  ,  où  il  délruisaij 
complètement,  et  par  des  raisouï 
péremptoires  l'édilice  si  laborieusej 
mont  élevé  par  Woodvvard.  Jus'j 
qu'ici  l'auteur  de  VEssai  s'étai 
dispensé  d'entrer  dans  la  lice  :  maisi 
croyant  devoir  répondre  à  Tattî 
que  du   médecin   de   Tubingue  , 


woo 

fit   paraître  ,   eu   1714  »    u»e   cdi- 
tioji  latine  de  l'ëcrit  qui  donnait  lieu 
à  tant  de  contestations ,  sous  le  litre 
de/.  TVoodwardi...  etc.  ,  naturalis 
Historia  teUuris  illustrata  et  auc- 
ta  ;  iinà  cuin  ejusdem  defensione 
prœsertim  contra  nuperas  ohjectio- 
ncs  D.  El.  Camerarii ,  etc. ,  Oxford, 
in  -  8<^.    La    traduction    était  l'ou- 
vragede  J.-J.  Scheuchzer,  qui  l'avait 
déjà  donnée  dix  ans  auparavant  sous 
celui  de  Geographia  phfsica ,  Zu- 
rich ,  1 704  (i  )•  BulFon ,  qui ,  dans  sa 
Théorie  de  la  Terre,  a  admis  un  sys- 
tème absolument  contraire  à  celui  de 
Woodward  (  rhypothcsc  du  feu  cen- 
tral ) ,  a  donné  dans  cet  ouvrage  un 
résumé  très-net  des  idées  de  ce  sa- 
vant, et  en  a  démontré  l'insuffisance 
d'après  les  objections   de  Camera- 
rius.  Au  milieu  de  tout  le  mouve- 
ment  qu'avait   inspiré    l'apparition 
de  l'Essai ,  Woodward  ne  négligeait 
pointsa  profession.  D'ailleurs  il  avait 
été  nommé  professeur  au  collège  de 
Gresham   (i6()'2),   membre  de  la 
société  royale  de  Londres  (  1693)  et 
associé  du  collège  de  médecine   de 
Cambridge  (  \']oi).  Ces  places,  non 
moins  que  le  soin  d'une brillaute  clien- 
telle,  lui  faisaient  une  loi  de  s'appli- 
quer avec  ardeur  à  la  science  médi- 
cale.   Aussi    voyons  -  nous  figurer 
dans  la  liste  de  ses  ouvrages  plusieurs 
écrits  relatifs  à  la  médecine.  On  sait 
d'ailleurs  qu'il  était  considéré  par  ses 
confrères  comme  un  des  membres  les 
iplus  habiles  de  la  faculté,  et  qu'il 
était  souvent  appelé  pour  les  consul- 
tations les  plus  difficiles.    Cependant 
la    collection    des   matériaux   pour 


(1^  Cet  ouvrage  a  été  traduit  en  français  ,  par 
Noguex,  sons  le  titre  de  Gèot^rap/iie  pliy!u/ue  ou 
Essai  sur  l'histoire  naturelle  de  la  ïerrc ,  Paris, 
1735,  iii./|0.;  et  en  allemand,  Erfurt,  f^^S,  iu- 
8°.  Les  Béponses  de  Woodward  aux  observations 
4e  €-auierariiis  ont  été  traduites  eu  français  par 
Nicerou. 


WOO 


195 


V Histoire  de  la  Terre  était  toujours 
sa  principale  occupation  j   il  avait 
rédigé   beaucoup  de  notes  qui   de- 
vaient   en  faire  partie  ,  et  proba- 
blement il  n'aurait  pas  tardé  à  pren- 
dre la  plume  pour  la  rédaction  défi- 
nitive de  l'ouvrage  ,  si  l'atlaiblisse- 
ment  de  plus  en  plus  m.irqué  de  sa 
sauté  ne  lui  eût  interdit  tout  travail 
suivi.  Il  végéta  ainsi  plusieurs  années, 
en  proie  à  des  inlirraités  prématurées, 
jusqu'à  ce  qu'il  expirât  le  'i5  avril 
172*2.  Il  fut  enterré  dans  l'abbaye 
de  Westminster  ,   où  on  lui  a  élevé 
un  monument.  Il  avait  légué  à  l'aca- 
démie de  Cambridge  ses  deux  cabi- 
nets de  fossiles  anglais  ,  et  ordonné 
que  sur  le  prix  de  la  vente  de  ses 
livres  et  de  son  muséum  d'antiquités, 
on  prélevât    une   somme  suffisante 
à  l'achat  d'un  fonds  de  terre  de  cent 
cinquante  livres  sterling  de   rente  , 
destinées  tant  aux   honoraires   d'un 
professeur   qui   ferait   annuellement 
quatre   leçons  sur  sa  théorie  de  la 
terre  qu'aux  nouvelles  éditions  de  cet 
ouvrage.  Le  docteur  Woodward  n'a 
vait  pas  moins  de  générosité  et  d'hu- 
manité que  de  talents.  On  lit  dans  VA- 
naljtical  Revie-w  (mai    1787,  p. 
93  )  qu'un   poète    comique  ,    ayant 
résolu  de  traduire  ce  naturaliste  sur 
la  scène,  chargea  un  acteur  célèbre 
par  son  talent  mimique  de  s'intro- 
duire chez  lui  et  d'étudier  ses  maniè- 
res ,  et  ses  ridicules  pour  les  contre- 
faire. Le  mime  alla  en  effet  chez  le 
docteur,  et  lui  débita  un  long  cata- 
logue de  maladies  imaginaires  ,   et 
de  désagréments  domestiques,  dont 
il  se  disait  affligé  j  Woodward  l'é- 
couta  avec  intérêt,  et,  api  es  les  pres- 
criptions d'usage,  il  refusa  la  gui- 
née  que  voulait  lui  donner  le  préten- 
du malade.  Cet  homme  fut  tellement 
ému ,  qu'à  son  retour  chez  cehii  qui 
l'avait  envoyé,  il  déclara    qu'il   ne 
i3.. 


ig6  WOO 

consentirait  jamais  à  prendre  part 
à  une  mystification  du  genre  de 
celle  que  l'auteur  s'était  proposé  de 
faire  subir  au  docteur.  Outre  la 
Théorie  de  la  terre  ,  on  doit  à 
Woodward  plusieurs  écrits  estimes, 
savoir  :  1.  Courte  instruction  pour 
faire  des  observations  dans  toutes 
les  parties  de  l'univers  ,  ainsi  que 
sur  Vart  de  recueillir ,  de  conserver 
et  d'envoyer  les  objets  d'histoire 
naturelle.  II.  Quelques  pensées  et 
expériences  concernant  la  végéta- 
tion (  insérées  dans  les  Transactions 
philosophiques  de  i6gg,  n^.  '253  ). 
III.  Lettre  à  l'abbé  Bignon  ,  sur  un 
bouclier  antique  (insérée  par  Ward 
dans  son  appendice  à  la  Fie  despro- 
fesseurs de  Greshajn).  IV.  Compte 
rendu  (  ^n  account  of ,  etc.  )  de 
quelques  urnes  antiques  ,  et  autres 
antiquités  découvertes  dernièrement 
à  Bishopsgate  _,  etc. ,  avec  de  cour- 
tes réjlexions  sur  l'état  ancien  et 
présent  de  Londres ,  dans  une  let- 
tre à  Wren,  etc.  ,  Londres ,  1707  , 
iu-80.  ;  2«.  édit.,  1715^  3c.  édit.  , 
Oxford;,  17*23,  sous  le  titre  de  Re- 
marques sur  V ancien  et  le  nouvel 
état  de  Londres  ,  à  l'occasion  de 
quelques  vases ,  médailles  et  autres 
antiquités ,  etc.  Cette  brocliure  est 
.surtout  remarquable  par  la  réfutation 
du  commentaire  de  M.  Gale  ,  sur 
l'Itinéraire  d'Antonin ,  relatif  à  la 
ville  de  Londres.  V.  État  de  la 
médecine  et  des  maladies  ,  etc.  , 
Londres,  1718  ,  in-8*^.  •  traduit  en 
latin,  Zurich,  1720,  in-4^.  Cet 
écrit  fut  publié  à  l'occasion  d'une 
discussion  que  Woodward  avait 
eue  dès  l'année  précédente  avec  les 
docteurs  Freind  et  Mead.  Ces  deux 
praticiens  ,  faisant  valoir  l'autori- 
té d'Ilippocrate  et  de  quelques  au- 
tres médecins  ,  voulaient  purger 
xians  la  petite-vérole.   Woodward  , 


WOO 

supposant  que  cette  méthode  pou- 
vait entraîner  de  fâcheuses  consé- 
quences ,  crut  qu'il  était  de  son  de- 
voir de  l'examiner  de  plus  près  ,  et 
d'exposer  au  public  les  raisons  qui 
l'engageaient  à  la  désapprouver.  Les 
deux  partis  apportèrent  dans  cette 
contestation  une  chaleur  qui  fit  ri- 
re à  leurs  dépens.  Mais  Woodward 
n'eut  d'autre  tort  que  de  mettre  dans 
la  discussion  une  vivacité  excusable, 
tandis  que  Mead  ,  écrivant  trente 
ans  après  son  Traité  de  la  petite- 
vérole  ^  a  eu  celui  de  se  permettre 
conti'e  son  antagoniste  mort  des  per- 
sonnalités injurieuses.  VL  Traité 
sur  la  bile ,  Oxford ,  1717,  in-S*^. 
L'auteur  y  expose  des  idées  singu- 
lières sur  la  bile,  qu'il  regarde  com- 
me la  cause  principale  de  l'accom- 
plissement régulier  de  toutes  les  fonc- 
tions animales  dans  l'état  de  santéj 
Le  docteur  Byfielde  ,  ennemi  pew 
sonnel  de  l'auteur  ,  adressa  alors 
Woodward  ime  lettre  dans  laquellei 
après  avoir  donné  une  analyse  ridi- 
cule de  celte  doctrine,  il  le  comble 
de  louanges  extraordinaires.  Ui 
extrait  de  cette  lettre  ayant  été  in 
séré  dans  le  Journal  des  savanti 
donna  lieu  à  une  réclamation  intitu- 
lée :  Mémoire  envoyé d' Angleterre 
concernant  les  ouvrages  de  M.  Wood\ 
ward.  Vit.  Classification  des  fossi- 
les de  toutes  espèces  _,  rangés  d'a- 
près leurs  relations  et  leurs  affinités 
{Fossils  ofall  kinds ,  digested  into  a 
method,  etc.),  Londres,  1 7^28,  in-H»., 
posthume.  VIII.  Catalogue  des  fos- 
siles du  cabinet  de  M.  Woodward,^ 
etc.,  Londres,  1 729,  2  vol.  in-8".  Les] 
fragments  qu'il  avait  rédigés  poui 
V Histoire  générale  de  la  Terri 
furent  anéantis  d'après  ses  ordres- 
il  avait  encore  laissé  plusieurs  autres 
manuscrits  qui  n'ont  point  été  pu-" 
bliés.  Les  principaux  sont  une  Lettre 


woo 

Sur  l'origine  des  nations  ;  autre  Let- 
tre sur  l'origine  des  américains  ; 
de  la  sagesse  des  anciens  E gyptiens ; 
deux  Discours  sur  la  peste  ;  Collec- 
tion de  faits  relatifs  à  la  médecine  ; 
des  médicaux  observés  et  rapportés 
à  lui-même  j  Discours  sur  les  gran- 
des choses  opérées  par  la  société 
royale,  tant  pour  V honneur  <pie pour 
l'avantage  de  la  nation. — Èzéchias 
WooDWARD ,  theologicu anglais,  ami 
etfougueuxjiarlisandeCromwellqui 
le  nomma  vicaire  à  Bray  ,  se  rendit 
fameux  par  sa  violence  et  son  fana- 
tisme; il  persécuta  \^  anabaptistes  et 
les  quakers,  chassa  un  certain  nom- 
bre d'habitants  de  la  commune ,  et 
établit  un  conventicule  prive  dans  sa 
maison.  11  mourut  à  Uxbridge  , 
dans  !«  comte  de  Middlesex ,  le  29 
mars  1675,  laissant  un  commentaire 
sur  les  livres  des  Rois,  un  traite  sur 
le  baptême  des  enfants ,  et  deux  au- 
tres ouvrages  intitules,  l'un  Vestibu- 
lum ,  l'autre  Investigatio  causarum 
miseriœ  nostrœ.  Tous  ces  écrits  sont 
en  latin. — 11  ne  faut  point  le  confon- 
dre avec  mi  autre  WooDWARD  {Hum- 
phrf),  jésuite,  qui  mourut  le  3o no- 
vembre 1587,  à  Mayland,  n'étant 
encore  âge  que  de  trente-cinq  ans  , 
et  qui  laissa  un  Commentaire  esti- 
mé sur  les  Psaumes.  P — ot. 

WOOLHOUSE  (  Jean-Thomas) , 
médecin-oculiste  anglais  .  né,  vers  le 
milieu  du  dix-septième  siècle  ,  d'une 
iamille  noble  ,  lit  ses  études  médi- 
cales à  Londres  ,  et  parcourut  de 
bonne  beure  différentes  contrées  de 
l'Europe ,  pour  apprendre  et  pour 
pratiquer  son  art.  Il  opéra  partout 
des  cures  remarquables  ,  et  revenu 
dans  sa  patrie  il  n'y  obtint  pas 
moins  de  succès.  Le  roi  Jacques  II 
le  nomma  son  médecin  -  oculiste ,  et 
il  porta  le  titre  de  médecin  du 
roi  jusqu'à    sa   mort   qui  eut   lieu 


WOO 


^97 


en  i^So.  Woolbouse  a  inventé 
])lusieurs  instruments  utiles  ,  et 
public  quelques  écrits  que  l'on 
peut  encore  consulter  ,  savoir  :  î. 
Catalogue  d'instruments  pour  les 
opérations  manuelles  des  yeux , 
1696,  in-8'*.  C'est  une  description 
de  divers  instruments,  dont  plusieurs 
sont  de  l'invention  de  Woolliouse  , 
et  peuvent  être  considérés  comme 
des  découvertes  importantes.  II.  Ex- 
périences des  différentes  opérations 
manuelles  que  le  sieur  de  Wool- 
liouse,  gentilhomme  et  oculiste  du 
roi  d'Angleterre^  afaitesaux yeux, 
171 1  ,  in-i'2.  111.  Observations  cri- 
tiques sur  le  livre  anglais  de  P. 
Kennedy  ,  intitulé  Ophthalmogra- 
phia.  IV.  Avis  de  M.  de  Wool- 
house  sur  une  nouvelle  aiguille  à 
cataracte  qu'il  a  inventée  ,  et  par 
le  moyen  de  laquelle  il  abat  faci- 
lement toute  cataracte  adhérente 
du  côté  de  la  tempe  ,  1  720  ,  in-8^. 
V.  Mémoire  communiqué  (  inséré 
dans  le  Journal  des  savants  en 
1720),  sur  la  quantité  d'humeur 
aqueuse,  contenue  dans  chacune  des 
deux  chambres  comprises  entre  la 
cornée  et  le  cristallin.  Ce  Mémoire 
est  principalement  destmé  à  com- 
battre les  opinions  du  docteur  Heis- 
ter ,  qui  eut  de  nombreuses  disputes 
avec  Woolhouse,  et  qui  supposait  une 
plus  grande  quantité  de  liquide  entre 
la  cornée  et  l'uvée.  Dans  deux  lettres 
adressées  au  père  Lebrun  de  l'Ora- 
toire ,  et  dans  plusieurs  articles  qui 
furent  insérés  au  Mercure  de  France 
depiifs  le  mois  d'octobre  1708,  jus- 
qu'au mois  d'avril  1709  ,  Wool- 
house donna  une  idée  du  système  des 
anciens  ,  et  surtout  de  celui  d'Hippo- 
crate  sur  le  glaucome  et  la  cata- 
racte. Saint-Yves  fut  aussi  un  des 
adversaires  de  Woolhouse;  et, dans 
son   Traité  des  maladies  des  yeux  5 


iqH  WOO 

ce  docteur  qualifia  de/aux  rapports 
les  expériences  alléguées  par  l'ocu- 
liste anglais.  Wooiliouse  a  concouru 
avec  Pallin  à  une  traduction  fla- 
mande du  Traité  des  maladies  de 
l'œil ,  de  Maîtrejean  (  F.  ce  nom), 
imprimée  à  Leyde  en  1714?  in- 4°. , 
et  qu'il  a  enrichie  de  nombreuses 
additions.  Le  Cerf  ,  médecin  de 
Francfort ,  a  traduit  en  latin  et  pu- 
blié en  un  vol.  in-S*^.  tons  les  écrits 
de  Wooiliouse  ;  et  il  y  a  j  oint  une  no- 
tice de  plus  de  quarante  opérations 
manuelles  pratiquées  par  cet  ocu- 
liste. Z. 

WOOLLETÏ  (William),  gra- 
veur anglais  ,  né  le  2-^  août  »  735  ,  à 
Maidstone  dans  le  comté  de  Kent  , 
était  fils  d'un  artisan.  Ayant  été  mis 
dans  une  école  de  son  pays  natal , 
il  s'y  amusait  à  tracer  sur  l'ardoise 
les  traits  de  ses  condisciples  et  ceux 
des  amis  de  son  père.  Un  graveur, 
nommé  Tinney,  vit  un  échantillon 
de  son  savoir-faire,  en  conçut  des 
espérances  ,  et  le  reçut  dans  son 
atelier.  Là  William  fit  des  progrès 
rapides ,  et  porta  l'art  de  graver  , 
particulièrement  le  paysage  _,  à  une 
grande  perfection.  Il  n'eut  guère 
moins  de  succès  en  traitant  les 
sujets  historiques  et  le  portrait. 
On  a  regardé  comme  un  grand 
avantage  pour  le  peintre  Wilson 
d'avoir  rencontré  un  graveur  aussi 
habile ,  et  qui  a  su  saisir  et  rendre  , 
avec  !e  burin,  le  feu  même  de  ses 
idées.  On  cite  surtout  les  estampes 
de  Niohë  et  de  son  pendant  Phaé- 
ton  ;  Céladon  et  Amélie  ;  Ce^'x  et 
Alcjom^ ,  et  la  Pêche  ,  toutes  d'a- 
près les  meilleurs  tableaux  de  Richard 
Wiîson  ;  le  Portrait  de  Rubens  , 
d'après  Van  Dickj  la  mort  du  géné- 
ral WoU'e  (Foj-.  ce  nom) ,  et  la  Ba- 
taille de  la  Bofne,  d'après  Benja- 
min West.  Les  bonnes  épreuves  de 


WOO 

ces  estampes  se  vendent  à  de  très- 
hauts  prix  ,  et  figurent  dans  les  col- 
lections dont  le  goût  a  dicté  le  choix. 
Ce  graveur,  aussi  modeste  qu'ha- 
bile, mourut  à  Londres  le  ^3  mai 
1785.  Un  monument  élégant  a  été 
érigé  h  sa  mémoire  dans  le  cloître 
de  l'abbaye  de  Westminster.  Strutt , 
dans  son  Dictionnaire  àes  graveurs  , 
a  fait  le  plus  grand  éloge  de  son  ta- 
lent et  de  son  caractère.  Z. 

WOOLSTON  (Thomas),  né  en 
1669  ^  Northampton  ,  fit  ses  étu-  A 
des  dans  l'université  de  Cambridge  ,  f 
oi^i,  la  modicité  de  sa  fortune  ne  lui 
permettant  pas  d'aller  au-delà  du 
degré  de  bachelier,  il  se  livra  au 
ministère  de  la  chaire  évangélique. 
Ses  talents  ,  sa  vie  sobre  et  retirée, 
sa  piété  exemplaire  _,  sa  charité  en- 
vers les  pauvres  prévinrent  singuliè- 
rement en  sa  faveur.  Il  joignait  à 
toutes  ces, qualités  une  belle  imagi- 
nation et  un  savoir  très  étendu.  Mais 
tous  ces  avantages  perdirent  de  leur 
mérite  par  son  goût  pour  les  inter- 
prétations allégoriques  de  l'Écriture, 
qu'il  poussa  depuis  jusqu'à  l'extra- 
vagance. Il  manifesta  ce  goût  pour 
la  première  fois ,  et  d'une  manière  as- 
sez sensible,  dans  son  Rajeunisse- 
ment de  Vanciemie  apologie  de  la 
religion  chrétienne  contre  les  Juifs 
et  les  Gentils.  Là  ,  il  prétend  prouver 
qu'il  n'y  a  que  des  athées  ,  des  déis- 
tes et  des  apostats  qui  puissent  s'at- 
tacher au  sens  littéral  et  historique  • 
que  Moïse  n'est  qu'un  personnage 
allégorique  ,  et  toute  son  histoTe 
qu'un  type  de  celle  de  Jésus-Christ  j 
enfin  ,  que  les  miracles  de  l'Évangile 
comme  ceux  du  Pentateuque  ne  sont 
que  de  pures  allégories.  Cet  ouvra- 
ge ,  tout  bizarre  qu'il  était  ,  n'eut 
point  de  suites  fâcheuses  pour  l'au- 
teur, parce  que  jusque-là  il  avait 
montré  un  grand  zèle  pour  la  reli- 


woo 

gion ,  et  qu'il  en  publia  ,  presque 
dans  le  mcme  temps,  un  antre  pour 
démontrer  la  mission  de  Jésus-Christ. 
Mais  il  ne  tarda  pas  à  se  rendre 
suspect  par  ses  Ori^enis  Adamanlii 
Epistohi'  duœ,  et  par  un  Recueil  d'au- 
tres Lettres  ,  où  il  se  proposait  de 
délivrer  l'Écriture  sainte  et  les  saints 
Pères  de  ce  qu'il  appelait  les  minu- 
ties de  la  lettre  ,  et  de  prouver  que 
les  quakers  approclient  plus  que 
toutes  les  autres  sectes  des  principes 
et  de  la  pratique  des  premiers  chré- 
tiens. Ces  deu\  ouvrages  furent  sui- 
VIS  d  un  troisième  ,  où  l'auteur  pré- 
tendait que  les  prêtres  mercenaires 
sont  les  adorateurs  de  la  bète  de  l'A- 
pocalypse et  les  ministres  de  l'Ante- 
Glirist.  Enlîn,  il  déchira  entièrement 
le  voile  dans  le  Modérateur  entre 
un  incrédule  et  wi  apostat  ,  cù  il 
établit  que  ,  pris  à  la  lettre ,  les  mi- 
racles ne  prouvent  point  que  Jésus- 
Christ  soit  le  Messie  ;  système  qu'il 
développa  encore  plus  amplement 
dans  les  années  172'j  ,  28  et '29,  par 
les  six  fameux  Discours  sur  les  mi- 
racles de  Jésus-Christ ,  qui  les  ré- 
duisaient h  de  simples  allégories.  Ja- 
mais on  n'avait  rien  vu  de  si  indé- 
cent et  de  si  j^rossier  sur  un  sujet 
aussi  respectable  :  jamais  on  n'avait 
proféré  autant  de  blasphèmes  contre 
Jésus-Christ.  Tout  ce  système  roule 
sur  ces  trois  points:  que  les  miracles 
du  Nouveau -Testament  sont  très- 
douteux  en  eux-mêmes  ;  que  le  récit 
des  évangelistes  n'olFre  que  des  ab- 
surdités ,  si  l'on  s'en  tient  au  sens 
littéral  ;  que  toute  l'antiquité  a  for- 
mellement rejeté  ce  sens  ,  et  qu'elle 
s'est  attachée  au  sens  allégorique. 
Avant  que  Woolston  eut  public  ces 
discours  ,  on  n'avait  pas  paru  tiès- 
alarmé  de  ses  paradoxes  _,  soit 
qu'on  le  regardât  comme  un  fou, 
dont    les     extravagances     offraient 


WOO  199 

une  re'futation  suffisante  de  ses  er- 
reurs 'j  sôit  qu'on  jugeât  qu"'un  sys- 
tème aussi  absurde  ne  pouvait  faire 
de  fâcheuses  impressions.  Mais  la 
chaleur  qu'il  mit  dans  ce  dernier 
ouvrage,  et  le  fiel  qu'il  y  versait  sur 
le  clergé,  n'annoncèrent  que  trop  que 
son  véritable  but  était  de  saper  la 
religion  par  un  de  ses  principaux 
fondements.  Ces  inquiétudes  s'accru- 
rent par  le  concours  des  libres-pen- 
seurs chez  son  libraire,  pour  acheter 
à  \m  très-haut  prix  ses  pamphlets  , 
dont  on  faisait  même  des  pacotilles 
pour  l'Amérique;  ce  qui ,  au  rapport 
de  Voltaire,  en  augmenta  le  débit  jus- 
qu'à trente  raille  exemplaires. Les  plus 
habiles  théologiens  s'empressèrent 
d'opposer  une  digue  à  ce  torrent 
d'impiétés.  On  vit  paraître  ,  en  assez 
peu  de  temps  ,  au-delà  de  soixante 
écrits  ,  plus  ou  moins  considérables, 
contre  le  nouveau  système  :  le  doc- 
teur Gibson  ,  évèque  de  Londres,  au- 
quel il  avait  dédié  le  premier  de 
ces  discours ,  y  opposa  une  instruc- 
tion pastorale  qui  eut  le  plus  grand 
succès.  Le  docteur  Pearce  ,  depuis 
évêque  de  Bangor  ,  et  plusieurs  au- 
tres entreprirent  de  discuter  à  fond 
l'ensemble  du  système  ;  mais ,  de 
tous  les  apologistes  qui  se  signalèrent 
dans  cette  controverse  ,  celui  dont 
l'ouvrage,  vraiment  original,  fixa  le 
plus  l'attentiondu  public, fut  Thomas 
Sherlock  ,  par  ses  Témoins  de  la 
résurrection  de  Jésus-Christ  ,  exa- 
minés et  ju^és  selon  les  règles  du 
barreau.  Woolston  fut  contraint 
d'avouer  que  ses  principales  dililcul- 
tés  y  étaient  pleinement  résolues  ,  et 
il  se  trouva  hors  d'état  d'y  répon- 
dre. Toutes  ces  contradictions  ne 
firent  qu'accroître  sou  déchaînement 
contre  le  clergé,  sans  aucun  égard 
pour  les  vertus ,  les  talents  et  le  rang 
des  personnes.  C'est  dans  ses  diatri- 


aoo  WOC) 

Les  que  Voltaire  a  fait  une  ample 
récolte  pour  les  nombreux  écrits 
dont  il  a  inonde  la  France,  pendant 
la  dernière  moitié  de  sa  longue  car- 
rière. L'orage  qui  s'était  e'ievc  con- 
tre Woolston  ne  se  termina  pas  par 
de  simples  réfutations  de  ses  erreurs. 
L'université'  de  Cambridge  le  raya 
de  la  liste  de  ses  membres  _,  et  le 
priva  des  émoluments  de  sa  place  au 
collège  de  Sidney.  Le  procureur- gé- 
ne'ral  de  la  couronne  le  dénonça  au 
banc  du  roi ,  où  il  fut  condamné  à 
vingt-cinq  livres  sterling  d'amende 
pour  chacun  des  six  discours  ,  et  à 
tenir  prison  pendant  un  an  ,  au  bout 
duquel  il  ne  pourrait  être  mis  en 
liberté  qu'en  fournissant  deux  cau- 
tions de  mille  livres  sterling ,  ou  qua- 
tre cautions  de  cinq  cents  livres  cha- 
cune. Personne  n'ayant  voulu  répon- 
dre pour  lui,  il  resta  en  prison  jusqu'à 
sa  mort,  arrivée  le  2 1  janvier  1 78 1 . 
Son  dernier  soupir  fut  plus  tran- 
quille que  ne  l'avait  été  toute  sa  vie. 
«  Voici  le  terme  où  tout  homme 
»  doit  arriver,  dit-il  à  sa  garde  j  je 
»  supporterai  cette  épreuve  ,  non- 
»  seulement  avec  patience  ,  mais  en- 
»  core  sans  répugnance.  •»  Il  expira 
en  prononçant  ces  dernières  paroles, 
après  s'être  fermé  les  yeux  et  les  lèvres 
avec  ses  doigts ,  afin  ,  dit-il ,  de  mourir 
plus  décemment.  C'est  principale- 
ment à  ses  fameux  discours  contre 
les  miracles  ,  que  Woolston  a  dû  sa 
grande  renommée  parmi  les  philoso- 
phes incrédules.  Voltaire,  en  recueil- 
Jant  ce  qu'ils  contiennent  de  plus 
propre  à  décrier  ceux  du  Nouveau- 
Testament,  s'est  appliqué  à  leur  don- 
ner un  travestissement  burlesque  , 
qui  enchérit  sur  les  impiétés  de  l'au- 
teur anglais.  Tout  en  paraissant  blâ- 
mer le  ton  grossier  et  le  style  indé- 
cent de  ce  maniaque ,  il  en  annonce 
l'ouvrage  comme  plein  de  vigueur  , 


00 

et  laisse  apercevoir  une  secrète  com- 
plaisance à  remettre  sous  les  yeux 
des  lecteurs  français  les  phrases,  les 
expressions  ,  les  traita  licencieux  et 
satiriques  qui  découlent  avec  abon- 
dance de  l'imagination  extravagante 
du  philosophe  anglais.  On  trouve 
de  plus  amples  détails  sur  la  per- 
sonne ,  les  ouvrages  et  les  systèmes 
de  Woolston  dans  le  second  tome 
de  V  Histoire  du  philosophisme  ari' 
i^lais ,  par  l'auteur  de  cet  article. 

T— D. 

WOOLTON  (  John  ),  évêque  an- 
glican ,  ué ,  en  \  535 ,  à  Wigan  en 
Lancashire,  était  neveu  du  célèbre 
doyen  Nowell.  Il  étudiait  au  collège 
de  Brasennose  ,  dans  l'université 
d'Oxford  ,  lorsque  la  persécution  re- 
ligieuse Tobligea  d'aller ,  en  1 555  , 
joindre  en  Allemagne  son  oncle  qui 
s'y  était  réfugié  )  mais  l'avèneraerit 
d'Elisabeth  au  trône  l'ayant  ramené 
dans  sa  j)atrie ,  il  y  fut  nommé  cha- 
noine d'Exeter,  et  plus  tard  curé  de 
Spaxton ,  dans  le  diocèse  de  Wells. 
Ses  connaissances  théologiqués  et  le 
zèle  qu'il  manifestait  en  chaire  lui 
valurent  de  l'avancement  dans  sa 
carrière  ,  tandis  que  son  dévouement 
pendant  la  peste  qui  ravagea  Exeter 
lui  gagna  les  cœurs  de  ses  conci- 
toyens. Il  fut  élu ,  en  15^5^  gardien 
du  collège  de  Manchester ,  et ,  en 
1579,  fut  sacré  évêque  d'Exéter.  Ce 
prélat  ,  plein  d'activité  ,  dictait 
encore  à  un  secrétaire  deux  heures 
avant  sa  mort.  S'appliquant  le  mot 
de  Vespasien_,  il  disait  qu'un  évêque 
doit  mourir  debout  j  et  ce  fut  en 
elFet  ainsi  qu'il  expira ,  en  1 594. 
La  vigilance  qu'il  exerçait  dans  son 
diocèse  l'avait  exposé  à  l'animosité 
de  ceux  qui  étaient  intéressés  au 
maintien  des  abus ,  et  ce  sentiment 
se  manifesta  par  une  suite  d'accusa- 
tions qui  se  trouvent  consignées  dans 


WOR 

Tappendix  de  la  vie  de  l'archevêque 
Parker ,  par  Strype  ,  mais  l'cvê- 
qiic  d'Exeter  se  justifia  complète- 
ment. Il  est  auteur  de  quelques  trai- 
tes de  théologie  publies  dans  les  an- 
nées iS-jG  et  ^5']']  y  entre  autres: 
le  Manuel  du  Chrétien  :  de  la  Cons- 
cience ;  V Immortalité  de  Vame  ; 
la  Forteresse  des  fidèles.  L'une  de 
ses  filles  épousa  Tevcque  Godwiii  , 
à  qui  l'on  doit  quelques  ouvrages 
historiques  et  biographiques.       L. 

WORGESTER  (le  marquis  de). 
V.  Newcomen. 

WORGAN  (John  Dawes),  poète 
anglais ,  a  laisse!  quelques  produc- 
tions qui  annonçaient  un  talent  dis- 
tingue ,  mais  qui  n'eut  pas  le  temps 
de  mûrir ,  et  doit  être  ainsi  considère 
comme  un  des  esprits  les  plus  préco- 
ces de  l'Angleterre.  Le  célèbre  doc- 
teur Jeûner  ,  inventeur  de  la  vaccine, 
dans  la  maison  duquel  il  demeurait, 
çn  qualité  de  gouverneur  particulier 
de  ses  enfiinls ,  avait  de  bonne  heure 
démêlé  ses  heureuses  dispositions, 
mais  avait  en  même  temps  prévu  sa 
fin  prématurée ,  suite  d'un  dévelop- 
pement trop  rapide  des  facultés  de 
l'esprit.  Worgan  mourut  au  mois  de 
juin  1809,  n'étant  âgé  que  de  dix-neuf 
ans.  On  a  publié  ,  après  sa  mort ,  un 
Choix  de  ses  poésies  (Select  poems), 
181 '2,  en  un  volume  in -S*'.,  qui  a 
eu  plusieurs  éditions.  Z. 

WORLIDGE (Thomas),  peintre 
anglais  ,né  en  i-joo  à  Péterborough^ 
dans  le  comté  de  Norlhampton  ,  et 
mort  à  Hamraersmith  le  iZ  sept. 
i-jGG  ,  mérita  par  ses  talents  le  sur- 
nom de  Rembrandt  anglais.  Sa  mère, 
restée  veuve  avec  une  fortune  consi- 
dérable y  lui  lit  apprendre  le  dessin 
et  la  peinture  sous  Grimaldi ,  et  en- 
suite sous  Louis  Boitard  ,  qui  le  con- 
duisit même  en  Hollande  et  en  Flan- 
dre. Malgré  les  leçons  et  les  encou- 


WOR  -201 

ragemenls  de  ces  maîtres  habiles , 
Worlidgene  voulut  point  s'adonner 
aux  genres  les  plus  élevés  de  la  pein- 
ture j  et  peut-être  eut-il  raison.  ]ja 
plus  grande  partie  de  sa  vie  se 
passa  à  peindre  la  miniature.  11  lit 
ensuite  divers  essais ,  tous  égale- 
ment infructueux  ,  pour  l'exécu- 
ter à  l'huile.  On  estime  beaucoup  ses 
copies  et  ses  têtes  à  la  mine  de  plomb. 
Gependant  il  faut  avouer  que,  si  quel- 
ques-unes méritent  d'être  distinguées, 
d'autres  sont  très -médiocres.  C'est 
surtoutà  son  talent,  comme  graveur, 
que  Worlidge  doit  sa  réputation.  On 
a  de  lui  une  infinité  de  gravures  à 
l'eau-forte  ,  et  dans  le  goût  de  Rem- 
brandt. Les  plus  recherchées  sont 
celles  qu'il  a  réunies  sous  le  titre  de 
Collection  choisie  de  dessins  tirés 
des  pierres  précieuses  antiques ^pour 
la  plupart  dans  la  possession  de  la 
grande  et  petite  noblesse  du  royau- 
me ,  gravées  à  la  manière  de  P. 
iTemhrandt ,  Londres  ,  1  768,  2  vol. 
petit  in-fol.  Cet  ouvrage  par  lequel 
Worlidge  mit  lin  à  sa  carrière  est 
magnifiquement  exécuté ,  et  se  com- 
pose de  cent  quatre-vingts  planches  , 
non  compris  le  portrait  qui  est  à  la 
tête  du  premier  volume,  la  Méduse 
placée  vis-à-vis  du  tome  11 ,  et  la 
dernière  figure  quireprésente^ercw/e 
étouffant  un  Z^'o^î.  Quoiqueportant  le 
millésime  de  1768,  cette  collection 
n'a  réellement  paru  telle  que  nous 
venons  de  l'annoncer  qu'après  1780, 
et  par  conséquent ,  quinze  ans  après 
la  mort  de  l'auteur.  Un  certain  nom- 
bre d'exemplaires  avaient  été  tirés 
auparavant ,  mais  sur  petit  format 
et  sans  texte ,  de  sorte  que, malgré  la 
supériorité  des  épreuves  ,  cette  pre- 
mière masse  d'exemplaires  est  moins 
recherchée.  -Quelques  amateurs  ce- 
pendant ont  augmenté  la  valeur  de 
la  collection,  en  y  joignant  le  texte 


2oa  WOR 

qui  parut  douze  ans  après  l'appari- 
tion de  l'ouvrage.  On  doit  concevoir 
d'après  cela  pourquoi  le  libraire, 
ayant  à  cœur  de  faire  passer  le  tirage 
de  1780  pour  l'édition  originale  , 
fit  antidater  les  nouveaux  exem- 
plaires qu'il  livrait  au  public.  Plu- 
sieurs artistes  anglais  ont  clierche' 
à  contrefaire  la  manière  de  Worlidge, 
et  y  ont  si  bien  réussi  que  les  ama- 
teurs ont  peine  à  distinguer  des  es- 
tampes contrcf.ùtes  celles  qui  appar- 
tiennent véritablement  à  ce  maître. 

P OT. 

WORM  (Olaijs),  en  latin  iror- 
mius ,  savant  danois  ,  ne  ,  le  1 3  mai 
i588,  dans  la  ville  d'Arhus  en 
Jutland ,  étudia  d'abord  les  langues 
grecque  et  latine  à  Lunebourg .  d'où 
il  partit,  en  i6o5  ,  après  un  séjour 
de  six  ans  ,  pour  visiter  les  universi- 
tés de  Marpourg,  de  Giessen ,  de 
Strasbourg  ,  de  Baie  et  de  Padoue. 
11  s'y  livra  principalement  à  la  mé- 
decine, fréquenta  les  leçons  de  Zwin- 
ger,  de  Baubin  et  de  Plater;  se  fit 
connaître  d'Acquapendente,  et  par- 
tout se  fît  remarquer  par  la  vivacité 
de  son  esprit  et  son  infatigable  amour 
du  travail.  Se  dirigeant  ensuite  vers 
la  route  du  Danemark ,  il  passa  par 
Montpellier ,  fit  un  séj  our  de  quelques 
mois  à  Paris  ,  où  il  se  lia  avec  Ca- 
saubon  et  Riolan  ;  parcourut  la  Hol- 
lande _,  et  enfin  arriva  à  Copenhague. 
Il  n'y  resta  que  peu  de  temps ,  et  re- 
tourna à  Marpourg ,  d'où  il  passa  à 


Bâle 


pour  p 


rendre  le  bonnet  de  doc- 


teur dans  la  faculté  de  médecine, 
puis  en  Angleterre.  Revenu  dans  la 
capitale  du  Danemark  en  i6i3,  il 
occupa  successivement ,  dans  le  col- 
lège de  cette  ville ,  la  cliaire  de  lan- 
gue grecque  y  celle  de  physique  et  en- 
fin celle  de  médecine,  daujj  laquelle 
il  ne  se  distingua  pas  moins,  par  l'é- 
clat de   son  enseignement  ,   que  le 


WOR 

célèbre  Gaspard  Barlholin  ,  son 
prédécesseur.  Peu  de  temps  après ,  il 
devint  chanoine  de  Lunden  et  méde- 
cin du  roi  Chrisliern  V.  On  lui  doit 
la  découverte  des  petits  os  qui  se  dé- 
veloppent quelquefois  accidentelle- 
ment le  long  de  la  suture  lambdoïde , 
et  qui ,  pour  cette  raison,  ont  retenu 
le  nom  cVos  wormiens.  Worm  n'é- 
tait pas  moins  versé  dans  la  juris- 
prudence et  l'histoire  que  dans  la 
médecine.  11  était  surtout  très  -  pro- 
fond dans  la  connaissance  des  anti- 
quités danoises 5  et  il  en  avait  formé 
un  cabinet  extrêmement  curieux.  Il 
exerçait  les  fonctions  de  recteur  de 
l'académie  de  Copenhague,  lorsqu'il 
mourut  le  7  septembre  i654.  On  a 
de  lui  un  grand  nombre  d'ouvrages 
très-  estimés  ,  et  presque  tous  de  la 
plus  haute  importance  pour  l'histoi- 
re politique  ,  ecclésiastique  et  litté- 
raire du  Danemark.  Voioi  les  ti- 
tres des  principaux  :  I.  Selecta  con- 
trôle rsiarum  medicarum  centuria  y 
Bâle  ,  161 1 ,  in-4'*.  H.  Qiiœstionum 
Hesiodicarum  Heptades  diiœ ,  Co- 
penhague, 1616  ,  in-40. 111.  Quœs- 
tionum  miscellanearum  decas ,  Co- 
penhague, i6-22 ,  in-4".IV  Histo- 
ria  J\orivegica ,  Copenhague,  1 628, 
in- 4*^-  V.  Commenlaria  in  libres 
Aristotelis  de  mundo  ,  Rostoch , 
1625,  in-80.  VI.  Institutionum 
medicarum  epitome  ,  Copenha- 
gue, 1640,  in -4°'  ^11-  Rcgum 
Daniœ  séries  duplex ,  et  limitum 
inter  Daniam  et  Sueciam  descrip- 
tio ,  Copenhague,  1642.  VllI.  Da- 
nicorum  monumentoium  lib.  vi ,  è 
spissis  antiquitatum,  tenehris  eruti  y 
Copenhague ,  ifi^S  ,  in-fol.  IX.  Fas- 
ti  Danici  ^UTiivcrsam  tempora  com- 
putandi  rationem  antiquitùs  in  Da- 
nid  et  vicinis  regionihus  observa- 
tam  exhibentes  (  en  trois  livres  ), 
Copenhague,  1 643 ?  in-fol.  X.  Spe- 


à 


WOR 

cimen  lexici  runici  ,  Copenhague  , 
i65o  ,  iii-fol.  XI.  Runica ,  seu  Da- 
nica  littcratura  anliquissima ,  Go- 
thica  dicta ,  ciim  dissertaticne  de 
priscd  Danorum  poesi ,  Co])enliagiie, 
1 652  .XI I .  Historia  aniinalisquodin 
Norwegid  quandoque  è  nuhibus  de- 
cidit  et  sata  et  gramiim  depascitur, 
Copenhague,    it)53  ,    in-4*'.   Liniië 
a  ëcîairci  cette  histoire  dans  les  Actes 
de  Stockholm  et  les  Transactions  phi- 
losophiques.   XllI.  De  renum  offi- 
cio  in  reniedicd  et  venered ,  1670, 
iii-80.,  avec  la  dissertation  de  Jh. 
Bartholin  ,  Deusii  flagrorum.  Nous 
joindrons    à    cette    nomenclature  , 
d'une  part,  les  deux   opuscules   in- 
titules :    Talshoi  ,   seu    moniimen- 
tum   stroense   in   Scanid ,    Copen- 
hague,   i6'i8  ,    in-4*'.^    et   Monu- 
mentum    trigwaldense  ,    Copenha- 
gue ,  1 636 ,  in  -  4**. ,  et  de  l'autre ,  le 
Musœum    JVormianmn  ,    l.eyde  , 
i655  ,  in -fol.,   fig.  ;    description 
précieuse  des  choses  rares,  soit  na- 
turelles, soit  artificielles,  danoises  et 
étrangères  ,  tpi'il  avait   rassemblées 
dans  son  cabinet.  C<'t  ouvrage,  dont 
toutes  les  données  utiles  ont  depuis 
long-temps    passé    dans    l'histoire, 
l'archéologie  et -la  science  ethnogra- 
phique, et  qui  a  été  publié  par  le  fils 
de  l'auteur,  semble  avoir  perdu  de  son 
prix ,  et  ne  figure  maintenant  que 
dans  les  bibliothèques  de   quelques 
curieux  ou  des  antiquaires  de  pro- 
fession. Voyez, pour  plus  de  détails, 
VÉlcge  de  VV  orm  ,  dans  Thom.  Bar- 
tholin, Cista  medica;  Moller,  Hj" 
pomnemat.  ad  BarlhoL ,  pag.  355 
et  suiv.,  et  Alb.  Bartholin ,  Tractât. 
de  scriptis  Danorum.  R-d-n  et  P-ot. 
WORM  (GuiLLAifME),  fils  du 
précédent,  naquit,  le  11  septembre 
l633  ,  à  Copenhague,  011  il  fit  ses 
études  médicales,  sous  la  direction 
de  son  père  et  de  Thomas  Bartholin. 


WOR 


:io3 


Il  alla  les  achèvera  Leyde,  et  voya- 
gea ensuite  dans  les  Pays  -  Bas  ,  en 
Angleterre,  en  France,  en  Italie,  et 
reçut  le  bonnet  de  docteur  à  Padoue^ 
en  1637.  Il  accompagna  ,  plus  tard;, 
le  célèbre  Pierre  de  Castro  à  Mantoue, 
et  reçut  de  lui  de  très -utiles  leçons. 
Hevenu  dans  sa  patrie,  il  y  exerça  la 
médecine  avec  beaucoup  de  distinc- 
tion ,  et  fut  nommé  successivement 
professeur  de  physique  expérimenta- 
le, historiographe  du  roi  et  président 
du  tribunal  suprême  de  justice.  Ce 
fut  lui  qui  publia  le  Catalogue  des 
monuments  rassemblés  dans  le  cabi- 
net de  son  père  (F^.  l'art,  précédent). 
11  mourut  en  1 704.  On  a  de  lui  deux 
Lettres  en   latin  sur  les  vaisseaux 
lymphatiques    et   le    réservoir  du 
chyle  ,  qu'il  écrivit  de  Leyde  _,   en 
i653  et  i654,  à  T.  Bartholin,  et 
qui  ont  été  publiées  dans  la  seconde 
centurie  Aç  cc\u\-ci.  Tj. 

WOROIN  ZOW  (  Michel  -  L arîo- 
HowiTCH,  comte  de)  ,  grand-chan- 
celier de  l'empire  russe,  naquit  à 
Pétersbourg ,  en  1 7  t  o ,  d'une  ancien- 
ne et  illustre  famille.  Un  de  ses  an- 
cêtres, Alexandre  Weljaminowitch  , 
s'était  fait  remarquer,  dans  le  dix- 
septième  siècle,  par  des  actions  d'é- 
clat ,  en  combattant  les  kalmoucks. 
Larion  Woronzow ,  major-général, 
qui  mourut  en  1750  ,  était  père  de 
Michel.  Celui-ci  fut  un  des  favoris  de 
l'impératrice  Elisabeth  ,  qui  le  nom- 
ma ,  en  1744?  vice-chancelier  de 
l'empire ,  et  le  combla  de  toutes  sor- 
tes de  bienfaits.  Woronzow  dirigeait 
toutes  les  grandes  affaires  dans  le 
département  de  l'intérieur  et  dans 
celui  des  relations  étrangères.  Son 
crédit  augmenta  encore  sous  Pierre 
lit ,  par  l'influence  de  sa  nièce , 
maîtresse  de  ce  prince.  Il  se  trou- 
vait à  Oranienbaum  ,  lorsque  la 
conjuration    ourdie   par    Catherine 


iio4  WOR 

cclala  à  Pelersbouri? ;  et  il  eut  le 
courage  de  demander  à  l'empereur 
l'ordre  de  se  rendre  auprès  de  cette 
p-rincesse,  afin  de  la  faire  rentrer 
dans  le  devoir  par  des  représenta- 
tions. Cet  ordre  lui  fut  bientôt  don- 
ne y  mais  ,  comme  on  le  pense ,  ses 
discours  n'eurent  aucun  elfet  auprès 
de  Catherine  ,  dès-lors  trop  avancée 
pour  reculer  dans  son  entreprise. 
Voyant  bientôt  que  toutes  les  proba- 
bilités étaient  en  faveur  des  ennemis 
de  Pierre ,  et  sentant  combien  sa  po- 
sition était  fausse  ,  le  chancelier  se 
jeta  aux  pieds  de  celle  qui  allait  de- 
venir souveraine ,  et  lui  prêta  ser- 
ment, en  disant  :  «  Je  vous  servirai 
»  au  conseil  ;  mais  je  vous  suis  inu- 
»  tiieau  combat.  Ma  présence  pour- 
»  rait  même  y  déplaire  h  vos  amis. 
»  Pour  ne  pas  leur  faire  ombrage, 
w  je  supplie  votre  majesté  de  me 
»>  laisser  dans  ma  maison  sous  la 
»  garde  d'un  ofticier.  »  Catherine  y 
consentit  j  et  Woronzovv  se  trouva 
dès-lors  sinon  au-dessus  des  repro- 
ches de  trahison  et  d'hypocrisie  ,  du 
moins  à  l'abri  des  vengeances  du 
parti  de  l'impératrice  et  des  soup- 
çons de  l'empereur.  Bien  plus,  lors- 
que la  révolution  fut  achevée ,  et  que 
le  trône  fut  assuré  à  Catherine  ,  il 
rentra  dans  ses  fonctions  de  chance- 
lier, et  parut  même  jouir  de  quelque 
faveur.  Mais  ayant  voulu  faire  des 
représentations  à  l'impératrice  sur 
le  projet  qu'elle  avait  formé  d'épou- 
ser Orlolï",  il  vit  cette  princesse  se 
refroidir  à  son  égard  ,  et  prévint  une 


WOR 

mrrce  sous  Catherine  II.  11  signa  ,  en 
cette  qualité  ,  plusieurs  traités  avec 
l'Angleterre  et  les  différentes  puis- 
sances du  Nord,  en  1792  et  1793, 
et  fut  ensuite  ministre  de  Russie  à 
Londres.  Rappelé,  sous  le  règne  de 
Paul  1^1 . ,  il  vécut  dans  la  retraite  , 
et  ne  rentra  en  crédit  que  s  ous  A  lexa n- 
dre ,  qui  le  nomma  ministre  des  af- 
faires étrangères  et  chancelier  de 
l'empire ,  dignité  que  le  comte  Wo- 
ronzow  conserva  jusqu'à  sa  mort ,  ar- 
rivée en  déc.  i8o5.  C'était  un  homme 
instruit  et  d'une  grande  habileté , 
mais  fort  irascible,  et  ne  sachant 
pas  toujours  garder  la  mesure  qu'exi- 
gent les  affaires  de  la  diplomatie.  — 
WoRONzow  (  Elisabeth  Romanow- 
na  ) ,  sœur  du  précédent ,  et  de  la 
princesse  DaschkotF,  fut  maîtresse  de 
Pierre  III,  lorsqu'il  n'était  encore  que 
grand-duc ,  et  devint  comtesse  et  fa- 
vorite en  titre,  lorsque  ce  prince  fut 
monté  sur  le  trône.  L'empereur  mê- 
me se  proposait  de  répudier  Cathe- 
rine pour  épouser  son  amante;  et  l'on 
ne  peut  douter  que  cette  promesse,  im- 
prudemmentdivulguée ,  n*ait  précipi- 
té la  catastrophe  qui  termina  la  puis- 
sance et  la  vie  de  ce  malh  eureux  prin- 
ce (r.  Pierre  m, XXXIV  ,  36r).  A 
cette  terrible  époque,  la  comtesse 
Woronzovv  ne  sut  donner  aucun  bon 
avis  à  son  timide  amant  ;  et ,  tandis 
que  sa  sœur  cadette  dirigeait  par  ses 
conseils  et  son  exemple  le  triomphe 
de  Catherine,  les  soldats  la  dépouil- 
lèrent de  son  cordon ,  qui  fut  à  l'ins- 
tant  même    donné    à   la    princesse 


disgrâce  absolue  en  demandant  sa     Daschkofï'C  ^.  Catherine  11 ,  VII 


retraite.  Ce  ministre  ne^^manquait  ni 
de  courage,  ni  d'habileté;  il  mourut 
à  Pétersbourg  le  1 5  février  1767.^ 
—  WoRONZow  (  le  comte  Alexan- 
dre ) ,  neveu  du  précédent ,  était 
fils  d'un  sénateur,  et  fut  ministre 
ou  président  du  département  du  coni- 


384  )•  Kxi'ee  par  l'impératrice  à 
quelques  lieues  de  Moscou  ,  elle  fut 
bientôt  rappelée,  et  mariée  à  l'ami- 
ral Palenski.  Dès  ce  moment,  elle  se 
conduisit  avec  beaucoup  de  sagesse  j 
et  plus  tard  sa  fdle  devint  dame 
d'honneur  de  Catherine  II.     M-d  j. 


WOR 

WORSLEY  (John),  auteur  an- 
glais ,  se  distingua  particulière- 
ment comme  helléniste.  On  a  de 
lui  une  Traduction  du  Nouveau- 
Testament  ,  accompagnée  de  notes, 
I  -j-jo  ,  in-8».  Il  était  chef  d'une  mai- 
son d'éducation  établie  à  Herlford , 
et  que,  après  lui ,  son  (ils ,  également 
nommé  John  Worsley,  continua  de 
diriger  pendant  trente  ans.  Celui  -  ci 
publia  ,  en  1770,  in-H». ,  une  Gram- 
maire  de  la  tangue  latine ,  estimée 
pour  la  simplicité  et  la  clarté  des  ex- 
plications ,  et  un  Paradigme  des 
verbes  français.  11  mourut  en  1 807 , 
âgé  de  soixante-dix  ans.  Z. 

WORSLEY  (  Sir  Richard  ),  his- 
torien anglais,  né  dans  l'île  de  Wight 
en  1751,  mourut  en  i8o5  ,  après 
avoir  passé  la  plus  grande  partie  de 
sa  vie  dans  des  négociations  diplo- 
matiques. On  a  de  lui  deux  ouvrages 
eslimés  :  L  Histoire  de  Vile  de 
Wight  ,  Londres  ,  1781  ,  in-4'\  , 
lig.  II.  Muséum  fVorslejanum  on 
Collection  de  bas-reliefs  antiques  , 
de  bustes  ,  de  statues  ,  de  pierres 
précieuses  gravées,  avec  les  vues  de 
plusieurs  places  du  Levant ,  prises 
sur  les  lieux  dans  les  années  1 780 , 
86  et  87  ,  Londres  (de  l'impress.  de 
Bulmer)  ,  1794-1803,  2  vol.  gr. 
in-fol.  Ce  recueil,  dont  le  titre  indi- 
que suihsauiment.le  contenu  ou  l'ob- 
jet, n'est  pas  seulement  recommanda- 
liîe  par  son  mérite  réel ,  il  se  distin- 
gue de  plus  parmi  toutes  les  collec- 
tions de  ce  genre,  parlamagniljcence 
avec  laquelle  il  est  exécuté  ,  et  qui  en 
fait  un  des  chefs-d'œuvre  de  l'art 
typographique  et  de  la  chalcogra- 
phie réunis.  Les  pierres  gravées  de 
Mariborough,  seul  ouvrage  digne  de 
lui  servir  de  pendant ,  ne  peuvent 
pourtant  pas  lui  être  comparées  pour 
le  fini  et  le  précieux  de  l'cxccu- 
.  tion.  On  peut  ajouter  à  cela   que  le 


WOR  2o5 

livre  est  d'une  extrême  rareté  , 
n'ayant  été  tiré  ,  suivant  une  lettre 
de  l'auteur  ,  qu'à  cinquante  exem- 
plaires (  à  deux  cents  ou  deux  cent 
cinquante  selon  quelques  bibliogra- 
phes ).  La  dépense  totale  de  l'im- 
pression fut  de  vingt-sept  raille  li- 
vres sterling  (  plus  de  six  cent  mille 
francs).  Le  texte  est  en  anglais  et  eu 
français.  Mais  il  ne  se  trouve  pas 
dans  une  partie  des  exemplaires  du 
second  volume.  L'auteur  annonçait 
en  outre  un  Appendix  qui  devait 
contenir  un  catalogue  descriptif 
des  marbres  ,  pierres  gravées  ,  pein- 
tures et  dessins  non  iigurés  dans 
l'ouvrage.  La  partie  la  plus  essen- 
tielle de  sa  collection  est  la  réunion 
de  cent  cinquante  gravures  dont 
les  dessins  ont  été  exécutés  par 
d'habiles  artistes  anglais  et  italiens. 
Les  plans  des  villes  du  Levant  sont 
aussi  très-beaux.  On  peut  consulter 
sur  le  Muséum  TVorslefanum  M. 
Dibdin  ,  Bibliomania  ,  pag.  7  12,  et 
M.  Savage  (  Librarian  ,  tom.  i  )  qui 
en  donne  une  description  très-dé- 
taillée.  P OT. 

WORTHINGTON  (  Thomas  )  , 
naquit  vers  le  milieu  du  seizième  siè- 
cle ,  à  Blainscough ,  dans  le  comté 
de  Lancastre  ,  d'une  famille  noble  et 
ancienne.  Son  père  était  catholique; 
mais  ,  dominé  par  la  crainte  ,  ou  en- 
traîné par  l'etrervescence  du  temps  , 
il  assistait  aux  cérémonies  de  la  reli- 
gion anglicane  ,  conformément  aux 
ordonnances  de  la  reine  Elisabeth. 
Le  jeune  Worthington  commença 
ses  études  à  l'université  d'Oxford, 
dont  il  se  détacha  ensuite  par  aver- 
sion pour  les  principes  hétérodoxes 
qu'on  y  enseignait.  Il  se  rendit  ,  en 
1573  ,  à  Douai,  au  collège  des  An- 
glais ,  fondé  par  le  cardinal  Alan 
(  P^oj^,  ce  nom  ) ,  où  il  reçut  le  grade 
de  bachelier  en    théologie  ;   puis  à 


2o6  WOR 

Reims  ,  où  il  fui  eleve  au  sacerdoce. 
Alors  ses  supérieurs  le  renvoyèrent 
dans  sa  patrie  ,  pour  y  travailler  au 
rétablissement  de  la  religion.  Le  re- 
toiu'  de  Worthington  alarma  son 
père ,  qui ,  edrayè  par  les  èdils  sé- 
vères publiés  contre  ceux  qui  recèle- 
raient des  prêtres  catholiques ,  épiait 
toutes  ses  démarches  ,  dans  l'inten- 
tion ,  s'il  était  découvert ,  de  le 
remettre  lui-même  entre  les  mains 
des magistrats.'Wortliington, par  sa 
prudence  ,  évita  cet  imminent  dan- 
ger ;  ii  procura  même  un  asile,  clans 
des  maisons  sûres,  à  Edm.  Campian 
(  Fof.  ce  nom  ) ,  et  parvint  ainsi  à 
le  soustraire  pendant  quelque  temps 
aux  reclierches  dont  il  était  l'objet. 
Après  le  supplice  de  ce  missionnaire, 
Worthington  resta  encore  deux  ans 
en  Angleterre,  et  il  eut  le  bonheur  de 
ramener  à  la  communion  romaine 
quatre  de  ses  neveux  ,  avec  lesquels 
il  se  préparait  à  passer  en  France  , 
lorsqu'un  jeune  homme  ,  à  qui  il 
avait  rendu  des  services,  le  dénonça, 
et  le  fît  arrêter  à  Islington  ,  en  1 5<S4. 
On  le  conduisit,  chargé  de  chaînes  , 
à  la  Tour  de  Londres ,  où,  sur  l'ac- 
cusation de  sortilège  ,  on  le  tint  au 
secret  pendant  plus  de  deux  mois. 
Enfin,  après  une  dure  captivité  ,  il 
fut  condamné  à  la  déportation  ,  avec 
p'usieurs  autres  catholiques.  En  1 588 
Worthington  fut  reçu  docteur  en 
théologie  à  Trêves  ;  mais  il  quitta 
bientôt  cette  ville  pour  aller  donner 
des  leçons  aux  élèves  du  séminaire 
anglais  de  Reims.  Plus  tard  ,  le  car- 
dinal Alan  le  fit  nommer  premier 
aumônier  dans  l'armée  de  Philippe 
Il ,  roi  d'Espagne,  emploi  qu'il  exer- 
ça de  manière  à  s'attirer  le  respect 
et  raffection  des  militaires.  11  profi- 
tait de  ses  moments  de  loisir  pour 
composer  des  ouvrages  théologiques , 
et  succéda  au  docteur  Barct  dans  la 


WOR 

place  de  président  du  collège  de 
Douai.  Étant  allé  à  Rome  ,  il  en  re- 
vint avec  le  titre  de  protonotairc 
apostolique,  et  fut  ensuite  nommé 
assistant  de  l'archi prêtre  d'Angle- 
terre, c'est-à-dire  adjoint  au  com- 
missaire du  Saint-Siège  dans  ce  pays. 
Déjà  avancé  en  âge  ,  il  sollicita  et 
obtint  d'être  admis  dans  l'institut  des 
jésuites  ;  mais  il  mourut  dans  le  comté 
de  Derby,  vers  1626  ,  avant  d'avoir 
fait  profession.  Un  article  lui  est  ce- 
pendant consacré  dans  la  Bihlioth. 
Soc.  Jesu.  Voy.  aussi  Pils,  De  illust, 
jingUœ  scriptor. ,  pag.  808  ;  et  Mar- 
racci ,  Bihlioth.  mariana  ,  11 ,  tyii. 
On  a  de  Worthington  :  L  Une  Épî- 
tre  latine  à  son  frère.  IL  De  mys- 
teriis  Rosarii ,  Anvers  ^1610.  IIL 
Une  traduction  de  l'anglais  en  latin 
des  Motifs  du  docteur  Rich.  Bristow 
(  f^qf.  ce  nom),  Arras ,  1606; 
Douai ,  1608,  in  4"«  IV.  Catalogus 
martjrum  in  Anglid  ab  anno  iSyo 
uscjiie  adannwn  i(ii'2  ,  cum  narra- 
tioiie  de  origine  seminariorum  an- 
gloruTH.  V.  L'ancre  de  la  doctrine 
chrétienne  ^  en  anglais.  VI.  Une 
version  anglaise  de  i'Ancien-Testa- 
ment  ,  avec  des  notes.  VIL  Un 
Traité  contre  Whyte ,  où  sont  réta- 
blis les  passages  des  Saints  Pères  al- 
térés parce  docteur  calviniste,  i6i5  , 
in-4'^. ,  en  anglais.  P — rt. 

WORTHINGTON  (  John  ) ,  théo- 
logien anglican ,  né  à  Manchester 
en  1618,  fit  ses  études  au  collège 
Énianuel  de  Cambridge,  où  il  fut 
agrégé.  Richard  «Sterne  ,  qui  fut  de- 
puis archevêque  d'York,  ayant  été 
dépouillé,  dans  ces  temps  de  trouble 
et  de  suspicion,  du  principalat  du 
collège  de  Jésus ,  Worthington  reçut 
l'offre  de  celte  place ,  que  son  pen- 
chant pour  la  retraite  lui  rendait  peu 
désirable  j  et  il  ne  l'accepta  que  pour 
la  remettre  à  sou  prédécesseur ,  ans- 


WOR 

sitôt  que  la  restauration  fut  arrivée. 
Il  desservit  succcssivemenr.  plusieurs 
cures,  entre  autres  celle  de  Saiut-Bc- 
iie't-Fink ,  depeiidaut  de  l'église  de 
Windsor,  où  il  montra  du  dévoue- 
ment à  ses  devoirs  pendant  la  j)estc 
de  i665.  Il  mourut,  le  !26  novembre 
167  I  ,  à  Hackney ,  où  il  avait  l'em- 
ploi de  lecteur  en  théologie.  Son  goût 
pour  divers  genres  de  connaissances 
l'avait  rais  en  correspondance  avec  le 
savant  Samuel  IJarllib.  L'ëvêque 
Fovvler  a  publié  à  Londres,  en  i  704, 
in-S'^. ,  les  Mélanges  du  docteur  John 
Worlhington  ;  et  le  fils  de  ce  dernier 
a  donné,  en  I7'25,  Londres,  in-S"^. , 
ses  Discours  choisis.  Plusieurs  de  ses 
Lettres  ont  été  imprimées  dans  le 
B.f'gister  and  chromcle  de  l'évêque 
Kennet.  L. 

WORTHINGTON  (William), 
théologien  anglais  ,  né  en  i^oS  , 
dans  le  comté  de  Merioneth  ,  lit  ses 
études  au  collège  de  Jésus  ,  de 
l'université  d'Oxford,  auquel  il  fut 
par  la  suite  agrégé.  Il  fut  quelque 
temps  maître  d'étude  à  l'école  d'Os- 
westry,  où  son  éducation  avait  com- 
mencé. Ses  qualités  morales  et  son 
vaste  savoir  lui  méritèrent  l'estime 
et  la  bienveillance  de  rlare,  alors 
évêquede  Saint-Asaph  ,  qui  lui  con- 
féra le  vicariat  de  Llanyblodwell  , 
dans  le  comté  de  Salop,  et  plus  tard 
le  transféra  de  là  dans  une  autre 
cure  du  comté  de  Denbigh.  Ce  pré- 
lat, instruit  de  .^a  libéralité  impré- 
voyante qui  lui  laissait  à  peine  de 
quoi  subsister  ,  lui  donna  un  canoni- 
cat  dans  sou  église,  et  une  sinécure  , 
aiin  (ju'il  put  satisfaire  son  noble 
penchant,  sans  s'imposer  de  rude<  pri- 
vations. L'archevêque  Drummond , 
dont  il  avait  été  chapelain  pendant 
plusieurs  années,  lui  donna  aussi  une 
prébende  dans  la  cathédrale  d'York. 
Ce  théologien,  qui  mourut  le6octo- 


WOT 


207 


bre  1778,  vivement  regretté,  est 
auteur  d'un  grand  nombre  d'écrits, 
entre  lesquels  nous  citerons  les  sui- 
vants :  I.  Essai  sur  la  rédemp- 
tion du  genre  humain  ,  suivi  d'u- 
ne Dissertation  sur  l'objet  et 
V argumentation  du  livre  de  Job  , 
Londres  ,  174^,  in-8^.  II.  Le  sens 
historique  de  la  relation  de  la 
chute  (  de  l'homme  ) ,  par  Moï- 
se,  démontré  et  justifié,  iu-S». 
III.  Les  preuves  du  christianisme 
déduites  des  faits  et  du  témoi- 
gnage des  sens  ,  dans  tous  les 
siècles  de  V Eglise  ,  jusqu'au  temps 
présent  :  en  une  suite  de  discours 
prononcés  d'après  la  fondation  de 
RobfM  t  Boyle ,  etc. ,  1 7(59 ,  1  vol.  in- 
8^\  IV.  Théorie  sacrée  (  the  scrip- 
tural theory  )  de  la  terre  dans  toutes 
ses  révolutions  ,  et  dans  toutes  les 
périodes  de  son  existence,  depuis  la. 
création  jusqu^au  renouvellement 
final  de  toutes  choses  :  suite  de  VEs- 
sai  sur  la  Rédemption,  1773,  in-8*^. 

V.  Irenicum ,  ou  considérations  sur 
Vimportance  de  Vunité  dans  VE- 
glise  du  Christ  ,  pour  apaiser  nos 
malheureuses  divisions,  1775,  in-S®. 

VI.  Recherche  impartiale  au  sujet 
des  démoniaques  de  V Evangile , 
suivi  d'un  Essai  sur  la  démono- 
logie  de  l'Ecriture ,  1777  ,  in- 
8".  Cette  vive  attaque  contre  l'o- 
pinion soutenue  par  Hugh  Farmer 
dans  son  Essai  sur  les  démoniaques 
donna  lieu  à  une  réponse  non  moins 
vive,  à  laquelle  Worthington  répli- 
qua par  une  Nouvelle  recherche  au 
sujet  des  démoniaques  de  l'Evan- 
gile ,  qui  ne  parut  qu'après  la  mort 
de  l'auteur  ,  en  1779.  L. 

WOrTON( Edouard),  en  latin 
Ododunus^  médecin  et  naturaliste  , 
naquit  en  149'-*  ^  Oxford  ,  où  son 
père  occupait  un  emploi  dans  l'uni- 
versité. Dès  qu'il  eut  achevé  ses  éludes 


^o8 


WOT 


WOT 


classiques ,  il  se  rendit  en  Italie  ,  dont 
les  écoles  jouissaient  alors  d'une 
grande  célébrité;  et,  après  avoir  fré- 
quente les  cours  de  l'académie  de 
Padoue,  il  y  reçut,  vers  i5'io  ,  le 
laurier  doctoral.  A  son  retour  dans 
sa  patrie ,  il  fut  pourvu  de  la  chaire 
de  langue  grecque;  et,  en  15^5  ,  il 
se  fit  agréger  au  collège  de  médeci- 
ne. Ses  talents  l'ayant  fait  connaître 
promptement,  le  roi  Henri  VIII  le 
nomma  son  premier  médecin,  ce  qui 
l'obligea  de  s'établir  à  Londres. 
Wotton  avait  contracté,  dans  ses 
voyages  ,  une  étroite  amitié  avec 
George  Agricola  (  P^of.  ce  nom  ,  I , 
3i  0;et,  à  son  exemple,  il  employait 
ses  loisirs  aux  recherches  d'histoire 
naturelle.  La  lecture  de  ses  ouvrages 
et  de  ceux  de  Jean  Ruel  lui  fît  naître 
l'idée  de  réunir  ses  observations  ; 
mais  Agricola  s'élant  occupé  de  la 
minéralogie  ,  et  Ruel  des  plantes , 
Wotton  crut  devoir  se  borner  à  la 
partie  zooîogique.  11  confia  son  ma- 
nuscrit à  J.  Mason  y  ambassadeur 
d'Angleterre  en  France,  qui  le  fit 
imprimer  par  Vascosan  en  i552. 
C'est  un  petit  in-folio  assez  mince  , 
intitulé  :  De  difj'ercntiis  anima- 
lium  lihri  decem  ;  les  opinions  des 
anciens  et  des  modernes  y  sont  clas- 
sées et  concihées  avec  autant  de  jus- 
tesse qu'on  pouvait  le  faire  à  une 
époque  où  l'on  ignorait  les  principes 
de  l'anatomie  comparée ,  et  où  l'on 
était  loin  de  trouver  soit  dans  des 
musées,  soit  dans  les  relations  graves 
et  circonstanciées ,  les  moyens  d'éta- 
blir une  nomenclature ,  etsurtoutune 
synonymie.  La  liste  des  auteurs  cités 
par  Wotton  ne  forme  pas  moins  de 
neuf  colonnes.  C'est  de  cet  ouvrage 
que  Thom.  Moufet  a  extrait  ce  qui 
concerne  les  insectes  pour  le  refon- 
dre dans  son  Mi?nniorum  anima- 
liiim    thcatrum   (Londres,   t634, 


in^fol.  ) ,  à  la  tête  duquel  on  lit  :  Ah 

Ed.  PFottone ijichoatuîn.Wot- 

ton  mourut  <à  Londres  le  5  octobre 
i555,  à  l'âge  de  soixante-trois  ans  , 
laissant  un  fils  qui  s'est  acquis  une 
grande  réputation  dans  la  pratique 
de  l'art  médical.  W — s. 

WOTTON  (HenrO,  homme  d'é- 
tat et  littérateur  anglais,  naquit  le 
3o  mars  r568  à  Boughton-Hall ,  dans 
le  comté  de  Kent,  d'une  ancienne  fa- 
mille. Il  fit  ses  études  à  l'école  de 
Winchester  et  à  l'université  d'Ox- 
ford, où  il  se  distingua  par  la  rapi- 
dité de  ses  progrès.  Pendant  qu'il  i 
faisait  son  cours  de  philosophie,  il  I 
composa  une  tragédie  intitulée  Tan- 
crède  ,  qui  fut  représentée  par  ses 
condisciples  ,  et  que  ses  maîtres  ho- 
norèrent de  leurs  suffrages.  A  l'âge 
de  vingt  ans  il  reçut  le  degré  de 
maître-ès-arts  ,  et  fit  à  cette  occa- 
sion trois  leçons  sur  la  structure  de 
l'œil ,  que  ses  auditeurs  accueillirent 
par  des  applaudissements  unanimes. 
Ayant  achevé  ses  études  ,  il  visita  la 
France,  l'Allemagne  et  l'Italie  pour 
perfectionner  ses  connaissances  par 
la  fréquentation  des  savants.  De  re- 
tour en  Angleterre  après  une  ab- 
sence de  neuf  ans,  il  fut  choisi  pom 
secrétaire  par  le  fameux  Robert  , 
comte  d'Essex  (^.  ce  nom).  Mais,  ce 
seigneur  ayant  été  accusé  de  haute 
trahison,  Wotton  jugea  prudent  de 
quitter  une  seconde  fois  l'Angle- 
terre ,  et  vint  chercher  un  asile  à 
Florence.  S'étant  fait  connaître  dii 
grand-duc,  ce  prince  le  chargea  d'une 
mission  secrète  auprès  de  Jacques 
VI,  roi  d'Ecosse.  11  s'agissait  d'a- 
vertir ce  monarque  d'un  complot 
formé  contre  sa  vie.  Jacques  étant 
parvenu,  peu  de  temps  après,  an 
tronc  d'Angleterre  ,  se  souvint  du 
service  que  lui  avait  rendu  Wotton  ; 
il  le  créa  chevalier  ,  le  nomma  son 


I 


WOT 

ambassadeur  à  Venise  ,  et  le  char- 
gea en  Italie,  en  Hollande,  eu    Sa- 
voie et  en  Allemagne^  de  diverses  ne'- 
gociations  qu'il   eut  le  bonheur  de 
terminer   à   la   satisfaction   de    son 
souverain.    Dans    un   voyage   qu'il 
fit  à  Angsboi'.rg ,    un    ami   l'a^-ant 
prie  d'écrire   une  pensée    sur    son 
album  ,    Wottou   y   mit  celle-ci: 
Un  ambassadeur  est   un  honnête 
homme  envoyé  dans  un  autre;  pays, 
auec  la  commission  de  mentir  pour 
le  bien  de  Vétat.  Q  lelques   années 
après  ,     l'album  tomba    dans    les 
mains  de  Scioppius  (  F.  ce  nom  )  , 
l'un  des  plus  violents  ennemis  du  roi 
Jacques,  et  il  saisit  avec  empresse- 
ment cette  occasion  de  faire  suspec- 
ter la  bonne  foi  de  ce  prince,  en  sou- 
tenant que  cette  maxime  e'tait  la  rè- 
gle de  sa  conduite.  En  vain  Wotton 
écrivit  pour  expliquer  ce  badinage; 
le    roi,   ne   pouvant  lui    pardonner 
d'avoir  compromis   son  caractère, 
cessa  de  l'employer  ,  et  lui  refusa  la 
place  de  secrétaire  d'état,  qu'il  de- 
mandait comme  une  retraile  due  à 
ses  longs  services.  En  1628,  Wotton 
fut  nommé  prévôt  du  collège  d'E- 
ton  _,  et  il  en  remplit  les  devoirs  avec 
beaucoup  de  zèle ,  encourageant  de 
son  crédit  et  de  sa  bourse  les  jeunes^ 
gens  qui  montraient  le  plus  de  dispo- 
sitions ,  et  leur  donnant  l'exemple  de 
l'application    à   l'étude.  11    mourut 
dans  ce  collège  au  mois  de  décembre 
iGSg,  à  soixante-onze  ans.  Par  son 
testament  il  ordonna  qu'on  mît  sur  son 
tombeau  l'inscriplion  suivante  :  Hïc 
jacet  hujus  sententiœ  prinius  auc- 
tor:  DiSPUTANDI  prurjtus  eccle- 
sIjE  scjbies  ;  nomen  alias  quœre. 
Wotton  était  un  savant  distingué  et 
un  homme  d'esprit;  cependant  quoi- 
qu'il ait  beaucoup  écrit,  il  n'a  laissé 
aucun  ouvrage  digne  de  lui  survi- 
vre. On  en  trouvera  les  titres  détail- 


WOT 


209 


lés  dans  le  Dictionnaire  de  Chaufe- 
pié  ,  qui  lui  a  consacré  un  bon  arti- 
cle ;  les  principaux:  sont  :  Eléments 
d^ architecture ,  dont  il  existe  une 
traduction  latine  ;  Parallèle  entre 
Robert ,  comte  d'Essex ,  et  George , 
duc  de  Buckingham  ;  des  Poésies, 
etc.  Ils  ont  été  recueillis  sous  le  ti- 
tre de  Reliquiœ  TFottonianœ ,  Lon- 
dres, i65i  ,  1654,  167*2,  i685, 
in-8".  La  quatrième  édition  est  pré- 
cédée d'une  Vie  de  l'auteur  par  Isaac 
Wallon  (  V^.  ce  nom  ).  Outre  les 
opuscules  déjà  cités,  on  y  remarque 
\es  deux  Lettres  que  Wotton  écrivit 
à  Scioppius  et  au  savant  Marc 
Welser  (/^.  ce  nom  ),  au  sujet  de  la 
maxime  qu'on  a  rapportée,  et  dont 
l'influence  sur  sa  destinée  est  si  re- 
marquable. Sir  Egerton  Brydges  a 
inséré  une  Vie  de  Wotton  dans  le 
2®.  vol.  du  Bibliographe.     W — s, 

WOTTON  (Guillaume),  sa- 
vant philologue  et  critique  anglais, 
naquit,  en  i66(i  ,  à  Wrentham , 
dans  le  comté  de  SufTolk.  Son  père , 
qui  remplissait  les  fonctions  de  pas- 
teur ,  cultiva  ses  heureuses  disposi- 
tions avec  le  plus  grand  soin.  Il  fut 
admis  à  dix  ans  au  collège  de  Sainte- 
Catherine  de  Cambridge  ,  et  il  y  fît 
(^ps  progrès  si  rapides  dans  les  lan- 
gues et  la  littéiature  ancienne  ,  qu'il 
reçut  le  grade  de  bachelier  -  ès-arts 
n'étant  âgé  que  de  douze  ans  et  cinq 
mois.  Invité  par  le  docteur  Burnet  à 
venir  à  Londres  ,  il  y  fut  introduit 
dans  la  société  des  savants  qui  l'ac- 
cueillirent avec  empressement.  L'é- 
vêque  de  Saint-Asaph  ,  Lloyd ,  l'em- 
mena dans  son  diocèse ,  et  charmé 
de  plus  en  plus  des  talents  de  son 
jeune  protégé  se  chargea  de  sa  for- 
tune. Par  le  crédit  de  ce  prélat  ,  il 
fut  nommé  en  1691  membre  du 
collège  Saint- Jean  de  Cambridge  ;  et 
dès  qu'on  lui  eut  conféré  le  grade  de 

i4 


o.To  WOT 

l)achclier  en  théologie  il  obtint  un 
riche  bénéfice.  Pcn  de  temps  après  , 
le  comte  de  Nottiiigham  ,  alors 
secrétaire-d'etat ,  le  choisit  pour 
son  chapelain  ,  et  lui  donna  suc- 
cessivement plusieurs  cures  à  sa  no- 
mination. En  1707  ,  Wotton  fut  crée 
docteur  en  théologie,  et,  par  une 
faveur  honorable  ,  dispensé  de  sou- 
tenir les  thèses  d'usage.  Les  divers 
béuéfices  dont  il  jouissait  semblaient 
devoir  le  mettre  à  l'abri  des  coups 
imprévus  de  la  fortune.  Cependant 
le  mauvais  état  de  ses  alTaires  l'obli- 
gea de  se  retirer  en  1714  dans  !e 
pays  de  Galles,  pour  se  soustraire 
aux  poursuites  de  ses  créanciers. 
Quoique  privé  de  ressources  ,  il 
trouva  moyen  d'adoucir  l'ennui  de 
cette  retraite  forcée  ,  en  com- 
posant divers  écrits  pleins  d'éru- 
dition. 11  revint  en  1722  dans 
la  province  de  Sussex  ,  et  il  mourut 
le  i3  février  i'^/i6  à  Buxted,  où 
il  fut  enterré  avec  une  épitaphe  hono- 
rable (i).  Outre  les  Vies  de  Burnet 
et  de  Stanley ,  insérées  dansplusieurs 
recueils  ('2) ,  et  quelques  opuscules 
sans  importance  ,  on  a  de  lui  :  I. 
Veux  extraits  du  livre  d'Aug.  Scilla, 
sur  les  corps  marins ,  dans  les  Tran- 
sact.  philosoph, ,  ann.  1695.  II.  Se- 
flections  upon  ancient  and  modem 
learning ,  Londres,  i6y4  ,  in-S». 
C'est  un  des  ouvrages  lesplusintéres- 
sants  qui  aient  paru  dans  la  fameuse 
querelle  de  la  prééminence  des  anciens 
et  des  modernes  (  F.  Perrault  ). 
Wotton  tient  un  juste  milieu  entre 
les  détracteurs  et  les  fanatiques  ad- 
mirateurs des  anciens.  La  troisième 
édition  (  1705,  in-S».)  est  augmen- 


(1)  Elle  est  rapportée  dajis  le  Dict.  de  CLaufe- 
pié ,  rem.  L. 

(tl)  La  Notice  sur  Stanley  fut  traduite  eu  latin  , 
etpiibliée  par  Heumaun,  à  la  suile  des  Elogia  Gnl- 
lorum  de  ScéroJe  de  Sainte-Marlhc. 


WOT 

tée  d'une  Réponse  aux  objections 
du  chevalier  Temple  (  Vof.  ce 
nom  )  y  et  de  Remarques  sur  le 
Conte  du  Tonneau  ,  du  docteur 
Swift  (  V.  ce  nom  ).  IlL  History 
of  Rome ,  c'est-à-dire.  Histoire  ro- 
maine, depuis  la  mort  d'7\.ntonin-le- 
Pieux  jusqu'à  celle  d'Alexandre  Sé- 
vère, ibid. ,  1705,  in-80.  Elle  est 
très-estimée.  L'auteur  a  fait  servir 
ses  connaissances  dans  la  numisma- 
tique à  l'éclaircissement  de  plusieurs 
faits  encore  obscurs  ;,  et  dont  il  fixe 
l'époque  avec  précision.  IV.  Lingua- 
rum  veterum  septentrional,  thesau- 
ri  conspectus  hrevis  ,  ibid.  ,  1708;, 
in-8''. ,  rare  et  recherché  (  F.  Hic- 
REs ,  XX  ,  36i  ).  V.  Mémoire  sur  la 
cathédrale  de  Saint-David  (  angl.  ), 
1 7 17. — Mémoire  sur  la  cathédrale 
de  Landajf  (  angl.  ) ,  17 19,  in-8^. 
(  Vof.  Browne  Willis,  L,  5(^4  )i 
VL  Mélanges  sur  les  traditions 
les  usages  des  Scribes  et  des  Phi 
m^en^  (angl.  ) ,  1718,  1  vol.  in-8<^ 
VIL  Dissertation  sur  la  confusic 
des  langues  à  Babel  (  angl.  ) ,  Lonj 
dres,  17.30  ,  in-8<\  Il  en  avait  pan 
une  traduction  latine  très  -défectueuse 
à  la  suite  de  V  O ratio  dominica  Ai 
,  Chamberlayne  (3).  VIII.  Cjsreith\ 
^  jeu  Hjvel  Dda  ac  evail  ou  Lege^ 
TVallicœ  ecclesiasticœ  et  civilei 
Hœli  Boni  (  gallois  et  latin  ) ,  cw 
rtotis  y  Londres,  1730,  2  vol.  in- 
fol.  ,  recueil  important  pour  l'his- 
toire du  pays  de  Galles ,  et  îrcs- 
cstimé.  On  trouve  dans  le  Diction- 
naire  de  Chaufepié  une  notice  dé- 
taillée sur  Wotton.  W— s. 


(3)  Plusieurs  auteurs  (  D.  Cliaudon  et  ses  copis 
les  )  disent  que  WoUon  avait  conçu  le  projet  sin-i 
gulier  àe  Iradalre  VOraiioii  dorninirnle  dans  tou- 
tes les  langues  connues.  On  ne  voit  pas  ce  qu'a  de 
singulier  un  projet  exécuté  par  CLaniberlayiie  et 
Marcel  (/^.  ces  noms  ).  Il  prouve  seulement  que 
Wotton  possédait  au  moins  les  éléments  de  toule* 
les  langues  parlées. 


1 


wou 

WOU  HÉOU  ou  WOU  HOU  ANG 
HÉOU  ,  impératrice  de  la   Chine  , 
naquit  à  Thaï  yuan  dans  le  Chan  si. 
Wou  szii  hou  ,  son  père  ,  fut  depuis 
commandant  des  troupes  de   King 
tchéou,    ville  du  Hou  kouang.   Le 
nom  de  Wou  heou  était  Tchao  ,  ou 
Wou  tchao  ,  en  le  réunissant,  selon 
l'usage    chinois  ,  à  celui  de  sa   fa- 
mille. Elle  montra  ,  dès  son  enfance, 
un  esprit  subtil ,  une  mémoire  très- 
heureuse  et  une  facilite   de  parler 
peu  commune  j    se  livra  de  bonne 
heure  à  l'étude ,  et  fit  des   progrès 
étonnants.  Elle  vécut  ainsi  jusqu'à 
l'âge  de  quatorze  ans  dans  la  maison 
paternelle,  uniquement  occupée  du 
soin  de  cultiver  son  esprit.  Sa  répu- 
tation parvint  bientôt  jusqu'à  l'em- 
pereur T ai  tsouns,  ,^ç\?^  dynastie  de 
Thang.  Ce  prince,  désole  de  la  mort 
de  l'impératrice  Tchhang  sun  chi , 
arrivée  en  636  de  J.-C. ,  fit  venir 
Wou  tchao   à  la   cour  ,  et  l'admit 
dans  le  palais ,  comme  Thsai  jin  ^ 
ou  dame    de   compagnie ,    afin   de 
jouir  de  sa  conversation.  11  est  dif- 
ficile de  dire  si  elle  était  véritable- 
ment sa  maîtresse  ;  mais  il  est  cer- 
tain que  pendant  treize  ans  qu'elle 
resta  avec  lui ,  elle  n'en   eut  point 
d'enfant.  L'héritier  du  trône,  qui  avait 
souvent  vu  Wou  tchao  dans  le  palais 
de  son  père  ,  en  devint  éperdument 
amoureux ,  sans  cependant  oser  lui 
déclarer   ses    sentiments.   Après   la 
mort  de  Thai  tsoung  (649)  ?  toutes 
les  princesses  et  les  dames  de  la  cour 
se  retirèrent ,  suivant  l'usage  ,  dans 
le  couvent  de  Kan  jé  szu  pour  y 
passer  le   reste  de   leurs  jours.  Le 
deuil  de  l'empereur  fini,  Kao  tsoung, 
son  successeur ,  étant  allé  à  ce  cou- 
Vent  pour  y  honorer  la  mémoire  de 
son  père ,  y  revit  l'objet  de  sa  pas- 
sion ,  et  ne   put  s'empêcher  de  la 
laisser  éclater  par  ses  soupirs,  L'im- 


WOU  2TI 

fiératrice   Wang  houang  héou  qui 
'accompagnait    s'en   aperçut  ;|^elle 
n'avait  point  eu  d'enfant  de  l'empe- 
reur, et  la  princesse  Chou  feï  ayant 
donné  une  (ille  à  celui-ci,  elle  en  avait 
conçu  une  si  grande  jalousie  ,  qu'elle 
résolut  de  se  servir  de  Wou  tchao 
pour  perdre  sa  rivale.  De  retour  au 
palais  ,  elle  envoya  à  Wou  tchao  une 
coéffure  de  faux  cheveux  ;,  pour  sup- 
pléer à  ceux  qu'on  lui  avait  coupés 
en  entrant  dans  le  couvent,  et  elle  la 
fit  venir  au  palais  _,  sous  prétexte  de 
la  prendre  à  son  service.  Kao  tsoung, 
qui  la  voyait  journellement,  ne  put 
résister  à  la  violence  de  son  amour  • 
il  la  mit  au  nombre  de  ses  femmes  , 
et  lui  donna  le  titre  de  Tchao  i.  D'a- 
bord cette  nouvelle  favorite  parut 
entièrement  dévouée  aux  intérêts  de 
l'impératrice  ;  son  premier  soin  fut 
de  supplanter  Chou  feï  ;  elle  y  réus- 
sit facilement  à  l'aide  de  l'impéra- 
trice, qui  ne  s'apercevait  pas  qu'elle 
avait    creusé    l'abîme   dans   lequel 
elle  était  près  de  tomber.  Aussitôt  que 
Wou  tchao  se  crut  sans  concurren- 
te, par  la  disgrâce  de  la  seule  femme 
qui  pût  lui  faire  ombrage,  elle  ima- 
gina   de    devenir  impératrice.   Dix 
mois  après  son  entrée  dans  le  palais, 
elle  accoucha  d'une  fille,  qu'elle  sa- 
crifia à  son  ambition  j  elle  l'étoufTa  , 
et  fit  tomber  le  soupçon  de  ce  meur- 
tre sur  l'épouse  légitime  de  l'empe- 
reur. Ce   prince,  irrité,  résolut  de 
répudier  l'impératrice,  qu'il  croyait 
coupable;  mais  il  ne  put  exécuter 
qu'une  année  après,  en  655  ,  ce  pro- 
jet, vivement  combattu  par  les  grands 
de  sa  cour.  Il  conféra  en  même  temps 
à  W^ou   tchao   le  titre  de  houang 
héou,  ou  d'impératrice.  Cette  femme 
perverse   signala   son  avènement  à 
cette  dignité  par  le  meurtre  de  ses 
deux  rivales  ,  pour  lesquelles  l'empe- 
reur n'avait  cependant  pas   perdu 

.4.. 


212 


wou 


toute  tendresse.  Non  contente  de  par- 
tager le  trône,  la  nouvelle  impéra- 
trice ,  que  nous  appellerons  doré- 
navant Woulîëou,  voulut  y  placer 
son  iils  ,  au  préjudice  d'un  autre  iils 
de  l'empereur  ,  déjà  désigné  suc- 
cesseur et  reconnu  comme  tel  par 
tout  l'empire.  Elle  réussit  encore  dans 
ce  projet,  mais  ce  ne  fut  pas  sans 
de  grandes  difficultés ,  et  qu'après 
avoir  fait  couler  le  sang  de  tous  ceux 
qui  avaient  osé  résister  à  son  ambi- 
tion. Wou  héou  s'élant  ainsi  entiè- 
rement emparée  de  l'esprit  de  l'em- 
pereur, qui  n'était  doué  ni  du  génie, 
ni  des  grandes  qualités  de  son  père  , 
gouverna  la  Chine  en  souveraine  ab- 
solue, jusqu'à  la  mort  de  son  époux, 
arrivée  en  683.  Elle  déposa  bientôt 
son  propre  fils  ,  Tclioung  tsoung  , 
qui  avait  succédé  à  Kao  tsoung  ,  et 
monta  sur  le  trône  ,  sous  le  titre  de 
Ifoua/ig  thaï  héou,  ou  de  la  grande 
impératrice  Auguste.  Cette  usurpa- 
tion excita  plusieurs  révoltes  ,  qui 
furent  toutes  apaisées.  L'impératrice 
savait  gouverner,  et  sa  sévérité,  qu'on 
pourrait  qualifier  de  cruauté,  tenait 
les  mécontents  en  respect.  En  638  , 
elle  osa  offrir  le  grand  sacrifice  au 
ciel ,  ce  qui  était  sans  exemple  dans 
les  fastes  de  la  Chine.  Elle  remplaça 
à  cette  occasion  le  rituel  des  Thang 
par  celui  de  l'ancienne  dynastie  de 
Tchéou  ,  et  l'année  suivante  elle 
abolit  entièremejit  le  nom  de  Thang, 
en  donnant  celui  de  Tchéou  à  la 
nouvelle  dynastie  qu'elle  prétendait 
avoir  fondée.  Ce  ne  tut  pas  seulement 
dans  l'intérieur  que  cette  princesse 
affermit  sa  puissance  ;  elle  gouverna 
avec  le  même  succès  les  provinces 
extérieures  de  l'empire.  Du  temps  de 
son  époux  ,  les  Tubétains ,  devenus 
très- puissants,  s'étaient  emparés  de 
plusieurs  contrées  de  l'Asie  centrale. 
En  692,  ils  étaient  maîtres  de  Kouéi 


WOU 

thsu   (  Koutché  )  ,   de  Khotan 


de 


Chou  le{  Kachghar)  et  de  Soui  yé^ 
ville  située  au  nord  des  monts  Céles- 
tes ,  sur  les  rives  du  Tsoui.  Le  gou- 
verneur ciiinois  de  5i  tcheou{Tows- 
fan)  demanda  à  l'impératrice  la  per- 
mission de  les  chasser  de  ces  con- 
trées. Elle  lui  envoya  une  armée 
considérable,  avec  laquelle  il  battit 
les  Tubétains ,  et  rentra  en  posses- 
sion des  quatre  royaumes  ou  gouver- 
nements militaires  de  l'intérieur  de 
l'Asie.  Le  gouA^ernement  général  des 
pays  occidentaux  fut  établi  à  Kou- 
tché ,  et  les  princes  feudataires  qui 
avaient  abandonné  le  parti  des  Chi- 
nois se  virent  forcés  de  rentrer  dans 
l'obéissance.  Dans  l'Orient  l'impéra- 
trice eut  bientôt  d'autres  guerres  à 
soutenir  contre  les  Khitans.  Ces  peu- 
ples furent  repoussés  à  l'aide  des 
Thou  khine  ou  Turcs  ,•  cependant  ces 
derniers  ne  cessèrent  pas  de  faire  i 
leurs  incursions  accoutumées  dans! 
les  provinces  septentrionales  de  l'em- 
pire. Houang  thaï  héou  avait  conçu] 
le  projet  de  désigner  comme  princt 
héréditaire  de  l'empire  un  de  ses] 
deux  neveux,  pour  lesquels  elle  avail 
beaucoup  de  tendresse ,  mais  elle  en' 
fut  détournée  par  les  représentations 
de  son  premier  ministre  ,  et  par  l'in- 
fluence d'un  autre  neveu.  Vaincue 
par  les  sages  avis  de  ce  dernier  ,  elle 
envoya  chercher  son  fils  Tchoung 
tsoung,  qu'elle  avait  exilé  de  la  cour, 
et  elle  le  déclara  prince  héréditaire, 
quoique  ,  d'après  les  lois  de  l'état , 
il  fût  déjà  empereur.  Elle  s'occupa 
ensuite  de  la  sûreté  de  sa  famille. 
Ayant  conduit  Tchoung  tsoung  et  tous  i 
les  siens  à  la  salle  des  Aucêtres  ,  ellej 
leur  fit  jurer ,  en  présence  des  tablet- 
tes représentant  leurs  aïeux  _,  qu'ilsj 
n'attenteraient  jamais,  sous  aucui 
prétexte ,  à  la  vie  des  personnes  de 
la  famille  de  Ou  ;  qu'ils  les  laisse- 


wou 

raient  jouir  tranquillement  de  leurs 
dignitc's  et  de  leurs  biens ,  et  qu'ils 
les  défendraient  contre  quiconque 
voudrait  les  opprimer.  Elle  fil  gra- 
ver ce  serment  sur  une  taLle  de  fer, 
qui  fut  pbcc'e  dans  la  salle  ,  afin 
qu'elle  le  rappelât  à  l'empereur  et  à 
sa  famille,  toutes  les  lois  qu'ils  y 
viendraient  honorer  la  mémoire  de 
leurs  ancêtres.  Bien  qu'avancée  en 
âge,  Houang  tliaï  liéou  ne  paraissait 
pas  (lisjiosee  à  remettre  les  rênes  du 
gouvernement  à  son  fils  ,  maigre 
les  vœux  bien  prononces  des  gr.uids 
et  du  peuple.  Enfin  une  révolution 
du  palais  hâta  cet  évrnrment.  Kn 
•;o5  .  Tchliang  kian  tclii  ,  un  des 
grands  de  i'em[)ire,  auquel  s'ctaient 
reunis  ])lusieurs  autres  des  ])remi<rs 
dignitaires  ,  se  mit ,  avec  le  consen- 
tement du  prince  héréditaire,  à  la  tête 
de  six  cents  hommes,  força  les  portes 
du  palais,  et  y  introduisit  Tchoung 
tsoung.  Cette  troupe  pénétra  jus- 
qu'aux appartements  de  l'impéra- 
trice ,  et  en  présence  de  cette  prin- 
cesse égorgea  ses  deux  favoris  ,  qui 
étaient  accourus  au  bruit.  Houang 
thaï  héou ,  regardant  alors  son  fils 
avec  cet  air  de  fierté  qu'elle  avait 
coutume  de  prendre  ,  quand  elle 
intimait  ses  ordres,  lui  ordonna 
de  sortir  du  palais  ,  et  de  faire 
retirer  tous  ceux  qui  y  étaient  venus 
avec  lui.  Mais  elle  apprit  alors  que 
son  pouvoir  venait  de  finir.  Les 
grands  de  son  empire  ,  qui  étaient 
présents  ,  l'invitèrent  à  remettre  en- 
tre les  mains  de  Tchoung  tsoung  les 
rênes  du  gouvernement.  Se  voyant 
dans  l'iniptiissance  de  résister,  elle 
conduisit  son  fils  à  la  salle duTrône, 
et  lui  remit  les  sceaux  de  l'empire. 
Elle  se  retira  ensuite  dans  lejialais  de 
Thoungyangkouen,else  fit  donner  le 
titre  honorifique  de  Tse  ihian  ta  ching 
houang  tiy  c'est-à-dire  le  grand  et 


WOU 


2l3 


saint  empereur  yluguste  ,  imitant 
le  ciel.  Le  dépit  de  se  voir  éloignée 
des  affaires  la  conduisit  bientôt  au 
tombeau  ;  elle  mourut  âgée  de  qua- 
tre-vingt-deux ans  ,  au  commence- 
ntent  de  l'hiver  de  la  même  année 
(•joS) ,  qui  avait  vu  s^évanouir  sa 
toute-puissance.  On  ne  peut  nier  que 
cette  femme  extraordinaire  ne  fût 
douée  de  talents  supérieurs,  et  d'une 
fermeté  de  caractère,  qui  lui  assurent 
un  rang  distingué  parmi  les  monar- 
ques les  ])lus  illustres  delà  Chine; 
mais  les  moyens  qui  la  firent  monter 
sur  le  trône  ,  et  la  cruauté  qu'elle  y 
déploya  ,  sont  une  tache  que  rien  ne 
peut  efïacer.  Elle  avait  conçu  le  vain 
projet  de  changer  que'ques  caractè- 
res de  l'écriture  chinoise  ,  et  en  com- 
pensa ])lusieurs  qui  sont  remarqua- 
bles p;ir  leur  bizarrerie.  Ce  nouveau 
genre  d'écriture  ne  fut  pas  adopté  ; 
mais  on  a  conservé  une  partie  de  ces 
caractères  dans  les  dictionnaires , 
comme  un  objet  de  simple  curiosité'. 
Kl — H. 
WOUTERS  (François)  ,  peintre, 
naquilà  Lierre  en  i6i4?  etfut  élève 
de  Kubens.  11  ne  tarda  pas  à  faire, 
sous  cet  habile  maître,  les  progrès  les 
plus  remarquables  ;  mais  il  ne  se  bor- 
na pas  à  peindre  l'histoire  :  il  s'a- 
donna aussi  au  paysage,  et  n'y  mon- 
tra pas  de  moins  rares  dispositions. 
Il  enrichissait  ordinairement  ses  com- 
positions de  petites  figures  prises  de 
la  fable ,  telles  que  Vénus  et  Adonis, 
des  nymphes  et  des  satyres,  dans 
lesquelles  on  reconnaissait  l'esprit  et 
le  goût  de  son  maître.  Ses  tableaux 
en  grand  n'avaient  pas  le  même  mé- 
rite. La  couleur  en  esfcordinairement 
lourde  ,  et  tombe  dans  le  jaune.  Dans 
ses  petits  tableaux,  au  contraire,  le 
dessin  est  correct  et  le  coloris  agréa- 
ble. Ses  paysages  sont  d'un  très-bon 
ton  de  couleur.  Il  excellait  surtout  à 


2l4 


wou 


peindre  des  forêts ,  -et  à  y  faire  des 
percées  à  perte  de  vue.  Sa  réputation 
se  repandit  avec  ses  ouvrages.  L'em- 
pereur Ferdinand  II  l'appela  près  de 
lui,  et  lui  donna  le  titre  de  son  pein- 
tre. En  1637  ,  il  passa  en  Angleterre, 
avec  la  permission  de  ce  prince  ,  à  la 
suite  de  son  ambassadeur.  La  mort 
de  l'empereur ,  arrivée  quelque  temps 
après ,  et  lorsqu'il  commençait  à  réus- 
sir parfaitement  à  Londres ,  l'obligea 
de  clierclier  un  autre  protecteur.  Le 
prince  de  Galles  le  prit  à  son  servi- 
ce, le  nomma  son  peintre ,  et  lui  don- 
na l'emploi  de  son  premier  valet  de 
charnière.  Mais  le  désir  de  revoir  son 
pays  l'emporta  sur  toutes  ces  faveurs 
et  sur  les  richesses  que  lui  promettait 
son  talent.  11  revint  à  Lierre  j  et  de  là 
il  se  fixa  à  Anvers,  où,  en  1648,  il 
fut  nommé  directeur  de  l'acadë- 
mie  ,  place  alors  fort  recherchée  , 
et  qu'il  remplit  avec  distinction.  En 
1 659  ,  il  fut  atteint,  par  une  main  qui 
est  restée  inconnue,  d'un  coup  de 
pistolet ,  dont  il  mourut,  âgé  de  qua- 
rante-cinq ans  seulement.      P — s. 

WOUTERS(CoknÉlie).  Vojez 
Wasse. 

wou  WANG,  premier  empereur 
de  la  dynastie  chinoise  des  Tcheou , 
naquit  l'an  1 169  avant  notre  ère.  II 
e'tait  fils  de  Wen  v^^ang ,  qu'on  regar- 
de comme  le  fondateur  de  cette  dy- 
nastie. Il  portait  îe  nom  de  Fa  ou  de 
Kifa  y  avant  de  succéder  à  son  pè- 
re, qui  mourut  en  1 135  (  /^.  Wen- 
Wang).  Il  reçut  alors  le  titre  de  si 
pe  ou  prince  de  l'Occident ,  que  ce- 
lui-ci avait  porté ,  parce  que  ses  états_, 
qui  formaient  le  royaume  de  Tcheou, 
se  trouvaient  dans  la  partie  occiden- 
tale de  l'empire.  A  la  mort  de  Wen 
Wang ,  le  pays  de  Tcîiéou  était  dans 
l'état  le  plus  florissant  ;  et ,  par  les  ac- 
croissements que  lui  avait  procurés 
le  gouvernement  de  ce  prince,   il 


WOU 

comprenait  les  deux  tiers  du  terri- 
toire chinois.  En  11 28,  l'épouse  de 
Fa  lui  donna  un  fils ,  qui  reçut  le 
nom  de  Souug.  Alors  la  phipart  des 
grands  ,  qui  s'étaient  éloignés  du  ty- 
ran Chéou  sin ,  dernier  empereur  de 
la  dynastie  des  Chang,  sollicitèrent 
vivement  le  si  pe  de  prendre  les  ar- 
mes contre  ce  monstre  qui ,  avec  sa 
maîtresse  Ta  ki,  souillait  le  trône 
des  crimes  les  plus  atroces.  Ces  re- 
présentations réitérées  et  d'autres 
circonstances  firent  tant  d'impres- 
sion sur  Fa  ,  qu'il  passa  ^  en  1 1 22  , 
le  Houang  ho,  et  réunit  plus  de  huit 
cents  princes  et  grands  de  l'empire  à 
Meng  tsin,  dans  la  province  actuelle 
de  Ho  nan.  L'empereur  Chéou  sin  , 
instruit  de  la  révolte  du  si  pe ,  leva 
une  armée  formidable ,  à  la  tête  de 
laquelle  il  marcha  contre  lui ,  et  le 
rencontra  dans  la  plaine  de  Mou  yé. 
A  peine  les  deux  armées  en  étaient 
venues  aux  mains,  que  les  troupes  de 
Chéou  sin  lâchèrent  le  pied  ,  et  fu- 
rent entièrement  culbutées.  Le  car- 
nage fut  horrible  ;  et  cette  bataille 
décida  du  sort  de  l'empire.  Le  sipe , 
disent  les  auteurs  chinois ,  n'eut  be- 
soin de  se  revêtir  qu'une  seule  fois  de 
sa  cuirasse  pour  rendre  le  repos  à  la 
Chine.  Chéou  sin  se  réfugia  dans  son 
palais  de  Lin  thaï,  où  ,  après  s'être 
paré  de  ses  bijoux  les  plus  précieux, 
il  fit  mettre  le  feu  à  l'édifice ,  afin  de 
ne  pas  tomber  vivant  entre  les  mains 
du  vainqueur.  Son  fils  Wou  keng  , 
chargé  de  chaînes  et  monté  sur  un 
char,  son  cercueil  à  ses  côtés,  alla 
se  présenter  au  si  pe,  qui  avait  déjà 
pris  le  titre  de  W'ou  wang  ou  roi 
victorieux.  Ce  prince  reçut  Wou 
kcng  avec  bonté,  ordonna  qu'on  lui 
ôlât  ses  chaînes  ,  et  qu'on  brûlât  son 
cercueil.  L'impératrice  Ta  ki,  uni- 
que source  de  tout  le  désordre  et  de 
l'extinction  de  la  dynastie  des  Chang, 


wou 

eut  l'impudence  de  se  parer  magui- 
fjqucinent,  et  de  se  mettre  en  mar- 
che pour  faire  sa  soumission  à  Wou 
Wang,  qu'elle  espérait  captiver  par 
ses  charmes  ;  mais  les  olUciers  en- 
voyés pour  éteindre  le  feu  du  palais 
la  firent  saisir  et  entraîner;  et  Wou 
Wang  ordonna  de  la  faire  périr. 
Après  la  mort  de  Cheou  sin ,  le  nou- 
vel empereur  de  Tche'ou  se  rendit 
d'abord  à  Po ,  dans  la  partie  orien- 
tale de  la  province  de  Ho  nan.  Il  as- 
signa à  ceux  des  descendants  de  l'an- 
cien empereur  Houang-ti  le  pays  de 
Kio  dans  le  Ho  nan^  à  titre  de  sou- 
veraineté. l\  donna  à  un  descen- 
dant de  Yao  le  pays  de  Thsou 
dans  le  Hou  kouang,  et  à  l'un  des 
descendants  de  Chun  la  principauté 
de  Tcliin,  qui  faisait  aussi  partie  du 
Ho  nan  actuel.  Enfin  il  statua  que  le 
pays  de  Ki  servirait  d'apanage  aux 
descendants  du  grand  empereur  Yu, 
et  la  principauté  de  Soung  à  la  fa- 
mille de  Tcliliing  thang.  Wou  wang 
alla  ensuite  visiter  le  tombeau  de  l'il- 
lustre Pi  kan ,  à  qui  le  barbare  Chéou 
sin  avait  fait  arracher  le  cœur,  pour 
le  punir  des  avis  sages  que  ce  minis- 
tre lui  avait  donnés.  Le  nouvel  em- 
pereur lui  fit  rendre  de  grands  hon- 
neurs fiméraires,  en  présence  de  toute 
la  cour.  Il  délivra  ensuite  de  sa  pri- 
sou  Khi  tsu ,  autre  ministre  de  Chéou 
sin ,  et  le  nomma  roi  de  la  Corée,  en 
l'exhortant  à  remplir  ses  devoirs  en- 
vers son  nouveau  suzerain,  comme 
avaient  fait  ses  ancêtres  sous  Tchhing 
thang  et  les  autres  monarques  de 
la  dynastie  des  Chang.  Après  avoir 
ainsi  réglé  les  affaires,  Wou  wang 
passa  le  Houang  ho,  et  se  transpor- 
ta vers  l'Occident.  Il  renvoya  tous 
les  chevaux  qui  lui  étaient  inutiles, 
et  les  fit  conduire  à  la  montagne 
Houa  chan  dans  la  partie  sud-est 
du  Chen  si.  Les  bœufs  et  les  autres 


WOU 


2l5 


bêtes  de  somme  qu'on  employait  du- 
rant la  guerre  à  traîner  les  bagages 
furent  renvoyés  à  Thao  lin.  Les  cui- 
rasses et  les  chars  armés  furent  en- 
fermés dans  des  magasins;  les  lances 
et  les  boucliers  enveloppés  de  peaux 
de  tigre.  Toutes  ces  réformes  n'eu- 
rent pour  objet  que  d'annoncer  au 
peuple  que  la  guerre  était  terminée  , 
et  qu'il  pouvait  désormais  jouir  des 
avantages  précieux  de  la  paix.  Ceux 
d'entre  ses  officiers  qui  s'étaient  le 
plus  signalés  par  leur  valeur  et  leur 
fidélité  furent  faits  souverains.  Il 
érigea  des  principautés  en  faveur 
de  ses  frères  et  de  tous  ceux  qui 
s'étaient  distingués  dans  l'adminis- 
tration. Il  licencia  ses  troupes , 
à  la  charge  seulement  de  s'exercer 
de  temps  en  temps  dans  l'art  de 
tirer  des  flèches.  Dans  le  même 
temps,  il  établit  de  nouvelles  cé- 
rémonies et  de  nouvelles  marques 
de  distinction.  Il  promulgua  un  nou- 
veau rituel  pour  le  culte  des  ancêtres. 
Enfin  il  transporta  à  Foung,  aujour- 
d'hui Tchhang  ngan  hian  ,  dans  le 
Chen  si,  la  capitale  de  l'empire,  qui 
était  auparavant  dans  la  province  de 
Ho  nan.  Ce  prince  heureux  et  bien- 
faisant avait  rendu  le  bonheur  à  la 
Chine;  mais  il  commit  une  grande 
faute  politique  en  détruisant  l'ancien- 
]îe  forme  delà  monarchie  pure  ,  et  en 
lui  substituant  une  espèce  de  système 
féodal.  Par  le  partage  qu'il  fit  du 
pays  entre  ses  généraux  et  les  grands, 
il  n'en  garda  pour  sa  famille  qu'une 
partie  proportionnellement  peu  con- 
sidérable. Cette  division  de  l'empire 
en  tant  de  petits  royaumes  portait 
en  elle  un  germe  de  destruction  pour 
la  puissance  impériale.  Tant  que  les 
successeurs  de  Wou  wang  furent  as- 
sez forts  pour  maintenir  dans  l'o- 
béissance les  petits  rois  leurs  vas- 
saux, leur  gouvernement  conserva 


2l6 


WOU 


une  espèce  d'unité;  mais  depuis  le 
huitième  siècle,  l'autorité  de  ces  mo- 
narques alla  toujours  en  décroissant, 
et  fut  ruinée  peu-à-peu  par  une  ving- 
taine de  petits  princes ,  qui  se  firent 
entre  eux  des  guerres  continuelles,  et 
qui  préparèrent  ainsi  la  ruine  abso- 
lue de  la  dynastie  de  Tcliéou.  Cette 
catastrophe  aurait  certainement  eu 
lieu  beaucoup  plus  tôt,  si  la  Cliine 
avait  eu  à  celte  époque  des  voisins 
aussi  formidables  que  ceux  qui  l'ont 
menacée  du  côté  du  nord  et  de  l'ouest, 
depuis  le  second  siècle  avant  notre 
ère.  Wou  v^'ang ,  en  montant  sur  le 
trône,  choisit  pour  premier  ministre 
son  frère  Tchéou  koung,  qui  se  servit 
de  son  crédit  et  de  ses  lumières  pour 
faire  fleurir  l'état.  Il  rétablit  et  per- 
fectionna les  cérémonies  et  la  musi- 
que ,  lit  un  nouveau  code  de  lois , 
adoucit  de  plus  en  plus  les  mœurs  du 
peuple,  et  n'oublia  rien  pour  lui  pro- 
curer l'abondance  et  la  félicité.  C'est 
à  ses  elForts  que  la  dynastie  des 
Tchéou  fut  redevable  de  tout  son 
histre.  Wou  v^^ang.ne  jouit  pas  long- 
temps de  tant  de  bienfaits  ;  il  mou- 
rut en  1116,  sept  ans  après  avoir 
ceint  le  diadème  impérial.  Son  fils 
Tchhing  Wang  lui  succéda.  A  cette 
époque,  la  Chine  était  d'une  éten- 
due moins  considérable  que  de  nos 
jours  ;  car  elle  n'allait  pas  beau- 
coup au-delà  du  grand  Kiang ,  et  ne 
comprenait,  au  sud  de  ce  fleuve ,  que 
le  Tché  kiang,  une  partie  du  Kiang 
si,  une  plus  grande  portion  du  Hou 
kouang  et  le  nord  du  Szu  tchhouan. 
Kl— H. 
WOUWERMANS  (  PuiLipriO  ; 
peintre,  naquit  à  Harlem  en  1620, 
et  reçut  des  leçons  de  son  père  Paul 
Wouwermans  ,  peintre  d'histoire 
moderne,  et  de  Wynout,  qui  se 
hâta  de  rectifier  les  principes  que 
son  élève  avait  reçus  dans  l'école  pa- 


wou 

ternelle.  Le  jeune  Wouwermans  se 
mit  alors  à  prendre  la  nature  pour 
modèle  ,  et  ne  fit  plus  rien  sans  la 
consulter  avec  un  soin  scrupuleux. 
C'est  par  ce  moyen  qu'il  acquit  cette 
belle  manière  que  l'on  admire  dans 
tous  ses  ouvrages  ,  et  particulière- 
ment dans  les  derniers.  11  eut  la  plus 
grande  peine  à  se  faire  connaître.  A 
l'époque  où  il  débuta  ,  Bamboche 
avait  la  vogue ,  et  l'on  préférait  la 
verve  et  l'éclat  de  ses  ouvrages  au 
style  plus  sage  et  plus  vrai  de  Wou- 
wermans. Ce  dernier  d'ailleurs ,  plein 
de  timidité ,  nuisait  lui-même  à  sa 
propre  réputation  par  un  excès  de 
modestie.  11  se  contentait  du  prix 
modique  que  les  marchands  lui  don- 
naient de  ses  ouvrages  pour  les  al- 
ler revendre  ensuite  fort  cher  à  l'é- 
tranger. De  Witte ,  entre  autres  , 
sut  tirer  avantage  de  ce  commerce. 
Mais  l'humeur  difficile  de  Bamboche 
fit  en  faveur  de  W  ouwermans  co  que 
le  mérite  de  ce  dernier  n'avait  pu 
faire  jusqu'alors.  Bamboche  avait 
demandé  deux  cents  florins  d'un  de 
ses  tableaux  à  de  Witte  qui  refusa  , 
et  chargea  Wouwermans  de  peindre 
le  même  sujet  ;  ce  qu'il  fit  avec  une 
si  grande  supériorité,  que  ses  ouvra- 
ges commencèrent  dès-lors  à  être  re- 
cherchés de  toutes  parts  ,  et  enlevés 
aussitôt  que  finis.  Cette  vogue  ,  mal- 
heureusement pour  lui ,  il  ne  l'obtint 
que  vers  la  fin  de  sa  carrière,  et 
lorsqu'elle  ne  pouvait  plus  guère  con- 
tribuer à  sa  fortune.  Jusqu'à  ce  mo- 
ment, livré  à  des  brocanteurs  peu 
délicats  qui  prolitaient  de  ce  qu'il  y 
avait  de  gênant  dans  sa  position  ,  il 
travaillait  sans  relâche  pour  subve- 
nir à  ses  besoins  et  à  ceux  de  sa 
nombreuse  famille  j  et  cependant , 
quelle  que  fût  sa  détresse ,  elle  ne 
l'empêcha  jamais  de  terminer  tous 
ses    ouvrages    avec  le  même    soin 


wou 

que  si  on  les  lui  ayait  payés  fort 
cher.  C'est  cette   nécessité  de  tra- 
vailler   sans     relâche    qui    l'cmpê- 
cka  de   quitter  sa  ville   natale  ,  et 
de  profiter  de  l'avantage  de  voyager. 
Quelque  temps   avant  sa  mort  il  fit 
jeter  au  feu  un  coffre  rempli  de  ses 
dessins  et  de  ses  études  ,  en  disant  : 
«  J'ai  été  si  mal  récompensé  de  mes 
»  travaux  que  je  veu:x  ,   si  je  puis, 
»  empcxher  que  mon  fils  ,  séduit  jiar 
»  la  vue  d'un  de  ces  dessins  ,  f  m- 
»  brasse  une  carrière  aussi  misérable 
»  et  aussi  incertaine  que   celle  que 
»  j'ai  suivie.  »  En  voyant  le  fini  de 
tous  les  ouvrages  échappés  au  pin- 
ceau gracieux  et  pur  de  ce  maîîre, 
on  a  peine  à  concevoir  comment  ii 
a  pu  trouver  le  temps  d'en  ex(  culer 
un   nombie  si  considérable,    lis  ne 
sont  pas  moins  remarqiables  par  la 
va  n'été  des  sujets .  Ce  sont  des  chasses, 
des  marchés  aux  chevaux ,  des  attaques 
de  cavalerie,  de  simples  paysages, 
d'autres  enrichis  d'arcliitecluje,  de 
fontaines,    de  beaux   jardins,  etc. 
Cette  diversité  toujours  sensible  chez 
lui  renouvelle  sans  cesse  la  surprise 
de  celui  qui  contemple  ses  tableaux. 
Quant    à  la   vérité  ,    on    peut   dire 
qu'aucun  peintre  ne  l'a  surpassé  en 
ce    genre  ;   ses    chevaux    sont    des- 
sinés   avec    une   exactitude    et  une 
fidélité  admirables;  il  est  vrai  que 
leur  caractère  est  toujours  le  même;  ce 
sont  toujours  des  chevaux  flamands, 
dont  les  formes  sont  un  peu  lourdes  ; 
mais  cette  espèce  de  monotonie  est 
bien  rachetée  par  l'excellence  de  la 
couleur,  la  magie  d'un  pinceau  gras 
et  pâteux  qui  sait  tout  adoucir  sans 
rien  ôterà  la  force;  sa  touche  est  ferme, 
quoique  pleine  de  passion;  ses  oppo- 
sitions sont  larges  ,  et  ses  différents 
plans  se  dégradent  avec  la  plus  par- 
faite intelligence.   Ses  lointains  ,  ses 
ciels ,  ses  arbres ,  ses  plantes  sont  une 


WOU  -11-] 

imitation  exacte  et  parfaite  de  la  na- 
ture. C'est  avec  un  art  exquis,    ou 
pour   mieux  dire   c'est  sans  jamais 
déceler   l'art  qu'il  ménage  ses   lu- 
mières ;  et  l'œil  passe  d'un  ton  à  un 
autre  sans  brusquerie  ,  et  sans  pres- 
que    s'en    apercevoir.   Cette    der- 
nière qualité  se  fait  surtout  remar- 
quer dans   ses   derniers   ouvrages  ; 
ceux  de  sa  première  manière ,  quoi- 
que également  vaporeux  ,  offrent  des 
oppositions    un  peu  trop   tranchées 
qui  nuisent  à  rhain)onie  de  l'ensem- 
ble. Son  œuvre  gravé  est  très-con- 
sidérable.  On  y  recherche  de  préfé- 
rence les  morceaux   dus    au  Lurin 
de    Jean   Wischer   cl    de    Dnnker. 
On  en  a  aussi  un   très-beau  recueil 
gravé  par  Jean  Moyreau  ,  Lebas, 
Beaumont,  Cochin_,  Laurent,  etc.  , 
Paris  ,    i^S-j-Ho,    grand  in  fol.  , 
Wouwermans  lui  même  a  gravé  à 
l'eau-fortc  une  seule  pièce  représen- 
tant un  paysage  au  milieu  duquel  se 
voit  un  cheval,  etc.  Cette  pièce  d'un 
effet  très  -  piquant  est  rendue  avec 
une  si  rare  intelligence,  que  l'on  re- 
grette qu'il  n'en  ait  pas  produit  un 
plus   grand    nombre.  Il   mourut  à 
Harlem,  le  19  mai  1CG8,  à  l'âge  de 
quarante  huit  ans,  ne  laissant  qu'un 
seul    fils  qui  se  fit  chartreux.    Ses 
deux    frères ,   Pierre   et  Jean  ,    fu- 
rent ses  élèves ,  et  se  distinguèrent 
comme     peintres.     Pierre     peignit 
dans    le  goût    de    Philippe  ,   mais 
il    ne    l'égala   point.   Cependant   il 
dessinait   bien  la  figure  et  les  che- 
vaux ;  sa    couleur   était    bonne   et 
vigoureuse;  et  quelques-uns  de  ses 
tableaux  ressemblent   à  ceux  de  la 
première  manière  de  son  frère ,  et 
peuvent  figurer  avec  eux.  Jean,   le 
plus  jeune  des  trois,  peignait  le  pay- 
sage avec   succès.    Sa   couleur   est 
chaude  et  variée  ,  sa  touche  hbre  et 
facile;  le  peu  de  tableaux  qu'il  a  faits 


2l8 


WOW 


sont  fort  estimes.  Sa  mort  préma- 
turée, arrivée  en  1666,  rempêcha 
(le  produire  un  plus  grand  nombre 
d'ouvrages,  et  d'accpierir  une  réputa- 
tion plus  étendue.  P — s. 

WOWER  (i)  ou  DE  WOWE- 
REN  (  Jean  ) ,  savant  littérateur , 
e'tait  iîls  d'un  gentilhomme  d'Anvers 
qui  s'était  retire  à  Hambourg  ,  pour 
cause  de  religion ,  et  il  naquit  en  cette 
ville  le  10  mars  i5^/^.  Ayant  fait  ses 
iiumanités  avec  succès  sous  la  con- 
duite de  Werner  Rolewinck  ,  très- 
liabile  instituteur ,  et  passe  deux  ans 
aux  écoles  de  Marpourg ,  il  fut  en- 
voyé ,  en  1 592 ,  à  l'académie  de 
Leyde ,  et  il  y  resta  cinq  ans  entiers^ 
dont  trois  comme  auditeur  des  cours 
publics ,  et  deux  comme  précepteur 
particulier.  II  y  vécut  dans  l'intimité 
de  Jos.  Scaliger,  de  Gruter  et  d'autres 
savants  distingués.  Jaloux  de  perfec- 
tionner ses  connaissances  ^  il  vint  en- 
suite à  Paris,  où  il  s'acquit  la  bien- 
veillance de  Dupuy,  de  Bongars  et 
de  Pitbou,dont  il  compare^  dans 
son  enthousiasme,  la  bibliothèque  à 
celle  d'Alexandrie  (  Epist.  i-j  ). 
Après  avoir  épuisé  toutes  les  res- 
sources que  la  France  pouvait  aloi's 
lui  présenter  pour  son  instruction , 
il  se  rendit  en  Italie ,  où  il  reçut  un 
accueil  non  moins  favorable.  Ayant 
obtenu  du  pape  la  permission  d'exa- 
miner les  manuscrits  du  Vatican,  il 
y  fit  une  abondante  moisson  de  no- 
tes et  de  documents  précieux.  Dans 
le  même  temps  il  recueillait  des  ins- 
criptions pour  Gruter,  et  il  dessinait 
ou  faisait  dessiner  la  colonne  Anto- 
nine ,  qu'il  se  proposait  de  publier 
avec  une  explication  j  mais  Scaliger, 
auquel  il  avait  adressé  son  dessin 
pour  le  faire  graver^  n'ayant  point 


(0  Et  non  pas  M'ouwcr ,  comme  on  lit  dans  les 
dicliounaircs  historiques. 


WOW 

trouvé  d'artiste  qui  voulût  s'en  char- 
ger, ce  projet  resta  sans  exécution. 
Les  bontés  dont  l'honorait  le  souve- 
rain pontife  servirent  de  prétexte  à 
ses  ennemis  ,  pour  répandre  le  bruit 
qu'il  avait  abandonné  le  protestan-  - 
tisme  ;  mais  il  s'en  défendit  dans 
une  lettre  à  Baudius  (  Ep.  40  ) ,  tout 
en  déclarant  qu'il  trouvait  que  les 
chefs  de  la  réforme  étaient  allés  beau- 
coup trop  loin.  Il  revint  en  Allema- 
gne (  1602  ),  rapportant  une  foule 
de  manuscrits ,  et  des  habitudes  de 
luxe  que  sans  doute  on  n'y  connais- 
sait pas;  car  Gerh.  Elmenhorst  ne 
peut  assez  témoigner  la  surprise  et 
l'admiration  que  lui  a  fait  éprouver 
une  si  rare  magnificence  ('i).  Wower 
accepta  la  charge  de  conseiller  du 
comte  d'Ost- Frise,  et  fut  envoyé 
par  ce  prince  à  la  Haye,  pour  la  pa- 
cification d'Embden^,  et  ensuite  à  la 
cour  de  Jean-Adolphe,  duc  de  Hols- 
tein.  Dès  la  première  entrevue ,  ii  ga- 
gna tellement  ses  bonnes  grâces ,  que 
le  duc  de  Holstein  lui  fit  promettre 
d'entrer  à  son  service  ,  aussitôt  qu'il 
le  pourrait.  Dans  un  voyage  qu'il  fit 
à  Paris,  en  1608,  le  cardinal  de 
Joyeuse  tenta  de  se  l'attacher  par 
les  offres  les  plus  honorables  ;  mais 
il  avait  pris  des  engagements  avec  le 
duc  de  Holstein ,  et  il  se  hâta  de  re- 
tourner près  de  ce  prince ,  qui  le 
nomma  gouverneur  de  Gottorp.  At- 
taqué d'une  maladie  de  la  vessie ,  il 
souffrit  pendant  les  deux  dernières 
années  de  sa  vie  des  douleurs  inex- 
primables, et  y  succomba  le  3o  mars 
1612  ,  à  l'âge  de  trente-huit  ans. 
Son  maître  le  fit  enterrer  avec  pom- 
pe dans  la  principale  église  de  Ker- 


111  am  maa- 


(vi)  Deus  bon e  ,  s'' écvie  Elmenhorst,  91 
nijîcè  se  ^eril .'  holoserico  iiidiiliis  est  pallio  ,  et 
t/uandb  in  pithlicuni  prodit,  undii/ii^  à  sen'ulis  sli- 
patttr.  Oinnia  tam  splendida  et  ma^nifica,  ni  ftiti~ 
geris  adininindo,\oy.  le  SyUoge  epistoliir  de  Bui-- 
maou,  II,  3  06. 


wow 

wick.  Wower  joignait  à  beaucoup 
d'érudition  une  grande  vivacité  d'es- 

Srit,  de  l'ardfur  pour  le  travail ,  et 
es  qualités  biillantes;   mais,   sans 
rappeler  son  amour  pour  le  faste ,  on 
lui  reproche  avec  raison  de  la  vanité 
et  du  goût  pour  la  flatterie.  On  a  la 
preuve  de  ce  dernier  défaut  par  son 
testament ,  dans  lequel  il  lègue  une 
somme  de  soixante  écus  à  chacun  de 
ceux   qui    feront   son  panégyrique. 
S'il  eut  des  amis,  il  eut  aussi  des 
ennemis  ,  dont  le  plus  acharné   fut 
son  compatriote    Fréd.   Lindebrog 
(  F.  ce  nom  ,  XXIV,  5o8  ) ,  qui  ne 
cessa  jamais  de  le  harceler,  quoique 
Wower  eût  tout  fait  pour  obtenir  la 
paix.  Ce  fut  Lindebrog  qui  le  pre- 
mier accusa  Wower  de  s'être  ap- 
proprié les  travaux  de  Gasaubon  et 
de  J.  Gulielmus  (  F.  Wilhelm  )  -,  et 
ces  accusations  ,  quoique  dénuées  de 
toute  vraisemblance,  ont  trouvé  jus- 
que dans  le  dix-huitième  siècle  des 
personnes  prêtes    à   les    accueillir. 
Outre  des   notes  fort  estimées  sur 
Pétrone,  sur  V Octavius  de  Minu- 
tius  Félix,  et  le  traité  de  Julius  Fir- 
micus  De  errorihus  profanar,  reli- 
gionuni;  sur  Apulée,  précédées  d'une 
dissertation  sur  la  vie  et  les  ouvra- 
ges de  cet  auteur ,  recueillies  dans  l'é- 
dition «^  usinn  Delphini ,  et  enfin  un 
travail  swr  Sidoine  Apollinaire  (3j, 
on  a  de  Wower  :  I.  De  polfmathid 
Tractatio  integri  operis  de  studiis 
veterunià.Tzoav:o(.(jiJ.dztoy,  Bàle,  i6o3  j 
Hambourg,  i6o4,  in-4*'.  ;  Leipzig, 
i665,  in-B*^.  (4),  avec  une  préface 
de  Thomasius  ,  dans  laquelle  il  jus- 


(3)  Les  notes  sur  TertuUien  ,  qu'a  publiées  Wo- 
iver  ,  sont  extraites  d'un  exemplaire  de  la  biblio- 
thèque du  Vatican,  lequel  avait  appartenu,  dit- 
on  ,  à  FI.  Orsini  ou  à  V.  Chacon.  \\  promettait  uu 
coinmeulaire  entier  sur  ce  père  ,  mais  il  n'a  point 
paru. 

(4)  Le  tfa'ité  De  pulymnlfiid  a  t-té  recueilli  par 
Grouovius,  daas  le  i'/irsaur.  aniiquU.  gnvcar. , 
X  ,  085. 


WOW  219 

tifie  complètement  Wower  d'avoir 
dérobé  cet  ouvrage  à  Gasaubon.  J.- 
G.  Vossius  s'ep  est  beaucoup  servi 
dans  son  traité  De  arte  grammati- 
cd.  Le  traité  De  studiis  veterum , 
dont  celui-ci  n'est  qu'un  extrait ,  n'a 
jamais  été  publié.  II.  Panegfricus 
Christiano  IF,  Daniœ  régi ,  dic- 
tus  ,  etc. ,  Hambourg,  i6o3  ,  in-80., 
et  dans  un  recueil  de  Harangues , 
Hanau,  i6i3  ,  in-8*'.  111.  Commen- 
tatio  de   cognitione  veterum  novi 
orhis ,  Francfort,   i6o3  ,  in-S».  IV. 
Dies  œstiva,  sive  de  urnhrdPœgnion, 
ib. ,   1610,  in-8''. ,  réimprimé  avec 
une  déclamation  de  .1.  Douza  sur  le 
même  sujet,  Oxford,  1 636,  in- 12. 
Lindebrog  accusa  Wower   d'avoir 
dérobé  cet  ouvrage  à  J.  Gulielmus. 
Y.   Sjntagma  de  grœcd  et  latind 
Bibliorum    interpretatione  ,   Ham- 
bourg, 1618  ,  in-8°.  J  ouvrage  pos- 
thume publié  par  Ger.  Elmenhorst , 
qui   î'a  fait   précéder  d'une  vie  de 
l'auteur  et  de  la  liste  de  ses  ouvra- 
ges tant  imprimés  que  manuscrits  ; 
réimprimé  avec  la  sa  vante  dissertation 
de  Brian  Wallon  De  linguis  orienta- 
lihus  ,  D éventer ,   1 658 ,  in- 1 2 .  Vï. 
Epislolarum   centuriœ    11 ,   ibid.  , 
16 19  (5),  in-8*^.  )  ces  lettres  méri- 
tent d'être  lues  ,  à  raison  des  détails 
curieux  qu'elles  contiennent  et  qu'on 
chercherait  vainement   ailleurs.  On 
trouve  plusieurs  lettres  de  Wower 
dans  le  Recueil  de  celles  de  Bau- 
dius  ;  les  Epistolœ  Gudianœ  en  ren- 
ferment trois  à  Kirchraann  et  une  à 
Lindebrog,  274-7 7*  Bayle  a  consa- 
cré dans  son  Dictionnaire  un  arti- 
cle à  ce  savant ,  et  le  P.  Niceron  une 
Notice  dans  les  Mémoires  des  hom- 
mes illustres ,  vi ,  55-65.       W-s. 

WOWER  ou  VAN  WOWEREN 
en    latin    TVowerius  (Jean),  ju- 

(5)  Ou  lit  sur  le  frontispice  1609;  mais  c'est  par 
l'omission  d'un  chillrc. 


220  WOW 

risconsulte  ,  était  de  la  même   fa- 
mille que    le    précédent  ,   avec   le- 
quel   on   l'a    souvent   confondu.    11 
naquit,    en    i5']6   (i),  à    Anvers. 
Après  avoir  fait  ses  liumanifes ,  il  fut 
envoyé  par  ses  parents  à  l'académie 
de  Louvain ,  où  il  se  distingua  par 
ses  progrès  dans  la  philosophie  et 
les  lettres.  Juste  Lipse  ,  son  maître  ^ 
conçut  pour  lui  la  tendresse  d'un  pè- 
re ,  et  ne  cessa  de  lui  donner  des  preu- 
ves de  son  aiïèction.  Ayant  termine 
ses  études  (u),  il  employa  trois  ans 
à  visiter  la  France,  l'Espagne,  l'I- 
talie et  l'Allemagne.  De  retour ,  en 
1602,  dans  sa  \ille  natale,  il  fut 
pourvu  d'une  charge  de  membre  du 
conseil.  Lipse  ,  avec  lequel  il  avait 
continué  d'entretenir  une  correspon- 
dance  suivie,  l'institua  l'un  de  ses 
exécuteurs  testamentaires,  et  lui  con- 
fia ses  manuscrits.  Deux  ans  aupara- 
vant, il  lui  avait  adressé  l'épitaphe 
qu'il   voulait  que   l'on  mît  sur  son 
tombeau.  C'est  à  cette  occasion  que 
Lipse  écrivait  à  Wower  :  c  Si  mon 
nom   me  survit ,  votre  amitié  pour 
moi  ne  sera  pas  moins  connue  de  la 
postérité  que  celle  d'Atticus  pour  Ci- 
céron  ou  de  Lucile  pour  Sénèque. 
Plût  à  Dieu  qu'il  lût  possible  de  don- 
ner une  part  dans  sa  renommée  com- 
me dans  sa  fortune  (  i6o4)I  i^Wo- 
wer ,  admis  au  conseil  des  finances 
et  de  la  guerre ,  mérita  l'estime  de 
l'infante  Isabelle  -  Claire  -  Eugénie , 
gouvernante  des  Pays  -  Bas.  Chargé 
d'une  mission  à  la  cour  d'Espagne, 
il  fut  honoré  par  le  roi  Philippe  IV 
du  titre  de  chevalier.  Il  mourut,  le 
23    septembre  1 635  ,   à  cinquante- 


(i)  En  j 578  ,  suivant  Sax.  0/(o;;jas?/c.  ,  IV,  177. 
Mais  Valère  André ,  Fr.  Swert  et  Fojjpens  s'ac- 
cordent à  fixer  la  naissance  de  Wo^ver  au  28  mai 
1376. 

(^9.)  Le  certificat  que  lui  délivra  Lipse  est  im- 
prime' dans  le  recueil  de  ses  OEuvrei. 


WRA 

neuf  ans  (3).  Outre  des  éditions  de 
Tacite  et  de  Sénèque ,  avec  les  no- 
tes de  Lipse,  et  de  deux  Centuries 
de  Lettres  de  son  maître  ,  on  a  de 
Wower  :  ï.  Eiicharisiicon  claro  et 
încomp.  viro  J.  Lipsio  ,  doctorisuo, 
Anvers,  1606,  in-  4^.  Cet  opuscule 
est  une  preuve  de  la  reconnaissance 
de  l'auteur.    II.   Assertio  Lipsiani 
Donarii  adversùs  Delatorum  sug- 
gillatiojies ,  ibid.,  iGo-j  ,in-4'^.  Lip- 
se avait  légué  sa  robe  fuiUTée  à  N.-D. 
de  Hall  ;  et  la  «singulaiilé  de  ce  don 
fouinil  ;^ux  protestants  bcaucoip  de 
railleries.  ^  ovvor  entrcpiit  de  justi- 
fier son  maîlie  (4  .111.  FaneL'yri- 
ciis  serenissimis  Alberto  etisabellœ, 
Belgarum  principihus ,  ibid.,  1609, 
in  -  8".  IV.'  Vit  a  B.  Simonis  sacer- 
dot.  Falentini ,  ibid . ,  i  ()  1 2  ou  1 6 1 4, 
in  -  8».  V.  Claud.  Mamerti  de  sta- 
tu animœ,  lib.  m  ad  manuscriptos 
exarati.  Yl.    De  consolatione ,  ad 
P. -P.  Buhenium  lugentem  Philippi 
fj'atrismortem  ,\h. ,  1 6  j  5 ,  in-4^-  ■>  et 
dans  les  OEuvres  posthumes  de  Phil. 
Rubens  {Voy.  ce  nom,  XXXI X, 
243  ).  On  trouve  une  Notice  sur  Wo- 
wer dans  les  Mémoires  du  P.  Nice- 
ron,  VI,  65  -  68.  W — s. 

WRANGEL  (Hebmann)  ,  général 
suédois,  né  en  1587  ,  entra  fort  jeu- 
ne au  service  ,  et  commença  sous 
Charles  IX  à  se  distinguer  dans  les 
gueires  contre  la  Pologne,  la  Russie 
et  le  Danemark.  Pris  en  1607  à  la 
bataille  de  Korkenhusen  ,  il  n'en  fut 
après  sa  délivrance  que  plus  ar- 
dent à  combattre.  Sa  conduite  au 
siège  d'Ivanogrod  (1609)  lui  fit  con- 
fier le  commandement  de  cette  place 
aussitôt   qu'elle  fut  tombée  entre  les 

{?,)  Et  non  pasGg,  comme  le  dit  le  P.  Niceron, 
par  inadvertance. 

(4)  le  CalfJogiie  de  Biiitau  porte  que  cet  opus- 
cule fut  réimprimé  dans  les  OEuvres  de  Lipse , 
1,  i.'|8  etsniv.  Ce  n'est  pas  du  moins  dan»  l'édit. 
d'Anvers,  i()37,  la  seule  qu'on  ait  pu  consulter. 


I 


WRA 

mains  des  Suédois.  Gustave-Adolphe, 
lui  ayant  donne,  en  lô'ii,  lebâtonde 
maiechaly  vint  à  l'armée  que  Wran- 
gel  commandait  contre  la  Pologne.  La 
campagne  fut  heureuse j  et  en  iCng 
les  Polonais  se  virent  force's  de  con- 
clure un  armistice.  Wrangel  suivit 
Gustave  en  Allemagne-  et  après  la 
mort  de  ce  prince  il  fut  employé  dans 
les  affaires  publiques,  surtout  dans 
les  négociations  de  la  paix  qui  fut 
conclue  avec  la  Pologne,  en  i635. 
L'année  suivante  ,  Oxenstiern  lui 
donna  le  commandement  d'un  corps 
d'armée  en  Poméranie.  Après  qu'il 
se  fut  emparé  de  plusieurs  places , 
.Wrangel  vint  au  recours  du  général 
Êanier,  qui  était  presse  par  les  Au- 
trichiens et  les  Saxons.  Cependant 
Tennemi  ayant  fait  des  progrès  en 
Poméranie,  Wrangel  eut  avec  Ba- 
nier  de  vives  discussions  qui  engagè- 
rent la  reine  Gbristine  à  le  rappeler. 
Cette  princesse  lui  confia  le  gouver- 
nement gfinéral  de  la  Livonic;,  qu'il 
administra  jusqu'à  sa  mort ,  arrivée 


WRA 


'2^1 


en  164^ 


G— Y. 


WRANGEL  (Charles-Gustave), 
général  suédois,  (ils  du  précédent, 
était  né  le  i3  décembre  161 3,  à 
Skokloster  dans  l'Upland,  sur  le 
lac  Mœlar,  à  peu  de  distance  d'Up- 
sal.  Dès  sa  plus  tendre  jeunesse,  il 
suivit  son  père  ,  nommé  gouverneur 
d'Elbing  j  et  souvent  il  accompa- 
gna comme  volontaire  ,  sans  que  son 
père  en  sût  rien,  les  partis  envoyés 
contre  l'ennemi.  Après  la  conclusion 
de  l'armistice  ,  il  alla  voyager  dans 
les  pays  étrangers ,  afin  d'en  ap- 
prendre les  langues.  Il  séjourna  une 
année  entière  en  Hollande,  où  il  s'ins- 
truisit dans  la  navigation  et  dans  la 
construction  des  vaisseaux.  Il  venait 
d'arriver  à  Paris,  en  1629,  lorsque 
Gustave-Adolphe  le  rappela  en  Suè- 
de, ainsi  que  d'autres  jeunes  gens 


qu'il  voulait  employer  dans  la  guer- 
re d'Allemagne.  Ce  monarque  le  nom- 
ma gentilhomme  de  sa  chambre  ,  et 
peu  de  temps  après  ,  oflicier  de  ses 
gardes.  Wrangel  eut  par  là  de  fré- 
quentes occasions  de  s'approcher  de 
la  personne  de  Gustave- Adolphe.  A 
la  bataille  de  Lutzen ,  il  avait  été  en- 
voyé par  ce  prince  pour  porter  des 
ordres  à  l'aile  gauche.  A  son  retour, 
il  le  trouva  étendu  sans  vie  ;  et  après 
avoir  donné  les  plus  vifs  regrets  à  une 
si  grande  perte,  il  concourut,  avec 
beaucoup  de  talent  cl  de  valeur ,  à 
assurer  le  triomphe  des  Suédois.  Il 
servit  ensuite  avec  une  grande  dis- 
tinction sous  les  ordres  de  Banier,  fut 
expédié  en  Suède  (i636),  en  ramena 
des  renforts  considérables,  et  fit  es- 
suyer de  grandes  pertes  à  l'ennemi 
près  de  Meniraingen(  1637).  Parvenu 
au  grade  de  colonel ,  il  fut  atteint,  à 
Torgau ,  d'un  coup  de  feu  à  la  tête  , 
tomba  de  cheval ,  eut  le  bras  cassé 
d'un  coup  de  fusil ,  et  manqua  d'être 
fait  prisonnier.  Il  fut  envoyé  de  nou- 
veau en  Suède ,  en  revint  avec  des 
troupes    fraîches ,    fut   récompensé 
par  le  grade  de  major -général  d'in- 
fanterie ,  et  eut,  en  cette  qualité,  une 
grande  part  à  la  victoire  de  Chem- 
nitz.  Par  une  ruse  de  guerre  il  s'em- 
para ,    sans  perte,  du  château  de 
Fetschen  ;  prit  à  la  pointe  de  l'épée 
Heldrungen  et  Resdingen ,  et  fit  beau- 
coup de  prisonniers.  Après  la  mort 
de  Banier  (  1641  ),  Wrangel  fut  du 
nombre  des  généraux  qui  participè- 
rent au  commandement  en  chef^  en 
attendant  l'arrivée  d'un  nouveau  gé- 
néral. A  Wolfenbuttel ,  il  fut  obligé 
de  soutenir ,  presque  seul  avec  son 
infanterie ,  pendant  cinq  heures ,  les 
efforts  de  l'infanterie  autrichienne  et 
bavaroise  j  et  il  réussit  à  les  repous- 
ser. Il  accompagna  ensuite  Torsten- 
son    dans   toute   sa  carrière  victo- 


222  WRA 

rieuse,  et  lui  rendit  plusieurs  ser- 
vices  très  -  importai] is.  A   son  re- 
tour   d'une     troisième    mission    en 
Suède,  il  contribua  beaucoup   à  la 
victoire   de   Leipzig.  Dans  la  cam- 
pagne suivante,  il  coopéra  très-ac- 
tivement aux  avantages   remportés 
en  Danemark.  Bientôt  il  se  distingua 
également  sur  mer.  En  1644,  l'ami- 
ral suédois  Glas  Flemming,  après  une 
action  sanglante  contre  les  Danois, 
ayant    ëtë    bloque  par   leur  flotte, 
à  Christianpriis  ,  aujourd'hui  Fre- 
dricsort,dans  le  Slesvig,  sur  la  fron- 
tière du  Holstein,  Torstcnson  lui  dé- 
pêcha Wrangel,  pour  se  concerter 
sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire.  Ce  fut  au 
milieu  du  feu  le  plus  vif  que  Wran- 
gel s'acquitta  de  sa  commission  ;  et 
Flemming  ,  blessé  à  mort ,  lui  remit 
le  commandement.  Secondé  par  un 
vent  favorable ,  il  traversa  sans  beau- 
coup de  perte  l'escadre  ennemie  ,  et 
fit  voile  avec  la  sienne  pour  Stoc- 
kholm. Ce  n'était  pas  assez  pour  lui 
de  l'avoir  sauvée ,  lorsque  chacun  la 
regardait  comme  perdue  :  ayant  ob- 
tenu de  la  régence  la  permission  de 
remettre  en  mer,  au  mois  de  septem- 
bre ,  il  se  joignit  à  l'cscadrehollandai- 
se  de  Louis  de  Geer,  et  rencontra  la 
flotte  danoise  sous  rîle  de  Femern.  Le 
combat  fut  sanglant  :  quelques  vais- 
seaux danois  furent  pris  par  les  Sué- 
dois ;   d'autres  furent  détruits.   Le 
nombre  des  prisonniers  fut  considé- 
rable. Wrangel  se  rendit  maître  de 
Femern ,   et  alla   hiverner  à  Wis- 
mar.  Dès  que  la  saison  le  permit,  il 
s'empara  de  Bornholm,en  i645,  et 
aurait  également  enlevé  toutes  les  îles 
danoises  ,  si  le  traité  de  Brœmsebro 
n'eût  ramené  la  paix.  A  cette  époque, 
Torstenson,  forcé  par  ses  infirmités 
de  renoncer  au  commandement  de 
l'armée  suédoise  en  Allemagne ,  fut 
remplacé  par  Wrangel ,  qui  arriva 


WRA 

en  Silésie  suivi  de  renforts  consid^ 
râbles.  Ayant  pris  les  avis  de  Tors- 
tenson ,  il  pénétra    en  Bohême,  et 
enleva  Friedland et  Leutmeritz.  L'ap- 
proche des  armées  autrichienne  et 
bavaroise  combinées,  qui  lui  étaient 
de  beaucoup  supérieures  ,  le  décida 
à  se  replier  sur  le  Weser,  afin  de  se 
rapprocher    de  Turenne.  Il  y  prit 
plusieurs   places  ,    s'avança     dans 
la  Hesse ,   et  se  retrancha  près  de 
Hamelbourg  ,  où   l'ennemi  le  suivit 
de  près.  Celui  -  ci  fit  la  même  ma- 
nœuvre: il  y  eut  beaucoup  de  com- 
bats sanglants  ;  chaque   parti  cher- 
chait à  couper  les  vivres  à  l'autre  : 
Wrangel   y  réussit  mieux   que  ses 
antagonistes  j   car  ceux  -  ci  ,  après 
avoir   perdu   plus   de   quatre  mille 
hommes  parla  faim,  furent  forcés  de 
se  retirer  près  de  Francfort-sur-le- 
Mein.  Wrangel  ,  élevé  aux  dignités 
de  feld-maréchal  et  de  sénateur,  eut 
alors  le  commandement  suprême  des 
armées  suédoises  en  Allemagne.  Il  se 
réunit  à  Turenne,  et  poursuivit  l'en- 
nemi  qui  s'était  arrêté  derrière  la 
Nidda   (  Voy.  Turenne)  ;  força  le 
passage  de  cette   rivière ,  défit  les 
troupes  qui  lui  étaient  opposées  ,  en- 
leva des  magasins,  et  contraignit  les 
Autrichiens  à  se  retirer  à   la  hâte. 
Ayant  ensuite  passé  le  Danube  et  le 
Leck,  conjointement  avec  Turenne, 
il  entra  en  Bavière ,  et  y  leva  de  for- 
tes contributions.  11  assiégea  inutile- 
ment Augsbourg  ,  et  n'ayant  pu  for- 
cer l'ennemi  à  recevoir  la  bataille  , 
il  mena  ses  troupes  dans  leurs  quar- 
tiers d'hiver  en  Souabe.  Cependant 
dès  qu'il  apprit  que  les  alliés  com- 
mençaient à  faire  des  manœuvres  en 
Bavière ,  il  s'y  porta  et  mit  en  dé- 
route une  de  leurs  divisions  à  Rain. 
Il  s'empara  ensuite  du  passage  im- 
portant de  Klaussen  près  de  Bre- 
gentz  ,  qui  lui  ouvrait  l'entrée  de  la 


WRA 

Suisse  et  de  l'Italie,  et  prit  le  château 
de  Mcinau  sur  le  lac  de  Constance. 
Ces  succès  décidèrent  l'èleclcnr  de 
Bavière  à  se  séparer  de  l'Autriche  , 
et  à  consentir  à  un  armistice.  Après 
avoir  fait  un  peu  reposer  ses  troupes, 
Wrangel  marcha  vers  la  Silèsie  pour 
se  joindre  aux  Suédois  qui  s'y  trou- 
vaient ,  puis  il  fondit,  en  16^7  ,  sur 
la  Bohême  ,  où  il  fit  plusieurs  con- 
quêtes ,  entre  autres  celle  d'E[;ra. 
L'empereur  Ferdinand  III,  s'élant 
avance  contre  lui  à  la  tète  de  son 
armée  ,  fut  surpris  dans  son  camp  ; 
Wrangel  pénétra  jusqu'à  son  quar- 
tier-gèucral ,  et  fut  sur  le  point  de 
le  faire  prisonnier.  Les  Autrichiens 
ayant  encore  éprouvé  des  revers  à 
Triebel  et  à  Tœpel  se  retirèrent  ; 
mais  l'électeur  de  Bavière,  qui  avait 
dénonce  l'armistice ,  joignit  toutes 
ses  troupes  à  celles  de  l'empereur. 
Alors  Wrangel ,  menacé  d'être  en- 
veloppé, se  replia  dans  la  Thuringe 
et  sur  le  Weser.  Cherchant  à  com- 
biner ses  opérations  avec  celles  de 
l'armée  française,  il  tint  la  campa- 
gne avec  avantage^  et  contribua  cuix 
succès  de  Turenne  en  Hesse  et  en 
Franconie.  Ce  fut  surtout  à  Simraers- 
tausen  qu'il  se  distingua,  en  1648. 
Toute  la  Bavière  tomba  au  pouvoir 
des  Suédois  et  des  Français*  l'élec- 
teur chercha  un  refuge  dans  le  pays 
de  Saltzbourg.  Le  prince  palatin  Char- 
les-Gustave ,  depuis  roi  de  Suède  , 
étant  venu  prendre  le  commande- 
ment général  de  l'armée  suédoise  , 
Wrangel  conserva  celui  du  nord  de 
l'Allemagne  pendant  le  reste  de  la 
guerre.  Enfin,  la  paix  de  Westpha- 
lie  mit  fin  à  ses  exploits  ,  et  il  re- 
tourna dans  sa  patrie ,  011  son  souve- 
rain le  récompensa  par  le  titre  de 
comte  et  par  des  dons  de  terres  en 
Suède,  en  Allemagne  et  en  Finlande. 
Lorsque  Charles-Gustave,  monté  sur 


WRA 


223 


le  tronc,  après  l'abdication  de  Chris- 
tine, eut  entrepris  une  expédition 
contre  la  Pologne  ,  il  confia  le  com- 
mandement de  sa  flotte  à  Wrangel  , 
qui ,  après  avoir  débarqué  l'armée  , 
bloqua  le  port  de  Dantzig.  Le  roi 
l'appela  auprès  de  lui  à  Thorn  ,  et 
l'envoya  avec  dix  mille  hommes  en 
Pomérélie  pour  en  chasser  Czarneski, 
général  des  Polonais^  qui  en  avait 
quinze  mille.  Wrangel  l'atteignit  près 
de  Gnesne ,  et  le  mit  en  fuite.  A  la  ba- 
taille de  Varsovie,  en  i65{),  il  com- 
mandait l'aile  gauche,  avec  l'électeur 
de  Brandebourg  ,  et  il  y  dép!o\a  au- 
tant de  valeur  que  de  talent.  Les 
Danois  ayant  manifesté  des  disposi- 
tions hostiles,  il  se  rendit  en  Poméra- 
nie  ,  puis  dans  le  duché  de  Brème  , 
d'où  il  chassa  entièrement  l'ennemi. 
Il  marcha  ensuite  sur  le  Jutland  ,  et 
emporta  d'assaut  le  fort  de  Fre- 
driksudde ,  en  1657.  Les  suites  de 
cet  avantage  qui  avait  peu  coûté  aux 
Suédois  furent  très-importantes.  Le 
roi  fut  tellement  satisfait  des  services 
de  Wrangel ,  qu'il  le  nomma  amiral 
du  royaume  ;  et ,  lorsque  ce  prince  se 
rendit  dans  l'île  de  Fionie ,  le  nouvel 
amiral  commanda  son  avant-garde  : 
il  attaqua  l'armée  danoise  rangée  en 
bataille  sur  le  rivage  ,  et  la  culbuta 
entièrement.  Charles  -  Gustave  étant 
campé  devant  Copenhague ,  Wran- 
gel alla  assiéger  le  château  de  Cronen- 
bourg  ,  qu'il  prit  en  moins  de  trois 
semaines  de  siège.  En  i658,  dans 
le  combat  naval  du  Sund  contre  les 
Hollandais  venus  au  secours  des  Da- 
nois ,  il  combattit  l'amiral  Opdam , 
jusqu'à  ce  que  son  vaisseau  ,  entière- 
ment désemparé  et  couvert  de  morts, 
fut  obligé  de  faire  cote. Dans  l'année 
suivante  ,  l'assaut  donne  à  Copenha- 
gue ayant  échoué  ,  Wrangel  résolut 
de  se  rendre  maître  des  autres  îles  da- 
noises,   et  quelques  difficultés  qu'il 


224 


WRA 


éprouvât, il  prit  celles  de  Langeîand, 
d'Alsen  et   de  Fionie.   Les  troupes 
impériales,  polonaises  et  brandebour- 
geoises  ,  cornmande'es  par  le  grand- 
électeur  Frcdéric-Giiillanme,  essayè- 
rent inutilement  de  le  déloger.  Les 
ennemis  e'tant  ailes  en  Pomeranie  , 
Wrangel  les  y  suivit,  et  les  força  de 
lever  le  siège  de  Wolgast.  Après  la 
paix  de    1660  ,  il   fut  nomme  ma- 
réchal du   royaume  ,  commandant- 
général  des  troupes  ,  et  président  du 
collège  de  la  guerre.  Cliarles-Gnstavc 
l'avait  choisi  pour  un  des  régents  et 
tuteurs  de  son  fils  Charles XI  encore 
mineur.  Des  troubles  s'étant  élevés, 
en  i665  ,  dans  le  duché  de  Brème, 
Wrangel  alla  rétablir  l'ordre  dans 
ce  pays.  En  li)"]^,  quoique  vieux  et 
infirme  ,  il  fut  encore  chargé  du  com- 
mandement de  l'armée  en  Pomera- 
nie ;  mais  sa  faiblesse  extrême  l'o- 
bligeait presque  toujours  de  garder 
le  lit  ;  on  ne  peut  donc  le  rendre  res- 
ponsable des  défaites  que  les  Suédois 
éprouvèrent  à  Havelberg  et  à  Fehr- 
bellin  dans  le  Brandebourg,  les  12 
et   18  juin    1675,  puisqu'il  était  à 
\me  grande  distance  de  l'armée.  Ses 
infirmités  augmentant  chaque  jour, 
il  déposa  le  commandement,  et  se 
retira  dans  sa  terre  de  Spiker  ,  située 
dans  l'île  de  Rugen.  Il  y  vivait  pai- 
siblement,  lorsqu'il   apprit  que  des 
vaisseaux  ennemis    venaient   de    se 
montrer  :  aussitôt  son  arder-r  mar- 
tiale se  ranime  ,  et  il  veut  aller  les 
reconnaître.  Cet  effort  lui  coûta   la 
vie  ;   il   mourut    en    juillet    lô-jC)  , 
avec  la   réputation    d'un    des    plus 
grands  généraux  de  la   Suède.  Son 
covps  fut  a|)porlé  dans    ce   royau- 
me ,  et  déposé  dans  l'église  de  Skok- 
loster,  dont  il  avait  fait  bâtir  le  châ- 

WRANITZKY  (Paul),  direc- 
teur de  la  musique  des  deux  théâtres 


WRA 

de  la  cour  impériale  de  Vienne,  na- 
quit en  Bohême  vers  le  milieu  du 
dix-huitième  siècle ,  et  se  forma , 
comme  compositeur ,  à  l'école  du 
célèbre  Josepli  Haydn.  Il  commença 
à  se  faire  connaître,  en  17B6,  par 
deux  symphonies,  qui  eurent  le  plus 
grand  succès*  et,  depuis  celte  épo- 
que ,  il  ne  cessa  de  publier  des  piè- 
ces qui  furent  accueillies  par  les  con- 
naisseurs, quoique  l'auteur  soit  resté 
au-dessous  des  grands  maîtres  ,  no- 
tamment de  Haydn  et  de  Mozart. 
Pour  le  chant  ,  il  composa  Obe- 
ron ,  opéra  emprunté  du  poème 
de  Wieland ,  et  qui  ,  pendant  le 
couronnement  de  l'empereur  ,  à 
Francfort,  eut  vingt-quatre  représen- 
tations eu  six  semaines.  Il  en  parut 
un  extrait  pour  le  forte-piano,  en 
1793.  Les  compositions  de  Wranitz- 
ky  ont  été  publiées  à  Paris  et  à  Of- 
fenbach.  G — y. 

WRATISLAS  I^'.  ,duc  de  Bohê- 
me ,  né  eu  887  ,  était  fils  de  Borzivoï , 
premier  duc  chrétien  ;  il  épousa  en 
906  Drahomire,  princesse  païenne,  et 
succéda  en  91 5  à  son  frère  Zbignèe 
l^.,  qui  n'avait  régné  que  cinq  ans. 
Il  mourut  lui-même  en  920 ,  très- 
rcgrelté  de  ses  sujets,  qu'il  avait 
gouvernés  paternellement,  malgré  les 
efforts  de  Draliomire,  qui  employait 
toute  son  influence  pour  empêcher  le 
bien.  Wratislas  I'^^'.  laissa  deux  fiis, 
saint  Venceslas  et  Boleslas  ,  qui  lui 
succédèrent.  11  fut  enterré  dans  l'é- 
glise de  Saint-George,  dont  il  est 
le  fondateur,  et  où  l'on  voit  son 
tombeau ,  sur  lequel  il  est  représen- 
té avec  les  insignes  de  la  dignité  du- 
cale, tenant  des  deux  mains  le  plan 
de  l'église  de  Saint-George.  Sous  ses 
pieds  on  lit  l'inscription  suivante  : 
Hic  jacet  Beatus  JVralislaus ,  pa- 
ter  S.  JVenceslai  ,fundator  h.  ec- 
clesiœ.  G — y. 


I 


WRA 

WRATISLAS  II ,  premier  roi  de 
Bohême,  succéda,  en  loGi  ,  à  son 
frère  Zbignec  II,  qui  était  mort  sans 
enfants.  D'après  les  dernières  dispo- 
sitions du  duc  Brzétislas,  leur  père, 
les  frères  cadets  avaient  eu  la  Mora- 
vie pour  apanage.  Zbignee  ,  mépri- 
sant les  volontés  de  son  père ,  les  en 
avait  chasses  avec  violence.  Wratis- 
las  se  réfugia  en  Hongrie ,  et,  sa  pre- 
mière épouse  étant  morte  par  suite 
des  mauvais  traitements  que  Zbignée 
lui  avait   fait   éprouver,  il  épousa 
en  secondes  noces  la  princesse  Adé- 
laïde, sœur  du  roi  de  Hongrie.  Après 
avoir  été  rétabli  dans  son  apanage, 
qui   était  le  comté  d'Olmutz,  il  en 
jouit  paisiblement ,  jusqu'à  la  mort  de 
son  frère  j  alors  il  fut  élu  duc    de 
Bohême,  par  le  suffrage  unanime 
de  la  nation.   Ayant  pris  en  main 
le  gouvernement ,  il  se  hâta  de  rem- 
plir les  dernières  volontés  de  son  père, 
et  céda  à  ses  frères  Othon  et  Conrad 
la  Moravie  ,  sous  la  condition  qu'ils 
le  reconnaîtraient  pour  seigneur  su- 
zerain. Le  dernier  des  frères,  Jaro- 
mir ,  qui ,  d'après  les  ordres  du  père , 
était  destiné  à  l'état  ecclésiastique , 
faisait  ses  études  à  Liège.  Quand  il  eut 
appris  ce  qui  se  passait  en  Bohême  , 
il  se  rendit  en  toute  hâte  à  Prague ,  et 
somma  d*un  ton  très-impérieux  son 
frère  Wratislas  de  lui  donner  un  apa- 
nage. Ce  prince  fit  observer  que  cette 
prétention  était  contraire  aux  disposi- 
tions de  leur  père  j  et  comme  ses  re- 
présentations n'étaient  pointécoutées, 
illit  ordonner  diacre  Jaromir,  quoi- 
que celui-ci  protestât  hautement  con- 
tre cette  violence.  Peu  après ,  le  jeune 
prince,  ayant  déposé  l'habit  ecclé- 
siastique, et  ayant  pris  le  casque,  se 
réfugia  près  de  Boleslas ,  roi  de  Po- 
logne. Sévère  ,  évêque  de  Prague , 
étant    mort   en   io65,  les    princes 
Othon  et  Conrad  rappelèrent  de  Po- 


WRA 


115 


logne  leur  frère  Jaromir ,  lui  firent 
reprendre     l'habit     ecclésiastique  , 
et  vinrent  avec  lui  trouver   Wratis- 
las ,  qu'ils  prièrent  de  donner  à  son 
frère  l'évêché  vacant.  Le  prince,  sans 
y  avoir  égard,  nomma  évêque  un  ec- 
clésiastique saxon,  très-instruit.  Ce 
choix  indigna  la  noblesse  bohémien- 
ne. Un  comte ,  appelé  Kojata ,  osa  , 
en  présence  de  Wratislas ,  exciter 
les  princes  à  s'opposer  à    l'élection 
de  cet  étranger,  et  à  prcndic  les  ar- 
mes pour  défendre  leurs  prétendus 
droits.  La  noblesse  ayant  pris  parti 
pour  Jaromir,  Wratislas  céda.  Son 
jeune  frère  fut  nommé  évêque  et  ins- 
tallé. Kojata  et  un  autre  noble  furent 
sacrifiés  à  cet  arrangement  de  famil- 
le; et  ils  prirent  la  fuite,  pour  se 
soustraire  à  la  punition  qu'ils  méri- 
taient. Wratislas  envoya  Jaromir , 
avec  une  suite  nombreuse ,  à  Maïen- 
ce  ,  pour  y  recevoir  l'investiture  des 
mains  de  l'empereur  Henri  IV  ,  et  la 
consécration  épiscopale  de  celles  de 
l'archevêque  de  Maïence.  Les  céré- 
monies étant  terminées ,  les  nobles  bo- 
hémiens repassèrent  le  Rhin  avec  le 
nouvel   évêque.  Un  d'entre  eux  se 
trouvant  sur  le  bord  du  bateau  ,  Ja- 
romir le  poussa  avec  violence  dans 
le  fleuve  ,  en  lui  disant  :  «  Wilheim , 
»  je  te  baptise.  »  Ce  ne  fut  qu'avec 
la  plus  grande  peine  qu'on  le  reti- 
ra. Quand  il  fut  rentré  dans  le  ba-. 
teau,  l'inquiétude  lit  place  à  l'indi- 
gnation ;  et  tout  ce  qui  était  à  bord 
aurait  mis  la  main  sur  l'évêque  ,  si  l'on 
n'avait  été  retenu  par  le  respect  que 
l'on  croyait  devoir  au  frère  du  souve- 
rain. Instruit  de  ce  qui  s'était  pas- 
sé, Wratislas  reprocha  vivement  à  ses 
frères  l'imprudence  irréligieuse  qu'ils 
avaient  commise,  en  le  forçant  à  nom- 
mer un  sujet  qui  ne  pouvait  que  dés- 
honorer l'épiscopat.  Wratislas  avait 
épousé^  en  troisièmes  noces,  Swien- 
i5 


226 


WRA 


tochna ,  princesse  de  Pologne  (  F.  ce 
nom).  Eu  1067,  il  se  jeta  sur  les 
frontières  de  la  Pologne ,  qu'il  dévas- 
ta. Le  roi  Boleslas  accourut;  cl  les 
Boliemiens  se  retirèrent.  Les  anna- 
listes qui  racontent  les  faits  ne  font 
point  connaître  les  causes  qui  armè- 
rent les  deux  beaux-frères  l'un  contre 
l'autre.  Wratislas  avait  prié  le  pape 
Alexandre  II  de  vouloir  bien  lui  don- 
ner un  bonnet  ducal ^  pour  le  porter 
dans  les  grandes  cérémonies.  Le  pon- 
tife envoya  h  Prague ,  Jean ,  evêque 
de  Tusculum  ,  avec  le  bonnet.  En 
1073  ,  Grégoire  VU  étant  monté  sur 
la  chaire  de  saint  Pierre  ,  l'empereur 
Henri  IV,  pressé  de  tous  côtés  par 
les  prétentions  de  ce  pontife  ,  de- 
manda des  secours  aux  princes  qui 
reconnaissaient  la  suzeraineté  de 
l'empire  germanique.  Afin  de  ga- 
gner Wratislas .,  il  lui  accorda  Meis- 
sen^  ville  capitale  de  la  Lusace,  à 
laquelle  Boleslas ,  roi  de  Pologne , 
prétendait  avoir  droit.  Wratislas 
soutint  le  parti  de  Henri  ,  et  il  l'au- 
rait fait  d'une  manière  plus  efficace , 
si  son  frère  Jaromir  ne  l'avait  placé 
dans  une  position  extrêmement  diffi- 
cile à  l'égard  de  la  cour  de  Rome. 
Ce  prince  ,  si  indigne  de  l'épiscopat , 
voulant  réunir  l'évcché  d'Olmutz  à 
celui  de  Prague,  se  rendit  à  Oîmutz. 
Là  étant  à  table  cliez  Tévêque,  il  sai- 
sit ce  vieillard  vénérable  par  les  che- 
veux y  et  lui  mettant  le  pied  sur  la 
tête  ,  il  voulut  le  forcer  à  abdiquer 
en  sa  faveur.  Wratislas  indigné  en- 
voya à  Rome  pour  rendre  compte  de 
ce  qui  venait  de  se  passer.  Deux  lé- 
gats, venus  à  Prague  de  la  part  du 
pape  ,  citèrent  Jaromir  à  comparaî- 
tre devant  eux.  L'évêque  prétendit 
qu'il  n'était  justiciable  que  deson  mé- 
tropolitain ,  l'archevêque  de  Maïen- 
ce  y  et  il  refusa  de  comparaître. 
Les  légats  le  déclarèrent  alors  dc- 


WRA 

chu    de  la  dignité  épiscopale.   Le 
chapitre    de  Prague  ,   prenant   fait 
et  cause  pour  son  évêque  ,  couvrit 
les    autels   de    deuil  ,  comme    cela 
se  pratique  le  vendredi-saint,  en  dé- 
clarant qu'il  n'obéirait  point  aux  lé- 
gats du  pape.  Ceux-ci  furent  reçus 
avec  respect  par  Wratislas,  à  qui 
Grégoire  Vil  adressa    deux  brefs, 
dans  Tun  desquels  il  lui  disait  d'exé- 
cuter  ce  qui  avait  été  décidé  par 
sesiégats.  Jaromir  en  appela  à  Rome; 
l'archevêque  de  Maïcnce  ayant  pris 
son  parti  contre  les  légats,  Grégoire 
VII  évoqua  l'affaire  par-devant  lui. 
Jaromir  comparut  à  Rome  en  10^4; 
il  sut  intéresser   à    sa  cause  la    fa- 
meuse Mathilde,  et  fut  renvoyé  en 
Bohême  ,  avec  ordre  à  Wratislas  de 
le  rétablir  dans  tous  ses  droits.  Ja- 
romir rentra  à  Prague  en  triomphe, 
bravant  le  duc  son  frère ,  et  se  fai^ 
saut   gloire  des  calomnies  par   les 
quelles  il  avait  cherché  à  le  nôircii 
dans  l'esprit  du  pape.  Sur  les  plain- 
tes de  Wratislas,  cet  indigne  préla 
fut  de  nouveau  cité  devant  la  coui 
de  Rome; et  ce  fut  alors  qu'il  quittî 
Prague  ,  pour  s'attacher  à  l'empe- 
reur d'Allemagne.  Wratislas, n'ayan 
plus  rien  à  craindre  dans  l'intérieui 
du  duclié ,   se    déclara    hautement 
pour  l'empereur  Henri ,  qui,  en  ré- 
compense^ lui  confirma  la  posses- 
sion de  la  L  usa  ce.  Le  duc  de  Bo- 
hême parut,   en    107 5,  à  la  diète 
de  Goslar,  et  il   appuya  vivement 
Henri  qui  proposait  son   fils  pour 
son  successeur.  On  pense  que  c'est 
la  première  fois  que  les  princes  de 
Bohême  ont  paru  , comme  électeurs, 
aux  diètes  de  l'empire  germanique, 
En  1080,  Wratislas  s'adressa  à  Gré- 
goire Vil ,  pour  le  prier  de  vouloir 
bien  permettre  qu'en  Bohême  on  ex- 
pliquât   l'Ecriture    sainte    et    que 
l'on  célébrât  l'office  divin  en  langue 


, 


WRA 

slave.  Il  appuyait  sa  demande,  sur 
ce  que  la  plupart  des  prêtres  de  la 
Boliême ,  ignorant  la  langue  latine , 
ne  parlaient  que  le  slavon.  Le  pape 
saisit  cette  occasion  pour  reprocher 
à  Wratislas  les  relations  qu'il  entre- 
M  tenait  avec  Tempereur  Henri.  «Nous 
»  ne  savons  ,  dit  le  pape ,  si  nous 
»  devons  vous  accorder  notre  benë- 
»  diction  apostolique;  car  vous  n'en 
»  êtes  point  digne,  ])uisque  vouscom- 
y>  miiniquez  avec  des  excommunies. 
»  Vous  nous  demandez  la  permission 
»  de  faire  célefbrer  l'olUce  dans  vos 
»  états  en  langue  slave.  Nous  voifs 
»  le  défendons  expressément,  en  vous 
»  ordonnant  de  le'sister  de  toutes 
», vos  forces  à  la  vaine  te'me'ritë  de 
»  ceux  qui  vous  ont  imprudemment 
»  porte  à  nous  faire  cette  deman- 
»  de.  »  Lorsque  Wratislas  reçut 
cette  lettre  ,  il  combattait  avec  Henri 
à  Fladenlieim  en  Thuringe  (  1080  ) 
où  il  eut  le  bonheur  de  compter  parmi 
ses  trophées  la  Lance  royale  (i)de 
Rodolphe,  ëlu  empereur  par  le  parti 
de  Grégoire.  Henri ,  voulant  mar- 
quer sa  reconnaissance  à  Wratislas  , 
lui  donna  y  pour  lui  et  ses  succes- 
seurs ,  la  permission  de  faire  porter 
cette  lance  devant  lui ,  dans  les  gran- 
des solennités.  A  cette  bataille  ,  le 
prince  bohémien  avait  eu  occasion 
d'admirer  la  valeur  de  Wibert  ou 
Wigbert;  ce  fut  ce  brave  général 
qui ,  par  ses  instances,  décida  Wratis- 
las à  demander  à  l'empereur  le  titre 
de  roi.  Ayant  obtenu  le  consentement 
du  prince,  il  alla  trouver  l'empereur, 
à  qui  il  promit  quatre  mille  marcs 
d'argent ,  avec  un  corps  de  cavalerie 
commandé  par  Borzivvoï  ,  fils  aîné 
de  Wratislas.  Henri  accepta  la  pro- 
position ,  et  Borziwoï  ,   dirigé  par 


(1)  Lancea  regcilis  ou  dominica,  que  l'on  mettait 
entre  les  mains  de  l'empereur ,  à  son  couronne- 
ment. 


WRA  227 

Wigbert,  fit  quatre  campagnes  en 
Italie,  sous  les  ordres  de  l'empereur. 
Pendant  que  son  fds  combattait  au 
dehors,  Wratislas  marcha,  en  1082, 
vers  le  Danube  _,  pour  attaquer  Léo- 
pold ,  margrave  d'Autriche.  Étant 
près  de  l 'ennemi  j,  il  fit  prier  Léopold 
de  lui  préparer  un  repas  digne  de 
lui  ,  et  d'assister  au  tournoi  qu'il 
voulait  lui  donner.  Léopold  répondit 
sur  le  même  ton.  On  se  rencontra  à 
Mauerberg  ou  Mcilberg ,  et  Léopold 
fut  complètement  battu.  En  1084, 
Borziwoï  et  Wigbert  revinrent  à 
Prague  ;  le  jeune  prince  ,  prenant 
celui-ci  par  la  main,  dit  à  Wratislas  : 
«  Mon  père,  l'empereur  vous  recom- 
»>  mande  ce  brave  général ,  et  moi  , 
»  je  vous  prie  de  vouloir  bien  ,  en 
»  récompense  de  ses  services  ,  lui 
»  donner  votre  fille  Judith  en  ma- 
»  riage.  »  Cette  demande  fut  accor- 
dée. A  la  diète  de  Maience,  en  1086, 
l'empereur  Henri  ayant  fait  avancer 
Wratislas.  au  milieu  des  princes  ,  et 
l'ayant  proclamé  ,  à  haute  voix ,  roi 
de  Bohême,  chargea  l'archevêque  de 
Trêves  de  se  rendre  à  Prague,  pour 
donner  l'onction  royale,  avec  la  cou- 
ronne ,  à  Wratislas  et  à  la  princesse 
Swientochna.  L'évêque  d'Olmutz 
étant  mort ,  l'empereur  joignit  cet 
évêché  à  celui  de  Prague  ,  en  faveur 
de  Jaromir.  Cette  faveur,  dont  le 
prélat  était  si  peu  digne ,  ne  lit  que 
le  rendre  plus  insolent.  H  gardait  si 
peu  de  mesure ,  qu'étant  invité  par 
le  roi ,  son  frère ,  à  venir  à  la  cour , 
il  dédaigna  de  comparaître  ,  et  ne 
vint  point  à  l'église ,  quand  il  sut 
que  le  roi  devait  assister  à  l'of- 
fice. Pour  punir  son  frère ,  le  monar- 
que érigea  dans  le  château  de  Pra- 
gue, appelé  Wissehrad, un  chapitre, 
dont  les  chanoines  officiaient  avec  les 
ornements  pontificaux  ;  et  il  donna 
au  prévôt  de  cette  église  ,  avec  plu- 


22B 


WRA 


sieurs  autres  prérogatives ,  le  titre 
et  les  fonctions  de  chancelier  du 
royaume.  On  bâtit  un  temple  ma- 
gnifique dans  ce  château  qui  domine 
la  ville  ;  et ,  quand  on  en  jeta  les  fon- 
dements, le  roi  voulut,  en  l'honneur 
des  douze  apôtres  ,  porter  sur  ses 
épaules  douze  paniers  de  terre.  Les 
liabitanls  de  la  Lusace  ayant  com- 
mis des  ravages  sur  les  frontières  de 
la  Bohême,  le  roi  envoya  son  fils, 
Brzëtislas,  pour  les  punir.  Ce  jeune 
prince  provoqua  maladroitement  îes 
Saxons j  ceux  -  ci  l'attaquèrent*  il 
les  repoussa  ,  après  un  combat  très- 
sanglant.  L'empereur  ,  mécontent  , 
en  lit  des  reproches  au  père  ,  qui  eut 
beaucoup  de  peine  à  l'apaiser.  De 
nouveaux  mailieurs  vinrent  troubler 
la  paix  de  la  famille  régnante.  Otlion, 
Inarquis  d'Olmutz  ,  avait  laissé  en 
mourant  deux  fils ,  Swientopeîk  et 
Otlion  ,  auxquels  il  donna  Jaromir 
pour  tuteur.  Le  roi  voulut  disposer 
du  marquisat  qui  était  un  fief  dépen- 
dant de  la  couronne,  Jaromir  s'y 
opposa ,  et  mit  ses  deux  neveux  en 
possession  d'Olmutz  et  de  ses  dépen- 
dances. Sentant  qu'il  avait  trop  en- 
trepris ,  il  se  décida  à  aller  à  Rome, 
pour  porter  plainte  contre  son  frère  ; 
mais  il  mourut  en  chemin.  Wi  atislas 
se  hâta  de  séparer  les  deux  églises 
d'Olmutz  et  de  Prague,  et  ayant 
chassé  d'Olmutz  ses  deux  neveux  ,  et 
donné  le  marquisat  à  Brzétislas  , 
son  fils,  il  se  rendit  avec  lui  devant 
la  ville  de  Brunn  ,  pour  y  assiéger 
Conrad,  son  frère,  qui  avait  pris 
parti  contre  lui  en  faveur  de  Jaromir. 
Cependant  il  se  laissa  fléchir  par  les 
larmes  de  l'épouse  de  Conrad,  qui  vint 
se  jeter  à  ses  pieds  ,  et ,  pardonnant 
à  son  frère  ,  il  lui  permit  de  venir 
le  trouver.  Pendant  le  siése,  un  séné- 
rai  qui  était  en  grande  faveur  auprès 


'01 

i 


aya 


nt  dit 


en  sa  présence  un 


WRA 

mot  qui  déplut  à  Brzétislas,  ce  jeun 
prince  le  fit  assassiner.  Craignant  L 
colère  de  son  père,  il  quitta  le  cam 
et  attira  à  lui  trois  mille  hommes  de 
l'armée,  avec  lesquels  il  osa  marcher 
sur  la  ville  de  Prague.  Le  roi ,  à  qui 
il  était  si  facile  de  punir  cette  té- 
mérité ,  fut  apaisé  par  les  prières 
de  Conrad,  et  se  contenta  d'exiler 
son  fils,  qui  se  réfugia  près  du  roi 
de  Hongrie.  Wratislas ,  voyant  a 
procher  ses  derniers  moments  ,  coi: 
voqua  les  grands  du  royaume  y 
désigna  Conrad,  son  frère,  pour  so: 
successeur  ,  en  lui  recommanda 
d'avoir  soin  de  ses  fils  Boleslas,  Bor- 
ziwoï,  Vladislas  et  Sobieslas  j  il  ne 
parla  point  de  Brzétislas.  Ce  prince 
mourut  le  14  janvier  109*2  ,  et  il  fut 
enterré  dans  l'église  de  Wissehrad. 
Son  frère  fut  aussitôt  proclamé  sou- 
verain de  la  Bohême.  Ses  succes- 
seurs ,  pendant  soixante  ans  ,  ne 
prirent  point  le  titre  de  roi  ,  le 
regardant  comme  une  préiogative 
conférée  à  la  personne  de  Wra 
tislas.  G — Y. 

WRAY (Daniel),  savant anglai 
né  à  Londres  en  1701  ,  fit  ses  éti 
des  à  la  Chartreuse  {Charterhouse) 
puis  au  collège  de  la  Reine  de  l'uni- 
versité de  Cambridge  ,  et  voyagea 
ensuite  en  Italie.  Ses  connaissances 
étendues  et  variées  le  firent  ad- 
mettre à  la  société  royale  ,  en 
17*29,  et  deux  ans  après  dans  celle 
des  antiquaires.  Il  fut  membre  de 
plusieurs  autres  sociétés  savantes,  et 
conservateur  du  musée  britannique. 
En  1745,  M.  Yorke ,  qui  fut  depuis 
comte  de  Hardwicke ,  lui  donna  un 
emploi  près  de  lui  à  l'échiquier  (  la 
trésorerie  ).  Daniel  Wray  mourut  le 
29  décembre  1783.  II  fut  un  à^ 
auteurs  des  Lettres  athéniennes  , 
publiées  par  le  comte  de  Hardwicke 
{Vojez  ce  nom  ).  Le  premier  yo-^l 


WRE 

lume  de  V Archœologia  contient 
des  Notes  sur  les  murailles  de  l'an- 
cienne Rome,  communiquées  par  lui, 
en  1 7-56 ,  et  des  Extraits  de  ses  Let- 
tres écrites  de  Rome ,  relativement 
à  la  découverte  d'une  belle  statue 
de  Vénus  ,  qui  j  fut  déterrée  en 
1761.  La  bibliotlièque  de  Wiay  fut 
donnée  par  sa  veuve  à  la  maison  où  il 
avait  reçu  sa  première  instruction.  Z. 
WUKN  (  Mathieu  ) ,  célèbre  ëvê- 
que  d'Ély,  naquit  à  Londres,  dans 
la  paroisse  de  Saint-Pelerclieap ,  le 
23  dë(V  1 585,  d'une  famille  noble  ori- 
ginaire du  Danemark,  mais  dont  l'é- 
tablissement principal  était  à  Win- 
chester. Distingué  avantageusement 
dès  son  adolescence  ,  il  fut  emmené  à 
l'université  de  Cambridge,  par  An- 
drews, qui  fut  dans  la  suite  choisi  pour 
chef  du  collège  de  Pembroke-Hall , 
et  l'y  fit  admettre  en  i6oï.  Wren 
s'y  livra  princi}>alement  à  l'étude 
du  grec  pendant  ses  premières  an- 
nées ,  y  continua  ses  cours  de  philo- 
sophie, et  fut  promu  au  ministère 
ecclésiastique  en  février  1610.  Mais 
il  n'exerça  point  encore  les  fonctions 
c'vangéliques^  et  occupa  quatre  ans 
mie  des  chaires  de  l'université  Gan- 
tabrigienne.  Enfin  ,  après  avoir  sou- 
tenu une  thèse  de  philosophie  en 
présence  du  roi  Jacques  I*^'.  ,  il  fut 
nommé  (  i6i5  )  chapelain  de  l'évê- 
que  Andrews,  puis  recteur  de  Fe- 
versham,  dans  le  comté  de  Kent. 
Six  ans  après  ,  il  devint  chape- 
lain particulier  du  prince  de  Galles , 
depuis  Charles  I*^'^.  ,  et  le  suivit  en 
cette  qualité  à  la  cour  d'Espagne,  où 
le  jeune  héritier  de  la  couronne  d'An- 
gleterre alla  en  1623.  A  son  retour 
dans  sa  patrie  ,  il  eut  avec  les  évêques 
Andrews^  Neile  etLaudune  conféren- 
ce sur  les  sentiments  de  son  maître , 
relativement  à  la  religion  anglicane. 
Wren ,  qui  avait  étudié  à  fond  le  ca- 


WRE  229 

ractèredu  prince,  répondit,  à  ce  qu'il 
paraît,  ave(i  beaucoup  de  justesse j 
car  le  vieil  Andrews,  qui  jusque-là 
était  resté  silencieux,  termina  l'entre- 
tien ,  après  une  heure  de  discussion , 
par  ces  mots  :  «  Eh  bien  !  docteur, 
je  vous  le  prophétise  ,  et  malheureu- 
sement je  suis  un  prophète  de  vé- 
rité ,  vous  verrez  ,  pour  moi  je  serai 
alors  dans  la  tombe  ,  vous  verrez 
ainsi  que  monseigneur  de  Durham 
(Neile)  et  monseigneur  de  St. -David 
(  Laud  )  votre  maître  perdre  en  même 
temps  la  couronne  et  la  vie  ,  pour 
avoir  renoncé  à  protéger  son  église.  » 
Cependant  la  protection  du  prince  de 
Galles  aplanissait  pour  Wren  le 
chemin  des  dignités  ecclésiastiques. 
Recteur  de  Bingham  dans  le  comté 
de  Nottingham  en  1624,  il  obtint, 
en  même  temps  que  cette  cure ,  un 
canouicat  dans  l'église  de  Winches- 
ter. L'année  suivante  il  fut  promu 
au  principalat  du  collège  de  Peter- 
house ,  à  Cambridge ,  emploi  dont 
il  s'acquitta  avec  non  moins  de  zèle 
que  de  désintéressement  et  de  succès. 
Il  mit  en  ordre  les  archives  et  la  bi- 
bliothèque du  collège,  augmenta  con- 
sidérablement les  bâtiments ,  et  con- 
tribua généreusement  pour  faire  éle- 
ver une  chapelle  magnifique,  dont  la 
première  pierre  était  posée  depuis 
long-temps,  et  qu'il  eut  le  plaisir  de 
voir  achever  en  i632.  Cependant  il 
avançait  rapidement  dans  la  carrière 
des  honneurs.  Depuis  quatre  ans  déjà 
il  jouissait  du  titre  de  doyen  de 
Windsor  et  de  Wolverhampton.  Il 
remplissait  en  même  temps  l'emploi 
de  vice-chancelter,  et  Jacques  I^'^".  le 
fit  secrétaire  de  l'ordre  de  la  Jarre- 
tière. Wren  écrivit  à  celte  occasion  un 
commentaire  latin  sur  les  statuts  de 
Henri  VII 1  ,  concernant  cet  ordre 
célèbre.  Ces  commentaires  ont  été 
insérés  par  Anstis  dans  son  Registre 


23o  WRE 

de  Vordre  de  la  Jarretière.  Ash- 
molc,  auteur  d'une  compilation  du 
même  genre  (  Institution  de  Vordre 
de  la  Jarretière) ,  donne  de  grands 
éloges  à  l'ouvrage  de  Wren  ,  et  re- 
grette de  ne  pas  en  avoir  eu  connais- 
sance avant  que  le  sien  fut  publie.  La 
considération  et  le  crédit  de  Wren 
augmentaient  tous  les  jours.  Au  mois 
d'avril  1629,  il  devint  membre  de  la 
chambre  Étoilëe.  En  i633 ,  il  suivit 
Charles  1^^'.  pendant  son  voyage  en 
Ecosse ,  et  fut  un  de  ceux  qui  com- 
posèrent la  liturgie  octroyée  ou  im- 
posée à  cette  contrée.  En  revenant ,  il 
fut  nommé  prédicateur  du  cabinet  de 
sa  majesté,  et  reçut  en  même  temps  le 
bonnet  de  docteur  en  théologie  à  l'u- 
niversité de  Cambridge.  Enfin,  en 
1634  ,  après  avoir  encore  obtenu  un 
bénéfice  dans  la  cathédrale  de  West- 
minster ,  il  fut  promu  au  siège  épis- 
copald'Hereford,  qu'il  quitta  au  bout 
d'un  an  pour  celui  de  Norwich.  Est- 
il  vrai  que  dans  ce  poste  éminent,  et 
qui ,  à  cette  époque  ,  conférait  tant 
de  puissance ,  Wren  se  soit  conduit 
à  l'égard  des  puritains  de  son  diocèse 
avec  une  partialité,  une  intolérance 
révoltantes?  est-il  vrai  que  d'habiles 
fabricants  de  porcelaines ,  alors  uni- 
ques possesseurs  d'un  secret  à  l'aide 
duquel  ils  préparaient  en  Angleterre 
une  pâte  plus  belle  que  celle  de  la 
Saxe,  aient  été  contraints  par  ses  vio- 
lences à  quitter  le  sol  natal,  et  à  aller 
chercher  une  patrie  en  Allemagne  ? 
Ses  apologistes  ont  dit  que  les  Alle- 
mands ,  inquiets  de  la  rivalité  dont 
les  menaçait  la  production  des  nou- 
velles'porcelaines  anglaises  ,  obtin- 
rent à  force  d'or  et  de  promesses 
avantageuses  que  les  manufacturiers 
du  comté  de  Norwich  transporte- 
raient 4eurs  établissements  eu  Alle- 
magne. Mais  admît-on  cette  explica- 
tion ,  il  ne  faut  pas  en  conclure  for- 


WRE 

mellement  quel'évêque  se  soit  toujours 
contenu  dans  les  bornes  de  la  modé- 
ration et  d'une  sage  tolérance.  Ce 
qu'il  y  a  d'avéré,  c'est  qu'il  devint 
l'objet  de  la  haine  des  puritains  j  et 
soit  qu'on  redoutât  en  lui  un  fidèle 
serviteur  de  Charles  \^^.  ,  soit  que 
réellement  les  clameurs  du  parti  op- 
posé à  la  cour  et  à  la  hiérarchie  de 
l'église  anglicane  le  désignassent  com- 
me une  des  victimes  ,  il  ne  tarda  pas 
à  être  accablé  par  l'irrésistible  puis- 
sance des  anarchistes, qui  chaque  jour 
acquéraient  de  la  force  au  parlement, 
parmi  le  peuple  et  dans  l'armée.  Il 
y  avait  quatre  ans  que  la  mort  de 
Juxon  lui  laissait  à  remplir  le  dé- 
canat  de  la  chapelle  du  roi,  et  de- 
puis deux  années  il  joignait  à  ce  titre 
de  doyen  celui  d'évêque  d'Ély  ,  lors- 
qu'un message  de  la  chaml3re  des 
communes  à  la  chambre  des  pairs 
informa  leurs  seigneuries  que  le  nou- 
vel évcque  scandalisait  les  fidèles 
par  ses  efforts  pour  ranimer  le  pa- 
pisme, qu'il  avait  trempé  dans  plu- 
sieurs complots,  et  qu'en  ce  moment 
même  ,  sentant  combien  sa  liberté 
était  compromise  ,  il  ne  songeait 
qu'à  s'enfuir  sur  le  continent.  Les 
pétitionnaires  terminaient  en  deman- 
dant sa  mise  en  accusation ,  et  préa- 
lablement une  forte  caution. La  cham- 
bre haute  borna  cette  caution  à  dix 
mille  liv.  sterling  (25ooûo  fr.).  Wren 
fut  ensuite  traduit  à  la  barre  de  la 
chambre ,  pour  répondre  à  une  accu- 
sation rédigée  en  vingt-quatre  cha- 
pitres ,  et  dont  le  résultat  était  que 
l'évêque  d'EIy  était  coupable  de  cri- 
mes de  haute-trahison  et  de  malver- 
sations. II  n'y  allait  pas  moins  que  de 
sa  vie;  et  la  partialité  connue  des 
juges,  presque  tous  prévenus  défa- 
vorablement ,  ne  pouvait  que  fai- 
re augurer  le  plus  triste  dénoue- 
ment. Wren  ne  perdit  point  courage , 


I 


WRE 

et  il  prononça  devant  ses  juges  une 
apologie  remplie  d'esprit  et  de  cha- 
leur. On  se  borna  à  le  punir  par  une 
détention  temporaire  ,  dont  cepen- 
dant le  terme  ne  fut  point  fixé,  et  il 
fut  enfermé  à  la  Tour.  Il  y  passa  dix- 
huit  ans ,  sans  consentir  à  entrer  eu 
négociation  avec  Cromwell  qui  lui 
offrit  la  liberté  à  condition  qu'il  ac- 
cepterait ses  faveurs,  et  reconnaîtrait 
son  autorité.  Wren  se  refusa  constam- 
ment à  toutes  les  propositions  du  pro- 
tecteur ,  et  se  consola  des  ennuis  de 
sa  captivité  par  la  composition  de 
plusieurs  opuscules,  lin  lin  ,  Crom- 
well mourut ,  et  la  démission  de  Ri- 
chard ayant  rendu  à  Charles  II 
la  puissance  si  long-temps  gardée  par 
Olivier  ,  le  prélat  sortit  de  la  Tour 
et  fut  réintégré  dans  son  évêchéd'Ély 
(  iGGo) ,  où  il  ne  s'occupa  plus,  jus- 
qu'à sa  mort,  que  d'allaires  ecclé- 
siastiques. Il  mourut  le  24  avril 
1667,  ^  Londres,  et  fut  enseveli 
dans  la  chapelle  de  Pembroke  Hall, 
qu'il  avait  fait  élever  à  Cambridge. 
Parmi  les  ouvrages  publiés  par  ce 
préiat,  onestime  surtout  :  I.  DeuxiSer- 
mons ,  le  premier  imprimé  en  1627, 
le  second,  en  166*2.  II.  [ncrepatio 
Bar  Jesu ,  sive  polemicœ  assertio- 
nes  locorum  aliquot  Sacrce  Scriptu- 
rœ  ah  impostiiris  perversionitm  in 
Catechesi  Bacouiand y  Lond.,  1660, 
inséré  dans  le  neuvième  volume  des 
Critici  sacri.  III.  L'abandon  du 
covenant  d'Ecosse  ,  Lond.,  1661 , 
in-4'^.  IV.  Epistolœ  variœ  adviros 
doctissimos  :  la  plus  grande  partie 
de  ces  Lettres  sont  adressées  à  Gé- 
rard Vossius.  Richardson  parle  avec 
éloge  de  plusieurs  de  ses  manuscrits 
dans  son  traité  Deprœsulibus  An- 
gliœ.  —  Mathieu  Wren  ,  lils  du 
précédent,  fut  député  r,u  parlement, 
secrétaire  de  lord  Cl^i'cndon  ,  puis 
du  duc   d'York.    Il   a  publié   :   I. 


WRE 


23] 


Considérations  sur  la  République 
d'Océana  de  M.  Harrington ,  Lon- 
dres ,  1657,  in-80.  II.  La  Mo- 
narchie justifié  s  ou  Examen  dugou- 
vernemcnt  monarchique  et  démo- 
cratique ^pour  servir  de  défense  aux 
considérations   sur  V  Océana ,  etc. 

P OT. 

WREN  (  Christophe  ),  architecte 
anglais,  neveu  du  prélat  dont  l'article 
précède,  naquit  en  i632  à  East- 
Knoyle  ,  dans  le  comté  de  Wilts.  Les 
renseignements  que  nous  possédons 
sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Christ. 
Wren ,  et  sur  ses  premières  années  , 
ne  nous  apprennent  point  quel  avait 
été  son  maître  dans  l'art  de  l'archi- 
tecture ,  ni  même  s'il  en  eut  un.  On 
peut  présumer,  d'après  la  diversité 
d'études  et  de  sciences  auxquelles  sa 
jeunesse  avait  été  livrée,  qu'il  dut 
uniquement  à  l'étude  des  mathémati- 
ques d'être  initié  aux  connaissances 
de  celle  partie  de  l'art  de  bâtir  ,  qui 
est  soumise  aux  lois  du  calcul ,  con- 
naissances auxquelles  le  génie  ne  sup- 
plée pas  toujours,  mais  qui  récipro- 
quement ne  sauraient  remplacer  le 
génie  dans  les  grandes  entreprises  de 
l'architecture.  Lorsqu'en  ce  genre 
l'étude  et  la  nature  auront  réuni  chez 
le  même  homme,  et  avec  une  juste 
combinaison ,  les  dons  du  savoir  et 
ceux  de  l'imagination,  il  devra  naî- 
tre de  là ,  si  les  circonstances  sont 
favorables ,  un  grand  architecte. 
Christophe  Wren  fut  un  de  ces  ra- 
res exemples,,  et  les  besoins  de  son 
siècle  concoururent  à  développer 
en  lui  les  heureuses  dispositions  ,  qui 
•  n'attendaient  qu'une  occasion  pro- 
pre à  les  faire  briller.  Son  père, 
doyen  de  Windsor ,  était  d'une  an- 
cienne famille  originaire  de  Dane- 
mark ,  qui  s'était  établie  en  Angle- 
terre, dans  le  diocèse  de  Durham.  Dès 
l'a  gelé  plus  tendre ,  le  jeune  Wren  an- 


l32 


WRE 


nonça  une  grande  aptitude  aux  scien- 
ces, surtout  aux  mathématiques,  et  on 
Tadmit ,  comme  gentilhomme-  pen- 
sionnaire au  collège  de  Wadham  ,  à 
Oxford.  Il  n'avait  que   treize  ans , 
lorsqu'il    construisit    une    machine 
pour  représenter  le  cours  des  astres  , 
et  fit  divers  instruments  d'astronomie^ 
mieux  divisés  ou  plus  commodément 
suspendus    que  ceux  qui   existaient 
alors.  A  seize  ans,  il  avait  déjà  tait 
des  découvertes  dans  l'astronomie , 
la  gnomonique ,  la  statique ,  la  mé- 
canique. Il  communiqua,  en  t6:j8, 
à  Wallis  ,  divers  Mémoires  que  ce 
mathématicien  inséra  dans  son  traité 
de  la  Cycloïde;  eX,  à  peine  âgé  de 
A^ingt- cinq  ans ,  il  professait  ces  scien- 
ces à  Oxford ,  au  collège  de  Gres- 
ham.  Bientôt  il  fut  créé  docteur  en 
droit  civil  j  et  il  obtint  en  1 663  une 
chaire  à  l'université  de  cette  ville  ^ 
ainsi  qu'une  place  à  la  société  royale 
deLondres,  qui  venait  d'être  étaîolie. 
Il  fut  chargé  dans  le  même  temps  de 
faire  des  dessins  pour  la  réparation 
de  l'église  Saint-Paul.  S 'étant  livré 
à  l'étude  de  l'anatomie,  il  exécuta  en 
1664  les  dessins  qui  furent  gravés 
pour  V Anatomie  ducen'eauàty^û- 
lis.  Le  docteur  Sprat  a  donné  ,  dans 
V Histoire  de  la  société  royale .,  le 
détail    des  principales  découvertes 
que  Wrcn  avait  faites  à  cette  épo- 
que dans  la  philosophie  et  les  ma- 
thématiques. Jusque-là  ,  on  le  voit, 
rien   n'annonçait  qu'il  dût    être  un 
des  premiers  architectes  et  de  son 
pays  et  de  son  siècle.  Vers  i665  ,  il 
lit  un  voyage  à  Paris,  dans  la  vue, 
dit-on,  d'examiner  l'état  des  arts, 
qui  commençaient  à  y  refleurir  sous 
les  auspices  d'un  nouveau  règne.  Un 
grand  événement  le  rappela  promp- 
tement  dans  sa  patrie;  ce  fut  le  terri- 
ble incendie   qui   consuma   la    plus 
grande  partie  de  la  ville  de  Londres  ;, 


WRE 

en  1666.  Ce  malheur  et  le  besoin 
non-seulement  de  le  réparer,  mais 
de  le  faire  servir  à  l'amélioration  , 
comme  à  l'embellissement  de  cette 
capitale,  éveillèrent  legéniede  Wren, 
et  lui  révélèrent  des  talents,  dont  le 
principe  avait  jusqu'alors  sommeillé 
en  lui.  Il  imagina  un  plan  général  de 
reconstruction  de  cette  grande  cité. 
On   peut  dire  de  toutes  les   gran- 
des villes,   excepté   d'un  fort  pe- 
tit nombre ,  qu'elles  ne  furent  et  ne 
sont  autre  chose ,  qu'un  agrégat  for- 
tuit   et  successif  de    constructions 
ajoutées  les  unes  aux  autres,  sans  au- 
cun dessein ,  sans  aucune  prévision  de 
l'avenir.  C'est  souvent  lorsqu'il  n'y 
a  plus  de  remède  à  leurs  irrégulari- 
tés ,  qu'on  cherche  les  moyens  tou- 
jours lents  d'en  redresser  les  rues, 
et  d'en  symélriser  les  aspects.  Wrea 
crut  qu'il  fallait  saisir  l'occasion  du 
malheur   arrivé,  pour  soumettre  la 
réédification  de  Londres  à  un  systè- 
me d'ensemble,  qu'en  vain  on  atten- 
drait des  volontés  particulières.  Son 
plan  présenta  de  longues  et  larges 
rues  ,   coupées  à   angle  droit  ,  des 
projets  d'églises   et   de  monuments 
publics ,  dans   de   belles  positions. 
De  nombreux  portiques  variés ,  selon 
les  quartiers  ,  servaient  de  points  de 
vue  ,  en  divers  lieux ,  aux  rues  prin- 
cipales. Jamais  programme  plus  vrai- 
ment idéal   ne  fut  conçu  pour  un 
but  moins  imaginaire,  Il  a  été  gravé 
en  1 724  ,  et  l'on  peut  juger ,  encore 
aujourd'hui,  de  l'impression  qu'il 
dut  faire  à  l'époque  où  il  fut  présen- 
té au  parlement.  Il  y  devint  le  sujet 
d'une  longue  discussion.  Deux  opi- 
nions opposées  s'y  combattirent.  Les 
uns  appuyèrent  le  projet  de  Wren; 
les  autres  soutinrent  qu'il  fallait  re- 
bâtir sur  l'ancien  plan.  Un  troisiè- 
me parti ,  comme   cela  arrive  sou- 
vent ,  se  plaça  au  milieu  des  deux , 


WRE 

et  fit  prévaloir  son  opinion.  On  prit 
une  portion  du  nouveau  ])lan  ,  on  en 
conserva  une  de  l'ancien ,  et  Londres 
manqua  pour  toujours  l'occasion  d'ê- 
tre le  chef-  d'œuvre  de  toutes   les 
villes.  Cependant  ce  qu'on  adapta  du 
projet  de  Wren,  quant  à  la  largeur 
des  rues  ,  à  la  grandeur  des  places  , 
et  à  une  construction  en  matériaux 
plus   solides  (  l'ancienne  était  toute 
de  bois),  n'a  pas  laisse  de  rendre 
cette  ville  une  des  plus  remarquables 
de  l'Europe,  sinon  pour  l'architec- 
ture, du  moins  pour  la  régularité , 
l'alignement,  la  disposition  des  rues 
et    des   places.   Si  Londres   perdit 
l'avantage  que  lui  eût  procuré  l'a- 
doption du  grand  projet  de  Wren , 
elle  y  gagna  toujours  d'apprendre 
qu'elle  avait  ,  en  lui ,  un  homme  né 
pour  les  grandes  choses.  Lorsque  îa 
nature  produit  de  pareils  hommes  , 
il  semble  que  la  société  ne  manque 
pas  non  plus  de  faire  naître  le  besoin 
d'ouvrages  qui  soient  à  leur  niveau. 
On  remarque  que  les  grandes  entre- 
prises  et  les  grands  artistes  se  sont 
toujours  rencontrés  ,  et  dans   cette 
coïncidence,  on  ne  saurait  dire   de 
quel   côté   est  le    premier   moteur. 
Jean  Denham ,   architecte  du  roi  , 
étant  mort  en  1668  ,  Wren  lui  suc- 
céda ,  fut  fait  chevalier  en  1674  5  et 
eut  dès-lors  la  direction  d'un  grand 
nombre  d'édifices  publics.  Cependant 
Londres  était  à  peine  sorti  de  ses  cen- 
dres ,  et  déjà  on  projetait  d'y  élever 
un  monument  qui  devait  présager  la 
grandeur  future  de  cette  ville.  Il  ne 
s'agissait  pas   moins   que  de  riva- 
liser avec  la  vaste  basihque  de  Saint- 
Pierre  de  Rome.  Christophe  Wren 
fut  chargé  de  cette  noble  entreprise, 
et  dès  1675  il  jeta  les  fondements 
de  Saint-Paul.  On  croit  que,  dans  un 
premier  modèle  qu'il   composa  ,  il 
avait  voulu  se  raj)proclier  des  plans 


WRE 


'233 


et  du  style  des  temples  de  Tantiquité. 
Mais  l'Angleterre  avait  subi  pendant 
plusieurs  siècles,  comme  tout  le  nord 
de  l'Europe  ,  les  habitudes  du  genre 
gothique.  Les  constructeurs  des  égli- 
ses de  ce  genre,  libres  des  sujétions 
d'une  ordonnance  régulière  ,  et  par 
conséquent  de  tout  rapport  de  pro- 
portion entre  les  plans  et  les  éléva- 
tions ,  s'étaient  plu   à    chercher  la 
beauté  et  à  la  placer  uniquement  dans 
la  grandeur  linéaire,  c'est-à-dire  dans 
la  longueur  et  la  procérité  des  inté- 
rieurs. Wren  adopta  donc  pour  plan 
la  disposition  du  plus  grand  nom- 
bre de  ces  églises,  qui  ordinairement 
se  composent  de  deux  parties  d'une 
longueur  égale,  le  chœur  et  la  nef  , 
que  divisent   (  ainsi   qu'on  les  ap- 
pelle) les  deux  bras  de  la  croisée.  La 
longueur  de  Saint-Paul ,  qui  est  de 
quatre  cent  cinquante  pieds  français, 
offre  dans  le  milieu  de  cet  espace 
une  coupole  de  quatre-vingt-dix-huit 
pieds  français  de  diamètre  ,  et  de 
deux  cent  huit  pieds  de  hauteur.  Un 
rang  de  bas-côtés  règne  dans  toute 
la  longueur  de  l'église  ,  qui  se  termi- 
ne au  bout  du  chœur  par  une  apside 
(ou  rond-point),  et  qui  commence 
en  avant  de  la  nef ,  par  un  grand  et 
spacieux  vestibule.  L'ordonnance  in- 
térieure est  en  arcades,  dont  les  pieds- 
droits   reçoivent  des   pilastres   co- 
rintliiens ,  avec  un  entablement  fort 
réguher.  Au-dessus  de  cet  entable- 
ment règne  un  attique  continu ,  sur 
lequel  s'élève  la  voûte  avec  les  fenê- 
tres qui  éclairent  l'intérieur.  La  cou- 
pole a  été  fort  ingénieusement  cons- 
truite dans  une  forme  pyramidale, 
que  les  yeux  ne  sauraient  découvrir, 
et  qui  a  singulièrement  épargné  l'ef- 
fort de  toute  poussée  latérale.  La  criti- 
que d'un  semblable  monument  com- 
porterait de  nombreuses  et  impor- 
tantes considérations,  que  Ton   ne 


a34 


WRE 


saurait  même  effleurer  icij  nous  nous 
bornerons ,  en  peu  de  mots  ,  à  une 
seule  ,  celle  qui  esta  la  portée  du  plus 
grand  nombre, nous  voulons  parler  de 
l'impression  générale  ou  de  l'eUet  de 
cette  architecture  tant  au  dedans 
qu'au  dehors.  S'il  s'agit  de  l'impres- 
sion que  le  spectateur  reçoit  de  l'as- 
pect intérieur,  nous  nous  permet- 
trons de  dire  qu'il  est  généralement 
médiocre.  On  n'y  est  véritablement 
frappé  d'aucune  sorte  de  grandeur  , 
d'aucun  caractère  bien  prononcé  , 
soit  de  force  ,  soit  de  sévérité  ,  soit 
d'élégance  et  de  richesse.  Les  sens  et 
l'esprit  y  voudraient  ou  plus  de  sim- 
plicité ,  ou  plus  de  variété.  Quelque 
chose  de  nu  ,  de  pauvre  et  de  froid 
s'y  fait  sentir.  En  un  mot ,  on  entre 
dans  Saint-Paul  sans  étonnement ,  on 
en  sort  sans  admiration.  Quant  au 
mérite  et  à  l'eflTet  de  l'architecture, 
l'extérieur  nous  paraît  l'emporter 
sur  l'intérieur.  Nous  le  disons  d'a- 
bord de  la  coupole  ,  dont  la  forme  , 
la  courbe  et  la  décoration  sont  foDt 
belles,  dont  l'ensemble,  bien  qu'on 
puisse  le  trouver  découpé  par  la 
saillie  de  la  colonnade  qui  l'envi- 
ronne j  ne  laisse  pas  de  produire  un 
tout  harmonieux.  Pour  ce  qui  est  de 
la  masse  extérieure  de  l'église  pro- 
prement dite  ,  il  est  possible  de  blâ-  * 
mer  dans  son  ajustement  l'applica- 
tion des  deux  ordres  de  pilastres  , 
l'un  au-dessus  de  Tautre.  Le  goût 
scrupuleux  de  ceux  qui  mettent  , 
avant  tout  autre  mérite,  celui  de 
l'unité ,  regrette  que  deux  ordres 
qui ,  dans  cette  position  ,  signifient 
deux  étages  ,  se  trouvent  au  dehors 
d'un  édifice  qui  intérieurement  n'a 
point  d'étage.  Cependant  le  parti 
général  de  toute  cette  masse ,  abs- 
traction faite  du  rapport  qu'on  vient 
d'indiquer,  est  d'un  style  sage,  d'une 
bonne  composition  et  d'une  exécu- 


WRE 

tion  aussi  pure  que  précieuse.  On 
aime  à  y  remarquer,  à  l'extrémité 
de  chaque  croisée  ,  les  petits  avant- 
corps  circulaires  en  colonnes  qui  leur 
servent  de  portiques.  Malheureuse- 
ment pour  cette  église,  comme  à  l'é- 
gard de  beaucoup  d'autres,  ce  qu'on 
peut  le  moins  y  louer,  c'est  son  fron- 
tispice avec  les  deux  clochers  ,  com- 
position banale ,  sans  effet  et  sans 
grandeur  ,  mais  résultat  en  quelque 
sorte  nécessaire  de  la  sujétion  impo- 
sée par  la  hauteur  de  l'édifice.  Le 
manque  d'espace  a  frustré  ce  monu- 
ment d'une  place  sufiisante ,  pour 
qu'on  puisse  en  embrasser  convena- 
blement l'ensemble.  Le  lieu  qu'il  oc- 
cupe étant  dans  la  Cité,  le  quartier 
de  Londres  le  plus  resserré,  Wren 
ne  put  pas  remédier  à  cet  inconvé- 
nient. L'église  de  Saint-Paul ,  cons- 
truite toute  en  pierre  de  Portland  ,  a 
eu  le  grand  avantage  d'avoir  été 
par  lui  commencée,  conduite  et  ter- 
minée en  trente-cinq  ans,  c'est-à-dire 
par  un  seul  et  même  architecte  ,  et, 
ce  qu'on  a  observé  encore ,  par  un  seul 
et  même  entrepreneur,  circonstance 
très-rare  dans  les  grands  édifices  ,  et 
à  laquelle  celui-ci  doit  certainement 
de  n'offrir  aucune  de  ces  disparates  de 
manière  et  dé  goût ,  résultats  natu- 
rels des  modifications  que  ne  man- 
quent presque  jamais  d'introduire 
dans  la  conduite  d'un  ouvrage  les 
architectes  qui  s'y  succèdent.  Com- 
me église  ,  à  part  les  critiques  qu'on 
en  peut  faire  (  et  quel  édifice  en  est» 
exempt?  ) ,  Saint-Paul  se  place  ,  sous 
plus  d'un  motif  ,  mais  surtout  pour 
l'importance  et  la  grandeur  ,  au  se- 
cond rang  ,  c'est-à  dire  immédiate- 
ment après  Saint  -  Pierre  de  Rome. 
Wren ,  en  même  temps  ,  élevait  un 
autre  monument  qui  dans  son  genre  , 
du  moins  pour  la  hauteur ,  ne  devait 
point  avoir    de   rival.    C'est  cette 


WRE 

colonne  qu'on  appelle  à  Londres 
du  nom  seul  de  Monument  ,  et 
que  l'on  construisit  en  pierre,  à  l'en- 
droit même  oii  avait  commencé  l'in- 
cendie dont  on  a  parlé,  pour  perpé- 
tuer le  souvenir  de  ce  mémorable 
fléau.  Sa  hauteur  est  de  cent  quatre- 
vingt-huit  pieds  (  français  )  ,  en  y 
comprenant  le  piédestal  et  le  couron- 
nement. On  prétend,  dans  plus  d'un 
écrit,  que  cette  colonne  est  de  Tordre 
toscan.  Outre  que  nous  ignorons  ce 
qui  peut  caractériser  dans  une  colon- 
ne ce  prétendu  ordre  ,  d'invention 
tout-à-lait  arbitraire  ,  nous  pensons 
qu'une  colonne  monumentale  ,  par 
conséquent  isolée,  et  indépendante 
de  toui,es  les  autres  parties  cons- 
titutives d'un  ordre ,  ne  saurait 
être  assujétie  aux  proportions  et 
au  caractère  qui  le  distinguent.  Ce 
n'est  guère  alors  que  par  son  chapi- 
teaiî  et  par  sa  base  que  la  colonne 
de  Londres  peut  être  caractérisée, 
et  il  nous  semble  que  ces  deux  ob- 
jets ,  ainsi  que  les  cannelures  ,  doi- 
vent la  distinguer  comme  apparte- 
nant à  l'ordre  dorique  des  moder- 
nes. Elle  pose  sur  un  piédestal  haut 
de  trente-sept  à  trente-huit  pieds  et  de 
dix  neuf  pieds  six  pouces  en  quarré. 
La  face  principale  est  ornée  d'un 
bas-relief  en  marbre,  où  la  sculpture 
a  représenté  d'un  coté  la  destruc- 
tion des  maisons  par  le  feu ,  et  de 
l'autre  leur  réédiiication.  Diverses 
figures  allégoriques  enrichissent  cette 
composition ,  au  milieu  de  laquelle 
on  voit  le  roi  Charles  II  à  qui  l'on 
présente  le  plan  de  la  reconstruction 
de  la  ville.  Aux  quatre  angles  du 
socle  en  forme  de  congé,  qui  termine 
par  en  haut  le  piédestal,  sont  sculptés 
quatre  salamandres,  emblèmes  du  feu. 
Le  fût  de  la  colonne  a  quatorze  pieds 
de  diamètre.  Le  tailloir  qui  termine 
le  chapiteau  supporte  un  corps  cir- 


WRE 


a35 


culaire  ,  que  surmonte  un  grand  vase 
de  bronze  ,  d'où  sortent  des  flammes. 
L'intérieur  de  la  colonne  renferme 
un  escalier  en  bois ,  composé  de  trois 
cent  quarante-cinq  marches  de  neuf 
à  dix  pouces  de  large  sur  cinq  à  six 
pouces  de  haut.  Généralement  l'exé- 
cution de  l'ouvrage  est  large,  cor- 
recte et  de  bon  goût.  Il  ne  manque 
encore  à  l'eflet  qu'on  devrait  rece- 
voir de  son  ensemble  qu'une  place  eu 
rapport  avec  la  dimension  d'un  mo- 
nument aussi  colossal.  Un  des  plus 
remarquables  édifices  d'Oxford  est 
encore  dû  au  génie  de  Wren  ,  c'est 
celui  qu'on  appelle  le  Théâtre ,  nom 
qu'on  lui  a  donné  parce  que  d'un 
côté  sa  forme  extérieure  est  circu- 
laire, et  aussi  à  cause  de  l'usage  qu'on, 
en  fait  pour  les  exercices  littéraires 
de  l'université,  et  pour  les  réunions 
d'assemblées  destinées  au  soutien  des 
actes  publics, quelquefois  pour  l'exé- 
cution des  concerts.  Il  fut  commencé 
en  i6(J4  ,  et  achevé  en  1669,  aux 
dépens  de  Gilbert  Sheldon  ,  arche- 
vêque de  Cantorbéry  ,  chancelier  de 
l'université  d'Oxford.  Ce  bâtiment 
qui  peut  contenir ,  tant  sur  ses  de- 
grés que  dans  ses  tribunes  ,  quatre 
mille  personnes  ,  formerait  un  ovale 
régulier ,  si  le  coté  qui  regarde  la 
bibliothèque  Bodléienne ,  n'avait  été 
fait  en  ligne  droite.  Sur  cette  dernière 
face,  il  présente  ,  à  rez-de-chaussée, 
un  beau  frontispice  avec  colonnes  et 
pilastres  d'ordre  corinthien.  De  sem- 
blables pilastres ,  au  nombre  de  qua- 
tre ,  supportent  un  fronton  dans  l'é- 
tage supérieur.  La  partie  circulaire 
dont  on  a  parlé  est  en  arcades  au 
rez-de-chaussée ,  avec  fenêtres  quar- 
rées  au  dessus.  Une  enceinte  circu- 
laire sert  aussi  de  clôture  à  ce  côté 
de  l'édifice ,  et  y  produit  une  fort 
heureuse  décoration.  Sur  un  petit 
mur  à  bauteur  d'appui ,  et  bâti  dans 


236 


WRE 


le  même  plan,  c'est-à-dire  ,  circulai- 
renient ,  s'élèvent  quatorze  grands 
termes  ,  que  surmontent  des  bustes 
de  philosophes  d'une  proportion  co- 
lossale. Ces  termes  quadrangulaires 
sont  engages  par  leur  partie  infé- 
rieure dans  le  pelit  mur  d'appui  ^  sur 
lequel  sont  scellées  des  grilles  qui 
s'étendent  d'un  terme  à  l'autre,  et 
s'y  appuient.  Parmi  les  monuments 
de  Wren  ,  qui  ont  acquis  de  la  cé- 
lébrité ,  on  se  plaît  encore  au- 
jourd'hui à  vanter  comme  une  de 
ses  productions  les  plus  recomman- 
dables  du  coté  de  l'art  et  du  goût , 
quoique  l'œuvre  soit  d'une  médiocre 
importance  ,  l'église  de  Saint-Étien- 
ne  de  Wallbrook.  Cet  édifice  mérite 
effectivement  d'être  cité  ,  à  Londres 
surtout  où,  excepté  l'église  gothique 
de  Westminster  et  celle  de  Saint- 
Paul  ,  presque  tontes  les  autres, 
quant  à  l'étendue  ,  ne  seraient  ail- 
leurs que  de  simples  chapelles.  Celle 
de  Saint-Étienne  se  fait  remarquer 
par  l''élégance  de  sa  nef  à  deux  éta- 
ges de  colonnes  et  de  pilastres  d'ordre 
corinthien  qui  portent  une  voûte.  La 
nef  est  accompagnée  de  bas-côtés.  Il 
y  a  une  croisée  au  centre  de  laquelle 
s'élève  une  petite  coupole  dont  la 
hauteur ,  en  y  comprenant  celle  de 
la  lanterne  ,  est  de  cinquante  -  huit 
pieds  ;  l'élévation  de  la  tour  ,  y  com- 
pris sa  balustrade  ,  est  de  soixante- 
dix  pieds.  Si  l'on  donne  à  cette  église 
la  part  d'éloges  qui  lui  est  due  ,  il 
faut  toutefois  faire  remarquer  l'ad- 
miration exagérée  avec  laquelle  d'Ar- 
genville  ,  sur  la  foi  sans  doute  du 
petit-fils  de  Christophe  Wren,  avance 
qu'il  n'y  a  pas  en  Italie  un  édifice 
moderne  qu'on  puisse  lui  comparer, 
pour  le  goût  et  les  belles  proportions. 
Une  autre  église  de  Wren  est  citée 
parmi  les  plus  remarquables  de  Lon- 
dres y  mais  particulièrement  pour  sa 


WRE 

tour  qui  est  la  phis  haute  de  la  ville  : 
eliea  plus  de  deux,  cents  pieds  français 
d'élévation  ,  et  se  compose  de  plu- 
sieurs étages  diversement  ornés  d'ar- 
chitecture ,  qui   se    terminent    par 
une    flèche    très  -  allongée  ,    avec 
une  grosse  boule  de  bronze  ,  portant 
un  dragon    de  même   métal    doré  , 
d'environ  dix  pieds  de  long.  On  peut 
s'étonner  qu'il  n'ait  point  été  fait  de 
recueil  gravé  des  édifices  que  cet  ar- 
chitecte, dans  le  cours  d'une  longue 
Yie ,  paraît  avoir  construits  en  divers 
lieux  de  l'Angleterre.  On  eu  est  réduit 
à  de  simples  mentions  de  son  bio- 
graphe ,  mentions  insuffisantes  pour 
faire  juger  de  la  valeur  d'ouvrages 
qui ,  s'ils  se  sont  conservés  ,  ont  dû 
éprouver    plus    d'un    changement. 
Pour  ne  rien  omettre  cependant  de 
ce  qui  peut  donner  quelque  idée  de  la 
féconde  activité  de  Wren  ,  nous  ci- 
terons   parmi    les    nombreux    tra- 
vaux   qui  remplirent   sa   carrière  : 
1.  La  Douane  du  port  de  Londres  ^ 
ornée  de  deux  ordres  d'architecture. 
L'inférieur  est  en  colonnes  toscanes. 
L'étage  supérieur  a  des  pilastres  io- 
niques ,  qui  supportent  des  frontons. 
Du  côté  du  couchant,  la  façade,  de 
cinquante  -  sept    pieds  français  de 
long ,  offre  des  galeries  en  arcades , 
soutenues  par  des  colonnes.  La  lon- 
gueur totale  de  l'édifice  est  de  cent 
quatre-vingts  pieds  français.  IL  Le 
Palais  royal  de  Winchester.  Il  est 
bâti  sur  la  croupe  d'une  montagne 
extrêmement  escarpée ,  et  n'a  point 
de  jardin.  Le  roi  Charles  II  avait 
choisi  cet  emplacement  pour  la  beau- 
té de  sa  situation  j  et  il  voulait  qu'il 
fût  terminé  dans  l'espace  d'une  an- 
née. S'il  eût   été  achevé  ,  il  aurait 
égalé  les  plus  beaux  palais  de  l'Eu- 
rope. Du  côté  de  la  ville ,  il  présente 
deux  ailes  de  bâtiments,  séparés  par 
une  vaste  cour.  Un  grand  escalier 


wrp: 

conduit  à  une  salle  des  Gardes,  qu'ac- 
compagnent seize  pièces ,  tant  à  droi- 
te qu'à  gauche.  Oîj  rejclle  sur  l'in- 
commodité de  I  ci-.;>lnccment,  ou  sur 
Ja  précipitation  xle  l'exocution  ,  le 
plus  giand  nombre  des  dëlauts  qu'on 
reproche  à  cet  ensemble.  lil.  Le  Pa- 
lais épiscopal  de  TFinchester.  On 
le  regarde  comme  une  des  meilleures 
productions  de  Wren.  IV.  La  Fa- 
çade de  V appartement  du  roi  à 
Hampton-Court.  C'estcelle  qui  donne 
sur  le  parterre  et  sur  la  Tamise.  Elle 
a  trois  cents  pieds  de  longueur.  L'en- 
trée du  grand  escalier,  qui  conduit 
à  l'appartement  du  roi ,  est  sous  un 
portique  d'environ  quatre-vingt-dix 
pieds  de  longueur ,  forme  par  une  co- 
lonnade ionique.  V.  Le  Mausolée  de 
la  reine  Marie  à  Westminster.  Il  a 
été  exécuté  sur  les  dessins  de  Wren. 
VI.  ^j' Hôpital  de  Chelsea ,  fondé 
pour  les  invalides  de  terre  par  Char- 
les II.  C'est  un  des  édifices  de  Lon- 
dres dont  on  admire  également  et  la 
masse  extérieure  et  la  distribution 
interne.  L'hôpital  de  Greenwich  , 
pour  les  invalides  de  mer,  fut  com- 
mencé en  i()99  par  Inigo  Jones. 
Wren  passe  pour  avoir  coopéré 
à  son  achèvement  sans  aucun  émo- 
lument. Ce  ne  fut  pas  le  seul  ou- 
vrage oh ,  mû  par  l'amour  du  bien 
public,  il  consacra  gratuitement  ses 
veilles  ,  et  donna  des  preuves  de 
son  désintéressement.  Nul  architecte 
peut-être  ne  porta  plus  loin  cette  qua- 
lité- et  cependant  il  lui  arriva  une 
fois  d'encourir  le  soupçon  de  cupidi- 
té. Tandis  qu'il  poussait  avec  la  plus 
grande  activité  les  travaux  de  Saint- 
Paul  ,  on  répandit  le  bruit  qu'ayant 
de  trop  forts  appointements,  il  traî- 
nait l'ouvrage  en  longueur  par  ce 
seul  motif.  Un  acte  du  parlement , 
daté  de  la  neuvième  année  du  règne 
de  Guillaume,  ordonna  la  suspension, 


WRE  237 

par  moitié,  de  ses  honoraires,  jus- 
qu'à ce  que  l'église  fut  achevée.  Ces 
honoraires  toutefois  ne  se  montaient 
qu'à  deux  cents  livres  sterling  par 
an.  ir  supporta  patiemment  cette 
injustice,  et  ne  répondit  à  la  calom- 
nie que  par  le  silence.  Chargé  d'in- 
nombrables travaux ,  occupé  du  soin 
de  la  construction  des  cinquante-une 
paroisses  de  Londres,  car  il  était 
non-seulement  le  premier  y  mais  peut- 
être  ,  dans  toute  l'acception  du  mot , 
le  seul  architecte  de  son  pays,  Wren 
réunissait  au  talent  et  à  la  science  de 
son  art  le  caractère  le  plus  propre 
au  rôle  qu'il  était  appelé  à  jouer.  La 
nature  l'avait  doué  d'une  humeur 
égale  et  d'une  tranquillité  d'ame 
qu'aucun  événement  ne  pouvait  al- 
térer. Aussi  était-il  un  de  ces  hommes 
que  rien  ne  peut  détourner  de  leur 
but,  dont  rien  ne  peut  déranger,  ni 
retarder,  ni  accélérer  la  marche.  On 
croit  voir  que  sa  valeur  ne  fut  pas 
justement  appréciée  de  son  vivant; 
et  cela  fut  peut-être  dû  aussi ,  de  sa 
part,  à  une  modestie  qui  allait  jusqu'à 
la  timidité.  C'est  une  espèce  de  tort 
pour  un  grand  talent ,  aux  yeux  de 
la  multitude,  c'est-à-dire  des  igno- 
rants, que  cette  métiance  qu'il  a 
de  lui-même  et  ce  dédain  de  la  louan- 
ge ,  qu'il  cherche  plus  à  mériter 
qu'à  obtenir.  La  médiocrité  qui  se 
vante  l'emportera  toujours  en  re- 
nommée, éphémère  à  la  vérité,  sur 
le  vrai  mérite ,  qui  ne  veut  de  la  gloi- 
re qu'après  le  succès.  Soit  indiffé- 
rence pour  les  hommages  contempo- 
rains ,  soit  amour  de  la  retraite,  soit 
caprice  de  la  fortune ,  qui  aime  à 
changer  de  favoris ,  Wren  se  survé- 
cut en  quelque  sorte  à  lui  -  même. 
Après  avoir  employé  plus  de  cin- 
quante ans  dans  les  travaux  les  plus 
pénibles  et  les  plus  honorables ,  il 
passa  les  derniers  temps  de  sa  longue 


238 


WRE 


vie  oublié  de  son  pays ,  et  comme 
travaillant  à  s'oublier  lui-même.  On 
ignore  les  raisons  qui  le  firent  priver^ 
en  1718^  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
six  ans  ,  de  la  charge  de  directeur- 
général  des  bâtiments  du  roi.  Il  prit 
alors  le  parti  de  se  retirer  à  la  cam- 
pagne ,  où  il  ne  s'occupa  plus  que  de 
lecture.  Wren  avait  épousé  la  fille  du 
chevalier  Thomas  Coghill  de  Blcc- 
kington  dans  le  comtl  d'Oxford  ,  et 
il  en  eut  un  fils  ,  nommé  Christophe  , 
comme  lui.  Devenu  veuf,  peu  de 
temps  après ,  il  épousa  ,  en  secondes 
noces,  Jeanne,  fille  de  lord  Fitz 
Williams.  11  fut  trois  fois  député  au 
parlement.  La  société  royale  l'avait 
appelé  à  la  présidence  en  1680.  Il 
fut  nommé  en  i683  architecte  et 
commissaire  du  collège  de  Chelsea; 
en  1684,  contrôleur  des  bâtiments 
du  château  de  Windsor  j  en  1698  , 
inspecteur  -  général  et  commissaire 
pour  la  réparation  de  l'abbaye  de 
Westminster.  Malgré  les  pronostics 
d'un  tempérament  faible .  et  qui  sem- 
blait, dans  sa  jeunesse  ,  disposé  à  la 
consomption  ,  un  régime  de  vie  sage 
et  réglé  le  -conduisit  jusqu'à  l'âge  de 
quatre  vingt-onze  ans.  Il  fut  enterré 
sous  le  dôme  de  Saint-Paul,  privilège 
exclusif  qui  lui  fut  accordé ,  ainsi 
qu'à  sa  famille.  L'épitaphe  qu'on  lit 
sur  sa  pierre  sépulcrale  remplace 
bien  honorablement  ,  pour  lui  ,  le 
luxe  d'un  mausolée  : 

Subtus  conditur  —  Hu)us  ecclesine  conditor 
—  Cbrislophorus  VVreu 

—  Qui  vixit  annos  ultra  nonaginta 
—  Nou  sibi  sed  bono  publico. 

—  Lector  si  mouuinentum  requirJ5 

Circumspice. 
Obiit  aS  feb.  anuo  i^9.3  ,  œtatis  91. 

Wren  ne  fit  rien  imprimer  lui-même  ; 
mais  quelques  -  uns  de  ses  ouvrages  son,  jusquen 
ont  été  publiés  par  d'autres  :  I.  Re- 
lation de  l'origine  et  des  progrès 
de  la  manière  défaire  passer  les  li- 
queurs dans  les  vaisseaux  du  corps 


WRI 

animal.  Cette  fusion  ne  dilFère 
point  de  l'injection  qui  se  fait  dans 
les  abcès ,  les  ulcères  et  fistules.  IL 
Lex  naturœ  de  collisione  corpo- 
rum,  III.  Descriptio  machinée  ad 
tereudas  lentes  hfperbolicas.  IV. 
Une  Description  de  l'église  cathé- 
drale de  Salisbury.  Tous  ces  ouvra- 
ges ont  été  insérés  dans  les  Transac- 
tions philosophiques,  James  Elmes  , 
architecte  anglais  ,  a  publié  en  182  3 
des  Mémoires  sur  la  vie  et  les  ou-' 
vrages  de  sir  Christophe  Wren, 
I  vol.  in-4°.  Une  vaste  collection  de 
ses  plans  et  dessins  a  été  achetée  par 
le  collège  d'All-Souls,  d'Oxford,  et 
déposée  dans  la  bibliothèque,  où  l'on 
voit  aussi  son  buste.  —  Son  fils  , 
Chris topheW K^is ,  membre  du  parle- 
ment ,  mort  en  1 7  47  ?  ^gé  de  soixan- 
te-douze ans  ,  a  publié  :  Numisma- 
tum  antiquorum  sjlloge  ,  populis 
grœcis  ,municipiis  et  coloniis  roma- 
nis cusorum ,  etc.,  1708^  in-4°.  Il 
avaitrecueillisursafamilledesdétails 
biographiques,  qui  ont  été  publiés  en 
1760,  in-fol.,  avec  des  portraits, 
sous  le  titre  de  Parentalia.  Q-Q. 
WRIGHT  (  Thomas  ),  natif 
d'York ,  après  avoir  professé  la 
théologie  avec  beaucoup  de  réputa- 
tion, en  Italie _,  en  Espagne  et  en 
Flandres ,  fut  appelé ,  en  1 569 ,  à 
Douai ,  pour  y  occuper  une  chaire 
de  l'université  dans  la  même  faculté. 
Étant  passé,  en  1677  ,  en  qualité  de 
missionnaire ,  dans  le  Yorkshire ,  il  y 
fut  arrêté  et  emprisonné  dans  le 
château  d'York ,  où  il  eut  plusieurs 
conférences  avec  le  doyen  Hutton  et 
autres  controversistes  anglicans.  On 
le  transféra  ensuite  de  prison  en  pri- 


585 


epuque  a 


la- 


quelle on  l'embarqua  à  Hull ,  pour  le 
transporter  sur  le  continent.  Wright 
devint  vice-président  du  collège  an- 
glais de  Reims ,  puis  doyen  du  cha- 


WRI 

pitre  de  Courtrai.  Dans  un  voyage 
qu'il  fit  à  Anvers,  en  162*2,  le  fa- 
meux Marc- Antoine  de  Dominis ,  at- 
taqué d'une  maladie  mortelle  ,  le  lit 
appeler,  et  renouvela  entre  ses  mains 
sa  retractaiion ,  qu'il  avait  adressée 
quelque  temps  auparavant  au  nonce 
du  pape  ,  cl  Bruxelles.  Ou  a  de 
Wright  :  I.  De  possibilitate  prœ- 
santiœ  realis.  II.  De  dispositione  ad 
eucharistiam  recipiendam.  III.  De 

,        passionibus  animœ,  IV.  De  arlicu- 

'  lis  rcli^ionisprotestantiuin .  V .  Aca- 
demia  protestanliiim ,  seii  anato- 
mia  cœnœ  J oannis  Calvini.  VI.  Da- 
i^idis  Threni ,  seu  de  damnis pecca- 
ti.W],  De  beatitudine.       T — d. 

,  VS^RIGHT  (  Guillaume  ) ,  de  la 

même  province  que  le  précédent ,  en- 
tra chez  les  jésuites  à  Rome,  en  1 58 1  , 
et  professa  ensuite  la  jdiilosophieet  la 
théologie  à  Vienne  et  à  Gratz.  Reve- 
nu en  Angleterre  au  bout  de  vingt- 
huit  ans  d'absence,  il  y  fut  mis  en 
prison,  et  obtint  sa  liberté,  après 
avoir  échappé  à  la  peste  qui  empor- 
ta tous  ceux  qui  étaient  détenus. 
Wright  mourut  de  la  pierre,  le  18 
janvier  i63g,  à  l'âge  de  soixante- 
dix-neuf  ans  ,  après  dix  ans  de  souf- 
frances cruelles.  Il  est  auteur  de  plu- 
sieurs traités  de  controverse,  entre 
autres  d'un  ouvrage  où  il  prouve 
que,  même  suivant  le  témoignage  de 
vJugt-qualre  savants  théologiens  pro- 
testants ,  de^  catholiques  peuvent 
être  sauvés.  On  lui  doit  de  plus  di- 
verses traductions  de  Jacques  Gor- 
don ,  de  Bécan ,  de  Lessius  ,  etc. ,  et 
d'un  petit  traité  de  la  Pénitence, 
souvent  réimprimé.  ï — d. 

WRIGHT  (  Edouard  ) ,   un  des 

,      mathématiciens  les  plus  distingués  de 

l'Angleterre,    naquit  à  Garveslon  , 

dans   le  comté    de    Norfolk  ,    vers 

i56o  ,  devint  un  des  membres  du 

"  collège  de  Caius,  dans  l'université 


WRI  239 

de  Cambridge,  et  mourut  à  Lon- 
dres en  16 18  ou  1620.  On  a  sur 
lui  peu  de  détails  biographiques  j 
seulement  on  sait  que  ses  inven- 
tions et  ses  ouvrages  fixèrent  l'at- 
tention de  la  compagnie  des  ludes 
orientales ,  qui  le  nomma  son  lec- 
teur de  mathématiques  ,  et  que  dans 
la  suite  il  fut  chargé,  par  la  reineÉli- 
sabeth  ,  de  suivre  le  comte  de  Gum- 
bcrland  dans  ses  expéditions  mariti- 
mes. A  son  retour  il  fut  nommé  gou- 
verneur du  prince  Henri.  Parmi  les 
ouvrages  que  l'on  doit  à  Edouard 
Wright  ,  nous  signalerons  :  I.  Cor- 
rection  des  erreurs  qui  se  commet- 
tent dans  la  navigation ,  i  Sgg ,  en 
anglais.  Ce  traité,  célèbre  à  juste  titre, 
se  distinguait  par  lesidées  les  plus  heu- 
reuses, les  plus  nettes  et  les  plus  justes 
sur  la  division  du  méridien,  sur  la 
manière  d'en  construire  les  tables  ,  et 
sur  les  usages  auxquels  on  peut  ap- 
pliquer cette  division  dans  la  navi- 
gation. L'auteur  en  publia,  en  t6io, 
une  secondeédition  augmentée. Parmi 
les  nombreuses  améliorations  qui  don- 
nent d  celle-ci  une  supériorité  incon- 
testable sur  la  première  ,  il  faut  met- 
tre au  premier  rang  l'indication  du 
procédé  à  suivre  pour  déterminer  la 
grandeur  de  la  terre,  et  des  réflexions 
sur  la  nécessité  de  prendre  pour  base 
de  l'unité  de  mesure  une  longueur 
en  rapport  avec  le  méridien  terres- 
tre. On  remarque  aussi  dans  cet  ou- 
vrage des  tables  de  latitudes  corres- 
pondantes aux  divisions  du  méri- 
dien y  divisions  dont  le  calcul  était 
poussé  jusqu'aux  minutes  (  Voyez 
Henri  Briggs  );  un  instrument  à 
l'aide  duquel  les  variations  du  com- 
pas, la  hauteur  du  soleil  et  le  temps 
du  jour  étaient  déterminés  en  mê- 
me temps  à  chaque  endroit ,  pour- 
vu que  la  latitude  en  fut  connue  j  la 
correction  des  erreurs  duesàl'excen- 


24o  WRI 

tricité  de  rœil  dans  les  observations 
par  l'alidade  ;  la  correction  de  tou- 
tes les  tables  de  la  déclinaison  et  de 
la  place  des  étoiles  et  du  soleil,  d'a- 
près les  observations  que  lui-même 
avait  faites  en  1 694 ,  Ç)5  ,  96  et  97  , 
à  l'aide  d'un  quadrant  de  six  pieds  ; 
enfin  un  quadrant  pour  prendre  les 
hauteurs  en  mer.  Cette  deuxième  édi- 
tion était  dédiée  au  prince  Henri ,  son 
élève.  II.  Relation  d'une  expédition 
maritime  faite  par  le   comte   de 
Cumberland^  avec  une  carte  dressée 
par  Wright  lui-même.  III.  Une  tra- 
duction du  Traité  des  Logarithmes 
de  lord  Napier,  son  ami.   Mais  ce 
qui  recommande  surtout  le  nom  de 
Wright  à  la  postérité,  c'est  son  ha- 
bileté dans  la  mécanique ,  c'est  son 
esprit  d'invention.  Outre  les  instru- 
ments dont  nous  venons  de  parler  à 
l'occasion  de  son  premier  ouvrage  , 
c'est  à  lui  que  l'on  doit  véritable- 
ment  la    machine   hydraulique ,   à 
l'aide  de  laquelle  les  eaux  de  la  petite 
rivière  de  Ware  sont  portées  de  cette 
ville  à  Londres  par   un   canal  :  il 
avait  lui-même  commencé  cette  en- 
treprise ,  quand  il  s'en  vit  dépossédé 
par  les  intrigues  de  quelques  hommes 
qui   n'avaient    point  l'honneur    de 
l'invention.  Wright  avait  aussi  com- 
posé ,  pour  l'instruction  du  prince 
Henri ,  une  sphère  magnifique  dans 
laquelle  on  voyait   non  -  seulement 
le  mouvement  qui  emporte  les  étoiles 
avec  le  ciel  tout  entier  d'occident  en 
orient ,  mais  encore  le  mouvement 
de  rotation  du  soleil  sur  lui-même  , 
le  cours  de  la  lune  et  des  planètes  , 
et  jusqu'à  la  possibilité  des  écbpses, 
pendant  une  période  de  17 100  ans. 
Cet  ouvrage ,  endommagé   pendant 
les  guerres  civiles  qui  suivirent ,  fut 
retrouvé   en    1646,    par    sir  Jonas 
Moore,  qui  le  fit  restaurer  à  ses  dé- 
pens, et  qui  le  plaça  dans  sa  biblio- 


WRI 

thèque ,  parmi  beaucoup  d'autres 
instruments  mathématiques  et  de  cu- 
riosités   (  Foj.    MONTUL'LA  ,     HiS' 

toire  des  mathématiques  ^  11 ,  65 1 , 

2^.  édit.  ).  P— OT. 

WRIGHT  (  Abraham  ),  théolo- 
gien anglican ,  fils  d'un  teinturier  de 
Londres ,    naquit  le    *23  décembre 
161 1  ,  et  passa  de  l'école  des  mar- 
chands tailleurs    au  collège   Saint- 
John  de  l'université  d'Oxford  (1629) 
auquel  il  fut  agrégé  en  l'année  i632. 
Distingué  entre  ses  condisciples  par 
son   goût  en   littérature ,   par  une 
éloquence  naturelle ,  et  par  des  ma- 
nières gracieuses ,  il  fut  cliargé  d'a- 
dresser un  compliment  à  la  famille 
royale,  lorsqu'elle  fut  reçue  au  col- 
lège   Saint-John  par  l'archevêque 
Laud,   et   il  remplit  ensuite,  avec 
talent ,  un  rôle  dans  une  comédie  , 
V Hôpital  de  l'Amour,  qui  fut  jouée 
en  présence  de  leurs  Majestés.  Après 
qu'il  eut  reçu  la  prêtrise  ,  en  lôS-y  , 
ses  succès  dans  la  chaire  le   firent 
appeler  fréquemment  à  prêcher  dans 
les  principales  églises  de  la  capitale. 
Juxon  ,  évêque  de  Londres  ,  hii  fit 
conférer  ,  en  164  5,  le  vicariat  d'Oke- 
ham    dans   le  comté  de   Rutland  j 
mais  la  répugnance  de   Wright   à 
adopter  le  covenant  lui   fit  perdre 
le  fruit  des  bonnes  intentions  de  son 
protecteur  ,  et  ce  bénéfice  fut  donné 
à  un  non-conformiste.  Des  scrupules 
analogues    empêchèrent    plus    tard 
(i655)  qu'ilnesemîtenpossessiondu 
rectorat  de  Saint-Olave  ,  à  Londres, 
dont  les  paroissiens  l'avaient  choisi 
pour  leur  ministre.  Mais,  quoiqu'il  ne 
pût  se  résoudre  à  prêter  serment  de 
fidélité  à  la  république  ,  il  n'en  remplit 
pas  moins  ses  devoirs  de  prêtre,  sui- 
vant les  formes  de  l'Église  d'Angle- 
terre ,  non  sans  s'exposer  à  quelque 
péril.  Lorsque  la  restauration  eut  été 
consommée  ,  il  rentra  dans  la  cure 


WRI 

d'Okeliain ,  qui  lui  fui  remise  par  celui 
que  l'on  en  avait  gratifie'  à  son  exclu- 
sion ,  et  ce  fut  là  qu'il  mourut  le  g 
mai   i6go.  On  a  de  lui:  T.  Deliciœ 
deliciarum ,  siv'e  epi^rammatum  ex 
optimis  quihusquc  hujiis  novissimi 
sœcuUpoetis  in  amplissimd  illd  Bibl. 
Bodlciand ,   et  penè  onininb   alibi 
exstantibus  Antholo^ia  in  unamco- 
rollam  connexa ,   Oxford,    lôSy  , 
in-i'i.  II.  Cinq  sermons  en  cinq  sty- 
les différents,  Londres  ,  i656,  in- 
8".  C'est  un  choix  fait  dans  les  ou- 
vrages de  quelques  prédicateurs  re- 
nommes de  ce  temps  ,  les  ëvêques 
Hall  et  Andrews  ,  Carlwright,  etc. 
m.  Commentaire  pratique  ou  ex- 
position sur  le  Hure  des  Psaumes  _, 
Londres  ,    1661  ,  in-fol.  IV.  Com- 
mentaire pratique  sur  le  Pentateu- 
que  y  ibid.  ,   in-fol.  V.  Parnassus 
biceps  f  ou  Choix  de  différents  mor- 
ceaux de  poésie  composés  par  les 
meilleurs    littérateurs  qui  fussent 
dans  les  deux  universités ,  avant 
leur  dissolution,  i656,  in -S''.  — 
WiuGuT  [James),  fils  du  précè- 
dent, ne    en  1644  »  suivit  la  car- 
rière du  barreau.  Il  est  particulière- 
ment connu  comme  un  des  plus  an- 
ciens historiens  du  théâtre  anglais.  U 
mourut  en  i-^iS.  Voici  les  titres  de 
ses  principaux  écrits  :  I.  Histoire  et 
antiquités  du  comté  de  Rutland , 
Londres^  1684,  in-fol.,  suivi  d'ad- 
ditions, en  1687  et  en  17 14;  ouvra- 
ge incomplet, mais  qui  suppose  beau- 
coup de  recherches  et  de  travail.  II. 
Monasticon  anglicanum,  etc. ,  abré- 
gé du  Monasticon  deDugdale,  en  an- 
glais, 1693,  in-  fol.  III.  Conversa- 
tions à  la  campagne ,  propos  re- 
cueillis pendant  un  séjour  à  la  cam- 
pagne,   l'été  dernier,   sur  divers 
sujets,  principalement  sur  les  co- 
médies modernes,  les  traductions 
en  vers ,  la  peinture  et  les  peintres, 


WRI 


a4i 


la  poésie  et  les  poètes ,  i6g4?  ii'- 
12.  IV.  Trois  Poèmes  sur  la  cathé- 
drale de  Saint  -  Paul  :  i  ».  ses  Rui- 
nes; 2°.  sa  Réédification;  3".  le 
Chœur  ,  1697  ,  in  -  fol.  V.  Flistoria 
histrionica  :  Mémoire  historique  sur 
le  théâtre  anglais ,  où  l'on  voit  Vu- 
sage  ancien  ,  les  progrès  et  la  per- 
fection des  représentations  drama- 
tiques chez  cette  nation,  en  un  dia- 
logue, Londres,  1709,  in -8».  Cet 
écrit  précieux  est  devenu  extrême- 
ment rare^  et  a  été  réimprimé,  sur  la 
recommandation  de  Warbiirlon,  en 
tête  des  Anciennes  pièces  (  Old 
plajs  )  recueillies  par  Dodsley.  — 
W^BiGHT  {Samuel),  théologien  non- 
conformiste,  néle  3o  janvier  1682, 
fut  à  la  tête  d'une  congrégation  de  sa 
secte  dans  la  capitale ,  et  se  distin- 
gua dans  la  chaire,  par  son  éloquen- 
ce. Herring,  qui  fut  depuis  archevê- 
que venait,  dans  sa  jeunesse,  se  for- 
mer aux  prédications  de  Wright ,  et 
le  regardait  comme  un  modèle  de  dé- 
bit oratoire.  On  a  de  lui  environ  qua- 
rante Sermons  ,  imprimés  séparé- 
ment, et  un  livre  intitulé  :  Traité 
sur  la  nouvelle  naissance  ou  la  re- 
naissance y  sans  laquelle  il  est  im- 
possible d'entrer  dans  le  royaume 
de  Dieu.  Ce  livre  eut  quinze  éditions 
avant  la  mort  de  son  auteur ,  laquelle 
eut  lieu  à  Newington-Green_,  le  3 
avril  1746.  Z. 

WRIGHT  (  Joseph  ) , peintre  an- 
glais ,  communément  appelé  fFright 
de  Derby ,  était  fils  d'un  attorney 
ou  procureur  de  première  classe  ,  et 
naquit  à  Derby  en  1 734.  H  manifesta 
de  bonne  heure  du  penchant  pour  la 
mécanique  ,  et  cette  habitude  d'ob- 
servation attentive  qui  mène  souvent 
à  la  perfection  dans  les  beaux-arts. 
Envoyé  à  Londres  ,  en  1751  ,  il  y 
travailla  sous  les  yeux  d'IIudson  ,  le 
peintre  de  portraits  le  plus  renomme 
16 


9.4i  VVRI 

de  ce  temps  ,  et,  avant  d'avoir  quit- 
té cet  atelier,  avait  déjà  produit  des 
portraits  et  des  tableaux  historiques 
qui  ne  sont  pas  indignes  des  produc- 
tions de  son  âge  mûr.  Son  talent  se 
perfectionna    licauconp    durant   son 
séjour  en  Italie,   d'où  il  revint  en 
1775  ,  ponr  s'établir  à  Balli,  puis 
dans  sa  ville  nafale.  Il  s'était  marié 
deux  années  auparavant.   L'impul- 
sion de  son  génie  ,   tiop  circonscrit 
dans  Je  genre  du  portrait ,  où  il  avait 
néanmoins  des  succès  éclatants  ,  le 
conduisit  de  nouveau  en  Italie,  afin 
d'y  faire  une  étude  plus  approfondie 
des    monuments    de    l'art    qu'offre 
'    cette   contrée.    Admirateur  enthou- 
siaste des  ouvrages  de  Michel-Ange, 
il  fit  des  dessins  ,  remaïquables  par 
leur  exactitude  ,  des  peintures  de  la 
chapelle  Sistine.  Le  spectacle  d'une 
mémorable    éruption    du    Vésuve  , 
dont  il  fut  témoin ,  lui  fournit  l'occa- 
sion de  signaler  le  rare  talent  qu'il 
avait  pour  rendre  les  elfets  extraor- 
dinaires de  la  lumière,  et  plusieurs  ta- 
bleaux qu'il  exécuta  de  cette  grande 
convulsion  de  la  nature  sont   regar- 
dés comme  des  chefs  d'œuvre.  L'un 
d'eux  passa  dans  le  cabinet  de  l'im- 
pératrice   de    Russie.    L'académie 
royale    de     peinture    élut    Joseph 
Wright  un  de  ses  associés ,  en  i  782  ; 
mais  ,  offensé   de    ce   qu'un  autre 
artiste    avait  été  nommé  académi- 
cien   avant  lui  .  il  déchira  le  diplô- 
me de  son  association.  Il  exposa  pu- 
bliquement à  Londres,  en  1  7^5^  vingt- 
quatre  de  ses  tableaux.  Cet  artiste 
modeste  ,  que  son  attachement  pour 
les  lieux  qui  l'avaient  vu  naître    re- 
tint presque  constamment   loin   du 
grand  monde  et  de  la  capitale,  n'eut 
cependant  pas  sujet  de  se   plaindre 
de   la   fortune  ;   elle   vint   le    cher- 
cher   dans    sa   retraite.   Les    pro- 
ductions   de    son    pinceau    étaient 


WRI 

si  bien  appréciées,  qu'elles  ne  sor- 
taient  de  ses   mains   que  pour  en- 
trer immédiatement  dans  les  cabinets 
des  riches    amateurs  ,    et  qu'on  en 
rencontrait  dillicilement  dans  le  com- 
merce. Plus  de  cent  cinquante  figu- 
rent dans  les  colh  étions  particulières 
de  la   Grande-Bretagne.  Parmi    ses 
premiers  essais    on  cite  ia  Forge  j 
la  Pompe  à  air  y  et  des  Portraits 
qui  ne  sont  inférieurs  qu'à  ceux  de 
Reynolds.   On  remarque  ,  entre  ses 
meilleures  compositions,  Edwin ;  la 
Destruct  on  des  batteries  Jlo liantes 
devant   Gibraltar  y    d<  ux.    tableaux 
représentant  Héro  et  Léandre  ,  La 
dame  (Kady)  ,  personnage  de  la  co- 
médie de  Comus,  par  Miltun  ,   la 
Veuve  indienne ,  VyJmi  de  V  étude 
(  the  studcnt  )  à  la  tombe  de  Fir- 
gile,  et  le  Soldat  mort ,  que  Heath 
a  reproduit  dans  une   bel'e   estam- 
pe.   Les    paysages    de   Wiight   ne 
sont    pas   moir.s  estimés.   Ce  fut  le 
gpnre  qu'il  traita  le  plus  fréquemment 
dans  les  derniers  temps  de  sa  vie. On 
y  admire  l'élégance  du  dessin  ,  la  ju- 
dicieuse distribution  de  la   lumière 
et  de  l'ombre,  la  vérité   et  la  déli- 
catesse   du    coloris.    Là    son    style 
est   très-varié  :  tantôt   étonnant    et 
sublime,  tantôt  calme  et  touchant. 
]1  réussissait   parfaitement  à  retra- 
cer le  ciel  de  l'Italie,  ainsi  que  les 
montagnes    pittores(|ues   du    West- 
moreland  et  du  Cunibrrl.md.    Dans] 
la  peinture  des  clair>   de  lune  ,  de< 
effets  de  lujuière,  des  incendies  ,  or 
le  considérait  comme  n'ayant  poini 
derivab  Le  dernier  tabhau  qu'il  ex< 
cuta  ,    et  q'ii  ollre    une  Fue  de   le 
colline  d'Ullswater ,  est  ])laVé  pai 
ses    compatriotes    au    même     ran*,. 
que  les  produrf:ons  les  plus  estimées 
de  Richard  Wilson  ,    et   mrrae   de 
Claude  Lorrain.  ï)av.>    ce  genre   si 
attrayant,  le  talent  de  Joseph  Wrighi 


A 


WRl 

semblait  grandir  encore  chaque  jour; 
mais  une  application  excessive  avait 
use  les  ressorts  de  son  existence.  11 
mourut  de  langueur  y  le  29  d'août 
1797.  Z. 

WRIGHT  (  John  Wesley  ) ,  ca- 
pitaine dans  la  marine  anglaise  , 
est  moins  connu  par  ses  exploits  que 
par  sa  mort  déplorable ,  qui  donna 
lieu  à  d'affreuses  conjectures.  L'au- 
teur de  cet  article  s'ëtant  trouvé  à 
portée  de  faire,  au  sujet  du  capitai- 
ne Wright ,  l'enquête  historique  la 
plus  complète  à  latpie'ile  on  pgisse 
ariiver  .  garantit  l'exactitude  des 
faits  qu'il  rapporte,  et  l'impartia- 
lité des  e'clairrissemenls  qui  les  ac- 
compagnent. John  Wesley  Wright 
naquit  ie  i4  juin  17^9,  à  Corke,  en 
Irlande.  Son  père,  payeur-général  à 
Minorqr.e  pondant  l'occupation  an- 
gl  lise,  le  lit  élever  avec  soin  sous  ses 
yeux.  \je  jeune  Wright  excella  de 
bonne  heure  dans  la  musique  et  dans 
la  langue  française,  A  dix  ans .  il  fut 
placé  par  le  colonel  James  Murray, 
comme  enseigne  volontaire  ,  dans  le 
soixante- unième  régiment.  11  n'y 
resta  qu'une  année,  entra  dans  la 
marine  ,  et  fut  également  placé  com- 
me volontaire  auprès  du  capitaine 
(airtis  (  depuis  sir  Roger  ) ,  qui  alors 
commandait  à  Minonpie  la  frégate 
la  Brillante.  Employé  pendant  le 
siège  de  Gibraltar,  comme  aide-de- 
camp  de  son  capitaine  ,  Wright  se 
distingua  en  combattant  contre  les 
baitenes  flottantes  à  bord  des  cha- 
loupes canonnières;  et,  dans  une 
circonstance  importante,  il  contri- 
bua à  sauver  la  vie  à  tout  un  équi- 
page. Lorsque  la  paix  fut  rétiblie,  il 
continua  pendant  deux  ans  ses  étu- 
des à  l'académie  de  George  Barker, 
à  Wandsworth.  L'état  de  paix  ne 
lui  olFrant  aucune  chance  d'avance- 
ment dans  la  marine ,  et  son  père 


WRI 


243 


l'engageant  à  s'adonner  au  commer- 
ce ,  il  entra  chez  un  riche  négociant 
de  la  cité,  et  mérita  sa  confiance 
par  son  intelligence  et  son  assiduité, 
il  reçut  de  lui  la  mission  d'aller  à 
Saint-Pétersbourg,  à  TefTet  d'y  sui- 
vre les  allaires  de  son  négoce.  Il  ar- 
riva dans  cette  capitale  en  1790,  et 
y  résida  cinq  ans,  pendant  lesquels 
il  acquit  une  parfaite  connaissance 
de  la  langue  russe,  visita  IMoscou  et 
d'autres  villes  de  l'empire.  11  revint 
en  Angleterre  ,  après  avoir  rempli 
sa  mission  à  l'entière  satisfaction  de 
ses  commettants.  Tout  en  se  livrant 
au  monvcment  de  sa  nouvelle  profes- 
sion ,  il  avait  conservé  le  même  goût 
pour  la  marine,  et  depuis  le  renou- 
vellement delà  guerre  contre  la  Fran- 
ce, il  nourrissait  l'idée  de  repreridre 
son  service.  Une  seule  considération 
le  retenait:  il  n'aurait  pas  voulu  ren- 
trer dans  cette  carrière  comme  gar- 
de-marine. Pendant  son  séjour  à  Saint- 
Pétersbourg,  il  avait  entendu  vanter 
les  exploits  de  sir  Sidney  Smith  ,  qui 
avait  combattu  sur  la  flottille  de  Suè- 
de, dans  la  guerre  de  Finlande  ,  et 
qui  ,  rentré  depuis  dans  la  marine 
britannicpie,  commandait  la  frégate 
le  Diamant.  Ayant  su  que  cet  ofli- 
cirr  cherchait  un  secrétaire,  il  se 
présenta  de  lui-même,  et  fut  accueil- 
li ;  Sidney  Smith  ,  dont  il  était  de- 
venu l'ami  ,  le  fit  ,  à  son  insu  , 
porter  sur  les  registres  de  la  ma- 
rine, comme  simple  garde,  dans  la 
vue  de  lui  faire  reprendre  son  tour 
d'avancement.  Wright  entra  aussi- 
tôt  en  activité  et  en  croisière  à  bord 
de  la  frégate  le  Diamant ,  sur  la  c6- 
tede  Normandie.  Sidney-Smith  avait 
des  instructions  particulières.  Ayant 
découvert,  dans  la  rade  du  Havre, 
le  17  avril  1796,  un  lougre  armé, 
appelé  le  Fengcur^  il  alla  l'attaquer 
à  l'abordage  avec  des  bateaux  plats 
16.. 


emmenant  avec  lui  Wright,  et  en 
tout  cinquante-deux  liommes.  Mais 
l'un  des  câbles  du  Vendeur  ayant 
cle  coupe  par  les  Français  ,  le  iougre 
gagna  la  côte,  et  les  embarcations 
anglaises  se  trouvèrent  entraînées 
par  le  courant  dans  la  Seine,  près  du 
Havre,  et  bientôt  entourées.  Là  toute 
résistance  devenant  inutile,  Wright 
et  Sidney-Smith  furent  forcés  de  se 
rendre  prisonniers.  Eu  vertu  d'un 
ordre  émané  du  Directoire  exécutif, 
on  les  transféra  tous  deux  au  Tem- 
ple ,  à  Paris ,  comme  prisonniers 
d'état  :  ils  y  furent  détenus  dans  la 
même  tour  ,  mais  séparés  et  au  se- 
cret. Le  gouvernement  français  leur 
lit  subir  ce  traitement  inusité,  sous 
prétexte  qu'ils  avaient  voulu  incen- 
dier, de  concert,  le  port  du  Havre. 
Wright  était  enfermé  depuis  près  de 
huit  mois  au  secret,  et  privé  de  toute 
communication,  lorsqu'au  mois  de 
décembre  seulement  il  fut  interrogé 
par  le  juge  de  paix  de  la  place  Ven- 
dôme. 11  lui  déclara  avec  fermeté 
qu'il  ne  répondrait  à  aucune  question 
qui  pourrait  avoir  le  moindre  rap- 
port au  service  de  son  pays  (i). 
«  Mais  n'aviez-vous  pas  le  dessein , 
»  lui  dit  le  juge  de  paix ,  de  brûler 
w  la  vil'e  et  l'arsenal  du  Havre?  — 
»  On  n'a  besoin  que  de  bombes  pour 
»  brûler  le  Havre,  répondit  Wright, 
»  qui  cita  l'exemple  de  l'amiral  Rod- 
»  uey  ;  il  est  injurieux,  d'ailleurs, 
»  ajouta-t-il,  d'accuser  d'un  projet 
y>  d'incendie  l'homme  même  à  la 
^yi  modération  duquel  le  Havre  a  dû 
»  son  existence  pendant  plus  d'un  an. 
»  Mon  ami  est  parmi  les  hommes 
»  un  des  plus  humains  que  je  con- 
»  naisse  ;  l'incendie  des  villes  n'entre 
»  point  dans  ses  projets ,  et  ne   se 


(  \\   Tout   cfv\   fSL  lire  de  l'iiilei  rogutoire  tuouK 
que  l'auteui-  de  cet  article  a  eu  sous  ks  yeux. 


WRI 

»  concilie  point  avec  les  ordres  gé- 
»  néraux  de  son  escadre ,  réitérés  à 
»  tous  commandants  de  détachement, 
»  approchant  la  côte  ennemie  ,  de  ne 
»  jamais  tirer  sur  les  habitations  ou 
»  les  personnes  non  armées.  Je  ne 
»  crois  pas  qu'on  puisse  citer  un 
»  exemple  de  contravention  à  ces 
»  ordres.  Nous  savons  remplir  notre 
»  devoir  en  détruisant  votre  marine 
»  et  votre  commerce  jusque  sous 
»  vos  batteries  ;  et  je  m'enorgueillis 
»  d'avoir  partagé  les  travaux  et  les 
»  dangers  de  sir  Sidney-Smith,  » 
Alors  on  lui  présenta  une  lettre  écrite 
par  cet  officier  à  Louis  de  Frotté , 
chef  royaliste  de  Normandie,  auquel 
il  promettait  un  rendez- vous  sur  le 
rivage ,  et  des  secours  en  faveur  du 
roi  et  des  honnêtes  gens  :  la  suscrip- 
tion  sur  l'enveloppe  était  de  l'écri- 
ture de  Wright.  On  lui  présenta  de 
plus  une  lettre  chiffrée.  «  Je  m'en 
»  réfère ,  dit-il ,  à  ma  réponse  con- 
»  cernant  l'incompétence  du  gouver- 
»  nement  français  à  m'interroger  sur 
»  les  faits  de  mon  service ,  et  les 
»  opérations  de  l'escadre.  »  Cette 
dernière  circonstance  formait  le  vé- 
ritable grief  qui  leur  avait  attiré  la 
dureté  d'un  pareil  traitement.  Le 
Directoire  n'y  apporta  quelque  adou- 
cissement qu'après  un  an  de  déten- 
tion j  les  deux  prisonniers  purent 
alors  communiquer  entre  eux,  et  eu- 
rent la  faculté  de  voir  leurs  amis.  Hs 
en  profitèrent  pour  concerterleur  éva- 
sion y  et  l'elFectuèrent  ensemble  au 
moisd'oct.  1798  ,  au  moyen  de  faux 
ordres  du  ministre  de  la  guerre  ,  qui 
furent  présentés  courageusement  au 
geôlier  de  la  prison  par  des  hommes 
déguisés  en  militaires  (  V  PhÉlip- 
pjiAux,XXXIV_.2i  )  ('2).  A  son  ar- 

(%)  Ou  rroil  iiKJourd'liui  que  le  Directoire  ou  du 
moins  un  ù:.'  ses  nieiubres  (Barras)  ,    qui  était  piV 
venu  ,  facilita  cette  évasion. 


WRt 

nvce  à  Londres  ,  Wright  reçut  le 
grade  de  lieuteuaiit,  et  suivit  en  cette 
qualité  Sidney-Smitb  à  bord  du  vais- 
seau de  ligne  le  Tigre ,  qui  fit  voile 
d'abord  pour  Minorque  et  de  là  pour 
Consîantinople  ,  oii  Sidney-Smitli 
alla  s'entendre  avec  le  Divan ;,  a  lin  de 
s'opposer  aux  progrès  de  Buona- 
parte  en  Egypte.  Étant  parti  de 
Gonstantiuople,  le  i  g  février  1799, 
il  alla  toucher  à  Rhodes  pour  con- 
certer SCS  opérations  navales  avec 
Assan  Bey  ,  gouverneur  othoman  de 
cette  île;  et,  arrive  à  la  hauteur  d'A- 
lexandrie ,  il  prit  y  le  7  inars ,  le 
commandement  de  la  croisière  dans 
les  mers  du  Levant.  C'était  au  mo- 
ment où  Buonaparte  faisait  une 
irruptioi  en  Syrie.  Le  lieutenant 
Wright  fut  aussitôt  dépêche  à  Djez- 
zar,  pacha  gouverneur  d'Acre,  à 
l'elfet  de  tout  disposer  pour  la  dé- 
fense de  la  ville  à  laquelle  il  prit  une 
part  active  pendant  toute  la  durée  du 
siège.  11  y  commanda  les  marins  pio- 
niers  ,  reçut  deux  balles  dans  le  bras 
droit ,  le  7  avril  ,  n'eu  entra  pas 
moins  dans  la  mine  pour  s'assurer 
de  sa  direction  ,  et  pour  examiner 
les  mineurs  qui  travaillaient  à  faire 
sauter  la  tour  j)rincipale.  Ses  forces 
se  trouvèrent  tellement  affaiblies  par 
ses  blessures  ,  qu'il  put  à  peine  sor- 
tir de  la  tranchée  avec  le  secours  du 
colonel  Douglas.  Après  la  levée  du 
siège  ,  il  fut  élevé  au  grade  de  capi- 
taine de  corvette,  et  euvoyé  pour  se 
rétablir  à  Beruly,  cap  dans  le  pays  des 
Druses.  Pendant  la  négociation  d''EI- 
Arych,  le  commodore  Sidney-Smith 
l'envoya  à  plusieurs  reprises  au 
camp  de  Kléber ,  où  il  eut  des  rela- 
tions avec  Rapp  et  Savary  ,  alors  ai- 
des-dc-camp  du  général  Desaix.  Sa- 
vary étant  même  venu  à  son  tour  au 
camp  des  Turcs,  par  des  motifs  de 
curiosité,  Wright  et  Sidney-Smith  le 


WRI  •>.45 

mirent  à  couvert  des  insultes  d'une 
troupe  de  janissaires.  A  peine  le  com- 
modore eut-il  appris  que  son  gouver- 
nement se  refusait  à  ratifier  le  traité, 
qu'il  envoya  Wright  à  Kléber,  pour 
l'en  avertir.  L'olhcier  anglais  arriva 
au  moment  où  Kléber,  en  exécution 
du  traité,  allait  remettre  au  grand- 
visir  les  clefs  de  la  citadelle  du  Caire. 
La  ratification  ayant  été  accordée 
plus  tard,  Wright  fut  dépêciié  alors 
auprès  du  général  Menou,  qui,  après 
l'assassinat  de  Kléber,  avait  pris 
le  commandement  de  l'arniée  d'E- 
gypte. Traversant  le  désert  pour 
rejoindre  Menou  ,  il  apprit  que  ce 
général  refusait  à  son  tour  d'exécu- 
ter le  traité.  Il  n'en  continua  pas 
moins  sa  route  ;  mais  il  ne  put  réus- 
sir à  persuader  Menou,  qui  le  reçut 
froidement,  et  le  fit  rétrograder.  De 
retour  en  Angleterre ,  après  l'éva- 
cualion  del'Egyptepàr  l'armée  fran- 
çaise, Wright  se  rendit  à  Paris  peu 
après  la  paix  d'Amiens.  Mais  il  n'y 
fit  pas  un  long  séjour  ,  et  à  la  rup- 
ture il  reçut  ,  avec  le  commande- 
ment de  la  corvette  il  Finccjo  , 
qui  avait  été  prise  sur  les  Espagnols, 
la  mission  de  stationner  à  la  hauteur 
de  la  côte  de  France ,  et  d'entretenir 
des  relations  avec  les  royalistes  de 
l'intérieur.  Il  y  opéra  plusieurs  dé- 
barquements nocturnes ,  vers  la  fin 
de  l'été  de  i8o3  ,  ainsi  que  dans  les 
premiers  mois  de  i8o4  ,  époque  où 
il  prit  sa  station  sur  la  côte  du  Mor- 
bihan. Ses  signaux  ayant  été  com- 
muniqués à  la  police  de  Buonaparte 
par  des  complices  de  George,  on  s'en 
servit  pour  l'attirer  à  l'île  d'Houat. 
Là  plusieurs  embarcations  armées  se 
mirent  inopinément  à  sa  poursuite , 
profitèrent  d'un  temps  calme,  et 
s'emparèrent  de  sa  corvette,  le  17 
mai  i8o4 ,  après  une  défense  opiniâ- 
tre. Il  fut  conduit  d'abord  à  Port- 


'^46 


WIU 


Navalo.  puis  à  Aurai,  uù  dc;s  ordies 
arrivèreut  bicnlôt  de  !c  diriger,  avec 
ses  oiUciers,  dans  l'inlérieur,  et  d'a- 
bord à  Vaniu's,  en  présence  du  (ire- 
fet  Julien.  Wriglit  l'avait  connu  en 
Egypte,  et  l'avait  traité  gcncrcusc- 
ment,  lorsqu'on  l'avait  amené  bles- 
sé à  bord  du  Ti^re  ,  à  la  hauteur 
de  Saint-  Jean  d'Acre.  Oubl  anl  ce 
service,  Julien  le  traita  sans  mé- 
nagement, et  le  diiigea  sur  Paris, 
accompagné  d'un  gendarme.  Wright 
fut  conduit,  en  arrivant,  devant  le 
juge  instructeur  Thuriot,et  confron- 
té, le  20  mai  (3),  avec  Querelle, 
Russillon  et  Troche,  les  trois  delà 
téurs  dans  le  procès  de  Moreau  et 
de  George.  Ils  attestèrent  le  re- 
connaître comme  chargé  d'opérer 
les  debarcpiements  sur  la  côte.  Mais 
Wright  déclara  avec  fermeté  qu'il 
n'avait  aucun  compte  à  rendre 
de  sa  conduite  au  gouvernement 
français.  Sur  la  menace  qu'il  serait 
désavoué  par  son  piopre  gouver- 
uement ,  il  répondit  n'avoir  jamais 
rien  fait ,  en  sa  qualité  de  capitaine  de 
vaisseau,sans  y  être  autorisépar  des  or- 
dres précis,  refusai. t  néanmoins  d'en- 
trer dans  aucun  détail,  «  Ne  voulant 
»  pas,  dit-il,  après  avoir  rempli  son 
w  devoir  être  exposé  à  se  voir  accusé 
»  de  trahison.  »  On  le  confina,  au 
Temple  dans  une  des  tourelles  supé- 
rieures de  cette  prison  d'état  avec 
deux  soldats  placés  dans  son  cachot 
pour  le  garder  à  vue.  Appelé  comme 
témoin  au  procès  de  George  et  de 
PichegrUjil  refusa  de  rien  témoigner, 
et  en  se  retirant  reçut  ,  malgré  les 
soins  de  la  police ,  des  applaudisse- 
ments du  public  auditeur.  On  parut 
alors  avoir  pour  lui  quelques  égards  : 
on  lui  donna  une  chambre  .  et  on  le 


(3)  3o  floréal  an  XII.  L'auteur  de  cet  article  a  eu 
eu  communication  les  pièces  originales  qui  au  bc- 
soiu  pourraient  être  rendues  publit|ues. 


WRl 

laissa  nu'me  jouir  de  la  société  de 
son  neveu ,  âgé  de  quatorze  ans,  fait 
prisonnier  avec  lui.  Le  préfet  Julien 
avait  écrit  que,  si  on  les  questionnait 
convenablement ,  ils  feraient  des  ré- 
vélations imj)ui  tantes.  On  (es  soumit 
tous  les  deux  à  dillérents  interroga- 
toires, dans  des  cellules  particulières, 
sans  aucune  communication  avec  les 
autres  prisonniers.  Pend mt  vingt  six 
jours  que  dura  cette  espèce  d'épreu- 
ve ,  on  les  laissa  au  pain  et  à  l'eau 
pour  toute  nourriture.  Us  étaient  in- 
terrogés pendant  la  nuit  par  des 
agents  de  police  accompagnés  de 
gendarmes.  Ce  fut  dans  le  cours  de 
ces  interrogatoires  secrets  qu'on  em- 
ploya contre  le  malheureux  Wright, 
pour  l'obliger  enlin  k  rompre  le  si- 
lence ,  le  moyen  violent  de  lui  serrer 
fortement  les  pouces  avec  ce  qu'on 
nomme  \cs  poiicettes ,  et  ce  que  Fou- 
ché  appelait  ^nhnent  la  petite  ques- 
tion, en  assurant  à  ses  familiers  que 
Wright  avait  parlé  ,  ce  qui  était  une 
ûrusseté  insigne.  Tous  les  moyens  fu- 
rent employés  inutilement,  mêmeles 
voies  de  la  douceur,  pour  vaincre  ce 
courageux  silence.  Le  procès  ter- 
miné, on  lui  permit  de  loger  avec 
son  neveu  dans  une  chambre  plus 
commode ,  et  de  voir  de  temps  en 
temps  ceux  de  ses  officiers  faits  pri- 
sonniers avec  lui,  et  qui  étaient  égale- 
ment détenus  au  Temple.  On  lui  dit 
même  que  le  gouvernement  français 
le  laisserait  retourner  dans  sa  patrie, 
s'il  consentait  à  révéler  tout  ce  qu'il 
savait  des  projets  formés  contre  la 
sûreté  de  Buonaparle.  A  cela  il  ré- 
pondit qu'il  se  regarderait  comme 
rebelle  à  son  Dieu  et  à  sou  roi ,  s'il 
avait  la  moindre  communication  avec 
des  êtres  cajiables  de  se  conduire 
comme  ils  l'avaient  fait  à  son  égard. 
Au  mois  de  juillet  tous  ses  officiers 
furent  mis  en  liberté^  et  ils  obtinrent^ 


WRÎ 

par  l'entremise  du  geôlier,  d'avoir 
avant  leur  départ  une  entrevue  avec 
leur  capitaine.    Il   leur    parut   gai, 
quoiqu'il  fut  agité  du  pressentiment 
secret  du  sort  qui  !'att<  miait.  En  pre- 
nant congé  de  M.  Laumout,  chirur- 
gien de  sa  corvette,  il  lui  dit,  d'un 
air  j)énétré  :  «  J 'espère  que  nous  nous 
»  verrons  dans  des  circonstances  plus 
»  heureuses;  mais  à  tout  événement, 
»  quoi  qu'il  puisse  arriver  dans  ma 
y  condition  présente,  démentez  d'à- 
»  vaiice  tous  les  bruits  qui  pourraient 
»  circuler  sur  mon  compte;  je  me 
»  conduirai ,   cioyez-moi  ,  eu  chré- 
»  tien  et  eu  oilicier  anglais.  »>  Apres 
cette  séparation  ,  la  captivité  du  ca- 
pitaine,  loin  d'être  adoucie  ,  devint 
plus  dure.   Cependant  on  s'occuj)ait 
beaucoup  de  son  sort  en  Angltlerie 
et  même  à  la  chambre  des  commu- 
nes. A  la  séance  du  3o  juillet  i8o4, 
Windham  se  leva  pour  demander  des 
renseignements  sur  la  situation  des 
prisonniers  de  guerre  en  France,  et 
particulièrement  sur  celle  du  capi- 
taine Wrighl.  Il  dit  que  les  derniers 
rapports  au  sujet  de  ce  brave  oili- 
cier avaient  appris  qu'il    avait  re- 
fusé   de    répondre  à  des  questions 
non  autorisées  par  le  droit  des  gens, 
et  qu'alors  on  lui  avait  fait  entendre 
clairement  qu'on  aurait  recours  aux 
dernières  extrémités  s'il  ne  répondait 
pas  de  la  manière  qu'on  attendait  de 
lui  ;  ce  que  l'on  avait  commencé  à 
exécuter  en  le   renfermant  dans  la 
prison     du    Temple.     Windham    , 
avant  d'émettre  aucune  proposition 
à    ce  sujet,    déclara    qu'il   désirait 
savoir   si    le   gouvernement    de   S. 
M.    avait    fait  quelques  démarches 
pour  obtenir  la  liberfe  de  cet  ofllcier, 
ou  si  l'honorable  iicntlcman  qui  sié- 
geait en  face  pourrait  donner  quel- 
que information  dans  le  cas  où  il  en 
serait  parvenu  à  la  connaissance  des 


'24  7 


WRI 

ministres.  M.  Hurgess  Bouine,    se- 
crétaire de  la  trésorerie^  à  (\m  s'a- 
dressait cette  interpellation ,  dit  qu'il 
était  très-allbgé  de  ne  pouvoir  don- 
ner l'information  que  l'on  desirait; 
et  quii  n'avait  rien  à  communiquer 
à  ce  sujet.  Ce  fut  alors  que  le  minis- 
tère anglais   sollicita  l'échange    du 
capitaine    Wright    par    l'intermé- 
diaire de  l'ambassadeiir  d'Espagne. 
Le  ministre  des  alï'aires  étrangères 
T.illeyrand  répondit  que  le  capitaine 
Wright  était   un  homme  afj'rcux 
(4)  ;  qu'on  ne  daignerait  pas  le  trai- 
ter comme  prisonnier  de  guerre  ,  per- 
suadé qu'aucun  oilicier  fiançais  ne 
consentirait   à  être  échangé  contre 
lui.  Il  ])roposait  néanmoins  de  l'en- 
voyer dans  quelque  port  neutre,  où 
il  serait  mis  à  la  disposition  du  gou- 
veriiemcntbrilannique.Oncroitqu'au 
moment  même  où  ces  propositions 
fallacieuses  étaient  faites,   le  capi- 
taine Wriglit  avait  cessé  d'exister. 
On  n'en   fut  instruit  dans  le  j)ublic 
que  par  le  paragraphe  suivant  inséré 
dans  la  Gazette  de  France  du  29 
octobre  iHof),  et  répété  par  les  au- 
tres journaux.  «  Le  capitaine  Wright 
»  de  la  marine  anglaise  ,   déldiu   au 
»  Temple,  qui  avait  débarqué  sur  la 
»  côte  de  Tréport  Georges   et  ses 
»  complices  ,   s'est  tué  dans  sa  pri- 
»  son  ,  après  avoir  lu  dans  le  Moni- 
î)  teur  la  nouvelle  de  la  destruction 
»  de  l'armée  autrichienne.  »    On  ne 
crut  pas  généralement  à  cette  mort 
volontaire  ,  et  encore  moins  au  motif 
qui  y  aurait  donné  lieu  ;  et  l'on  pensa 
qu'elle  remontait  aux  mêmes  causes 
qui  avaient  amené  la  catastrophe  du 
duc  d'Enf;hien  et   la  mort    j)rob!é- 
matique  de  Pichegru  ;    !e  bruit  s'ac- 
crédita même  que  c'étaient  encore 


(41  Expression  qui  ne  venait  pas,  dit-ou,  du 
ministre ,  mais  qui  lui  avait  été  dictée  par  Buona- 
parte. 


248 


WRT 


des  mameloiicks  de  la  garde  qui 
avaient  reçu  l'ordre  secret  de  couper 
la  gorge  au  capitaine  Wright  dans 
sa  prison.  Le  public  parut  d'autant 
plus  touche  delà  destinée  de  ce  mal- 
heureux oiTicier,  qu'on  n'avait  pu  lui 
imputer  d'autre  tort  que  d'avoir  obéi 
aux  ordres  de  son  gouvernement.  Ce 
point  délicat  d'histoire  contempo- 
raine ne  pouvait  être  aborde  ni 
e'clairci  sous  le  re'gime  impe'rial.  Ce 
n'est  qu'après  la  chute  de  Bnona- 
parte  qu'il  est  devenu  le  sujet  d'une 
controverse  assez  vive.  Enfin ,  au 
mois  de  septembre  i8i5,  l'avocat 
Henoult  déclara,  dans  une  lettre  pu- 
blique qui  fut  répandue  dans  toute 
l'Europe  _,  qu'il  allait  rétablir  les 
faits  sous  leur  vrai  jour.  «  J'étais, 
»  dit-il ,  prisonnier  au  Temple  quand 
»  cet  assassinat  politique  eut  lieu. 
r>  La  veille  du  jour  où  le  capitaine 
»  Wright  fut  trouvé  la  gorge  cou- 
5)  pée^  Savary,  à  cette  époque  gé- 
»  néral  et  aide-de-camp  de  Napo- 
»  léon  ,  dont  on  l'appelait  le  bras 
»  droit ,  vint  faire  avec  quelques 
»  soldats  une  inspection  rigoureuse 
»  de  cette  terrible  prison  j  inspection 
ï)  dont  il  était  chargé  spécialement, 
»  et  indépendamment  de  Fouclié,  mi- 
1)  nistre  de  la  ^oYvce.  Retirez -vous 
»  dans  vos  chambres  ,  fut  l'ordre 
y)  que  Savary  donna  aux  prison- 
î)  niers.  On  fit  d.es  perquisitions  dans 
»  celle  du  capitaine  comme  dans  les 
î>  autres.  L'objet  de  cette  enquête 
»  était  de  découvrir  une  prétendue 
»  correspondance  avec  l'Angleterre , 
»  dont  on  ne  trouva  aucune  preuve. 
»  Le  jour  suivant, une  nouvelle  per- 
»  quisition  eut  lieu  ,  mais  seulement 
»  dans  la  chambre  du  capitaine 
))  Wright  :  elle  était  faite  par  trois 
»  officiers  de  police  que  deux  soldats 
»  escortaient.  Sans  doute  ces  vexa- 
»  lions  irritèrent  au  plus  haut  point 


WRI 

»  ce  brave  officier  ,  et  nous  l'enten- 
»  dîmes  crier  de  toutes  ses  forces ,  ci 
»  appeler  la  vengeance  du  ciel  sur 
»  Buonaparte  et  sur  la  cruelle  tyran- 
»  nie  de  sa  police.  Vers  minuit  des 
»  assassins  entrèrent  dans  sa  cham- 
»  bre ,  et  lui  coupèrent  la  gorge  avec 
1)  un  rasoir;  on  supposa  que  c'étaient 
»  les  mêmes  qui  avaient  étranglé 
»  Pichegru.  »  Une  aussi  grave  accu- 
sation a  donné  lieu  de  la  part  de 
M.  le  duc  de  Rovigo  (  Savary  ) ,  qui 
était  alors  au  pouvoir  des  Anglais 
dans  l'île  de  Malle  ,  à  une  réfutation 
(5)  fondée  d'abord  sur  ce  que  Foii- 
ché  seul  avait  l'inspection  supérieure 
du  Temple,  et  enfin  sur  la  preuve 
de  V alibi;  c'est-à-dire  sur  ce  que  lui, 
Savary  ,  ayant  suivi  Napoléon  en  Al- 
lemagne ,  en  i8o5  ,  avait  assisté  à  la 
bataille  d'Austerlitz  ,  et  avait  été 
chargé  d'une  mission  auprès  de  l'em- 
pereur Alexandre  avant  et  après  la 
bataille ,  avait  même  été  vu  le  28  ou 
29  novembre  auprès  de  ce  monar- 
que par  l'ambassadeur  d'Angleterre 
lord Leveson-Gower.  Mais  ces  objec- 
tions ne  se  trouvent-elles  pas  affaiblies 
devant  l'examen  sévère  de  l'histoire? 
En  supposant  la  réalité  de  cet  assas- 
sinat politique ,  il  n'a  pu  être  com- 
mis sans  la  volonté  expresse  de  Na- 
poléon ,  et  même  sans  un  ordre  secret 
de  sa  part  j  or  ,  l'agent  qui  en  aurait 
été  porteur  ne  se  serait  nullement 
trouvé  en  conflit  avec  Fouché  qui, 
en  sa  qualité  de  ministre  de  la  police 
générale,  et  dépositaire  de  tous  les 
secrets  d'état ,  eût  été  obligé  d'y  prê- 
ter les  mains.  Dans  ce  cas  l'accès  du 
Temple,  à  toute  heure  ,  ne  pouvait 
être  interdit  à  un  aide-de-camp  de 


(5)  Reproduite  sous  la  forme  d'une  Lrocimre  en 
187.5  ,  sons  le  tilre  de  Mémoire  du  duc  de  Boi'igo  ^ 
sur  In  mort  de  Pichegru,  du  capitaine  f7  righl,  de 
M.  Batliursl,  et  sur  r/ueltfues  autres  circonslancts 
de  sa  vie. 


WRI 

Napoléon,  chargé  d'ailleurs  de  sa 
police  secrète.  L'alibi  n'est  pas  non 
plus  prouvé  assez  victorieusement. 
Le  duc  de  Rovigo  l'établit  sur  sa 
présence  à  Ansterlitz ,  lors  delà  mort 
du  capitaine  Wright.  Mais  cette  mort 
ne  coïncide  nullement  avec  la  date 
de  la  bataille  livrée  le  2  décembre 
i8o5.  Elle  se  rapporte  à  la  capitula- 
tion de  MackàUIm  qui  eut  lieu  le  10 
octobre ,  et  fut  annoncée  par  le  Mo- 
niteur du  '^4?  après  la  lecture  du- 
quel, selon  la  Gazette  de  France, 
déjà  citée  (  et  tous  les  journaux  alors 
étaient  officiels  ) ,  le  capitaine  Wright 
se  serait  tué.  Sa  mort,  annoncée  le  29 
par  la  Gazette ,  avait  eu  lieu  dans  la 
nuit  du  27  au  28  octobre;  par  con- 
séquent plus  d'un  mois  s'écoula  jus- 
qu'à la  bataille  d'Austerlitz.  Ainsi 
une  mission  secrète  pour  Paris ,  don- 
née à  Ulm  ou  ailleurs  ,  aurait  pu  être 
remplie  en  huit  ou  dix  jours  au  plus, 
et  un  aide-de-camp  actif,  accoutumé 
à  exécuter  rapidement  les  ordres  de 
Napoléon,  aurait  pu  assister  ensuite 
aisément  à  la  bataille  d'Austerlitz. 
D'un  autre  côté ,  il  y  a  aussi  lieu  de 
s'étonner  que  le  duc  de  Rovigo ,  en 
rapportant  la  lettre  de  l'avocat  He- 
noult  pour  la  réfuter ,  en  ait  suppri- 
mé le  P.  S.  conçu  en  ces  termes  :  «  Je 
»  vous  donnerai  de  plus  amples  ren- 
»  seigncments  sur  ces  meurtres  d'é- 
»  ta  t.  »  Henoult  tint  parole  et  pu- 
blia,  peu  de  jours  après,  à  Liège  , 
sous  la  date  du  5  octobre  ,  une  se- 
conde Lettre  qui  n'a  pas  été  réfutée, 
et  qui  contient  de  terribles  inductions 
sur  le  genre  de  mort  du  capitaine  : 
<i  Le  capitaine  Wright ,  y  est-il  dit , 
»  était  emprisonné  étroitement  dans 
»  un  de  ces  donjons,  que  dans  le 
)>  langage  de  la  tyrannie  on  appelle 
»  secret  j  et  qui  présente  à  l'ima- 
»  gination  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
))  terrible.  Une  voyait  pas  une  ame, 


WRI 


249 


»  excepté  un  individu ,  le  porte-clef, 
»  qui  le  visitait  trois  fois  par  jour, 
»  Son  secret  était  situé  dans  un  petit 
»  carré  détaché ,  où  était  aussi  ren- 
»  fermé  un  vieux  jésuite  d'environ 
»  quatre-vingts  ans;  homme  de  qua- 
»  lité  et  d'érudition  qu'il  honorait  de 
»  son  estime  et  de  sa  confiance.  Le 
))  capitaine,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  éta- 
»  bîi ,  eut  le  cou  coupé  avec  un  ra- 
»  soir,  entre  minuit  et  minuit  et  demi. 
»  Vers  sept  heures  du  matin,  leporte- 
»  clef  de  cet  infortuné  officier  éveilla 
»  tout  le  Temple  par  ses  cris  répétés 
»  à  diverses  reprises  :  Le  capitaine 
»  anglais  s'est  tue'.  Le  geôlier  se 
»  rendit  sur  les  lieux  ,  et  permit  aux 
»  prisonniers  d'entrer  dans  la  chara- 
»  bredu  mort.  J'entrai  à  mon  tour, 
»  ainsi  que  cent  vingt-huit  de  mes 
»  compagnons  d'infortune.  Le  capi- 
»  taine  était  étendu  sur  son  lit ,  cou- 
rt vert  de  sang,  et  le  fatal  rasoir  était 
1)  sur  le  parquet.  On  voyait  sur  sa  table 
»  de  nuit  un  Moniteur  Ag  la  veille, qui 
»  contenait  les  détails  d'une  victoire 
»  signalée  remportée  par  les  Français. 
»  Vous  voyez ,  dirent  les  porte-clefs, 
»  qui  sans  doute  étaient  endoctri- 
»  nés  par  Savary ,  que  notre  victoi- 
»  re  a  poussé  le  capitaine  anglais  à 
»  un  acte  de  désespoir.  Personne  ne 
»  dit  mot ,  et  pas  un  des  spectateurs, 
»  pas  même  les  porte-clefs,  n'ajou- 
»  tèrent  foi  à  cette  fable.  Le  public 
»  se  ressouviendra  particulièrement 
»  qu'il  avait  été  fait  une  défense  sé- 
»  vère  de  procurer  les  papiers  pu- 
»  blics  au  capitaine  Wright;  qu'il 
»  n'avait  point  de  rasoir  ,  le  barbier 
»  du  Temple  le  rasant  deux  fois  la 
»  semaine,  accompagné  et  inspecté 
»  par  l'un  des  geôliers.  Ces  faits  no- 
»  toires  sont  à  la  connaissance  de 
»  tous  les  prisonniers.  Saisi  d'hor- 
»  reur  à  cet  affreux  spectacle,  je  me 
»  rendis  dans  l'appartement  du  je- 


'A'JO 


WKl 


»  suite,  silue  au  côte  oppose,  à  quel- 
»  qucs  pas  de  distance  de  celui  du 
»  capitaine. — Quels  crimes  se  com- 
»  mettent  dans  cette  prison,  dit-il, 
»  en  élevant  les   mains  et  les  yeux 
»  vers  le  ciel  I  — Oui ,  mon  père,  rc- 
M  pliquai-je,  i!s  sont  enoimes  et  cx- 
»  cèdent  toute  mesure.  Étant  aussi 
»  près  du  lieu  de  la  scène,  vous  avez 
»  probablement  entendu  tout  ce  qui 
»  sVst  passe.  Pour  moi,  j'en  ai  en- 
»  tendu  une  bonne  partie,  ou  plutôt 
»  j'ai  vu  les  antécédents  de  cette  ca- 
»  tastrophe.  —  Quels  élairiit-i!s?  — 
M  Je  vais  vous  les  rapporter.  M'e- 
»  tant   éveille   vers  minuit ,   car   le 
»  sommeil  est  léger  dans  les  prisons 
»  d'état,  j'ai  entendu  très-distincte- 
»  ment  s'ouvrir  et  ensuite  se  fermer 
»  la  porte  du  guichet;  j'ai  entendu 
»  aussi  quel(pies  hommes  qui  mar- 
»  chaientdans  la  cour;  j'ai  cru  en 
»  tendre  ,  de  phis,  ouvrir  et  fernter 
,)  la  porte  qui  conduit  à  la  tour.  J'a- 
»  voue  que  je  lus  saisi  d'alarme;  car 
»  c'est  ordinairement  vers  celte  beu- 
»  re  que  les  geôliers  venaient  cxlrai- 
»  re  quelque  infortuné,  pour  le  con- 
»  duire  devant  une  commission  mi- 
»  litaire  secrète  :  de  la  il  était  fusillé. 
»  Mes  craintes  n'étaient  pas  dérai- 
»  sonnables;  car  beaucoup  d'indivi- 
»  dus  avaient  péri  de  cette  manière 
»  p(  ndant  la  nuit.  Elles  cessèrent  ce- 
»  pendant  quand  je  m'aperçus  que 
»  les   bommes    que    j'avais    cnten- 
»  dus  ne  venaient  pas  de  mon  coté. 
»  Emporté  alors  par  ma  curiosité , 
»  je  mis  la  tète  à  la  fenêtre  grillée 
»  de  ma  chambre.  Les  assassins  re- 
»  vinrent  lentement,  vers  minuit  et 
»  demi  ;  mais  la  nuit  était  sondjre  ; 
»  il  me  fut  impossible  de  les  compter, 
w  Le  guichet  fut  ouvert  et  fermé  de 
»  nouveau.  Le  jésuite ,  à  son  tour  , 
»  me  dit  que  vers  la  même  heure  il 
»  avait  entendu  ouvrir  la  porte  de 


WUî 

»  son  carré  ;  trois  ou  quatre  hom- 
»  mes,  marchant  sur  leurs  mains  et 
»  sur  leurs  pieds,  à  ce  qu'il  lui  sem- 
»  bla,  ouvrirent  et  fermrrent  la  por- 
»  te  du  capitaine.  Quelques  minutes 
»  après,  il  l'entendit  rouvrir  et  re- 
»  fermer  de  nouveau.  Enfin  il  enten- 
»  dit  aussi  fermer  la  porte  du  carré. 
»  Quant  à   la  jnutilatiun  (6)  de  ce 
»  brave  ollicier ,  que  le  journal  de 
»  (iand  a  rapportée,  et  que  la  Ga- 
»  zette  générale  des  Pays  -  Bas  a  ré- 
»  pétce,  sur  son  autorité,  ce  n'est 
»  qu'une  pure  liction,  qui  sera  reje- 
»  tée  par   tous   les  écrivains  judi- 
»  cieux.  J'ai  vu  ,  ainsi  que  les  pri- 
»  sonniers  du  Temple,  le  corps  mort 
»  nu  ;  et  il  n'y  avait  point  de  miiti- 
»  lation,   excepté  au  cou,  où  l'on 
»  voyait  une  ])rofonde  incision  ,  de 
»  quatre  pouces  environ.  Un  procès- 
»  verbal   du   prétendu    suicide    fut 
»  dressé  et  envoyé  à  Londres,  avec 
»  le  Moniteur,  aussi  faux  (\\\e  le  pro- 
»  ces- verbal.  »  On  a  vu  que  Wright 
avait  un  pressentiment  du  sort  qui 
l'attendait;  ce   qu'on   explique   par 
la  persuasion  où  il  était,   et  qu'il  ne 
dissimu'ait   point,  que    Buonaparle 
lui  avait  voué   une  haine  mortelle. 
Aux  renseignements  qui  précèdent, 
l'auteur    de    cet    article    croit    de- 
voir ajouter  ceux  qu'il   tient  direc- 
tement de  sir  Sidney  Smith  ,  qui  re- 
présente le  ca})itaine  Wright,  dont 
il    était    l'ami  ,    comme    doué  des 
plus  hautes  qualités  ,  et  comme  très- 
regrettable  pour  ses  vertus  mi'itai- 
res.   Selon   l'amiral,   les  premières 
personnes  qui  entrèrent  dans  la  cham- 
bre de  Wright,  le  jour  de  sa  mort, 
le  virent  avec  le  drap  sur  le  men- 
ton ,  ce   qui ,  d'après  son  genre  de 
mort ,  leur  parut  un  indice  qu'il  ne 


(6)  On  avait  dit  qu'on  l'avait  livre  à  de  cruelles 
tortures  ,  et  qu'on  lui  avait  coupé  le  bras  giuiche 
cl  la  jaiulic  droite. 


s'était  pas  tue  lui-même.  L'amiral 
tient  encore  du  prince  de  Poli- 
gnac  ,  alors  renfermé  au  Temple  , 
qu'on  n'avait  aperçu  la  veille  aucune 
altération  dans  l'iuimeur  ni  dans  les 
traitsdu  capitaine.  SirSidney-Smith, 
étant  parvenu  à  se  procurer  les  papiers 
de  son  ami,  qu'il  a  rendus  à  sa  fa- 
mine, y  a  trouvé  son  Journal  écrit 
e  sa  main  très-exactement,  et  con- 
duit jusqu'à  la  veille  même  de  son 
trépas ,  et  rien  n'y  annonce  le  projet 
d'un  suicide.  B — p. 

WKI>BIiKG   (HliNRl-\rGLSTE), 

liabiîe  anatomiste  ,  naquit  le  20  juin 
T-jSg  à  Saint-Andréasherg  ,  dans  le 
Harz.  Envoyé,  dès  Tàge  de  dix-huit 
ans,  à  l'université  de  Gottingiie  ,  il 
y  fît  d'excellentes  études  ,  et  se  dis- 
tingua surtout  par  un  rare  talent  dans 
l'art  de  disséquer.  Après  avoir  reçu 
le  titre  de  docteuren  1  763,  il  entreprit 
l'année  suivante,  en  Fr.mce  et  dans 
les  Pays-Bas,  un  voyage,  au  retour 
duquel  il  obtint  une  cliaire  ,  où  il 
enseigna  successivement  l'art  des  ac- 
couchements et  l'analomie.  11  resta 
professeur  jusqu'à  sa  mort,  arrivée 
ie  2()mars  1808.  Wrisberg  a  publié 
des  écrits  assez  nombreux,  qui  tous 
ont  eu  un  succès  mérité.  Voici  les 
titres  des  principaux  ;  I.  Programma 
de  respiratione  prima  ,  nervo  phre- 
nico  et  calore  animali ,  fioltingue, 
I  763  ,  in  4".  lï.  Descriplio  anato- 
jiiicd  emhryonis ,  observationihus  il- 
lastrata  ,  ibid.,  1764,  in-4".  III. 
Satura  ohsen>atiomnn  de  animal- 
cutis  infusoriis  ,  ibid.,  i7<)5,  in- 
8".  IV.  Programma  de  quibusdam 
momentis  insitionem  variolarum 
spectantibus ,  ibid.,  1765^  in-4°. 
Y.  Mémoires  pour  servir  à  l'his- 
toire de  la  variole ,  ibid..  1770  , 
in-4°.  ,  en  allemand.  VI.  Observa- 
tiones  anatomicœ  de  quinto  pare 
nervorum  encephali  _,  ibid.  ,  1777  , 


\\[\\ 


ij  I 


in  4*^'  VU.  De  prœternaiurali  et 
raro  intestini  recli  cum  vcsicd  uri- 
naria  coalitu  ,  et  indè  pendente 
ani  defectu  ,  ibid.,  1778,  in-4<^. 
VI 11.  ï)e  tesliculorum  ex  abdomine 
in  scrotum  descensu  ,  ibid.,  1778  , 
in-4'^.  IX.  Observationum  anatomi- 
carum  de  nervis  viscenim  abdomi- 
nalium  parlicula  i  ,  quœ  de  gan- 
glio  plexuqne  seminali  af^it  ,  ibid. , 
1780,  in-4''.  X.  Expérimenta  et 
observationes  anatomicœ  de  utero 
gravido  ,  tubis  ,  ovariis  et  corpore 
luleo  quorumdam  animalium ,  cum 
iisdem  parlibus  in  homine  collatis , 
ibid.,  i78'2,in-Ho.  XI.  Observa- 
tiones  anatomico  -  obstetriciœ  de 
structura  ovi  et  secundinarum  hu- 
manarum  in  par  tu  maturo  et  per- 
Jf'cto  collectœ  ,  ibid.  ,  1783  ,  in  8*\ 
XII.  Commentatio  anatomica  de 
nervis  brachii  ,  ibid.  ,  1783  ,  in- 
4".  XIII.  Sj  lloge  comment ationum 
anatomicarum  ,  ibid.,  178C).  iii-4*'. 
XIV.  Commentatio  de  uteri  mox 
post  partum  résections  nonlethali , 
ibid.  ,  1787  ,  in-4".  XV.  Commen- 
tationum  medici ,  physiologici ,  ana- 
tomici  et  obstetricii  argumenti ,  vo~ 
lumen  i  ,  ibid.  ,  1800,  in-8''  XVL 
De  sjslemate  vasorum  absorbeJite, 
moiboso  vicissim  et  sanante,  ibid., 
Î789,  in-8^.  XVI 1.  Observationes 
anatomicœ  de  corde  testudinis  ma- 
rinœ ,  mydas  dictœ  ,  collectœ  et 
cum  corde  humano  collatœ  ,  ibid., 
1800,  in-4°.XVIll.  Observ ationum 
anatomico-nevrologicarum  de  ner- 
vis viscerum  abdominalium  ,  par- 
ticula  III  ;  de  nervis  systematis 
cœliaci  ,  sectio  11  ;  de  nervis  hepa- 
ticis  et  splcnicis ,  quœ  est  observa- 
tionum  de  ganglio  plexuque  semi- 
lunari  contlnuatio  11 ,  ibid.  ,  1800  ,  a 
in- 4".  Quoique  tous  ces  ouvrages 
aient  été  publiés  à  part,  les  moins 
étendus  avaient  d'abord  été  insérés 


2,52 


WUC 


dans  les  Acics  de  la  Société  royale  de 
Gottiiigue,  qui  en  conliciiuent  encore 
un  grand  nombre  d'autres.  Le  tome 
I  *^^.  du  Journal  de  chirurgie  de  Lo- 
der  renferme  aussi  un  Mémoire  très> 
important  de  Wrisberg  ,  sur  la  ma- 
nière dont  se  développent  les  her- 
nies, et  principalement  les  congé- 
niales.  R — d — n. 

WUCHERER  (Jean-Frédéric), 
docteur  en  théologie  de  l'université 
d'Iéna  ,  né  à  Meinungen  en  1 682  , 
et  mort  le  6  février  1787  ,  à  Wei- 
raar,  où  il  était  conseiller  de  l'église 
luthérienne  ,  est  auteur  de  plusieurs 
ouvrages  Irès-estimés,  et  dans  lesquels 
il  fait  preuve  non -seulement  d'une 
grande  érudition  théologique  ,  mais 
encore  de  connaissances  aussi  pro- 
fondes que  justes  et  variées  sur  la 
physique ,  l'anatomie  et  la  physiolo- 
gie. Voici  les  titres  des  pkis  impor- 
tants :  I.  Delineatiophjsicœ  divinœ , 
léna ,  1721,  in-4°«  ÏI.  Institutiones 
philosophiœ  naturalis  eclecticœ  , 
ibid. ,  1725  ,  in-80.  III.  Findiciœ 
œternœ  divinitatis  Jesu  Christi  ad- 
versùs  Winston ,  ibid.  ,  1732,  in- 
4°.  IV.  Prœcognila  theologiœ  dog- 
maticœ  capitihus  sex  compreliensa  , 

•  léna  ,  1739,  in-4°.  V.  Fundamenta 
quitus  via  ad  theologiam  dogma- 
ticam  superstruitur  methodo  de- 
monstratii^a ,  Leipzig,  1743  ,  in-4^. 
VI.  Historia  creationis  quatenits  illa 
capite  primo  Geneseos  continetury 
ohsen^atioîiibus  physicis  illustrata  , 
léna,  1753,  in-4«.  VII.  Disputa- 
tiones  de  defectu  theologiœ  plato- 
nicœ.  VIII.  De  atheo  ex  structura 
zoù  Eyy.z'fdlox»  convincendo.  IX.  De 

Arii morte   misera.   Tous   ces 

ouvrages  se  recommandent  par   la 

I  solidité  et  souvent  par  l'originalité  de 
Targumentation  ,  la  finesse  des  rap- 
proche racnls  ,  l'immensité  et  la  va- 
riété des  faits  que  l'auteur  y  a  consi- 


WUE 

gnés.  On  recherche  surtout  ses  Fin- 
diciœ œternœ  ^xéivxU  tion  péremptoire 
en  dixdiscours  académiques  des  idées 
de  Whiston  sur  la  Trinité  et  le  Dis- 
cours sur  la  mort  d'Arius  qui  sert 
comme  d'introduction  aux  Findi- 
ciœ. P — OT. 

WUÉNÉRÎC  ou  WÉNÉRIG ,  au- 
teur ecclésiastique,  fut'grand-écolâtre 
de  l'église  métropolitaine  de  Trêves, 
et  depuis  évêque  de  Verceil ,  dans  le 
onzième  siècle.  Ayant  pris  part  aux 
discussions  qui  s'élevèrent  de  son 
temps  entre  Grégoire  VII  et  Henri 
IV,  empereur  d'Allemagne,  il  écri- 
vit sur  ce  sujet ,  qui  agitait  tout  l'Oc- 
cident ,  un  traité  intitulé  :  De  la 
division  de  V empire  et  du  sacerdoce. 
Il  ne  s'y  répand  point ,  comme  d'au- 
tres écrivains  du  temps,  en  injures 
contre  le  souverain  pontife  ;  il  lui 
parle,  au  contraire,  comme  à  son 
supérieur  et  à  son  père.  S'il  rap- 
porte les  faux  bruits  que  l'on  répan- 
dit contre  les  mœurs  et  le  gouverne- 
ment de  Grégoire  ,  ce  n'est  qu'en  lui 
témoignant  sa  douleur  et  en  le  priant 
de  lui  fournir  les  moyens  de  fermer 
la  bouche  à  la  calomnie.  Trithème 
et  Sigebert  de  Gemblours  parlent 
de  ce  traité ,  et  D.  Martenne,  l'ayant 
trouvé  manuscrit  dans  la  bibliothè- 
que de  Gemblours ,  l'a  publié  dans 
ses  Anecdota  ,  tome  i^^'.  Il  note,  et 
cette  observation  est  faite  de  même 
par  les  deux  autres,  que  le  copiste  a 
eu  soin  d'avertir  que  le  traité  est  de 
Wuénéric  ,  écolâtre  de  Trêves,  quoi- 
qu'ill'aitfaitparaître  et  qu'il  y  parle 
sous  le  nom  de  Thierri ,  évèque  de 
Verdun.  Wuéncïic  réduit  à  cinq 
points  les  reproches  qu'il  adresse 
ou  plutôt  que  l'on  adresse  à  Gré- 
goire :  selon  certains  bruits  ,  les 
mœurs  du  pontife  n'étaient  point 
pures  ;  son  décret  contre  les  clercs 
coucubinaires  était  trop  sévère  j  il 


WUI 

avait  outre-passé  les  limites  du  pou- 
voir pontifical ,  en  déposant  l'em- 
pereur Henri  j  il  prodiguait  les  cen- 
sures et  excommuniait  pour  des  cau- 
ses trop  légères  ;  enfin  il  prétendait 
sans  raison  séparer  les  sujets  de  leur 
souverain  ,  et  les  relever  du  ser- 
ment de  fidélité  qu'ils  lui  avaient 
fait.  Ce  n'est  qu'après  un  éloge  du 
pontife  qu^il  rapporte  les  accusations 
formées  contre  lui  par  ses  adver- 
saires. Ce  traité  fut  probablement 
publié  après  le  concile  de  Worms 
tenu  en  i  oyt).  G — y. 

WUIEK  ou  WIEKl  (  Jacques 
de)  ,  jésuite  polonais ,  né  en  Mazovie 
vers  Tan  i54o  ,  et  mort  à  Cracovie 
en  1 59^  ,  se  distingua  dans  la  socié- 
té par  son  zèle  et  ses  connaissances 
tliéologiques.  Nous  avons  de  lui  en 
polonais  :  I.  Poslille  catholique , 
en  deux  parties,  Cracovie,  iS-yS, 
in-fol.  II.  Postille  catholique ,  troi- 
sième partie  ,  contenant  des  ser- 
mons pour  les  fêtes  de  la  Sainte 
Fierge ,  des  apôtres ,  des  martfrs^ 
et  d'autres  saints  _,  ai^ec  la  passion 
de  notre  Sauveur  ,  tirée  des  quatre 
Evangiles  ,  Cracovie ,  iS-jS  ,  in-fol. 
L'auteur  appelait  cet  ouvrage  sa 
Grande  Postille  ;  comme  elle  était 
destinée  principalement  aux  érudits  , 
et  que  son  prix  d'ailleurs  ne  la  ren- 
dait accessible  qu'aux  personnes  ri- 
ches j  il  fit  paraître  la  suivante  pour 
les  ecclésiastiques  moins  instruits  et 
moinsbien  partagés  des  dons  de  la  for- 
tune. 111.  Petite  Postille  catholique^ 
c'est-à-dire  Courts  Sermons,  tirés 
des  saints  Évangiles  pour  chaque 
jour  de  dimanche  et  de  fête  pendant 
l'année  ,  selon  la  doctrine  de  la  vé- 
ritable Eglise  unii^erselle  ,  Posen  , 
i582,  in-fol.  On  y  trouve  à  la  fin  : 
la  Passion  ou  Histoire  des  souf- 
frances de  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  ,  divisée  en  sept  parties.  Le 


WUT 


253 


P.  Alegambe,  qui  dans  sa  Bihliotheca 
scriptorum  societatis  Jesu  a  écrit 
la  Vie  du  P.  Wuiek,  lui  attribue 
encore  les  ouvrages  suivants,  dont 
les  trois  premiers  sont  en  latin  ,  les 
trois  autres  en  polonais  :  IV.  De- 
fensio  sacrosancti  sacrificii  missœ 
adversùs  Franc.  Stancarum.  V.  De 
purgatorio  liber.  VL  De  deitate  sive 
divinitate  Christ  i  Domini  nos  tri 
et  Spiritus  sancti  ,  contra  nos  tri 
temporis  Arianos.  VIL  Vie  et  doc- 
trine de  notre  Sauveur ,  tirées  des 
quatre  Evangélistes.  VTIL  Senti- 
ments de  quelques  Catholiques ,  sur 
la  confession  que  les  hérétiques  sa- 
cramentaires  ont  publiée  à  Sendo- 
mir.  IX.  Analyse  des  assertions 
que  Jac.  Niemoiewski  a  avancées 
contre  les  Jésuites  de  Posen,  Posen, 
I  58o  ,  in-80.  X.  Petites  heures  de 
l'office  de  la  Sainte  Vierge.  Le  P. 
Wuiek  s'est  surtout  fait  remarquer 
par  sa  traduction  de  la  Sainte  Bible 
en  polonais.  Avant  lui  on  n'avait 
qu'une  traduction  très-imparfaite  im- 
primée à  Cracovie,  i56i.  D'après 
les  vœux  du  primat  Karnkowski  , 
archevêque  deGnesne ,  et  d'après  les 
ordres  des  papes  Grégoire  XllI  et 
Clément  VIII  ,  le  P.  V^uiek  fut 
chargé  par  ses  supérieurs  de  travail- 
ler à  une  version  plus  exacte.  Il  pu- 
blia d'abord  :  le  Nouveau- Testa- 
ment  de  Jésus- Christ  en  polonais  , 
Cracovie,  i^qS,  in-4<*.  ,  réimprimé 
en  i5g4,  1617  et  en  1647  y  à  Bres- 
lau ,  à  l'imprimerie  de  la  société  de 
Jésus ,  in -8^.  La  version  de  toute  la 
Bible  étant  terminée ,  il  fit  paraître  : 
Bihlia ,  c'est-à-dire ,  les  livres  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament, 
traduits  en  polonais  selon  l'ancienne 
version  latine  ,  reçue  dans  V Eglise 
universelle ,  conférée  avec  le  texte 
hébreu ,  avec  le  grec  et  avec  la  tra- 
dition catholique  dans  les  passages 


'254 


WUÏ 


difficiles ,  pour  la  défense  de  la  sainte 
foi  contre  les  hérésies  de  nos  temps, 
Cracovic  ,  iSgg,  in-fol.  Cette  ver- 
sion est  précieuse  par  son  exactitude, 
par  les  soniinaires  qui  sont  en  têîe  de 
chaque  chapitre,  et  par  les  notes  que 
l'on  trouve  en  marge  et  au  bas  des 
pages.  Les  Jésuites  de  Jîreslai  la 
firent  paraître,  en  1-^40,  à  leur  im- 
primerie, avec  le  texte  latin  ,  en  1 
vol.  in-4'^.  On  en  a  donné  récemment 
une  nouvelle  édition  sous  ce  titre  : 
Bihlia  sacra  latino-polonica  vulgalœ 
edilionis  aucloritate  Sixti  F  et  dé- 
mentis FUI ,  pont.  max.  recos^- 
nita  ,  summariis  et  notis  theologi- 
cis  ,  historicis  et  chronologicis  il- 
lustrata  secunchïm  exemplar  lati- 
num  R.  P.  Tliomœ  À(]u.  Erchardi 
Ord.  S.  Bened.  ;  poloniciim  verb 
R.  P.  Jacohi  TFuieki  S.  J.  thco- 
logi  reimpressa  ,  Bves\au  ,  1806,  '2 
vol.  in-4^-  E»  annonçant  celte  tra- 
duction de  la  Bib!e,  le  continuateur 
de  Fleury  dit ,  Hist.  ecclés. ,  xxvi , 
p.  100  :  u  (7est  une  sage  précaution 
d'o|)poser  l'Écrituresainte  fidèlement 
traduite,  aux  magnifiques  promes- 
ses que  font  les  hérétiques  de  ne  pro- 
poser à  croire  que  ce  qui  se  trouve 
évidemment  dans  'a  parole  de  Dieu. 
En  touinant  ce  moyen  contre  eux- 
mêmes,  on  en  fait  voir  l'absurdité, 
et  il  n'y  a  rien  qui  serve  davantage 
à  la  conversion  des  hérétiques,  que 
de  leur  mettre  en  main  un«  traduc- 
tion de  l'Écriture  approuvée.  On  en 
trouve  luie  preuve  dans  ce  que  rap- 
porte Possevin,  de  la  Bible  tradujte 
en  polonais  par  les  Sociniens ,  à  la- 
quelle Jacques  Wuiek ,  célèbre  et 
savant  jésuite,  opposa  une  autre tia- 
duction  de  toute  la  Bible  en  la  même 
langue.  »  «  Comme  le  dessein  des 
»  unitaires,  en  publiant  ces  versions 
»  polonaises  (dit  Possevin) ,  était  de 
»  semer  leurs  erreurs  dans  la  Polo- 


WUI 

»  gne  ,  Jacques  Wuiek,  jésuite  de 
»  ce  pays- Ici  ,  eut  ordre  du  pape 
»  Gi-égoire  XllI ,  de  travailler  à 
«  une  traduction  de  toute  l'Écriture 
»  en  celte  langue,  ])our  l'opposera 
»  celle  des  antilrinitaires  :  il  la  fit 
»  sur  l'anrienne  édition  latine;  elle 
»  fut  ensuite  imprimée  à  Cracovie  la 
»  dernière  année  de  ce  siècle  ,  avec 
"l'approbation  de  Clément  VIII; 
»  et  celle  nouvelle  version  fut  très- 
»  utile  pour  éteindre  les  erreurs  des 
»  nouveaux  Ariens,  qui  se  répan- 
»  daient  dans  ce  royaume.  »  L'ar- 
chevêque de  Gnesne,  primat  de  Po- 
logne, fit  les  frais  de  l'impression. 
Les  jésuites,  après  avoir  ditdans  le 
catalop;ue  des  auteurs  de  la  société 
que  Wuiek  .  en  publiant  la  traduc- 
tion des  Épî  res  et  Evangiles,  avait 
fait  tomber  des  mains  ,  en  peu  de 
temps,  les  traductions  des  hérétiques, 
ajoutent  judicieusement  que  par  ce 
moyen  il  «rendit  inutiles  les  artili- 
))  ces  des  hérétiques,  à  qui  rien  n'est 
»  plus  ordinaire  que  d'empoisonner 
»  les  saintes  Écritures,  qui  sont  les 
»  fontaines  communes  et  pub  iaues 
»  de  l'Église ,  et  de  les  corrompre 
»  par  des  versions  mauva'ses,  afin 
»  que  ceux  qui  puiseront  dans  ces 
»  sources  n'en  puissent  boire  sans 
»  s'empoisonner  eux-mêmes.  Emser 
»  se  proposa  ce  même  but  en  oppo- 
»  saut  une  version  fidèle  du  Nouveau- 
»  Test.irnent  à  celle  de  Luther  cor- 
»  rompue  et  altérée  en  tant  d'en- 
»»  droits.  »  Dans  la  BibliothecaJ'ra- 
triim  polonorum  ,  Amsterdam  , 
i656,  vol.  vï ,  tome  second  qui 
contient  les  OEiwres  de  Socin ,  on 
trouve  V Anti-Kviiiekiis  ou  Responsio 
ad  libellum  Jac.  JFuitki  ,  tditum 
de  di^initale  filii  Dei  et  Spintûs 
sancti ,  1 592  ,  pag.  53 1 .  Cet  Anli- 
wuiekus  est  en  polonais;  la  version 
latine  parut  en  iSgS.  On  y  attaque 


WUL 

surtout  Bellarmin  ,  que  Wuiels ,  d'a- 
près CCS  Sociniens,  n'a  fait  que  co- 
pier. G — Y. 

WULFADE,  circlievéqucde  Bour- 
ges y  était ,  en  H49 ,  chanoine  et  éco- 
nome de  l'e'^lise  métropolitaine  de 
Reims;  et  en  celte  qiialiie  il   assista 
au  concile  qui  fut  assemble  à  Querci 
contre  Gotescaic  ;   mais   ayant  clé 
ordonne  par  l'archevêque  Ehbon  ,  il 
lui  fut  delVndu,  après  la  déposition 
de  ce  prélat,  d'exercer  les  fonctions 
ecclésiastiques;  et  cette  inteidiction 
fut  conlirmce  ,  en  853,  par  le  con- 
cile de  Soissons  ,  ce  qui  n'empêcha 
pas  le  roi  Clharles  -  le-Chauve  de  lui 
conlier  rédncation  de  sou  (ils  Carlo- 
raan,  et  de  l'employer  dans  des  af- 
faires imj)ortantes.  Pour  reconnaître 
ses  services  le  prince  lui  donna  ,  en 
85G  ,  l'abbaye    de  Rebais  ,  et  peu 
après  celle  de  Saint-lNIcdard  à  Sois- 
sons.  En  866  ,  Charles- le -Chauve  , 
ayant  jeté  les  yeux  sur  lui  pour  le 
siège   archiépiscopal    de    Bourges, 
représenta   aux  évêques  de  la  pro- 
vince  que,  dans   cette   place    emi- 
nenle,  il  avait  ])es(>in  d'un  homme 
habile   et   fidèle,  qui    pût  suppléer 
à    l'incapacité    de    son    fils    (.har- 
les ,  roi   d'Aquitaine,  dont  l'esju-it 
était  aiïaibli  par  uneblessiiie  à  'a  lèle. 
Les  évêques  obéirent;  et  Wulfade  fut 
unanimement  élu.  Mais  il  fallait  au- 
paravant le  relever  de  son  interdic- 
tion ;    Hincmar   s'y  étant  lefusé,  le 
roi  é(  rivit  au  pape  pour   e  prier  de 
permettre  que  Wiiltade  fût  ordonné 
évê(pie,   et  qu'il  eût  |)rovisoirement 
l'administration  de  Bourges.  JN'icolas 
I*»".  refusa  également ,  en  disant  qu'il 
attendrait. la  décision  du  concile  qui 
était  convoqué  à  Soissons.  Hincmar, 
qui  présidait  ce  concile,  exposa  qu'a- 
près sa  déposition  Wulfade    avait 
promis  par  serment  de  ne  plus  aspi- 
fcr  à  aucune  fonction  ecclésiastique; 


WUL 


255 


que  cependant  il  avait  voulu  se  faire 
ordonner  évcque  de  Langres,  et  qu'il 
s'était  lui-mèmeappropriéles revenus 
de  cette  église.  Ma'gré  ces  griefs  il 
opina  pour  que  l'on  se  prêtât  aux 
dcsirs  du  roi,  et  que  l'on  écrivît  en 
conséquence  au  pape.  Le  concile  sui- 
vit cet  avis.  Sans  attendre  la  répon- 
se de  Rome  ,  Charles   enjoignit  à 
son  iiis  Carloman  de  conduire  Wul- 
fade à  Bourges ,  et  de  le  faire  ordon- 
ner évêque,  ce  qui  fut  exécuté.  Api  es 
la  mort  de  Nicolas  l^'  .^  Wulfade  se 
hàîa  d'envoy(r  à  Rome,  pour  gagner 
Adrien   11.   Ce  pontife  écrivit   aux 
évêques  de  France  une  lettre  très- 
avantageuse  pour  Wulfade,  et  illui  (it 
remettre  le  [)a!lium.  Ce  prélat  assista 
aux  conciles  de  Tro\ es,  deVerberie, 
de  Paris,   de  Douai,  et  mourut  le 
i^"".  avril  876.  JNoMS  avons  de  lui  une 
[nstritction  pastorale ,  adressée  au 
clergé  et  au  peuple  de  son  diocèse.  11 
y  indique  aux  ecclésiastiques,  aux  ju- 
ges laïques  et  aux  personnes  mariées 
les  devoirs  qu'ils  ont  à  remplir  de- 
vant Dieu  et  de\  ant  les  hommes.  Se- 
lon lui ,  on  ne  doit  point  ccmpter  au 
nombre  des  chrétiens  ceux  qui  ne 
communient  point  trois  fois  l'an,  à 
Nuél ,  à  Pâques  et  à  la  Pentecôte.  Les 
femmes ,  celles  même  du  rang  le  plus 
élevé,  doivent  a'Iaiter  leurs  euîants, 
et  ne  point  les  donner  à  des  nourri- 
ces. iVlabillon  a  inséré  cette  Instruc- 
tion dans  ses  A  naît  et  a.      G — y. 

WULFEN  (François -Xavier, 
baron  de  1,  naturaliste  ,  nafjuit ,  en 
1728,  à  Belgrade,  oix  son  pcre  était 
commandant,  avec  le  grade  de  lieu- 
tenant-général. Ses  parents  le  desti- 
naient à  l'état  militaire;  mais  après 
avoir  terminésesétudesil obtint  d'eux 
la  permission  d'entrer  dans  la  société 
de  Jésus.  Il  enseigna  la  philosophie 
àLaybach,  et  fut  envoyé  en  1763 
à  Klagenfurt,  pour  y  occuper  la  chai-- 


Q;56 


WUL 


re  de  physique  et  celle  de  mathe'- 
matiqiies.  Après  la  dissolution  de  son 
ordre ,  il  se  livra  exclusivement  à  l'ë- 
tude  des  sciences,  et  surtout  à  celle 
de  l'histoire  naturelle.  Il  mourut  à 
Klagenfurt  le  1 7  mars  1 8o5.  Afin  d'é- 
tendre ses  connaissances  dans  l'his- 
toire naturelle,  il  avait  fait  des  voya- 
ges pénibles.  Il  connaissait  toutes  les 
montagnes  et  toutes  les  vallées  des  Al- 
pes; et, sa  réputation  s'étant étendue 
au  loin ,  les  sociétés  de  Stockholm  , 
de  Berlin^  d'Erlangen,  d'Iéua  et  de 
Ralisbonne  s'étaient  empressées  de 
l'appeler  dans  leur  sein.  Il  a  publié  : 
I.  Description  de  quelques  plantes 
de  la  Carinthie  (  ail.  ) ,  dans  les  Mis- 
cellanea  aw^^rmca  de  Jacquin,  1 780 
à  1781,  '1  vol.  II.  Mémoire  sur  les 
mines  de  plomb  de  la  Carinthie{a\\.), 
Vienne ,  1 785 ,  in-foi. ,  avec  1 1  plan- 
ches ;  traduit  en  latin  par  Jos.  Eye- 
rel ,  ibid. ,  1791 ,  gr.  in-4'^. ,  figures 
coloriées.  III.  Descriptiones  quo- 
runidam  capensium  insectorum,  Er- 
langen,  1786^  in -4°.,  avec  gravu- 
res; Nuremberg,  1790,  et  Erlangen, 
1793  à  1799,  4  livraisons,  avec  32 
gravures  enluminées.  IV.  Mémoire 
sur  le  marbre  à  coquillage  de  la  Ca- 
rinthie (all.)^  Nuremberg,  1790, 
avec  gravures;  Erlangen,  1793  à 
1799,  en  4  livraisons;  traduites  en 
latin,  ib. ,  1794,  in-4^«  V-  Plantœ 
rariores  descriptœ y  Leipzig,  i8o3, 
in  "4°.  VI.  Cryptogama  aquatica^ 
ibid. ,  i8o3 ,  in  -  4".  Rœmer  a  inséré 
ces  deux  ouvrages  dans  ses  archives 
pour  la  botanique.  VII.  Mémoires 
sur  l'histoire  naturelle  ,  insérés 
dans  les  Miscellanea  austriaca  et 
dans  les  Collectanea  ad  botani- 
cam  spectantia.  VIII.  Descrip- 
tiones zoologie  œ  adAdriatici  litto- 
ra  maris  concinnatœ ,  dans  les  Nov. 
Act.  acad.  nat.  cur.,  tome  viii,  p. 
235  à  359.  Wulfen  avait  rassemblé 


WUL 

de  riches  matériaux  pour  une  Flora 
Norica  ;  il  les  légua ,  ainsi  que  son 
herbier ,  à  un  de  ses  amis.  Aux  ta- 
lents littéraires  les  plus  distingués  il 
joignait  un  caractère  noble  et  bien- 
faisant. Il  était  le  père  des  pauvres  , 
mettant  son  bonheur  à  visiter  les 
malades  dans  les  hôpitaux  ,  les  mal- 
heureux dans  leurs  cabanes ,  enfin  à 
consoler,  à  assister  tous  ceux  qui 
soufFraient.  G — y. 

WULF  FER  (Jean),  célèbre  orien- 
taliste ,  né ,  le  7  juin  1 65 1 ,  à  Nurem- 
berg, visita  l'Italie,  l'Allemagne,  la 
Hollande ,  l'Angleterre  ,  la  France , 
et  étant  revenu  dans  sa  ville  natale 
y  remplit  les  fonctions  de  ministre 
évangéllque  et  de  bibliothécaire,  de- 
puis l'an  1682  jusqu'à  sa  mort ,  qui 
arriva  le  3  septembre  1724.  On  a 
de  lui  :  ï.  Schekalim,  hoc  est,  trac- 
tatus  talmudicus  de  modo  an- 
nudque  consuetudine  siclum  mense 
Adar  ojferendi ,  etc. ,  latinitate  et 
perp étuis  commentariis  è  doctissi- 
mis  rahbinorum  scriptis  illustratuSy 
Altdorf,  1680,  in-4°.  II.  Theriaca 
judaica  ad  examen  revocata ,  seu 
scripta  amœhœa  Sam.-Frid.  Bren- 
zii ,  conversi  Judœi  et  Sal.  Zebi  , 
Apellœ  astutissimi ,  à  viris  doctis 
hucusque  desiderata,  nuncprimùm 
versione  latind  justisque  animad- 
versionibus  aucta ,  etc. ,  Nuremberg, 
1680,  in-4*'«  J  ibid.,  17  i5,  in- 12 
(  F.  Brenzius).  III.  De  majoribus 
Oceani  insulis  earumque  origine  , 
ibid. ,  1691 ,  in  -  8».  L'académie  de 
Berlin  avait  nommé  Wiilffer  un  de 
ses  membres.  G — y. 

WULFHAD  (  Saint  ),  fds  de 
l'heptarque  Wulfère  ,  fut  bapti- 
sé secrètement  vers  Tan  670,  ainsi 
que  son  frère  Ruffin  ,  par  saint 
Chad  ,  évêque  de  Lichtfield.  Les 
deux  frères  étant  un  jour  en  prière^ 
leur  père ,    qui  était  resté  paieu , 


WUL 

les  fit  massacrer.  I>a  reine  Emme- 
linde  ,  leur  mère ,  les  fit  enterrer  ^ 
et  les  Saxons,  selon  leur  coutume, 
élevèrent  un  monceau  de  pierres 
sur  leur  tombeau  j  Wulfère  s'ëlaiit 
converti ,  la  reine  fit  bâtir  sur  le 
tombeau  des  deux  martyrs  une  église, 
autour  de  laquelle  s'élevèrent  dans  le 
Staiïbrdshire  un  prieuré,  et  la  petite 
ville  appelée  iSio/ze,  ce  qui  en  lan- 
gue anglo-saxoiie  signifie  pierres  ou 
tas  de  pierres.  La  Icte  de  ces  deux 
saints  se  célèbre  dans  l'église  d'An- 
gleterre le  24  juillet.  Voyez  Vlti- 
néraire  de  Léland.  G — y. 

WULFIN,  surnommé  Boèce, 
qui  florissait  sous  le  règne  de  Louis- 
le-Débonnaire ,  dirigea  avec  gloire  la 
célèbre  école  d'Orléans.  Comme  il 
avait  du  goût  pour  la  poésie,  ses  élè- 
ves à  qui  il  l'inspirait,  quand  il  les 
en  trouvait  capables  ,  présentaient 
quelquefois  leurs  compositions  en 
vers  à  l'évèque  Théodulplie  qui ,  en 
leur  donnant  des  marques  de  son 
approbation,  en  ra{)portait  la  gloire 
à  leur  maître.  Ce  prélat  ,  dans  un 
de  ses  poèmes ,  loue  Wulfin  et  ses 
vers  (  i).  Un  anonyme  cité  par  le  P. 
Sirmond  répondait  en  vers  à  Wul- 
fin y  en  louant  le  talent  que  ce  maître 
avait  pour  la  poésie  (2).  Florus, 
diacre  de  Lyon  ,  lui  adressa  aussi 
mi  de  ses  poèmes  (3).  Il  ne  nous 
reste  de  Wulfin  que  la  Fie  de  saint 
Junien ,  ahhé  de  Maire  ,  que  D. 
Mabillon  a  publiée  (4),  d'après  un 
manuscrit  qu'il  avait  découvert  dans 
l'abbaye  de  Noaillé.  Le  P.  Labbe 
l'avait  aussi  insérée  dans  sa  Nova 
Bibliotheca ,  tome  11.  Wulfin  pa- 
raît avoir  vécu  jusque  vers  le  mi- 
lieu du  neuvième  siècle.  G-y. 


(i)  Tiieodulphi  caiminn  ,  ]iv.  Il,  ch.  i3. 

(2)  Ibid. 

(3)  Mabillon  ,  Aim.  ,  liv.  \. 

(4)  Acl.  ont.  S.  Bened. ,  loui,  lor. 

LI. 


WUL  257 

WULFRAN  (  Saint  ),  arclievê- 
que  de  Sens  et  apôtre  de  la  Frise , 
était  fils  d'un  officier  des  troupes  du 
roi  Dagobert.  Ayant  passé  quelques 
années  à  la  cour  deClotaire  111  et  de 
sainte  Batbilde  ,  sa  mère ,  il  embras- 
sa l'état  ecclésiastique,  et  fut  élevé, 
en  68 '2  ,  sur  le  siège  de  Sens.  Après 
avoir  gouverné  avec  zèle  son  diocèse 
pendant  quelques  années .  il  résolut 
d'aller  dans  la  Frise ,  pour  s'associer 
aux  travaux  apostoliques  des  mis- 
sionnaires anglais  ,  qui  y  prêchaient 
la  foi.  Avant  de  partir,  il  alla  faire 
une  retraite  spirituelle  dans  le  mo- 
nastère de  Fontenelle  ou  de  Saint- 
Vandrille  en  Normandie ,  auquel  il 
avait  donné  sa  terre  de  Maurilly.  Sa 
prédication  dans  la  Frise  eut  les  plus 
heureux  résultats,  et  il  eut  la  conso- 
lation de  donner  le  baptême  à  un 
grand  nombre  d'idolâtres  ,  parmi 
lesquels  se  trouvait  le  fils  du  roi  Rad- 
bod.Le  père  de  ce  jeune  prince,  s'é- 
tant  fait  instruire ,  était  même  entré 
dans  le  baptistère  avec  d'autres  ca- 
téchumènes :  mais  il  résolut  de  diffé- 
rer. Plus  tard  il  fit  inviter  saint 
Wulfran  à  venir  le  trouver  de  nou- 
veau-mais il  mourut  avant  l'arri- 
vée du  saint  apôtre.  Wulfran  ter- 
mina sa  carrière  dans  le  monastè- 
re de  Saint- Vandrille,  le  20  mars 
720.  La  ville  d'Abbeville,  oii  ses 
reliques  ont  été  transférées^  l'a  choi- 
si pour  son  patron.  Sa  vie  a  été 
écrite  quelques  années  après  sa  mort, 
par  un  religieux  de  Saint- Vandrille  , 
et  publiée  par  Mabillon.        G — Y. 

WULST AN  (  Saint  ) ,  évêque  de  / 
Worcester  ,  naquit  à  Tcentum ,  d^ns 
le  comté  de  Warwick,  au  commen- 
cement du  onzième  siècle.  Son  père 
et  sa  mère  s'étant  séparés  d'un  con- 
sentement mutuel  pour  embrasser 
l'état  monastique,  il  se  mit  sous  la 
conduite  de  l'évèque  de  W  orcester^ 


iSS 


WUL 


qui  releva  au  sacerdoce.  Peu  après 
il  entra  dans  la   grande  abbaye  de 
Worccsler  ,  où  il  fnt  charge  d'ins- 
truire les  enfants.  Ayant  successive- 
ment rempli  les  fonctions  de  grand- 
chantre^  de  trésorier  et  de  prieur  , 
il    fut  élu  évéque  de  Worcester  en 
io6"2  ,  et  remplit  à  la  salisfaction  pu- 
blique tous  les  devoirs  deTépiscopat; 
quoique  d'autres  parussent  l'empor- 
ter sur  lui  en  savoir  et  en  doctrine,  il 
avait  pour  la  prédication  évangéli- 
que  un  talent  distingué.  Le  Psautier 
était  son  principal  livre  de  prière, 
et,  les  ecclésiastiques  n'ayant  pas  en- 
core de  bréviaire  rédigé  dans  les  for- 
mes actuelles  ,  il  récitait  le  Psautier, 
même  dans  ses  voyages.  Le  change- 
ment de  politique  qui  survint  dans  sa 
patrie  pensa  l'éloigner  de  SQn  égli- 
se.  Guillaume-le-Conquérant   s'était 
emparé  de  l'Angleterre ,  et  afm  de 
mieux,   assurer  sa   conquête    il   dé- 
pouilla le  clergé  et  la  noblesse,  pour 
donner  aux  Normands  qui  l'avaient 
suivi  les  premières  places  de  l'Égli- 
se et  de  l'état.  Un  synode  était  as- 
semblé à  Westminster ,  sous  la  pré- 
sidence de  Lanfranc,  archevêque  de 
Gantorbéry.   On  y  fît  comparaître 
Wulstan  ,   pour    lui   demander    sa 
crosse  et  son  anneau,  en  alléguant  sa 
simplicité  et  son  incapacité  dans  les 
affaires.  «  Il  est  bien  vrai,  dit  le 
»  saint  évêque,  que  l'épiscopat  est 
»  au-dessus  de  mes  forces;  mais  ce 
»  fardeau  m'ayant  été  imposé  par 
»  le  roi  Edouard,  de  concert  avec 
M  le  Saint-Siège  apostolique,  c'est  à 
))  lui  que  je  dois  remettre  ma  cros- 
î)  se.  »   Se  retirant  aussitôt,  il  alla 
dans  l'église  de  Westminster  ,  où 
Edouard    était    enterré  ,    enfoncer 
sa  crosse  dans  le  tombeau  de  ce  prin- 
ce. Guillaume,  frappé  de   tant  de 
fermeté,  rendit  ses  bonnes  grâces  au 
saint  évêque,  pour  lequel  il  eut  de- 


WUN 

puis  ce  temps  la  plus  haute  vénéra- 
tion. Lanfranc  le  laissa  paisible  pos- 
sesseur de  son  évêché,  en  le  priant 
même  de  visiter  pour  lui  le  diocèse  de 
Chester.  Quand  des  Anglais  ou  des 
Saxons  se  plaignaient  au  saint  évêque 
de  l'oppression  sous  laquelle  ils  gé- 
missaient, il  leur  répondait  :  «  C'est 
»  un  fléau  que  Dieu  vous  envoie,  pour 
»  vouspunir  devospéchés;  souftrez- 
»  le  donc  avec  patience.  »  11  mourut 
en  1095,  âgé  de  quatre-vingt-sept 
ans,  et  fut  canonisé  en  i2o3.  On  a 
trois  Vies  de  ce  saint  ,  l'une  par 
Guillaume  de  Malmcsbury ,  dans 
Wharton  ,  tome  11  ;  l'autre  par  Flo- 
rent de  Worcester  j  la  troisième 
dans  Gapgravc.  G — y. 

WUNDERLIGH  (  Jean  ),  savant 
jurisconsulte,  naquit  ta  Hambourg 
le  18  février  i-joS.  Après  avoir  en- 
seigné la  jurisprudence  à  léna  et  à 
l\inteln ,  il  vint  occuper,  en  1761  , 
une  chaire  de  philosophie  dans  sa 
ville  natale,  où  il  mourut  le  10  juin 
l'j'jS.  Parmi  ses  ouvrages,  on  re- 
marque :  I.  Commentatio  de  L. 
Volusio  Mœciano  jurisconsul- 
to  ,  itemque  jurisconsulto  Folu- 
siano y  Hambourg,  1749?  in -4". 
II.  Liber  singularis  de  usa  inscrip- 
tionum  romanarum  veterum  inju- 
re, Qiiedlinbourg,  1750,  in-4*'.  lïl. 
Gens  Aureliana  illustrata,  léna, 
1753,  in-4^'.  IV.  Commentatio  de 
veterum  popinis y  léna,  17^6,  in- 
4°.  V.  Principes  sur  lesquels  s'ap- 
puie l'histoire  du  droit  romain 
(ail.  ),lena,  i  ^  56,  m-S^.  YL  Sur 
le  droit  du  change  et  de  la  banque 
(  ail.  ),  ibid.,  1736,  in-8^  Vil. 
Spécimen  additamentorum  ad  Bris- 
sonio-Heineccianum  opus  dever- 
horum  significatione  y  ibid.  VIII. 
Commentatio  de  pupillarihus ,  lé- 
na, i7:j6,in-8^.  IX.  Guil.  de  Her- 
toghc  opuscula  juridica ,  colle git , 


WUN 

recensait  et  illuslravit ,  Hambourg  , 
1768.'  X.  Additamentorum  ad 
Barn.  Brissonii  opus  de  verbonim  , 
ijuœ  ad  jus  cii^ile  pertinent^  signifi- 
catione  vnlumen ,  ibid.,  1778,  in- 
fo!. Ce  dernier  ouvrage,  auquel  l'au- 
teur avait  travaillé  pendant  trente 
ans ,  est  aussi  utile  qu'important  pour 
la  jurisprudence.  G — y. 

WUNDERLICH  (Jean-George), 
surintendant  du  diocèse  de  Wunsie- 
del  dans  la  principauté  de  Bayreuth, 
né  le  8  octobre  1734,  et  mort  le  6 
juin  i8o*>. ,  dans  cette  principauté, 
s'est  rendu  recommandabic  par  ses 
recherches  sur  l'histoire  du  margra- 
viat de  Brandebourg.  Nous  avons  de 
lui  :  I.  Explication  de  la  parabole 
de  ceux  qui  ont  travaillé  à  la  vigne 
du  père  de  famille  et  de  leur  ré- 
compense,  en  iS.  Math,  j  chap.   20 
(  ail.  ) ,  Erlangen  ,  1 764  ,  in  -  4**.  II. 
De  formulis    concordiœ   in   terris 
Burgrauiatûs  Norici  ah    ecclesiœ 
doctorihus   subnotatis  ,   Bayreuth  , 
1783 ,  in  -  4"-  III'  Mémoire  sur  la 
constitution  ecclésiastique  de  TVun- 
siedel  ^  à  l'époque  de  la  reforma- 
tions d'après  un  document  de  l'an 
i528  (alL),  Erlangen,  1784,  in- 
8  '.  IV.  Mémoires  sur  V histoire  ec- 
clésiastique du  cercle  de  Franco- 
nie.  V.  Sur  l'Ahornberg  ou  mon- 
tagne des  Ornes  ,  et  sur  la  Marche 
de  Behau  (ail.),  dans  le  Journal 
de  Bayreuth,  1766  à  1769.  G — y. 
WUNDT  (  Daniel-Louis  ) ,  pro- 
fesseur de  théologie  à  l'université  de 
Heidelbtrg,  naquit  à  Kreutznach  le 
1 2  navembre  1 74  '  •  Après  avoir  étu- 
dié à  Heidelberg ,  où  son  père  était 
professeur  de  théologie  ,  il  alla  fré- 
quenter les  écoles  de  Lausanne ,  de 
Genève  et  de  Zurich.  En  1788,  il 
fut  nommé  à  la  seconde  chaire  de 
théologie  de  l'université  de  Heidel- 
berg j  et  il   obtint  la  première    en 


WUN  259 

1797,  avec  une  place  dans  le  con- 
sistoire.   Il    mourut  le    19   février 
1 80 5.  Moins  théologien  qu'historien , 
Wundt  consacra  la  plus  grande  par- 
tie de  son  temps  à  l'histoire ,  et  sur- 
tout  à  celle  du  Palatiuat.  Ses  ou- 
vrages les  plus  remarquables  ,  écrits 
en  allemand,  sont:   I.  Instruction 
chrétienne  pour  les  enfants  qui  se 
préparent  à  la   cène,   Heidelberg , 
1782,  in-8*^.  IL   Sermons,  ibid., 
1782,  in-8**.   III.   Histoire   de  la 
Fie  et  du  gouvernement  de  Charles- 
Louis,  électeur  palatin,  Genève, 
1786  ,  in-8*>.  IV.  Leçons  sur  l'his- 
toire du  peuple  juif,  et  explication 
des  livres  historiques  de  V  Ancien- 
Testament,  Heidelberg,   1788,  in- 
8^*.  V.  Magasin  pour  l'histoire  ec- 
clésiastique et  littéraire  de  l'électo- 
rat  palatin,   Heidelberg,    1789    à 
1793,  3  vol.   in-8<>.  VI.  Magasin 
pour  l'histoire  du  Palatinat,  ibid.  , 
1793,  2  vol.  VIL  Abrégé  de  l'his- 
toire ecclésiastique  du  Palatinat , 
depuis  la  fondation  du  christianis- 
me ,  sur  les  bords  du  Bhin  et  du 
JVecker,  jusqu'à  la  mort  de  l'élec- 
teur Charies  -  Philippe  ou  jusqu'à 
l'année   174^,  Heidelberg,    1796, 
in-8<>.  VI IL  Sur  les  biens  qui  ap- 
partiennent à  V  Eglise  protestante  , 
ibid. ,  1801 ,  in-80.  Wundt  est  en- 
core auteur  d'ouvrages  anonymes  sur 
l'histoire  et  la  géographie  du  Palati- 
nat ;,  et  il  a  fourni  sur  le  même  sujet 
plusieurs  articles  aux  journaux  litté- 
raires protestants.  —  Wundt  (Fre- 
déric-Pierre  ) ,  frère  du  précédent , 
professeur  d'histoire,  à  l'université 
de  Heidelberg  ,  né  à  Kreutznacb  le 
16  août  1748,  fut  nommé,  en  1779, 
professeur  d'histoire  à  l'école  supé- 
rieure de  Kaisers-Lautern ,  qui  fut 
transférée ,  en  1 786 ,  à  Heidelberg.  Il 
mourut  dans  cette  ville  le  i3  mars 
1808.  On  a  de  luij  en  allemand ,  des 


200 


WUN 


écrits  précieux  pour  ceux  qui  veulent 
étudier  l'iiistoire  ,  la  statistique  et  la 
topographie  du  Palaîinat  :  ï.  Sur 
Othon  y  le  Grand,  comte  palatin 
de  TVittelshach ,  fondateur  de  la 
maison  palatine  de  Bavière  y  Man- 
heim  et  Lautern,  1779,  iii-4''.  H- 
Bibliothèque  topographique  du  Pa- 
latinat^  Spire,  1785  à  1802,  3 
vol.  in-8°.  III-  Histoire  de  V univer- 
sité de  Heidelberg y  en  particulier^ 
et  Notices  sur  la  restauration  de 
cette  école  sous  l'électeur  Othon- 
Henri,  en  i558^  d'après  un  manus- 
crit ,  Manlieim  ,  1786.  IV.  Services 
que  Charles-  Théodore  a  rendus  à 
V histoire  du  Palatinat  du  Rhin  ^ 
Manlieim,  1794?  in-S^.V.  Descrip- 
tion de  Sinsheim  sous  ses  rapports 
économiques,  Lautern,  1779.  VI. 
Injluence  que  les  réfugiés  français 
ont  eue  sur  l'agriculture  et  le  com- 
merce dans  le  Palatinat ,  Lautern , 
1780.  VIL  Description  des  grands 
bailliages  de  Feldens ,  de  Laden- 
bourg,  de  Boxberg,  de  Bretten  et 
de  Bacharach y  Lautern  et  Heidel- 
berg,  1782  à  1788.  VIII.  Descrip- 
tion du  grand  bailliage  d' Umstadt , 
possédé  en  commun  par  V électeur 
palatin  et  le  landgrave  de  Hesse- 
Darmstadt ,  Heidelberg,  1790.  IX. 
Topographie  statistique  du  grand 
bailliage  d' Oppenheim  dans  le  Pa- 
latinat ,  Heidelberg ,  1 79 1 .  X.  Ques- 
tions à  adresser  aux  baillis  et  cu- 
rés du  Palatinat ,  pour  faire  une 
statistique  exacte  de  l'électoral. 
XI.  Plan  pour  V histoire  généra- 
le du  Palatinat  du  Bhin ,  Man- 
lieim ,  179^?  in-80.  XII.  Le  com- 
té-palatin de  Bade ,  sous  ses  rap- 
ports géographiques  ,  statistiques 
et  topographiques,  Carlsrulie,  1 8o4  ;, 
iu-8'^.  XllL  Histoire  et  descrip- 
tion de  la  ville  de  Heidelberg  ^ 
Manhcim ,  i8o5  ,  in-S».         G — y. 


WUN 

WUNSCH  (  Jean  -  J  acques  de  ) , 
gênerai  jirussien,  naquit,  en  1717, 
dans  le  pays  de  Wurtemberg.  Il  fit, 
de  1787  à  1739  ,  dans  les  trou- 
pes autricliiennes ,  les  campagnes 
contre  les  Turcs ,  et  se  trouva  aux 
batailles  de  Banjaluka,  de  Koruia  , 
de  Méadia  ,  de  Kruzka  et  de  Panzo- 
wa.  Après  îa  paix  de  Belgrade,  il  en- 
tra au  service  de  Bavière  (  1 742  ) , 
comme  premier  lieutenant  dans  les 
hussards  de  Frarigipani.  La  paix 
ayant  été  conclue  entre  l'Autriche  et 
la  Bavière  ,  ce  régiment,  qui  avait 
passé  au  service  de  Hollande  ,  était 
au  mois  de  janvier  1746  à  Bruxel- 
les /lorsque  les  Français  vinrent  faire 
le  siège  de  cette  vilie.  Wunsch  sortit 
pendant  la  nuit ,  et  vint  rejoindre  les 
alliés  près  de  Mons.  Il  prit  part  en- 
suite aux  batailles  de  Rocoux  et  de 
Lawfeld.  Quand  la  guerre  de  Sept- 
Ans  éclata ,  iJ  entra  dans  un  corps 
franc  au  service  de  Prusse  ;  et  il  as- 
sista ,  en  17^7,  aux  batailles  de 
Breslau  et  de  Leuthen.  Frédéric  II , 
l'ayant  nommé  lieutenant-colonel,  le 
chargea  de  lever  un  corps  franc,  à  la 
tête  duquel  Wunsch  se  distingua  telle- 
ment^ qu'en  1759  il  fut  nommé  co- 
lonel d'un  régiment  formé  de  plu- 
sieurs corps  francs.  Il  concourut ,  à 
la  tête  de  ce  corps,  à  chasser  de 
Saalfeld  le  général  Brown  ;  et  lors- 
que le  prince  Henri  pénétra  en  Bo- 
hême^ il  forma  son  avant  -  gar- 
de à  la  tête  de  cinq  bataillons  et 
de  cinq  escadrons ,  enleva  les  re- 
doutes de  A'ollendorf,  après  avoir 
foit  essuyer  aux  Autrichiens  une  gran- 
de perte,  et  revint  joindre  Farmée 
en  Saxe.  Le  prince  Henri  étant  entré 
dans  la  Franconie ,  Wunsch  com- 
manda encore  Favant  -  garde ,  sons 
les  ordres  du  général  Knobloch.  Il 
s'avança  jusqu'à  Bamberg^  et  détrui- 
sit tous  les  magasins  des  Autrichiens. 


WUN 

Nommé,  en  1759,  colonel  de  cava- 
lerie, il  l'ut  envoyé  par  le  prince  Hen- 
ri, pour  faire  une  reconnaissance'en 
Bohême.  Le  roi  fut  tellement  satis- 
fait de  sa  conduite,  que  deux  jours 
avant  la  bataille  de  Kunersdorf, 
l'ayant  nommé  major  -  général,  il 
l'envoya  ,  avec  trois  bataillons  et 
deux  régiments  de  hussards ,  pour 
s'emparer  de  Francfort -sur -l'Oder. 
Wunscli  lit  mettre  bas  les  armes  à 
la  garnison;  mais  le  roi,  ayant  perdu 
la  bataille  de  Kunersdorf ,  le  rappela 
près  de  lui.  Après  qu'il  eut  joint  l'ar- 
mée à  Reitweim ,  il  fut  détaché  vers 
Furstenwald,  pour  arrêter  les  cosa- 
ques qui  se  répandaient  dans  la  con- 
trée. De  là  il  reçut  ordre  de  s'em- 
parer de  Wittemberg  et  de  ïorgau. 
Après  avoir  pris  et  mis  en  sûreté  ces 
deux  places  ,  il  se  dirigea  à  marches 
forcées  sur  Dresde ,  pour  dégager 
cette  ville  importante.  Quoiqu'il  eût 
appris  en  chemin  qu'elle  avait  ca- 
pitulé, il  continua  sa  marche  j  il 
renversa  le  corps  de  Vehia  ,  et  le 
poursuivit  jusqu'aux  portes  de  Dres- 
de. Malheureusement  la  capitulation 
était  signée  j  il  se  retira  sur  ïor- 
gau, et  jeta  dans  cette  place  un  ren- 
fort de  trois  bataillons  et  trois  esca- 
drons. Attaqué  par  le  général  Saint- 
André,  qui  avait  avec  lui  huit  ba- 
taillons et  huit  escadrons,  il  le  mit 
en  fuite,  lui  enleva  son  artillerie  ,  et 
lit  mille  prisonniers.  Après  cet  ex- 
ploit ,  il  opéra  sa  jonction  avec 
Finck  ,  qu'il  quitta  près  d'Eiicn- 
bourg ,  pour  se  diriger  sur  Leip- 
zig. Le  1 3  septembre ,  il  força  le 
comte  Hohenlohe  à  se  rendre  pri- 
sonnier de  guerre  avec  la  garnison  , 
et  vint  occuper  un  camp  retranché 
près  de  Siebeneichen.  Attaqué  à  l'im- 
j)roviste,lc2i  septembre,  il  repoussa 
deux  lois  l'ennemi ,  et  vint  faire  l'ar- 
rière-garde  du  corps  commandé  par 


WUN 


261 


le  général  Fmck.  Quoiqu'il  eût  à  se 
défendre  contre  des  forces  supérieu- 
res ,  commandées  par  les  généraux 
Brentano  et  Buckow  ,  il  ne  se  laissa 
])oint  entamer.  S'étant  réuni ,  près 
de  Schilda ,  au  général  Rebentiscb  , 
il  marcha  vers  Torgau  ,  où  se  trou- 
vait le  prince  Henri.  Finck  ayant  re- 
çu l'ordre  de  marcher  contre  le  gé- 
néral Daun,  qui  avait  passé  l'Elbe, 
Wunsch ,  en  faisant  une  forte  recon- 
naissance vers  l'aile  droite  de  l'en- 
nemi, fit  prisonnier  l'adjudant  du 
duc  d'Aremberg ,  dont  les  dépêches 
étaient  de  grande  importance ,  parce 
qu'elles  faisaient  connaître  le  plan 
de  l'ennemi.  De  là  il  marcha  ,  avec 
six  bataillons  et  un  régiment  de  dra- 
gons ,  sur  Wittemberg ,  pour  se  réu- 
nir au  général  Rebentiscb  ,  et  pren- 
dre le  commandement  des  deux  corps. 
Le  29  octobre ,  il  tomba  sur  le  gé- 
néral Brentano ,  à  qui  il  enleva  ses 
bagages,  sept  chariots  de  munitions 
et  deux  mille  hommes.  Cette  victoire 
lui  valut  l'ordre  du  Mérite  militaire. 
Mais  bientôt  après ,  il  fut  enveloppé 
dans  les  malheurs  du  général  Finck 
(  V.  Finck  ,  au  Supplément) ,  et  fait 
prisonnier  près  de  Maxen.  H  avait 
opiné ,  dans  le  conseil  de  guerre , 
pour  qu'on  se  fît  jour  l'épée  à  la  main. 
Le  roi  fut  informé  de  cette  circons- 
tance j  et  Wunsch  ne  reparut  plus 
devant  le  conseil  de  guerre.  Entière- 
ment disculpé,  il  reçut,  en  1763  , 
le  régiment  de  Finck ,  et  fut  nommé 
lieutenant  général  en  1771.  Lorsque 
la  guerre  delà  succession  de  Bavière 
éclata  ,  en  1778,  il  fut  dirigé  sur  la 
Silésie,  avec  la  garnison  de  Berlin, 
s'empara  du  comté  de  Glatz  ,  et  en- 
tra en  Bohême.  Il  était  chargé  d'en- 
tretenir les  communications  entre  la 
grande  armée  et  la  forteresse  de 
Glatz ,  et  devait  aussi  couvrir  le 
grand  parc ,  les  magasins  et  la  bou- 


'à6'i 


WUJN 


lanfjcrk.  Quand  la  paix  fut  siguce  , 
on  le  chargea  de  Tcchange  des  pri- 
sonniers. Le  roi  Frédéric -Guillaume 
Il ,  qui  avait  pour  Wunscli  la  même 
bienveillance  que  Frédéric  II,  le  nom- 
ma^ en  1787,  général  de  cavalerie 
et  chevalier  de  l'ordre  de  l'Aigle- 
Noir.  Ce  général  mourut  à  Prenzlow, 
le  18  octobre  1788.  G — y. 

WUNSCH  (  Chrétien-Ernest  ) , 
professeur  de  mathématiques  et  de 
physique  à  l'université  de  Fi-ancfort- 
sur-l'Oder,  naquit  à  Holienstein,  dans 
le  pays  de  Schœnberg,  vers  1730, 
et  mourut  dans  les  premières  années 
du  dix -neuvième  siècle.  On  a  de  lui 
quelques  ouvrages  estimés  et  des  tra- 
ductions du  français  :  I.  Recueil  pris 
dans  les  observations  sur  la  nature 
et  les  arts ,  par  Vahbé  Rozier  y  tra- 
duit en  allemand,  Leipzig,  1775  et 
1776,  2  vol.  in- 8°.  II.  Devaletu- 
dine  vernd ^  ibid.,  in-4'^.  III.  Initia 
novœ  doctrinœ  de  naturd  sonij  ib., 
in-4*^.  IV.  Histoire  de  V astronomie 
ancienne  jusquà  la  fondation  de 
V école  d  Alexandrie  ,  par  Baill/y  ^ 
traduite  en  allemand,  Leipzig,  1776 
et  1777  ,  2  volum.  in- 8*^.  V.  Fisus 
phœnomena  quœdam,  ibid.,  ^77^? 
in-4*'.  VI.  De  auris  humanœ  pro- 
prietatihus  et  vitiis  quihusdam,  ib., 
1777  ,  in-4^.  VIL  Entretiens  cos- 
jnologiques  pour  la  jeunesse  (  ail.  ): 
premier  volume,  des  Corps  célestes  y 
ibid.,  1778,  2'^.  édit.,  1791-26. 
vol., des  Phénomènes  qui  ont  lieu 
sur  notre  globe  céleste ^  ibid.,  1779, 
2^.  édit.  ,  1794  ;  3^.  volume  ,  sur 
l'homme  y  ibid.,  1780  ,  in-80.  VIII. 
Lettres  sur  les  productions  de  la 
nature  (ail.):  i^^-.  volume,  des  M- 
nér aux  j\h\di. ,  1 781  ;  2^.^  du  règne 
végétal,  ibid.,  1786,  in-80.  IX. 
Nouvelle  théorie  de  l'atmosphère  et 
de  la  mesure  des  élévations  par  le 
mofen  du  baromètre  (ail.),  Leip- 


WUN 

zig^  1782  ,  in  -  8'\  X.  Réflexions 
sur  l'origine  des  langues  ,  sur  la 
constitution  civile ,  sur  les  arts,  sur 
les  religions  et  les  sciences  (  ail.  ) , 
1782,  in-8'^.  XL  Histoire  naturelle 
des  minéraux,  par  Bujfon,  traduite 
en  allemand ,  avec  des  additions , 
Francfort  et  Leipzig,  1784,  in-8<^. 
XIL  Essai  et  observations  sur  les 
différentes  couleurs  de  la  lumière 
(  ail.  ) ,  Leipzig  ,  1 792  ,  avec  gravu- 
res. XIII.  Entretiens  sur  l'homme 
(ail.):  i<^i". volume,  de  sa  culture  in- 
tellectuelle ,  de  sa  figure  et  de  sa 
conformation  extérieure,  ib.,  1  796 , 
avec  gravures;  2^.  vol.,  de  \ai Nais- 
sance,  du  développement  et  de  la 
m.ort  du  corps  humain  ;,  ib. ,  1 798  , 
in-80.  XIV.  Sur  les  fabriques  de 
Saxe  (ail.  )  _,  dans  le  Journal  de  Ber- 
lin,  1784.  G — Y. 

WUNSCHWITZ  (  Mathias-Go- 
DEFROi  ,  baron  de  )  ,  généra!  des 
armées  impériales  ,  né  à  Prague,  au 
mois  de  février  i632  ,  descendait 
d'une  famille  noble,  originaire  de  la 
Misnie ,  mais  médiocrement  partagée 
du  côté  de  la  fortune.  Le  jeune  Wuns- 
chwitz  entra  de  bonne  heure  au  ser- 
vice ,  et  se  rendit  utile  pendant  la 
guerre.  Mais  ce  fut  surtout  comme 
conseiller  qu'il  s'acquit  des  droits  à 
la  reconnaissance  de  Léopold  I^^^". , 
qui  le  récompensa  en  lui  conférant 
pour  lui  et  pour  ses  descendants  le 
titre  de  baron  d'empire  (  20  août 
167 1  ).  Wunschv^'itz  était  extrême- 
ment instruit  non-seulement  dans  la 
jurisprudence  et  la  politique,  mais 
encore  dans  la  philologie  et  les  scien- 
ces théologiques.  Il  a  laissé  plusieurs 
manuscrits  relatifs  à  l'histoire  poli- 
tique de  l'Allemagne  ;  mais  aucun  n'a 
vu  le  jour.  —  Godefroi-  Daniel  ^ 
baron  de  Wunscuwitz  ,  seigneur  de 
Ronsperg ,  de  Wasserau  et  de  Berns- 
tcin  ,  etc. ,  iils  du  précédent ,  naquit 


uit    I 


WUR 

h  i4  niai  iG-jS.  Klevë  sous  les  yeux 
de  son  père,  il  était  déjà  parvenu  à 
un  de^^ré  remarquable  d'instruction  , 
lorsqu'il  se  mit  à  parcourir  l'Europe. 
L'Angleterre,  la  France,  l'Allema- 
gne, la  Hollande  ,  l'Espagne  et  l'I- 
talie l'altirtrent  successivement  et  le 
retinrent  six  ansenfiers.  Il  y  apprit  à 
fond  les  difierenles  langues,  et  revint 
dans  sa  patrie  avec  une  ample  collec- 
tion de  tableaux  ,  de  médailles  ,  d'an- 
tiquités et  de  manuscrits  précieux. 
Quoique  la  plus  grande  partie  de  son 
temps  fût  consacrée  à  des  études  so- 
litaires ,  il  accepta  cependant ,  et  il 
l'emplit  long-temps  avec  honneur  la 
place  de  commissaire  inspecteur-gé- 
néral du  cercle  de  Beraun  en  Bohê- 
me. Le  baron  de  Wunschwitz  mou- 
rut à  Prague  le  'i5  juin  17^  i  ,  lais- 
sant plusieurs  majinscrits,  qui,  com- 
me ceux  de  son  père,  sont  restés 
inédits.  Cependant  ces  derniers  sur- 
tout sont  extrêmement  remarquables; 
et  plusieurs  personnes  ,  qui  les  ont 
compulsés,  assurent  que  comme  anti- 
quaire ,  historien  et  généalogiste  , 
l'auteur  s'y  montre  un  savant  du 
premier  ordre.  —  Jean  -  Antoinc- 
Caietan  de  Wunschwitz,  l'aîné  des 
fils  du  précédent  ,  marcha  sur  les 
traces  de  son  père,  et  acquit,  comme 
généalogiste^  une  haute  réputation. 

P— OT. 

WURDTWEIN  (Etienne- 
Alexandre),  évêque  sullragant  de 
l'électeur  de  Maïence ,  né ,  en  1719, 
à  Amorbach ,  vint  à  Heidelberg ,  en 
1 738  ,  pour  y  étudier  la  philosophie 
et  la  théologie.  Après  avoir  rempli , 
dans  le  diocèse  de  Maïence^  diffé- 
rentes fonctions  ecclésiastiques  ,  il 
fut  nommé  successivement  chanoine 
d'une  collégiale,  conseiller  ecclésias- 
tique, fiscal  ,  olïicial  du  diocèse, 
doyen  du  chapitre  métropolitain,  et 
en  1783,  évêque  sullragant.  H  rem- 


WUR 


263 


plit  ces  diverses  fonctions  jusqu'au 
moment  de  sa  mort ,  arrivée ,  le  1 1 
avril  1 796 ,  à  Ladeubourg ,  où  il  s'é- 
tait réfugié  par  suite  des  événements 
de  la  guerre.  Il  passait  dans  les  ar- 
chives du  chapitre  et  de  l'église  mé- 
tropolitaine toutes  les  heures  qu'il 
pouvait  dérober  à  ses  fonctions;  et 
c'est  à  cette  ardeur  pour  l'étude  que 
nous    devons    la    publication   d'un 
grand  nombre  de  monuments  impor- 
tants pour  l'histoire  :  I.  Concilia  Mo- 
f^iintina ,  queis  disciplina  ecclesiœ 
Mogimtinœ  sœciili  xiF^  xr  et  xri, 
prœcipuè  verb  ohscura  concordato- 
rum  Germaniœ  historia  illuslratur , 
Manheim,  1766,  in-4".  H.  Historia 
diploinatica  abhatiœ  Ilbcnstadien- 
sis ,  Manheim,   1766,  in  -  4*^.  îll. 
Diœcesis  Moguntina  in  archidiaco- 
natus  disiincta  ,  conimentationibits 
diplomaticis  illiistrata  commentât. 
IX  y  Manheim  ,  1768  à  1776,  in- 
8".  IV.  Médailles  de  Maience  Ttu 
mojen  âge  et  des  derniers  temps 
(ail.) ,  ibid.,  1769,  in-40.  V.  Siibsi- 
dia  diplomatica  ad  selecta  juris 
ecclesiaslici  germanici  et  historia- 
rum  capita  eliicidanda,  Heidelberg , 
1772  à  1780,   i3  vol.  in-8'\  YT. 
JVo^a   subsidia  diplomatica ,    Hei- 
delberg, 1782-1789,  i4  vol.  in -8^'. 
VIL    Dilférentes   brochures    sur   la 
connaissance  des  diplômes  et  des  an- 
ciens monuments.  VIII.  Bibliotheca 
Moguntina  ,  libris  sœculo primo  ty- 
pographico  Moguntiœ  impressis  ins- 
tructa ,  hinc  indè  addita  invejitœ 
trpographiœ  historia ,  Augsbourg  , 
1787  ,  in -4^-  IX.  Chronicon  diplo- 
maticum  monasterii    Schœnau   in 
sylvd  Odoniand  ordinis  Cistercien- 
sis ,  Manheim,  1793,  in-8<^.  X.  Mo- 
nasticon  palatinum  ,  Manheim  ,  6 
vol.  in-8«.  Ce  dernier  ouvrage  est  un 
recueil  de  diplômes  qui  ont  rapport 
à  l'histoire  des  anciens  monastères 


a64  WUR 

du  Palatiiiat  •  le  précèdent  avait  rap- 
port à  la  merne  histoire.  XI.  Mo- 
nasticon  fVormatiense.  C'est  le 
dernier  travail  littéraire  de  Wurdt- 
wein,  qui  en  mourant  le  laissa  prêt 
à  être  donne  à  l'impression.  Il  avait 
recueilli  les  diplômes  et  documents 
relatifs  aux  anciens  ctaLlissements 
eccle'siastiques  dans  le  diocèse  de 
Worms.  G — y. 

WURFFBAIN  (Jean-Sigis- 
MoisD  ) ,  voyageur  allemand  ,  ne  le 
20  août  i6i3  à  Nuremberg,  pas- 
sa, dans  sa  jeunesse,  quelques  aii- 
D'cs  en  Hollande.  La  guerre  ayant 
détruit  en  Allemagne  toute  espèce  de 
commerce  et  d'industrie,  et  person- 
ne n'ayant  plus  le  courage  de  faire 
de  nouvelles  entreprises,  Wurffbain 
résolut,  avec  le  consentement  de  ses 
parents .  d'aller  dans  les  Indes  orien- 
tales. 11  partit  comme  simple  sol- 
dat, en  i63.2  ;  mais  ses  services  lui 
valurent,  en  i635,  la  place  d'aide- 
marchand  en  chef;  et  quelques  an- 
nées après ,  il  devint  sous-marchand. 
11  fut  envoyé,  en  cette  qualité,  à  Su- 
rate, puis^  en  i638,  à  Moca  ,  oii  il 
ranima  le  commerce  des  Hollandais, 
qui  y  était  beaucoup  déchu.  En  i  Ql\ij 
il  partit  pour  Cambaye  avec  des 
marchandises  précieuses  ,  surtout  de 
la  joaillerie ,  et  les  vendit  très -bien. 
Pour  le  récompenser ,  on  le  nomma 
marchand  en  chef,  distinction  qu'au- 
cun Allemand  n'avait  encore  obte- 
nue. En  1 645 ,  il  revint  en  Europe 
sur  un  navire  dont  le  commandement 
lui  fut  contié.  L'année  suivante,  il 
revit  sa  ville  natale.  Il  y  établit  une 
maison  de  commerce,  devint  adjoint 
du  tribunal  de  la  banque,  et  mourut 
le  2  août  1 66 1 .  Déjà  Léonard  Wurfï- 
bain  ,  son  père  ,  homme  docte ;,  à  qui 
l'on  doit  des  écrits  sur  les  généalo- 
gies, avaitfait  imprimer  un  extraitdes 
Lettres  de  son  fils  ,  sous  le  litre  de 


WUR 

f^qyage  aux  Indes  orientales  ,  Nu- 
remberg, 1646,  in-4".;mais  ce  der- 
nier peu  satisfaitde  ce  livre, parce  qu'il 
s'y  était  glissé  beaucoup  de  fautes  , 
acheta  tous  les  exemplaires  ,  afin  de 
les  anéantir.  Cependant  il  a  été  réim- 
primé presque  en  totalité  dans  VE- 
pistolische  Schatzkammer  de  Mar- 
tin Zeiller ,  Ulm  ,  1 700 ,  in-fol.  Après 
la  mort  de  Jean-Sigismond,  son  fils 
Jean-Paul  Wurffbain  publia ,  d'après 
son  journal,  écrit  en  hollandais  et  en 
allemand  ,  le  voyage  qui  est  intitulé 
en  allemand  :  Services  deJ,  -S.  W'urff- 
hain  dans  les  Indes  orientales  pen- 
dant quatorze  ans ,  comme  militai- 
re et  jnarchand  en  chef  y  décrits 
dans  le  journal  exact  quil  a  tenu, 
et  oit  Von  troui^e  plusieurs  événe- 
ments remarquables ,  des  relations 
véridiques  de  contrées  lointaines  y 
des  descriptions  agréables  de  leurs 
habitants,  des  notices  précises  sur 
les  végétaux  et  les  animaux  étran- 
gers ,  et  plusieurs  renseignements 
utiles  pour  les  affaires  commercia- 
les,  publié  à  la  demande  réitérée  du 
public  y  par  J.-P.  W,  D.,  Sulzbach, 
1686,  in-40.,  fig.  Le  fils  de  Wurff- 
bain aurait  dû  ne  pas  toucher  au 
journal  de  son  père  :  cela  valait 
mieux  que  de  le  faire  parler  à  la  troi- 
sième personne.  Cependant  il  a  res- 
pecté le  texte.  Du  reste,  ce  livre  est 
aujourd'hui  de  peu  d'intérêt.  L'au- 
teur n'était  pas  assez  instruit  poijr 
voyager  avec  fruit  dans  les  pays 
lointains.  Son  ouvrage  n'offre  de  cu- 
rieux que  les  renseignements  sur  l'e'- 
tat  du  commerce  de  cette  époque  et 
la  mention  de  quelques  îles  qui  man- 
quent dans  nos  livres  et  sur  nos  car- 
tes de  géographie.  Les  remarques  sur 
les  animaux  et  les  plantes  ont  été 
ajoutées  par  l'éditeur  ,  qui  les  a  ex- 
traites des  meilleurs  ouvrages  du 
temps.  Les  figures  sont  très-médio- 


WUR 

rres  ctcopiëes d'autres  livres.  Wurff- 
LaJu  avait  assisté  ,  comme  comman- 
dant^ à  l'éxecution  de  l'ordre  donne 
par  la  compagnie  des  Indes  de  dé- 
truire et  d'extirper  tous  les  musca- 
diers qui  croissaient  dans  les  îles  voi- 
sines de  Banda.  Il  avait  rencontre  à 
Surate  Mandelslo  ,  voyageur  renom- 
mé.—  Jean  -Paul  Wurffbain  a 
publié  Salamandrologia  j  Nurem- 
Lerg,  i683,in-4*^.,  (ig. ,  et  plusieurs 
Mémoires  d'histoire  naturelle  et  de 
médecine ,  dans  les  Ephémérides 
des  curieux  de  la  nature.    E — s. 

WURMB  (Fréderic-Louis  de  ) , 
premier  ministre  de  l'électeur  de 
Saxe,  né  en  1728,  est  mort  le  18 
janvier  1800,  après  avoir  servi  son 
prince  pendant  cinquante- deux  ans. 
Ayant  long-temps  étudié  la  cons- 
titution de  son  pays ,  il  a  publié  ses 
Jiiéditations  sur  cet  objet ,  dans  un 
ouvrage  qui  fil  une  vive  sensation, 
et  qu'on  lit  encore  aujourd'hui 
avec  intérêt ,  sous  ce  titre  :  le  Tom- 
beau de  Léonidas ,  dédié  aux  Sa- 
xons qui  aiment  leur  patrie  (  ail.  ), 
Dresde,  1798,  in-8".,  et  réimprimé 
en  1 799.  Il  y  expose  avec  franchi- 
se les  principes  de  la  constitution 
saxonne,  ses  défauts  et  les  moyens 
d'y  apporter  remède.  G — y. 

WURMBRAND  (Jean-Guil- 
laume ,  comte  DE  ) ,  ministre  autri- 
chien,  naquit  le  18  février  1670.  Il 
perdit  sa  place  en  1740?  après  la 
mort  de  Charles  VI ,  et  rentra  dans 
ses  fonctions  en  1745,  après  l'élec- 
tion de  l'empereur  François  I*^''. ,  à 
laquelle  il  avait  pris  une  part  très- 
active  ,  comme  député  du  royaume 
de  Bohême.  Il  mourut,  le  17  décem- 
bre 1756,  avec  le  litre  de  ministre 
d'état  pour  les  affaires  de  l'empire. 
Il  s'est  rendu  rrcommandablepar  ses 
recherches  sur  l'histoire  de  l'Autri- 
che, et  a  publié  :  I.  Collectanea  ge- 


WUR 


a()5 


nealogico-historica  ex  archivo  sla- 
tuum  J.ustriœ  inférions ,  Vienne, 
1703,  in -fol.;  réimprimé,  ibid.  , 
1751  ,  in -fol.  II.  Commentatio  de 
hœreditariis  prouinciarum  austria- 
carum  officialibus ,  Leipzig,  1737  , 
in-4'^  ,  2^.  édition.  G — y. 

WURMSER  (  Dagobert  -  Sigis- 
MOND  ,  comte  DE  )  ,  général  autri- 
chien, naquit  en  Alsace  d'une  noble 
et  riche  famille,  le  11  septembre 
1724,  et  fit  ses  premières  armes  au 
service  de  France.  Son  éclatante 
bravoure  ,  dans  les  campagnes  de 
1 745 ,  4^  et  47  »  ^"^  valut  un  brevet 
de  capitaine  de  cavalerie.  Son  père 
ayant  pris,  vers  1750,  le  parti  de 
renoncera  sa  patrie,  pour  se  fixer 
dans  les  états  autrichiens,  le  jeune 
Sigismond  l'y  suivit ,  et  recul  à  la 
cour  de  Vienne  l'accueil  le  plus  flat- 
teur. Il  obtint  de  l'impératrice  Marie- 
Thérèse  la  clef  de  chambellan  ,  et, 
ce  qui  convenait  encore  mieux  à  ses 
goûts  ,  un  escadron  de  hussards 
avec  lequel  il  fit  la  guerre  de  Sept- 
Ans  contre  les  Prussiens.  La  part 
qu'il  prit  aux  batailles  de  Pra- 
gue ,  de  Lissa  ,  d'Mochkirchen  et 
de  Lignitz ,  lui  mérita  successivement 
les  grades  de  major ,  de  colonel  ,  de 
général-major,  et  la  croix  de  Marie- 
ïhércse.  Bon  ,  loyal  ,  généreux  ,  il 
était  l'idole  des  oificiers  et  des  sol- 
dats. Après  le  combat  de  Gorlitz, 
on  lui  dit  qu'un  lieutenant  sans  for- 
tune ,  et  qui  s'était  distingué  ,  venait 
de  perdre  son  cheval  ;  aussitôt  il  fait 
choisir  le  meilleur  de  son  écurie ,  et 
le  lui  envoie  avec  ces  mots  :  «  J'ai 
»  juré  que  ce  cheval  appartiendrait 
»  au  plus  brave  ,  et  j'espère,  Mon- 
»  sieur  ,  que  vous  me  ferez  l'hon- 
»  neur  de  l'accepter.  »  En  1 778  ,  il 
devint  colonel  propriétaire  d'un  ré- 
giment de  hussards  de  son  nom  ,  et 
à  l'époque  de  la  guerre  de   1778  il 


'266  WUR 

fut  nomme  lieutenant-gëneral.  11  pé- 
nétra dans  le  comte  de  Glatz ,  à  la 
tête  d'un  corps  de  douze  mille  liom- 
mes  ,  surprit,  le  18  janvier  1779  , 
les  Prussiens  à  Cubelscliwerd  ,  et 
leur  fit  douze  cents  prisonniers.  La 
paix  de  Teschen  mit  un  terme  à  ses 
succès  ,  et  le  collier  de  commandeur 
de  Marie-The'rèse  fut  le  prix  de  ses 
exploits  pendant  cette  courte  cam- 
pagne. Commandant- général  de  la 
Galicie  en  1787  ,  il  s'y  fit  aimer 
des  habitants  si  peu  disposes  d'ail- 
leurs à  subir  le  joug  de  l'Autriche; 
et  l'empereur  Joseph  lui  conféra  le 
grade  àc  feldzeu^meister  (  général 
d'infanterie  ).  En  1789^  il  ne  fut  pas 
employé  contre  les  Turcs;  mais,  au 
mois  de  février  i  798  ,  il  eut  l'ordre 
de  rassembler  un  corps  d'armée  dans 
le  Brisgaw  :  le  3  mars,  il  se  dirigea 
sur  la  Ketsch  ,  entre  Manheim  et 
Spire  y  il  attaqua  l'arrière-garde  de 
Custine  ,  et  la  poursuivit  jusqu'à 
Landau  (  Vof.  Custine  ) ,  qu'il 
somma  vainement  de  se  rendre.  Il  se 
réunit  au  corps  de  Condé  à  Spire, 
et,  pour  couvrir  le  siège  de  Maïen- 
ce  ,  ayant  opéré  sa  jonction  avec 
l'armée  prussienne  d'observation 
commandée  par  le  duc  de  Bruns- 
wick, il  établit  ses  lignes  de  Ger- 
mesheira  à  Edikoffen  jils'y  maintint 
tout  le  mois  de  juillet ,  malgré  de 
vives  et  continuelles  attaques  ;  mais 
l'aile  droite ,  formée  des  Prussiens, 
fut  entamée.  Maïence  ayant  capi- 
tulé, Wurmser  se  porte  en  avant;  il 
parvient  à  chasser  l'ennemi  des  en- 
virons de  Landau  ,  attaque  brusque- 
ment le  poste  de  Jocknum  dont  il 
réussit  à  s'emparer,  ainsi  que  de 
Bienwald  ,  et  s'avance  jusqu'au  pied 
des  Vosges.  De  fausses  attaques  et 
des  combats  insignifiants  se  succédè- 
rent jusqu'au  i3  octobre.  Ce  jour-là, 
de  concert  avec  le  duc  de  Brunswick, 


WUR 

Wurmser  se  jette  sur  les  lignes  de 
Weissembourg, qu'il  emporte  après 
une  faible  résistance.   Les  Français 
se    retirent    en    désordre    vers   la 
Haute-Alsace.   Le  général  autrichien 
occupe  Haguenau  ,  prend  Drunheim, 
bloque  ,    bombarde    et  contraint  le 
Fort-Louis  à  capituler  le   i4  nov.  , 
s'établit  sur  la  Sarre,  puis  étend  sa 
gauche  jusqu'à  Wantznau  sous  Stras- 
bourg, Cependant  sa  droite  échoue 
contre  le  pont  de  Saverne  qui  la  gê- 
nait beaucoup.  D'un  autre  coté,  les 
Prussiens  ayant  manqué  l'attaque  de 
Bitche  et  négligé  de  prendre  Landau 
qu'ils  attaquèrent  trop  tard,  Wurm- 
ser se  trouva  pour  ainsi  dire  livré  à 
ses  propres  forces.  Harcelé  sans  cesse 
par  Pichegru ,  mal  secondé  par  ses 
lieutenants  ,  il  se  vit  bientôt  contraint 
à  se  retirer  dans  les  lignes  qu'il  avait 
'  établies  sur  le  Mofter.   Le  point  de 
Frischweiler,  défendu  par  le  contin- 
gent palatin ,  ayant  été  forcé  le  11 
décembre  ,  sa  retraite  précipitée  ne 
fut  plus  qu'une  déroute;  les  débris 
de  son  armée  ne  se  rallièrent  qu'a- 
près avoir  repassé  le  Rhin.  En  jan- 
vier 1794?   Wurmser  se  rendit  à 
Vienne   où  son  souverain ,  par  de 
nombreux  lémoignages  d'estime,  le 
vengea  de  l'injustice  de  ses  ennemis; 
et  six  mois  plus  tard  il  lui  rendit  le 
commandement  de  l'armée  du  Haut- 
Rhin  ,    où  le    hasard  fit   découvrir 
au  général  autrichien  la  correspon- 
dance que  le    prince  de  Condé  en- 
tretenait depuis  long-temps  avec  Pi- 
chegru.  Wurmser  s'empressa  d'en 
instruire  le  cabinet  de  Vienne  ;  mais 
il  profita  peu  de  cette   circonstance 
avantageuse  (  F.  Pichegru  ,    tome 
XXXI V,  et  Condé  au  Supplément)  : 
il  battit  pourtant  les  Français,  le  28et 
le  29  octobre ,  sur  les  bords  du  Nec- 
ker  j  et  même  il  entra  dans  Manheim, 
dont  la  citadelle ,  au  bout  de  quelques 


WUR 

jours  de  bombardement,  lui  ouvrit 
ses  portes.  La  grande  croix  de  Marie- 
Thérèse  lui  fut  envoyée  le  i^"^.  jan- 
vier 1 796  ;  les  hostilités  ne  recom- 
mencèrent qu'au  moisdemai  de  cette 
année.  Wurmser,  attaqué  par  le  géné- 
ral Moreau,  le  i5  juin,  abandonna 
Rebach  et  Franckenthal. Renonçant  à 
Tolfensive  en  Alsace  et  sur  le  Rhin  , 
l'Autriche  lui  donna  l'ordre  d'aller 
en  toute  hâte  diriger  ses  armées  d'I- 
talie y  et  d'y  conduire  trente  mille 
hommes  de  ses  meilleures  troupes. 
Une  campagne  malheureuse,  mais 
qui  ne  fut  pas  sans  gloire  ,  attendait 
le  héros  septuagénaire  dans  cette 
contrée  où  Beaulieu  venait  d'éprou- 
ver échecs  sur  échecs.  Des  le  29  juil- 
let, Wurmser  s'était  mis  en  marche 
vers  Mantoue;  il  culbuta  les  premiers 
postes  français  sur  les  deux  bords 
du  lac  de  Garda ,  mais  le  général 
en  chef  Buonaparte,  ayant  quitté  le 
siège  de  Mantoue  pour  se  précipiter 
à  l'improviste  sur  son  adversaire  ,  le 
battit  complètement  à  Lonato  le  3 
août,  à  Castiglione  le  5  ,  puis  à  Ro- 
veredo  ,  et  le  8  au  débouché  des 
gorges  de  la  Brenta  (  Voy,  Buona- 
parte au  Supplément).  Le  général 
autrichien  toutefois ,  ne  désespérant 
pas  de  la  fortune,  fit  une  tentative 
sur  Vérone;  mais  ,  repoussé  par  le 
général  Kilmaine  ,  il  longea  l'Adige 
avec  un  corps  de  cinq  mille  fantas- 
sins et  de  quinze  mille  chevaux; 
réussit  à  donner  le  change  à  deux 
divisions  françaises  qui  croyaient  le 
cerner  ,  et  ,  par  une  marche  non 
moins  savante  que  pénible ,  il  par- 
vint à  se  faire  jour  jusque  dans 
Mantoue.  Celte  place  fut  cernée  de 
nouveau  -,  de  fréquentes  et  vigoureu- 
ses sorties  en  signalèrent  la  défense. 
Mais  les  victoires  remportées  sur 
Alvinzy  ,  le  manque  de  vivres  c-t  les 
maladies  forcèrent  Wurmser  à  capi- 


WUR 


367 


tuler  le  1  février  1797.  Le  général 
Buonaparte  se  fit  un  devoir  de  le 
traiter  avec  générosité  ,  et  le  laissa 
libre  de  sa  personne  ,  ajoutant  : 
a  Qu'il  honorait  son  grand  âge  ,  sou 
»  mérite  ,  et  qu'il  ne  voulait  pas 
»  l'exposer  à  devenir  la  victime  des 
»  intrigants ,  qui  sans  doute  essaie- 
»  raient  de  le  perdre  à  Vienne.  » 
Plein  de  reconnaissance  pour  de 
tels  procédés ,  Wurmser  ,  instruit 
d'un  projet  d'empoisonnement  tra- 
mé ,  dans  la  Romagne ,  contre  le  gé- 
néral français ,  eut  la  générosité  de 
l'en  informer.  Il  partit  ensuite  pour 
Vienne  ,  et  l'empereur  lui  confia  le 
commandement  général  de  la  Hon- 
grie ,  avec  un  traitement  de  quatorze 
mille  florins  j  mais  il  ne  put  se  ren- 
dre à  son  poste  ;  il  mourut  à  Vienne , 
dans  le  mois  de  juin  1797  ,  d'une 
maladie  dont  il  avait  pris  le  germe  à 
Mantoue.  11  était  à  la  veille  d'obtenir 
le  bâton  de  fcld-maréchal.  C'est  par 
erreur  que  les  Biographies  françaises 
et  le  Mémorial  de  Sainte- Hélène 
l'en  ont  gratifié.  C'était  un  homme 
excellent  et  doué  de  l'ame  la  plus 
élevée.  Zélé  catholique  ,  il  remplis- 
sait ses  devoirs  religieux  avec  une 
grande  exactitude  •  mais  il  voulait , 
pour  les  protestants  qui  servaient 
dans  les  armées  autrichiennes  ^  la 
liberté  de  culte  la  plus  illimitée.  Il 
n'a  laissé  d'héritier  qu'un  neveu  de 
son  nom  ;  il  ne  s'était  jamais  marié. 
St — T. 
WURSTEISEN  (  Christian  ) , 
en  latin  TFurstisius  et  Urstisius  (  i  ) , 
historien  de  la  ville  de  Bâle ,  y 
naquit  ,  en  i544  ?  d'une  famille 
patricienne.  Doué  d'une  ardeur  in- 
fatigable pour  l'étude  ,  il  fit  de 
rapides  progrès  dans  les  lettres  et 


(i)  Wursteisen,  suivant  l'usage  des  savants  de 
son  (emps  ,  a  traduit  sou  non  en  urec  par  celui 
iW'îllnisideivs. 


'268 


WUR 


les  sciences.  A  dix-lmft  ans  ,  il  fut 
reçu  docteur  en  philosophie  j  et,  deux 
ans  après,  les  curateurs  de  Façade' - 
mie  lui  confièrent  la  chaire  de  ma- 
thématiques, qu'il  remplit  d'une  ma- 
nière brillante.  L'un  des  premiers  , 
il  se  déclara  pour  le  système  de  Co- 
j)ernic ,  et  il  contribua  beaucoup  à 
lui  faire  des  partisans  en  Italie  (  F. 
Montucla  ,  Hist.  des  Mathém, ,  i, 
638).  Dans  les  loisirs  que  lui  laissait 
sa  place,  il  cultivait  avec  un  égal 
succès  l'histoire  et  la  théologie.  En 
i585  ,  il  joignit  à  la  chaire  de  ma- 
thématiques celle  d'explication  de 
TAncien  -  Testament  j  l'année  sui- 
vante ,  il  fut  revêtu  de  la  charge  de 
secrétaire-d'élat ,  et  de  chancelier  de 
la  ville  de  Baie.  Wursteisen  ne  de- 
vait jouir  que  quelques  instants  de 
tous  ces  honneurs.  Une  mort  préma- 
turée l'enleva  le  3o  mars  i588,  à 
l'âge  de  quarante-quatre  ans.  Valérie 
Murer,  sa  veuve,  dont  il  avait  eu 
sept  enfants ,  lui  consacra  une  épi- 
taphe,  qui  a  été  recueillie  dans  les 
Monument.  Basil. ,  38  (  édit.  de 
1761,  in-4^.  }.  On  a  de  Wursteisen  : 
I.  Doctrina  arithmeticœ  ^  Bâle  , 
i565,  in-8^.  II.  QuœstionesinPur- 
bachii  Theoricasplanetarum,  ibid., 
i568,  in-80.  Le  P.  RiccioU  trouve 
cet  ouvrage  savant  (  Voy.  Alma- 
gest.  nov. ,  82);  il  a  été  réimprimé 
avec  les  Théoriques  de  Purbach  ,  en 
iS-yS  et  1596.  ni.  Chronicomna- 
jus  (en  allemand),  i58o,  in-fol. 
Cette  histoire  est  fort  estimée.  Dan. 
Bruckner  en  a  donné  la  continuation 
jusqu'à  l'année  1600,  Bâle,  1766; 
et  elle  a  été  réimprimée  ,  en  1778  , 
avec  une  nouvelle  continuation  jus- 
qu'en i65o.  IV.  Epilome  historiœ 
Basiliensis  ,  prœter  lotiiis  Rauricœ 
descriptionem ,  urhis  antiquitates  et 
episcoporum  catalogum  complec- 
tens  ,  ibid. ,  1077  ,  in-S'*. ,  réimpri- 


WUR 

mé,  en  1752,  par  les  soins  de  J.-fï. 
Brucker;  traduit  en  allemand  ,  et  en- 
richi de  divers  suppléments  et  addi- 
tions ,  par  Jac.-Chr.  Beck,  1757. 
V.  Germaniœ  historici  illustres  ah 
imperatore  Henrico  IF  usque  ad 
annuTii  i4oo,  Francfort,  i585  ,  1 
tom.  in-fol.  ;  reproduits  en  1670. 
Cette  collection  est  très-rare.  Wurs- 
teisen a  laissé  quelques  ouvrages  ma- 
nuscrits qui  sont  conservés  par  ses 
descendants,  et  parmi  lesquels  on 
distingue  ses  Rhapsodiœ  rerum  va- 
riarum ,  imprbnis  vero  Basdien- 
sium,  etc.  Voy.  \çsAthenœ  Rauricœ, 
34-35  ;  le  Florilegiumlibrorum  ra- 
riorumàe  Dan.  Gerdes,  page  362; 
la  Bibliothèque  de  l'histoire  de 
Suisse  par  Hallcr,  tom.  iv,  n^s, 
257  et  743-749,  et  la  Fie  d'Urs- 
titius  par  J.-Chr.  Iselin,  dans  le 
Muséum  Helveticum ,  vu ,  4  29-  52. 
W— s. 
WURTEMBERG  (  Émeric  IÏI 
DE  )  est  le  premier  comte  de  Wur- 
temberg ,  dont  l'histoire  fasse  une 
mention  authentique.  Cependant  les 
généalogistes  allemands  ,  et  ,  à  leur 
exemple ,  presque  tous  ceux  qui  se 
sont  occupés  de  la  descendance  des 
princes  de  Wurtemberg,  s'accordent 
à  faire  remonter  son  origine  à  un 
ÉmericT  ,  parent  ou  plutôt  allié  du 
roi  franc  Ghlot-Wich  par  sa  femme 
Clotilde ,  maire  (  major  domûs  )  de 
son  palais  et  général  dans  les  armées 
marwingiennes.  Il  assista  avec  le 
monarque  barbare  aux  batailles  de 
Tolbiac  et  de  Waiblingen ,  contri- 
bua puissamment,  par  son  intrépidité, 
à  la  déroute  des  All-Manns ,  et  reçut 
en  récompense  les  terres  où  furent 
bâlis  dans  la  suite  les  châteaux  de 
Wurtemberg  et  de  Beutdsbach ,  avec 
le  titre  de  gouverneur  des  pays  cir- 
convoisins.  C'est  même  à  lui  que 
l'on  attribue  généralement  la  fonda- 


WUR 

tioii  de  la  seconde  de  ces  résidences. 
Parmi  ses  premiers  descendants  fi- 
gurent Émeric  II  ,  maire  du  palais 
d'Austrai^ie,  sous  le  roi  Dagobert  ï^' ., 
fondateur  de  l'église  seigneuriale  de 
Beutelsbacli  ,  oii  furent  long- temps 
enterres  les  comtes  de  Wurtemberg, 
et  Albert  l'^i".,  un  des  plus  vaillants  gé- 
néraux de  Pépin- le  Bref.  Ce  dernier 
fut  encore  chargé  de  plusieurs  di- 
gnités importantes.  On  ignore  s'il 
survécut  long-temps  à  l'usurpation 
de  la  race  des  Héristall  ,  sur  les  en- 
fants dégénérés  de  Ghiot-Wich  ;  mais 
on  sait  qu'il  fut  témoin  et  sans  doute 
complice  de  celte  révolution.  Éber- 
bardl^i'. ,  son  fils,  succéda  à  tousses 
emplois  sous  Pépin  et  sous  Cbarle- 
magnc  ;  rendit  de  grands  services 
au  dernier  pendant  les  six  guerres 
de  Saxe ,  et  principalement  dans  la 
campagne  de  7^5;  conclut,  au  nom 
de  l'empereur,  un  traité  de  paix  et 
d'alliance  à  Ratisbonne,  avec  le  duc 
de  Bavière ,  Tassillon  II ,  et  reçut 
en  récompense ,  avec  le  titre  de  com- 
te et  une  augmentation  de  territoire, 
la  main  d'une  des  filles  de  Charles. 
Il  mourut  en  8i  i  ,  et  fut  enterré  à 
Saint- Denis,  où  l'on  a  cru  trouver 
sculptées,  sur  les  pierres  funéraires, 
les  armoiries  de  lamaison  deWurtem- 
berg.Ulric  I*^i'.,  son  arrière-petit- (ils, 
succéda  ,à  ce  qu'il  paraît,  à  son  frè- 
re aîné Éberhard  III ,  vers  l'an  9*20 , 
et  joignit  au  double  titre  de  comte  de 
Wurtemberg  et  de  comte  palatin  de 
Paris  le  majorât  dupalais  de  Charles- 
le-Simple.  11  se  rendit  ensuite  en  Italie 
auprès  de  Béranger ,  à  la  fortune  du- 
quel il  s'était  attaché, et  dont  il  était 
regardé  comme  un  des  plus  habiles  ca- 
pitaines. Mais  la  tyrannie  qu'affectait 
ce  vieux  souverain  lui  déplut,  et  il 
s'unit  avec  ses  ennemis,  lorsqu'ils  lui 
opposèrent  un  cinquième  compéti- 
teur dans  la  personne  de  Rodolphe  II, 


WUR  269 

roi  de  la  Bourgogne  transjuraue.  Les 
historiens  le  font  mourir  dans  une 
rencontre  aux  environs  de  Bresse  ; 
mais  ils  diffèrent  sur  la  date  de  cet 
événement,  qu'ils  placent  les  uns  en 
gi3 ,  les  autres  en  93 1 .  Cette  incerti- 
tude, d'autant  plus  étonnante  que  la 
mort  de  Béranger  se  trouve  entre  les 
deux  époques  contestées ,  empêche 
de  fixer  avec  exactitude  en  quel  temps 
Emeric  III  commença  à  porter  le  nom 
de  comte  de  Wurtemberg.  Ce  der- 
nier était  neveu  d'Ulric  ,  et  fils  aîné 
d'Ebcrhard  llï.  Général  actif  et  ha- 
bile ,  il  se  distingua  ,  comme  ses  an- 
cêtres ,  par  son  courage  et  ses  talents, 
dans  les  guerres  que  l'Allemagne  eut 
à  soutenir  contre  les  Hongrois  ,  leva, 
à  ses  frais ,  un  corps  de  quatre  mille 
Souabes  avec  lesquels  il  combattit  à 
la  journée  de  Merscbourg,  et  fut 
proclamé,  par  Henri  l'Oiseleur,  un 
des  héros  de  la  campagne.  Ce  prince 
lui  donna  en  outre  le  comté  de  Gro- 
ningue ,  et  lui  permit  de  prendre  le 
titre  de  baron  (  Freyherr  )  de  Beu- 
tclsbach.  Émeric  vivait  encore  en 
938.  — Conrad  II,  bis-arrière-petit- 
fils  du  précédent,  n'obtint  d'abord 
qu'une  modique  partie  de  l'héritage 
de  son  père  Albert  II  ,  et  eut  de  la 
peine  à  se  garantir  des  embûches  que 
lui  dressaient  ses  quatre  frères.  Mais 
bientôt  ses  exploits  et  sa  fidélité  à  la 
cause  de  l'empereur  Henri  IV  réle- 
vèrent au  premier  rang  dans  la  fa- 
veur de  ce  monarque,  qui  îe  combla 
d'honneurs  et  de  marques  d'attache- 
ment. Conrad  agrandit  considérable- 
ment ses  domaines  ,  réunit  dans  sa 
maison  les  trois  comtés  de  Wurtem- 
berg ,  de  Lowenstein  et  de  Beutels- 
bach ,  devint  le  seigneur  le  plus  riche 
et  le  plus  puissant  de  toute  la  Souabe, 
et  fut ,  selon  quelques  écrivains ,  le 
premier  de  sa  famille  à  qui  l'empire 
accorda  la  qualification  et  les  préro- 


270 


WUR 


gatives  de  prince.  11  gouverna  ses 
sujets  avec  beaucoup  de  sagesse ,  et 
mourut  en  i  i'2i  ,  dans  un  âge  très- 
avance,  laissant  quatre  iils,  dont 
l'un  ,  Henri  II ,  continua  la  branche 
régnante  de  Wurtemberg.  —  Éber- 
HARD  V,  bis -arrière -petit -fils  de 
Conrad ,  succéda  avec  son  frère 
Ulric  ,  à  son  père  Henri  III 
de  Wurtemberg  ,  en  1226  ,  et  tous 
deux  eurent  pour  tuteur  le  comte 
Hartmann  II  de  Groningue ,  leur 
cousin ,  qui ,  dans  la  gestion  des  biens 
de  ses  jeunes  parents  ,  songea  bien 
moins  aux  intérêts  de  ses  pupilles 
qu'aux  siens  propres  ,  et  se  rendit 
coupable  de  plus  d'une  infidélité. 
Cependant  Ulric  mourut  avant  d'a- 
voir atteint  sa  majorité,  etÉberliard 
resta  seul  héritier  des  domaines  de 
Wurtemberg.  Devenu  en  état  de 
les  gouverner  ,  il  ôta  au  comte 
Hartmann  toute  participation  aux 
affaires  ;  puis  il  chercha  à  con- 
solider son  autorité  par  de  nouvel- 
les acquisitions  ,  et  continua  d'aug- 
menter la  puissance  de  sa  famille  , 
tant  par  des  alliances,  que  par  la 
guerre.  Son  mariage  avec  la  duchesse 
Agnès  de  Zàhringen ,  comtesse  douai- 
rière d'Urach ,  porta  celte  seigneurie 
dans  sa  maison.  Il  mourut  en  l'iSS  , 
au  commencement  du  grand  interrè- 
gne. Il  eut  pour  successeur  son  fils  ^ 
Ulric  V,  ou  Ulric  I^i". ,  dont  l'article 
suit. — Ulric  I*^^.  (ou  ,  selon  ceux  qui 
mettent  au  nombre  des  priRces  ré- 
gnants de  Wurtemberg  tous  les  aïeux 
de  celui-ci,  Ulric  V),  surnommé  vul- 
gairement au  gros  pouce  (  mit  dem 
Daumen)  ou  selon  quelques-uns  le 
fondateur^  s'intitula  le  premier  com- 
te par  la  grâce  de  Dieu ,  et  fut  re- 
connu à  la  cour  impériale  ,  dans  la 
diète  et  les  règlements  ,  prince  im- 
médiat de  l'Empire.  C'est  de  cette 
époque  que  date  la   véritable  exis- 


WUR 

tence  politique  du  comté  de  Wur- 
temberg. Le  duché  de  Souabe  avait 
échappé  aux  mains  défaillantes  des 
HohenstaulTen  ,  dont  le  dernier  re- 
jeton ,    l'infortuné   Conradin ,    alla 
périra  Nap les  sur  unéchafaud.  Avant 
ce  tragique  événement,  Ulric  avait 
obtenu  du  jeune  prince  les  titres  de 
bailli  de  la  ville  d'Ulm  ,etde  grand- 
maréchal  de  Souabe;  etRichard  d'An- 
gleterre^ pendant  le  cours  de  sa  puis- 
sance  éphémère,  et  à  une  de  ces 
courtes  apparitions  qu'il  faisait  de 
temps  à  autre  au  milieu  du  chaos  de 
la  monarchie  germanique  ,  lui  avait 
accordé  l'inféodation  du  comté  d'U- 
rach. Ulric  ne  se  distingua  pas  moins 
par  la  douceur  et  la  sagesse  de  son 
gouvernement  intérieur ,  que  par  son 
habileté  et  son  adresse  dans  ses  rela- 
tions avec  les  autres  parties  de  l'em- 
pire. Il  mourut  le  25  février  1265. 
Il  avait  épousé  une  Polonaise ,  Agnès , 
duchesse  de  Lignitz ,  issue  du  sang 
royal  des  Piast ,  et  en  avait  eu  deux 
fils  ,   Ulric  et  Éberhard.  —  Éber- 
HARD  1^1'.  (  ou  Éberhard  IV  )  ,  sur- 
nommé V Illustre,  à  cause  de  la  haute 
naissance  de  sa  mère^,  était  encore 
fort  jeune  lorsqu'il  succéda  à   son 
père  Ulric  1*^^'.  ;  conjointement  avec 
son  frère  Ulric  II  (autrement  Ulric 
VI  ).    Il    entreprit    de   tirer  ven- 
geance   du    comte    de  Groningue  , 
et,  malgré  la  réputation  de  bravoure 
dont  ce  prince  jouissait  à  juste  titre, 
il  lui  déclara  la  guerre  ,  força  ses 
châteaux ,  s'empara  de  sa  personne, 
et  l'enferma  dans  les  prisons  d'As- 
perg.  Il  fit  aussi  la  guerre  à  plusieurs 
princes  de  l'empire  ,  et  même  à  Ro- 
dolphe  de  Hapsbourg  ,    ainsi    qu'à 
deux  de  ses  successeurs,  Adolphe  de 
Nassau   et  Henri  de  Luxembourg  ; 
mais  les  succès  furent  partagés  ^  sur- 
tout pendant  la  troisième  de  ces  guer- 
res; deux  fois  le  célèbre  Conrad  de 


WUR 

Weinsberg  mit  tout  à  feu  et  à  sang 
dans  le  Wurtemberg  ;  et  Éberhard  , 
auquel  il  avait  dispute  la  couronne 
impériale  à  la  diète  de  Francfort, 
eut  à  trembler  pour  l'intégrité  de  ses 
domaines  5  il  avait  trouve  un  moyen 
plus  assure  de  les  agrandir  dans  son 
e'conomie  et  son  esprit  d'ordre  ,  qui 
lui  permirent  d'amasser  des  sommes 
considérables  avec  lesquelles  il  acheta 
un  grand  nombre  de  villes,  de  bourgs^ 
de  forts,  de  châteaux,  de  seigneuries 
et  de  prérogatives  domaniales.  Éber- 
hard survécut  douze  ans  à  son  com- 
pétiteur, et  mourut  le  5  juin  iSiS  , 
après  un  règne  de  plus  de  soixante 
ans.  Il  eut  pour  successeur  Ulric  III 
(  ou  VIII  ).— Éberhard  II  (ou  VU), 
surnommé  le  Querelleur,  succéda, 
en  i344?  à  son  père  Ulric  III  ,  à 
l'âge  de  trente-un  ans  ,  et  régna  près 
d'un  demi-siècle.  Ulric  IV,  son  frère, 
partagea  avec  lui  le  gouvernement 
jusqu'en  i366  _,  époque  à  laquelle  il 
mourut  sans  postérité.  Ce  fut  alors 
surtout  qu'Éberhard  se  rendit  illustre 
et  redoutable  par  ses  exploits.  Sa  ré- 
putation militaire  rassemblait  autour 
de  lui  les  plus  braves  guerriers  et 
l'élite  de  la  noblesse  allemande  j  c'é- 
tait l'époque  à  laquelle  la  ligue  an- 
séatique  commençait  à  prendre  un 
grand  développement ,  et  à  comp- 
ter parmi  les  puissances.  L'activité 
égoïste  de  Charles  IV,  et  bientôt  l'in- 
dolence non  moins  funeste  de  Vences- 
las,  répandirent  dans  toute  l'Allema- 
gne des  principes  d'indépendance 
dont  généralement  les  villes  libres  ou 
impériales  étaient  le  foyer,  et  dont  les 
princes  se  déclaraient  les  antagonistes. 
Éberhard  se  dévoua  à  la  cause  des 
premiers  et  devint  la  terreur  de 
toutes  les  villes  anséatiques.La  Soua- 
be  et  la  Franconie  ayant  songé  à 
former  avec  la  Suisse ,  qui  venait  de 
conquérir  sa  liberté ,  une  fédération 


WUR 


27 


républicaine ,  il  anéantit  leurs  projets 
et  leurs  espérances  à  la  bataille  de 
Doffingen.  11  fut  aussi  chargé  de  plu- 
sieurs commissions  militaires  à  exé- 
cuter contre  l'électeur  palatin  ,  et 
contre  les  villes  d'Augsbourg  et  d'Ess- 
ling,  et  revint  triomphant  de  chacune 
de  ces  expéditions. Une  fois  seulement 
il  fut  vaincu  à  Reutlingen  (  iS-j-^  )  ; 
mais  il  prit  bien  sa  revanche  à  la 
sanglante  bataille  de  Wcil  ,  où  il 
écrasa  l'armée  combinée  des  villes 
impériales.  Cependant  cette  victoire 
lui  coûta  cher,  et  il  eut  la  douleur 
de  perdre  dans  le  combat  son  fils 
unique,  Ulric,  qui  donnait  les  plus 
belles  espérances.  Quoique  perpé- 
tuellement occupé  de  guerres  soit 
pour  lui,  soit  pour  les  empereurs 
d'Allemagne,  Éberhard  suivit  les  tra- 
ces de  son  aïeul ,  en  ne  cessant  d'a- 
cheter des  forts ,  des  villes  et  des 
domaines.  Le  Wurtemberg  devenait, 
de  jour  en  jour,  tant  par  son  étendue 
que  par  le  caractère  de  ses  posses- 
seurs ,  une  des  principautés  les  plus 
importantes  du  corps  féodal  ger- 
manique. Venceslas  donna  au  comte 
en  récompense  de  ses  services  vingt- 
quatre  villes  impériales  de  la  Souabe; 
Sophie  de  Wurtemberg  ,  sa  fille  , 
épousa  le  prince  Louis  de  Lorraine , 
et  son  fils  Ulric  ,  marié  à  Elisabeth 
de  Bavière,  était  gendre  de  l'empe- 
reur Louis  V.  Éberhard  II  mourut , 
âgé  de  quatre- vingts  ans,  le  i5  mars 
iSgS  ,  et  laissa  le  trône  à  Éberhard 
III ,  le  Débonnaire  {der  Milde) ,  son 
petit-fils  ,  qui  mérita  par  sa  justice^ 
son  amour  pour  les  sciences  et  sa 
piété ,  les  surnoms  de  Nunia  et  de 
Salomoji  de  son  siècle.  Cependant 
le  commencement  de  son  règne  fut 
troublé  par  la  révolte  de  ses  nobles. 
Mais  le  paciOque  suzerain  leur  mon- 
tra ,  à  la  bataille  de  Heisheim ,  qu'il 
savait  aussi  manier  IV'pp'e,  et  les  coU' 


272  WUR 

traignit  de  rentrer  dans  le  devoir.  Il 
ajouta  beaucoup  à  ses  états  lie'- 
réditaires ,  appela  auprès  de  lui  les 
plus  sages  conseillers ,  devint  ,  par 
sa  réputation  d'equite,  l'arbitre  de 
ses  voisins  qui  eurent  recours  à  lui 
dans  leurs  contestations,  et  rendit  sa 
cour  une  des  plus  brillantes  de  l'Al- 
lemagne. Lors  de  la  de'position  de 
Venceslas ,  en  i4oi  ,  plusieurs  élec- 
teurs le  portèrent  à  la  candidature  de 
la  couronne  impériale  ;  mais  il  fît 
lui-même  peu  d'elïbrts  pour  seconder 
cette  proposition  qui  ne  réussit  pas. 
Il  fut  un  des  princes  allemands  qui 
se  rendirent ,  en  1 4  '  4  5  ^lu  concile 
de  Constance,  et  mourut  trois  ans 
après  ,  le  1 3  mai  \l\\.'].  —  Ulric  V 
(  ou  XI  ) ,  dit  le  Bien- Aimé j  deuxiè- 
me fils  d'Éberhard  IV  ;  et  petit- 
fils  d'Éberliard  III ,  était  en  bas-âge 
à  la  mort  de  son  frère ,  en  1 444  ■>  <^t 
sembla  d'abord  devoir  rester  sans 
apanage.  Cependant  la  grandeur  de 
rhéritagepalerncl  etles  sollicitations 
de  sa  mère  Henriette  de  Montbeîiard, 
qui  avait  apporte'  dans  la  maison  de 
Wurtemberg  le  comte  de  ce  nom,  en 
décidèrent  autrement.  Louis  l^"^. ,  son 
frère  aine' ,  consentit  à  partager  son 
patrimoine,  et  lui  laissa  la  liberté  de 
choisir.  Ulric  se  détermina  pour  le 
Bas-Wurtemberg,  laissa  à  son  frère, 
avec  le  reste  de  ce  pays ,  le  comte  de 
IMontbeliard  ,  et  fixa  sa  résidence  à 
Stuttgard.  Alors  la  maison  de  Wur- 
temberg se  divisa  en  deux  bran- 
ches ,  celle  de  Stuttgard  et  celle 
d'Urach  ou  Aurach.  Mais  celle-ci 
s'arrêta  dès  la  seconde  génération  , 
tandis  que  l'autre  devint  ducale ,  et 
donna  naissance  à  plusieurs  rameaux 
secondaires.  Ulric  possédait  la  plu- 
part des  qualités  qui  peuvent  rendre 
un  peuple  heureux  ,  et  qui  concilient 
à  un  prince  l'amour  de  ses  sujets.  Il 
s'appliqua  surtout    à  faire  fleurir  , 


WUR 

dans  sa  principauté,  les  arts  et  la 
paix  ,  encouragea  le  commerce,  ré- 
forma plusieurs  abus  ,  et  embellit  sa 
capitale.  C'est  à  lui  surtout  que  wStutt- 
gard  fut  redevable  de  son  accroisse- 
ment de  grandeur  et  de  puissance. 
C'est  aussi  Ulric  qui  donna  le  pre- 
mier aux  députés  des  villes  et  de  la 
bourgeoisie  entrée  dans  les  états. 
Malheureusement  les  guerres  civiles, 
qui  faisaient  de  l'Allemagne  le  théâ- 
tre des  tragédies  les  plus  compli- 
quées comme  les  plus  sanglantes  ,  ne 
pouvaient  permettre  à  un  seul  des 
vassaux  de  l'empire  la  tranquillité 
et  la  paix.  L'électeur  palatin  Fré- 
déric s'étant  déclaré  le  champion  de 
Thierri  ,  archevêque  de  Maïence  ^ 
déposé  par  le  pape,  et  vigoureuse- 
ment attaqué  par  l'évêque  de  Metz  et 
le  margrave  de  Bade  ,  l'inepte  et  bi- 
zarre successeur  des  Venceslas  ,  des 
Sigismond  ,  des  Albert  d'Autriche , 
Frédéric  IV,  arracha  le  paisible  Ul- 
ric au  soin  de  ses  états  pour  l'en- 
voyer faire  la  guerre  sur  les  bords 
du  Rhin. On  sait  comment  se  termina 
cette  expédition  ;  le  puissant  électeur 
pulvérisa  ses  ennemis  à  la  bataille 
de  Seickeinheim  (  i46^  ) ,  qui  lui  va- 
lut le  surnom  de  Victorieux  ,  et , 
tandis  que  le  roi  des  Romains  s'oc- 
cupait de  calculs  astrologiques  et  de 
pierre  philosophale ,  les  trois  princes 
confédérés  tombaient  au  pouvoir  de 
l'armée  palatine  triomphante.  Ce- 
pendant la  captivité  d'Ulric  ne  fut 
pas  de  longue  durée;  et,  quoique  le 
vainqueur ,  mis  au  ban  de  l'empire, 
ne  s'inquiétât  pas  beaucoup  d'une 
sentence  que  personne  ne  se  présen- 
tait pour  exécuter,  il  rendit  la  liber- 
té au  comte  moyennant  une  somme 
de  cent  raille  florins.  Dans  la  suite 
Ulric  alla  en  Bavière  avec  l'armée 
impériale  dans  laquelle  il  avait  le 
titre  de  porte -guidon  de  l'empire. 


WUR 

Frédéric  lui  offrit  même  de  le  nom 
mer  duc  ;  mais  il  refusa  ,  prëtendaii 
que  comme  prince,  il  était  au-dessus 
(le  la  dignité  ducale,  et  que  cette  éle'- 
vation  prétendue  ne  servirait  qu'à  le 
rabaisser  dans  l'opinion  de  ses  sujets 
et  de  l'Allemagne.  Nous  verrons  que 
ses  successeurs  ne  pensèrent  pas  de 
même.  Ulric  mourut  le  i^^'.  septem- 
bre i48o_,  laissant  d'Elisabeth  de 
Bavière,  sa  seconde  femme,  deux  fils 
qui  succédèrent  à  ses  étals  et  à  ceux 
de  son  frère  Louis.  P — ot. 

WURTEMBERG  (  Éeerhard 
I*^»'. ,  selon  d'autres  Éberhard  IV  ou 
Ébekhard  IX,  duc  de)  ,  le  premier 
qui  ait  porlé  ce  titre  ,  naquit  à  Stutt- 
gard,  le  1 1  décembre  i445  ,  de 
Louis  I^i".  et  de  Mathilde  de  Bavière  ; 
mais  comme  il  n'était  que  ie  deuxiè- 
me fruit  de  ce  mariage ,  il  ne  succéda 
pas  immédiatement  à  son  pèie.  Ce- 
pendant Louis  II  ,  son  frère  ,  étant 
mort  en  14^9,  après  avoir  porté 
sept  ans  le  titre  de  comte,  Éberhard 
en  fut  investi  ,  quoiqu'il  entrât  à 
peine  dans  l'adolescence ,  et  gouver- 
na sous  la  tutelle  de  sa  mère.  La 
douceur,  la  justice  et  le  bon  ordre 
de  son  administration  le  rendirent 
l'idole  de  ses  sujets.  On  disait  en 
Allemagne  qu'Éberhard  pouvait  dor- 
mir en  sûreté  dans  la  plus  épaisse 
forêt  de  ses  domaines  et  sur  les  ge- 
noux de  son  ennemi  le  plus  achar- 
né. Onze  ans  après  sou  avènement , 
il  alla,  selon  un  usage  qui  n'était  pas 
encore  tombé  en  désuétude  ,  visiter 
la  Palestine  ,  et  fut  créé  ,  à  Jérusa- 
lem, chevalier  du  Saint-Sépulcre.  Il 
eut  aussi  le  titre  de  porte-guidon  de 
l'armée  impériale;  mai.s  il  ne  Or  point 
la  guerre.Les  progrès  des  études  scien- 
tifiques et  littéraires  ,qui  alors  com- 
mençaient à  se  ranimer,  l'occupèrent 
plus  utilement.  Disciple  ,  pendant  sa 
première  jeunesse,  du  célèbre  André 

LT. 


WUR 


273 


Nauclerus  ,  il  avait  puisé  dans  ses 
relations  avec  ce  savant  !c  goût  des 
lettres  qui  ne  l'abandonna  jamais.  Il 
appela  dans  ses  états  les  philologues, 
les  théologiens   et  les  jurisconsultes 
les  plus  illustres  ,  et  fonda  ,  en  i477  » 
l'université  de  ïubingue.  L'état  de  la 
religion  fixa  aussi  son  attention  :  les 
doctrines  de  Wiclef,  de  Jean  Huss, 
et  des  fanatiques  ,  leurs  successeurs  , 
avaient  déjà  porté  leur  fruit  :  et  le 
mouvement  intellectuel ,  créé  par  la 
fuite  de  la  littérature  constantinopo- 
lilaine  dans  l'Occident,  donnait  de 
violentes  secousses  aux  dogmes.  Loin 
d'être  en  tout  favorable    aux  prin- 
cipes de  l'Église  romaine  ,  Éberhard 
se  distinguait  parmi  les  princes  qui 
demandaient  une  réforme  totale  ;  et, 
en  attendant  l'instant  de  celte  grande 
révolution  ,i!  sécularisa,  de  sa  plei- 
ne autorité,  plusieurs  monastères.  Il 
fit  de  plus  divers  règlements  pour 
l'administration  de  ses  domaines,  et 
du  consentement  de  la  branche  colla- 
térale de  Stuttgard  ,  étabht  dans  sa 
famille  le   droit   de    primogéniture. 
Ces  institutions  et  ces  travaux  répan- 
dirent dans  toute  la    Germanie  le 
nom  d'Éberhard ,  et  lui  procurèrent 
une  grande  influence.  Il  s'en  servit 
en  1488,  pour  mettre  un  terme  à  la 
captivité  de  l'empereur  Maximilien 
qu'avaientarrêtéou  plutôtcerné  dans 
Bruges  les   Flamands  irrités  de   sa 
profusion  et  de  l'augmenlalion  con- 
tinuelle des  impôts.  Celui-ci  le  ré- 
compensa en  le  faisant  déclarer  à  la 
diète  de  Worms,  le  21  juillet  149^7 
duc  dcWurtemberg  et  de  Teck.  Éber- 
hard mourut  sept  mois  après  celte 
déclaration,  le  24  février  i^gOy  sans 
laisser  de  postérité. Éberhard  II  (ou 
V  ou  X  ) ,  fils  d'Ulric  le  Bien-Aimé, 
et  son  cousin,  lui  succéda.  P — ox. 

WURTEMBERG  (  Ulric,  et  se- 
lon quelques-uns  Ulric  II  ou  même 

j8 


274  WUR 

XII ,  duc  DE  ),  fils  aînc  de  Henri  1^-.  ^ 
coadjutcur  de  Maïcnce ,  et  comte  de 
Montbëliard,  mort  fou  en  lôrg, 
et  d'Elisabeth  de  Bilsch ,  comtesse 
de  Deux-Ponts  ,  naquit  le  5  février 
1487.  Il  n'était  encore  âge  que,  de 
onze  ans  lorsque  les  états  de  Wur- 
temberg ,  mécontents  de  la  prodiga- 
lité et  de  la  nonclialance  d'Éberliard 
II,  son  oncle,  forcèrent  celui-ci 
d'abdiquer  en  faveur  de  son  ne- 
veu. Une  administration  organisée 
d'avance  devait  gouverner  sous  son 
nom,  et  gouverna  eiïectivement  pen- 
dant trois  années  consécutives  (1498- 
i5oi  ).  Au  bout  de  ce  temps,  Ul- 
ric  déjà  distingué  par  son  habileté 
dans  les  exercices  militaires ,  et  mê- 
me ,  s'il  faut  en  croire  aveuglément 
le  diplôme  impérial,  aussi  remar- 
quable par  la  maturité  de  son  juge- 
ment que  par  la  vivacité  de  son  es- 
prit ,  obtint  de  la  bienveillance  de 
l'empereur  une  émancipation  préma- 
turée ,  et  reçut  l'investiture  des  do- 
maines de  son  oncle.  Trois  ans  après, 
il  épousa  Sabine  de  Bavière,  nièce 
de  Maximilien  et  sœur  d'Albert-le- 
Sage.  I/empereur  et  les  ducs  de  Ba- 
vière étaient  alors  en  guerre  avec 
rélecteur  palatin,  Philippe  l'Ingénu, 
relativement  à  la  succession  de  Geor- 
ge ,  duc  de  Bavière-Landshut ,  mort 
sans  postérité  en  i453.  Philippe 
voulait  en  assurer  la  possession  à  ses 
petits-fils  ;  mais  bientôt  il  vit  les 
troupes  impériales  avec  de  nombreux 
alliés  envahir  et  dévaster  son  électo- 
rat  ;  lui  -  même  ,  bloqué  dans  Hei- 
delbcrg,  fut  obligé  de  se  rendre;  et 
les  états  de  la  maison  palatine  dé- 
membrés en  partie  ,  devinrent  le 
prix  ou  l'indemnité  de  ses  vain- 
queurs. Ulric  ,  qui  s'était  signalé 
dans  cette  guerre,  enrichit  sa  famille 
du  comté  de  Lœwenstein  et  des  villes 
de  Neuenstall,  de  Weinsberg,   de 


WUR 

Meckmuhl ,  etc. ,  et  de  plus  se  fit 
rembourser  en  partie  par  l'électeur 
dépouillé  les  frais  de  la  guerre. 
Maximilien  lui  confia  ensuite  le  com- 
mandement de  l'armée  qu'il  envoya 
contre  la  république  de  Venise,  lors- 
qu'il mit  le  doge  et  le  sénat  au  ban 
de  l'empire  pour  lui  avoir  refusé  le 
passage. Peu  après,  les  hostilités  dix 
fois  reprises  et  dix  fois  suspendues 
avec  la  France  ayant  recommencé 
avec  plus  de  vigueur,  Ulric  marcha 
encore  à  la  tête  des  forces  impéria- 
les, entama  la  Boui^gogne  et  mit  le 
siège  devant  Dijon  ,  que  son  intrépi- 
dité et  sa  persévérance  ne  purent 
néanmoins  contraindre  à  se  rendre 
(i5i3).  Deux  ans  après,  il  se  trou- 
va à  Vienne,  avec  un  cortège  consi- 
dérable à  la  conférence  des  rois  Si- 
gismondI<^^  de  Pologne;,  et  Ladislas 
de  Hongrie  ,  avec  l'empereur  ,  con- 
férence dans  laquelle  on  stipula,  outre 
les  mariages  des  princes  autrichiens 
avec  les  lillcs  des  deux  monarqiieS;,  la 
réversibilité  des  trois  couronnes  de 
Pologne,  de  Bohême  et  de  Hongrie, 
à  l'Autriche  en  cas  de  déshérence. 
Pendant  qu'au  dehors  la  maison  de 
Wurtemberg  prenait  ainsi  des  ac- 
croissements considérables ,  et  parve- 
nait au  plus  haut  degré  de  prospérité, 
l'intérieur  présentait  un  spectacle  af- 
fligeant. Aux  talents  de  l'homme  de 
guerre  Ulric  joignait  les  défauts  que 
l'on  reproche  trop  souvent  aux  con- 
quérants. Des  tournois ,  des  chasses 
brillantes  absorbaient  une  partie  de 
ses  revenus  j  les  frais  des  guerres 
qu'il  soutenait  exigeaient  à  chaque 
instant  d'onéreuses  dépenses  :  bien- 
tôt ses  dettes  furent  énormes;  les 
impôts  augmentèrent.  On  murmura  ; 
les  paysans  se  soulevèrent  à  Scliorn- 
dorif  et  dans  la  vallée  du  Rems;  et 
bientôt  peut-être  l'esprit  de  révolte 
aurait  armé  toute  la  population ,  si 


WUR 

les  ëlats  du  pays ,  rassembles  à  Tu- 
bingiie,  n'eussent  mis  un  terme  au 
de'sordre  en  faisant  signer  au  duc  un 
traite  par  lequel  il  diminuait  les  im- 
pôts et  pardonnait  aux  agitateurs.  A 
peine  Ulric  eut-il  vu  la  tranquillité 
rétablie,  qu'il  se  hâta  de  la  troubler 
de  nouveau.  Des  dissipations  ,  des 
prodigalités  continuelles  décréditè- 
rent son  gouvernement.  Des  dissen- 
sions domestiques  se  joignirent  à  ces 
ferments  de  discorde  et  achevèrent 
la  ruine  du  prince.  Un  comte  Jean 
de  Hutten  passait  pour  être  le  favori 
de  sa  femme  :  il  le  poignarda  de  sa 
main.  La  famille  porta  ses  plaintes 
aux  pieds  de  l'empereur  ,  et  Sabine, 
irritée ,  pressa  en  secret  ses  parents 
de  tirer  vengeance  d'un  prince  dont 
la  jalousie  déshonorait  son  épouse. 
Maximilien  cita  le  duc  ;  et ,  comme 
il  refusait  de  comparaître  ,  il  le 
mit  au  ban  de  l'empire.  La  mort 
de  cet  empereur ,  arrivée  peu  de 
temps  après ,  l'empccha  de  pousser 
plus  loin  la  vengeance  et  de  mettre 
ses  menaces  à  exécution.  L'affaire 
aurait  peut-être  été  oubliée  ou  plutôt 
négligée  au  milieu  de  la  confusion 
d'une  diète  électorale  et  des  mouve- 
ments qui  la  suivent  ,  si  Ulric  n'eût 
imprudemment  voulu  venger  la  mort 
d'un  de  ses  domestiques  assassiné  à 
Reutlingen.  11  fit  marcher  des  trou- 
pes sur  cette  ville.  Aussitôt  tout  fut 
en  armes  ;  et,  dans  cette  conflagration 
universelle,les  Wurtembergeois  ayant 
invoqué  le  secours  ou  la  médiation 
des  états  de  Souabe  ,  dont  le  duc  de 
Bavièrftétait  le  chef,  ceux-ci  se  réuni- 
rent ,  de  l'aveu  du  nouvel  empereur 
(  Cliarles-Quint  ),  et  non  -  seulement 
ils  délivrèrent  Reuilinoen^  mais  ils 
pénétrèrent  dans  le  Wurtemberg  , 
qu'ils  traversèrent  en  tous  sens  ,  sans 
trouver  de  résistance;  caries  Suisses, 
avec  lesquels  Ulric  avait  fait  alliance, 


WUR  275 

refusèrent  de  le  secourir  dans  cette 
cause  ,  et  de  prendre  les  armes  con- 
tre les  Souabes.  Comme  tous  les  al- 
liés occupants,  ils  dévastèrent  le  pays 
qu'ils  venaient  pacifier  ;  et  Ulric  n'eut 
d'autre  parti  à  prendre  que  celui 
d'abandonner  ses  états  et  de  fuir. 
Il  resta  ainsi  quinze  ans  entiers  en 
exil ,  tantôt  dans  la  liesse ,  tantôt  en 
Saxe  ou  dans  le  duché  de  Bruns- 
v\àck.  Pendant  ce  temps ,  la  ligue  de 
Souabe ,  embarrassée  de  sa  conquête 
et  redoutant  l'ambition  de  Charles- 
Quint  ,  lui  vendit  le  duché  deux  cent 
vingt  mille  florins  ,  à  condition  qu'il 
en  investirait  son  frère  Ferdinand. 
Les  troubles  qui  bientôt  divisèrent 
l'Allemagne,  la  guerre  des  paysans  , 
et  le  progrès  des  innovations  de  Lu- 
ther, facilitèrent  les  démarches  d'Ul- 
ric  pour  reprendre  le  Wurtemberg. 
Ayant  reçu  des  secours  de  François 
l*''".  ,  à  la  cour  duquel  il  venait  de 
faire  un  séjour  ,  et  s'étant  ligué  avec 
le  landgrave  de  Hesse,  Philippe-le- 
Magnanime,  il  remporta  ,  le  i3  mai 
1 534  ,  la  victoire  décisive  de  Lauf- 
fen  qui  lui  rouvrit  le  chemin  de  sa 
capitale.  Ses  sujets  ,  déjà  lassés 
d'une  domination  étrangère  ,  et  deux 
fois  accablés  de  tous  les  maux  de 
la  guerre,  le  reçurent  avec  joie  jet 
l'empereur,  assez  fortement  occupé 
ailleurs  par  la  France ,  l'Italie ,  l'Al- 
lemagne ,  les  Pays-Bas  et  Luther, 
consentit ,  par  le  traité  de  Cadam  , 
à  rendre  au  duc  vainqueur  ses  do- 
maines héréditaires  ,  à  condition 
néanmoins  que  le  Wurtemberg ,  au 
lieu  d'être  regardé  comme  un  fief 
immédiat  de  l'empire  ,  relèverait  de 
l'Autriche ,  et,  dans  le  cas  d'extinc- 
tion de  la  famille  ducale ,  reviendrait 
à  la  maison  de  Lorraine.  Cette  clause 
humiliante  subsista  soixante-cinq  ans, 
jusqu'à  ce  qu'enfin  l'accord  de  Pra- 
gue ,  consenti  eu  iSgg  parl'empe- 
18.. 


276 


renr  Rodolphe  II  cii  faveur  du  duc 
Frcdencl»^^.,  substituât  à  la  vavassa- 
litc  du  traite  de  Cadam  la  vassalité 
pure  et  simple  ,  telle  quVlle  existait 
auparavant.  A  peine  Uhic  fut  il  re- 
devenu libre  possesseur  de  ses  états, 
qu'il  chercha  ci  y  etabbr  le  protes- 
tantisme dont  il  avait  suce  les  princi- 
pes aux  cours  de  liesse  et  de  Saxe,  et 
qui  d'ailleurs  lui  fournissait  un  moyen 
facile  de  payer  ses  dettes  en  s'empa- 
rant  des  biens  ecclésiastiques.  L'an- 
née  suivante  (  1 535  ) ,  il  prit  part , 
ainsi  que  toutes  les  villes  delà  Soua- 
bé  ,  à  la  célèbre  ligue  de  Smalkalde; 
mais  l'absence  de  plan  ,  et  la  trahi- 
son de  Maurice  de  Saxe ,  ayant  iinl 
échouer  l'entreprise  des  confédérés 
luthériens,  Ulric  vit  le  Wurtemberg 
livré  à  la   férocité  du  terrible  duc 
d'Aibe  ,   et  n'obtint   la  paix  qu'en 
payant  à  l'empereur  une  forte  cou- 
îribulion.  Le  reste  de  son  règne  n'of- 
fre rien  de  mémorable.  Il  mourut, 
îe  G   novembre     i55o,    à    Tubin- 
gue  ,  ne   iais.^ant  de  Sabine  de  Ba- 
vière, sa  femme ,  qu'un  fds  qui  fut 
son  successeur.  —  Christophe,  dit 
le  Pâ;a/ï</ML?,  quatrième  duc  régnant 
dé  Wurtemberg  ,  naquit  le   1 1  mai 
1 5 1 5 ,  quatre  ans  avant  l'exil  de  son 
père,  et  passa  ses  premières  années 
auprès  de  ses  oncles  en  Bavière,  puis 
à  Inspruck ,  où  Tarchidiic  Ferdinand, 
alors  possesseur  du  Wurtemberg,  lui 
lit  donner  l'éducation  qui  convenait 
à   un  simple    particulier.    Charles- 
Quint  l'appela  ensuite  à  Vienne ,  et 
lui  témoigna  cette  bienveillance  polie 
qu'il  savait  si  bien  feindre  à  l'égard 
de  ceux  qu'il  dépouillait.  Mais  la  fi- 
délité de  Tiffern ,  précepteur  du  jeu- 
ne prince,  déjoua  les  plans  de  l'arti- 
ficieux empereur,  qui  déjà  le  faisait 
enlever  et  conduire  en  Espagne  ,  où 
il  aurait  été  jeté  dans  un  monastère. 
Christophe  se  sauva  en  Bavière ,  et 


WUR 

quelque  temps  après ,  à  la  cour  de 
France ,  où  il  se  trouva  avec  son  pè- 
re ,  et  où  il  se  concilia  les  bonnes  grâ- 
ces et  l'estime  de  François  I^^i'.  Aussi 
revint-il  à  Paris,  après  la  bataille  de 
Lauffcn,qui  rendit  îe  Wurtemberg  à 
son  légitime  possesseur  (  i534),  et 
reçut  -  il  du  roi  l'ordre  de  lever  et 
de  conduire  en  Italie  deux  mille  lans- 
quenets ,  pour  renforcer  l'armée  aux 
ordres  du  marquis  d'Ilumières.  Il  as- 
sista aussi ,  en  1 53g ,  à  l'entrevue  du 
pape  Paul  III ,  de  Charles  -  Quint  et 
de  François  I*^''. ,  à  Nice.  Mais  la  ja- 
lousie des  courtisans,  qui  ne  pou- 
vaient pardonner  à  un  étranger  l'ac- 
cueil favorable  qu'il  recevait  de  leur 
maître ,  et  les  désagréments  dont  elle 
fut  pour  lui  l'origine  ,  le  déterminè- 
rent à  quitter  le  service  du  roi  de 
France  •  et  il  retourna  en  Allemagne, 
où  son  père  lui  confia,  en  i54'2, 
l'administration  du  comté  de  Mont- 
béliard.  Huit  ans  après,  il  hérita  de 
tous  les  domaines  de  son  père;  et 
comme  presque  tous  ses  prédéces- 
seurs il  les  augmenta  considérable- 
ment. Mais  son  vrai  titre  de  gloire 
est  d'avoir  rendu  ses  sujets  heureux 
au  milieu  des  circonstances  les  plus 
difïiciles.  Il  se  maintint  en  paix  avec 
ses  voisins  ,  favorisa  les  lettres  , 
donna  de  l'extension  au  commerce, 
bâtit ,  en  1 553  ,  l'ancien  château  de 
Stuttgard,  et  releva  les  murailles 
de  cette  ville,  en  iSô^.  La  sagesse 
connue  de  son  gouvernement  lui  pro- 
cura la  considération  dans  tous  les 
partis.  En  France,  pendant  la  mino- 
rité orageuse  de  Charles  IX,  il  fut 
recherché  également  par  la  reine  Ca- 
therine de  Médicis,par  les  princes  de 
Guise  et  le  prince  de  Condé,  dont  les 
factions  préparaient  les  guerres  civi- 
les qui  bientôt  ensanglantèrent  toutes 
les  provinces.  On  alla  mcme  jusqu'à 
lui  offrir  l'administration  du  royaii- 


WUR 

itie  •  mais  il  eut  la  sagesse  de  la  refu- 
ser ,  et  se  contenta  de  conseiller  la 
réconciliation   et   la    tolérance   aux 
parties  belligérantes.  En  Allemagne, 
il  exerça ,  par  ses  ambassadeurs ,  une 
grande  intîuencesur  la  conclusion  du 
traite  de  Passau  (i552) ,  avant-cou- 
reur de  la  loi  organique  d'Augsbourg, 
qui  fit  de  la  liberté  de  conscience  une 
des   constitutions  de   l'empire.  Du 
reste ,   il   propagea    le    luthéranis- 
me ,  fit  observer  à  la  lettre  la  for- 
mule de  V Intérim  dans  toute  l'éten- 
due de  ses  domaines ,  et  envoya  des 
députés  au  concile  de  Trente,  pour 
faire  le  tableau  de  sou  administra- 
tion, relativement  aux  affaires  reli- 
gieuses. Il  ne  dédaigna  pas  de  des- 
cendre lui-même  dans  la  licethéolo- 
gique,  et  vint,  en  i56i ,  au  colloque 
de  Poissy ,  conférer  avec  le  cardinal 
de  Lorraine.  En  i564?  il  présida  en 
personne  ,   avec    l'électeur    palatin 
Frédéric  111  ,  le  colloque  de  Maul- 
bron.  D'ailleurs^  non  moins  zélé  pour 
la  religion  évangélique  que  les  catho- 
liques eux-mêmes  ,  il  songea  à  la  con- 
version des  infidèles;  et  son  mission- 
naire Truber  alla  prêcher  la  foi  jus- 
que dans  la  Turquie  et  le  Levant.  En- 
iin  le  Wurtemberg  lui  doit  un  code 
de  lois  raisonné ,  qui  lui  mérita  le  ti- 
tre de  législateur  de  son  pays.  Ce 
prince  si  sage  mourut  universellement 
regretté,  le  28  décembre  i5G8,  et 
laissa  la  couronne  à  son  fils  Louis- 
le-Pieux.   Les  auteurs  attribuent  sa 
mort  à  un  poison  qui  lui  avait  été 
donné  en  Italie  pendant  qu'il  y  fai- 
sait la  guerre  avec  les  troupes  fran- 
çaises ,    poison   dont  les   médecins 
avaient  pallié  ou  sr.spendu ,  mais  non 
amorti  l'edét.  —  Eberhard  111   (ou 
Vil  ) ,  huitième  duc  régnant  de  Wur- 
temberg ,   naquit    le    16   décembre 
1O14.  Il  appartenait  à  la  première 
branche  de  xMonlbcliard  ,  qui ,  lors- 


WUR 


'in' 


que    Louis -le -Pieux    mourut   sans 
postérité ,    succéda  au  trône   ducal 
dans   la  personne  de  Frédéric   1*='". 
Celui-ci  était  l'aïeul  paternel  d'Éber- 
hard,  qui  commença  à  régner  après 
la  mort  de  son  père  Jean  -  Frédéric  , 
en  1628,  n'étant  encore  âgé  que  de 
quatorze  ans.  Son  oncle,  Louis-Fré- 
déric V^\   de  Montbéliard ,    admi- 
nistra cinq  ans  pendant  sa  minori- 
té. En  i633  ,  Eberhard  prit  part  à 
la  grande  coalition  des  princes  luthé- 
riens   contre  la    maison   impériale 
d'Autriche,  et  s'allia  avec  la  Suède. 
Mais  la  bataille  de  Nordlingue  ,  où  il 
avait  un  corps  de  troupes  de  six  mille 
hommes,  porta  le  coup  le  plus  fu- 
neste à  sa  puissance.  Incapable  d'op- 
poser de  la  résistance  aux  Impériaux , 
il  se  dirigea  vers  Strasbourg  ,  pour 
y  attendre  des  temps  plus  heureux  , 
et  laissa  ses  états  à  la  merci   des 
vainqueurs,  qui  s'y  conduisirent  de 
la  manière  la   plus  révoltante.  En 
moins  de    cinq    ans ,  le  Wurtem- 
berg perdit  ainsi  plus  de  cinquante 
mille  familles  et  quarante-huit  mil- 
lions de  florins.  Elliayé  de  cette  dé- 
population et  de  ces  pertes  énormes, 
le  duc  songea  enfin  à  faire  sa  paix 
avec  Ferdinand;   mais  celui-ci  ne 
l'accorda  qu'à  des  conditions  très- 
onéreuses  (  i638).  Elles  furent  adou- 
cies lors  de  la  paix  générale  de  West- 
phalie,  en  1648.  Eberhard  ne  s'oc- 
cupa plus  alors  que  de  cicatriser  les 
plaies  publiques 5  et  il  y  réussit  telle- 
ment par  son  économie  et  par   la 
douceur  de  son  administration  vrai- 
ment paternelle,  qu'en  peu  de  temps 
le  Wurtemberg,  si  long-  temps  en 
proie    aux   envahisseurs ,   devmt  le 
pays  le  plus  riche  et  le  plus  floris- 
sant de  la  confédération  allemande. 
Les  écoles  détruites  ou  dévastées  se 
rouvrirent;  l'université  de  Tubingue 
se  remplit  de  disciples  de  toutes  les 


•278 


WUR 


contrées  de  rAllemagne;  l'industrie 
prit  un  essor  inconnu.  Le  Wurtcm- 
l3erg  exerça  plus  que  jamais  sur  les 
aiïaircs  du  cercle  de  Souabe  la  plus 
grande  influence.  L'Espagne  et  la 
France  entretinrent  à  la  cour  du 
prince-duc  des  légations  permanen- 
tes 5  et  le  roi  Frédéric  111  de  Dane- 
mark lui  envoya  la  décoration  de 
l'ordre  de  l'Éléphant.  Éberhard 
III  mourut  le  2  juillet  16-] 4-  Guil- 
laume -  Louis,  son  fils  ,  lui  succéda. 
—  Éberhard-Lguis,  iils  de  Guillau- 
me-Louis et  de  Madeleine-Sibylle  de 
Hesse-Darmstadt ,  et  par  conséquent 
petit-fils  du  précédent,  naquit  le  18 
septembre  1676.  Il  avait  à  peine 
neuf  mois  lorsque  la  mort  inattendue 
de  son  père  mit  la  couronne  ducale 
sur  sa  tète.  Le  soin  des  affaires  pu- 
bliques fut  dévolu,  pendant  sa  mino- 
'  rite,  à  son  oncle,  Frédéric  -  Charles 
de  Wurtemberg  -  Wurtemberg ,  qui 
gouverna  en  son  nom  avec  beaucoup 
d'équité  et  de  gloire  jusqu'en  1693. 
Lorsque  la  guerre  eut  été  déclarée 
par  la  France  à  l'Allemagne,  il  se 
mit  à  la  tête  de  l'armée  de  Wurtem- 
berg, et  opposa  une  vigoureuse  ré- 
sistance à  l'impétuosité  victorieuse 
des  Français.  Il  eut  cependant  le 
malheur  de  perdre,  en  \6ç)i ,  la  ba- 
taille de  Sforzheim  contre  le  maré- 
chal de  Lorges.  Mais  sa  réputation 
militaire  eut  moins  à  souffrir  de  cet 
échec,  qu'il  ne  pouvait  éviter,  que 
les  malheureux  habitants  du  Wur- 
temberg ,  qui  voyaient  encore  une 
fois  leurs  campagnes  devenues  le 
théâtre  de  la  guerre.  Malgré  les  sui- 
tes ruineuses  de  cet  événement,  et 
quoiqu'il  vît  les  vainqueurs  incendier 
ses  châteaux  et  les  piller  ,  écraser  le 
pays  de  contributions,  et  détruire  tous 
les  produits  du  sol  ou  de  l'industrie, 
Éberhard  resta  fidèle  à  la  cause  de 
l'empereur, pritpart  à  toutes  les  affai- 


WUR 

res,  et  lit  toutes  les  campagnes  jus- 
qu'à la  paix  deRiswick,  en  1697.  La 
guerre  ayant  de  nouveau  embrasé 
l'Europe,  à  l'occasion  du  testament 
de  Charles  II ,  il  prit  les  armes  pour 
la  défense  des  prétentions  de  la  mai- 
son d'Autriche,  et  reçut,  dès  le  com- 
mencement de  la  campagne,  le  titre 
de  lieutenant- général  feld-maréchal 
et  de  général  de  cavalerie.  Comme 
tel ,  il  joua  un  rôle  dans  la  plupart  des 
affaires  importantes  de  cette  guerre 
si  féconde  en  événements  ,  se  trouva, 
tant  en  1702  qu'en  1704,  au  siège 
et  à  la  prise  de  Landau  ^  contribua 
puissamment  au  gain  de  la  bataille 
de  Schellenbourg,  en  1703,  et  se  si- 
gnala dans  plusieurs  rencontres  par 
des  prodiges  de  valeur.  II  courut 
même  à  diverses  reprises  le  danger 
de  perdre  la  vie,  et  son  exemple 
seul  put  empêcher  le  désordre  de 
se  mettre  dans  les  rangs  de  ses 
soldats.  Cette  intrépidité  lui  valut 
les  félicitations  écrites  et  verbales 
de  l'empereur.  Il  ne  se  distingua  pas 
moins  par  sa  générosité  que  par  sa 
bravoure  ,  en  fournissant  un  contin- 
gent d'hommes  et  de  numéraire  pro- 
portionnellement plus  fort  qu'aucun 
des  princes  allemands,  et  en  permet- 
tant aux  alliés  de  traverser  le  Wur- 
temberg avec  leurs  troupes  pour  se 
porter  à  la-fois  sur  le  Rhin  et  sur  le 
Danube  ,  et  prendre  ainsi  la  position 
la  plus  convenable  pour  résistera  l'ar- 
mée française.  Dans  la  suite  il  quitta 
ce  point  du  théâtre  de  la  guerre  ,  n'y 
laissant  qu'une  partie  de  ses  forces, 
et  se  dirigea  vers  les  Pays-Bas  et  la 
Flandre  avec  environ  cinqmille  hom- 
mes. 11  assistaainsi  aux  sièges  des  vil- 
les de  Tournai ,  de  Mons,  de  Douai , 
de  Béthune,  d'Aire,  de  Saint-Venant , 
de  Boucha  in  et  du  Quesnoy ,  qui  tou- 
tes tombèrent  au  pouvoir  des  Impé- 
riaux ,  combattit  avec  sa  valeur  or- 


WUR 

dinaire  à  l'affaire  de  Mons  ,  et  mit  le 
comble  à  sa  gloire  par  le  talent  mili- 
taire et  le  courage  qu'il  déploya  à  la 
sauglante  journée  de  Malplaquet ,  en 
1709.  Les  deux  années  suivantes  il 
commanda  en  chef  du  coté  de  la 
Souabe,  et  rendit  de  grands  services 
à  la  cause  impériale,  jusqu'à  la  con- 
clusion de  la  paix  générale  à  Rastadt. 
Ses  talents  avaient  eu  à  se  déployer 
non-seulement  contre  l'ennemi  exté- 
rieur ,  mais  encore  contre  les  Impé- 
riauxmêmes.  Les  paysans  de  la  Soua- 
be et  des  cercles  voisins  s'étant  révol- 
tés vers  la  fin  de  i^oS ,  il  fut  encore 
chargé  de  ramener  les  rebelles  au  de- 
voir, ce  qu'il  fit  avec  un  plein  succès. 
Aussi  Léopold  et  ensuite  Joseph  I*^'". 
le  comblèrent-ils  de  témoignages  de 
leur  estime  et  de  leur  reconnaissance. 
Il  fut  stipulé,  en  1 7  i  o  ,  au  congiès  de 
Gertruydenberg ,  que,  pour  l'indem- 
niser des  pertes  de  toute  espèce  que 
les  Wurlembergeois  avaient  souliértes 
pendant  les  années  1702,  1703, 
1704  et  1707  ,  il  lui  serait  compté 
line  somme  de  quinze  millions,  Daws 
la  suite  l'empereur  Charles  VI  l'em- 
ploya encore  dans  ses  armées  ,  en 
Hongrie  contre  les  Turcs  ,  et  en  Ita- 
lie contre  l'Espagne.  Mais  enfin  tou- 
tes les  discordes  ayant  définitivement 
cesse  en  Europe,  Éberhard -Louis 
revint  dans  ses  états  ,  et  put  s'occu- 
per à  loisir  du  soin  d'ailérmir  sa 
puissance,  et  de  procurer  le  bonheur 
à  ses  peuples.  Il  rendit  le  Necker  navi- 
gable ,  éleva  à  Stuttgard  un  hôpital 
pour  les  enfants  trouvés  et  le  dota 
richement ,  embellit  sa  capitale,  fit 
bâtir  le  magnifique  château  de  Louis- 
bourg  auquel  il  donna  son  nom  ,  ins- 
titua le  giand  ordre  de  chasse  de 
Saint-Hubert,  se  lit  restituer  par  l'em- 
pereur plusieurs  emplois  ou  préro- 
gatives que  ses  ancêtres  avaient  né- 
gligés depuis  plus  d'un  siècle,  et  dont 


WUR  279 

il  semblait  dillicile  d'obtenir  l'inves- 
titure qui  fut  même  refusée  plusieurs 
fois  sous  prétexte  que  les  réclama- 
tions venaient  trop  tard  ^  et  enfin  en 
dépit  des  protestations  et  des  efforts 
des  enfants  légitimes  et  naturels  du 
dernier  comte ,  il  réincorpora  aux 
domaines  héréditaires  le  comté  de 
Montbéliard  (  175.0) ,  passé  depuis 
cent  quinze  ans  dans  la  deuxième 
branche  de  ce  nom.  11  faut  convenir 
que  son  administration  accordait 
quelque  chose  à  l'ambition  et  au  luxe. 
Eberhard  semblait  avoir  choisi  pour 
modèle  le  grand  ennemi  de  la  maison 
d'Autriche  ,  celui  contre  lequel  il 
avait  combattu  si  long-temps  ,  Louis 
XIV  :  il  avait  l'ostentation  de  ce  mo- 
narque ,  son  amour  pour  la  guerre  et 
son  penchant  pour  les  plaisirs.  Ses 
liaisons  avec  la  fameuse  comtesse  de 
Wnrben  ,  et  la  jalousie  d'Elisabeth 
de  Bade-Dourlach,  sa  femme,  moins 
pacifique  que  Marie-Thérèse,  troublè- 
rent la  paix  intérieurede  sa  maison,  et 
fournirent  plus  d'une  fois  des  aliments 
à  la  malignité  du  public  et  des  faiseurs 
de  libelles.  Éberhard-Louis  mourut 
le  21  octobre  1733.  —  Charles- 
Alexandre  ,  fîls  du  précédent ,  on- 
zième duc  de  Wurtemberg ,  naquit 
le  24  janvier  1684.  Des  études  sé- 
rieuses au  collège  de  Tubingue  com- 
mencèrent l'éducation  d'un  prince 
qui  devait  tirer  sa  gloire  de  ses  talents 
militaires  ;  mais  il  les  discontinua 
de  bonne  heure  ,  pour  aller  assis- 
ter ,  en  1695  et  1696  ,  aux  campa- 
gnes de  l'armée  impériale  dans  les 
Pays-Bas  j  il  prit  part  ensuite  à  celles 
d'Allemagne  (  1697  ),  de  Hongrie 
(  1 698  )  et  de  Holstein  (1699  ),  et  eut 
dans  toutes  ces  circonstances  l'avan- 
tage d'apprendre  la  théorie  et  la  pra- 
tique de  la  guerre  sous  les  plus  fa- 
meux tacticiens  de  l'Allemagne.  Tels 
étaient  le  margrave  Louis-Guillaume 


'2So 


WUR 


(le  Bade- Bade  ,  le  prince  Eugène ,  le 
duc  Ferdinand-Guillaume  de  Wur- 
temberg ;  et  eniin  son  père.  Le  jeune 
Charles-Alexandre  se  montra  digne 
des  leçons  de  ces  grands  maîtres  . 
et  quoique  encore  dans  l'âge  de  Ta- 
dolesceuce  il  se  signala  d'une  ma- 
nière particulière  à  la  prise  d'Ébern- 
bourg  ,  en  1697  ;,  et  l'année  suivante 
à  l'action  de  Temeswar.  Quand  la 
guerre  de  la  succession  d'Espagne 
agita  de  nouveau  le  corps  germani- 
que ,  il  passa  en  Bavière  avec  son 
père  ,  et  fit  preuve  d'une  intrépidité 
extraordinaire  aux.  deux  sièges  de 
Landau  (  1702  et  1704).  11  prit 
aussi  une  part  active  à  la  bataille  de 
Sclicllenbourg  ,  ainsi  qu'au  siège 
d'Ingoldstadt  et  à  la  prise  d'Ulm. 
Jusque-là  il  avait  servi  en  qualité 
de  colonel ,  mais  à  partir  de  cette 
époque  ,  il  fut  décoré  du  titre  de  gé- 
néral. Eugène  étant  repassé  en  Ita- 
lie pour  y  combattre  le  duc  de 
Vendôme,  Charles-Alexandre  le  sui- 
vit^ et  assista,  en  i  706  ,  aux  com- 
bats de  Cassano  et  de  Treviglio,  co- 
opéra aux  manœuvres  qui  firent  le- 
ver le  siège  de  Turin ,  et  amenèrent 
avec  la  déroute  totale  des  Français 
la  conquête  du  duché  de  Milan  et  la 
prise  de  Mantoue  (  1706  ).  L'année 
suivante  les  armées  impériales  enta- 
mèrent la  Provence;  le  jeune  prince 
se  couvrit  de  gloire  dans  cette  cam- 
pagne, et  avança  jusqu'à  Toulon.  11 
accompagna  plus  tard  Eugène  du 
côté  des  Pays-Bas _,  vit  Lille,  Gand  , 
Tournai  et  Mons  ouvrir  leurs  portes 
et  livrer  leurs  murailles  aux  aigles 
germaniques  ,  commanda  une  divi- 
sion à  la  bataille  de  Malplaquet ,  et 
continua  encore  trois  ans  de  prendre 
])art  à  toutes  les  opérations  militai- 
res. 1!  redescendit  ensuite,  à  !'(  xem- 
p!e  de  son  père,  vers  le  midi  de  TAl- 
lemagne ,  reçut  le  titre  de  goin  er- 


WUR 

neur  de  Landau  ,  et  défendit  cette 
place  contre  le  maréchal  de  Villars  , 
avec  un  talent ,  un  courage  et  une 
vigueur  qui  le  mirent  à  côté  des  plus 
illustres  capitaines  contemporains 
(  17  i3).  Nommé  après  la  paix  de 
Rastadt  général-feld-marécliai  d'em- 
pire, il  reçut,  en  1716,  Tordre  de 
se  rendre  en  Hongrie  avec  son  père 
et  le  prince  Eugène,  pour  s'opposer 
aux  progrès  des  Turcs.  La  manière 
dont  Charles-Alexandre  exécuta  les 
ordres  du  prince  de  Savoie  acheva 
de  déceler  en  lui  un  homme  ca- 
pable de  commander  en  chef  ,  et  si 
la  bataille  de  Péterwaradin ,  la  prise 
de  Belgrade  et  de  Temeswar  ,  la 
conquête  de  tout  le  cours  du  Danube 
entre  la  Transylvanie  et  la  Servie  , 
ajoutèrent  surtout  à  la  gloire  du 
généralissime ,  l'habileté  du  jeune 
prince  obtint  aussi  les  suHrages  les 
plus  honorables  comme  les  plus  flat- 
teurs. L'empereur  le  nomma  la  même 
année  (  i7r8)  gouverneur  de  Bel- 
grade, puis  (1719)  commandant- 
général  du  royaume  de  Servie  ,  et 
président  de  l'administration  qui 
gouvernait  cette  belle  contrée  ,  con- 
seiller secret  en  activité  du  cabi- 
net impérial  (1720),  et  chevalier 
de  l'ordre  de  la  Toison-d'Or.  Le 
reste  de  sa  vie  n'offre  rien  de  mémo- 
rable. Devenu  par  la  mort  de  son 
père,  en  1733,  possesseur  du  trône 
ducal  ,  il  n'eut  guères  le  temps  de  se 
signaler  par  de  nouveaux  faits  d'ar- 
mes ,  quoique  Charles  VI  l'eût  élevé 
presque  aussitôt  (  1 4  janvier  1734) 
à  la  place  de  lieutenant-généraî-feld- 
maréchal  de  l'empire  et  du  cercle  de 
Souabe  ,  et  qu'en  cette  qualité  le 
commandement  en  chef  de  l'armée 
du  Rhin  lui  eût  été  dévolu  immédia- 
tement après  la  mort  du  prince  Eu- 
gène. Ses  exploits  se  bornèrent  à 
l'aire  rendre  par   les    Français   les 


WUR 

deux  places  de  Philipsbourg  et  de 
Kehl.  Il  ne  survécut  lui-même  qu'un 
an  au  grand  gênerai  qui  avait  été  son 
ami  et  son  maître ,  et  expira  subite- 
ment, le  11  mars  i'j'S'] ,  au  château 
de  Louisbourg.  Il  est  à  noter  que  ce 
j^rince  avait  embrassé  la  religion  ca- 
tholique ;  mais  il  fut  forcé  en  plu- 
sieurs circonstances  ,  soit  avant,  soit 
après  son  accession  au  trône  ,  soit 
devant  les  états  de  la  Souabe ,  soit 
devant  l'assemblée  des  théologiens  , 
de  jiirer  solennellement  que  jamais  il 
ne  chercherait  a  porter  atteinte  à  la 
suprématie  de  l'église  luthérienne  , 
dont  la  majorité  de  ses  sujets  fai- 
sait partie.  On  a  remarqué  aussi  que, 
bien  qu'il  soit  mort  à  Louisbourg, 
Charles-Alexandre  n'avait  jamais 
voulu  faire  de  celte  maison  de  plai- 
sance sa  résidence  habituelle ,  et  qu'il 
était  revenu  siéger  dans  sa  capitale, 
n'imaginant  point  que  le  Wurtem- 
bti'g  dût  avoir  son  Versailles  ou 
son    Escurial.  P — or. 

WURTEMBERG  (Frédéric  de), 
premier  roi  de  Wurtemberg.  P^oj. 
Frédéric,  au  Supplément. 

WURTEMBERG  (Ulricde), 
troisième  fils  de  Frédéric  l*^*".,  et  de 
Sibylle  d'Anhalt ,  eut  pour  frères 
Jean-Frédéric  I^ï".  et  Louis-Frédéric 
1^^. ,  et  tandis  que  ceux-ci  formaient 
les  branches  dites  seconde  de  Stutt- 
gard  et  seconde  de  Valois,  lui-mê- 
me devenait  tige  de  celle  de  Wur- 
temberg->^ewemberg.  Ulric  est  prin- 
cipalement connu  dans  l'histoire 
par  la  supériorité  des  talents  mi- 
litaires qui  semblent  avoir  long- 
temps été  héréditaires  dans  la  mai- 
son de  Wurtemberg.  INé  le  i5  mai 
1617,  il  suivit  de  très -bonne  heu- 
re la  carrière  des  armes ,  et  il 
comptait  déjà  plusieurs  années  de 
service  à  l'âge  ou  l'on  quitte  à  peine 
les  bancs  de  Técolc.  L'Italie ,  la  Ba- 


WUR 


281 


vière ,  la  France ,  l'Espagne ,  le  vi- 
rent successivement  commander ,  et 
quelque  rang  qu'il  occupât  dans  la 
hiérarchie  militaire,  se  montrer  l'é- 
gal des  guerriers  les  plus  braves  et 
les  plus  expérimentés.  Il  se  trouvait 
commandant  de  l'armée  impériale 
lorsque  les  Français  ,  sous  les  ordres 
de  Turenne,  opérèrent  dans  la  Hesse 
leur  jonction  avec  Wrangel  et  les 
troupes  suédoises.  Dans  cette  con- 
joncture critique,  Ulric  sauva  l'em- 
pire par  la  tactique  savante  qu'il  op- 
posa à  l'impétuosité  des  colonnes 
franco-suédoises, et  par  l'art  avec  le- 
quel,  après  avoir  opéré  sa  retraite, 
il  plaça  son  camp  dans  une  position 
inexpugnable.  Dans  cette  même  an- 
née 1648,  il  lui  arriva  de  tenir  tête 
avec  cinq  bataillous  à  plusieurs  régi- 
ments ,  et  de  soutenir  pendant  plu- 
sieurs heures  le  feu  de  l'artillerie 
ennemie.  Le  traité  de  Munster  ren- 
dit la  paix  à  l'Allemagne  :  mais 
l'Espagne  refusait  encore  de  po- 
ser les  armes  ;  les  troubles  de  la 
Fronde  agitaient  la  France ,  et  les 
princes  du  sang  royal  cherchaient 
l'appui  de  l'étranger.  Ulric  était,  en 
i65o,  dans  les  Pays-Bas  avec  Tu- 
renne  ,  sous  lequel  il  commandait  la 
cavalerie ,  et  il  vint  au  secours  du 
prince  de  Condé  ,  alors  détenu  à  Vin- 
cennes  (  Fqy.  Turenne).  En  1662  , 
il  combattit  avec  le  duc  de  Lorrai- 
ne ,  et  l'année  suivante  il  se  rendit 
au  camp  d'Arras  ,  où  il  donna  les 
idées  les  plus  sages  sur  la  ma- 
nière d'attaquer  la  France.  Mais 
on  ne  le  voit  plus  paraître  dans 
les  dernières  années  de  la  guerre  qui, 
en  eliét ,  avait  cessé  d'intéresser  l'Al- 
lemagne en  paix  avec  la  France  et 
l'Europe  depuis  le  traité  de  West- 
phahe.  Uiric  mourut  âgé  de  cin- 
quante-quatre ans  ,  le  4  décembre 
1671 ,  à  la  cour  de  Stutlgard  ,  ne 


28'2 


WUR 


laissant,  de  deux  mariages  qu'il  avait 
contracte's,  qu'une  princesse  qui  mou- 
rut en  France  sans  avoir  été  mariée. 

P— OT. 

WURTZ  (  FÉLIX  ),  habile  chirur- 
gien ,  ne  à  Zurich,  exerça  son  art  à 
Baie ,  dans  îe  seizième  siècle ,  avec 
Ja  phis  grande  distinction.  Sujet  à 
d'horribles  douleurs  de  tête  ,  il  ne 
s'en  débarrassa  qu'en  se  faisant  ou- 
vrir l'artère  temporale  ,  opération 
qui,  tombée  depuis  long-temps  en 
désuétude ,  lui  avait  été  conseillée 
par  Conrad  Gesner,  son  contempo- 
rain et  son  ami.  Elle  eut  un  succès 
complet.  On  ignore  l'époque  de  la 
mort  de  Wiirtz.  11  ne  publia  rien  de 
son  vivant.  Son  ouvrage  intitulé 
Pratique  de  chirurgie ,  écrit  en  al- 
lemand ,  a  été  mis  au  jour  par  son 
frère  Rodolphe  ,  et  la  première  édi- 
tion a  paru  à  Baie  en  15^6,  in-8^'. 
jjcs  autres  éditions,  au  nombre  de 
huit  ou  dix  j  ont  été  imprimées,  les 
unes  à  Baie  ,  les  autres  à  Breslau,  k 
Wolfenbuttel ,  à  Stettin.  Ce  traité  a 
été  traduit  en  français  ,  par  Fran- 
çois Sauvin,  Paris,  167'!,  in- 12.  Il 
renferme  cinq  livres  ,  dont  Trois  sur 
les  plaies  ,  un  sur  les  substances  mé- 
dicamenteuses •  le  dernier  est  con- 
sacré aux  maladies  des  enfants.  L'au- 
teur condamne  l'emploi  des  tentes  de 
charpie  dans  le  traitement  des  bles- 
sures ;  il  blâme  également  la  cauté- 
risation dont  on  abusait  de  son  temps 
pour  se  rendre  maître  des  hémorra- 
gies 5  il  s'élève  contre  l'indiscrète  cu- 
riosité des  chirurgiens  qui  ,  avec 
leur  sonde  ,  exploraient  souvent  sans 
nécessité  le  fond  des  plaies  :  enfin  , 
il  rapporte  l'histoire  d'un  grand 
nombre  de  faits  chirurgicaux  impor- 
tants. R — D — N. 

WURTZ  (Paul  , baron  de)  ,  géné- 
ral du  XV 11*^.  siècle,  né  à  ïïusum, 
dans  le  duché  de  Sleswig ,  apparte- 


WUR 

nait  à  une  famille  d'obscure  extrac- 
tion ,  et  ne  dut  qu'à  lui-même  son 
avancement.  Engagé  de  bonne  heure 
dans  la;milice,  il  se  distingua  d'abord 
parmi  les  troupes  impériales  ;  mais 
ensuite  il  changea  de  partie  et  eut 
le  bonheur  de  se  distinguer  également 
dans  l'armée  suédoise;,  sous  les  yeux 
de  Gustave-Adolphe,  quil'éleva  suc- 
cessivement aux  premiers  grades.  Sa 
prudence  et  sa  bravoure  tant  en  Po- 
méranie  qu'en  Pologne,  légitimèrent 
la  confiance  du  monarque ,  et  bien- 
tôt il  mit  le  comble  à  sa  gloire  par  la 
défense  de  Stettin,  où  il  sut  se  main- 
tenir si  habilement  contre  les  forces 
de  l'électeur  de  Brandebourg,  qu'il  le 
contraignit  d'enlever  le  siège.  Wiirtz 
fut  fait  baron,  et  sans  doute  il  n'eût 
point  tardé  à  obtenir  le  titre  de  feld- 
maréchal ,  dernier  terme  de  son  am- 
bition ,  si  la  ligue  ])rotestante  n'eût 
perdu  son  chef  et  son  appui  par  la 
mort  de  Gustave.  Wiirtz  perdait  de 
plus  un  protecteur  et  un  ami.  Mécon- 
tent de  se  voir  négligé,  il  quitta  le 
service,  et  se  retira  à  Hambourg 
pour  y  passer  en  paix  le  reste  de  sa 
vie.  Mais  les  offres  du  roi  de  Dane- 
mark le  tirèrent  de  sa  retraite,  et  il 
consentit  à  recevoir  avec  îe  rang  de 
général-feld-maréchal ,  le  gouverne- 
ment du  Holstein.  Dans  la  suite  il  ré- 
silia ces  deux  charges  pour  prendre 
du  service  dans  l'armée  des  Provin- 
ces-Unies ,  qui  lui  conservèrent  son 
grade,  et  de  plus  mirent  à  sa  dispo- 
sition toutes  leurs  forces  de  terre.  On 
sent  que  celte  nomination  dut  le  fai- 
re entrer  dans  le  parti  anti-orangis- 
te ,  et  en  effet ,  il  fut  un  de  ceux  qui 
se  déclarèrent  avec  le  plus  de  force 
contre  les  prétentions  du  jeune  Guil- 
laume m  ,  auquel  cependant  il  eut 
le  chagrin  de  voir  confier  la  plus 
haute  autorité  militaire  avec  le  titre 
de  capitaine  et  amiral-général.  Sur 


WUR 

ces  entrefaites ,  Louis  XIV  entrait 
en  Hollande.  L'extrême  bravoure  de 
Wiirtz  ne  put  empêcher  ce  monar- 
que de  franchir  le  Rliin  à  Tolhuys, 
et  de  prendre  les  villes  les  plus  for- 
tes. En  même  temps,  il  se  voyait 
presque  continuellement  traverse  ou 
Iinmilië  par  le  stathouder.  Incapa- 
ble de  résister  à  tant  de  dégoûts  ,  il 
revint  à  Hambourg  ,  et  de  là  envoya 
sa  démission  aux  États,  qui  l'accep- 
tèrent (iG74).  Le  baron  de  Wiirtz 
mourut  deux  ans  après  ,  le  lf\  mai 
I  (i-^G.  C'est  de  lui  que  Boileau  a  dit 
(  Lpître  IV  )  : 


Ah! 


grant 


,  quel  héros  ,  quel  Heclor  que  ce 

WiuU! 

Sans  ce  terrible  nom  ,  mal  né  pour  les  oreilles  , 
Que  j'allais  à  tes  yeux  étaler  de  merveilles  î 

P— OT. 

WURTZ  (  George-Christophe  ) , 
médecin,  ne  à  Strasbourg,  en  1756, 
dans  la  religion  protestante,  fut  e'ieve 
au  sein  d'ime  famille  distinguée  par 
ses  vertus  philanthropiques.  Après 
avoir  achevé  ses  cours  de  philoso- 
phie et  de  médecine  dans  sa  ville 
natale  ,  il  se  livra  aux  études  scien- 
tifiques qui  en  sont  la  base.  Ses  ob- 
servations relatives  aux  sciences  na- 
turelles ,  et  aux  méthodes  employées 
jusqu'alors,  lui  firent  produire  ua 
Essai  de  mappe-monde  des  substan- 
ces médicales  ,  rangées  selon  l'allinité 
reconnue  de  leurs  propriétés  ,  sous 
le  titre  de  Conamen  Jiiappœ  ^cne- 
ralis  medicamentorurn  simplicium 
secundùm  affinitates  viriiirn  natu- 
ralium.novd  methodo  geographicd 
dispositormti  y  Strasbourg,  1778, 
in-4".  Cette  carte  n'est  ni  une  tabîe 
systématique  où  les  rapports  plus  ou 
moins  généraux  <îes  substances  di- 
verses sont  désignés  par  des  lettres  ou 
par  des  nombres  comme  dans  Junker; 
ni  un  arbre  généalogique  ,  dont  les 
ramifications  sont  ligurées  par  des 
ligues   ou   des  rayons  comme  dans 


WUR  283 

BufTon  ;  ni  enfin  un  tableau  synoptitpe 
d'affinités  chimiques  des  corps  com- 
me dans  Geoffroy.  La  méthode  nou- 
velle d'aftinité  dispose  les  noms  des 
médicaments  et  de  leurs  qualités  re- 
latives par  genres,  espèces  et  degrés, 
dans  diverses  régions,  suivant  que  les 
composés  participent  plus  ou  moins 
de  la  terre  ,  de  l'eau  ,  do  Tair  ,  ou 
du  feu,  ce  qu'on  nommait  alors  le 
phlogi.stique.  Cette  Mappa  i^eneralis 
le  fit  connaître  des  savants  les  plus 
célèbres  en  Allemagne  et  en  France. 
11  en  reçut  le  plus  honorable  accueil, 
dans  les  voyages  qu'il  fit  pour  con- 
naître l'état  de  la  science  médicale 
dans  les  différents  pays  ,  et  visiter 
les  établissements  qui  pouvaient  en 
favoriser  les  progrès.  A  Berlin,  il  fut 
agrégé  au  nombre  des  membres  de  la 
société  Aes Scrutateurs  de  lanature. 
Pendant  son  séjour  à  Leipzig ,  il  y  pu- 
blia ,  en  1779,  un  petit  traité  alle- 
mand sur  les  eaux  de  Carlsbad ,  sous 
le  titre  de  Reise ,  etc.  (  Voyage  d'un 
médecin  étranger,  de  Prague  à  Carls- 
bad ).  Les  hôpitaux  de  la  ville  de 
Vienne  lui  ayant  paru  dignes  de  re- 
marque par  leurs  écoles  de  médecine 
clinique,  il  s'occupa  d'appeler  l'at- 
tention des  Français  sur  ces  établis- 
sements. S'étant  rendu  ensuite  à 
Paris  ,  où  il  fut  nommé  secrétaire - 
général  du  Musée,  qui  comptait  parmi 
ses  membres  les  Lavoisier ,  les  Vicq- 
d'Azyr  ,  etc.,  il  communiqua  ses 
vues  à  la  société  royale  de  médecine , 
qui  les  accueillit  et  qui  l'admit  au 
rang  de  ses  correspondants.  Depuis 
la  publication  de  son  plan  pour  la 
formation  des  écoles  de  médecine 
pratique  à  Vinstar  de  celles  de 
Vienne  {  Strasbourg  et  Paris,  1784, 
in-8".  ) ,  ces  écoles  ont  été  établies 
et  organisées  de  même  dans  les  hô- 
pitaux français.  Rien  de  ce  qui  se 
rapportait  à  l'étude  de  la  nature  et 


284 


WUR 


de  riiomme  n'étant  étranger  à  noire 
observateur ,    niic  nouvelle  carrière 
médicale  parut   s'oiï'rir  à  lui.   Les 
cours  dispendieux  de  la  doctrine  du 
mcsmérisine  ne  coûtaient  point  trop 
à  son  zèle  pour  la  science.  11  publia 
même  le  Prospectus  d'un  cours  de 
magnétisme   animal  réduit  à  des 
principes  simples  de  physique  et  de 
c/i/mie  ^  Strasbourg ,    1787,  in-S**. 
II  y  discute ,  avec  une  sage  critique  , 
le  système  et  ses  procédés  ,  et  cher- 
che ,  en  admettant  un  fluide  ,  à  le 
ramener    au    map;néfisme   minéral  , 
sans  prétendre  faire  de  ses  eifets  mé- 
dicaux une  panacée.  Les  sociétés  ma- 
r.oniques  à  l'époque  de  la  révolution 
s'étaient    extrêmement    multipliées. 
Son   Discours  sur  les  moyens   de 
rendre  la  franche-maçonnerie  plus 
utile  à  l'humanité  (Paris,   T790, 
in-80.)  eut   pour  objet  d'en  diriger 
les  travaux  vers  un  but  moral  prati- 
que ,  l'harmonie  et  l'unité  fraternelle 
de  tous  les  membres  de  l'association. 
Mais  dans  la  période  d'anarchie  ré- 
volutionnaire ,  le  docteur  Wlirtz  se 
voua  principalement  à  l'art  de  gué- 
rir par  l'application  souvent  gratuite 
de  remèdes  populaires,  qui  étaient  le 
résultat  de  son  expérience  et  qui  en 
même  temps  portaient   peu  d'om- 
brage. Un  petit  traité  contenant  des 
Observations  sur  les  maladies  pro- 
venant d'une  dcreté  ou  d'une  dégé- 
nérescence du  sang  ou  de  la  lymphe, 
avec  l'indication  ^e5  Propriétés  d'un 
remède  connu  sous  le  nom  de  Dé- 
puratif général ,  eut  plusieurs   édi- 
tions successives.  Une  autre brocliure 
concernant  une  Teinture  conforta- 
tive   nerveuse  ,    éprouvée   dans    les 
maladies   atoniques  ,   eut   aussi  du 
succès.  Le  docteur  Wiirtz  se  tourna 
de  nouveau  vers  l'amélioration  mo- 
àaîe,  lorsque    l'ordre  fut  rétabli.  En 
1811  ,il    adressa  au  Consistoire  de 


WUR 

l'église  luthérienne  un  Mémoire  sur 
une  institution  pieuse  ,  qui  a  pour 
but  de  former  à-la-fois  le  caractère  , 
l'esprit  et  le  cœur,  en  distinguant, 
comme  il  l'avait  fait  pour  [sl  fran- 
che- maçonnerie ,   les  dilïérentes  fa- 


cultés 


qui 


mises  en  harmonie  entre 


elles,  concourent  au  bien-être  phy- 
sique ,  moral  et  intellectuel  de  l'hom- 
me. Enfin,  lorsqu'après  le  retour  des 
Bourbons  il   fut  question  d'indem- 
niser les  anciens  colons  expulsés  de 
Saint-Domingue  .  il  publia,  en  1820, 
un  Mémoire  sur  le  moyen  de  répa- 
rer les  torts  faits  au  commerce  de 
la  France  par  l'insurrection  surve- 
nue dans  cette  île  ;  et ,  en  \^'ii ,  un 
second  Mémoire  plus  étendu,  servant 
de  suite  au  premier.  Il  y  répond  vic- 
torieusement aux  objections   contre 
son  projet  de  dédommager  les  colons 
par  l'établissement  facile  à  former  à 
leur  profit  dans  la  partie  haute   et 
saine   de   la    Guiane   française ,   en 
s'occupant   également   d'assainir  et 
de  rendre   à    la   culture  les  parties 
basses  et  stagnantes,  de  manière  à 
faire  rivaliser  cet  établissement  ,  en 
peu  d'années  ,  avec   la  colonie  hol- 
landaise de  Surinam.  Le  détail  de 
ce   projet ,  qui   paraît    avoir    fixé 
l'attention  du  ministre  de  la  marine  , 
doit  être  lu  dans  l'ouvrage  même  ; 
l'auteur  y  a  joint,  par  appendice, 
des  observations  sur  le  trafic  des  nè- 
gres ,  dont  il  attribue  le  déplorable 
sort  ,  non  exclusivement  à  !a  traite  , 
mais  aux  cruels  traitements  que  leur 
font  éprouver  leurs  propres  compa- 
triotes. Le  dernier   écrit  du    même 
auteur  est  un  Mémoire  sur  la  con- 
servation des  grains  ,  qu'il  lut,  peu 
de  temps  avant  sa  mort,  à  la  société 
d'agriculture  de  Seine- et-Oise,  dont 
il  était  membre.   11  mourut  à  Ver- 
sailles le  9  septembre  i8'23.  U Eloge 
funèbre  du  docteur  Wiirtz,  pronoa- 


WUR 

ce  sur  sa  tombe ,  à  Groslai ,  par  le 
pasteur  Boissard  ,  a  été  imprime. 
M.  Fremy  ,  secrétaire  de  la  société 
d'agriculture  du  département  de  Sei- 
ne-et-Oise,  et  V Annuaire  nécrolo- 
gique de  1824,  ont  paye  un  juste 
tribut  à  la  mémoire  de  ce  savant 
ami  de  l'immanité.  G — ce. 

WURTZ  (Jean  Wendel),  né  en 
Allemagne,  vers  i-^ôo  ,  dans  la  re- 
liqion  catholique  ,  vint  de  bonne 
heure  à  Lyon ,  et  y  fut  nommé  vi- 
caire dans  l'église  de  Saint-Nizier. 
Pieux  et  charitable  ,  il  remplit  les 
devoirs  de  cette  place  de  la  manière 
la  plus  édiliante  ;  mais  les  malheurs 
de  la  révolution  le  jetèrent  dans  une 
exaltation  funeste.  Sans  cesse  occu- 
pé de  ces  malheurs  ,  il  en  chercha 
l'origine  dans  des  causes  surnatu- 
relles ,  et  publia  V Apocalypse  ou  les 
Précurseurs  de  Vantechrist ,  his- 
toire prophétique  des  plus  fameux 
impies  qui  ont  paru  depuis  V établis- 
sement de  VÉs^lise  jusquà  Van 
1816,  ou  la  révolution  fiançais e 
prédite  par  saint  Jean  l'évangé- 
liste  ,  suivie  d'une  dissertation  sur 
l'arrivée  et  le  règne  futur  de  Van- 
techrist ,  Lyon  ,  1816 ,  in-S^'.  (  an- 
noncé comme  une  cinquième  édition; 
mais  on  ignore  si  les  autres  ont  paru). 
On  y  remarquait  le  passage  suivant  : 
«  ]S 'est-ce  pas  alors  (  i68'2)  que  l'on 
»  érigea  les  quatre  piliers  ,  qui  ser- 
»  virent  depuis  à  supporter  tous  les 
»  échafaudages  des  ennemis  de  l'E- 
»  glise  ?  »  Ce  passage  et  quelques 
autres  firent  accuser  l'auteur  d'ul- 
tramontanisme ,  et  un  procès  lui  fut 
intenté  sur  la  dénonciation  de  M.  Du- 
pin.  Les  grands-vicaires  de  Lyon  lui 
retirèrent  ses  pouvoirs  ,  et  il  fut 
obligé  de  s'éloigner.  Après  une  ab- 
sence de  quelques  années  ,  Wiirtz 
revint  à  Lyon;  mais,  toujours  tour- 
menté par  les  dangers  qu'il  croyait 


WUR  28:1 

voir  dans  les  doctrines  de  l'Église 
gallicane  ,  il  fit  paraître  sous  sou 
nom  une  Lettre  à  M.  Vabbé  de  La 
Mennais ,  in-80.  ,  dans  laquelle  il 
prodiguait  sans  mesure  toutes  sortes 
de  louanges  à  cet  écrivain.  Cette  lettre 
ayant  paru  dans  le  moment  où  un 
procès  se  suivait  devant  les  tribunaux 
contre  les  journaux  le  Constitution- 
nel et  le  Courrier  y  elle  fut  annoncée 
comme  une  preuve  des  progrès  que 
l'uîtramontanisme  faisait  parmi  les 
ecclésiastiques  français,  et  le  ministère 
public  eut  ordre  de  la  poursuivre.  On 
fitdes  recherches  chez  les  libraires  que 
l'on  croyait  chargés  de  la  vendre ,  et 
l'auteur  fut  interrogépar  le  juge  d'ins- 
truction. Le  18  janvier  1826^  le  tribu- 
nal de  police  correctionnelle  de  Lyon 
renvoya  l'abbé  Wiirtz  de  la  plainte, 
et  annula  la  saisie  de  sa  brochure , 
vu  qu'il  n'était  point  constant  qu'il 
eût  attaqué  la  religion  de  l'état,  ni  la 
souveraineté  temporelle  du  roi  ,  ni 
qu'il  eût  provoqué  à  désobéir  à  la 
déclaration  de  1G82;  que  certaines 
phrases  peu  mesurées  de  son  écrit 
annonçaient,  il  est  vrai,  de  l'exagé- 
ration dans  les  idées  ,  mais  qu'elles 
pouvaient  s'excuser  par  l'état  de  ma- 
ladie ,  dans  lequel  l'auteur  languis- 
saitdepuis  long- temps.  L'abbé  Wiirtz 
fut  vivement  alfecté  de  l'éclat  qu'eut 
cette  artaire.  Il  se  retira  à  Colongcs, 
près  de  Lyon,  où  il  mourut  le  i^^'. 
octobre  1826.  On  a  encore  de  lui  : 
Superstitions  et  prestiges  des  philo- 
sophes ^  ou  lesDémonoldtres  du  siècle 
des  lumières ,  Lyon  ,  1817,  in- 1 2. 
L'auteur  prétend  établir  dans  cette 
brochure  que  le  démon  opère  les 
phénomènes  du  magnétisme  ;  qu'il  a 
produit  les  prétendus  miracles  du 
diacre  Paris  ,  les  visions  de  Caglios- 
tro  ;  qu'il  agit  dans  les  ventriloques, 
dans  les  francs-maçons ,  etc.{F'.VA~ 
mi  de  la  Religion ,  n^.  1288).  G-Y* 


286 


WUR 


WURZBURG  (Conrad  de  ) ,  un 
des  Minucsiugers  du  treizième  siècle, 
s'exerça  dans  les  différents  genres 
de  poésie ,  et  se  distingua  dans  quel- 
ques-uns d'une  manière  remarquable. 
On  connaît  peu  de  circonstances  de 
sa  vie  ;  mais  on  le  regarde  comme 
un  des  premiers  poètes  de  l'époque 
appelée  des  Empereurs  Souahes. 
On  a  conserve  de  lui:  I.  Dans  le  Re- 
cueil publié  par  Manessen  ,  Zurich  , 
1 758  ,  in^*'*  y  et  dans  le  manuscrit 
de  Colmar,  plusieurs  pièces  ,  des 
fables  et  des  chants.  II.  Quatre- 
vingt-neuf  strophes  dans  le  Recueil 
de  léua.  III.  Le  Départ  d'Eggen  , 
dont  on  ne  connaît  que  quelques  pas- 
sages publiés  par  Goldast.  IV.  Poè- 
me de  saint  Alexis.  V.  Les  Poires  _, 
roman,  VI.  La  Guerre  de  Troie  , 
roman.  VII.  h^Enclume  d'or ,  à  la 
louange  de  la  vierge  Marie.  Tous  ces 
poèmes  se  trouvent  en  manuscrit 
dans  la  bibliothèque  impériale  de 
Vienne  y  dans  celle  des  lohannites  à 
Strasbourg  y  et  Oberlin  en  a  inséré 
des  passages  dans  sa  dissertation  : 
De  Conrado  Herbipolitd.  VIII.  En- 
gelhart  et  Engeldrut ,  poème  épi- 
que ,  qui ,  vers  la  fin  du  seizième 
siècle  ,  a  été  publié  ,  par  un  anony- 
me, en  langue  allemande  de  cette 
époque.  On  le  trouve  à  la  bibliothè- 
que de  Wolfenbuttel ,  sous  ce  ti- 
tre :  Belle  Histoire  d^ Engelhart  de 
Bourgogne  ,  de  Dietherich ,  duc  de 
Brahant ,  son  compagnon  de  voya- 
ge ,  et  d' Engeldrut ,  fille  du  roi  de 
Danemark  ,  ce  qui  leur  est  arrivé  _, 
quelles  peines  et  privations  ils  ont 
souffertes,  ouvrage  très-joyeux  à  li- 
re, Francfort ,  1 578  ^  in-B».  La  pré- 
face est  en  vers,  comme  tout  l'ouvra- 
ge. L'auteur  y  expose  le  but  moral  de 
son  poème  j  il  se  propose  de  relever 
la  fidélité  et  la  constance  dans  l'a- 
mitié ^  vertus  qui,  selon  lui  _,  deve- 


WUR 

naienlj  de  jour  en  jour,  plus  rares. 
Bourkard  Waldis ,  dans  le  seizième 
siècle,  a  retouché  d'autres  poèmes 
des  Minnesingers  ,  et  probablement 
c'est  lui  qui  est  l'auteur  de  cet  Eji- 
gelhart  retouché.  Cette  publication 
est  sans  doute  aussi  cause  que  l'ori- 
ginal de  Conrad  s'est  perdu.  IX. 
6^o/ife5,  en  manuscrit  dans  les  biblio- 
thèques de  Vienne  et  de  Strasbourg. 
X.  \J Empereur  Olhon-le-Barbu  ou 
avec  la  Barbe  ,  conte  qui  se  trouve 
dans  la  bibliothèque  du  Vatican. 
Voy.  le  Recueil  d' anciennes  poésies 
allemandes ,  par  Adelung.  XI.  Les 
Niebelungen  ,  la  Vengeance  de  la 
reine  Chriemhilde ,  et  la  Complain- 
te, Ces  trois  poèmes  épiques  foi  ment 
un  tout  qui  paraît  infiniment  au- 
dessus  des  productions  épiques  ou 
héroïques  de  cette  époque.  Sifrit  ou 
Sièges ,  roi  des  Pays-Bas  et  des  Nie- 
belungen ou  de  la  Norwége  ,  reçoit 
en  récompense  pour  ses  services  de 
Gunthar ,  roi  de  Bourgogne ,  sa  sœur 
Chriemhilde  ,  princesse  d'une  rare 
beauté;  mais  Bruidiilt  ou  Brunehaud, 
épouse  de  Gunthar,  mécontente  de 
cette  cession  ,  suborne  Ha  gène  ,  qui 
prend  Sifrit  en  traître,  le  meta  mort 
et  emporte  son  sabre.  Chriemhilde 
jure  qu'elle  se  vengera  ;  ayant  enlevé 
à  Hagène  le  sabre  de  son  époux , 
elle  coupe  la  tête  à  ce  meurtrier  ; 
mais  Hildebrant  surprend  cette  prin- 
cesse et  la  coupe  en  morceaux.  Il 
paraît  que  Conrad  avait  sous  les 
yeux  l'original  composé  dans  le 
dixième  siècle  ,  et  qu'il  ne  fit  que  le 
traduire  dans  son  dialecte  souabe. 
Le  poème  des  Niebelungen  se  trouve 
en  manuscrit  dans  la  bibliothèque  de 
Strasbourg,  dans  celle  de  Saint-Gall 
et  dans  celle  des  Jésuites  à  Munich. 
Il  fut  publié  d'abord  par  Bodmer  , 
dans  son  Recueil ,  Zurich,  1757  , 
et  par   Millier  dans  son  Recueil , 


burg 


WUR 

Berlin  ,  1784.  Les  Niebelungen  ,  la 
Vengeance  de  Chriemhilde  et  la 
Complainte  ont  servi  de  modèle  et 
de  texte  à  un  grand  nombre  de  com- 
positions modernes  ;  elles  attestent 
le  prix  que  l'Allemagne  attache  au 
poème  original  de  Conrad  de  Wurz- 

G Y. 

WURZELBAU  (Jean -Philippe 
DE  ) ,  célèbre  astronome ,  membre  de 
racadëmie  des  sciences  de  Paris  et  de 
celle  de  Berlin  ,  naquit  à  Nuremberg 
le  28  sept.  i65  I .  Après  avoir  termi- 
né ses  études  j  il  s'attacha  à  André 
Alexandre ,  qui  donnait  à  Nuremberg 
des  leçons  particulières  de  mathéma- 
tiques; et  eu  1684  et  i685  il  fut  en 
état  de  publier  les  observations  qu'il 
avait  faites  sur  les  éclipses  de  lune 
arrivées  dans  ces  deux  années.  Sa 
réputation  se  répandit.  En  1687,  la 
société  royale  des  sciences  de  Lon- 
dres le  nomma  son  correspondant. 
A  cette  époque,  il  résolut  de  quitter 
les  alîaires  de  commerce,  auxquelles 
il  avait  pris  part  d'après  le  vœu  de 
sa  famille;  et  il  se  livra  entièrement 
à  l'étude  des  mathématiques  et  de 
l'astronomie.  Les  savants  ayant  par- 
lé de  lui  à  l'empereur  Léopold  I*^»'., 
ce  prince  lui  accorda  des  encourage- 
ments; et  en  1692  il  lui  envoya  des 
lettres  de  noblesse.  C'est  alors  qu'il 
commença  à  travailler  à  ses  Tabulée 
lunares  horoccio  -Jlamsteedianœ. 
L'académieroyaledes  sciences  de  Pa- 
ris, ayant  reçu  ,  en  1(^99,  'nie  nouvel- 
le organisation ,  désigna  Wurzelbau 
pour  son  correspondant  ;  et  e^Ji  7  06  il 
fut  nommé  membre  de  la  société  roya- 
le des  sciences  de  Berlin.  Il  corres- 
pondait avec  les  plus  célèbres  mathé- 
maticiens de  l'Europe,  entre  autres 
avec  Tschirnhausen  ,  Leibnitz  ,  Cas- 
sini  ,  Lahire ,  Rœmer  ,  Hévélius , 
etc.  Tschirnhausen  l'engagea  à  venir 
s'établir  à  Dresde ,  où  on  lui  offrait 


WUR  287 

une  place  très-avantageuse  ;  il  refusa. 
Ses  travaux  astronomiques  consis- 
tent en  instruments  de  toute  gran- 
deur, qu'il  inventa  ou  qu'il  perfec- 
tionna. Depuis  la  comète  qui  parut 
en  1680,  il  ne  cessa  d'observer  les 
satellites  de  Jupiter,  les  taches  du 
soleil  et  les  autres  phénomènes  cé- 
lestes. Il  établit  son  observatoire  dans 
sa  maison  sur  le  Spitzenberg  ,  oii , 
avant  lui,  Bernard  Walter  avait  ob- 
servé jusqu'en  i5o3.  Il  y  avait  des 
télescopes  de  la  plus  grande  dimen- 
sion, avec  des  pendules  et  d'autres 
instruments  astronomiques.  En  mou- 
rant, le  i\  mars  1725,  il  laissa 
manuscrit ,  un  riche  Recueil  d'obser- 
vations sur  les  éclipses  du  soleil  et 
de  la  lune,  sur  les  satellites  de  Jupi- 
ter ,  sur  le  passage  des  planètes  der- 
rière la  lune,  sur  les  taches  du  soleil 
et  les  méridiens,  dont  il  avait  obser- 
vé près  de  six  mille.  Le  baron  de 
Zach ,  étant  à  Nuremberg ,  au  mois 
de  juillet  1807  ,  acheta  la  biblio- 
thèque de  Wurzelbau,  oiî  se  trou- 
vaient ,  entre  autres  ,  la  Machina  cœ- 
lestis  Hevelii,  en  deux  tomes,  et  les 
autres  Heveliana  que  notre  astrono- 
me avait  achetés,  en  1688,  de  la 
veuve  de  Hévélius.  Dans  les  Eim- 
martianis  qui,  en  1786,  ont  été 
transportés  dans  la  bibliothèque  des 
Jésuites  de  Polotcz  en  Russie,  se 
trouvent  plusieurs  manuscrits  de 
Wurzelbau  ,  dont  Nopitsch  parle 
dans  le  Dictionnaire  des  sai^ants  de 
Nuremberg.  On  a  encore  de  lui  : 
Uranica  noricœ  basis  astronomicœ  y 
sive  rationes  motus  annui  ex  obser- 
vationïbus  in  solenni  hoc  noslro  et 
sœculo  abhinc  tertio  Norimbergce 
sub  eodem  meridiano  habitis  quant 
plurimis  deductœ  et  ampliter  de- 
monslratœ ,  1728,  in-fol.  «  Cet  ou- 
»  vrage ,  disent  les  auteurs  du  Jour- 
»  nal  des  savants ,  n'est  pas  exempt 


■288 


WUT 


»  de  mélanges  étrangers.  Ou  y  trou- 
»  ve  jnsqu''à  des  odes  et  des  rébus; 
»  mais  ces  défauts  n'intéressent  en 
»  rien  le  fond  du  livre,  où  l'on  re- 
»  connaît  le  travail  assidu ,  l'exacti- 
»  tude  et  la  pénétration  de  l'auteur. 
»  MM.  Hévelius  et  Cassini  ont  té- 
»  moigné,  par  leurs  lettres,  en  faire 
))  beaucoup  de  cas.  L'auteur  s'est 
»  attaché  pendant  trente-  six  ans  à 
»  vérilîer  les  observations  faites  pen- 
»  dant  trois  siccies.  Il  a  déterminé 
»  la  latitude  de  Nuremberg,  l'obli- 
»  quité  de  l'écliptique  et  des  réfrac- 
»  tions.  Il  a  donné  des  tables  noni- 
»  breuses,  exactes  et  commodes  pour 
»  les  calculs  qui  concernent  le  soleil.» 

G— Y. 

WUTGENAU  (  GoDEFRiD-  Er- 
nest, baron  de)  ,  général  d'artille- 
rie au  service  d'Autriche  ,  naquit 
le  3i  août  iG-^S  ,  en  Silésie  , 
à  Biela  ,  seigneurie  qui  apparte- 
nait à  son  père.  Il  fut  élevé  avec 
soin  ;  son  inclination  guerrière  le 
portait  vers  l'étude  des  mathéma- 
tiques et  de  l'architecture.  Après 
avoir  passé  quelques  années  à  la  cour 
d'un  prince  de  Saxe,  il  entra  au  ser- 
vice y  lorsque  la  guerre  de  la  succes- 
sion d'Espagne  éclata.  Il  en  fit  tou- 
tes les  campagnes  en  Italie  et  dans 
les  Pays-Bas ,  et  il  eut  le  bonheur  de 
servir  sous  le  prince  héréditaire  de 
Hesse  -  Cassel ,  qui  fut  depuis  roi  de 
Suède.  S'étant  formé  à  une  si  bonne 
école  ,  il  fut  nommé  adjudant-géné- 
ral du  prince  qui  avait  su  l'appré- 
cier. Wutgenau  assista  au  siège 
de  Pizzighitone ,  à  la  prise  de  Casai 
et  à  l'irruption  que  l'armée  autri- 
chienne fit  en  Provence^  en  1707.  A 
la  recommandation  du  prince  héré- 
ditaire ,  le  landgrave  de  Hesse- 
Cassel  le  nomma  gouverneur  du  jeune 
prince  George ,  avec  rang  de  lieute- 
riant-colonel  dans  le  régiment  de  son 


WUT 

élève ,  et  il  fit  avec  ce  corps  toutes 
les  campagnes  des  Pays-Bas.  La  paix 
étant  conclue  entre  la  France  etl'em- 
jiereur  ,  les  puissances  alliées  du 
nord  déclarèrent  la  guerre  au  roi  de 
Suède  ,  et  pénétrèrent  dans  la  Pomé- 
ranie.  Le  jeune  prince  George  vou- 
lut faire  cette  campagne  ,  et  Wut- 
genau assista  avec  lui  à  la  prise  de 
Stralsund.  Cette  guerre  finit  assez 
promplement ,  et  Wutgenau  ,  qui  vi- 
sita la  France  et  l'Italie,  eut  occa- 
sion de  connaître  à  Paris  le  chevalier 
de  Folard ,  de  s'entretenir  avec  lui  ^ 
et  de  se  perfectionner  par  ses  entre- 
tiens dans  la  théorie  de  l'art  mili- 
taire. A  son  retour,  l'Autriche  ayant 
pris  à  sa  solde  le  régiment  du  prince 
Maximilien  de  liesse,  Wutgenau  eu 
fut  nommé  colonel-commandant.  Il 
assista  d'abord  ,  en  cette  qualité  ,  au 
siège  de  Belgrade  ,  où  il  reçut  un 
coup  de  feu  à  la  tête.  Il  n'était  pas 
encore  guéri  de  cette  blessure  lorsque, 
les  Turcs  ayant  voulu  attaquer  l'ar- 
mée autrichienne  dans  son  camp  , 
le  prince  Eugène  résolut  de  les  préve- 
nir ,  et  marcha  lui-même  pour  les 
surprendre.  Wutgenau,  quelque  allai- 
bli  qu'il  fût ,  voulut  paraître  à  la  tête 
de  son  régiment ,  el  il  concourut 
puissamment  à  la  victoire  que  les 
Autrichiens  remportèrent.  Après  la 
paix  qui  eut  lieu ,  en  17  18  ,  le  régi- 
ment de  Hesse  eut  ordre  de  se  rendre 
en  Lombardie,  puis  en  Sicile.  Le 
20  juin  17 19,  il  se  battit  avec  les 
Espagnols  ,  près  de  Francavilla. 
Wutg^iau,  qui  commandait  peu  de 
temps  après  devant  Messine ,  reçut 
au  bras  gauche  deux  coups  de  feu , 
dont  il  ressentit  les  suites  jusqu'à  sa 
mort.  Après  avoir  pris  cette  place , 
il  enleva  toutes  celles  que  les  Espa- 
gnols tenaient  encore  en  Sicile  ,  et 
en  1720  il  les  força  d'évacuer  l'île. 
La  paix  mit  fm  à  cette  campagne, 


WUT 

et  le  régiment  de  Hesse  revint  en  Al- 
lemagne.  Wutgenau  fut  très  -  bien 
accueilli  à  Cassel ,  et,  en  1724  j  le 
landgrave  qui  l'avait  nomme  major- 
genéral   l'envoya  avec   une  mission 
secrète  en  Russie.  A  son  retour  il  obtint 
un  régiment  d'infanterie,  et  quelques 
années  plus  tard,  à  la  recommandation 
du  prince  Eugène,  il  entra  au  servicede 
l'Autriche,  avec  le  rang  de  major- 
ge'néral.  Eu  i^So  ,  il  fut  charge  de 
commander   le  corps   d'armée  que 
l'empereur  fit  passer  en  Italie  pour 
occu])er  le  duché  de  Parme  ;  et  en 
1^33   il  fut  envoyé  en  Silésie  pour 
couvrir  les  frontières  de  cette  pro- 
vince ,  et  observer  les  mouvements 
de  la  Pologne  ,  où  l'on  s'occupait  de 
l'élection  d'un  nouveau  roi.  Au  mois 
de  novembre  Wutgenau  firt  nommé 
gouverneur  de  Philipsbourg  ,   avec 
le  rang  de  feld-maréchal-lieutenant. 
Sachant  que  cette  place  était  mena- 
cée ,  il  prit  des  mesures  pour  sa  dé- 
fense.    Le    maréchal   de    Berwick 
arriva  en  eiïet  devant  ses  murs  le 
23  mai  1734,  et  aussitôt  deux  batail- 
lons  suisses   montèrent  à  l'assaut  , 
pour  s'emparer  de  la  Redoute  du 
Rhin  :  ils  furent  d'abord  repoussés  j 
mais  Wutgenau  n'ayant  que  quatre 
cents  hommes  pour  occuper  ce  poste 
important ,  il  les  fit  rentrer  dans  la 
place  à  l'exception  de  trente  hom- 
mes qui  furent  faits  prisonniers.  Bien- 
tôt  les   Français   commencèrent  le 
bombardement ,  et  en  moins  de  vingt- 
quatre  heures  ils  avaient  lancé  deux 
mille  bombes.  Déjà  ils  s'étaient  tel- 
lement avancés  vers  la  tête  du  che- 
min couvert ,  que  l'on  pouvait  les  y 
atteindre  avec  la  baiomif^tte.  Le  com- 
mandant fit  des  sorties  que  la  fai- 
blesse de  sa  garnisoi)  rendit  presque 
nulles  ;  cependant  il  parvint  à  délo- 
ger m  instant  l'ennemi   du  chemin 
couvert  j  et  c'est  dans  ces  circons- 

Lï. 


WUT  a8o 

tances  que  le  maréchal  de  Berwick 
fut  atteint  d'un  coup  de  canon  (  Foy. 
Berwick  )  ;  mais  le  prince  Eugène 
ne  put  secourir  la  place ,  et  Wutge- 
nau se  vit  contraint  de  capituler.  Il 
sortit  avec  les  honneurs  de  la  guerre, 
et  se  rendit  à  Maïence  à  la  tête  de  sa 
garnison  qui ,  quoique  composée  pres- 
que entièrement  de  nouvelles  recrues, 
avait  fait  une  défense  très-honorable. 
L'empereur  lui  écrivit  pour  lui  té- 
moigner sa  satisfaction,  et' lui  donna 
le  régiment  de  Ligneville.  La  diète 
de  l'empire  lui  fit  un  riche  présent 
en  argent ,  et  il  fut  nommé  comman- 
dant de  Maïence  ,  puis  gouverneur 
de  Mantoue,  avec  rang  defe!d-maré- 
chal-lieutenant.  En  arrivant  dans 
cette  place,  en  février  1735,  il  la 
trouva  menacée  par  les  Espagnols, 
et  dans  le  plus  mauvais  état  de  dé- 
fense. Les  mesures  énergiques  qu'il 
sut  prendre  firent  renoncer  les  Espa- 
gnols au  projet  de  l'attaquer.  L'Au- 
triche étant  alors  menacée  d'une 
guerre  avec  la  Turquie ,  et  l'empe- 
reur voulant  être  bien  instruit  de 
l'état  où  se  trouvaient  les  places  for- 
tes de  la  Hongrie,  nomma  Wutge- 
nau {'20  juin  1736  ),  inspecteur- 
général  de  toutes  ses  fortifications  , 
soit  dans  les  états  héréditaires  ,  soit 
dans  l'empire  germanique.  Après 
avoir  terminé  son  inspection ,  ce  gé- 
néral était  en  chemin  pour  retourner 
à  Vienne  ,  lorsqu'une  indisposition 
subite  et  violente  le  força  de  s'arrê- 
ter dans  un  village  près  de  Stuhl- 
Weissenbourg.  Le  lendemain  il  se  fit 
transporter  jusqu'à  Raab ,  d'où  il 
fit  connaître  à  son  souverain  com- 
bien il  regrettait  de  ne  pouvoir  con- 
tinuer sa  route.  Aussitôt  le  prince 
lui  envoya  un  de  ses  médecins  ,  et 
chargea  le  baron  de  Seckendorf  de 
lui  remettre  une  petite  pharmacie  en 
argent ,  avec  un  billet  où  il  lui  disait  : 

'9 


•igo  WYA 

«  Je  prends  une  part  bien  vive  à 
•»  l'incommodité  qui  vous  est  sur- 
»  venue.  Tâchez  de  guérir  prompte- 
»  ment ,  et  venez  me  voir  ,  j'ai  be- 
»  soin  d'avoir  un  entretien  particu- 
»  lier  avec  vous.  »  Mais  Wiitgenau 
sentait  ses  forces  diminuer  de  jour 
en  jour,  et  son  épouse  ,  qu'il  avait 
fait  venir  en  toute  hâtc"de  la  Silésie , 
n'eut  que  le  temps  de  lui  faire  ses 
adieux  j  il  expira  dans  ses  bras ,  le 
23  décembre  17 36.  L'empereur  fut 
très- afflige  de  sa  mort  ,  et  il  or- 
donna au  commandant  de  Raab  de 
lui  rendre  de  grands  honneurs  funé- 
raires. G — Y. 

WYATT  ou  WYAT  (  sir  Tho- 
iviAS  ) ,  courtisan  et  poète  anglais , 
naquit  en  i5o3,  à  Allington-Castle, 
dans  le  comté  de  Kent.  Henri  Wyatt, 
son  père,  avait  joué  un  rôle  dans  la 
guerre  civile  qui  ensanglanta  l'An- 
gleterre, sous  le  nom  des  deux  Ro- 
ses. La  vivacité  avec  laquelle  il  s'était 
déclaré  en  faveur  de  la  branche  lan- 
castérienne  des  Plantagenets  l'avait 
rendu  suspect  aux  agents  de  Richard 
III ,  et  il  avait  été  jeté  dans  un  des 
cachots  de  la  Tour  de  Londres  ,  pen- 
dant le  règne  éphémère  de  l'usurpa- 
teur. Peut-être  eiit-il  perdu  la  vie 
avec  la  liberté  sans  la  révolution  ar- 
mée qui  mit  fin  à  la  tyrannie  de  Ri- 
chard. La  catastrophe  de  Bosworth 
fut  le  signal  du  salut  pour  tous  les 
détenus  quela  politique  avait  chargés 
de  chaînes  (  1 486).  Wyatt,  délivré  un 
des  premiers ,  eut  Fart  de  se  faire 
remarquer  du  vainqueur,  et  fut  am- 
plement indemnisé  de  quelques  mois 
de  prison  par  la  reconnaissance  du 
monarque,  qui, après  l'avoir  nommé 
chef  ou  intendant  du  trésor ,  le  fit 
asseoir  parmi  les  membres  du  con- 
seil-privé, et  plus  tard  lui  confia  le 
commandement  de  l'avant-garde  an- 
glaise pendant  les  guerres  de  France. 


WYA 

Ce  fut  en  cette  qualité  que  le  père  de 
notre  auteur  se  trouva  à  la  mémora- 
ble journée  des  Éperons.  Pendant  ce 
temps,  Thomas  Wyatt  étudiait  les 
langues  anciennes  dans  les  universi- 
tés anglaises.  Oxford  et  Cambridge 
revendiqucnlThonneur  d'avoir  comp- 
té notre  jeune  courtisan  au  nombre 
de  leurs  disciples,  et  appuient  leurs 
prétentions ,  la  première  ,  de  l'au- 
torité d'Antoine  Wood  (  Athen. 
Oxon.)  ;  la  seconde,  de  celle  de  Car- 
ter. Quelque  décision  qu'on  admette 
sur  un  point  si  problématique  ,  et 
peut-être  la  justice  veut-elle  qu'ici 
l'on  adopte  également  les  prétentions 
des  deux  villes  rivales,  il  est  certain 
que  Wyatt,  immédiatement  après 
avoir  quitté  les  bancs ,  se  mit ,  selon 
l'usage  dès-lors  établi  en  Angleter- 
re ,  cà  parcourir  les  pays  étrangers. 
Il  en  revint  doué  de  toutes  les  grâces 
et  de  l'aisance  qui  décèlent  l'homme 
né  pour  le  monde.  Le  nom  de  son 
père  lui  ouvrit  l'entrée  de  la  cour  : 
ses  saillies  et  ses  bons  mots  firent  le 
reste.  Bientôt  il  devint  un  des  favo- 
ris du  vieux  prince,  qui,  cédant  lui- 
même  à  l'amabilité  du  courtisan  , 
le  rapprochait  continuellement  de  sa 
personne,  et  semblait  rechercher  sa 
conversation.  Il  lui  confia  même  le 
secret  de  diverses  négociations,  et 
finit  par  l'employer  dans  plusieurs 
ambassades.  Il  l'éleva  de  plus  au 
rang  de  chevalier ,  ce  qui  le  plaçait 
près  des  lords.  Sa  faveur  s'accrut 
encore  sous  le  règne  de  Henri  VIII;, 
dont  le  caractère  despotique  et  altier 
ne  repoussait  nullement  la  plaisante- 
rie ,  et  sur  qui  une  repartie ,  un  mot 
spirituel  pouvait  souvent  exercer  une 
influence  à  laquelle  aurait  vaine- 
ment prétendu  l'argumentation  la 
plus  solide ,  parée  de  tous  les  char- 
mes de  l'éloquence.  Cette  influence 
fut  quelquefois,  à  ce  qu'il  paraît ,  le 


WYA 

partage  de  Wyatt.  De  graves  auteurs 
racontent  que  se;>  bons  mots  préci- 
pitèrent la  consommation  du  schis- 
me anglican  ,  et  plus  tard  la  ruine  du 
fameux  cardinal  Wolsey.  On  peut 
regretter  qu'ils  n'aient  pas  pris  la 
peine  de  nous  en  rapporter  quelques- 
uns  ,  ou  plutôt  qu'ils  n'aient  pas  fait 
un  choix  judicieux  en  les  consignant 
dans  leurs  ouvrages.  Au  reste,  de 
quelque  faveur  qu'ait  joui  Wyatt  pen- 
dant les  premières  années  du  règne 
de  Henri ,  il  lui  arriva  ,  comme  à 
presque  tous  les  favoris  de  ce  prince 
ombrageux  et  hautain,  de  déplaire, 
et  même  d'être  obligé  de  quitter  le 
palais  du  roi  pour  la  Tour  de  Lon- 
dres. Selon  les  uns,  il  aurait  olïense 
la  reine  Anne  de  Boulen,  que  cepen- 
dant il  avait  contribué  à  porter  sur 
le  trône.  D'autres  veulent  au  contrai- 
re qu'il  ait  été  soupçonné  d'être  avec 
elle  bien  mieux  qu'il  ne  convenait 
à  hienri  VIII.  Mais  il  est  probable 
que  ces  deux  opinions  sont  également 
hasardées.  On  voit,  par  un  discours 
que  Wyatt  lui-même  prononça  devant 
les  juges,  qu'il  fut  accusé  d'entrete- 
nir une  correspondance  secrète  avec 
le  cardinal  Pool ,  et  d'avoir  laissé 
échapper  de  sa  plume  des  expres- 
sions peu  respectueuses  pour  la  ma- 
jesté royale.  Ces  incriminations  ri- 
dicules étaient ,  selon  l'auteur,  le  ré- 
sultat d'une  intrigue  de  cour  et  de  la 
jalousie  de  l'évêque  de  Londres , 
Konner.  Wyatt  repoussa  avec  beau- 
coup d'esprit ,  de  force  et  d'aisance, 
les  calomnies  de  ses  ennemis.  Mais 
le  roi  était  prévenu,  et  la  sentence 
portée  d'avance.  Il  fut  deux  fois  em- 
prisonné et  condamné  à  payer  une 
amende.  Heureusement ,  ses  amis  in- 
tercédèrent en  sa  faveur,  et  prouvè- 
rent son  innocence.  Henri  lui  rendit 
ses  bonnes  grâces,  et  pour  lui  don- 
ner un  témoignage  public  de  sa  con- 


WYA 


ig] 


fiance  ,  l'envoya  comme  ambassa- 
deur à  la  cour  impériale.  Wyatt  par- 
tit sur-le-champ.  Mais  la  précipita- 
tion qu'il  mit  à  se  rendre  vers  le  port 
où  il  devait  s'embarquer ,  au  milieu 
des  chaleurs  de  l'été  ,  lui  devint  fa- 
tale; il  fut  attaqué  d'une  fièvre  mali- 
gne ,  et  expira  peu  de  temps  après  à 
Shireboarne  dans  le  comte  de  Dorset , 
en  1 541.  Il  n'avait  encore  que  tren- 
te-huit ans.  C'est  principalement 
comme  poète  que  Wyatt  a  droit  à 
quelque  célébrité.  Ami  intime  du  com- 
te de  Surrey ,  il  contribua  ainsi  que 
lui  à  rendre  la  langue  de  ses  com- 
patriotes un  peu  moins  rude  et  moins 
sauvage.  Sa  versification  a  quelque 
chose  de  l'harmonie  et  de  la  grâce 
italiennes  :  cependant  il  s'en  faut  de 
beaucoup  qu'il  atteigne  à  la  mélo- 
dieuse souplesse  de  Dryden  et  de  Po- 
pe. De  plus  on  doit  remarquer  que 
trop  souvent  la  phrase  de  Wyatt 
n'est  poétique ,  disons  mieux  ,  ne 
forme  un  vers  ^  qu'aux  dépens  de  la 
clarté  ;  et  ici  l'obscurité  ne  résulte 
pas  de  l'emploi  des  mots  ,  des  tours 
exclusivement  réservés  à  la  poésie. 
L'imitation  des  poètes  italiens  in- 
troduisit aussi  dans  ses  vers  les  con- 
cetti  et  les  puérilités  à  la  mode  au- 
delà  des  Alpes.  On  voit  d'ailleurs  que 
Wyatt  s'était  trompé  dans  le  choix 
de  ses  sujets^  qui  roulent  presque 
perpétuellement  sur  l'amour,  et  qui 
étaient  peu  en  harmonie  avec  l'hu- 
meur caustique  et  badine  qui  était  le 
fonds  de  son  caractère.  Ses  sonnets, 
calqués  sur  ceux  de  Pétrarque ,  sont 
froids ,  pédantesques,  vides  de  senti- 
ment et  de  passion;  ils  ressemblent 
à  leur  modèle  comme  une  momie  à 
un  personnage  vivant.  Surrey  l'em- 
porte de  beaucoup  sur  lui  à  cet 
égard.  En  revanche,  Wyatt  re- 
prend la  supériorité  dans  la  satire. 
C'est  avec  une  fidélité  à-la-fois  spi- 
19.. 


292  WYA 

rituelle  et  poétique  qu'il  décrit  les 
travers  et  les  vices  de  son  temps  • 
et  il  est  permis  de  croire  que  s'il  s'é- 
tait exclusivement  consacré  à  ce  gen- 
re, il  serait  encore  loué  sans  restric- 
tion par  la  postérité  ,  malgré  les  gra- 
ves changements  que  trois  siècles  ont 
dû  apporter  dans  la  langue, les  idées 
et  les  mœurs  de  ses  compatriotes.  Ce 
qui  nous  reste  des  poésies  de  Wyatt 
a  été  publié  conjointement  avec 
celles  de  Surrey  ,  en  1 557  •  'ïî-4"«  5 
etc.  (  Fojez  Surrey  ,  XLIV  , 
282  ).  Ses  œuvres  ont  été  réimpri- 
mées avec  cellesdeson  ami, par  G.- 
Fr.  Nott,  1812,  2  vol.  iu-4*'.  Les 
auteurs  de  la  Bévue  d'Édinbourg  , 
en  annonçant  cette  édition,  l'ont  ju- 
gée peu  nécessaire,  surtout  à  l'égard 
de  Wyatt,  qui  selon  eux  manquait 
absolument  de  feu  poétique.  Il 
avait  composé  aussi  une  paraphra- 
se des  psaumes  en  vers  anglais. 
Surrey  donne  de  grandes  louanges 
à  cette  composition.  Mais  le  peu 
qui  en  a  été  publié  dans  la  dernière 
édition  de  la  collection  des  Poètes 
anglais  nous  donne  lieu  de  ne  point 
regretter  la  perte  des  autres,  h' Éloge 
de  Wyatt,  par  Surrey,  se  trouve 
dans  les  œuvres  de  ce  dernier  ,  et 
fait  autant  d'honneur  au  panégyriste 
qu'à  l'ami  qu'il  regrette.  Léland  pu- 
blia vers  le  même  temps  un  recueil 
de  pièces  en  vers  latins  élégiaquessur 
la  mort  de  notre  poète,  sous  Je  titre 
de  Nœniœ  in  mortem  Thomœ  Fia- 
tiy  equitis  incomparabilis  ,  Joanne 
Lelando  Antiquario  auctore  ,  un 
vol.  in-4".  P — OT. 

^  WYATT  (  Thomas  ) ,  fils  du  pré- 
cédent, se  distingua  dans  les  trou- 
pes anglaises  par  son  intrépidité.  11 
était  capitaine, lorsque  l'avènement 
de  Marie  au  trône  excita  tant  de  mé- 
contentements et  d'intrigues  dans  le 
royaume.  Cependant  un  premier  sou- 


WYA 

lèvement  avait  été  étouffé  ,  et  l'An- 
gleterre était  tranquille  ^  quand  l'an- 
nonce du  mariage  de  la  reine  avec 
le  roi  d'Espagne  Philippe  II  servit 
de  prétexte  aux  séditieux  pour  orga- 
niser de  nouveaux  bouleversements. 
Le  duc  de  Sulf'olk  était  encore  l'ame 
de  cette  conspiration;  mais  Wyatt 
en  fut  lebraS;,et  seul,  des  agents  qui 
furent  mis  en  avant  par  le  véritable 
chef,  il  obtint  quelques  succès.  Qua- 
tre gentilshommes  ,  sir  Pierre  Croft , 
sir  Pierre  Carevv ,  Gibbs  et  Cham- 
pernham  ,  devaient  combiner  leurs 
mouvements  avec  le  sien ,  et  agir 
dans  le  Devonshire  ,  le  comté  de 
Cornouailies  et  la  principauté  de 
Galles,  tandis  que  Wyatt  soulè- 
verait le  comté  de  Kent.  Nous 
examinerons  plus  lard  quel  était  le 
but  de  cette  insurrection.  Ce  qu'il 
y  a  de  certain ,  c'est  que  le  comte 
de  Devonshire  (  Gourteney  )  ,  soit 
que  définitivement  on  lui  eût  pro- 
mis la  main  d'Elisabeth  ,  soit  que 
les  conspirateurs  ne  lui  eussent  don- 
né que  des  espérances ,  soit  enfin 
qu'il  s'engageât  sans  motifs  d'ambi- 
tion parmi  les  mécontents  ,  devait  y 
figurer ,  et  que  l'on  comptait  prin- 
cipalement sur  lui  pour  faire  pren- 
dre les  armes  aux  habitants  du  com- 
té de  De  von.  Mais  rien  ne  s'exécuta 
conformément  au  plan  qu'on  avait 
arrêté.  Le  complot,  ourdi  à  cause  de 
l'union  de  la  souveraine  d'Angleterre 
avec  le  fils  du  monarque  des  Espa- 
gnes,  ne  devait  éclater  que  le  jour  de 
la  cérémonie  nuptiale.  Garew  se  dé- 
clara inopinément  avec  ses  deux 
amis  Champernham  et  Gibbs  : 
Courteney  qui  devait  se  joindre  à 
eux  balança  ;  et  le  peuple  ,  que 
sa  présence  aurait  entraîné  dans  le 
parti  des  rebelles  ,  resta  muet.  En 
vain  de  pompeuses  proclamations 
étaicntdistribuées  j  en  vain  desadres- 


WYA 

ses  étaient  proposées  à  la  signature 
des  habitants  d'Exéter.  A  peine 
quelques  hommes  perdus  de  dettes 
se  joignirent  à  eux  ,  et  peu  après 
ils  furent  tous  arrêtes  ou  forcés 
de  chercher  un  asile  en  France. 
D'autre  part  Croft,,  dont  tous  les 
pas  étaient  surveillés,  ne  fut  pas  plu- 
tôt arrivé  dans  ses  terres  voisines 
des  douze  comtés  de  Galles,  qu'il 
fut  saisi  dans  son  lit.  Enfin  le  duc  de 
Sufl'olk  lui-même  ne  put,  ni  par  son 
influence  ni  par  ses  largesses,  déter- 
miner le  peuple  des  villes  à  le  sui- 
vre :  un  léger  engagement  dans  les  en- 
vironsde  Coventry  acheva  de  le  con- 
vaincre qu'il  fallait  se  réserver  pour 
des  temps  plus  heureux  ;  ethientôtun 
de  ses  tenanciers  nommé  Underwood 
le  livra  aux  soldats  qui  le  cherchaient. 
Wyatt  seul  parvint  à  donnera  la  ré- 
bellion une  apparence  formidable  j 
et  quoique  forcé  d'agir  avant  le 
temps  ,  par  la  précipitation  de  ses 
complices,  il  déploya  tant  d'habi- 
leté ,  et  mit  tant  de  secret  dans  l'or- 
ganisation du  mouvement  qu'il  pro- 
jetait, que  ses  ennemis  ne  lui  refu- 
sèrent pas  des  louanges  dues  à  la 
vigilance  et  à  l'activité  même,  quand 
elles  sont  si  mal  employées.  A  pei- 
ne ce  nouveau  chef  eut  -  il  tiré 
l'épée  ,  qu'il  vit  quinze  cents  hom- 
mes d'élite  autour  de  lui.  Cinq  mil- 
le autres ,  non  moins  déterminés , 
étaient  encore  dans  leurs  foyers  , 
mais  se  tenaient  prêts  à  voler  au 
premier  signal  sous  ses  étendards. 
Le  vieux  château  ruiné  de  Rochester 
lui  servit  de  demeure  pendant  ses 
premières  opérations  ;  un  complice 
secret  ,  nommé  Wintci ,  commandait 
une  escadre  de  cinq  voiles  sur  la 
Tamise,  et  lui  fournissait  des  muni- 
tions et  de  l'artillerie  :  en  même  temps 
il  érigeait  des  batteries  pour  défen- 
dre le  passage  du  pont  et  la  rive 


WYA 


293 


opposée  du  fleuve.  Néanmoins  la 
fortime  sembla  d'abord  se  déclarer 
contre  son  entreprise.  Un  détache- 
ment qu'il  avait  envoyé  vers  Knevet 
fut  battu  au-dessous  de  cette  ville  , 
par  sir  Robert  South well.  Lord  Aber- 
gavenny  délit  de  même  un  renfort 
considérable  qu'amenait  à  Rochester 
un  conspirateur  nommé  Isley.  Le 
shérif  et  les  habitants  de  Cantor- 
béry  refusèrent  de  lui  ouvrir  leurs 
portes.  Enfin  ,  malgré  les  assurances 
qu'il  renouvelait  sans  cesse,  et  de  la 
coopération  des  Français ,  et  des  pro- 
grès de  l'insurrection  sur  les  autres 
points  du  royaume,  le  nombre  de  ses 
partisans  décroissait  de  jour  en  jourj 
et  peut-être  ses  forces  se  fussent-elles 
dissipées  sans  coup  férir ,  si  la  cour 
les  eût  abandonnées  à  elles-mêmes. 
Mais  des  troupes  royalistes  étaient  dé- 
jà en  marche  sous  la  conduite  du  duc 
de  Norfolk.  Quoique  inférieures  en 
nombre  ,  le  chef  les  mena  aussitôt 
vers  les  murs  où  était  renfermé  l'en- 
nemi ;  et,  après  avoir  à  haute  voix  , 
mais  vainement,  offert  le  pardon  au 
nom  de  la  reine ,  il  leur  commanda 
de  forcer  le  passage  du  pont.  Tout  à 
coup  un  of licier  appelé  Brct  ,  qui, 
à  la  tête  de  cinq  cents  habitants  de 
Londres  ,  s'était  volontairement  ad- 
joint au  duc  ,  fit  faire  halte  à  sa  colon- 
ne ,  et  levant  son  épée,  déclara  qu'en- 
nemi implacable  des  étrangers  il  al- 
lait verser  son  sang  pour  la  cause  du 
brave  capitaine  Wyatt.  Tous  ceux 
qu'il  avait  sous  son  commandement 
le  suivirent;  et  Wyatt  lui-même  , 
passant  le  pont  à  la  tête  de  sa  cava- 
lerie ,  rejoignit  ses  nouveaux  parti- 
sans. Norfolk  et  ses  principaux  offi- 
ciers ,  craignant  une  défection  géné- 
rale ,  commencèrent  à  opérer  leur 
retraite  vers  Gravescnd.  Mais  ils  eu- 
rent encore  à  regretter  beaucoup  de 
trajisfuges  ;  et  ils  virent  sept  pièces 


294 


VVYA 


d'artillerie,   qu'ils  avaient  amenées 
avec  eux,  tomber  au  pouvoir  des 
rebelles.  Ce  succès  imprévu   ouvrit 
les  yeux  aux  ministres,  et  leur  prou- 
Ta    que  les   conspirateurs   s'étaient 
ménagé  des  intelligences  jusque  dans 
]e  cœur  de  la  ville.  On  prit  aussitôt 
des  mesures  pour  préserver  la  Cité 
et  surtout  la  Tour  •  les  ponts  furent 
rompus  dans  un  rayon  de  quinze  mil- 
les ,  et  l'on  s'assura  des  bateliers  de 
la  rive  opposée  ;  une  récompense  de 
cent  livres  sterling  par  an,  en  biens- 
fonds  ,   fut  offerte   à   celui   qui  ar- 
rêterait   Wyatt.   En  même    temps 
les  ministres,  effrayés  de  ses   pro- 
grès ,   lui  envoyaient  un  message , 
et  le  priaient  de  faire  connaître  toute 
rétendue  de  ses  demandes.  Cet  aveu 
de  faiblesse  redoubla  la  confiance  des 
révoltés  ,   et  le  chef  osa  répondre 
qu'il  voulait  que  la  reine  remît  entre 
ses  mains  la  garde  de  sa  personne  , 
que  le  conseil-d'état  fût  cassé  et  re- 
composé à  son  gré,  enfin  qu'on  lui 
confiât  le  gouvernement  de  la  Tour. 
Tandis  que  tout  s'indignait  et  trem- 
blait dans  le  palais ,  et  que  les  am- 
bassadeurs espagnols^  craignant  pour 
leur  vie  ,  se  réfugiaient  dans  des  ba- 
teaux marchands ,  Wyatt  s'emparait 
du  faubourg  de  Southwark.  Mais  la 
populace  qu'il  s'attendait  à  voir  af- 
fluer dans  son  camp,  resta  spectatrice 
indifférente  des  événements.  La  cour 
alors  reprit  courage  ;   les  renforts 
qu'elle  demandait  de  tous  cotés  ar- 
rivèrent ,  et  Wyatt ,  dont  l'armée 
avait  compté  jusqu'à   quinze  mille 
hommes ,  en  eut  bientôt  perdu  plus 
de  la  moitié.    Le    feu   des    canons 
de  la   Tour    le    força    d'abandon- 
ner Southwark ,  et  il  perdit  encore 
du  monde  dans  cette  retraite.  C'est 
alors  que  résolu  à  porter  un  coup 
décisif  ou  à  périr  victime  de  son  au- 
dacieuse entreprise ,  et  comptant  sur 


WYA 

l'assistance  de  quelques-uns  des  ré- 
formateurs de  la  Cité  ,  il  forma  le 
dessein  de  surprendre  Ludgate,  une 
heure  avant  le  lever  du  soleil.  Eu 
conséquence ,  il  dirigea  sa  marche 
vers  Kingston  ,  passa  la  Tamise 
à  la  nage^  et  fît  rétablir  le  pont  qui 
avait  été  démoli  en  partie.  Le  gros 
des  rebelles  passa  ensuite^  mais  bien- 
tôt des  retards  inattendus  semblèrent 
rendre  l'entreprise  inexécutable;  et 
le  nombre  des  insurgés  diminua  en- 
core. Pour  comble  de  malheur  ,  des 
transfuges  allèrent  informer  la  reine 
du  coup  tramé  par  Wyatt.  Tous  les 
royalistes  disponibles  furent  immé- 
diatement appelés  par  la  cour  ,  et  le 
lendemain  à  quatre  heures  du  matin 
dix  mille  hommes  d'infanterie,  quinze 
cents  chevaux,  de  puissantes  batteries 
de  canon  couronnaient  les  hauteurs 
opposées  à  St.- James. Cet  appareil  for- 
midable déconcerta  le  chef  des  rebel- 
les. Mais  il  sentait  que  la  retraite  serait 
sa  destruction  complète  ,  et  qu'une 
aveugle  intrépidité  pouvait  seuledon- 
ner  encore  quelques  chances  de  réus- 
site. Saisissant  un  étendard, il  se  pré- 
cipita comme  pour  charger  la  cava- 
lerie. Celle-ci  s'ouvrit ,  soit  par  la 
violence  du  choc  ,  soit  que  l'ordre 
en  eût  été  donné  d'avance  ,  et  laissa 
passer  environ  cinq  cents  hommes, 
puis  se  refermant  tout-à-coup  ,  elle 
sépara  ainsi  en  deux  corps  la  masse 
des  insurgés.  Ceux  qui  étaient  éloi- 
gnés de  leur  chef  n'apportèrent 
qu'une  faible  résistance  ,  et  furent 
faits  prisonniers  à  l'exception  d'une 
centaine  qui  restèrent  sur  le  champ 
de  bataille.  Wyatt  et  ses  compa- 
gnons avancèrent  jusqu'aux  portes 
du  palais  de  Ludgate;  lui-même,  lais- 
sant ses  amis  à  quelque  distance ,  s'ap- 
procha jusqu'à  l'entrée, et  demanda 
à  être  admis  devant  la  reine.  Refusé, 
il  revint  sur  ses  pas  ,  et  trouvant  le 


! 


WYA 

combat  engage,  il  y  prit  part  jusqu'à 
ce  qu'il  n'eût  plus  autour  de  lui  que 
quarante  compagnons.  Alors  ,  un 
héraut  d'armes  l'ayant  invité  à  épar- 
gner le  sang  de  ses  amis  et  à  se  ren- 
dre prisonnier ,  il  jeta  son  ëpée  et  se 
remit  entre  les  mains  de  sir  Maurice 
Berkely,  espe'rant  qu'il  serait  traité 
non  point  en  rebelle,  mais  en  prison- 
nier de  guerre.  Il  ne  fut  pas  long- 
temps à  s'apercevoir  de  son  erreur. 
Marie,  qui  lors  de  la  première  cons- 
piration tramée  contre  elle  n'avait 
sévi  qu'à  l'égard  de  trois  conjurés, 
avait  adopté  depuis  les  principes  sé- 
vères de  Philippe ,  et  elle  crut  devoir 
déployer  en  cette  circonstance  la  plus 
grande  rigueur.  Ce  fut  même  vaine- 
ment que,  dans  l'espoir  de  sauver 
sa  vie,  il  laissa  échapper  des  aveux 
qui  furent  autant  de  charges  d'accu- 
sation contre  Elisabeth  ,  toujours  en 
butte  aux  soupçons  et  à  la  jalousie 
de  sa  sœur.  Déjà  le  duc  de  Sufïblk 
avait  déclaré  qu'en  levant  l'étendard 
de  la  rébellion,  son  but  était  de 
faire  monter  sur  le  trône  la  fdle 
d'Anne  de  Boulen  ,  en  la  mariant  à 
Courteney  :  Wyatt  avoua  qu'il  avait 
à  diverses  reprises  écrit  à  cette  prin- 
cesse ,  et  lorsqu'il  fut  confronté  avec 
Courteney,  il  soutint  que  ce  dernier 
avait  été  l'instigateur  de  cette  levée 
de  boucliers ,  et  que  s'il  se  trouvait 
pour  l'instant  dans  les  rangs  des  dé- 
fenseurs de  Marie ,  c'était  grâce  à 
une  apostasie  sinon  plus  criminelle  , 
au  moins  plus  honteuseque  sa  révolte. 
Celte  facilité  à  nommer  les  compli- 
ces ou  les  auteurs  de  l'entreprise  ra- 
baissa Wyatt  dans  l'esprit  de  ses  ad- 
versaires ,  qui  jusqu'alors  avaient 
conçu  la  plus  haute  idée  de  sa 
fermeté  et  de  son  courage ,  et  n'a- 
doucit ni  la  sévérité  des  juges  ,  ni 
l'indignation  de  la  reine.  Condamné 
i  périr  par  la  main  du  bourreau^  il 


WYA 


295 


marcha  au  supplice  le  1 1  avril 
1554.  Selon  quelques  historiens ,  il 
se  rétracta  sur  l'échafaud,  et  procla- 
ma l'innocence  d'Elisabeth.  Mais 
cette  dernière  circonstance  est  une 
hypothèse  gratuite  à  très-peu  de  cho- 
se près ,  puisqu'elle  n'a  d'autre  base 
parmi  les  documents  contemporains 
que  l''alïirmation  de  l'ambassadeur 
français  Noailles.  Entraînés  par  leur 
zèle  pour  la  religion  anglicane,  pres- 
que tous  les  écrivains  anglais  se  sont 
efforcés  de  laver  Élisabetli  du  repro- 
che d'avoir  trempé  dans  une  conspi- 
ration dont  le  but  était  sinon  de  faire 
périr ,  du  moins  de  faire  descendre 
du  trône  sa  sœur  aînée.  Que  tel  fut 
le  dessein  des  rebelles  ^  c'est  ce 
que  démontrent  les  proclamations 
de  Wyatt ,  proclamations  dont  l'idée 
dominante  est  celle-ci ,  que  Marie  en 
prenant  possession  du  diadème  de 
Henri  VIll,  avait  promis  de  ne  point 
rétablir  le  catholicisme  ,  de  ne  point 
épouser  de  prince  étranger;  qu'ayant 
violé  ses  promesses  ,  elle  était  par  le 
fait  même  déchue  du  trône.  Quant  à 
la  connivence,  et  peut-être  à  la  com- 

f)îicité  d'Elisabeth  ,  non-seulement 
ord  Russel ,  un  des  conjurés  ,  avouait 
lui  avoir  porté  une  lettre  de  Wyatt, 
mais  une  autre  lettre  par  lui  adres- 
sée à  la  princesse  avait  été  inter- 
ceptée (25  j  anv.)  quelques  j  ours  avant 
que  la  conspiration  éclatât ,  et  fut 
dans  la  suite  reconnue  par  Wyatt. 
Trois  lettres  confidentielles  de  l'am- 
bassadeur français  à  sa  cour  expli- 
quaient avec  non  moins  de  clarté 
tout  ce  qui  se  machinait  dans  l'om- 
bre :  enfin  la  conduite  même  d'E- 
lisabeth ,  son  éloignement  de  la 
métropole  ,  le  soin  qu'elle  avait; 
de  remplir  sa  maison  de  soldats  , 
tout  semble  être  d'accord  pour  faire 
croire  à  la  réalité  d'un  dessein  qui 
ne  devait  que  trop  flatter  un  esprit 


296  WYA 

ambitieux  et  dominateur.  A  tout  cela 
qu*oppose  - 1  -  on  ?  l'insuffisance  des 
aveux  de  Wyatt?  mais ,  comme  on 
voit,  nous  ne  faisons  point  entrer  ces 
aveux  eu  ligne  de  compte  ;  l'acquit- 
tement d'Elisabeth  par  le  conseil  de 


sa  sœur  /  mais 


Gardi 


ncr,  au  couraî 


et  à  l'intégrité  de  qui  elle  dut  la  vie  , 
se  bornait  à  faire  voir  qu'elle  ne  s'é- 
tait compromisepar  aucune  démarclie 
active,  et  qu'on  ne  pouvait  juridi- 
quement lui  appliquer  la  lettre  de  la 
loi  ;  le  témoignage  même  de  l'accu- 
sée ?  mais  jamais  Elisabeth  n'a  passé 
pour  pécher  par  excès  de  sincérité  ; 
et ,  si  l'on  veut  examiner  scrupuleu- 
sement ses  paroles  ,  on  sentira  qu'il 
y  a  bien  des  aveux  sous  ces  dénéga- 
tions. Au  reste,  cette  question  est 
décidée  depuis  que  le  docteur  Lin- 
gard,  dans  l'Histoire  du  règne  de 
Marie ,  a  consigné  les  résultats  des 
Mémoires  de  Noailles  et  de  Renard. 
Il  ne  nous  reste  pour  achever  l'es- 
quisse complète  de  la  conjuration 
de  Wyatt  qu'à  fixer  les  yeux  des  lec- 
teurs, d'une  part,  sur  la  coopération 
secrète  du  plénipotentiaire  français , 
dont  l'hôtel  était  le  rendez-vous  des 
conspirateurs  et  le  centre  de  tous 
leurs  conciliabules  ;  de  l'autre,  sur  la 
fm  tragique  de  Jeanne  Grey  et  de  son 
époux,  que  Marie  fit  décapiter  quatre 
jours  après  l'action  de  Ternplebar. 
Marie  victorieuse  leur  avait  accordé 
la  vie  après  son  triomphe,  et  les 
gardait  comme  gages  de  la  fidélité 
du  duc  de  Sufï'oik.  Ce  gage  était 
racheté  par  la  rébellion  du  duc  ;  et 
c'est  ainsi  que  le  complot  de  Wyatt 
devint  funeste  ,  non-seulement  à  ceux 
qui  y  participaient,  mais  encore  à 
ceux  qui  en  avaient  ignoré  l'existence. 

P OT. 

WYATT  (  Jacques  ) ,  un  des  plus 
célèbres  architectes  modernes  ,  na- 
quit à  Burtou ,  dans  le  comté  de  Staf- 


WYA 

ford  ,  vers  Tannée  1743 ,  et  fît  ses 
premières  études  dans  sa  ville  natale 
oii  il  resta  jusqu'à  l'âge  de  quatorze 
ans.   A  cette  époque  ,  lord  Bagot , 
ambassadeur  de  la  Grande-BretagnCs 
près  de  Sa  Sainteté,  étant  parti  poui" 
l'Italie,  Wyatt  eut  le  bonheur  d'ê-' 
tre  compris    dans  la    suite  de    ce 
diplomate.   Arrivé  dans  l'ancienne 
capitale  du  monde,  le  goût  qu'il  avait 
déjà    montré    dans    l'humble    cité 
de  Burton  ,    pour   les   beautés   de 
l'architecture  ,    se  développa  à  la 
vue  des  chefs  -  d'œuvre  de   l'anti- 
quité et  des   belles  imitations    des 
modernes.    Riche   d'enthousiasme  , 
d'imagination  et  de  patience,  il  étu- 
dia avec  le  soin  le  plus  minutieux  ces 
admirables  monuments  ,  et  se  péné- 
tra des  idées,  du  génie,  du  caractère 
des  artistes  qui  les  ont  créés.   On  l'a 
entendu  raconter  ,  dans  la  suite,  que 
pendant  son  séjour  à  Rome  il  avait 
souvent  grimpé  jusque  sur  le  sommet 
delà  coupole  de  Saint-Pierre,  et  qu'il 
mesurait  de  ses  mains  la  hauteur  de  ce 
gigantesque  édifice.  De  Rome ,  Wyatt 
se  rendit  à  Venise,  oh,  sous  la  tutelle 
du  célèbre  Viscentini ,   il  joignit  à 
l'étude  de  l'architecture  celle  de  la 
peinture,  ou  du  moins  des  principes 
de  cet  art.  Revenu  en  Angleterre  ,  à 
vingt  ans  ,  il  se  trouva  capable  de 
prendre  place  parmi  les  maîtres  les 
plus  habiles  à  un  âge  où  beaucoup  ne 
peuvent   même    pas    siéger   sur    le 
banc   des    écoles.   Il   ne    lui    man- 
quait qu'un  grand  ouvrage  à  exécuter. 
Le  plan  du  Panthéon  de  Londres  , 
Oxford  -  Street ,  fixa  sur  lui  l'atten- 
tion publique  ,   et   le  plaça  parmi 
les    premiers     architectes    anglais. 
Rien  n'égale  ce  bel  édifice  pour  la 
grandeur  et  l'harmonie  de  l'ensem- 
ble, pour  la  profusion  et  la  sévérité 
des  ornements.  De  toutes  les  parties 
de  l'Angleterre  et  bientôt  de  l'Eu* 


WYA 

rope ,  on  adressa  des  demandes ,  des 
projiositions  à  Wyatt.  L'impératrice 
de  Russie  le  fit  engager  par  son  am- 
bassadeur à  quitter  Londres  pour 
Pétersbourg  :  ses  appointements  en 
Bussie  devaient  être  portes  à  la  som- 
me qu'il  fixerait  lui-même.  Quelque 
avantageuses  que  fussent  ces  con- 
ditions ,  Wyatt  refusa  d'y  souscri- 
re. Il  était  d'ailleurs  sans  cesse  et 
lucrativemcnt  employé'  tant  par  le 
gouvernement  que  par  les  ])articu- 
liers.  A  la  mort  de  sir  William 
Chambers  ,  il  fut  nommé  à  sa  place 
inspecleur-general  des  bâtiments  ;et 
peu  de  temps  après,  Benjamin  West 
ayant  été  obligé,  par  suite  d'une  con- 
testation ,  de  résigner  la  présidence 
de  l'académie  royale  ,  Wyatt  fut  élu 
pour  le  remplacer.  Il  refusa  néan- 
moins les  fonctions  honorables  qu'on 
lui  imposait,  et  ne  les  accepta  enfin 
que  sur  l'ordre  formel  du  roi  :  encore 
les  rendit-il  à  West  l'année  suivante. 
Parmi  les  nombreux  édifices  élevés 
ou  restaurés  par  Wyatt  ,  les  plus 
remarquables  sont  le  palais  deKew, 
l'abbaye  deFontliill,  l'église  d'Han- 
worth  ,  le  palais  des  lords  ,  la  cha- 
pelle de  Henri  VII ,  le  château  de 
Windsor,  Bulstrode ,  Doddington- 
Hall ,  etc. ,  etc.  Dans  tous  ,  on  re- 
marque un  goût  pur  et  correct ,  en 
même  temps  qu^m  style  grandiose , 
large  et  harmonieux.  Il  est  heureux 
surtout  dans  les  compositions  où  il  a 
suivi  les  règles  de  l'architecture  grec- 
que :  celles  oii  il  s'est  abandonné  à 
ses  propres  inspirations  ,  celles  ou  il 
a  essayé  d'imiter  le  genre  gothique 
sont  loin  d'être  également  admirées 
par  les  connaisseurs.  Peut-être  est-ce 
la  faute  du  genre  plus  que  celle  de  l'ar- 
tiste. Tant  detra  vaux,  la  plupart  ma- 
gnifiquement récompensés ,  auraient 
dû ,  au  bout  d'une  carrière  de  qua- 
rante-huit ans ,  donner  à  Wyatt  la 


WYC  397 

fortune  d'un  prince  \  malheureuse- 
ment son  économie  n'égalait  point 
ses  talents.  Il  mourut  le  5  septem- 
bre i8i3  ,  âgé  de  soixante -dix 
ans ,  sur  la  route  de  Londres ,  où 
il  se  rendait  dans  la  voiture  d'un  de 
ses  amis.  Une  autre  voiture  ayant 
accroché  celle-ci  ^  la  violence  du  choc 
donna  ,  à  ce  que  l'on  suppose,  une 
commotion  violente  au  cerveau  de 
notre  architecte  ,  et  il  expira  sur-le- 
champ.  L'aîné  de  ses  fils  exerce  en- 
core l'architecture  à  Londres  avec 
succès.  P — Oï. 

WYGHERLEY.  V.  Wicherley. 

WYCK  (Thomas),  surnommé  le 
Vieux f  peintre  et  graveur  à  l'eau- 
forte,  naquit  à  Harlem  en  1616. 
11  excellait  à  représenter  des  ports 
de  mer  remplis  de  vaisseaux  et 
fournis  de  tous  les  objets  qui  appar- 
tiennent à  la  marine.  Il  peignit  avec 
un  égal  succès  des  foires  ,  des  places 
publiques,  des  tréteaux  de  charlatans, 
de  faiseurs  de  tours  et  de  bateleurs. 
Ses  intérieurs  de  laboratoires  de  chi- 
mistes sont  traités  avec  un  soin  et 
une  exactitude  rares.  Rien,  jusqu'aux 
moindres  détails  ,  n'est  négligé  par 
lui.  Son  dessin  est  correct,  sa  cou- 
leur chaude  et  bien  empâtée,  son  pin- 
ceau facile,  quoique  soigné.  Il  fit  en 
Italie  un  séjour  de  quelques  années, 
qui  fut  profitable  pour  son  talent. 
A  Naples  particulièrement,  il  peignit 
la  plupart  des  ports  de  ce  royaume, 
et  enrichit  ses  tableaux,  remarqua- 
bles par  leur  vérité  ,  d'une  multitude 
de  figures  touchées  avec  beaucoup 
d'esprit  et  coloriées  suivant  l'usage 
du  pays.  Dans  presque  tous  ses  ou- 
vrages, on  voit  un  Turc  habillé  en 
rouge  et  coiffé  d'un  turban  blanc.  Il 
tâcha  d'imiter  la  manière  de  Bam- 
boche; et  ses  tableaux  jouissaient 
d'une  si  grande  estime ,  que,  même  de 
son   vivant ,  on  les  payait  des  prix 


ig^  WYG 

exorbitants.  Il  a  grave  à  l'eau  -  for- 
te, d'une  pointe  ierrae  et  légère,  di- 
vers petits  sujets  qui  ne  sont  pas 
moins  rccliercliés  que  ses  tableaux. 
Il  se  trouvait  dans  la  collection  de 
Marotte  quatorze  eaux  -  fortes  de 
Wyck  ,  qui ,  àla  vente  de  son  cabinet 
d'estampes  ,  ont  été  payés  plus  de 
trois  cents  francs.  Les  plus  remar- 
quables sont  :  I.  Une  Femme  assise 
à  terre,  avec  un  bâton  entre  les 
jambes ,  pièce  en  cuivre ,  d'un  pouce 
de  diamètre.  II.  Un  Cavalier  au  ga- 
lop y  de  même  dimension.  III.  Deux 
Cavaliers  qui  font  en  courant  le 
coup  de  pistolet  y  de  trois  pouces  de 
large  sur  un  de  haut.  IV,  V  et  VI. 
Trois  Familles  de  villageois ,  dans 
nn  pciysage  orné  de  ruines,  mais 
dont  les  personnages  et  les  fonds  sont 
diiïérents.  VII.  Femme  assise^  filant 
sa  c/uejiouille ,  et  ayant  son  mari 
accroupi  par  terre  auprès  d'elle, 
etc.  Wyck  ,  à  son  retour  d'Italie ,  s'é- 
tait fixé  à  Utreclit  ;  il  mourut  de  la 
peste  qui  ravagea  cette  ville  en  1686. 
—  Son  fds  Wyck  (/e«;«)  naquit  à 
Utreclit  vers  \6^5.  Élevé  par  son 
père,  ses  premiers  tableaux  le  placè- 
rent au  rang  des  maîtres.  Il  peignit 
de  préférence  des  cliasses  au  cerf, 
au  sanglier,  etc.  Ses  tableaux  flattent 
agréablement  les  yeux,  par  la  no- 
blesse de  la  composition,  le  mouve- 
ment, l'air  de  fête  qu'il  a  su  y  ré- 
pandre :  ce  sont  des  femmes  en  ama- 
zones, des  chasseurs  babilles  magni- 
fiquement, qui  se  livrent  aux  plai- 
sirs de  la  chasse.  Il  a  dessiné  avec 
talent  les  animaux  ,  et  surtout  les 
chevaux.  Sa  couleur  est  brillante; 
son  paysage  est  varié,  ses  arbres 
d'un  choix  heureux ,  ses  ciels  et  ses 
lointains  légers  et  vaporeux.  Appelé 
à  Londres  sur  sa  réputation ,  il  la 
soutint  par  de  nouveaux  ouvra- 
ges. Ce  fut  lui  que  Kneller  choisit 


WYD 

pour  peindre  le  cheval  de  bataille 
sur  lequel  était  monté  le  duc  de 
Schombcrg,  dont  il  e'tait  chargé  de 
faire  le  ])orlrait.  Ce  tableau  a  été 
gravé  par  Smith.  Jean  Wyck  de- 
meura plusieurs  années  à  Londres  ou 
dans  les  villages  des  environs,  tou- 
jours occupé.  Ses  principaux  ouvra- 
ges, pendant  ce  séjour,  sont  :  I.  La 
Bataille  de  la  Bo/ne  entre  Guillau- 
me m  et  Jacques  IL  II.  Le  Siège 
de  Namur.  Il  paraissait  avoir  pris 
Wouwermans  pour  modèle.  Ses 
compositions  en  petit  sont  plus  esti- 
mées que  celles  en  grand,  sous  le 
rapport  du  pinceau  et  de  la  couleur. 
Il  mourut  à  Londres  en  1-^02.  P-s. 
WYDR A  (Stanislas)  ,  jésuite  et 
professeur  de  mathématiques  à  l'u- 
niversité de  Prague ,  naquit  à  Koé- 
nigsgrœtz  le  i.S  novembre  i']f^\  ^  et 
mourut  à  Prague  le  3  déc.  i8o4. 
Nous  avons  de  lui  :  I.  Elementa 
calculi  differentialis  et  integralis  , 
meletema  de  regulis  arithmetico- 
rmn ,  Prague,  1773  ,  in-8o.  II.  An- 
notationes  in  régulas  arithmetico- 
rum,  quas  régula  aurea  ingreditur, 
ibid. ,  1773,  in-80.  III.  Supplemen- 
tum  tract atus  de  sectionïbus  coni- 
cis,  ibid.,  1775^  in-B».  IV.  Histo- 
ria  matheseos  in  Bohemid  et  Mo- 
ravia cultœ ,  ibid.,  177B,  in-S^.V. 
Fita  Joseplii  Stepling,  ibid. ,  1779. 
VI.  Oratio  ad  monumentum  à  Ma- 
ria -  Theresid  -  Augustd ,  Josepho 
Stepling  in  bibliothecd  Clemen- 
tind  erectum  rituque  solemni  dedi- 
catum  ,  ibid. ,  1780,  et  réimprimé 
la  même  année,  in-S*^.  VII.  Oratio 
funebris  ,  dùm  almasodalitas  latina 
major  Beatœ  Mariœ  Firginis  ah 
archangelo  salutatœ  Pragœ  piis 
suorum  manibus  parentaret ,  ibid., 
1780,  in-8«.  VIII.  Vie  de  Bohus- 
law  Aloys  Baldin ,  de  la  société 
de  Jésus  y  de  Kœnigsgrœtz,  publiée 


WYE 

le  29  décembre  1788  (ail.),  il)id._, 
in-8'^.  IX.  Sur  les  masses  d'or  qiie 
Von  a  découvertes  ère  1 7  7 1  ,à  Pod- 
mokl  (  ail.  ) ,  Prague ,  1777,  in  -  8*^. 
Le  même  auteur  a  publié ,  depuis 
l'an  1773  jusqu'à  sa  mort;,  plu- 
sieurs Dissertations  sous  ce  titre  : 
Tentamina  ex  mathesipurd  et  ap- 
plicatd,  Prapjue,  in-8'^.      G — y. 

WYERMANNouWKYERMAJNN 
(Jacques  Campo),  peintre  fameux 
par  ses  aventures,  naquit  à  Brëda 
en  1679.  Sa  mère,  Elisabeth  de Saint- 
Mourel ,  appelée  vulgairement  Ljs 
Sint-Mourel ,  avait  servi  dans  les  ar- 
mées avec  distinction  ;  et,  après  avoir 
assisté  à  plusieurs  batailles ,  elle  avait 
eu  son  congé  comme  sergent.  Elle  en 
portait  encore  l'habit  et  la  canne. 
Son  fils,  à  l'âge  de  dix -huit  ans, 
e'tait  excellent  peintre  en  paysage  ;, 
mais  extrêmement  débauché.  Sa  mè- 
re j  l'ayant  un  jour  surpris  avec  une 
personne  de  mauvaise  vie,  les  mit  à 
la  j)orte  tous  les  deux  à  coups  de 
canne.  Le  jeune  Wyermann  se  ren- 
dit à  Anvers ,  pour  se  perfectionner 
dans  la  peinture.  Delà  il  alla  à  Lille 
avec  une  jeune  personne  qu'il  avait 
séduite.  Ayant  résolu  de  l'abandon- 
ner,  il  écrivit  au  père,  pour  lui  faire 
connaître  où  il  retrouverait  sa  fille. 
A  Paris  il  fréquenta  les  maisons  de 
jeu  ;  et  après  des  aventures  honteu- 
ses il  se  rendit  en  Italie.  S'étant  ar- 
rêté dans  un  petit  endroit ,  à  peu  de 
distance  de  Lyon ,  il  se  trouva  obli- 
gé de  partager  son  lit  avec  un  autre 
voyageur  ,  et  coucha ,  assurent  ses 
biographes,  avec  Cartouche,  qui, 
ayant  pris  confiance  dans  sou  carac- 
tère, lui  proposa  d'entrer  dans  sa 
bande.  Le  peintre  refusa  ;  et  Car- 
touche, en  le  quittant,  lui  donna  une 
bourse  pleine  de  louis  et  deux  balles 
de  plomb  qu'il  devait  montrer  s'il 
venait  à  être  attaqué  par  la  bande. 


WYE  299 

De  nouvelles  aventures  l'attendaient 
à  Rome.  11  y  trouva  Van  Dyk  ;  et, 
comme  com})atriotes,  ils  passèrent 
quatre  mois  dans  le  même  logement. 
Mais  un  enlèvement  et  d'autres  tours 
forcèrent  bientôt  Wyermann  ,  qui 
avait  pris  le  nom  de  Campo ,  à  quit- 
ter les  états  de  l'Église.  Il  se  rendit 
en  Allemagne  '  et  partout  il  donna 
de  nouvelles  preuves  qu'il  n'oubliait 
ni  les  conseils  ni  les  leçons  de  Car- 
touche. 11  s'occupait  en  même  temps 
de  travaux  bttéraires.  11  commença 
à  la  Haye  à  travailler  à  sa  Biogra- 
phie des  peintres  y  à  son  Fojage  en 
Brahant  et  à  quelques  autres  petits 
ouvrages  qui  eurent  du  succès,  parce 
qu'il  savait  manier  adroitement  la 
satire.  11  s'enfuit  à  Londres  avec  une 
riche  veuve  ,  qu'il  abandonna  quand 
il  eut  dépensé  ce  qu'elle  avait  empor- 
té. Étant  revenu  en  Hollande,  il  com- 
mença à  publier  son  Amsterdamer 
Harmans y  journal  dans  le  genre  du 
Spectateur  anglais,  qui  eut  du  suc- 
cès. Ses  biographes  disent  que  Pier- 
re-le -Grand,  pendant  son  séjour  en 
Hollande  ,  vint  le  visiter ,  qu'il  lui 
proposa  de  le  suivre  en  Russie  ,  lui 
offrant  la  place  d'historiographe , 
avec  le  titre  de  conseiller -d'état,  et 
que  Wyermann  refusa ,  disant  que 
sa  liberté  lui  était  trop  chère  pour  la 
vendre.  Cependant  le  journaliste 
n'épargnait  pas  plus  ses  amis  que  ses 
ennemis*  ayant  attaqué  d'une  ma- 
nière grossière  la  Compagnie  des 
Indes  Occidentales,  il  fut  tout-à-coup 
arrêté  et  condamné  pour  la  vie  aux 
travaux  forcés  dans  la  prison  de  la 
Haye ,  appelée  la  Cour  de  Hollande 
(1789).  Il  y  mourut  en  1747*  Parmi 
ses  écrits,  nous  citerons  ses  Lebens- 
beschreibungen  der  Niederlands- 
chen  Kunfstschilders ,  ou  Vies  des 
artistes  des  Paj-s-Bas^  la  Haye, 
1729,  3  vol.  in-4''.  Voyez  Aventu- 


3oo  WYK 

res  singulières  de  Jacques  Campo 
TFyennauji  (  holl.  ) ,  la  Haye,  1 766, 
et  en  ail.,  Francfort  et  Leipzig,  1 764, 
in-8«.  G — Y. 

W  YKEHAM  (William  ou  Guil- 
laume de),  chancelier  d'Angleter- 
re, et  fondateur  du  collège  Neuf  à 
Oxford,  mérite  la  célébrité  autant 
par  la  part  qu'il  prit  aux  affaires 
de  son  temps ,  que  par  ses  vertus  , 
sa  munificence  et  son  amour  pour 
les  lettres.  Il  naquit,  en  iS^/j.  , 
dans  le  Hampsliire  ,  au  village  de 
Wykeham.  Le  nom  du  lieu  de  sa 
naissance  était-il  aussi  celui  de  sa 
famille  ?  c'est  ce  qui  nous  semble 
très-peu  probable.  Son  père  et  sa 
mère  ne  se  trouvent  désignés  dans  les 
documents  historiques  que  par  les 
prénoms  de  Jean  et  de  Sibylle.  Quel- 
ques écrivains  ont  voulu  que  le  nom 
de  ses  parents  fût  Long  ou  Per- 
rot  y  mais  sans  apporter  rien  qui 
ressemble  à  des  preuves.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  sa  famille  n'était  pas  dé- 
pourvue d'illustration.  Mais  diver- 
ses circonstances  l'avaient  réduite  à 
une  telle  pauvreté,  que  le  père  de 
Wykeham  ne  put  lui  donner  d'édu- 
cation. Heureusement  un  protecteur 
riche  s'intéressa  à  l'enfant  dont  il  sut 
apprécier  les  dispositions.  Ce  sei- 
gneur, appelé  Nicolas  Uvedale,lord 
du  manoir  de  Wykeham  et  gouver- 
neur du  château  de  Winchester  ,  en- 
voya l'enfant  à  l'école  de  cette  ville, 
et  l'y  garda  jusqu'à  ce  qu'il  eut  ache- 
vé ses  cours.  Wykeham  apprit  ainsi 
tout  ce  que  l'on  savait  de  son  temps 
en  grammaire  ,  en  mathématiques  , 
en  philosophie  ,  en  théologie  et  en 
jurisprudence.  C'est  donc  à  tort 
que  quelques  modernes  ,  se  copiant 
les  uns  les  auti-es  ,  ont  parlé  de 
l'ignorance  de  Wykeham  comme 
d'un  fait  hors  de  doute.  Cette  as- 
sertion répandue  dans  le  temps  par 


WYK 

quelques  hommes  jaloux  de  la  ré- 
putation du  célèbre  chancelier,  ou 
opposés  à  sa  manière  de  voir,  n'a  pu 
être  si  légèrement  adoptée  que  par 
des  compilateurs  sans  critique.  11  est 
vrai  que  ,  lancé  de  bonne  heure  au 
milieu  des  affaires  et  des  intérêts  po- 
litiques ,  Wykeham  ne  put  suivre  , 
avec  le  soin  que  l'on  y  mettait  alors, 
toutes  les  controverses  qui  avaient 
lieu  entre  les  disciples  d'Occam  et 
de  Duns  Scot.  Mais  comment  penser 
que  ,  quoique  étranger  à  l'érudition 
scolastique  du  temps  ,  le  fondateur 
d'un  collège  ,  l'appréciateur  éclairé 
des  services  que  rendent  les  lettres 
et  les  sciences ,  n'en  ait  point  connu 
les  principes  ?  Wykeham  était  en- 
core jeune  lorsqu'il  sortit  du  collège 
de  Winchester  ,  et  qu'il  entra  en 
qualité  de  secrétaire  au  service  de 
son  patron.  Il  fit  alors  connaissan- 
ce avec  lord  Edyngdon,  évêque  de 
Winchester,  et  soit  par  la  recom- 
mandation de  ce  prélat,  soit  par  celle 
d'Uvedale,  il  parvint  à  se  faire  dis- 
tinguer du  roi  d'Angleterre  Edouard 
III.  Quoiqu'il  n'eût  guère  alors  que 
vingt-trois  ans ,  il  fut  presque  aus- 
sitotattaché  à  la  cour.  On  ne  sait  dans 
quel  poste  il  débuta  ;  mais  en  considé- 
rant le  goût  du  roi  pour  les  beaux  mo- 
numents d'architecture,  et  celui  dont 
Wykeham  commença,  dès  une  épo- 
que très-peu  postérieure ,  à  don- 
ner des  preuves,  on  a  lieu  de  penser 
que  sa  place  était  relative  aux  bâti- 
ments que  faisait  élever  le  monarque. 
En  i356,  il  fut  nommé  intendant 
de  toutes  les  constructions  royales. 
C'est  d'après  son  avis  qu'Edouard 
fit  abattre  la  plus  grande  partie  du 
château;  et  c'est  d'après  ses  plans 
que  la  portion  détruite  fut  rebâtie 
à-peu-près  comme  on  la  voit  actuel- 
lement. Un  autre  grand  ouvrage  de 
notre  architecte  fut  le   château-fort 


WYR 

de  Quenborough  :  et  quoique  dans  ces 
constructions  ,  en  quelque  sorte  mi- 
litaires ,  l'artiste  ne  piit  librement  dé- 
ployer ce  génie  élevé,  sévère  et  grave, 
qu'il  lit  paraître  depuis  dans  les  bâti- 
ments de  Winchester  et  d'Oxford  , 
on  ne  peut  pas  refuser  des  éloges 
à  son  talent.  Il  n'est  point  étonnant 
que  sous  le  règne  d'un  souverain  aussi 
zélé  pour  l'architecture ,  Wykeham 
se  soit  élevé  à  une  haute  faveur  ,  et 
enfin  qu'il  ait  pris  place  parmi  les 
hommes  d'état  et  les  grands.  Pour  y 
parvenir  cependant  il  fut  obligé  de 
prendre  l'habit  ecclésiastique  }  car 
Edouard  ^  peu  maître  chez  lui ,  ne 
disposait  guère  que  des  dignités  de 
l'Église.  On  a  soupçonné  toutefois 
que  l'habile  archevêque  était  déjà 
dans  les  ordres,  parce  que,  dans 
tous  les  documents  déposés  aux 
archives  d'Angleterre  ,  et  oii  se  trou- 
ve le  nom  de  Wykeham  ,  ce  nom 
est  accompagné  de  la  qualification 
de  Clericus.  Mais  qui  peut  dire 
que  Clericus  n'est  pas  une  tra- 
duction un  peu  plate  du  nom  mê- 
me de  la  dignité  dont  Wykeham 
était  revêtu  (  clerk  of  the  king's 
Works  y  etc.)?  Quoi  qu'il  en  soit ,  le 
prêtre  intendant  des  constructions 
royales  fut  nommé,  en  \35']  ,  rec- 
teur de  Pulham,  dans  le  comté  de 
Norfolk  •  et,  comme  la  cour  de  Rome 
élevait  contre  son  installation  des 
dililcultés  qui  semblaient  devoir  se 
prolonger  indéfiniment ,  le  roi  lui  fit 
payer  une  somme  de  deux  cents  liv. 
ster!. ,  don  considérable  à  cette  épo- 
que ,  et  qui  surpassait  de  beaucoup 
les  revenus  du  bénéfice  dont  la  pos- 
session était  contestée  par  le  souve- 
rain pontife.  Non  content  de  ce  pre- 
mier bienfait,  Edouard  conféra  bien- 
tôt à  son  favori  la  cure  de  Flixton 
dans  l'église  de  Litchfield,  cure  que 
celui-ci  échangea  l'année  suivante 


WYK 


3oi 


contre  une  autre  pins  avantageuse. 
Il  fut  chargé  ensuite  de  l'intendance 
et  de  l'inspection  générale  des  châ- 
teaux de  Windsor ,  Leeds ,  Dou- 
vres et  Hadlam  ,  des  manoirs  du 
vieux  et  du  nouveau  Windsor,  de 
Wichemer,  etc.  En  i36o,  il  fut 
nommé  doyen  de  la  chapelle  libre 
royale  ou  collégiale  de  Saint-Martin- 
le-Grand,  à  Londres.  Enfin,  l'opi- 
niâtreté pontificale  ayant  cédé  aux 
désirs  bien  prononcés  d'Edouard  , 
Wykeham  prit  tranquillement  pos- 
session du  rectorat  de  Pulham.  Les 
années  suivantes  lui  apportèrent  en- 
core de  nouveaux  bénéfices ,  dont  le 
revenu  lui  donnait  annuellement  842 
liv.  sterl.  (  2io5o  fr.  ).  Mais  l'heu- 
reux dignitaire  faisait  un  noble  usage 
des  faveurs  de  la  fortune  ,  et  ne  re- 
cevait d'une  main  que  pour  donner 
de  l'autre.  Pendant  qu'il  était  doyen 
de  la  collégiale  de  Saint-Martin-lc- 
Grand,  il  fit  bâtir  à  ses  dépens  le 
cloître  de  la  maison  du  chapitre  ,  et 
le  corps  de  l'église.  Son  avancement 
civil  ne  fut  pas  moins  rapide.  Char- 
gé d'abord  du  sceau  privé  (  i364  ), 
il  devint  successivement  secrétaire 
du  roi ,  chef  du  conseil-privé,  gou- 
verneur du  grand-  conseil ,  et  enfin 
chancelier  d'Angleterre.  Remarquons 
cependant  qu'à  l'exception  de  la  der- 
nière ,  toutes  ces  dignités  ont  semble 
à  quelques  historiens  n'être  que  des 
quaUfications  données  à  Wykeham, 
par  la  voix  publique  ou  par  les  cour- 
tisans pour  indiquer  sa  puissance 
et  son  crédit  auprès  de  son  maître. 
Mais  cette  conjecture  nous  semble 
bien  légère  et  peu  vraisemblable  ;  car 
encore  est-il  plus  naturel  de  supposer 
quelques  antécédents  à  un  chancelier, 
que  de  le  croire  porté  brusquement 
et  sans  débuts  préliminaires  à  une  des 
places  les  plus  ém inentes  et  les  plus 
difficilesdel'admiiHstration.  Aureste, 


3oa 


WYK 


lorsque  celte  nomination  fut  portée  à 
Wykcliara  ,  il  y  avait  déjà  quelque 
tem|)s  qu'il  avait  succède  à  son  vieil 
ami  Edyngdou,  en  qualité  d'evêque 
de  Wincliester  ;  et  il  avait  reçu  de  la 
cour  de  Rome  les  bulles  les  plus  ho- 
norables et  les  plus  ilatteuses.  Son 
apparition  dans  le  parlement  fut 
remarque'e  par  la  nouveauté  et  la  sé- 
vérité du  ton  qu'il  y  adopta.  Jusque- 
là  les  prélats  avaient  apporté  à  la 
tribune  quelque  (--'losede  la  verbosité 
et  de  la  bonlioraie  delà  chaire.  Wy- 
keham  parlant  d'affaires  d'état  ne 
fut  qu'homme  d'état;  et  peut-être 
est-il  juste  de  dire  que  c'est  à  lui 
qu'on  dut  le  premier  modèle  du  style 
parlementaire.  Cependant  son  admi- 
nistration lui  attira  des  ennemis;  et 
en  i3';  I  j  le  parlement  ayant  adressé 
une  requête  au  roi  pour  l'engager  à 
retirer  à  tous  les  hommes  d'église  les 
dignités  civiles  dont  ils  étaient  revê- 
tus ,  Wykeham  envoya  sa  démis- 
sion ,  qu'Edouard  accepta  à  regret , 
en  obtempérant  aux  ordres  que  ses 
chambres  lui  donnaient  sous  forme 
de  suppliques.  Retiré  dans  son  dio- 
cèse, Vykeham réforma  les  abus,  vi- 
sita les  églises,  les  couvents,  et  s'ap- 
pliqua à  rétablir  la  sévérité  de  la  dis- 
cipline antique.  Il  s'occupa  en  même 
temps  de  l'établissement  d'une  maison 
d'éducation;  après  avoir  mûrement 
réfléchi  à  la  forme  qu'il  donnerait  à 
son  institution  j  il  se  détermina  à 
bâtir,  d'unepart  un  collège  à  Oxford, 
et  de  l'autre ,  à  Winchester  ,  une 
école  destinée  à  lui  servir  de  pépi- 
nière. Il  avait  déjà  fait  beaucoup 
d'achats  dans  la  première  de  ces 
villes ,  et  l'école  de  Winchester,  sans 
posséder  encore  tous  ses  bâtiments , 
commençait  à  être  en  activité  sous 
Richard  de  Herton,  lorsque  les  in- 
trigues de  ses  ennemis,  favorisés  par 
le  duc  de  Lancastre ,  vinrent  entra- 


WYK 

ver  rexéculion  de  ses  plans.  C'était 
le  temps  où  Edouard ,  conliné  à 
Etham  ,  par  le  regret  d'avoir  perdu 
le  prince  Noir,  abandonnait  totale- 
mentaux  mains  de  Jean  de  Gand  les 
rênes  de  l'éfat.  Ce  prince,  docile  aux 
suggestions  d'Alix  Pierce,  venait  de 
faire  mettre  en  prison  Pierre  de  la 
Mère ,  et  de  dépouiller  du  bâton  de 
maréchal  le  comte  de  March ,  pour 
avoir  osé  parler  de  cette  femme  en 
plein  parlement  avec  plus  de  fran- 
chise que  de  prudence.  Wykeham, 
coupable  du  même  crime ,  fut  dénon- 
cé sous  des  prétextes  frivoles.  L*acte 
d'accusation  dressé  contre  lui  rou- 
lait sur  huit  chefs  principaux;  mais 
sept  furent  écartés  par  ses  collègues; 
et  ce  fut  seulement  en  considération 
du  huitième  que  les  pairs  décrétèrent 
premièrement  que  Wykeham  cesse- 
rait de  faire  partie  du  parlement  et 
de  paraître  à  la  cour;  secondement, 
que  l'on  saisirait  tout  son  temporel. 
Une  mesure  aussi  violente  ne  pou- 
vait rester  inaperçue  et  sans  récla- 
mation. Aussi ,  dès  la  séance  suivan- 
te ,  l'évêque  de  Londres  (  Guillaume 
Courtney  )  déclara-t-il  qu'il  votait 
contre  tout  subside  accordé  à  la  cour 
(  et  l'on  sait  combien  à  cette  époque 
les  troubles  civils  et  les  prodigalités 
des  princes  rendaient  les  subsides  ur- 
gents )  jusqu'à  ce  qu'on  eut  fait  sa- 
tisfaction au  clergé  offensé  tout  entier 
par  la  conduite  que  l'on  venait  de  te- 
nir à  l'égard  de  l'évêque  de  Win- 
chester. Ce  discours  hardi  trouva  des 
approbateurs  dans  la  chambre,  et 
fut  appuyé  par  l'archevêque  de  Gan- 
torbéry  et  d'autres  membres,  avec 
tant  d'énergie ,  que  les  partisans  de 
la  faction  lancastérienne  se  virent 
obligés  de  céder  au  vœu  de  la  majo- 
rité ,  et  d'admettre  dans  leur  sein  ce- 
lui qu'ils  venaient  de  faire  exclure. 
On  sent  qu'après  cet  échec  ils  ne 


WYK 

purent  pas  non  plus  maintenir  long- 
temps la  saisie  de  son  temporel. 
D'ailleurs  ,  l'opinion  se  déclarait  con- 
tre eux  hors  des  chambres,  bien  plus 
ëiiergiquement  encore,  car  chacun  sa- 
vait à  quel  usage  l'ëvêque  consacrait 
la  plus  grande  partie  des  revenus  ëpis- 
copaux.  Cependant  en  le  remettant 
en  possession  de  ses  biens ^  on  ajouta 
à  la  sentence  de  décharge  cette  clau- 
se de'sagre'able,  qu'il  équiperait  trois 
vaisseaux  de  guerre  pour  le  service 
du  roi,  ou  qu'il  en  paierait  la  valeur 
présumée  au  trésor.  Edouard  III 
mourut  le  sii  juin  13^7,  et  avec 
lui  finit  la  toute -puissance  du  parti 
de  Lanca,strequi,dès  l'avènement  du 
jeune  roi ,  vit  ses  antagonistes  plus 
capables  de  lui  disputer  la  victoire. 
Un  de  leurs  premiers  triomphes  fut 
de  faire  complètement  acquitter  et 
réhabiliter  Wykeham.  Néanmoins 
celui-ci  eut  besoin  d'appeler  h  son 
aide  toute  sa  circonspection  pendant 
la  minorité  de  Richard  H.  Mais  à 
peine  ce  jeune  prince  fut-il  arrivé  à 
l'âge  de  gouverner  par  lui-même  , 
qu'il  changea  le  ministère  qui  jus- 
qu'alors avait  gouverné  en  son  nom. 
Wykeham  lit  partie  de  la  nouvelle 
administration  en  qualité  de  chance- 
lier ,  comme  sous  le  règne  précédent. 
Sa  réintégration  fut  accueillie  avec 
joie  ;  et  ,  par  son  intégrité  et  sa 
modération  ,  il  se  montra  digne  de 
la  confiance  de  son  souverain ,  au 
milieu  des  circonstances  orageuses 
qui  devaient  amener  bientôt  la  rui- 
ne de  la  branche  d'York.  Il  ne 
put  néanmoins ,  malgré  ses  conseils 
et  ses  remontrances ,  éclairer  l'inex- 
périence ou  l'insouciance  du  monar- 
que sur  les  malheurs  que  tôt  ou  tard 
devaient  produire  ses  prodigalités  in- 
sensées ,  sa  mollesse ,  son  faste  et  son 
éloignementdesall'aires.On  sait  qu'en 
iSgo   les  ministres,   effrayés  de  la 


WYK 


3o3 


force  avec  laquelle  l'opinion  popu- 
laire, si  puissante  dans  un  pays  pres- 
que en  proie  à  l'anarchie  ,  se  mani- 
festait contre  la  cour,  et  peut-être 
redoutant  pour  eux-mêmes  la  respon- 
sabilité de  ce  qui  se  passait,  vinrent 
se  présenter  devant  la  chambre  des 
communes  ,  ofi'rant  leur  démission  et 
invitant  les  membres  à  faire  l'examen 
de  leur  conduite.  Ce  contrôle  eut  lieu 
en  eflcî ,  et  les  ministres  ,  congédiés 
avec  éloge  de  la  chambre  ;,  furent 
invités  à  reprendre  le  timon  des  af- 
faires. Wykeham  consentit  à  rentrer 
dans  ses  fonctions  •  mais  il  n'y  resta 
que  peu  de  temps.  L'année  suivante, 
il  se  démit  une  seconde  fois  et  re- 
tourna dans  sa  ville  épiscopale  de 
Winchester  ,  où  il  ne  s'occupa  plus 
que  de  faire  fleurir  la  piété  parmi 
les  habitants ,  et  d'assurer  la  supé- 
riorité du  collège  qu'il  venait  enfin 
d'élever  à  Oxford.  Cet  édifice  projeté 
si  long-temps,  était  achevé  depuis 
cinq  ans.  Les  économies  considéra- 
bles que  Wykeham  avait  faites  sur  les 
émoluments  de  ses  places  ,  et  sur  les 
revenus  de  son  évêché,  l'avaient  mis 
à  même  de  conduire  l'entreprise  avec 
la  plus  grande  célérité.  Une  parti- 
cularité digne  de  remarque  ,  c'est 
qu'il  ne  fut  pas  seulement  fondateur 
dans  l'acception  vulgaire  du  mot. 
Législateur ,  il  conçut ,  il  rédigea  lui- 
même  les  statuts  de  l'établissement  : 
architecte,  il  en  dessina,  il  en  sur- 
veilla les  constructioas.  Approuve' 
par  un  acte  royal  du  10  novembre 
1879,  et  commencé  le  5  mars  i38o, 
le  collège  avait  été  livré  à  l'enseigne- 
ment le  i4août  i386,  et  portait  le 
nom  de  Sainte  -  Marie  ,  qui  fut 
dans  la  suite  changé  en  celui  de 
Collège  -  JYeuf.  On  peut  voir  dans 
V Histoire  d' Oxford ,  par  Chalmers  , 
tous  les  détails  relatifs  à  la  fonda- 
tion de  cette   école    célèbre  ,  ainsi 


3o4 


WYN 


que  les  statuts  que  lui  donna  le  pieux 
ëvcquc  de  Winchester.  Wykeliara 
vécut  encore  assez  longtemps  pour 
voir  prospérer  les  deux  établissements 
an'il  avait  créés.  Enfin  il  mourut  en 
i4o4  7  dans  sa  quatre-vingtième  an- 
née ,  et  fat  enterré  dans  la  cathédrale 
de  Winchester.  Le  docteur  Lowth  a 
écrit  la  Fie  de  cet  illustre  prélat,  sur 
lequel  on  peut  consulter  aussi  V His- 
toire de  IVinchester ,  par  Milner. 

P OT. 

WYMPNA.  Voy.  Wimpina. 

WYNANTS  (Jean),  paysagiste 
de  l'école  hollandaise,  naquit  à  Har- 
lem en  1600.  Ses  ouvrages  sont 
très-recherchés;  mais  on  connaît  peu 
les  détails  de  sa  vie.  En  Hollande  mê- 
me les  hommes  qui  se  livrent  le  plus 
à  l'étude  des  beaux -arts  ignorent 
l'époque  et  le  lieu  de  sa  mort.  Ils 
savent  seulement  que  la  débauche 
avait  usé  sa  santé,  et  qu'il  fut  enlevé 
à  ses  amis  long  temps  avant  que  l'âge 
eût  affaibli  son  talent.  Ce  qu'on  ra- 
conte de  son  caractère  et  du  tour  de 
son  esprit  nous  fait,  au  surplus,  sup-  , 
poser  que  les  approches  du  terme 
fatal  ne  durent  pas  l'épouvanter.  Sa 
gaîté  naturelle  n'était  presque  jamais 
en  défaut  _,  et  la  tradition  du  pays 
rapporte  ,  comme  une  particularité 
curieuse ,  le  récit  d'un  siège  burles- 
que dont  il  avait  tracé  et  exécuté  le 
plan  de  la  manière  la  plus  originale. 
C'était  au  sortir  d'un  dîner  joyeux  : 
la  place-forte  consistant  en  murs  de 
gazon,  s'élevait  sur  un  monticule  en- 
touré d'eau.  Les  combattants  avaient 
pour  artillerie  des  seringues.  Ils  ma- 
nœuvrèrent si  habilement  de  part  et 
d'autre  ,  et  la  résistance  du  fort  fut 
si  opiniâtre  qu'il  ne  fallut  pas  moins 
de  deux  heures  aux  assaillants  pour 
contraindre  la  garnison  à  capituler. 
Les  paysages  de  Wynants  sont  d'un 
goût  tout  particulier,  et  qui  les  fait 


V\/YN 

aisément  reconnaître.  Ce  peintre  se 
bornait  à  l'imitation  exacte  des  sites 
qu'il  avait  sous  les  yeux  ,  mais  il 
avait  le  talent  d'en  faire  un  choix 
piquant  ,  et  il  excellait  surtout  à 
peindre  les  cbemins  sablonneux ,  les 
cailloutagcs  entremêlés  de  mousse  , 
les  accidents  que  présente  l'écorçe 
raboteuse  des  troncs  d'arbre.  Enfin  , 
on  ne  peut  rien  imaginer  de  plus  fini 
et  de  plus  spirituellement  touché  que 
les  plantes  dont  il  a  orné  les  devants 
de  ses  tableaux.  Mais  il  ignorait  ab- 
solument l'art  de  peindre  les  figures. 
La  plupart  de  celles  qu'on  trouve 
dans  ses  compositions  sont  de  ses 
élèves ,  Philippe  Wouvwermans  et 
Adrien  Vanden  Velde.  Lingelback  , 
Ostade  et  Van  ïhulden  lui  ont  aussi 
prêté  leurs  pinceaux.  Wynants  gar- 
dait à  cet  égard  le  plus  grand  secret. 
Plus  d'une  fois,  pressé  de  terminer 
ses  paysages  sous  les  yeux  des  hom- 
mes riches  qui  les  lui  avaient  com- 
mandés ,  il  se  trouva  dans  un  extrê- 
me embarras  ,  n'osant  entreprendre 
des  figures  qu'il  aurait  manquées,  et 
ne  se  sentant  pas  d'ailleurs  assez  de 
courage  pour  avouer  son  incapacité. 
On  lui  a  reproché  cette  faiblesse  avec 
d'autant  plus  de  rigueur  ,  qu'il  ne  se 
piquait  pas  d'indulgence  envers  les 
autres  peintres  de  son  pays.  Le  Mu- 
sée royal  possède  quatre  tableaux  de 
ce  maître  :  I.  Un  paysage  sur  le 
devant  duquel  il  a  représenté  un  hom- 
me à  cheval ,  tenant  un  panier.  II. 
La  vue  d'un  chemin  qui  sépare  un 
bois  d'une  rivière.  III.  Une  ferme. 
IV.  Un  cavalier  allant  à  la  chasse 
au  vol.  F.  P-^T. 

WYNANTZ  (  le  comte  GoDwm 
DE  ) ,  né  à  Bruxelles ,  en  1661  ,  d'une 
ancienne  famille  des  Pays-Bas ,  fit 
ses  études  dans  cette  ville,  et  se  livra 
dès  sa  jeunesse  à  l'étude  du  droit  et 
de  la  politique.' Devenu  membre  du 


WYN 

conseil  souverain  de  Brabant ,  il  se 
fît  remarquer  par  son  zèle  et  ses  con- 
naissances ,  et  fut  distingue  par  l'em- 
pereiir  Charles  VI ,  qui  le  nomma 
lin  de  ses  conseillers  prives.  Le  comte 
de  Wynantz  vint  alors  à  Vienne, 
et  il  mourut  dans  celte  capitale  ,  en 
i6'6i ,  après  avoir  rendu  de  grands 
services  à  son  souverain  ,  par  ses  lu- 
mières et  son  dévouement.  On  a  de 
lui  une  collection  utile  et  très-estime'e , 
qu'il  a  accompagnée  de  notes  et  d'ob- 
servations très-judicieuses  ,  sous  ce 
litre  :  Supremœ  Curiœ  Brahantiœ 
decisiones  recenliores  y  Bruxelles  , 
1744  •>  in-fol.,  et  1  vol.  in-8".    Z. 

WYNDHAM.  Voy.  Windham. 

WYNNE  (  Edward  ),  juriscon- 
sulte anglais,  né  en  1734,  était  pe- 
tit-fils d'Owen  Wynne ,  qui  fut  soiis- 
secrétaire  d'état  de  Charles  II  et  de 
Jacques  II.  Ses  moments  furent  par- 
tagés entre  les  occupations  du  bar- 
reau ,  et  la  rédaction  de  quelques 
écrits  qui  se  rattachent  à  sa  profes- 
sion ,  et  dans  lesquels  l'élégance  du 
style  est  unie  à  la  profondeur  et  à  la 
science.  11  mourut  à  Chelsea ,  le  a6 
décembre  1784,  non  moins  estimé 
pour  ses  vertus  que  pour  ses  talents. 
On  a  imprimé  de  lui  :  I.  Mélan- 
ges contenant  quelques  écrits  de 
jurisprudence ,  17^15,  in -8".  II. 
Eunomus  ,  ou  Dialogues  concer- 
nant les  lois  et  la  constitution 
d'Angleterre ,  avec  un  essai  sur  le 
Dialogue,  1774?  4  '^ol.  in-8^., 
réimprimés  en  1785 ,  après  la  mort 
de  l'auteur.  Suivant  Bridgman  , 
dans  sa  Bibliographie  légale ,  ce  li- 
vre serait  plus  estimé ,  s'il  était 
mieux  connu  j  mais  ayant  été  com- 
posé avant  et  publié  après  les  Com- 
mentaires de  Blackstone ,  son  mérite 
a  été  obscurci ,  sans  être  totalement 
éclipsé,  par  le  mérite  supérieur  de  ce 
dernier  ouvrage.  On  eu  fait  cas  néan- 


WYN 


3o5 


moins  comme  ayant  éclairci  les  prin- 
cipes des  lois  et  de  la  constitution 
anglaises,  et  tracé  un  tableau  instruc- 
tif et  judicieux  des  diverses  branches 
entre  lesquelles  se  divise  la  pratique 
du  droit,  et  comme  ayant  recom- 
mandé avec  beaucoup  de  talent  ime 
méthode  libérale  et  plus  étendue  pour 
l'élude  de  cette  science,  en  mon- 
trant sa  connexion  nécessaire  avec 
les  autres  branches  de  la  littérature. 
— Wynne  (  John  Huddlestone) ,  lit- 
térateur anglais,  né  en  1743,  dans  le 
midi  du  pays  de  Galles,  vint  exercer 
à  Londres  la  profession  d'impri- 
meur j  mais,  s'en  étant  bientôt  dé- 
goûté, il  sollicita  et  obtint  un  grade 
dans  un  régiment  qui  s'embarqua 
peu  de  temps  après.  Son  caractère 
difficile  éloigna  de  lui  tous  les  autres 
officiers,  et  se  voyant  délaisse  il 
crut  devoir  retourner  en  Angleterre. 
Il  y  épousa  une  jeune  femme ,  dont 
la  dot  fut  promptement  dissipée; 
ce  fut  alors  qu'il  recourut  à  sa 
plume  pour  subvenir  aux  besoins 
de  sa  famille.  Ses  premiers  es- 
sais en  littérature  ne  furent  heu- 
reux ni  dans  le  choix  des  sujets, 
ni  dans  le  produit;  et  leur  auteur  en 
recueillit  à  peine  de  quoi  subsister. 
Mais  il  s'attacha  ensuite  à  un  genre 
plus  relevé ,  et  publia  successivement  ; 
I.  Histoire  générale  de  l'empire 
britannique  en  Amérique ,  compre- 
nant tous  les  pays  de  l'Amérique 
septentrionale  et  des  Indes  occiden- 
tales cédés  par  la  paix  de  Paris  , 
1770,  2  vol.  in-S''.  II.  Histoire  gé- 
nérale d'Irlande ,  depuis  les  temps 
les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours  , 
1772,  2  vol.  in-8^\  Le  sujet  de  ce 
dernier  ouvrage,  plus  que  le  mérite 
de  l'exécution  ,  lui  procura  quel- 
que succès.  On  y  reconnut^  ainsi 
que  dans  ses  autres  productions  , 
des  traces  d'un  talent  naturel,  mais 
20 


3o6 


WYN 


qui  n'avait  ctc  ni  siilïisaniment  culti- 
vé ni  bien  dirigé.  On  cite  encore  de 
Wynne  :  la  Prostituée,  poème,  1 77 1 , 
in-4^*«  ;  Choix  d'emblèmes  physi- 
ques, historiques ,  fabuleux  y  etc, 
en  vers  et  en  prose,  poui  l'amélio- 
ration de  la  jeunesse,  T772,  in-12; 
Les  fleurs  ,  fables  destinées  au 
sexe  féminin  ;  Evelina  ,  poème  -, 
les  Quatre  Saisons  ,  poème  , 
1778^  V Enfant  du  hasard  ,  ro- 
man, 1787.  Wynne  mourut  le  2 
décembre  1 788.  JPassant  sa  vie  dans 
la  pauvreté  ,  il  repoussait  quel- 
quefois avec  indignation  les  dons  de 
la  bienfaisance ,  s'il  ne  les  avait  pas 
sollicités.  —  Son  oncle  ,  Richard 
Wynne,  mort  en  1799,  à  quatre- 
vingt-un  ans  ,  recteur  d'Ayot  Saint- 
Laurent,  près  Welwyn  en  Hert- 
fordshire,  avait  publié,  en  1764, 
le  Nouveau- Testament  y  soigneuse- 
ment conféré  avec  le  texte  grec  ,  et 
corrigé,  divisé  et  imprimé  suivant 
les  divers  sujets  traités  par  les  écri- 
vains inspirés ,  avec  la  division  or- 
dinaire à  la  marge;  accompagné  de 
notes  critiques  et  explicatives,  2  vol. 
in-8«.  Z. 

WYNPERSSE  (  Jacques  Thiens 
Vanden  )  ,  médecin ,  né  à  Gro- 
ningue  le  17  novembre  1761,  était 
fils  d'un  professeur  à  l'université  de 
Leyde,  auteur  de  plusieurs  livres 
élémentaires  très  estimés.  Le  jeune 
Wynpersse  fit  ses  premières  études 
sous  les  yeux  de  son  père ,  et  se  voua 
de  bonne  heure  aux  sciences  médi- 
cales ,  surtout  à  l'anatomie.  Reçu 
docteur  en  1788,  il  composa  une 
dissertation  inaugurale  ,  intitulée  : 
De  Ankilosi;  et  dès  l'année  suivante 
il  publia  une  traduction  latine  de 
l'ouvrage  anglais  du  docteur  Hewson 
sur  les  vaisseaux  lymphatiques,  Ley- 
de ,  3  vol.  in-80.  (  r.  Hewson).  Il 
concourut  ensuite  pour  différents  prix 


WYN 

académiques,  fut  couronné  en  1786  , 
à  Amsterdam  ,  pour  un  Mémoire  sur 
la  jaunisse  ,  et  en  1787  ,  à  Paris  , 
par  la  société  royale  de  médecine 
qui  l'admit  au  nombre  de  ses  mem- 
bres correspondants,  pour  un  Mémoi- 
re sur  la  maladie  appelée  muguet,  mil- 
let oublanchet.  Wynpersse  se  livrait 
en  même  temps  avec  beaucoup  de  suc- 
cès à  la  pratique  médicale  ,  et  tout 
annonçait  pour  lui  une  brillante  car- 
rière, lorsqu'une  mort  prématurée 
vint  le  frapper ,  à  peine  âgé  de  vingt- 
huit  ans,  le  6  avril  1788.  Il  avait 
déjà  formé  un  très-riche  cabinet  ana- 
tomique  dont  ^université  de  Got- 
tingue  fit  l'acquisition.  La  société 
provinciale  d'Utrecht  couronna  trois 
mois  après  sa  mort  un  Mémoire  sur 
la  Coqueluche  _,  qu'il  lui  avait  en- 
voyé. Z. 

WYNTON  ,  WYNTOWN ,  on 
WINTON  (  Andrew)  ,  ancien  chro- 
niqueur écossais ,  né  vraisemblable- 
ment sous  le  règne  de  David  II  ,  roi 
d'Ecosse  ,  au  quatorzième  siècle  ,  fut 
chanoine  régulier  de  Saint- Andrew, 
et  prieur  du  monastère  de  Saint-Serf, 
situé  dans  l'île  de  Lochleven  au  comté 
de  Kinross.  On  ne  connaît  pas  plus 
la  date  de  sa  mort  que  celle  de  sa 
naissance;  mais  l'époque  de  quelques 
événements  mentionnés  dans  son  livre 
autorise  à  étendre  son  existence  au 
moins  jusqu'à  l'an  14^0.  La  Chro- 
nique originale  d'Ecosse  par  Wyn- 
ton,  joint  au  mérite  de  l'exactitude 
et  de  la  sincérité  l'avantage  ;,  rare 
dans  les  chroniques  antérieures  au 
dix-septième  siècle,  d'être  écrite  dans 
la  langue  du  pays  ,  en  vers  faciles  , 
et  souvent  d'un  style  animé.  L'auteur 
avait  eu  la  connaissance  immédiate 
d'un  grand  nombre  des  faits  qu'il 
rapporte  ,  ou  les  tenait  de  ceux  qui 
en  avaient  été  témoins.  Il  fut  con- 
temporain de  Barbour  {F.  ce  nom), 


WYR 

au  mérite  duquel  il  se  plaît  à  rendre 
hommage;  il  le  fut  aussi  de  Fordun  , 
auquel  il  survécut ,  et  auquel  il  n'est 
pas  inférieur  dans  les  qualités  essen- 
tielles de  l'historien.  L'ouvrage  de 
Wynton  resta  long-temps  manuscrit; 
et  ce  n'est  qu'en  1795  que  David  Mac- 
pherson  donna ,  de  la  portion  qui  se 
rattache  plus  particulièrement  aux 
affaires  d'Ecosse  ,une  très-belle  édi- 
tion en  deux  volumes  in-S''.  ,  ajou- 
tant au  texte  ,  un  glossaire  ,  des 
notes  savantes  ,  et  d'autres  acces- 
soires utiles.  A  défaut  de  documents 
plus  anciens,  qui  ont  péri  depuis 
long-temps  ,  ce  livre  peut  être  con- 
sidéré comme  une  relation  originale 
des  transactions  et  des  événements 
d'un  âge  éloigné.  L. 

WYON.  Voy,  WiON. 
WYRWICZ  (  Charles  ) ,  jésuite 
polonais^  né  en   1716,    était,   en 
1766 ,  recteur  du  collège  des  Nobles 
à   Varsovie  ,    et,   en    1787  ,  abbé 
commendataire  de  Habdow.  Il  mou- 
rut à  Varsovie  en  1793. Nous  avons 
de  lui  plusieurs  ouvrages  savants  sur 
la  géographie  et  l'histoire  des  peu- 
ples du  Nord  ,  entre  autres  :  I.  His- 
toire des  révolutions  russes ,  par  B. 
Lacomhe,  traduite  en  polonais  avec 
des  observations.    II.  Chronologie 
des  monarques  russes  ^  depuis  879 
jusqu'à  Van  176:2,  servant  de  suite 
à  la  chronique  de  Strjikowski  (  F. 
ce  nom) ,  Varsovie ,  1 766.  III.  .abré- 
gé raisonné  de   V Histoire  univer- 
selle sacrée  et  profane  ,  a  V usage 
des  pensionnaires   du  collège  des 
Nobles  de  Varsovie  de  la  compagnie 
de  Jésus  ,  de  l'imprimerie  royale  , 
1 766  à  1 77 1 ,  9.  vol.  in-8°.  L'auteur 
pubba  le  même  ouvr.ige  en  polonais 
sous  ce  titre  :  Histoire  universelle 
abrégée  ,  Varsovie  ,  à  l'imprimerie 
de  la  cour  (  1 787 ), tome  i^i . ,  compre- 
nant l'Histoire  du  peuple  de  Dieu  ;  la 


WYS 


807 


suite  n'a  point  paru.  IV.  Géogra- 
phie des  états  actuellement  exis- 
tants ^  avec  la  description  de  leur 
gouvernement ,  de  leurs  lois,  de 
leur  commerce ,  de  leurs  manufac- 
tures ,  de  leurs  mœurs  ,  usages , 
etc.,  ouvrage  destiné  à  l'instruction 
des  jeunes  gens  (polonais  ) ,  Varso- 
vie ,  1768  ,  tome  i^^r.  ^  in-80.  Cet 
ouvrage  classique  se  recommande 
par  son  exactitude  ,  par  la  clarté  et 
l'élégance  du  style.  Le  second  tome 
n'a  point  paru  ,  et  la  vente  du  pre- 
mier fut  même  prohibée,  à  la  réqui- 
sition d'un  ministre  qui  sans  doute 
était  celui  de  la  Russie.  L'auteur, 
ayant  fondu  les  deux  tomes  ensem- 
ble ,  publia  une  seconde  édition  , 
également  à  Varsovie  ,  à  l'imprime- 
rie des  Jésuites,  1778,  in-8*^.  V. 
Observations  sur  le  Pamientnik^  ou 
Mémorial  politique  et  historique , 
journal  publié  en  polonais  depuis 
1782,  Varsovie,  1788  à  1785  ,  3 
petits  vol.  in-S*^.  La  critique  sévère 
du  P.  Wyrwicz  n'empêcha  point  le 
succès  de  ce  journal  qui,  ayant  cessé 
en  1793,  fut  repris  depuis,  et  se 
continue  aujourd'hui  sous  un  autre 
titre.  G — y. 

WYSS  (  Bernard  ) ,  citoyen  de 
Zurich ,  vivait  dans  le  quinzième  et 
le  seizième  siècle,  si ,  comme  il  le  rap- 
porte, il  avait  neuf  ans  en  1472.  H  a 
laissé  tant  sur  les  événements  con- 
temporains que  sur  quelques-uns  de 
ceux  qui  l'avaient  précédé  ,  un  ma- 
nuscrit curieux  intitulé  :  Précis  de 
quelques  faits  mémorables  arrivés 
depuis  le  comte  Rodolphe  de  Habs- 
bourg^ etc.  (  Kurtzer  Auszug  etlicher 
dcnkwirdiger  Sachen  so  sid  Graf 
Rudolf  von  Habsburg  beschehen 
sind  )  jusqu'en  i5i9,  in-4"-  ,  dans 
la  bibliothèque  de  Zurich  j  continué 
jusqu'à  1700  ,  et  considérablement 
augmenté,  parUlrich  Brennwald,dia- 
20.. 


3o8  WYS 

cre.  La  partie  de  l'ouvrage  composée 
j)ar  Wyss  est  une  véritable  chroni- 
que scandaleuse  de  Zurich  •  mais  elle 
a  le  mérite  de  faire  connaître  avec 
le  plus  grand  détail  ,  et  sans  doute 
avec  la  plus  grande  iidelite,  beaucoup 
de  faits  relatifs  aux  habitudes  et  aux 
mœurs  des  Suisses  du  moyen  âge.  On 
ne  peut  néanmoins  douter  que  beau- 
coup de  fables  ne  scient  mêlées  aux 
anecdotes  souvent  piquantes  que  con- 
tient son  recueil,  lise  plaît  à  donner 
des  détails  astronomiques,  et  narre 
avec  beaucoup  de  précision  tout  ce 
qui  a  rapport  aux  comètes  et  aux 
cch'pses.  Les  derniers  historiens  de 
la  Suisse  ont  eu  souvent  recours  à 
cet  ouvrage.  —  Outre  Bernard,  trois 
autres  personnages  suisses ,  du  nom 
de  Wyss  ,  nous  ont  laissé  des  ma- 
nuscrits relatifs  à  l'iiistoire  de  leur 
pays.  Ce  sont  :  i".  Nicolas  Wyss, 
de  Ratisbonne  _,  citoyen  de  Bade ,  et 
eu  i5i3  bourgeois  de  Zurich,  tué 
en  i53i  à  la  bataille  de  Gappeler  , 
et  auteur  d'une  Chronique  qui  con- 
tient beaucoup  de  renseignements 
sur  l'origine  du  luthéranisme  (Fues- 
sli  y  a  amplement  puisé  pour  la 
rédaction  de  ses  Bejtrœge  )  ;  20. 
Hans  -  Henri  Wyss  ,  dont  on  a  une 
Histoire  de  la  ville  et  du  canton  de 
Zurich^  3  vol.  mss.  (  on  n'en  a  im- 
primé qu'un  morceau ,  intitulé  Des- 
cription de  la  bataille  de  SempacJi , 
Zurich,  1783  ,  in-80.  )j  30.  Félix 
Wyss  ,  né  en  i  SgG  à  Zurich ,  poète 
lauréat  en  1616,  diacre  de  Wenin- 
gen  en  1 6 1 8  ,  professeur  de  théolo- 
gie dans  sa  ville  natale  en  i638.Ily 
mourut  en  1666 ,  laissant,  outre  des 
Sermons,  une  Analyse  du  catéchisme 
et  d'autres  ouvrages  latins  ,  notam- 
ment un  morceau  en  vers  hexamè- 
tres sur  les  héros  produits  paria  ville 
de  Zurich  {Uo}au.oypy.fixTiguri7tay 
<?tc, ^  i665  ).  Gaspard  Wyss,  son 


WYT 

frère,  fut  auteur  d'une  Dictcriolo^ 
giagrœca^  et  d'une  traduction  alle- 
mande des  Meditationes prœparato- 
riœ  ad  sanctam  cœnam  du  ministre 
protestant  Drelincourt.      P — ot. 

WYTFLIET  (Corneille)  ,  histo- 
rien et  géographe,  né  à  Louvain  vers 
le  milieu  du  xvi^.  siècle,  exerça  pen- 
dant plusieurs  anjiées  l'emploi  de 
secrétaire  du  roi  au  sénat  de  Bra- 
bant.  On  a  de  lui  :  Descriptionis  pto- 
lœmdicœ  argumentum  ;  sive  occi- 
dentis  notitia ,  hrevi  conimentario 
illustrata ,  Louvain  ,  iSgS  ,  in-fol. , 
avec  cartes  j  seconde  édition  aug- 
mentée ,  Douai ,  i6o3  ;  Arnheim  , 
i6i5  ,  in-fol. ,  avec  cartes.  Ptolémée 
n'ayant  pu  faire  la  description  de 
l'Amérique  qui  n'était  pas  connue  de 
son  temps,  Wytfliet  voulut  donner 
un  supplément  à  cet  ancien  géogra- 
phe, et  afin  que  son  travail  fût  plus 
utile  au  public,  il  y  ajouta  une  no- 
tice détaillée  sur  les  pays  nouveaux. 
Ce  livre  contient  la  relation  de  la 
découverte  et  de  la  conquête  des  di- 
vers pays  de  l'Amérique  ,  et  des 
détails  curieux,  mais  très-succincts  , 
sur  leurs  habitants  et  leurs  produc- 
tions. Les  cartes  sont  dressées  d'après 
l'idée  qu'on  se  faisait  alors  de  la 
forme  de  ces  contrées.  Cet  ouvrage 
fut  traduit  en  français  sous  ce  titre  : 
Histoire  unii^erselle  des  Indes  occi- 
dentales ,  où  il  est  traité  de  leur 
découverte  y  description  et  conquête 
faite  tant  par  les  Castillans  que 
les  Portugais^  ensemble  de  leurs 
mœurs,  religion,  gouvernement  et 
lois ,  Douai ,  1607  ,  in-fol. ,  carte.  On 
trouve  souvent  à  la  suite ,  dans  un 
même  volume  :  Histoire  universelle 
des  Indes  orientales  ,  divisée  en 
deux  livres ,  faite  en  latin ,  par 
Antoine  Magin  ;  la  suite  de  l'His- 
toire des  Indes  orientales  :  De  la 
conversion  des  Indiens  :  aucunes 


WYT 

é/dlres  notables  du  pays  du  Japon: 
Discours  de  la  conversion  des  In- 
diens occidentaux  ,  ibid.  Ë — s. 
WYTTENBACH  (Daniel),  sa- 
vant philologue  de  l'école  hollandai- 
se du  dix-  huitième  siècle  ,  naquit  à 
Berne,  le  7  août  174^,  de  parents 
issus  Tun  et  l'autre  de  familles  patri- 
ciennes. Son  père ,  ayant  le  même 
prénom ,  professeur  à  l'académie  de 
sa  ville  natale,  théologien  distingue' 
par  ses  vertus  et  son  savoir^  mar- 
chait avec  honneur  sur  les  traces 
d'ancêtres  de  pieuse  et  docte  mémoi- 
re ,  célèbres  dans  l'histoire  de  la  rë- 
formalion  helvétique ,  dont  le  plus 
illustre ,  Thomas  Wyltenbach  ,  natif 
de  Bienne ,  avait  enseigné  la  théolo- 
gie à  Baie,  au  commencement  du 
seizième  siècle ,  et  compté  au  nombre 
de  ses  disciples  Ulrich  Zvvingle  et 
Léon  Judas.  Son  iils  Daniel ,  destiné 
à  la  même  carrière,  fréquenta  l'école 
publique ,  et  se  fit  d'abord  moins  re- 
marquer par  son  application  que  par 
sa  vivacité  et  par  son  goût  pour  les 
combats  que  se  livrait  la  jeunesse  ber- 
noise ,  divisée  en  partis  ennemis,  jeux 
stratégiques ,  qui  étaient  quelquefois 
pour  les  parents  une  source  d'inquié- 
tude, par  l'acharnement  qu'y  met- 
taient les  combattants  et  les  blessures 
auxquelles  ces  expéditions  guerrières, 
parfois  plus  que  simulées,  exposaient 
les  enfants  les  plus  ardents.  Le  jeune 
Wyttenbach  paraît  s'y  être  signalé 
par  son  zèle  et  son  dévouement  à  la 
petite  troupe  d'écoliers  dont  il  était 
un  des  chefs  les  plus  entreprenants. 
La  dilférenîe  manière  dont  il  fut  re- 
pris par  ses  parents,  après  un  dan- 
ger imminent  qu'il  avait  couru  dans 
rintérêt  de  son  parti ,  laissa  une  pro- 
fonde impression  dans  son  souvenir. 
La  sévérité  avec  laquelle  il  fut  traité 
à  cette  occasion  ,  par  son  père ,  ne 
servit  qu'à  le  révolter,  tandis  que 


WYT 


009 


les  tendres  et  touchantes  représenta- 
tions de  sa  mère  l'émurent  jusqu'au 
fond  de  l'ame ,  et  y  firent  germer  des 
sentiments  qui  réprimèrent  plus  effi- 
cacement sa  témérité  que  le  châti- 
ment rigoureux  infligé  par  la  main  pa- 
ternelle, sentiments  dont  il  se  plaisait 
à  retracer  l'origine  et  l'influence  sur 
sa  conduite.  La  méthode  vicieuse  de 
l'instruction  élémentaire  qu'il  rece- 
vait au  gymnase  de  Berne  était  cor- 
rigée par  les  entretiens  de  son  père  , 
qui,  à  la  promenade  et  dans  leurs 
courses  alpestres  ,  l'exerçait  à  la 
construction  de  courtes  phrases  la- 
tines. Wyltenbach  aimait  à  se  raj)- 
pcler  que  les  conseils  exprimés  en 
latin  par  son  père ,  pour  lui  re- 
commander la  frugalité,  l'applica- 
tion ,  le  renoncement  aux  jouissances 
sensuelles,  qui  amollissent  l'enfant 
pour  faire  de  l'homme  une  proie  plus 
facile  de  la  corruption,  le  frappaient 
davantage ,  et  lui  présentaient  un 
plus  grand  caractère  de  vérité  et  d'u- 
tilité que  lorsqu'ils  étaient  répétés 
en  allemand.  A  l'âge  de  dix  ans, Dan. 
Wyltenbach  changea  de  séjour  et 
d'instituteurs ,  son  père  ayant  accep- 
té la  place  de  professeur  à  l'univer- 
sité de  Marbourg ,  dans  le  landgra- 
viat  de  Hesse-Cassel.  \A  ,  comme  à 
Berne,  on  ne  se  contenta  pas  de  l'en- 
voyer dans  les  écoles  publiques;  son 
père  lui  donna  pour  précepteur  parti- 
culier Jacques  Jauger,  jeune  savant 
plein  de  mérite ,  dont  Wyltenbach  a 
toujours  loué  le  zèle  et  les  connaissan- 
ces, mais  qui ,  par  une  fausse  métho- 
de, retarda  les  progrès  de  son  disci- 
ple. Au  lieu  d'exercer  sa  mémoire 
et  de  lui  faire  apprendre  tout  sim- 
plement par  cœur  les  conjugaisons 
grecques,  il  se  perdait  en  raison- 
nements analyti(pies  ,  pour  cxpli- 
{[uer  à  l'enfant  la  formation  des  temps 
du  verbe ,  manie  dont  beaucoup  d'ins- 


3io  W'YT 

tituteurs  furent  saisis  dans  le  dernier 
siècle.  Ils  s'étaient  imagine' que  la  sai- 
ne pliilosopliielcurprescrivaitdecul- 
tivcr  surtout  la  raison  de  leurs  elè- 
T€s,  et  contrariaient  ainsi  la  marche 
({ue  la  nature  suit  dans  le  développe- 
ment des  facultés  de  l'enfant,  en  at- 
tachant facilité  et  plaisir  aux  exerci- 
ces qui  occupent  la  mémoire  ,  et 
mettent  en  jeu  l'imagination  ,  tandis 
que  les  forces  i?itellecttiel!es  d'un  or- 
dre supérieur  se  refusent  encore  au 
travail  qu'on  veut  leur  imposer.  Le 
père  de  Wyttenbach  ,  homme  plein 
de  sens,  vint  à  son  secours  et ,  le 
délivrant  de  cet  enseignement  pré- 
maturément rationel  ,  lui  assura 
la  pleine  jouissance  des  fruits  qu'il 
recueillait  d'ailleurs  de  la  capacité 
de  son  instituteur  et  de  son  goût  pour 
les  écrivains  de  l'antiquité.  A  qua- 
torze ans ,  il  fut  admis  aux  cours  de 
l'université^  nommément  aux  leçons 
de  Coing ,  sur  la  philosophie  ;  de 
SpangenÏDerg  ^  sur  les  mathémati- 
ques ;  de  Schrœdcr^  sur  les  littéra- 
tures grecque  et  hébraïque  ,  et  de 
Geiger ,  sur  l'histoire  et  le  style  la- 
tin. Aucun  de  ces  professeurs  ne 
manquait  d'instruction  et  de  talent; 
mais  Spangenberg  surtout  laissa  dans 
le  souvenir  de  Wyttenbach  de  pro- 
fondes impressions  de  vénération 
et  de  gratitude.  C'était  un  homme 
d'une  piété  douce  et  fervente^  et  qui  ^ 
quoique  mathématicien  rigoureux,  se 
laissait  fréquemment  entraîner  à  des 
digressions  sur  la  sagesse  du  géomè- 
tre souverain ,  qui  a  si  merveilleuse- 
ment assorti  les  nombres,  poids  et 
mesures  aux  besoins  de  ses  créatures 
et  à  l'accomplissement  de  ses  plans 
adorables.  Wyttenbach  aimait  à  se 
rappeler  le  sourire  de  joie  intérieure 
(jui  brillait  sur  les  lèvres  de  l'excel- 
lent professeur  ^  quand  ,  après  avoir 
achevé  la  démonstration  d'une  pro- 


WYT 

position ,  remarquable  par  son  im- 
portance et  sa  liaison  avec  un  ordre 
supérieur  d'idées ,  il  se  retournait  du 
tableau  vers  ses  auditeurs,  comme 
tout  resplendissant  des  rayons  de  la 
vérité  divine,  et  conviant  leurs  jeu- 
nes cœurs  au  partage  des  sentiments 
délicieux  qui  inondaient  son  ame. 
Wyttenbach  faisait  des  progrès  pro- 
portionnés à  son  ardeur  et  à  ses  heu- 
reuses dispositions,  lorsqu'un  livre 
de  piété,  qu'il  avait  trouvé  dans  la 
bibliothèque  de  sa  mère ,  et  dont  le 
titre  avait  piqué  sa  curiosité  ,  vint  in- 
terrompre le  cours  de  ses  études  par  le 
trouble  inexprimable  où  il  le  jeta  :  c'é- 
tait l'ouvrage  de  J.  Bunyan,  intitulé  : 
le  Pèlerinage  du  chrétien  vers  une 
éternilé  bienheureuse.  Comparant 
le  tableau  des  dispositions  que  l'au- 
teur exige  du  fidèle  avec  l'état  de 
son  ame ,  il  se  crut  menacé  de  la 
damnation  éternelle,  et  tomba  dans 
un  découragement  voisin  du  déses- 
poir. Vainement  ses  parents  ,  ses 
sœurs,  ses  amis,  cherchaient  à  pé- 
nétrer les  causes  du  changement  qui 
s'était  opéré  dans  toute  sa  personne , 
et  de  la  taciturnité  qui  avait  succédé 
chez  lui  à  des  habitudes  très-commu- 
nicatives.  Pendant  neuf  mois  il  garda 
un  silence  obstiné.  Enfin  sa  mère 
réussit ,  par  de  tendres  sollicita- 
tions ,  à  lui  arracher  son  secret  j  et 
son  père ,  aidé  de  son  respectable 
collègue  Spangenberg ,  qui  avait  tou- 
te la  confiance  du  jeune  homme  , 
parvint  à  ramener  le  calme  dans  son 
esprit ,  et  à  lui  rendre  la  force  de  re- 
prendre ses  travaux  avec  son  ancien 
zèle.  Le  biographe  de  Wyttenbach, 
M.  Mahne^  nous  a  conservé  la  subs- 
tance des  conversations  qui  produi- 
sirent ce  bon  résultat;  mais,  bien 
qu'elles  soient  pleines  de  sens  et  de 
justes  reproches  ,  fondés  sur  le 
mystère   qu'il   avait   fait  à  ses  pa- 


WYî 

leiils  et  à  ses  maîtres  de  la   lecture 
de    Bunyan    et    des    effets    qu'elle 
avait   eus  sur  son    esprit,    on   est 
fâche  de  ne  pas  voir  dans  ces  entre- 
tiens l'impression  qu'elle  avait  pro- 
duite sur  les   sentiments  du  jeune 
homme ,  appréciée  avec  plus  de  dis- 
cernement, et  la  part  faite,  dans  les 
intérêts  d'un  avenir  sans  bornes ,  à 
ce   qu'elle  contenait    de    salutaire , 
comme  à  ce  qu'elle  pouvait  entraîner 
de  nuisible  et  d'exagere.  Allant  au 
plus  presse  ,  ils  s'attachèrent  unique- 
ment à  combattre  les  terreurs  supers- 
titieuses dont  Wyttenbach  avait  été 
frappé ,  et  à  lui  recommander  une 
application  redoublée  à  l'élude  de  la 
philosophie  et  dos  belles-lettres,  com- 
me propre  à  guérir  plus  prompte- 
ment  les  blessures  que  lui  avait  faites 
une  doctrine  mal  comprise.  11  n'est 
pas  douteux   que    la    tournure  que 
prit   cet   épisode  dans  le  cours  de 
ses  travaux  académiques  n'ait  con- 
tribué à  le  dégoûter  de  la  théologie, 
à  l'enseignement  de  laquelle  son  père 
eût  désiré  qu'il  se  consacrât.  Par  dé- 
férence pour  ce  vœu  ,  il  suivit  pen- 
dant quelque  temps  les  leçons  des 
professeurs  de  cette  faculté  j   mais 
c'est  à  regret  qu'il  leur  donnait  les 
heures  qu'il  aurait  préféré  employer 
à  la  lecture  des  auteurs  grecs.    Ce 
goût  devint    si     prédominant  ,    et 
son    éloignement   pour  la    carrière 
à  laquelle   il  était  destiné  s'accrut 
de  jour  en  jour  tellement,  que  son 
père,    venant    au-devant    de  ses 
désirs,  finit  par   l'encourager  à  se 
donner  tout  entier  à  la  branche  de 
philologie  qui  s'était  si  puissamment 
emparée  de  lui.  Cet  acte  de  paternelle 
indulgence  lui   ouvrit   sa   véritable 
carrière,  à  l'a  go  de  dix-huit  ans.  Il 
faut  l'entendre  lui-même ,  retraçant , 
à    une  époque   où  ses  travaux   lui 
avaient  acquis  une  renommée  impé- 


WYï 


3i 


rissable  (Préface  de  la  Chi^stomathie 
grecque  hislorique,  p.  xxxi  ) ,  le  sou- 
venir de  ses  premiers  tâtonnements 
dans  le   genre  de  littérature   où  il 
s'est  illustré  :  «  J'avais ,  »  dit- il ,  en 
s'adressantàla  jeunessebatave,«  dix- 
huit  ans  •  j'étais  ,  pour  l'intelligence 
des  auteurs  grecs ,  tout  au  plus  au 
degré  que  la  plupart  d'entre  vous  at- 
teignez après  avoir   assisté   quatre 
mois  à  mes  leçons.  Me  voilà  maître 
de  mon  temps ,  et  reprenant  en  main 
des  livres  que  j'avais  déjà  lus  :  l'e- 
crit  de  Plutarque  sur  V éducation  , 
travail  laborieux  sans  plaisir  ;  Héro- 
dien,    un  peu  d'attrait,    mais  rien 
qui  me  satisfît.  Le  hasard  me  fait 
ouvrir  les  Mcmorahilia  de  Xéno- 
phon,  dans  l'édition  d'Ernesti;  ma- 
gie irrésistible,  dont  je  n'ai  pu  me 
rendre  compte  que  beaucoup    plus 
tard.  »  7\.près    avoir   lu  et  relu  les 
Oiiuvres  de  Xénophon,il  prit  la  réso- 
lution de  lire  tous  les  écrivains  clas- 
siques  dans  l'ordre  chronologique  , 
et  de  laisser  de  coté  tout  autre  genre 
d'études  philologiques,  jusqu'à    ce 
qu'il  eût  accompli  cette  tâche.  Ainsi 
les  circonstances  et  son  propre  mou- 
vement le  firent,  dès  l'entrée  de  la 
carrière  qu'il  s'était  choisie ,  mar- 
cher vers  les  sommités  du  domaine 
de  l'érudition  et  de  la  saine  critique, 
d'un  pas  ferme ,  directement  et  par 
la  même  voie  que  les  grands  maîtres 
qui  en  tiennent  le  sceptre ,  Hemster- 
huys,  Ruhnkenius  et  Yalckenaer,  ont 
indiquée  comme;  la  seule  qui  puis- 
se mener  au  but  sûrement.  On  sait 
combien  ,  toutes  les  fois  que  l'occa- 
sion s'en  présentait ,  ils  déploraient 
les  habitudes  et  les  besoins,  contraires 
aux  intérêts  de  l'enseignement,  qui 
ont  donné  aux  lettres  latines  la  prio- 
rité de  temps  et  la  primauté  d'im- 
portance dans  la  série  des  études  sco- 
laires. La  lecture  de  Démosthène  et 


3i2  WYT 

de  Platon,  qui  succéda  à  celle  de 
Xénophon ,  et  la  recherclie  des  se- 
cours nécessaires  à  leur  intelligence  , 
lui  ayant  fait  connaître  les  travaux 
des  meilleurs  humanistes^  entre  au- 
tres les  notes  de  Rulinkenius  sur  le 
Lexique  de  Timee  •  ce  chef-  d'œuvre 
de  la  philologie  grecque  lui  donna 
le  plus  vif  désir  de  se  mettre  sous  la 
direction  d'un  si  habile  critique.  Pour 
se  rendre  digne  d'en  être  accueilli,  et 
prenant  pour  modèle  le  soin  avec  le- 
quel Ruhnkenius  retrace  les  citations 
et  les  imitations  de  Platon ,  se  repro- 
duisant dans  tout  le  cours  des  siècles 
littéraires  de  la  Grèce ,  il  fit  impri- 
mer à  Gottingue ,  oii  il  s'e'tait  rendu, 
afin  de  s'aider  des  conseils  deHeyne, 
un  écrit  intitule  :  Epistola  critica  ad 
vir.  cel.  Davidem  Ruhnkenium,  su- 
per nonmdlis  locis  Juliani  imp.,  cui 
accesserunt  animadversioncs  in  Eu- 
napiinnet  Aristœnetum ,  Gottingue, 
1 769 ,  in-8".  ;  réimprimé ,  en  1802, 
par  les  soins  du  savant  M.  Schœfer. 
Cet  essai  était  un  coup  de  maître,  et 
fut  jugé  tel ,  non-seulement  par  Ruhn- 
kenius, mais  par  le  plus  grand  hel- 
léniste des  temps  modernes  ,  Valc- 
kenaer.  Wyttenbach,  sûr  d'un  bon 
accueil  de  la  part  de  ces  deux  il- 
lustres disciples  d'Hemsterhuys ,  qui 
étaient  devenus  les  objets  de  sa  plus 
haute  admiration,  échangea  le  séjour 
de  Gottingue  contre  celui  de  Leyde , 
dans  l'intention  de  profiter  de  l'en- 
seignement et  des  conseils  de  guides 
si  éclairés.  S'il  fallait  une  preuve  de 
plus  que,  sans  enthousiasme,  on  ne 
s'élève  dans  aucun  genre  au-dessus 
de  la  médiocrité,  on  n'aurait  qu'à  lire 
ce  que  le  biographe  de  Wyttenbach 
raconte,  d'après  son  maître,  des 
émotions  qui  l'agitèrent  lorsqu'il  ar- 
riva à  Leyde.  Il  lui  sembla  qu'il  était 
entré  dans  Athènes,  qu'il  avait  en 
face  le  temple  de  Minerve.  L'ouvrier, 


WYT 

le  portefaix ,  îe  matelot  qu'il  rencon- 
trait lui  paraissait  un  être  saci-é^hono- 
ré  du  commerce  des  Muses.  A  chaque 
mouvement  il  s'imaginait  poser  Icpied 
sur  l'empreinte  du  pas  d'un  des  héros 
de  l'érudition  classique  ,  de  Scaliger, 
de  Gronov,  deHemsterhuys,  et  sur- 
tout des  duumvirs  dont  la  renommée 
l'avait  conduit  dans  les  murs  de  Ley- 
de. Il  a  décrit  lui-même,  dans  sa  Vie 
de  Ruhnkenius ,  le  charme  qu'il  trou- 
va dans  ses  relations  avec  ces  deux  sa- 
vants ,  et  principalement  avec  Ruhn- 
kenius, qui  ne  tarda  pas  à  lui  pro-« 
curer  l'offre  de  la  place  de  profes- 
seur de  philosophie  et  de  littérature 
dans  le  collège  des  Remontrants 
à  Amsterdam ,  et  le  détermina ,  en 
l'acceptant ,  à  se  fixer  en  Hollande. 
Dans  ce  poste ,  dont  il  prit  posses- 
sion solennelle  en  prononçant  un 
discours  De  conjunctione  philoso- 
phice  cum  elegantioribus  litteris , 
il  se  concilia  bientôt  l'estime  du 
public  d'Amsterdam  ,  non  moins 
que  raifection  des  jeunes  gens  qui 
fréquentaient  ses  leçons  ,  et  dont 
le  nombre  augmenta  de  manière  à 
faire  à  la  fois  l'éloge  du  maître  et 
du  bon  esprit  des  habitants  d'une 
ville  commerçante,  vouée  en  appa- 
rence à  tout  autre  culte  qu'à  celui 
des  Muses.  Le  zèle  et  le  talent  de 
Wyttenbach  étaient  bien  propres  à 
nourrir  le  goût  des  Hollandais  pour 
la  littérature  ancienne  :  mais  il  serait 
injuste  de  le  rapporter  entièrement  à 
son  enseignement.  Soit  que  les  étroi- 
tes bornes  de  leur  patrie, en  rapetissant 
le  théâtre  de  toute  gloire  littéraire 
indigène  ,  aient  fait  transporter  aux 
hommes  de  talent  leur  domicile  in- 
tellectuel au  sein  de  l'antiquité  • 
soit  que  l'ascendant  de  quelques 
grands  philologues  ,  attirés  dans 
les  universités  bataves  par  des  ins- 
titutions favorables  à  la  liberté    et 


par  la  mimifieence  de  magistrats  , 
amis  des  lettres ,  ait  imprimé  aux  es- 
prits cette  direction  particulière;  soit 
enfin  que  la  nécessité  de  faire  preuve 
de  connaissances  solides  dans  les  lan- 
gues anciennes  pour  obtenir  des  pla- 
ces honorables  dans  Tordre  civil , 
aussi  bien  que  dans  le  ministère  sacré, 
aitlà  plus  qu'ailleurs  favorisé  ce  genre 
de  savoir  :  il  est  hors  de  doute  que  , 
depuis  la  fin  du  seizième  siècle ,  la 
Hollande  a  été  le  sol  classique  des 
lettres  grecques  et  latines  ,  et  que  ses 
humanistes  leur  ont  rendu  à  eux  seuls 
plus  de  services  que  ceux  de  tous 
les  autres  pays.  C'est  la  gloire  de 
Wyttenbach  de  s'être  placé,  dans 
l'opinion  des  juges  compétents ,  à 
côté  de  Grotius  ,  de  J.-F.  Grono- 
vius,  d'Hemsterhuys ,  de  Schultens  , 
de  Yalckenaer ,  de  Wesseling ,  de 
tous  ceux  qui  tiennent  le  premier 
rang  entre  les  philologues.  Sachant 
que  pour  élever  un  monument  du- 
rable ,  il  ne  faut  point  gaspiller  son 
temps  et  son  travail,  et  préférant  la 
culture  soigneuse  d'un  coin  du  vaste 
champ  de  l'érudition  à  des  recher- 
ches trop  variées  ,  et  partant  incom- 
plètes ,  il  résolut  de  consacrer  sa  vie 
à  une  édition  critique  des  OEuvres 
de  Plutarque.  Afin  de  constater  son 
aptitude  à  celte  difhcile  entreprise, 
et  d'offrir  des  garanties  aux  éru- 
dits  qui  voudraient  ,  par  des  colla- 
tions de  manuscrits  et  des  conseils, 
l'aider  dans  son  exécution  ,  il  publia 
à  Leyde  ,  en  177^,  comme  échan- 
tillon ,  le  traité  De  sera  Niiminis 
vÎTidicta  (  in-80. ,  de  1 48  pages  ) , 
accompagné  d'un  commentaire  qui 
l'éleva  ,  jeune  encore  ,  au  rang  des 
ftiaîtres.  Après  avoir  donné  à  l'é- 
tude de  Plutarque,  pendant  quatre 
ans  ,  tout  le  temps  que  ses  fonctions 
académiques  lui  laissaient,  et  après 
avoir  arrêté  les  points  principaux 


WYT  3i3 

sur  lesquels  devaient  porter  désor- 
mais ses  recherches  pour  rendre  sa 
récension  digne  d'un  pareil  écri- 
vain ,  il  résolut  de  visiter  les  prin- 
cipales bibliothèques  de  l'Europe 
et  d'en  examiner  les  manuscrits. 
11  commença  par  le  voyage  de 
Paris  ,  où  il  fut  accueilli  avec  dis- 
tinction par  les  amis  des  lettres, 
et  se  lia  étroitement  avec  Larcher  , 
Sainte-Croix  et  Villoison.  Dans  plu- 
sieurs de  ses  écrits  ,  il  fait ,  avec  re- 
connaissance ,  l'éloge  des  encourage- 
ments qu'il  trouva  dans  la  société 
des  savants  parisiens ,  et  des  soins 
aussi  tendres  qu'habiles  qu'il  reçut 
du  docteur  Lorry  dans  une  maladie 
grave ,  soins  qui  le  rendirent  assez 
prompteraent  à  ses  occupations  et  à 
ses  amis  d'Amsterdam  ,  parmi  les- 
quels il  a  célébré  dans  ses  ouvrages , 
par  des  dédicaces  ou  les  mentions  les 
plus  honorables ,  Jérôme  de  Bosch , 
éditeur  de  l'Anthologie  de  Grotius  , 
et  auteur  d'un  poème  latin  de  l'Éga- 
lité des  hommes  ,  dédié  à  Wytten- 
bach ,  Pierre  Fontein,  Mathias  Tem- 
minck  et  Constantin  Gras.  En  1779, 
les  magistrats  d'Amsterdam  ,  pour 
conserver  plus  sûrement  un  profes- 
seur qui  répandait  tant  de  lustre  sur 
les  établissements  littéraires  de  cette 
ville,  et  que  plusieurs  princes  d'Alle- 
magne, ainsi  que  sa  patrie  ,  le  can- 
ton de  Berne,  tâchaient  d'attirer 
par  des  olFres  avantageuses^  créèrent 
dans  une  institution  florissante,  ap- 
pelée V Illustre  Athénée,  une  chaire 
de  professeur  de  philosophie  dont  il 
prit  possession  le  25  octobre  1 779  , 
par  un  discours,  modèle  comme  tout 
ce  qui  est  sorti  de  sa  plume  ,  d'une 
latinité  élégante  et  pure  :  De  Fhilo- 
sophid  y  auctore  Cicérone,  laiidata- 
riiin  artium  omnium  procréatrice  et 
quasi  parente.  \jes  travaux  auxquels 
il  se  livra  pour  satisfaire  aux  devoirs 


3i4  WYT 

de  cette  place ,  donnèrent  naissance 
à  plusieurs  écrits  ,  marques  au  coin 
de  la  plus  saine  philosophie  et  d'une 
grande  connaissance  de  ses  vicissitu- 
des. L'histoire  de  la  science  y  marche 
constamment  de  front  avec  son  ex- 
position didactique.  Le  principal  de 
ces  écrits  est  im  traite  de  logique 
publié  à  Amsterdam,  en  1781,  in-8'\ 
de  2^5  pag.,  et  deux  fois  réimpri- 
mé à  Halle  _,  par  les  soins  du  célèbre 
J.-A.Éberhard,  etde  J.-G.-E.Maas, 
sous  ce  titre  :  Prœcepta  philosophiœ 
logicœ ,  1794  et  1821.  C'est  à  cetre 
même  époque  que  se  rapportent  deux 
Mémoires  couronnés  par  les  admi- 
nistrateurs des  fondations  Stolpienne 
et  Teylerienne,  l'un  sur  la  question  : 
JYùm  sold  rationis  vi ,  et  quibus  ar- 
gumentis  y  demonstrari  potest ^  non 
esse  pliires  unà  Deos  ?  Et  fue- 
rimt-ne  unquam  popilli  aut  philoso- 
phie qui  hujus  veritatis  cognitioneni 
sine  revelationis  divinœ  ,  ad  ipsos 
propagatœ  y  auxilio  habuerint  ? 
l'autre  sur  cette  autre  question  :  Qiiœ 
fuit  veterum  philos ophorum  ,  indè 
à  Thalete  et  Pythagord  usque  ad 
SenecarUy  sententia  de  vitd  et  statu 
animorum  post  mortem  corporis  ? 
Cinq  leçons  sur  le  dernier  sujet  ont 
été  trouvées  dans  les  papiers  de 
Wyttenbach  ,  et  imprimées  à  Gand  , 
en  1824  (in-80.  de  i43  pag.), avec 
les  notes  de  M.  Mahne^  qui  a  pu- 
blié, en  1826^  les  cahiers  dont 
Wyttenbach  se  servait  dans  ses  le- 
çons de  métaphysique  :  D.  Wyt- 
tenbachii  brevis  descriptio  institu- 
tionum  metaphysicarum  y  Gand 
(grand  in  -  8°.  de  2i6  pages). 
La  même  époque  vit  paraître  les 
septième  et  huitième  parties  de  la 
Bibliothèque  critique,  commencée 
en  1777  ,  et  pour  laquelle  Wytten- 
bach s'était  associé  David  Ruhnke- 
nius,  H. -A.  Schultens,  van  Santcn 


WYT 

et  d'autres  philologues  estimés.  Ce 
journal  dont  la  dernière  partie,  la 
douzième,  est  de  1807,  acquitbientôt 
une  réputation  européenne ,  et  survi- 
vra à  la  plupart  des  livres  qui  y  sont 
analysés.  Tous  les  procédés  de  la 
critique  verbaley  sont  appliqués  avec 
un  talent  et  dans  un  langage  qui  en 
font  une  lecture  beaucoup  plus  utile 
et  agréable  que  ne  peut  l'être  l'étude 
d'un  ouvrage  méthodique  sur  les 
principes  de  cet  art.  On  y  trouve  des 
morceaux  dont  aucun  humaniste  ne 
peut  se  passer ,  tels  que  les  notes  sur 
la  première  harangue  de  Julien  (dans 
les  première  et  deuxième  parties  du 
vol.  3),  des  jugements  très-développés 
sur  l'Appien  de  JM.  8chweigha;u£er, 
le  Cicéron  d'Ernesti  et  de  Heusinger, 
les  Lectiones  Andocideœ  de  Sluiter , 
leLongin deToup, l'Épiclète  deHey  • 
ne,  lesAnaîectesdeBrunck,  le  Phala- 
ris  de  Lennep,  l'hymne  m  Cereremde 
Ruhnkenius,  IcLibanius  deReiske,  les 
ouvrages  de  Tiedeman  et  de  Meiners , 
relatifs  à  l'histoire  de  la  philosophie 
grecque  ,  les  éditions  des  tragiques 
grecs  de  Brunck,  Musgra  ve,  etc.  Quel- 
quefois l'éditeur  s'y  élève  à  des  con- 
sidérations générales,  tantôt  histori- 
ques ,  tantôt  philosophiques,  et  tou- 
jours du  plus  grand  intérêt.  La 
douzième  partie  de  cette  Revue  phi- 
lologique est  précédée  d'une  Lettre 
adressée  au  baron  F. -G.  van  Lyn- 
den  ,  l'un  de  ses  meilleurs  élèves , 
dans  laquelle  il  combat  les  princi- 
pes du  système  de  Kant ,  en  latin 
d'une  pureté  cicéronienne ,  et  avec 
un  enjouement  que  la  matière  sem- 
blait ne  pas  comporter.  Les  per- 
sonnes qui  se  plaignent  encore  de 
l'obscurité  impénétrable  de  cette  doc- 
trine, pourront  y  voir  exposée,  dans 
le  langage  le  plus  élégant  de  l'an- 
cienne Rome ,  la  ténébreuse  théorie 
du  temps  et  de  l'espace  ^  et  des  ca- 


WYT 

tegories  de  rcntcndement  ,  et  les 
opérations  attribuées  par  le  philoso- 
phe de  Kœnigsberg  aux  facultés 
cognitives  ,  très -plaisamment  com- 
parées aux  procédés  des  pâtissières 
qui  vendent  dans  les  mes  d'Amster- 
dam certains  gâteaux  qu'elles  font 
sous  les  yeux  des  acheteurs.  Les  amis 
Q  une  critique  same  et  savante,  ayant 
vu  avec  bcaiicoup  de  peine  la  fin  de  ce 
Journal  ,Wyttenbach  en  fit  paraître 
la  continuation,  mais  à  des  inter- 
valles irréguliers,  comme  les  livrai- 
sonsde  la  Bibliottièque  critique, sous 
le  titre  de  Philomathie ;  il  n'en  a 
malheureusement  paru  que  trois  de 
1 8û8- 1 8 1 8 ,  à  Amsterdam.  La  troi- 
sième contient  (  pag.  o.g-iog  )  de 
précieuses  corrections  de  son  travail 
sur  le  Phédon.  En  1785,  lorsque 
Yalckenaer  mourut,  les  curateurs  de 
l'université  de  Leyde  offrirent  sa  pla- 
ce à  Wyttenbach. Succéder  à  Valcke- 
naer  dans  sa  chaire  ,  était  recevoir 
le  sceptre  de  la  littérature  grecque  ; 
c'était  le  terme  delà  plus  haute  ambi- 
tion d'un  helléniste  (i).  Wyttenbach 
lit  le  sacrifice  de  cette  glorieuse  voca- 
tion à  sa  reconnaissance  pour  les 
administrateurs  de  l'athénée  d'Ams- 
terdam^ qui  venaient  de  le  nommer, 
à  la  place  de  ïoliiuS;,  récemment 
attaché  à  l'éducation  du  roi  actuel 
des  Pays-Bas,  professeur  d'histoire, 
d'éloquence,  d'antiquités  ,  de  lettres 
grecques  et  latines.  Des  attraits  par- 
ticuliers le  retinrent  d'ailleurs  à  Ams- 
terdam :  il  y  avait  trouvé  une  se- 
conde patrie  dans  ses  institutions  , 
dans  la  gravité  et  la  popularité  de  ses 


(i)  Nous  iicMis  servous  ici  d'une  expressiou  très- 
impropre,  par  laquelle  on  s'ohstine  aujourd'hui  à 
désigner  un  philologue  qui  s'occupe  phisparticuh'è- 
rement  delà  langue  des  hellènes,  taudis  que  d^ms 
l'antiquité  elle  n'a  jamais  signifié  autre  chose  qu'un 
juif  ,  devenu  étranger  à  la  langue  de  sa  patrie  ,  et 
se  servant  du  jargon  répandu  dans  l'Orient  depuis 
les  conquêtes  d'Alexandre. 


WYT 


3i5 


magistrats  ,  la  simplicité  de  mœurs  , 
les  habitudes  casanières  des  habi- 
tants ,  et  la  jouissance  de  la  plus 
complète  liberté  civile.  Ajoutons  à 
cela  le  libre  choix  des  matières  pour 
ses  cours  académiques  dans  les  li- 
mites de  ses  attributions,  sans  aucune 
surveillance  à  exercer  ou  à  subir. 
Il  poursuivit  donc  le  paisible  cours 
de  ses  leçons  qu'il  rouvrit  le  18 
avril  par  un  admirable  discours  De 
vi  et  efficacid  historiée  ad  virtutis 
studium ,  et  qui  rassemblèrent  de 
plus  en  plus  autour  de  sa  chaire 
l'clite  de  la  jeunesse  batave.  Quant 
à  ses  travaux  httéraires ,  il  continua 
de  donner  tout  son  loisir,  d'abord  et 
avant  tout,  à  Plutarque,  ensuite  à  sa 
Bibliothèque  critique,  et  incidemment 
à  des  publications  que  lui  comman- 
dait l'intérêt  de  ses  disciples  ou  celui 
de  la  branche  de  savoir  dont  il  était 
un  des  principaux  ornements.  Parmi 
ces  dernières,  nous  devons  signaler 
un  choix  de  morceaux  pris  dans  les 
meilleurs  historiens  grecs  ,  imprimé 
quatre  fois  ,  d'abord  en  i-jqS  (in- 
80.  de  4^2  pages  )  ,  puis  en  1807 
avec  un  supplément  de  notes  (  460 
pages  )  :  Scdecta  principum  Grœcice 
Historicorinn.  Cette  chrestomathie 
est  surtout  remarquablepar  une  préfa- 
ce qui  offre  d'excellents  conseils  pour 
l'étude  du  grec  ,  et  par  le  modèle 
d'une  leçon  sur  la  première  phrase 
du  morceau  tiré  d'Hérodote  ,  qui 
ouvre  le  recueil.  Ceux  qui  ne  savent 
pas  encore  ce  que  c'est  qu'une  expli- 
cation grammaticale  et  littéraire  du 
passage  d'un  auteur  grec  ,  donnée 
selon  la  méthode  suivie  dans  Te'- 
cole  hollandaise  ,  depuis  l'immortel 
ïlemsterhuys  ,  ne  peuvent  s'en  faire 
une  plus  juste  idée  qu'en  étudiant  le 
commencement  des  notes  de  Wyt- 
tenbach auquel  il  a  conservé  tout 
exprès  la  formed'une  leçon  scolaire. 


3iG  WYT 

En  1795,  la  démission  de  Luzac  , 
dictée  par  roccupation  française  de 
la  Hollande,  avait  de  nouveau  rendu 
vacante  la  chaire  de  Valckcnaer  : 
elle  fut  encore  offerte  à  Wyttenbacli 
qui  la  refusa  sur  les  motifs  que  nous 
avons  indiqués,  et  qui  devenaient  cha- 
que jour  plus  décisifs  par  les  agré- 
ments de  sa  position  à  Amsterdam. 
Mais  le  sacrifice  de  ces  avantages 
auquel  un  traitement  doublé  et  les 
vives  sollicitations  de  son  maître 
Ruhnkenius  vivant  n'avaient  pu  le 
déterminer ,  l'intérêt  de  la  famille  de 
cet  ancien  ami  l'obtint  de  Wytten- 
bach  y  après  sa  mort ,  arrivée  en 
1799.  Les  curateurs  de  Tunivcrsité 
ayant  déclaré  qu'un  arrangement  qui 
devait  adoucir  le  sort  de  la  veuve  de 
Ruhnkenius  et  de  ses  deux  filles  , 
laissées  sans  ressources  par  le  décès 
de  ce  professeur  ,  n'aurait  lieu  que 
dans  le  cas  où  Wyttenbach  accepte- 
rait la  place  à  laquelle  il  avait  déjà 
été  appelé  à  deux  reprises  ,  il  n'hé- 
sita plus,  et,  dans  un  âge  déjà  avan- 
cé, il  rompit  toutes  les  douces  ha- 
bitudes qui  lui  rendaient  le  séjour 
d'Amsterdam  si  cher ,  et  céda  aux 
vœux  de  l'université  de  Lcyde  , 
pour  assurer  l'existence  de  la  famille 
de  son  ami.  Il  y  fut  appelé  à  titre  de 
professeur  d'éloquence,  d'histoire  , 
de  philosophie  ,  d'antiquités  ,  d'hu- 
manités ,  de  lettres  grecques  et  lati- 
nes ,  et  aussi  en  qualité  de  bibliothé- 
caire. Ses  premiers  travaux  ,  dans 
cette  nouvelle  position,  furent  des 
hommages  rendus  à  la  mémoire  de 
son  illustre  ami.  Son  discours  d'ou- 
verture traita  de  adolescentid  Da- 
vidis  Ruhnkenii ,  in  exemplura  pro- 
positd  adolescentihus  hatavis  hona- 
rufh  artiiim  studiosis.  Au  commen- 
cement de  l'année  suivante  parut  : 
FUulBuhnkcmii  (in-8^.  de  295  p.  ), 
qui  aurait  suffi  pour  assigner  à  son 


WYT 

auteur  un  haut  rang  parmi  les  phi- 
lologues, et  le  premier  parmi  les 
latinistes  ses  contemporains.  Peut-être 
moins  parfaite  de  diction  et  de  goût 
que  l'Eloge  de  Hemsterhuys  par 
Kuhnkenius ,  elle  est  plus  piquante 
par  la  naïveté  du  style  ,  plus  instruc- 
tive par  la  variété  des  matières  que 
l'auteur  rattache  au  principal  objet 
de  son  écrit  ,  et  qui  en  fout  une  vé- 
ritable histoire  littéraire  de  son  temps 
et  de  celui  de  Ruhnkenius.  Le  nom 
de  Wyttenbach  et  l'attrait  de  ses 
cours  ranimèrent  l'université  qui 
avait  enfin  réussi  à  se  l'attacher  ,  et 
réveillèrent  le  goût  des  langues  an- 
ciennes d'une  manière  d'autant  plus 
remarquable  ,  que  les  temps  ora- 
geux ,  pendant  lesquels  il  consa- 
cra à  la  jeunesse  batave  des  for- 
ces affaiblies  par  l'âge  et  le  travail  , 
étaient  singulièrement  propres  à  por- 
ter le  découragement  dans  les  esprits. 
Cependant ,  à  aucune  autre  époque, 
même  sous  l'intluence  des  Scaliger  , 
des  Heinsius  ,  des  Perizonius  ,  des 
Burmann  ,  nous  ne  voyons  sortir  de 
l'auditoire  d'un  professeur  d'huma- 
nités des  élèves  plus  nombreux  et 
plus  solidement  instruits  ,  reflétant 
tous,  pour  ainsi  dire,  la  grâce  de 
diction  ,  la  pureté  de  goût  et  l'excel- 
lente critique  de  leur  maître.  Jamais 
aussi  un  maître  n'avait  su  captiver 
ses  élèves  par  des  procédés  plus  at- 
tachants, et  par  des  preuves  d'un 
intérêt  plus  tendre  et  plus  éclairé. 
Pour  en  avoir  quelque  idée ,  il  faut 
lire  les  articles  de  la  Bibliothèque 
critique  et  de  la  Phiîomathie  qu'il  a 
consacrés  à  l'annonce  de  leurs  écrits; 
nommément  de  ceux  de  MM.  vau 
Lynden  ,  Nieuwland  ,  Scholten  ,  Ja- 
nus  Bakc  ,  G.-L.  Mahne^,  etc. ,  etc.  ; 
la  lettre  adressée  à  M.  van  Heusde  , 
aujourd'hui  professeur  à  Utrecht  , 
imprimée  en  tête  du  Spécimen  Pla- 


WYT 

tonicum  ,  que  cet  habile  critique  a 
public  en  i8o3  ,  et  les  fragments 
de  letlrcs  insères  par  M.Mahne  dans 
sa  Vie  de  Wyttenbacli  ^mais  surtout 
Feloge  d'un  de  ses  plus  chers  disci- 
ples ,  de  G.-L.  Wassenacr,  mort  à  la 
fleur  de  l'âge  ,  en  1812,  éloge  que  le 
maître  prononça  à  la  reprise  de  ses 
cours  ,  le  l'i  sept.  ,  et  qu'on  trouve 
dans  la  troisième  partie  de laPhiîoma- 
thie.  Nous  devons ,  aux  soins  que  Wy  t- 
tenbach  prenait  de  varier  le  sujet  de 
SCS  leçons,  des  notes  sur  plusieurs  des 
traites  philosophiques  de  Ciccron , 
sur  les  Vies  des  sophistes  par  Eunape, 
et  l'édition  du  Phédon  de  Platon  y 
imprimé  en  181 0  (in-S».  de  366 
pag.  ),  avec  un  savant  commentaire. 
Maigre  l'importance  et  l'utilité  de 
ces  soins ,  son  Plutarque  formait  tou- 
jours  comyne  la  base  de  sa  vie  litté- 
raire, et  l'occupait  dans  tous  les  mo- 
ments que  ne  kii  enlevaient  pas  les 
fonctions  académiques  et  les  ména- 
gements que  lui  imposait  la  faiblesse 
de  sa  vue  augmentée  par  la  correc- 
tion des  épreuves  de  son  Phédon.  Ses 
travaux,  sur  Plutarque  avaient  été 
retardés  par  une  foule  d'incidents,  et 
surtout  par  l'interruption  de  com- 
munications faciles  et  sûres  avec  son 
imprimeur  à  Oxford ,  et  enfin  arrêtés 
par  le  désastre  de  Leyde,  en  1807  , 
que  causa  l'explosion  d'un  bateau 
chargé  de  poudre.  Quelques  moments 
avant  ce  malheureux  événement ,  il 
venait  de  rédiger  une  des  notes  re- 
latives au  traité  de  l'EI  Delphi- 
que  (le  28^.  dans  la  série  des  OKuvres 
morales,  adoptée  par  Henri  Es- 
tienne  )  ,  note  se  rapportant  à  la 
page  892  du  Plutarque ,  in-fol.  de 
1624,  de  Paris,  qui  correspond  à 
la  page6o4  du  tome  11  del'édition  de 
Wytlcnbach,  et  il  avait  quitte  sa  bi- 
bliothèque où  ses  papiers,  et  les  ou- 
vrages auxquels  il   avait  à  recourir 


V^YT 


3 


plus  fréquemment,  se  trouvaient  éta- 
lés sur  un  grand  nombre  de  tables  et 
de  pupitres.  Sa  vie  fut  sauvée ,  mais  le 
coup  de  foudre  qui  ensevelit  cent 
cinquante  personnes  sous  les  ruines 
de  leurs  habitations ,  et  fit  périr  deux 
des  professeurs  les  plus  distingués  de 
l'université,  Kluit  et  Luzac,  dispersa 
les  livres  et  les  manuscrits  de  Wyt- 
tenbach  dans  les  rues  environnan- 
tes ,  et  l'obligea  de  transporter 
son  domicile  à  la  campagne,  sa 
maison  ébranlée  ne  lui  offrant  plus 
un  asile  sûr.  Tant  de  contre- temps 
et  d'interruptions  forcées  ,  surtout 
le  chagrin  que  lui  causa  l'incerti- 
tude du  sort  d'une  partie  de  son 
travail  sur  Plutarque  qui  resta  plus 
de  deux  ans  oublié  dans  un  navire 
chargé  à  Hambourg  pour  l'Angle- 
terre^ enfin  la  perte  d'un  de  ses 
yeux  ,  suivie  bientôt  d'un  tel  aiïai- 
blissement  de  l'autre  ,  qu'il  ne  pou- 
vait plus  réunir  ni  déchiffrer  ses 
anciennes  notes  ,  encore  moins  se 
livrer  à  des  recherches  nouvelles  ,  et 
que  sa  main  ne  traçait  plus  que  des 
caractères  informes  ,  ont  privé  le 
monde  savant  des  trois  quarts  du 
commentaire  qui  devait  accompa- 
gner l'excellente  édition  critique  des 
OEuvres  morales  de  Plutarque ,  pu- 
bliée à  Oxford,  1793-  1802,  en 
V  tomes  de  trois  formats ,  grand  et 
petit  in-8^.  etin-4°. ,  avec  la  version 
latine  de  Xylander ,  améliorée  par 
Wyttenbach  ,  et  des  notes  critiques , 
contenant  les  variantes  recueillies  par 
l'éditeur  et  ses  corrections  conjectu- 
rales du  texte.  La  partie  achevée  du 
commentaire,  véritable  trésor  d'é- 
rudition ,  mais  peut-être  surchargée 
de  digressions ,  forme  le  vi«.  tome 
qui  contient  le  commencement  des 
Animadversiones ,ç\\  \1T1  pages  {è 
Tjpo^raphid  Clarendoniand,  1810) 
et  s'arrête  à  la  fin  du  i^^.  tome  du 


3i8  WYT 

texte  grec  (  pag.  974  ) ,  ne  s'ctendant 
en  conséquence  que  sur  les  dix-liait 
premiers  traite's  moraux,  entre  les 
quatre-vingt-six  attribués  àPlutarque. 
On  trouve  une  annonce  et  des  recti- 
iicalions  pour  la  Préface  générale , 
pag.  I-4G  de  la  troisième  partie  du 
III''.  vol.  de  la  Bibl.  critique,  de  la 
main  même  de  Wyttenbach.  Le  texte 
grec  a  été  réimprimé  par  les  soins  de 
M.Schaefer  à  Leipzig^  et  àTubingue 
par  ceux  de  M.  Hutten  •  les  Animad- 
versiones ,  en  1821,  en  1  vol.  Tel 
qu'il  est ,  ce  travail  est  un  immense 
service  rendu  à  la  littérature  grecque, 
puisqu'il    rétablit  le  texte  de  quel- 
ques-uns des  plus  importants  écrits 
qui  nous  restent  de  l'antiquité  dans 
sa  forme  primitive,  autant  qu'il  est 
donné  à  la  sagacité  et  au  savoir  hu- 
mains d'approcîier  d'une  restaura- 
tion aussi  difficile.  Afin  de  se  pro- 
curer plus  de  ressources  pour  l'in- 
terprétation  de   Plutarque  ,  et  aussi 
pour  aider  ses  disciples   dans  leurs 
recherches  sur  Platon,  qu'il  s'était 
constamment  attaché   à    leur    faire 
admirer  et  étudier  ,  il  donna ,  vers 
la  fin   de   sa   laborieuse   carrière  , 
beaucoup  de  temps   à  l'étude  des 
commentateurs   inédits  de  Platon  , 
Olfinpiodore ,  Hermias  et  Proclus, 
à  Plotin  ,  même  à  Eunapius  ^   dont 
le    mauvais   goût  et  l'esprit  d'em- 
prunt avaient  d'ailleurs  si  peu  d'a- 
nalogie avec  le   jugement   droit  et 
sain  de  sou  annotateur.  Plusieurs  de 
ses  leçons  restèrent  consacrées  à  Ci- 
céron  ,  surtout  à  ses  œuvres  philoso- 
phiques :  le  cours  dans  lequel,   en 
1808  ,  il  expliqua  le  traité  De  finl- 
hus  y  fut  suivi  par  plus  de  cent  audi- 
teurs. Le  résultat  de  ses  travaux, 
fruit  d'elForts  qu'on  peut  considérer 
comme  les  derniers  rayons  de  ses 
yeux     presque    éteints     jetés     sur 
les   endroits  difficiles  de  ces   écri- 


WYT 

vains ,  se  trouve  dispersé  dans  les 
éditions  qu'en  ont  données  les  savants 
auxquels  Wyttenbach    abandonna  , 
et  pour  lesquels  il  rédigea  même  ex- 
pressément ses  notes  ,  apportant  à 
ces  généreux  soins  une  main  affaiblie 
et  une  vue  mourante,  mais  qui  ré- 
pandait encore  sur  les  pages  obscu- 
res de  ces  auteurs  une  clarté  qu'on 
eût  vainement  demandée  à  des  facul- 
tés moius  éminentes  et  moins  exer- 
cées que  les  siennes.  C'est  ainsi  qu'il 
enrichit  les  excellentes  dissertations 
de  ses  élèves  ,  J.  Bake  (<;?e  Posidonii 
Bhodii  reliquiis  doctrinœ  (  1808), 
Tliéod.  Netscher  (  de  Cicerords  ora- 
tione  pro  Archid  poetd) ,  etc. ,  de 
précieux  suppléments  ,  et  qu'il  four- 
nit des  notes  aussi  savantes  qu'utiles 
à  deux  critiques  distuigués,  à  M.  Creu- 
zer,  pour  ses  éditions  du  traité  de  PZo- 
tinsur  le  Beau  (Heidelberg  ,  i8i4) , 
et  de  celui  de  Cicéron  sur  la  nature 
des  Dieux  (  ibid. ,  1818  ),  et  à  M. 
Boissonade  pour  son  édition  d'^w- 
nape  ,  qui  n'a  vu  le  jour  qu'après  la 
mort  de  Wyttenbach  ,  sous  ce  titre  : 
Eunapii  Sardiani  vitas  sophistarum 
et  fragmenta  historiarum  recensuit 
notisque  illus  t  ravit  J.  -F.  Boissona  de; 
accedit  annotatio  Danielis  PVftten- 
hachii  j  Amsterdam,  1822,  1  vol. 
in -8^.  (  y^of.  sur  le  mérite  des  deux 
commentateurs  les  intéressants  arti- 
cles de  M.  Cousin ,  insérés  dans  le 
Journal  des  savants  ,    novembre  et 
décembre,  1826,  janvier  et  février, 
182^  ).  Le  commentaire  de  Wytten- 
bach s'arrête  à  la  page  gi  de  l'édi- 
tion de  M.  Boissonade.   M.  Mahne 
qui  nous  fait   espérer   d'autres   le- 
çons  de  son  maître  sur  différentes 
branches  de  la  philosophie  et  de  son 
histoire  parle  Cpag.  'il\i  de  la  Vie  de 
Wyttenbach)  de  notes]  sur  Eunapius 
et  sur  !a  Vie  de  Plotin  par  Porphyre, 
encore  inédites.   Quoique  l'état  des 


WYT 

yeux  de  Wyttenbach  et  sa  main  trem- 
blante ne  lui  permissent  plus  dé- 
crire ,  il  conserva  ses  facultés  intel- 
lectuelles jusqu'au  commencement  de 
janvier  1820  ,  où  une  attaque  d'a- 
poplexie le  priva  de  la  parole  et  du 
motivement.  Il  s'éteignit  le  17  de  ce 
mois ,  tendrement  soigné  par  sa  niè- 
ce, femme  très-distinguée  par  son 
esprit  et  ses  qualités  morales  ,  qui , 
depuis  long-temps,  faisait  tout  le 
charme  de  son  existence  par  son  at- 
tachement, et  qu'il  avaitépousée,  en 
181 7  ,pour  lui  assurer  sa  fortune  (2). 
11  fut ,  selon  son  désir ,  enterre  à  l'en- 
trée du  jardin  de  la  maison  de  cam- 
pagne où  il  avait  passé  les  dernières 
années  de  sa  vie ,  près  des  lieux  qu'a- 
vaient habités  Descartes  et  Boerha- 
ave.  11  avait  été  nommé  membre  de 
l'ordre  de  la  Réunion  ,  institué  par 
Napoléon  en  1812;  de  celui  du  Lion 
belgique  ^  fondé  par  le  roi  desfays- 
Bas ,  et  de  plusieurs  sociétés  savan- 
tes; en  1802,  de  la  société  latine 
d'Iéna  ;  en  1808,  de  l'Institut  bâ- 
ta vej  en  181 1,  de  la  société  des 
sciences  de  Gôttingue,  et,  en  i8i4  , 
de  l'académie  royale  des  inscrip- 
tions. Mais  sa  véritable  gloire  ,  il  la 
chercha  toujours  dans  ses  bienfai- 
sants rapports  avec  la  jeunesse  hol- 
landaise dont  il  ranima  singulière- 
ment le  goût  pour  les  études  classi- 
ques ,  et  qu'il  préserva  de  ce  découra- 
gement et  de  cette  apathie  funeste , 


(a)  Une  femme  promue  au  grade  de  docteur-ès- 
scicnces  ,  est  chose  si  étrangère  aux  usages  fran- 
çais qu'on  nous  permettra  de  citer  ici  les  termes 
dans  lesquels  la  faculté  de  philosophie  de  Mar- 
bourg  a  conféré  le  doctorat  à  Mn^^.  Wyttenbach  , 
le  28  juillet  1827  ,  le  jour  même  où  l'université  cé- 
lébrait la  fête  séculaire  de  sa  fondation.  «  Aucto- 
«  lilnle  GuiUelini  II ,  ELèctoiis  Hasiire  ,  promolor 
irrité  constitiUus,  C.  A.  L.  Creuzer ,  Jounnce 
»  J'Vjttenbach  ,  génère  GaHien  ,  D.  17  y Itenbachii 
>»  vi-iiice  immorlali  ■vira  dignœ  ,  ob  doctrinal  ele- 
>>  gantiaiu  scrptit  prohalam  aniiquœ  iirbanilalis 
«  odorem  spirantibus  ,  jura  et  ornunienla  docloris 
»  philosophias  artiiimque  liberalium  magistri ,  ex 
»  pliilosopliorum  ordinis  décréta  ,  hoc  ipso  die  sce- 
»  cidari  Irtbuit.  * 


WYT 


3i9 


que  pendant  un  si  long  laps  de  temps 
auraient  si  facilement  pu  produire 
l'incertitude  de  l'avenir  ,  l'anéan- 
tissement de  toute  existence  na- 
tionale sous  l'empire  français ,  la 
prédominance  des  intérêts  militai- 
res j  l'abolition  des  académies ,  na- 
guère si  florissantes  ,  de  Franeker, 
de  Harderwick  et  d'Utrecht  ,  et 
l'épouvantail  de  l'université  impé- 
riale ,  menaçant  toutes  les  institu- 
tions de  son  impitoyable  uniformité 
et  de  son  niveau  destructeur. — Rien 
n'est  aussi  propre  à  donner  une  jus- 
te idée  du  mérite  et  des  talents  de 
Wyttenbach  ,  que  de  suivre  la  car- 
rière littéraire  des  plus  distingués  en- 
tre ses  élèves ,  et  de  voir  la  pureté 
de  son  goût ,  l'élégance  de  son  style 
latin  et  la  loyauté  de  sa  critique  se 
réfl^échir  et  se  perpétuer  dans  leurs 
productions.  Humanistes  ,  théolo- 
giens ,  jurisconsultes  ,  médecins  , 
quel  que  soit  l'état  qu'ils  aient  em- 
brassé ,  leurs  écrits  respirent  tous 
cette  simplicité  gracieuse  ,  cette  so- 
briété d'ornements  ,  cette  lucidité  et 
cette  harmonieuse  tournure  de  phra- 
se qui  charment  l'esprit  et  l'oreille 
dans  les  ouvrages  de  leur  maître ,  et 
qui  les  reposent  délicieusement  quand 
ils  ont  été  fatigués  et  déchirés  par 
les  centons  pénibles  et  le  langage 
barbare  de  philologues  qui  oublient 
que ,  pour  se  rendre  intelligible ,  il 
faut  penser  dans  la  langue  dans  la- 
quelle on  écrit.  Wyttenbach  alliait 
la  grâce  deXénophon  à  l'abondance 
cicéronienne.  Avec  un  peu  plus  de 
concision  et  des  nombres  plus  périodi- 
ques, il  aurait,  comme  latiniste,  égalé 
Facciolati  et  Ruhnkenius,  qui  cepen- 
dant sont  encore ,  pour  la  rondeur 
et  le  rhythme  ,  évidemment  au-des- 
sous de  Marc-Antoine  Muret.  Wyt- 
tenbach avait  coutume  de  dire  que 
la  lecture  des  discours  de  Muret,  ex- 


320  WYT 

posant  en  parfait  latin  antirpic  des 
idées  toutes  modernes  ,  lui  avait 
forme  l'oreille  et  ouvert  l'esprit  pour 
l'appréciation  et  l'intelligence  de  Ci- 
céron  ,  qu'il  n'avait  d'abord  ni  goûte, 
ni  bien  compris.  Je  crois  devoir  in- 
diquer ici  ceux  des  écrits  des  disci- 
ples de  Wyttenbacli ,  dont  je  n'ai 
pas  eu  occasion  de  parler ,  aux- 
quels il  a  lui-même  donne  naissance 
par  ses  leçons  ou  ses  encouragements, 
et  qui  sont  en  partie  enrichis  de  notes 
inédites  fournies  par  lui.  B,  P.  van 
Wesele  Scholten  De  philosophiœ  ci- 
cerunianœ  loco  y  qui  est  de  divind 
naturd  y  1783.  P.  Nieuwland  De 
Musonio  Riifo  y  philosopho  stoico 
(même  année).  G.  L.  Mahne  De 
Aristoxcno  ,  philosopho  peripate- 
ticOj  1793.  (  C'est  à  l'auteur  de  cette 
excellente  dissertation,  aujourd'hui 
professeur  à  Gand,  un  des  plus  an- 
ciens et  fidèles  disciples  de  Wytten- 
bach,  que  nous  devons  les  meilleurs 
renseignements  sur  la  yie  et  les  tra- 
vaux de  son  maître.  Le  vol.  de  255 
pag.  in-8^.  ,  intitulé  :  Fita  Danielis 
Wjttenhachii ,  auctore  GuiL  Léon. 
Mahne  y  Gand,  1823,  est  le  di- 
gne pendant  de  la  biographie  de 
Ruhnkenius  par  W^'^ttenbach  :  il  ren- 
ferme plusieurs  lettres  inédites , 
oii  l'on  trouve  toujours  l'esprit  le 
plus  élégant  et  le  plus  judicieux 
uni  au  plus  aimable  abandon.  ) 
F.  G.  van  Lynden  De  Panœtio  , 
philosopho  stoico  ,  1802,  iig 
pag.  Bernard  van  Laar  De  Ro- 
manorum  ponderibus  et  mensu- 
ris  y  1808.  L.  C.  Luzac  (  petit- fils 
de  Valckenaer  )  De  Hortensio  ora- 
tore  y  Ciceronis  œmulo  (  1808  ).  G. 
Th.  Baumhaueri  spécimen  juridi- 
cum  de  lege  VIII.  C.  a  Si  certum 
petatur.^)  Cuiaccedunt  tria  capita 
obsen>ationuni  in  Ciceronis  librum 
secundum  academicarum  quœstio- 


WYT 

niim  ,  1812.  Ahrahami  TVillet  edi- 
tio  Protreptici  Galeniani  ,  18 12. 
Il  manquerait  un  trait  essentiel  au 
tableau  des  services  rendus  par 
Wyttenbach  à  la  littérature  classi- 
que et  à  la  philosophie  des  lan- 
gues, si  l'on  ne  rappelait  le  soin 
qu'il  prit  de  faire  servir  la  théorie 
de  Hemsterhujs  ,  sur  la  formation 
et  la  structure  du  grec  ,  à  la  so- 
lution des  diiïicultés  que  présente 
la  grammaire  de  cet  idiome.  Il 
se  croyait  d'autant  moins  dispensé 
de  cette  tâche  que ,  de  son  vivant  , 
aucun  exposé  satisfaisant  de  cette 
théorie ,  véritable  clef  du  sanctuaire 
de  la  langue  grecque,n'avait  été  offert 
aux  philologues,  h' Etymologicum 
de  Lennep  ,  publié  par  Everard 
Scheidiuset  jugé  dans  la  Bibliothèque 
critique  avec  des  ménagements  qu'im- 
posaient à  Wyttenbach  ses  relations 
personnelles  ,  et  les  bonnes  inten- 
tions de  l'éditeur  ,  n'en  avait  donné 
qu'une  idée  imparfaite,  et ,  sous  plus 
d'un  rapport  ,  la  caricature.  Les 
critiques  allemands ,  même  les  plus 
instruits,  tels  que  Primisser  et  G. 
Hermann  (  De  emendandd  ratione 
grœcœ  grammaticœ  y  Leipzig  , 
180 1  ) ,  ne  paraissaient  la  connaître 
que  par  cet  exposé  plus  qu'incom- 
plet. Cependant  les  philologues  hol- 
landais savaient  par  expérience  de 
quel  secours  dans  l'étude  du  grec 
était  l'analogie  ,  pressentie  par  èlca- 
liger  et  Casaubon  ,  plus  clairement 
aperçue  par  le  grand  A.  Schultcns  , 
et  ramenée  à  quelques  principes  lu- 
mineux par  Tib.  Hemsterhuys.  Ceux 
qui  avaient  suivi  les  travaux  des 
grammairiens  philosophes  n'igno- 
raient pas  avec  quel  succès  la  mé- 
thode de  Hemsterhuys  avait  été  ap- 
pliquée à  l'examen  d'autres  langues, 
quel  nouveau  jour  elle  avait  jeté  sur 
les  origines  du  latin  ,  et  combien  les 


WYT 

analyses  les  plus  ingénieuses  d'autres 
idiomes ,  telles  que  celles  de  l'anglais 
par  Horne  Tooke,  des  dialectes 
germaniques  par  Ten  Kate  ,  Fulda  , 
Grimm  et  Rask  ,  du  sanscrit  par 
Bopp,etc.,  sont  loin  encore  de  l'évi- 
dence et  de  la  fécondité  des  vues 
de  Hemsterliuys  sur  la  formation 
du  grec,  lorsque  l'on  compare  Unirs 
principes  ,  tant  en  eux-mêmes  que 
dans  leur  utilité  pratique  ,  avec  la 
simplicité  des  développements  que 
l'école  hollandaise  donne  au  système 
d'analogie  d'après  lequel  elle  expli- 
que la  structure  de  la  langue  helléni- 
que, et  surtout  avec  l'heureux  parti 
qu'en  ont  tiré  dans  leurs  leçons,  mais 
rarement  dans  leurs  écrits  imprimés, 
Yalckeuaer  et  Wyttenbach.  Ce  der- 
nier ,  préoccupé  du  tort  que  la  mal- 
adresse et  la  précipitation  de  quel- 
ques lexicologues  de  l'école  hollan- 
daise avaient  fait  à  cette  admirable 
méthode  ,  et  craignant  d'aggraver  ce 
tort  par  un  travail  disproportionné 
avec  l'étendue  d'une  pareille  tache, 
absorbéd'ailleurs  par  ses  devoirsaca- 
démiques  et  tant  d'occupations  litté- 
raires obligées,  s'est  contenté  ,  com- 
me ses  devanciers,  de  mettre  à  pro- 
fit les  ressources  qu'ofTre  l'analogie 
découverte  par  Hemsterhuys  ,  pour 
initier  ses  élèves  dans  les  secrets  de 
la  belle  langue  dont  il  leur  facilitait 
l'acquisition ,  et  pour  leur  en  faire 
presque  toucher  au  doigt  les  élé- 
ments ,  ainsi  que  la  composition  ,  et 
apprécier  l'extrême  simplicité  et  les 
merveilleuses  richesses.  Quoi  qu'il 
en  soit,  se  voyant,  après  la  mort 
de  Valckenaer  et  de  Ruhnke- 
nius  ,  principal  dépositaire  d'une 
doctrine  qui  n'était  encore  ni  assez 
connue  ni  suffisamment  expliquée 
dans  des   écrits  qui  lui   rendissent 

Sleine  justice,  et  se  sentant  appelé  , 
ans  l'intérêt  de  la  branche  de  litté- 


WYï  321 

rature  qui  lui  était  confiée,  à  con- 
server la  tradition  de  l'enseignement 
de  ses  illustres  prédécesseurs ,  Wyt- 
tenbach mit  beaucoup  de  soins  à 
remplir  cette  partie  de  sa  tache,  et 
profita  de  toutes  les  occasions  qui  se 
présentaient  naturellement,  pour  ex- 
pliquer les  vrais  principes  de  leur 
méthode,  et  en  faire  voir  la  justesse 
et  la  fécondité.  Ceu\  qui  veulent  s'en 
former  une  idée  peuvent  consulter  le 
commencement  desnotes  sur  les5eZec 
ta  principum  Grœciœ  historicorum. 
Pour  montrer  quelle  importance  il 
attachait  à  la  conservation  et  au  dé- 
veloppement des  idées  de  Hemster- 
huys sur  l'analogie  de  la  langue 
grecque  ,  nous  transcrivons  ici  ce 
qu'il  dit  dans  sa  Philoniathie  (p.  3, 
p.  285  ),  <à  l'occasion  des  leçons  de 
Valckenaer,  sur  quelques  livres  du 
Nouveau- Testament  ,  publiées  par 
Ev.  Wassenbergh  ,  en  1815-17  : 
nln  hisscholis,  falckenarius  illiid 
hereditariiun  Hemsterhusianœ  dis- 
cipllnœ  et  pecuUare  Batavoriim  bo- 
num  ,  Analos!,iœ  scîentiam  ,  propa- 
g;avit,^^ — On  s'étonnera  peut-être  que, 
dans  la  notice  sur  un  homme  distin- 
gué par  sa  naissance  et  son  ascen- 
dant sur  la  jeunesse ,  et  occupant  une 
place  honorable  dans  un  pays  qui 
lui  offrit  le  spectacle  de  plusieurs  ré- 
volutions politiques,  accompagnées 
de  métamorphoses  aussi  nombreuses 
que  subites  dans  les  personnes  et  dans 
les  choses  j  de  l'abolition  et  du  réta- 
blissement du  stathoudérat  en  1787; 
de  l'invasion  française  en  «794;  de 
la  fusion  des  sept  jn-ovinces  en  un 
seul  état  -en  i795j  de  plusieurs 
phases  de  ce  nouveau  régime  répu- 
blicain, se  succédant  en  peu  d'an- 
nées; d'un  royaume  improvisé  en 
1807,  et  de  l'incorporation  de  ce 
royaume  dans  un  vaste  empire  en 
i8îo;  du  rétablissement  de  Tindé- 
21 


S'il  WYT 

pendance  nationale  en  i8i3,  et  de 
la  restauration  du  pouvoir  de  la  mai- 
son d'Orange  en  i8i4  ?  sons  des  for- 
mes monarchiques  ;  on  s'étonnera, 
disons-nous,  que,  dans  l'expose  des 
travaux  d'un  homme  célèbre  qui  a 
traverse'  des  temps  si  orageux ,  il 
n'ait  pas  été  fait  la  moindre  mention 
des  rapports  de  cet  homme  éminent 
avec  ies  affaires  publiques  dans  un 
pays  d'une  étendue  si  bornée.  Quel- 
ques personnes  accuseront  Wylten- 
bach  d'avoir  enfreint  la  loi  de  So- 
lon  ,  qui  ne  permettait  pas  à  un  ci- 
toyen de  rester  neutre  dans  les  trou- 
bles civils:  il  leur  aurait  répondu  que 
celte  loi  ne  regardait  les  Athéniens 
que  comme  membres  de  l'autorité 
souveraine  ,  et  qu'elle  était  moins 
obligatoire  pour  ceux  qui  ne  siègent 
pas  dans  les  conseils  suprêmes  des 
princes  et  des  peuples.  Nous  nous 
ÎDornerons  à  dire  que  Wyttenbach 
fut  loin  d'être  spectateur  indifférent 
des  épreuves  par  lesquelles  passa 
dans  un  si  court  intervalle  sa  patrie 
adoptive.  Nous  le  voyons ,  dans  les 
fragments  de  discours  et  de  lettres 
que  ses  amis  ont  publiés ,  s'affliger 
profondément  de  l'intervention  étran- 
gère dans  les  affaires  du  pays,  et  sa- 
luer avec  transport  le  retour  de  la 
liberté  (  F'of.  dans  sa  Vie,  par  M. 
Mahne,  les  pages  \^i-  i45,  i54, 
^202,  2o3,  209,  '2î6,  spécialement, 
226  et  suiv. ,  la  lettre  à  son  ami  F.- 
G.  Bœrs  ) ,  mais  surtout  déplorer 
l'influence  que  ces  bouleversements 
exerçaient  sur  le  paisible  cours  et  la 
solidité  des  études.  Aussi  se  crut-il , 
dans  les  discordes  civiles  ,  appelé  à 
redoubler  d'efforts  pour  conserver  le 
feu  sacré  des  sciences  et  des  lettres , 
et  comme ,  dans  un  vaisseau  tour- 
menté par  la  tempête ,  l'équipage  se 
partage  les  soins  de  diverse  nature 
qui  doivent  concourir   au  salut  de 


WYT 

tous,  Wyttenbach  pensait  que  sa  tâ- 
che était  particulièrement  de  veillei* 
à  la  part  du  dépôt  de  la  civilisation 
qui  lui  était  confiée ,  convaincu  qu'il 
ménageait  à  son  pays  un  des  plus 
sûrs  moyens  de  restauration  et  de 
prospérité ,  s'il  réussissait  à  mainte- 
nir et  à  nourrir  le  zèle  de  la  jeu- 
nesse batave  pour  les  lettres  ,  en 
dépit  de  ce  que  le  présent  lui  op- 
posait d'obstacles  et  de  circons- 
tances décourageantes.  Nous  avons 
vu  que  son  dévouement  fut  couronné 
d'un  succès  inespéré,  succès  qu'il 
dut  en  partie  à  la  prudence,  à  la 
modération  et  au  généreux  désinté- 
ressement qu'il  montra  dans  toutes 
les  conjonctures  critiques.  Pour  se 
faire  une  idée  de  l'esprit  mâle  et  sa- 
ge ,  également  éloigné  de  servilité  et 
d'humeur,  avec  lequel  il  se  conduisit 
et  parla  à  ses  nombreux  auditeurs  ^ 
dans  ces  moments  difficiles,  on  peut 
lire  l'allocution  prononcée  à  l'ouver- 
ture de  ses  cours,  après  l'occupation 
d'Amsterdam  par  les  troupes  prus- 
siennes, allocution  que  M.  Mahne  a 
insérée  dans  sa  biographie  (  p.  i43 
et  suiv.),  et  le  discours  qu'il  adressa, 
le  18  sept.  181  G;,  aux  étudiants  de 
l'université  de  Leyde,  à  l'époque  de 
la  réunion  de  la  Hollande  à  l'empire 
français  :  Protrepticon  instauran- 
dis  scholis  et  discipulis  ad  littera- 
rum  studium  confirmandis  dicliim  , 
exhortation  pleine  de  mesure,  de  di- 
gnité et  de  force  ,  bien  propre  à  re- 
lever le  courage  abattu  de  ceux  de 
ses  auditeurs  qui  ne  ci'oyaient  plus 
avoir  de  patrie,  et  qui  songeaient  à 
abandonner  des  études  désormais 
inutiles.  Ce  discours  est ,  de  même 
que  tous  ceux  dont  nous  avons  parlé, 
compris  dans  le  recueil  publié  à 
Leyde  en  1821  :  D.  TVjttcnhachii 
opuscula  varii  argumenti ,  orato- 
ria ,  hislorica ,  critica  ,  nunc  pri- 


WYT 

màm  conjanctim  édita  (  2  tomes 
gr.  in-H^\  ).  Pour  être  place  au  même 
rang  que  les  Bentley,  les  Valckenacr, 
les  Porson,  il  n'a  manque  àWytten- 
bacli  qu'un  sentiment  pins  vif  des 
beautés  poétiques,  et  plus  d'habitu- 
de de  porter  son  attention  sur  les 
modulations  rhythmiques  et  les  ri- 
chesses métriques  de  la  belle  langue 
qu'il  avait,  soit  par  goût,  soit  par 
suite  de  la  direction  particulière  de 
ses    tiav^aux,    principalement   e'tu- 
diëe  dans  les    prosateurs.    Ce  n'est 
pas  à  dire  qu'il  ait  négligé  les  poè- 
tes   de    l'antiquité.  Non- seulement 
il  les  avait  tous  lus ,  mais  ce  qu'ils 
olFrent   d'instructif   pour  l'histoire 
de    la  langue  ,  des  opinions  et  des 
institutions  helléniques  ^    se  présen- 
tait à  son  esprit  lorsqu'il  en  avait 
besoin  pour  éclaircir  une  question  de 
philologie  ou  de  doctrine  philoso- 
phique ,  et  jeter  un  nouveau  jour  sur 
le  sens  des  auteurs  qui  ont  été  plus 
spécialement  l'objet  de  ses  travaux. 
Indépendamment  de  ce  que  lui  doit 
Piutarque  ,  pour  les  œuvres  morales 
duquel  il  est  désormais  ce  que  Rems- 
terhuys  est  pour  une  partie  de  Lu- 
cien ,  Valckenaer   pour  Hérodote , 
Wesseling  pour  Diodore  ,  Reiraarus 
pour  Dion  Gassius  ,  etc. ,  le  terme 
que  la   critique  dépassera  dilHcile- 
ment,  Wyttenbach  commence   une 
nouvelle  èredans  l'exposition  dessys- 
tèmes des  philosophes  grecs.  Avant 
lui ,  et  encore  de  nos  jours ,  les  histo- 
riens de  la  philosophie,  ceux  même 
qui  alliaient  une  grande  connaissan- 
ce de  la  langue  à  la  profondeur  des 
vues,  rapportaient,  à  leur  insu  ,  les 
idées  de  ces  philosophes ,  plus  ou 
moins  sensibicment  au  type  de  Des- 
cartes ,  Bacon  ,  Leibnitz,  etc. ,  et  nous 
avons  eu  ainsi  des  Platons ,  des  Aris- 
totes  ,  des  Pythagores ,  des  Zénons  , 
costumés  comme  l'étaient  les  Achil- 


WYT 


3a3 


les  ,  les  Hcctors  et  les  Hellènes  de  nos 
anciens  théâtres ,  vêtus  en  chevaliers 
du  moyen  âge,   ou  en  seigneurs  et 
dames  de  la  cour  de  France.    Wyt- 
tenbach s'était  fait  contemporain  de 
Xénophon ,  de  Platon ,  de  Démos- 
thènej  il  vivait  dans  l'Agora  et  sur  les 
bords  de  l'ilissus.  Dans  cette  atmos- 
phère que   des  études  heureusement 
spéciales  et  à -peu -près   exclusives 
avaient  créée  autour  de  lui ,  il  rece- 
vait de  la  lecture  de  leurs  livres  l'im- 
pression même  qu'en  avaient  reçue 
leurs  propres  concitoyens.  C'est  ainsi 
qu'il  s'est  mis  en  état  de  reproduire 
l'image  fidèle  de  ces  auteurs  ,  et  le 
trait  sincère    de  leur  physionomie. 
Sa  gloire  immortelle  est  surtout  d'a- 
voir ranimé  l'étude  de  Platon  ,  et  su 
inspirer  à  ses  nombreux  élèves  sonen- 
thousiasme  pour  le  plus  grand  des 
écrivains  de  l'antiquité.  Les  élèves 
de  Wyttenbach  ont  à  leur  tour  trans- 
mis cette  admiration  à  leurs  disci- 
ples ,  et  nous  lui   devons  plusieurs 
écrits  remarquables  sur  les  œuvres 
de  ce  philosophe  ,  et  sur  des  points 
importants  de  sa  doctrine,  tels  que 
J .  L.  Gl"".  de  Geer ,  Diatribe  in  Po- 
lilices  platonicce  principia  (  18 10  , 
191  p.);  Gl'"'.  Qroen  van  Prinsterer 
Ptalonica  prosopo^raphia  (  1828, 
287  pag.  ) ,  et  surtout  les  excellents 
Initia  philosophiœ  platonicœ  ,  auc- 
tore  Ph.  Gl""'.  van  Heiisde  (  Pars 
prior ,  1827  '  '-^^^  P^S-)-    Dans  la 
préface  ,  en  forme  de  lettre  adressée 
au  célèbre  Creuzer ,  M.  van  Heusde 
s'est  attaché  à  caractériser  le  talent 
de  son  maître  Wyttenbach,  et  à  mon- 
trer l'heureuse  influence  qu'il  a  exer- 
cée sur  la  jeunesse  batave,  et  que  M. 
van  Heusde  compare  à  celle  queCicc- 
ron  eut  sur  la  noblesse  romaine.  Cette 
préface  (  pag.  i-43  ) ,  écrite  dans  la 
belle  latinité  de  l'école  de  Wytten- 
bach, est  digne  d'être  méditée  par 
21.. 


324  XAG 

tous  les  amis  de  la  littérature  an- 
cienne. Son  savant  auteur  fait  voir 
que  rélégance  du  style  de  Wylten- 
Lacli  tient  à  ce  qu'il  pensait  en  grec 
eu  même  temps  qu'en  latin  ,  et  qu'il 
moulait  habituellement  les  expres- 
sions latines  sur  les  formes  grecques , 
comme  firent  les  auteurs  romains  du 
beau  siècle  qui  tous  avaient  ces  for- 
mes présentes  à  leur  esprit,  et  qui 
modiiièrent  leur  idiome  dur  et  pau- 
vre sur  le  modèle  de  la  langue 
des  Hellènes.  Ce  que  M.  van  Heusde 
dit  de  l'accueil  que  Wytlenbach 
faisait  aux  jeunes  gens  studieux  •  des 
encouragements  et  des  directions 
qu'il  leur  donnait  dans  des  conver- 
sations particulières  ;  du  soin  que 
prenaient  ses  disciples  de  se  loger 
dans  les  maisonnettes ,  et  même  dans 
les  huttes  aux  environs  de  l'habita- 
tion champêtre  où  Wyttenbach  allait 
passer  les  vacances  ,  pour  être  à 
porte'e  de  ces  entretiens  socratiques  , 
auxquels  il  les  admettait  le  soir  )  en- 
fin ce  qu'il  dit  des  réunions  qu'ils 
formaient,  pour  lire  Platon  en  com- 
mun et  s'entr'aider  dans  cette  lecture, 
fait  che'rir  la  mémoire  de  cet  hu- 
maniste ,  vene'rer  son  caractère  ,  et 
mieux  apprécier  l'étendue  des  servi- 
ces qu'il  a  rendus  à  la  philologie. 
Il  en  résulte  que ,  si ,  par  l'universa- 
lité et  la  profondeur  des  connais- 
sances ,  il  n*a  pas  égalé  les  Gasaubon 
et  les  Hemsterhuys  ,  il  leur  a  été 


XAC 

supérieur  par  l'empire  qu'il  s*est 
acquis  sur  ses  disciples,  et  l'ar- 
deur qu'il  leur  a  inspirée  pour  l'étude 
des  plus  grands  écrivains  de  l'anti- 
quité, surtout  de  celui  qu'elle  a  ap- 
pelé le  Dieu  des  philosophes  ,  et  qui 
prépare  si  bien  les  esprits  à  recevoir 
avec  plus  de  reconnaissance  et  avec 
plus  de  soumission  les  enseignements 
véritablement  divins  de  l'Évangile. 
S— B. 

WZABECZ  (  Venceslas  -  Joa- 
CHiM  ) ,  professeur  de  chirurgie  à 
Bruchsal  et  à  l'université  de  Prague, 
était  né,  en  i']4o  ?  à  Bœlimischbrod 
en  Bohème.  Il  fut  d'abord  attaché 
au  service  de  l'évêque  de  Spire,  en 
qualité  de  chirurgien;  puis  devint 
professeur  de  chirurgie  à  l'université 
de  Prague  ,  et  médecin  du  cercle  de 
Kaurzim.  Il  mourut  à  Prague  le  i3 
décembre  i8o4.  On  a  de  lui,  en 
allemand  :  I.  Observations  adres- 
sées à  nos  chirurgiens  ,  Bruchsal  , 
l'y 79,  in-8".  II.  Principes  d'ana- 
tomie  et  de  chirurgie ,  ibid. ,  i  779, 
in-4*'.  III.  Principes  pour  la  patho- 
logie chirurgicale  ,  et  pour  les  opé- 
rations ,  ibid.,  1780,  in-80.  IV. 
Principes  pour  la  chirurgie  pratique ^ 
ibid.,  1781;,  in-8^.V.  Réjlexions  sur 
une  opération  chirurgicale  faite  à 
la  partie  supérieure  du  bras  ,  Fri- 
bourg  ,  1 782  ,  in-8*'.  G — y. 

WZESLAW.    Voy.  Vzeslas. 

WZÉWOLOD.  V.  VszEwoLOD. 


X 


A.ACCA.  Voy.  Bouddha. 

XAGGA  (  Erasme  ) ,  littérateur 
sicilien,  était  né  en  1648  ,  dans  la 
petite  ville  d'Arca.  Doué  d'une  ar- 
deur extraordinaire  pour  l'étude  ,  il 
suivit  les  cours  de  phdosophie  ,  de 


médecine  ,  de  jurisprudence  et  de 
théologie  ,  et  reçut  le  laurier  docto- 
ral dans  ces  quatre  facultés.  Ayant 
embrassé  l'état  ecclésiastique  ,  il  fut 
pourvu  d'un  canonicat  de  la  collé- 
giale de  sa  patrie ,  et  employa  ses 


XAI 

loisirs  à  la  culture  des  lettres.  Il 
composait  avec  une  égale  facilite  des 
vers  en  latin  et  en  itaDen.  Ses  talents 
lui  méritèrent  d'illustres  protecteurs. 
Il  obtint  l'abbaye  de  Sainte-Colom- 
be ,  et  fut  fait  commissaire  du  saint 
office  en  Sicile.  A  difFërentes  époques, 
il  reçut  des  commissions  honorables. 
On  ignore  l'époque  de  sa  mort  ;  mais 
Mongitorenous  apprend  dans  la  Bibl. 
sicula ,  que  Xacca  vivait  encore  en 
1708.  Cet  écrivain  est  connu  surtout 
par  son  poème  intitule  :  Brei^e  nar- 
razione  delV  incendio  del  monteEina 
sen  Mojigibello,  avvenuto  nelV  anno 
1669,  etc.,  Naples,  1(371  ,  in-B». 
On  cite  encore  de  lui  ;  un  poème  la- 
tin sur  les  fleures  ;  —  une  courte 
exposition  sur  les  Psaumes  de  Da- 
vid ,  et  sur  !e  Cantique  des  Canti- 
ques ;  —  une  Traduction  en  vers 
latins  hexamètres  de  la  Jérusalem 
délivrée  du  Tasse.  Ces  trois  ouvra- 
ges étaient  terminés  en  1708  ;  mais 
il  est  probable  qu'ils  sont  restés  ma- 
nuscrits. Foj^.  la  Biblioth,  sicula, 
W— s. 
XAINTONGE.  Deux  sœurs  de  ce 
nom  furent  les  fondatrices  de  deux 
congrégations  religieuses  sous  la  rè- 
gle de  saint  Augustin.  Elles  étaient 
filles  de  Jean-Baptiste  de  Xaintonge, 
conseiller  au  parlement  de  Dijon  et 
commissaire  aux  requêtes  du  palais, 
et  de  Marie  Gossard.  L'aînée ,  Anne 
de  Xaintonge  ,  naquit  à  Dijon  en 
1567.  Elle  mena  pendant  plusieurs 
années  une  vie  très-retirée.  Édifiée  du 
bien  qu'elle  entendait  dire  des  Ursu- 
lines  ,  elle  voulut  les  imiter  ,  et  com- 
mença par  faire  des  catéchismes  dans 
les  églises  j  enfin  elle  prit  la  résolu- 
tion d'assembler  une  société  de  filles, 
pour  instruire  les  personnes  de  son 
sexe,  à  l'instar  des  PP.  de  la  com- 
pagnie de  Jésus,  dont  l'institut  est 
voué  à  l'enseignement  des  hommes. 


XAI  325 

Elle  se  rendit  à  Dole,  qui  était  alors 
sous  la  domination  du  roi  d'Espa- 
gne; et,  malgré  des  obstacles  de  di- 
vers genres ,  elle  y  forma  un  établisse- 
ment, avec  l'autorisation  del'évêque 
de  Lausanne,  suffragant  de  Besan- 
çon ,  et  qui  gouvernait  ce  dernier  dio- 
cèse pendant  la  vacance  du  siège.  Le 
parlement  de  Dole,  qui  avait  fait 
d'abord  quelques  difficultés,  donna 
son  consentement  le  16  juin  1606. 
Alors  la  pieuse  fondatrice  dressa 
des  règles  ;  mais  la  plus  puissante 
fut  l'exemple  des  vertus  qu'elle  offrit 
pendant  vingt -sept  ans.  Elle  eut  la 
consolation  de  voir  six  maisons  de 
sa  congrégation  établies  à  Vcsoul ,  à 
Besançon,  à  Arbois  ,  à  Saint-Hippo- 
lyte  et  à  Porentrui.  La  fin  de  cet  ins- 
titut, qui  ne  lie  pas  irrévocablement 
les  sujets,  quoiqu'on  y  fasse  vœu  de 
stabilité,  est  d'instruire  les  jeunes 
personnes ,  obligation  si  essentielle  , 
qu'aucune  charge  n'en  peut  dispen- 
ser même  les  anciennes  religieuses. 
Elles  ne  portent  point  l'habit  mo- 
nastique et  ne  gardent  point  la 
clôture.  Le  noviciat  est  de  trois 
ans  (1).  Les  Ursulines  de  la  mè- 
re de  Xaintonge  ,  établies  aussi 
en  Suisse,  y  portaient  un  costume 
un  peu  plus  monastique.  Le  6  mai 
1648^  Innocent  X  donna  un  bref 
d'approbation  à  la  maison  de  Besan- 
çon pour  les  statuts  et  ordonnances  -, 
et  depuis  on  a  décidé  à  Rome  qu'il 
suffisait  pour  tout  l'institut.  Anne  de 
Xaintonge  mourut  d'apoplexie  à  Do- 
le, le  8  juin  1621.  —  Françoise  de 
Xaintonge  marcha  sur  les  traces 
de  sa  sœur.  Quand  ses  parents  pen- 
saient à  la  marier,  elle  entendit  parler 


(1)  On  voit  par  l'exposé  de  cet  institut  nionasli- 
quc  qu'il  est  basé  sur  le  modèle  de  la  compagnie 
de  Je'sus.  La  mère  de  Xaintonge  avait  tiré  ses  rè- 
gles de  «elles  de  saint  Ignace,  et  cherchait  pour 
son  inslitul  la  direction  des  jésuite»,  autant  qu'il 
était  possible. 


32(3 


XAI 


des  Carmélites  cfiii  s'établissaient  à 
Paris.  Elle  désira  en  établir  aussi  à 
Dijon  ,  et  fut  secondée  par  une  de 
ses  parentes  qui  leur  fournit  un  cou- 
vent. Françoise  de  Xaintonge  se 
proposait  d'y  faire  profession  ;  mais 
sa  mère  ne  voulut  jamais  y  con- 
sentir. La  pieuse  fille  alla  cher- 
cher quelque  consolation  auprès  de 
sa  sœur,  fondatrice  des  Ur.sulines 
à  Dole,  011  elle  prit  du  goût  pour  la 
manière  de  vivre  de  ces  religieuses  , 
et  conçut  l'idée  d'en  former  un 
établissement  à  Dijon.  A  son  retour, 
elle  communiqua  son  projet  et  son 
zèle  à  une  amie,  qui  résolut  aussi 
d'embrasser  ce  genre  de  vie.  Quel- 
ques autres  filles  se  joignirent  à  elles  • 
et  quoiqu'elles  vécussent  séparément, 
elles  se  réunissaient  chez  la  sœur  de 
Xaintonge,  pour  conférer  sur  leurs 
bonnes  œuvres. Cette  circonstanceleur 
attira  tant  de  contradictions,  qu'elles 
crurent  devoir  vivre  en  communauté, 
et  qu'elles  louèrent  une  maison  où 
elles  entrèrent  la  nuit  de  Noël  i6o5, 
après  avoir  entendu  la  messe  dans 
l'église  de  la  compagnie  de  Jésus. 
Ainsi  commença  la  congrégation  des 
Ursulincs,  dite  de  Dijon^  et  qui  a 
beaucoup  de  rap])ort  avec  celles  de 
M™<^.  de  Sainte-Beuve,  à  Paris,  et 
de  Sainle-Angelle  ,  en  Italie.  Le  cos- 
tume est  à-pcu-près  le  même;  mais 
on  n'y  fait  qu'une  année  de  noviciat. 
Cet  institut  a  établi  diverses  colonies, 
et  a  été  approuvé  par  une  bulle  de 
Paul  V,  le  23  mai  1619.  Aux  trois 
vœux  de  religion  ,  elles  ajoutent  celui 
de  l'instruction  de  la  jeunesse^  et 
suivent  la  règle  de  saint  Augustin. 
Élant  allée  faire  un  établissement  à 
Troyes  ,  Françoise  de  Xaintonge  y 
mourut  le  4  novembre  iG3c).  On 
peut  consulter  ,  sur  ces  vertueuses 
fondatrices,  les  Chroniques  des  Ur- 
Hilines ,  Hélyot ,  tome  iv  ;  le  Cata- 


XAI 

/og-ï^e  de  Ph.  Buonanni,  et  surtout  la 
Vie  d'Anne  de  Xaintonge  ,  par  le  je'- 
suite  Grosez.  B — c — e. 

XAI]SÏRâTLLES(Jean  Poton, 
seigneur  de  Xaintrailles  ou  Saintrail- 
les ,  ou  Sainle-Treille),  était  un  simple 
gentilhomme  de  Gascogne.  Dans  les 
querelles  du  duc  Jean  de  Bouigogne 
et  du  parti  d'Orléans  ,  qui  avait  pris 
pour  chef  le  jeune  Dauphin  depuis 
Charles  VII,  Xaintrailles  combattait 
contre  les  Bourguignons.  Au  com- 
mencement de   i4i9,  il  était  avec 
Pierre  de  Xaintrailles  ,   dont  sans 
doute  il  était  parent,  dans  le  château 
de    Couci  ;   Pierre    de  Xaintrailles 
ayant  été  surpris  et  égorgé  par  la 
trahison  de  sa  chambrière  ,  les  gen- 
darmes de  la  garnison  n'eurent  que 
le  temps  de  se  retirer.  Zors  ils  firent 
deux  capitaines  de  deux  gentilshom- 
mes Etienne  de  Fignoles  dit  Lahire 
et  Poton  de  Xaintrailles.  Dès-!ors 
il  ne  se  passa  guère  aucun  fait  d'ar- 
mes où  ces  deux  noms  ne  fussent  mê- 
lés. la  même  constance  dans  la  cause 
du  Dauphin  ,  le  même  courage  ,  la 
même  activité  ,  les  mêmes  ressour- 
ces d'esprit  signalèrent  Xaintrailles 
et  Lahire.  Au  milieu  du  décourage- 
ment général ,   lorsque  le  Dauphin , 
devenu  roi ,  n'était  pour  les  Anglais 
que  le  roi  de  Bourges ,  lorsqu'il  était 
abandonné  de   tous  les  grands  sei- 
gneurs, et  s'abandonnait  presque  lui- 
même  dans  sa  propre  insouciance  y 
Xaintrailles  et  Lahire  ne    cessèrent 
pas  un  instant  de  faire  bonne  et  forte 
guerre  aux   anciens  ennemis  de  la 
France  et  aux  Bourguignons.  Ils  n'^é- 
taient  point  les  chefs  d'une  armée 
régulière  et  disciplinée  ,  opérant  sur 
un  plan  concerté  avec  ensemble,  rece- 
vant les  ordres  et  les  ressources  d'un 
gouvernement.  Les  choses  ne  se  pas- 
saient pas  ainsi  au  commencement 
du  quinzième  siècle ,  surtout  parmi 


XAI 

tant  (le  calamités  et  de  desordres. 
Xaintrailles  était  non  pas  un  géné- 
ral ,  mais  un  vaillant  chef  de  Lande, 
ou  ,  comme  on  disait  alors  ,  de  com- 
pagnie. Ils  n'étaient  lors  ,  dit  une 
chronique,  qua  quarante  lances,  les- 
quelles n  épargnaient  ni  leurscorps, 
ni  leurs  chevaux  :  c'étaient  pour  la 
phqiart  des  Gascons  qui  sont  bons 
chei>aucheurs  et  hardis.  Ayec  de  tels 
compagnons,  Xaintrailles  ayant  pour 
lieu  de  retraite  quelque  chàteau-fort 
courait  la  campagne ,  détroussait  les 
compagnies  ennemies  ,   arrêtait  les 
convois,  et  s'en  allait  piller  les  villes 
du  parti  contraire.  Ce  fui  ainsi  qu'il 
acquit  la  renommée  non  -  seulement 
de  bravoure  ,  mais  de  grande  habi- 
leté dans  le  métier  des  armes.   Le 
comte  de  Dammartin  et  les  autres  ca- 
pitaines delà  génération  suivante  se 
glorifiaient  d'avoir  fait    leurs    pre- 
mières armes  sous  Xaintrailles  etLa- 
hire  ,  et  ils  citaient  avec  complaisan- 
ce leurs  mots,  leurs  préceptes,  leurs 
ruses  ,  les  bons  tours  qu'ils  jouaient 
aux  Anglais.  Le  nom  de  Xaintrailles 
n'était  pas  moins  célèbre  chez  les 
ennemis,  et,  à  la  bataille  de  Mons 
ea  Yimeu  (i4^i)  ,   où  le    Sire  de 
Vilain   sauva    le    duc  de  Bourgo- 
gne et  fit  de  si  vaillants  exploits , 
sa  plus  grande  gloire   fui   d'avoir 
vu    reculer  ,    devant     sa    hache  , 
Xaintrailles    qui  fut  fait   prisonnier 
ce  jour-là.  Dans  les  rares  moments 
de  loisir  que  Kii  laissaient  de  telles 
guerres,  il  savait  aussi  se  faire  hon- 
neitr  dans  les  tournois.  En  14^3,  il 
combattit  dans  une  joute  solennelle 
avec  Lionel  de  Vendôme,  devant  le 
duc  de  Bourgogne  et  le  comte  de  Fii- 
chemont. Il  fut  de  nouveau  fait  prison- 
nier à  Crevant.  Racheté  à  grand  prix 
parle  roi  ,qui  pourtant  n'avait  guère 
d'argent,  il  se  laissa  encore  prendre 
dans  une  sortie  au  siège  de  Guise.  A 


XAI 


327 


la  bataille  de  Verneuil,  Lahire  et 
lui  commandaient  la  cavalerie  des 
Lombards.  L'année  suivante ,  la  guer- 
re ayant  éclaté  entre  le  duc  de  Bra- 
bant  et  le  duc  de  Glocestcr ,  on  vit 
Xaintrailles  aller  combattre  les  An- 
glais sous  la  bannière  bourguignon- 
ne ,  mais ,  sans  engagement ,  et  dans 
l'intervalle  de  ses  entreprises  accou- 
tumées. Le  bon  accueil  qu'il  avait  re- 
çu du  duc  de  Bourgogne  le  fit  choisir 
pour  ambassadeur  par  les  habitants 
d'Orléans  ,  lorsque  ,  pressés  par  les 
Anglais,  ils  essayèrent  d'obtenir  dts 
conditions  plus  douces  par  l'inler- 
vcntion  de  ce  prince.  Sa  négociation 
échoua.  C'était  le  moment  où  tont 
semblait  perdu  pour  le  roi ,  et  où  il 
était  si  pauvre  et  si  abandonné  que 

Un  jour  que  Lahire  et  Poton 
Le  vinrent  voir  ;  pour  festoieuieut  , 
N'avilit  qu'une  queue  de  mouton 
Ll  deux  poulels  tant  seulement. 

Mais  en  ce  moment  apparut  la  Pucelie, 
et  dès-lors  la  fortune  changea.  Xain- 
trailles la  seconda  devantOrléans  et  à 
Patai ,  commanda  l'avant-gardc  lors- 
qu'on entreprit  le  voyage  de  Reims  , 
et  assista  au  sacre  du  roi.  En  i43o, 
il  était  de  la  garnison  de  Clermont , 
et  il  envoya  défier  Pierre  de  Bau- 
fremont  sire  de  Charni ,  le  plus  fa- 
meux jouteur  des  Bourguignons.  Le 
duc  de  Bourgogne  présida  à  ce  pom- 
peux tournoi  ,  où  cinq  chevaliers 
français  combattirent  contre  cinq 
chevaliers  de  Bourgogne.  Peu  après, 
Xaintrailles  alla  s'enfermer  dans 
Compiègne ,  pressé  par  les  Anglais  ; 
en  lit  lever  le  siège  ,  et  ensuite  rem- 
porta à  Germigni  un  avantage  qui 
lut  un  des  plus  complets  dans  une 
guerre  où  l'on  donnait  peu  de  gran- 
des batailles.  Cependant  les  Anglais 
avaient  fait  périr  la  Pucelie;  Xain- 
trailles, qui  avait  vu  quelle  con- 
fiance elle  avait  rendue  aux  sol- 
dats ,  que  lie  ardeur   elle  avait  ins- 


328 


XAI 


pirëe  à  tout  le  royaume ,  quelle 
terreur  elle  avait  répandue  parmi 
les  Anglais  ,  imagina  de  renouveler 
ces  prodiges.  Il  trouva  un  jeune  ber- 
ger qui  avait  des  visions,  et  qui 
montrait  des  stigmates  sur  ses  mains 
comme  saint  François  •  il  l'emmena 
avec  lui  et  tâcha  de  le  mettre  en 
crédit.  Ce  n'était  pas  à  dire  pour 
cela  que  la  mission  de  Jeanne  d'Arc 
eût  été  une  fable  inventée  parla  po'iti- 
que.  De  si  grands  ellcts  ne  se  calcu- 
lent point  et  ne  s'arrangent  point 
d'avance  ;  ils  sortent  naturellement 
de  la  disposition  des  esprits.  Xain- 
trailîes  ,  les  autres  chefs  ,  les  cour- 
tisans j  les  seigneurs  avaient  bien  pu 
douter,  et  railler  parfois  entre  eux 
des  visions  et  des  miracles  de  la  Pu- 
celle  ,  sans  toutefois  avoii'  contre  de 
telles  merveilles  l'assurance  qu'on 
montrerait  aujourd'hui  ;  mais  il  ne 
dépendait  de  personne  de  susciter 
par  artifice  un  caractère  ,  un  cou- 
rage ,  une  ame ,  une  noblesse,  un 
dévouement  semblables.  11  y  a  beau- 
coup de  degrés  et  de  nuances  entre 
les  visionnaires  ;  le  mélange  de  la 
raison  avec  le  désordre  partiel  de 
Tintelligence  n'est  pas  toujours  dans 
les  mêmes  proportions.  Guillaume  le 
Pastourel  ne  produisit  nul  eflét ,  et 
la  première  fois  que  Xaintrailles 
le  mena  au  combat,  il  fut  fait  pri- 
sonnier avec  son  prophète.  Plus  heu- 
reux en  1435  ,  il  gagna  avec  La- 
hire  le  combat  de  Gerberoi  sur  le 
comte  d'Arondel  qui  y  fut  tué.  Lors- 
que les  conférences  d'Arras  furent 
commencées,  et  qu'on  eut  enfin  l'es- 
poir d'obtenir  la  paix  du  duc  de 
Bourgogne  en  le  détachant  de  l'al- 
liance des  Anglais  ,  il  fut  difficile  de 
faire  comprendre  cette  combinaison 
politique  à  Xaintrailles,  et  surtout  à 
Lahire.  A  la  tête  de  leurs  compa- 
gnies ,  et  sans  nul  souci  des  ordres 


XAI 

du  roi  ,  ils  continuèrent  à  guerroyé/ 
sur  les  frontières  de  Picardie  ,  an 
risque  de  troubler  les  négociations. 
Après  la  paix,  quand  presque  tous 
les  chefs  de  compagnies  des  deux 
partis  devinrent  de  véritables  bri- 
gands sous  le  nom  d'écorcheurs  ,  de 
routiers ,  de  tondeurs  ,  et  continuè- 
rent à  ravager  !e  royaume  pour  leur 
propre  compte  ,  Xaintrailles  se  com- 
porta plus  honorablement  ;  sans 
obéir  bien  exactement  au  roi  ,  sans 
imposer  une  discipline  trop  sévère  à 
ses  gens,  il  combattit  les  Anglais,  dé- 
fendit le  rovaunie  et  ne  le  dévasta 
point. Il  était  avec  le  roi ,  lorsque  ce 
prince  montra  une  vaillance  cheva- 
leresque au  siège  de  IMontereau  ;  et  à 
son  entrée  solennelle  dans  la  ville  de 
Paris,  soumise  après  vingt  ans  de 
guerre  ,  Xaintrailles  portait  le  cas- 
que du  roi^  comme  écuyerde  France. 
Deux  ans  après  ,  quand  les  efforts 
du  roi  et  de  ses  conseillers,  pour  met- 
tre quekpie  bon  ordre  dans  le  royau- 
me et  faire  cesser  les  désordres  des 
gens  de  guerre  ^eurent  excité  la  sédi- 
tion de  la  Pragucrie  ,  Xaintrailles 
demeura  fidèle  au  roi.  En  i45o,  le 
royaume  commença  à  recueillir  les 
glorieux  fruits  d'un  meilleur  gouver- 
nement ,  et  il  fut  possible  de  chasser 
les  Anglais  de  la  ]Sormandie  et  de  la 
Guienne.  Jamais  conquête  ne  fut  plus 
prompte  :  la  valeur  et  l'expérience 
de  tant  de  capitaines,  l'esprit  guer- 
rier de  la  nation  ,  la  fin  des  discor- 
des ,  l'ordre  établi  même  dans  les 
finances,  triomphèrent  facilement  des 
Anglais  ,  dont  la  puissance  était  au 
contraire  minée  par  leurs  troubles 
intérieurs.  Xaintrailles  était  de  Tar- 
mée  qui  entra  en  Guienne ,  sojis  les 
ordres  de  Jean  de  Blois  comte  de 
PenthièTre  ,  et  se  montra  aussi  glo- 
rieusement que  de  coutume.  Le  roi 
n'avait    point    laissé  tant  de   ser- 


XAN 

A'ices  sans  récompenses.  Xaintrailles 
était  bailli  de  Berri,  capitaine  de  la 
tour  de  Bourges  ,  de  Falaise  et  de 
Châîeau-Thicrri.  Apres  la  conquête 
de  la  Guienne,  il  reçut  encore  la  ville 
et  seigneurie  de  Tonneins ,  la  ville  et 
la  seigneurie  de  Saint-Macaire;  puis 
on  le  fit  scncchal  du  Bordelais  et 
du  Limousin,  et  enfin  maréchal  de 
France,  en  i^5^.  Il  survécut  j)eu  à 
Charles  VII ,  et  mourut  à  Bordeaux , 
en  {^6i.  Les  registres  du  parlement 
en  faisant  mention  de  sa  mort,  l'ap- 
pellent un  des  plus  vaillants  capi- 
taines du  royaume  de  France ,  qui 
fut  cause  avec  Etienne  de  Fignoles 
dit  Lahire ,  de  chasser  les  An- 
glais de  France.  C'était  consigner 
la  voix  publique  qui  avait  toujours 
associé  leur  nom  au  salut  du  royau- 
me. Xaintrailles  avait  épousé  Cathe- 
rine Brachet,  dame  de  îialigiiac  ,  et 
ne  laissa  point  d'enlants.  Son  f'n  re  , 
Jean  Amadour,  avait  été  tué  au  siège 
de  Creil.  Sa  sœur,  Colette  de  Xain- 
trailles ,  avait  épousé  Jean  de  La 
Cassa  igné  ,  dont  elle  eut  un  (ils  nom- 
mé IS'andonnet,  que  Xaindailîcs  ai- 
ma beaucoup  ,  et  qui  se  distingua 
dans  diverses  guerres.  A. 

XANTHIPPE,  fds  d'Ariphron  , 
général  athénien ,  élait  contempo- 
rain de  Miltiade  et  de  Théraislocle  , 
dont  il  eut  peut-être  le  tort  de  se 
montrer  jaloux.  On  ne  sait  si  c'est 
lui  qui  se  rendit  l'écho  de  la  calomnie, 
en  accusant  Miltiade  ,  après  qu'il  eut 
échoué  devant  Parcs  (  Voy.  Mil- 
tiade, XXIX,  59).  Les  Athéniens 
ayant  ôté  le  commandement  à  Thé- 
mistocle  choisirent  Xanthippe  pour 
le  remplacer.  Il  contribua  beaucoup 
à  la  victoire  signalée,  remportée  sur 
la  flotte  des  Perses  près  de  Mycale 
(  Foy,  LÉOTYCHIDES,  XXIV,  !2o3  ). 
Il  parcourut  ensuite  les  cotes  de  la 
Chersonèsej    s'étant  emparé  de  la 


XAN  329 

ville  de  Sestos ,  il  ternit  l'éclat  de  sa 
victoire  en  faisant  mettre  à  mort  le 
gouverneur  Artayctès ,  sous  prétexte 
qu'il  avait  profané  le  temple  de  Pro- 
tésilas  àÉléonle.  Le  malheureux  Ar- 
tayctès offrit,  en  vain,  des  sommes 
considérables  pour  racheter  sa  vie- 
il périt  sur  une  croix,  après  avoir 
vu  lapider  son  fils.  Xanthippe  avait 
épousé  Agarisle,  petite-fille  de  Clis- 
thènes ,  tyran  de  Sicyone  (Voy.  sa 
généalogie  dans  Hérodote  ,  vi ,  1 3 1  ). 
Son  plus  beau  titre  de  gloire  est  d'ê- 
tre le  père  de  Péri c' es  (  F.  ce  nom  ). 
Ou  voyait  encore  au  temps  de  Pau- 
sanias,  dans  la  citadelle  d'Athènes, 
la  statue  de  Xanthippe  à  côté  de 
celle  d'Anacréon  (  Fojage  en  Grè- 
ce, 1 ,  5t5  ).  W— s. 

XAN  IHIPPE, général  lacédémo- 
nieu.  Foy.  Regulus  ,  XXXVII  , 
261. 

XANTHIPPE.  Dans  l'article  con- 
sacré à  SocRATE  (  tom.  XLII,  pag. 
543  et  55o  )  nous  avons  rapporté 
les  deux  seules  traditions  relatives 
à  la  femme  de  Socrate,  qui  soient 
dignes  d'attention ,  son  humeur  dif- 
ficile et  sa  conduite  au  jour  de  la 
mort  de  son  mari.  Bien  que  Xan- 
thippe ait  trouvé  des  apologistes  qui 
ont  contesté  la  vérité  de  tous  les  ré- 
cits défavorables  qui  la  concernent 
dans  les  écrivains  de  l'antiquité,  pos- 
térieurs au  siècle  où  elle  vécut,  on 
ne  peut  douter  que  son  caractère 
violent  et  querelleur  n'ait  mis  la  pa- 
tience de  Socrate  à  une  épreuve  dure 
et  continuelle.  Dans  le  Banquet  de 
Xénophon  (  ch.  2,  §  10,  p.  124, 
éd.  Bach .)  Antisthène  en  parle  comme 
d'une  chose  connue  de  tous  les  amis 
de  ce  sagej  et  la  manière  dont  So- 
crate répond  à  l'incartade  de  son 
disciple,  qui  lui  reprochait  le  peu  de 
soins  qu'il  avait  pris  d'adoucir  ce 
caractère ,  ne  laisse  aucun  doute  sur 


33o  ,XAN 

ropinion  qu'avaient  d'elle  ses  amis 
les  plus  intimes.  «  J'ai,  dit  -  il  , 
choisi  Xanthippe,  pour  me  donner 
des  liabitudes  de  modération  et  d'in- 
dulgence ;  convaincu  qu'en  vivant 
Lien  avec  elle  je  m'accoutumerais 
à  supporter  tous  les  autres  hommes 
et  à  me  plaire  dans  leur  société.  » 
Ce  récit  de  Xénophon  est  d'autant 
plus  digne  de  confiance ,  qu'ailleurs 
il  a  mis  dans  la  bouche  de  son  maî- 
tre l'éloge  de  Xanthippe,  comme 
mère  de  famille ,  ayant  donné  à  ses 
enfants  les  marques  de  la  plus  vive 
sollicitude  dans  toutes  les  circons- 
tances où  ses  soins  leur  avaient 
été  nécessaires  {Memor.,  1.  '2  ,  c.  2 , 
V.  g,  10,  2100,  éd.  Schneider). 
Le  passage  du  Banquet  et  les  détails 
de  la  conversation  de  Lamproclès 
avec  son  père,  rapportés  par  Xéno- 
phon {Mem.,  \oc.  cit.)  et  relatifs  à 
l'état  d'extrême  irritation  dans  le- 
queirhumeurdeXanlhippe  avait  felc 
son  lils  aîné,  ces  deux  textes  authen- 
tiques sufiiraient  seuls  pour  renverser 
tout  l'échafaudage  de  citations  et  de 
raisonnements  par  lesquels  un  savant 
professeur  deGottingue,  Ghr.-Aug. 
Heumann  (u4ct.  philos.,  t.  i,  p.io3 
et  suiv.),  s'est  eiforcé  de  rétablir 
la  réputation  de  Xanthippe.  Mais  ce 
qu'il  a  fort  bien  prouvé  ,  c'est  le  peu 
de  créance  que  méritent  la  plupart 
des  traits  d'emportement  et  d'ai- 
greur, que  des  auteurs  d'un  âge  pos- 
térieur racontent  d'elle ,  et  qui  traî- 
nent dans  toutes  les  compilations 
d'anecdotes  et  de  mots  plaisants. 
Tels  sont  ceux  de  l'eau  sale  jetée  sur 
Socrate,  à  la  suitcd'une  bordée  d'in- 
jures ,  et  comparée  par  lui  à  la  pluie 
après  le  tonnerre  ;  de  la  table  renver- 
sée par  Xanthippe  dans  un  accès  de 
colère  ,  à  la  vue  d'Euthydème  ,  que 
Socrate  avait  invité  à  souper  sans  la 
prévenir  •  du  gâteau  envoyé  par  Al- 


XAN 

cibiade  et  foulé  aux  pieds  par  Xan- 
thippe; d'un  manteau  qu'elle  aurait 
arraché  à  son   mari  en  pleine  rue , 
d'autres   contes   de   même    valeur, 
qu'on  nous  permettra  de  ne  pas  ré- 
péter dans  un  ouvrage  de  la  nature 
de  celui-ci.  On  voit  de  reste  que  le 
nom  de  Xanthippe  devint  un  titre 
sous  lequel  on  enregistra  toutes  les 
historiettes    qui    couraient    sur   des 
femmes  acariâtres  et  méchantes.  Aus- 
si   anive-t-il   au    grave  Plutarque 
d'attribuer ,  dans  un  de  ses  Traités 
mora.ux.\  De  animi  tranquilL,  ch. 
XI  ^  p.   9'2i  du  tome  2  des  œuvres 
morales,  édit.  Wyttcnbacli  ),  à  la 
femme  de  Pitlacus,  l'acte  de  fureur, 
inspiré  par  l'aspect  de  convives  inat- 
tendus ,  qu'il  avait  ailleurs  (  De  co- 
hibendd  ira,   ch.  xni ,  ibid.  ,  pag. 
88'2  )  raconté  de  la  femme  de  So- 
crate. On  est  affligé  de  voir  les  pères 
de  l'église  se  faire  les  échos  des  ca- 
lomnies que  les  philosophes  péripa- 
téticiens ,    Aristoxène  ,    Jérôme    de 
Rhodes   et    Satyrus,   avaient,   par 
haine  de  secte ,  répandues  contre  le 
maître  de  Platon.  Sur  l'autorité  de 
Porphyre  ,   autre    calomniateur  de 
Socrate  ,  saint  Jérôme  (  Adv.Jo- 
vinian. ,  liv.  i ,  p.  190  du  tom.  iv 
de  l'édit.  de  Paris)   et  Théodoret, 
évêquedeCyr  {Curât,  grœc.adfect. 
s.  ad  grœc.  infidel. ,  serm.  xi ,  pag. 
1^4   (10)'  ^^'  Sylburg),  nous  re- 
présentent Xanthippe  et  Myrto  ,  ses 
prétendues  épouses  simultanées,  en 
venant,  en  sa  présence ,  des  invectives 
aux  coups ,  et  finissant  par  tourner 
•  toutes  lesdeux  leurs  efforts  contreleur 
mari ,  pour  se  venger  de  ses  éclats 
de  rire ,  excités  par  leurs  querelles , 
et  du  plaisir  qu'il  témoignait  à  en 
être  spectateur  impassible.    Rien  ne 
saurait  jeter  plus  de  discrédit  sur  les 
contes  dans  lesquels  figure  Xanthip- 
pe ,   que  d'en  trouver  un  aussi  ab- 


XAN 

surde  accole  à  la  fable  de  la  bigamie 
deSocrate,  et  de  Yoir  cette  fable  mê- 
me adoptée  par  un  si  grand  nombre 
d'auteurs  anciens.  Discutant  avec 
une  rare  sagacité  tous  les  passages 
qui  s'y  rapportent,  Jean  Luzac  a 
montré  dans  ses  Lectiones  atticœ 
(  Leyde,  i8o9,in-4".  de  3 18  p^ig.), 
que  son  origine  se  rattache  au  Trai- 
té de  la  noblesse  ,  faussement  attri- 
bué à  Aristote  ,  où,  d'après  une  cor- 
rection très-probable,  Socrate  est 
dit  avoir  épousé  Myrto,  fille  d'A- 
ristide ,  parce  qu'il  la  présumait 
animée  de  sentiments  dignes  de  sa 
naissance  {Fojr,  le  Florileg.  de  Sto- 
bée,  qui  nous  a  conservé  deux  frag- 
ments ^e  ce  traité,  serm.  84  et 
86  ),'  mais  où  il  n'est  fait  aucune 
mention  de  Xantliippe,  comme  ayant 
été  femme  de  Socrate  en  même  tem  ps. 
Atbénée  aiïirme  (  1.  i3,  pag.  555, 
éd.  de  Gasaub.)que  cetteassertiondu 
Pseudo-Aristote  a  donné  aux  Péripa- 
téticiens  occasion  d'accréditer  la  pré- 
tendue bigamie  de  Socrate,  niée, 
ajoute-t-il,  parle  stoïcien  Panœtius 
de  Rhodes,  qui  a  été  cité  aussi  par 
Plutarque  (  Fie  d' Aristide  ^  p.  826 
du  vol.  2  de  l'édit.  de  Londres  , 
i-^sS,  in-4**.),  comme  en  ayant  plei- 
nement démontré  la  fausseté.  Le  tex- 
te du  traité  pseudonyme  ne  dit  pas 
même,  selon  la  leçon  reçue,  que  So- 
crate eût  épousé  Myrto ,  mais  sim- 
plement rpie  sa  descendance  d'un 
homme  de  bien  lui  fit  concevoir  une 
idée  favorable  de  son  caractère.  L'o- 
pinion qu'il  s'en  était  formée  peut 
l'avoir  porté,  comme  quelques  écri- 
vains assurent ,  à  la  prendre  chez  lui 
pour  la  tirer  de  l'état  d'indigence  où 
elle  était  tombée.  Mais  c'est  là  tout 
ce  qu'ils  nous  autorisent  à  admettre, 
nn  asile  accordé  à  la  fille  d'Aristide. 
A  l'époque  de  la  mort  de  Socrate, 
elle  devait  être  tellement  avancée  en 


XAN  33 1 

âge ,  qu'il  est  impossible  de  suppo- 
ser qu'elle  ait  eu  de  lui  Soplironisque 
et  Ménexène,  que  Diogène  de  Laërte 
et  d'autres  prétendent  avoir  été  fils 
de  Myrto,  et  dont  Xanthippe  tenait 
le  plus  jeune  sur  ses  bras,  lorsque  les 
amis  de  Socrate  entrèrent  dans  sa 
prison  le  jour  de  sa  mort  ' Phœdon, 
ch.  3  ,p.  -j,  édit.  de  Wyttenb.).  Aus- 
si les  diiTamateurs  de  ce  sage,  afin 
de  pouvoir  s'appuyer  du  Traité  de 
la  noblesse,  en  changèrent  le  texte, 
pour  lui  faire  dire  que  Myrto  n'était 
que  petite-fille  d'Aristide;  mais  le 
Florilegium  de  Stobée  nous  offre  la 
leçon  primitive  qui  renverse  leur 
principal  appui.  Luzac  fait  voir  en- 
suite qu'ils  ne  s'étayent  pas  plus  so- 
lidement d'une  loi  d'après  laquelle  ^ 
pour  réparer  les  pertes  que  la  popu- 
lation d'Athènes  avait  souffertes  par 
les  guerres  du  Péloponnèse  ,  les  en- 
fants ,  nés  d'une  étrangère  et  d'un 
Athénien  déjà  marié  avec  une  ci- 
toyenne ,  auraient  été  admis  à  la 
jouissance  des  droits  politiques,  en 
dérogation  à  la  législation  établie. 
Bien  que  l'autorité  de  Jérôme  de 
Rhodes,  sur  laquelle  seule  se  fonde 
l'existence  de  ce  plébiscite ,  soit  fort 
suspecte,  il  est  évident  qu'il  n'eût 
pas  rendu  la  bigamie  de  Socrate  lé- 
gitime, puisque  Xanthippe  et  Myrto 
étaient  l'une  et  l'autre  citoyennes,  et 
que  la  loi  temporaire  dont  il  s'agit 
ne  parle  que  des  fds  qu'une  étran- 
gère aurait  donnés  à  un  Athénien, 
ayant  déjà  contracté  union  légale 
avec  une  concitoyenne.  Après  avoir 
démontré  la  faiblesse  des  preuves 
auxquelles  ont  eu  recours  les  inven  - 
teurs  de  la  fable  des  deux  femmes 
que  Socrate  aurait  eues  en  même 
temps  et  en  légitime  mariage ,  Luzae 
développe,  avec  autant  d'érudition; 
que  de  logique,  les  nombreuses  con 
tradictions  et  les   absurdités  qu'en- 


332 


XAN 


traîne  cette  supposition,  ainsi   que 
les  arguments  indirects  qui  complè- 
tent l'évidence  de  la  dëmonslration , 
tels    que   l'aversion  des    Athéniens 
pour  la  polygamie,  les  circonstan- 
ces de  la  mort  de  Socrate,  qui  n'of- 
frent pas  trace  de  Mjrto,  le  silence 
et  de  ses  amis,  et  d'Aristophane  et  de 
ses  autres  détracteurs  ,  qui  n'eussent 
pas  manqué  de  tirer  parti  des  scènes 
que  nous  retracent  les  compilateurs 
d'anecdotes,  si  elles   avaient  eu   le 
moindre  fondement.  Cette  dernière 
considération  est  propre  en  même 
temps  k  augmenter  notre  méfiance  à 
l'égard  des  traditions  qui  concernent 
Xanlhippe  en   particulier,    et    des 
traits  de  bizarrerie  ou  de  violence 
qu'on  a  mis  sur  son  compte.  On  s'est 
plu  à  répéter  tout   ce  que  son  hu- 
meur fâcheuse  et  emportée  avait  fait 
souffrir  de  contrariétés  à  Socrate,  et 
l'on  a  passé  sous  silence  ce  qui  la 
montre  sous  un   jour  plus   avanta- 
geux. Meincrs  a  raison  de  dire  {Hist. 
des  sciences  chez  les  Grecs  ^yoI.  i, 
p.  520  )  qu'avec  le  peu  d'attention 
que  Socrate  paraît  avoir  donnée  à 
ses  intérêts  domestiques  ,  la  mère  de 
ses  enfants  a  dû  posséder ,  à  un  de- 
gré peu  commun,  les  qualités  d'une 
bonne  ménagère,  l'économie,  l'acti- 
vité et  la   prudence,   pour  que   sa 
très-modique  fortune  ait  pu  suflire  à 
l'éducation  de  ses  fils  et  à  l'entretien 
de  sa  maison.  D'autres  traits ,  rap- 
portés par  les  disciples  de  Socrate 
ou   par  des  écrivains   parfaitement 
instruits  de  ce  qui  concernait  sa  fa- 
mille ,  tel  que  l'auteur  pseudonyme 
des  lettres  attribuées  à  Xénophon  et 
à  Eschine ,  dans  la  collection  publiée 
par   Léo    AUatius  ,  font  beaucoup 
d'honneur  à  la   mémoire  de  Xan- 
thippe,   et  montrent  au  moins  que 
l'exemple  de  Socrate  n'avait  point 
été  San  s  influence  sur  les  sentiments 


XAN 

de  la  compagne  de  sa  vie.  Platon 
peint  en  peu  de  mots  pleins  d'éner- 
gie (i)  l'excès  de  sa  douleur  dans  la 
matinée  du  jour  où  périt  Socrate;  et 
le  passage  suivant  d'une  lettre  d'Ès- 
chine  à  Xanthippe ,  contenu  dans  le 
recueil  que  nous  venons  d'indiquer 
(i)j  prouve  que  cette  affliction  ne 
fut  pas  celle  d'un  jour.  «  Cesse  en- 
fin,  6  bonne  Xanthippe,  déverser 
des  larmes  ;  il  ne  te  servira  à  rien  de 
nourrir  obstinément  ta  tristesse;  tâ- 
che de  te  conserver  à  tes  enfants. 
—  Prends  courage  ,  et  n'abandonne 
aucun  des  biens  que  Socrate  t'a  lais- 
sés. —  Apoliodore  et  Dion  te  louent 
de  ne  vouloir  rien  accepter  des  dons 
qui  t'ont  été  offerts  :  tu  as  fait  une 
digne  réponse  en  déclarant  que  tu  te 
croyais  assez  riche.  Tant  que  moi  et 
tes  autres  amis  serons  eu  état  de  t'ai- 
der,  tu  ne  manqueras  de  rien.  »  Il 
n'est ,  à  la  vérité,  plus  permis, après 
les  recherches  de  Bentley ,  de  soute- 
nir l'authenticité  du  recueil  où  Ton 
trouve  cette  lettre;  mais  on  ne  sau- 
rait contester  aux  auteurs  de  cette 
correspondance  socratique  une  gran- 
de connaissance  des  temps  de  Socra- 
te et  de  la  position  de  sa  famille.  M. 
Guil.  Groen  Van  Prinsterer  qui , dans 
un  savant  ouvrage  {Platonica  Pro- 
sopographia^  Leyde,  1823  ,  2 3 -y 
pag.),  a  passé  en  revue  les  personna- 
ges nommés  dans  les  Dialogues  de 
Platon,  et  qui  a  réuni  tous  les  rensei- 
gnements qui  peuvent  les  faire  con- 
naître ,  pense  que  la  manière  dont  il 
est  parlé  de  Xanthippe  dans  le  Phé- 
don  n'annonce  pas  beaucoup  de 
considération  pour  elle  de  la  part  de 
Platon.  J^avoue  que  je  ne  puis  voir 
dans  ses  expressions  aucui;  indice 


(i)  Phœdon,  cli.  3  ,  et  les  notes  de  Wyttenbaeb, 
pages  i?.i  et  SaG. 

^2)  Episl.  Socr. ,  XXI,  pag.  46. 


XAN 

d'une  opinion  défavorable  à  la  veuve 
de  Socrale ,  et  la  condition  des  fem- 
mes chez  les  Grecs ,  dont  M.  G.  Van 
Prinstercr  rappelle  lui-même  [l.  cit., 
p.  5'2  )  l'infériorité  relativement  au 
rang  qu'elles  tiennent  dans  notre  or- 
dre social ,  expliquerait  surtisamment 
ce  qu'on  pourrait  apercevoir  de  dé- 
prisaut  et  de  sec  dans  les  termes 
dont  Platon  se  sert ,  si  tant  est  qu'ils 
offrent  une  nuance  de  blâme  ou  de 
manque  de  considération  pour  Xan- 
thippe ,  ce  qui  est  au  moins  douteux. 
Quoi  qu'il  en  soit  ;,  le  désespoir  de 
Xanthippe ,  lorsqu'elle  perdit  Socra- 
te,et  la  crainte,  manifestée,  quelque 
temps  après ,  par  ses  amis  ,  qu'elle 
ne  succombât  à  sa  douleur ,  témoi- 
gnent d'un  attacliement  véritable  et 
d'un  juste  sentiment  de  l'excellence 
de  celui  qui  lui  était  enlevé.  Si  l'on 
objecte  qu'une  aussi  déchirante  scène 
que  celle  de  la  fin  de  Socrate  devait 
remuer  le  cœur  le  plus  insensible,  et 
que  la  vivacité  de  la  douleur  de 
Xanthippe,  dans  un  pareil  moment, 
ne  donne  pas  le  droit  d'en  conclure 
qu'elle  appréciât  à  sa  valeur  l'hom- 
me qui  lui  était  uni ,  nous  citerons 
une  anecdote  conservée  par  Élien, 
qui  nous  semble  du  moins  prouver 
que  Xanthippe  se  plaisait  à  rendre 
justice  aux  vertus  dont  elle  avait  eu 
si  long-temps  le  spectacle  sous  les 
yeux,  a  Xanthippe, dit  cet  écrivain 
exact  et  instruit  (  Far.  hist. ,  1.  ix^ 
eh.  7 ,  p.  1 10  de  l'édition  de  M.  Co- 
raï  ) ,  attestait  que  dans  toutes  les  ré- 
volutions qu'Athènes  subit  de  son 
temps  .  elle  n'avait  jamais  aperçu  le 
moindre  changement  d'expression 
dans  les  traits  de  Socrate,  constam- 
ment empreints  de  cahne,  de  conten- 
tement et  de  bienveillance.  Il  sortait 
de  la  maison  et  y  rentrait ,  disait- 
elle,  toujours  serein  et  supérieur  à 
toute  crainte,  jugeant  les  hommes  et 


XAN 


333 


les  choses  avec  une  équité  et  une 
modération  qui  ne  se  démentirent 
jamais.  »  Selon  Valère- Maxime  (1. 
VII ,  ch.  2 ,  p.  447  de  l'édition  de 
Kapp),  ce  n'est  pas  à  Apollodore 
(  Foy.  Socrate  ,  X LIT  ,  5^9  )  , 
mais  à  Xanthippe  se  lamentant  de 
l'injustice  des  Athéniens,  que  Socra- 
te,  tenant  déjà  la  coupe  fatale  à  la 
main ,  adressa  un  des  mots  qui  ca- 
ractérisent le  mieux  l'élévation  de 
son  ame;  cette  version,  au  surplus  , 
est  inconciliable  avec  le  récit  du 
Phédon.  S — R. 

XANTflUS  DE  LYDIE,  un  des 
plus  anciens  historiens  de  la  Grèce. 
L'époque  précise  à  laquelle  il  a  vécu, 
a  paru  diiiicile  à  déterminer  :  toute 
la  difficulté  tient  à  une  expression 
équivoque  du  lexicographe  Suidas, 
mais  dont  le  vrai  sens  peut  être  fixé 
avec  certitude.  Selon  cet  auteur,  Xan- 
thus  de  Lydie  Jlorissait  (  -ysyovùg , 
expression  qu'il  emploie  le  plus  sou- 
vent en  ce  sens),  au  temps  de  la  prise 
de  Sardes.  Cette  désignation  est  bien 
vague  ;  car,  dans  l'intervalle  de  temps 
où  doit  avoir  vécu  cet  historien ,  la 
ville  de  Sardes  fut  prise  deux  fois  ,  la 
première  par  les  Perses ,  sous  la  con- 
duite de  Cyrus ,  en  545  avant  Jésus- 
Christ;  la  seconde,  en  5o3,  lorsque 
les  villes  ioniennes  entreprirent  de 
recouvrer  leur  liberté ,  en  secouant 
le  joug  des  Perses.  Or,  quand  même 
on  s'arrêterait  à  cette  dernière  épo- 
que, l'assertion  de  Suidas  serait  bien 
difficile  à  concilier  avec  les  témoi- 
gnages fort  graves  de  Denys  d'Hali- 
carnasse  et  de  Strabon.  En  eiTet ,  le 
premier  de  ces  auteurs  distingue 
Xantlîus  de  Lydie  des  plus  anciens 
historiens  ,  telsqu'Eugéon  de  Samos^ 
Déjocus  deProconèse,  Eudème  de 
Paros,  Démodés  de  Phigalie,  Hé- 
catée  de  Milet,  Charon  de  Lamp- 
saque.  Il  le  place  parmi  ceux  qui  ont 


334 


XâN 


XAN 


immëdialemcnl  précède  l'époque  àc 
Tliucydide ,  et  furent  de  peu  de 
temps  antérieurs  à  la  guerre  du  Pélo- 
ponnèse (  De  Thucjd.  jud.,  p.  1 38  , 
Sylb.  ).  Ceci  ne  peut  guère  s'appli- 
quer à  un  auteur  qui  ^  ayant  fleuri 
vers  5o3  ,  a  dû  naître  vers  54o,  ou 
environ  soixante-dix  ans  avant  Thu- 
cydide.D'un  autre  côte',  Strabon  [lih. 
1  ,p.  49,  éd.  de  Cas.  ) ,  cite  Xanthus 
de  Lydie  pour  un  fait  qui  se  rappor- 
te au  règne  d'Artaxerce:  les  tra- 
ducteurs français  de  ce  géographe 
ont  regarde  la  date  assignée  à  ce  fait 
comme  contradictoire  avec  ce  que 
nou^ savons  de  l'époque  de  Xanthus 
(  Traduct,  franc,  de  Strahon  ,  i , 
p.  1 15,  n^.  '2).  Mais  leur  scrupule 
paraît  peu  fonde.  Sans  aucun  doute, 
il  s'agit  ici  d'Artaxerce  I^^".  ou  Lon- 
gue-Main _,  qui  monta  sur  le  trône 
en  464  avant  Je'sus-Cbrist  ;  dans  ce 
dernier  cas  même,  Xanthus  a  dû  vi- 
vre au  moins  jusqu'à  l'an  460  ou 
455,  époque  qui  s'accorde  fort  bien 
avec  ce  qu'a  dit  l'historien  Denys 
d'Halicarnasse.  M.  Fr.  Creuzer  a 
proposé  de  lever  la  difficulté,  en  li- 
sant la  pme  d'Athènes ,  au  lieu  de 
]a  prise  de  Sardes  j  dans  le  passage 
de  Suidas  ;  ce  qui  rapprocherait  d'en- 
viron vingt-cinq  ans  la  naissance  de 
Xanthus.  Mais  cette  correction  est 
un  peu  forcée.  Sans  rien  changer 
au  texte,  il  n'y  a  simplement  qu'à 
donnera  l'expression  équivoque  y s- 
70V&JÇ  le  sens  de  qui  naquit ,  au  lieu 
de  qui  fleurit;  et  l'on  peut  citer  bien 
des  pa.ssages  où ,  dans  le  même  Sui- 
das, les  mots  ysyovwç  etyéyovs  ont 
évidemment  cette  signification  (Voy. 
Sturz  ,  ad  Pherecfd.fragm. ,  pag. 
56).  Tout  s'explique  alors.  Xanthus, 
né  à  l'époque  de  la  prise  de  Sardes, 
en  5o3 ,  n'avait  que  sept  ans  à  la 
naissance  d'Hellanicus  de  Lesbos,^ix- 
neuf  à  celle    d'Hérodote  ,    trente- 


et 


deux  à  celle  de  Thucydide , 
trente -sept  à  l'avénemcnt  d'Arta- 
xerce Longue-Main.  Ainsi  il  était 
contemporain  d'Hellanicus  et  d'Hé- 
rodote ,  qiîoique  un  peu  plus  âgé  que 
tous  les  deux;  ce  qui  suffit  pour 
expliquer  le  passage  où  Éphore  di- 
sait de  lui  que  ses  histoires  aidaient 
servi  à  Hérodote  (  Ephor.  ,  ap. 
Athén.,  XII,  p.  5i5,  E.  ).  Né  en 
5o3,  il  n'aurait  eu  qu'environ  soi- 
xante-onze ans  au  commencement  de 
la  guerre  du  Péloponnèse  :  il  a  pu 
voir  ce  commencement.  C'est  donc 
avec  raison  que  Denys  d'Halicarnais- 
se  l'a  rangé  parmi  les  historiens  qui 
ont  précédé  immédiatement  cette 
guerre.  Ainsi  tous  les  auteurs  an- 
ciens qui  ont  parlé  de  Xanthus 
sont  conciliés  entre  eux, et  son  épo- 
que est  définitivement  fixée.  —  Sui- 
das assure  que  cet  historien  était  de 
Sardes j  mais  Strabon  avoue  qu'il 
ignore  si  Xanthus ,  qui  était  bien  cer- 
tainement de  Lydie,  avait  pris  nais- 
sance à  Sardes  même  (Strab. ,  xiii_, 
p.  628 .,  Cas.  ).  Il  faut  en  conclure 
que ,  du  temps  de  Strabon ,  Xanthus 
passait  pour  être  de  Sardes,  mais 
que  le  fait  était  regardé  comme  dou- 
teux. —  Xanthus  est  auteur  d'un  ou- 
vrage, maintenant  perdu,  qui  ne  nous 
est  connu  que  par  quelques  citations 
des  anciens.  Il  avait  pour  titre  :  les 
Lydiaques  ;  et  il  était  divisé  en  qua- 
tre livres.  Cet  ouvrage  comprenait, 
outre  l'histoire  de  Lydie  depuis  l'épo- 
que héroïque  jusqu'au  temps  de  l'his- 
torien, la  description  de  cette  contrée 
et  le  détail  de  toutes  les  particulari- 
tés, relatives  à  sa  géographie  physi- 
que. H  était  rédigé  à  la  manière 
d'Hérodote,  mais  borné  aune  seu- 
le contrée  ;  et  c'est  peut-être  en  ce 
sens  qu'Éphore  a  dit  qu'Hérodote 
s'était  servi  de  l'ouvrage  de  Xan- 
thus y    ces     expressions    d'Éphore 


XAN 

manquent  de  clarté  ;  et  de  Irès-ha- 
l)iles  critiques  ont  pense'  qu'elles 
signifient  seulement  que  cet  ouvrage 
a  donné  l'idée  et  a  été  l'occasion  de  ce- 
lui d'Hérodote  (conf.  Wessel.,  Prœf. 
ad  Herod.  ;  Creuzer ,  Hist,  grœc. 
antiq.fragm. ,  p.  1 4^  )  ;  ce  sens  nie 
paraît  un  peu  restreint.  Elles  peuvent 
très-bien  signifier  aussi  que  Xanthus 
avait  suggéré  à  Héj-odote  Vidée  et 
Icplan  de  son  ouvrage  ;  en  sorte  que 
celui-ci  aurait  appliqué  à  l'histoire 
générale  de  son  temps  la  méthode 
que  Xanthus  avait  suivie  pour  l'His- 
toire de  Lydie.  On  voit  par  un  pas- 
sage d'Athénée  (  à  Vendrait  déjà  ci- 
té) qu'un  écrivain  ,  Artémon  de  Cas- 
sandrée,  attribuait  les  Lydiaqiies  à 
DionysiusScytobrachion;maisÉpho- 
re,  Strabon  etDenysd'Halicarnasse, 
pour  ne  parler  que  des  plus  anciens, 
ne  doutaient  point  que  Xanthus  n'eu 
fût  l'auteur  ;  et  leur  opinion  a  un 
tout  autre  poids  que  celle  d'un  écri- 
vain obscur.  C'est  donc  fort  inutile- 
ment qu'un  savant  italien,  M.  Bruni , 
a  pris  la  peine  de  la  réfuter  dans  un 
Mémoire  spécial  (  Nuova  collezione 
d'oposcoli  Litterar.,  Bologne,  1824). 
Du  reste,  cet  ouvrage  de  Xanlhus 
avait  été  abrégé  par  un  certain  Mé- 
nippe,  dont  parle  Diogène  de  Laër- 
îe  (vi,  ici).  Clément  d'Alexandrie 
attribue  à  Xanthus  de  Lydie  un  ou- 
vrage intitulé  les  Magiques  {Strom.^ 
m ,  p.  5 1 5  )  j  et  il  paraît  que  Diogè- 
ne de  Laërte  l'avait  eu  sous  les  yeux 
{Proœm.  ^  ^  1).  Mais  le  sujet  mê- 
ïTie  de  cet  ouvrage  annonce  un  auteur 
d'une  époque  plus  récente  que  celle 
de  notre  Xanthus.  Il  était  vraisem- 
blablement d'un  autre  écrivain  de 
ce  nom,  sans  doute  le  même  qu'un 
certain  Xanthus  de  Lydie  ,  dont 
Clément  d'Alexandrie  cite  l'opinion 
relativement  à  l'époque  du  poète 
Leschès ,   qui    aurait   vécu  ,    selon 


XAU  335 

ce  Xanthus ,  vers  la  dix-huitième 
olympiade  {Strom.^i,  pag.  398, 
Pott.  ).  Or_,  nous  savons  par  le 
témoignage  de  Polybe  (  Histor.  ^ 
xïi,  i'2)  que  Timée  fut  le  premier 
historien  qui  se  servit  de  l'ère  des 
olympiades.  Ce  Xanthus  est  donc  né- 
cessairement postérieur  à  Alexandre. 
On  a  cru  que  c'est  l'Athénien  Xan- 
thus y  contemporain  de  Théophraste 
(  Jonsius  ,  Script,  hist.  philos. ,  i , 
19);  et  l'on  a  pensé  en  conséquence 
que  l'épithète  lydien  qui  accompagne 
son  nom  dans  Clément  d'Alexandrie , 
est  une  erreur  due ,  soit  à  cet  écri- 
vain ,  soit  à  ses  copistes.  Cette  con- 
jecture a  de  la  probabilité.  Tous  les 
fragments  de  Xanthus  de  Lydie  ont 
été  recueillis  avec  soin  et  commen- 
tés avec  beufiicoup  d'érudition  par 
Frédéric  Creuzer  ,  dans  l'ouvrage 
ayant  pour  titre  :  Historicorum  grœ- 
corumantiquissimorumfragjnenta^ 
etc.  ,  Hcidelberg  ,  1806,  in-  8*^. — 
Xanthus,  poète  lyrique ,  antérieur  à 
Stésichore,  et  dont  ce  dernier,  au 
témoignage  d'Athénée  ,  avait  em- 
prunté beaucoup  de  sujets ,  en  les  dé- 
naturant, entre  autres,  V Orestéide 
(Athén.,  XII,  p.  5i3,  A.;  Élien, 
Hist.  Var.y  iv ,  26  ).  On  ignore  quel 
pays  lui  avait  donné  naissance.  Il 
n'en  reste  aucun  fragment.  L — ne. 
XAUPI  (  l'abbé  Joseph  ) ,  littéra- 
teur ,  naquit  le  1 6  mars  1 688  ,  à  Per- 
pignan y  d'une  famille  noble.  Ayant 
achevé  ses  études  ,  il  embrassa  l'état 
ecclésiastique  ,  et  se  fit  recevoir  doc- 
teur en  Sorbonne.  Nommé  chanoine 
de  la  catliédrale  de  Perpignan ,  il 
prit  la  défense  des  droits  de  son  cha- 
pitre contre  les  prétentions  de  quel- 
ques autres  églises ,  et  publia  plusieurs 
Mémoires  qui  lui  méritèrent  l'estime 
de  ses  confrères.  La  cul  lui  e  des  let- 
tres charmait  ses  loisirs  j  il  s'appli- 
qua  particulièrement   à  l'étude   de 


336  XAU 

Tespagnol  et  du  catalan ,  et  fit  plu- 
sieurs voyages  à  Barcelone  et  dans 
les  villes  voisines  pour  visiter  les  bi- 
bliothèques et  les  archives  ,  d'oii  il 
tira  de  nombreux  documents.  11  s'é- 
tablit ensuite  à  Paris ,  oîi  il  devait 
trouver  des  ressources   d'un    autre 
genre  pour  les  travaux  qu'il  méditait. 
Admis   dans  le  cercle  littéraire   de 
M'»e.  Doublet  (  F.  ce  nom  ),   il  de- 
vint un  des  cooperateurs  des  Nou- 
velles à  la  main ,  qui  donnèrent  nais- 
sance aux  Mémoires   de  Bachau- 
mont  (  F.  ce   nom  ).    Il  possédait 
l'abbaye  de  Saint- André'  de  Jare  , 
dont  les  revenus  joints  à  sa  fortune 
personnelle  lui  permettaient  de  satis- 
faire son  penchant  pour  la  bienfai- 
sance. Parvenu  à  l'âge  le  plus  avan- 
ce', l'abbé  Xaupi  conservait  toutes 
ses  facultés  ;  il  montait  en  carrosse 
lorsqu'il  se  cassa  la  cuisse  en  tom- 
bant j  et  il  mourut  des  suites  de  cet 
accident ,  le  7  de'c.  1778  ,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-onze  ans.  On  se  flattait 
de  trouver  dans  ses  manuscrits  des 
documents  précieux  pour  l'histoire 
contemporaine  (  Voy.  Mémoires  de 
Bachaumont ,  xii ,  111  ).  Outre  une 
Oraison  funèbre  de  Louis  XI F  ; 
des  Mémoires  pour  son  chapitre ,  et 
des  Compliments  ou  des  Discours 
au  nom  de  la  faculté  de  théologie  de 
Paris,   on  a  de  l'abbé   Xaupi   ;  I. 
Dissertation  sur  l'édifice  de  l'église 
primatiale  de  Saint- André  de  Bor- 
deaux. —  Dissertation  sur  Vélec- 
tion  a  V archevêché  de  Bordeaux  ^ 
faite  par  le  chapitre  de  cette  église, 
en  iS^-g,  en  faveur  de  Gabriel  de 
Gr amont  j   depuis  cardinal,    Bor- 
deaux, 1751  ,  in  4°.  L'auteur  avait 
adressé  ces  deux  pièces  à  l'académie 
de  Bordeaux ,  dont  il  était  associé 
correspondant  (i).    II.  Becherches 

(i)  Cette  seconde  dissertation  est  indiquée  dans 
les  Diclionnuires ,  sons  ce  litre  :  Disserlalion  sur 


XAU 

historiques  sur  la  noblesse  des  ci- 
toyens honorés  de  Perpignan  et  de 
Barcelone ,  connus  sous  le  nom  de 
citoyens  nobles ,  Paris  ,  1 763  ,  in- 12; 
ouvrage  instructif  et  plein  de  recher- 
ches savantes.  L'auteur  y  a  joint 
deux  dissertations  :  l'une  sur  la  clause 
de  transmission  auxdescendantsdans 
les  anoblissements  ;  la  seconde  sur 
la  juridiction  universelle  du  conseil 
de  Roussillon.  Ce  volume  est  terminé 
par  un  inventaire  des  pièces  dont  l'au- 
teur s'est  servi,  et  par  des  notices  sur 
les  écrivains  qu'il  a  consultés  ,  dont 
plusieurs  avaient  échappé  jusqu'alors 
aux  recherches  des  bibliographes. 
C'était  un  travail  immense  ,  et  qui 
exigeait  les  recherches  les  plus  labo- 
rieuses; il  fallait  pour  l'entreprendre 
joindre  à  l'étude  du  droit  féodal  et 
de  l'histoire  du  moyen  âge  ,  la  con- 
naissance des  auteurs  qui  ont  écrit  sur 
la  noblesse,  l'inlelligence  des  langues 
catalane  et  espagnole  ,  celle  des  lois 
et  des  usages  de  la  principauté  de 
Catalogne.  Ces  dillicultés  n'arrêtè- 
rent point  l'abbé  Xaupi  (  F.  les  Mé- 
moires de  Trévoux  ,  1764  ,  p.  987- 
ioi3  ).  Son  ouvrage  ayant  été  atta- 
qué par  la  corporation  des  avocats 
de  Perpignan,  Xaupi  le  reproduisit 
en  1776,  et  y  ajouta  deux  autres 
volumes  ;  l'un  contient  des  additions 
aux  recherches  historiques,  et  l'au- 
tre l'inventaire  des  pièces  justifica- 
tives avec  une  table  des  matières 
pour  les  deux  volumes.  En  1777, 
parut  un  Mémoire  pour  l'ordre  des 
avocats  de  Perpignan  ,  contenant 
l'entière  réfutation  des  recherches 
de  M.  l'abbé  Xaupi ,  sur  la  préten- 
due noblesse  des  bourgeois  majeurs 
de  Perpignan  et  de  Barcelojie ,  par 


le  prétendu  épiscopal  de  GnhrUl  de  Gramonl , 
en  i5a()  ,  raais  l'épiscopat  de  Gabriel  de  Gramont 
est  très-réel  ;  c'est  ce  que  l'auleuv  a    prouvé  sans 

réplique  (  r.  Gramont,  XVllI,  280  ). 


XAV 

François  Tossa, bâtonnier  de  Tordre, 
et  professeur-doyen  de  la  faculté  des 
àro\isdePùv\)\^uaiU  AU. Consultation 
avec  le  docteur  Billette ,  en  faveur 
des  curés  de  Cahors ,  contre  le  cha- 
pitre de  r église  cathédrale  de  cette 
ville.  Ces  cures  lui  avaient  adressé 
un  Mémoire  dans  lequel  ils  élevaient 
certaines  prétentions  qui  choquaient 
le  chapitre  de  Cahors.  ils  envoyèrent 
ce  Mémoire  à  l'abbé  Xanpi ,  qui  de 
concert  avec  Billette  y  répondit  par 
une  consultation  favorable.  Les  cha- 
noines ayant  adressé  les  mêmes  ques- 
tions au  docteur  Riballier  ,  syndic 
de  la  faculté  de  théologie  ,  lui  et  le 
docteur  Legrand ,  après  avoir  exa- 
miné les  deux  Mémoires  ,  trouvèrent 
les  prétentions  des  curés  exagérées. 
Il  en  fut  référé  à  la  Sorbonnc  qui  ju- 
gea en  faveur  de  la  dernière  consul- 
tation. Xaupi  se  désista  ,  quoique 
deux  canonistes  ,  tenus  alors  pour 
fort  célèbres  ,  Piales  et  l'abbé  Mey , 
eussent  décidé  en  sa  faveur  (  f^oj. 
Riballier  ,  XXXVIf ,  498  ).  On  a 
le  portrait  de  l'abbé  Xaupi,  in-fol. , 
d'après  un  dessin  de  Carmontelle. 
L— Y  et  W — s. 

XAUPI.  roj.  Ghaupi,  au  Sup- 
plément. 

XAUREGUI  (  Jean  ).  F.  Jau- 

REGUI  ,  XXI  ,  ^IÇ). 

XAVIER  (  Saint  François),  sur- 
nommé V Apôtre  des  Indes  :,  et  l'un 
des  premiers  disciples  de  saint  Igna- 
ce de  Loyola ,  naquit  le  7  avril  1 5o6^ 
de  Jean  Jysse,  gentilhomme  de  Na- 
varre, et  de  Marie  Azpilcueta,  dans 
le  château  de  Xavier ,  au  pied  des 
Pyrénées.  Il  était ,  par  sa  mère ,  ne- 
veu du  fameux  docteur  Navarre  (  F. 
Navarre,  XXX,  610  ) ,  et  le  der- 
nier des  enfants  d'une  famille  nom- 
breuse ,  qui  presque  tous  embrassè- 
rent l'état  militaire.  Quant  à  Fran- 
çois ,  ses  parents^  lui  voyant  du  goût 

LI. 


XAV 


337 


pour  l'étude ,  favorisèrent  cette  in- 
clination. Il  fit  ses  humanités  dans 
son  pa3's.  Après  les  avoir  terminées  ^ 
il  vint  à  Paris  faire  ses  cours  au  col- 
lège de  Sainte-Barbe.  Il  y  passa  maî- 
tre-ès-arts  ,etil  enseignaitla  philoso- 
phie au  collège  de  Beauvais,  lors- 
qu'Ignace  de  Loyola  se  rendit  dans 
le  même  collège  pour  recommencer 
ses  études,  et  s'y  trouva  avec  Xavier, 
compagnon  de  chambre ,  ejusdem 
cuhiculisocius.  Ignace  était  déjà  oc- 
cupé de  son  projet  d'un  institut  des- 
tiné à  porter  la  foi  chez  les  infidèles. 
11  se  lia  d'abord  avec  Pierre  Le  Fê- 
vre  ou  Favre  (i),  homme  pauvre 
et  vertueux ,  qui  exerçait  dans  le  col- 
lège les  fonctions  de  répétiteur ,  et 
qu'il  jugea  propre  à  seconder  ses 
vues.  Il  essaya  aussi  de  gagner  Xa- 
vier, mais  celui-ci,  à  qui  sa  naissan- 
ce et  les  succès  qu'il  avait  eus  dans 
ses  études  laissaient  l'espoir  de  s'a- 
vancer dans  les  dignités  ecclésiasti- 
ques ,  ne  céda  pas  si  facilement.  Ce- 
pendant l'exemple  de  Le  Fêvre, 
qu'il  estimait  et  aimait  tendrement , 
le  toucha,  et  il  se  rendit.  Ces  con- 
quêtes ne  tardèrent  pas  à  être  suivies 
de  quelques  autres.  Trois  Espagnols  , 
Laynez,  docteur  d'Alcala,  et  pro- 
fond théologien-  Salmeron ,  qui  n'a- 
vait encore  que  dix-huit  ans  ;  Nico- 
las-Alphonse ,  surnommé  Bobadilla, 
qui  avait  enseigné  la  philosophie  k 
Valladobd^  et  Rodriguez,  Portugais 
envoyé  à  Paris  par  son  souverain 
pour  s'y  perfectionner  dans  les  étu- 
des ,  tous  jeunes,  ardents,  et  d'une 
piété  exemplaire  ,  s'associèrent  à 
Ignace  et  à  ses  desseins.  Les  voyant 
bien  décidés,  il  crut  utile  d'assurer 
leur  résolution  par  un  acte  solennel , 
qui  ne  leur  permît  plus  de  revenir 


(i)  C'est  le  nom  sous  lequel  liC  Fèvre  est  désigné 
dans  la  Biographie  universelle  (  Foj.  FavRE, 
XIV,  r>.3  ). 

'2 '2 


338 


XAV 


sur  leurs  pas.  Le  jour  de  l'Assomp- 
tion ,  (le  J'aimce  i534,  il  les  con- 
duisit dans  l'cglise  de  l'abbaye  de 
Moutmarlre;  et  là,  dans  la  clia- 
pellc  souterraine,  tous  d'un  com- 
mun accord  prononcèrent  le  vœu  de 
pauvreté  et  de  chasteté ,  auquel  ils 
joignirent  celui  de  faire  le  voyage  de 
la  Terre-Sainte ,  et  de  s'y  dévouer  à 
la  conversion  des  infidèles ,  ou  ,  s'ils 
ne  pouvaient  pas  y  pénétrer,  d'aller 
se  jeler  aux  pieds  du  pape ,  et  de  lui 
otî'rir  leurs  services ,  pour  telle  œu- 
vre de  charité  à  laquelle  il  jugerait 
à  propos  de  les  employer.  Le  Fêvre 
depuis  peu  ordonné  prêtre ,  leur  dit 
la  messe,  à  laquelle  tous  commu- 
nièrent {J^oy.  1gnack,XXI,  188 
et  siiiv.  ).  Plusieurs  n'ayant  pas  en- 
core achevé  leurs  études,  il  fut  con- 
venu que  pendant  un  voyage  qu'Igna- 
ce avait  à  faire  en  Espagne,  ils  les 
continueraient,  et  qu'au  plus  tard  au 
commencement  de  l'année  loS-j,^  on 
se  réunirait  à  Venise.  Tous  furent 
fidèles  au  rendez- vous ,  et  s'y  trou- 
vèrent à  la  fin  de  i536.  Leur  nom- 
bre même  s'était  augmenté  de  trois. 
Xavier  alla  se  loger  à  l'hôpital  des 
Incurables ,  où  il  se  dévoua  au  ser- 
vice des  malades.  Ignace ,  étant  de 
retour,  envoya  ses  compagnons  vers 
le  pape  Paul  III ,  qui  les  reçut  avec 
bonté,  et  permit  à  ceux  qui  n'étaient 
pas  encore  engagés  dans  les  ordres  , 
de  les  recevoir  où  ils  voudraient. 
Xavier  s'y  disposa ,  et  après  avoir 
été  ordonne  prêtre ,  se  prépara  à  di- 
re sa  première  messe  par  une  dure 
retraite  et  de  grandes  austérités.  Il 
la  célébra  à  Vicence ,  où  il  alla  re- 
joindre Ignace  ,  qui  l'envoya  à  Bo- 
logne avec  Bobadilla.  Quelque  temps 
après,  il  fut  appelé  à  Rome,  où  il 
prêcha  dans  l'église  de  Saint-Lau- 
rent in  Damaso.  L'institut  commen- 
çait à  prendre  quelque  développe- 


XAV 

ment,  lorsque  Jean  III,  roi  de  Por- 
tugal ,  qui  voulait  favoriser  la  pro- 
pagation de  l'Évangile  dans  ses  états 
de  l'Inde ,  fît  demander  à  Ignace 
quelques-uns  de  ses  missionnaires. 
Xavier  se  dévoua  à  cette  œuvre.  Il 
se  rendit  à  Lisbonne ,  et  le  8  avril 

1 54 1  il  s'embarqua  avec  le  gouver- 
neur des  Indes  pour  cette  destina- 
tion. Il  aborda  vers  la  fin  d'août  au 
port  de  Mozambique ,  où  il  passa 
l'hiver ,  et  arriva  heureusement  en 

1542  à  Goa  ,  siège  du  gouverne- 
ment. Il  s'y  logea  à  l'hôpital,  et, 
après  avoir  salué  l'évêque  et  pris  ses 
ordres  ,  il  commença  sa  mission.  11 
parcourait  les  rues  la  sonnette  à  la 
main,  pour  avertir  les  pères  et  les 
mères  d'envoyer  leurs  enfants  et 
leurs  esclaves  au  catéchisme.  Il  prê- 
chait assidûment ,  attaquant  les  vi- 
ces et  travaillant  à  la  réformation 
des  mœurs.  Il  existait  à  la  côte  de  la 
Pêcherie  de  nouveaux  chrétiens , 
alors  sans  secours  spirituels.  Xavier 
s'empressa  d'aller  les  visiter,  et  tra- 
duisit pour  eux  le  catéchisme  dan* 
la  langue  du  pays.  11  fit  détruire  les 
temples  des  idoles  qui  se  trouvaieni 
encore  sur  la  côte,  et  construire  l 
leur  place  des  églises.  De  là  il  passé 
dans  le  royaume  de  Travancor ,  où 
en  neuf  mois  ,  il  baptisa  de  sa  maii 
dix  mille  idolâtres.  Le  zélé  mission 
naire  se  transporta  ensuite  à  Melia-i 
pour^  appelée  aussi  la  ville  de  Saint-J 
Thomas  ,  parce  qu'une  tradition 
rapporte  que  ce  saint  y  fut  mar- 
tyrisé. Il  y  fit  quelques  conversions 
éclatantes  ,  visita  le  tombeau  où 
avaient  reposé  les  restes  du  saint 
apôtre  ,  et  se  mit  en  route  pour  Ma- 
îacca,  où  il  arriva  le  25  novembre 
1545.  Selon  sa  coutume,  il  alla  st 
loger  à  l'hôpital,  où  ses  soins  poui 
les  malades  et  sa  douceur  lui  conci- 
lièrent tous  les  esprits.  Ses  prédicat 


XAV 

lionsiiefurentpasmfructiieuses.il  eut 
la  consolation  de  convertir  non  seu- 
lement un  grand  nombre  d'idolâtres, 
mais  encore  des  juifs  et  des  maho- 
metans.  Ayant  reçu  de  nouveaux, 
missionnaires  ,  envoyés  par  saint 
Ignace ,  il  partit  le  i^"".  février  pour 
les  îles  de  Banda.  En  route  ,  il  con- 
vertit l'équipage  ,  et  après  six  se- 
maines de  navigation  il  prit  terre  à 
Amboine ,  d'où  continuant  à  se  diri- 
ger vers  Macassar  il  arriva  à  Ter- 
uate,  la  principale  desMoluques,  où 
sept  villages  cbrétiens  manquaient 
absolument  de  prêtres,  le  seul  qui  y 
fût  étant  decéde  peu  de  temps  au- 
paravant -y  Xavier  crut  se  devoir  à 
ce  troupeau  abandonne'.  Il  y  ranima 
la  foi ,  réforma  quelques  désordres 
qui  s'y  étaient  introduits,  et  y  admi- 
nistra les  sacrements.  DeTernate,  il 
passa  en  mai  i5^6  aux  îles  du 
More,  habitées  par  un  peuple  encore 
barbare.  11  parvint  cependant  à  ap- 
privoiser ces  sauvages,  et  il  en  bap- 
tisa plus  de  vmgt-cinq  mille.  Il  re- 
vint ensuite  à  Ternate  ,  où  il  établit 
quelques  missionnaires  ,  s'arrêta  à 
Amboine  ,  dont  il  confirma  les  habi- 
tants dans  la  foi ,  et  arriva ,  en  1 547, 
à  Malacca.  En  passant  à  Ceylan  il  y 
convertit  le  roi  de  Candi  et  un  grand 
nombre  de  ses  sujets.  De  Cocbin  ,  il 
écrivit  à  Rome  pouravoirdu  secours^ 
et  au  commencement  de  mars  i548 
il  fut  de  retour  à  Goa.  Déjà  un  col- 
lège et  un  séminaire  de  la  compagnie 
de  Jésus  y  étaient  établis  j  il  y  fut 
reçu  comme  le  père  commun  ,  y  ré- 
gla les  affaires  de  la  chrétienté  des 
Indes  ,  distribua  dans  les  provinces 
du  continent. et  des  îles  ceux  de  ses 
confrères  nouvellement  arrivés  qui 
étaient  sans  emploi,  et  marqua  la 
place  de  ceux  qu'on  attendait.  Son 
projet,  quoiqu'on  lui  fît  envisager 
les  dangers  de  ce  voyage ,  était  dcre- 


XAV 


339 


partir  pour  le  Japonl'année  suivante. 
Il  avait  eu  occasion  de  convertir 
quelques  Japonais ,  entre  autres  un 
nommé  Auger ,  homme  assez  consi- 
dérable de  Canguxima  ,  ville  du 
royaume  de  Saxuma  au  Japon.  Xa- 
vier s'en  lit  accompagner,  et  y  arriva 
en  1549.  Auger  alla  trouver  le  roi 
de  Saxuma  ,  dont  il  était  connu.  S'é- 
taut  assuré  de  dispositions  favora- 
bles de  sa  part,  il  lui  présenta  Xa- 
vier que  ce  prince  reçut  assez  bien, 
mais  sans  vouloir  entendre  parler  de 
religion.  Voyant  qu'il  ne  recueillaitau- 
cun  fruit  dans  ce  lieu,  où  dominaient 
les  bonzes ,  prêtres  du  pays ,  Xavier 
s'achemina  vers  Firanda,  autre  ville 
du  Japon.  11  y  obtint  la  permission 
de  prêcher ,  et  y  opéra  de  nombreu- 
ses conversions.  Encouragé  par  ce 
succès ,  il  prit  le  chemin  de  Meaco  , 
capitale  de  l'empire.  11  fallait  tra- 
verser le  royaume  de  Nangara,  dont 
Amangucchi  est  la  capitale.  Le  bruit 
des  prédications  de  Xavier  y  était 
parvenu ,  et  l'on  y  desirait  l'entendre. 
11  n'y  fit  pourtant  que  très-peu  de 
conversions.  11  seremiten  route  pour 
INIeaco,  où  il  ne  fut  pas  plus  heureux. 
Il  ne  lui  avait  pas  été  possible  d'ap- 
prendre la  langue  de  cette  contrée , 
comme  on  le  voit  dans  les  Lettres 
qu'il  écrivit  alors  en  Europe.  «  Je 
»  n'entends  point  ce  peuple  ,  disait- 
»  il ,  il  ne  m'entend  point.  »  Xavier 
attribua  aussi  le  peu  de  succès  de  sa 
mission,  dans  cette  circonstance,  à  la 
simplicité  de  son  costume ,  qui  n'était 
queceluid'unpé!eiin,etdan,d'intérêt 
de  la  religion  il  résolut  d'adopter  un 
autre  système.  11  reprit  alors  le  che- 
min d'Amangucchi,etse  présenta  au 
roi  dans  un  appareil  imposant.  Il  se 
vêtit  d'un  habit  de  riche  étoffe  ,  prit 
quelques  valets  à  sa  suite ,  et  parut 
devant  le  monarque^  muni  de  lettres 
du  vice-roi  des  Indes ,  et  de  Tévêque 
22.. 


34o 


XAV 


de  Goa  ,  mais  surtout  de  riches  pré- 
sents. Cet  innocent  artifice  lui  réus- 
sit très-bien.  Il  obtint  du  roi  non- 
seulement  la  permission  de  prê- 
clier ,  mais  encore  un  cdit  qui 
permettait  à  qui  le  voudrait  d'em- 
brasser la  religion  du  père  Xavier. 
Il  laissa  dans  ce  lieu  plus  de  trois 
mille  chrétiens  ,  si  attachés  à  leur 
nouvelle  croyance  que  vingt-cinq  ans 
après  on  trouva  qu'ils  l'avaient 
conservée  dans  son  intégrité,  «  quoi- 
qu'ils fussent  sans  maîtres  et  sans 
guides,  et  même  inquiétés  par  de 
mauvais  princes.  »  Plus  tard  d'autres 
missionnaires  obtinrent  dans  cette 
contrée  des  succès  encore  plus  grands. 
11  restait  à  Xavier  une  tâche  bien 
importante,  c'était  d'aller  évangé- 
liser  la  Chine;  il  en  avait  un  ex- 
trême désir ,  mais  il  y  avait  peine 
de  mort  pour  tout  étranger  qui  s'y 
introduirait  sans  en  avoir  la  per- 
mission. 11  fit  en  sorte  qu'une  am- 
bassade à  la  suite  de  laquelle  il  se 
mettrait  y  fût  envoyée.  On  la  confia 
à  Jacques  Pereyra  ,  homme  pieux  , 
riche  et  ami  de  Xavier  ,  qui  voulut 
bien  y  employer  une  partie  de  sa 
fortune.  On  arriva  en  peu  de  jours 
à  Malacca.  Xavier  y  fut  reçu  avec 
joie  ;  mais  don  Alvarez  qui  en  était 
gouverneur ,  et  qui  avait  contre  Pe- 
reyra quelque  sujet  de  mécontente- 
ment ,  ne  permit  pas  à  la  légation 
d'aller  plus  loin.  INi  prières ,  ni  me- 
naces ,  ni  même  une  excommunica- 
tion qu'on  lança  contre  lui ,  ne  le 
firent  changer  d'avis.  Xavier,  qui 
ne  voulait  pas  renoncer  à  son  des- 
sein ,  fut  obligé  de  partir  seul ,  sur 
un  vaisseau  portugais  qui  faisait 
voile  pour  l'île  de  Sancian,  à  vingt- 
cinq  lieues  de  la  terre  ferme  ,  vis-à- 
vis  de  Canton.  Quelque  risque  qu'il  y 
eût  à  mettre  le  pied  sur  le  sol  chi- 
nois, Xavier  y  était  décidé,  et  il 


XAV 

avait  déjà  pris  quelques  mesure» 
pour  cette  périlleuse  entreprise  , 
lorsqu'il  tomba  malade.  Après  de 
longues  souffrances  ,  il  mourut 
dans  cette  île  le  2  décembre  i552  , 
n'étant  âgé  que  de  quarante-quatre 
ans,  dont  il  avait  passé  dix  et  de- 
mi dans  ses  laborieuses  missions. 
On  l'enterra  sur  le  rivage  après  avoir 
mis  beaucoup  de  chaux  dans  son 
cercueil  pour  consumer  les  chairs  ; 
mais  lorsqu'on  le  déterra  ,  vers  le— 
milieu  de  février  de  l'année  suivantejB 
on  les  trouva  aussi  fraîches  que  s'ifl 
eût  été  vivant;  on  rapporte  même 
qu'une  odeur  suave  s'exhalait  de* 
tout  son  corps.  Il  fut  mis  dans:« 
cet  état  sur  le  vaisseau  ,  et  trans- 
porté d'abord  à  Meaco ,  où  Pereyra , 
qui  s'y  trouvait  encore,  lui  fit  fai- 
re de  magnifiques  obsèques.  Quel- 
ques mois  après  on  l'envoya  à  Goa  , 
où  il  fut  déposé  dans  la  grand 
chapelle  de  l'église  de  Saint-Paul 
Des  miracles  ,  dit  -  on  ,  se  firent 
son  tombeau.  Ses  historiens  ,  sur 
tout  le  P.  Bouhours,  en  rapportent  d 
nombreux  et  d'éclatants  qu'il  fit  dan 
le  cours  de  ses  missions  ,  et  qui  du 
rent  contribuer  beaucoup  à  leur  suc 
ces.  Un  des  plus  remarquables  al 
été  le  sujet  d'un  tableau  capital  ,' 
fait  par  le  Poussin ,  pour  le  novi- 
ciat des  jésuites  de  Paris,  et  qui  est 
aujourd'hui  au  Musée  du  Louvre 
(2).  Xavier  fut  béatifié  par  Paul  V^ 
en  1619,  et  canonisé  par  Grégoire 
XV  ,  en  1622.  On  a  de  lui  :  I.  Cinq 


(2)  La  renaissance  d'une  jeune  fille  ,  operce  aa 
Japon,  y  est  représentée:  elle  produit l'impre.ssio» 
la  plus  vive  sur  les  assistants;  et  la  puissaucc  du 
(liiist  qui  apparaît  au  saint  ne  permet  point  de 
douter  de  la  vérité  de  ce  miracle.  C'est  là  sans 
doute  un  trait  de  génie  du  peintre  :  l'école  de 
Vouet  seule  ,  loin  de  l'admirer ,  fit  éclater  sa  ja- 
lousie. Vouet  n'était  point  mort  à  cette  époque 
(  en  1(147.  )  !  n  mourut  même  ,  non  en  1648  ,  com- 
me nous  l'avions  dit  à  l'article  du  Poussin  ,  mais, 
eu  1649 ,  comme  l'attestent  les  registres,  que  uoiu  -,  1 
avons  cousultés,  de  Saint-Jean  en  Grève.     G-CE." 


1 


XAV 

Vivres  à' Epures ,  Paris ,  1 63 1 ,  in-S*^. 
II.  Un  Catéchisme.  III.  Des  Opus- 
cules. Le  P.  Bartoli,  jésuite ,  a  écrit 
en  italien  la  Vie  de  saint  François 
Xavier ,  laquelle  a  e'ie  traduite  en 
]atin  par  le  P.  Jannin  ,  1709.  Celle 
du  P. Bouhours,  Paris,  i6'ii  ,in-4°-^ 
est  la  p!us  estimée  (  Foy.  Bou- 
hours ).  Enfin  Gaspard  Xuarès  a 
publie  :  Fida  iconolo^ica  del  apos- 
tol  de  las  Indias  S.  Francisco  Xa- 
vier, Rome,  1 798 ,  in-80.  Le  P.  Fran- 
çois Oudin,  jésuite,  a  compose  un 
petit  Office  de  ce  saint ,  dont  les 
hymnes  passent  pour  un  chef-d'œu- 
vre de  poésie  latine.  L — y. 

XAVIER  (Jérôme)  ,  de  la  mcme 
famille  que  le  précédent ,  mais  non 
son  frère,  comme  le  dit  un  supplé- 
ment du  Dictionnaire  de  Ladvocat , 
était  né  dans  la  Navarre  et  sujet  du 
roi  d'Espagne.  Il  entra  chez  les  Jé- 
suites à  Alcala ,  le  7  mai  i568,  et 
commença  par  y  être  employé  dans 
l'enseignement.  Animé  pour  la  con- 
version des  infidèles ,  du  même  zèle 
dont  son  illustre  parent  avait  donné 
tant  de  preuves ,  il  demanda  à  ses 
supérieurs  ,  et  en  obtint  la  permission 
d'aller  dans  les  Indes  se  consacrer 
au  même  ministère.  Il  se  rendit  à 
Goa  en  i57 1  ,  et  s'y  lia  à  la  société 
par  les  quatre  vœux.  Il  fut  chargé 
de  divers  emplois  ,  d'abord  du  soin 
des  novices ,  et  ensuite  des  fonctions 
de  supérieur  ;  il  fut  même  pendant 
•quelque  temps  recteur  de  la -mais  on 
professe  de  Goa.  Cette  fonction  ne 
suffisant  point  à  son  zèle ,  il  réso- 
lut d'aller  porter  la  foi  au  Mogol,  et 
fut  le  premier  missionnaire ,  après 
Rodolphe  Aquaviva  ,  qui  pénétra 
dans  cette  contrée.  Il  y  courut  sou- 
vent de  grands  dangers  ,  et  faillit  être 
lapidé  à  Lahore,  011  il  fîtnéanmoins 
de  nombreuses  conversions  ,  et  bap- 
tisa quatre  proches  parents  du  roi. 


XAV 


341 


Il  y  avait  à  la  cour  du  monarque  un 
Arménien  qui  jouissait ,  près  de  lui, 
d'une  grande  faveur.  Sa  femme  étant 
morte  ,  il  voulut  épouser  sa  belle- 
sœur.  Le  P.  Xavier  crut  devoir  s'op- 
poser fortemeut  à  cet  inceste  spiri- 
tuel. L'Arménien  s'en  plaiguit  au  roi 
qui  supporta  impatiemment  le  refus. 
Son  mécontentement  néanmoins  n'eut 
pas  d'autres  suites.  Le  P.  Xavier 
continua  de  paraître  à  la  cour,  et 
même  de  suivre  le  roi  partout  où  il 
ïe  transportait.  Il  retourna  à  Goa 
en  1617  ,  et  y  mourut  le  17  juin  de 
la  même  année.  Philippe  III  ,  roi 
d'Espagne ,  instruit  de  ses  travaux 
apostoliques,  voulut  les  récompen- 
ser ,  en  le  nommant  à  l'archevêché 
d'Angamalé.  Prévenu  par  la  mort  y 
le  P.  Xavier  ne  jouit  point  de  cette 
grâce.  Il  a  laissé  des  écrits  en  latin 
et  en  persan.  On  a  de  lui  :  I.  Traité 
des  mystères  du  christianisme  sous 
le  titre  de  Fons  vita3 ,  contre  le  ma- 
hométisme ,  1600.  II.  Abrégé  du 
même  oui^rage.  III.  De  la  vie ,  des 
miracles  ,  et  de  la  doctrine  de  notre 
Sauveur  Jésus- Christ.  IV.  Fie  des 
apôtres.  V.  Histoires  et  faits  desSS. 
martyrs,  VI.  Directoire  des  rois 
pour  le  gouvernement  de  leurs  états. 
VII.  En  persan,  Histoire  de  Jésus- 
Christ  et  Histoire  de  saint  Pierre. 
Ces  deux  derniers  ouvrages  furent 
traduits  du  persan  en  latin  ,  par 
Louis  de  Dieu  ,  protestant ,  profes- 
seur et  principal  du  collège  Wallon 
de  Leyde ,  et  imprimés  chez  les  Elze- 
virs.  Le  traducteur  y  a  joint  des 
Notes  critiques,  où  il  s'égaie,  non 
sans  quelque  malignité ,  aux  dépens 
du  P.  Xavier,  au  sujet  de  quelques 
faits  apocryphes  puisés  dans  des  sour- 
ces peu  sûres.  A  raison  de  ces  faits 
et  de  ces  notes  ,  le  livre  a  été  mis  à 
V index  en  vertu  de  trois  décrets  des 
années  1641  et  1G45.   Le  P.  Xavier 


34^  XEN 

a  aussi  laisse  des  Lettres   touchant 
ses  missions.  L — y. 

XÉNOCLÈS,  fils  de  Carcinus, 
poète  tragique  grec  ,  sur  lequel  on 
a  très-peu  de  renseignements,  était 
d'Athènes,  et  florissait  sous  le  rè- 
gne de  Philippe  de  Macédoine.  Dans 
j'a  quatre  -  vingt  -  onzième  olym- 
piade ,  dit  Élien  (  Hist.  dwers. , 
livre  ir,  8),  oii  Excnète  d'Agri- 
ç;ente  fut  vainqueur  à  la  course  , 
Xénoclès  remporta  le  prix  de  la  Té- 
ïr^/ogie  sur  Euripide  (  /^.  XIII,  Sig 
(i)),  si  souvent  malheureux  dans 
ces  luttes  littéraires.  Les  quatre 
pièces  présentées  parXénoclès  étaient 
OEdipc ,  Lycaon  y  les  Bacchantes , 
et  Athamas  ,  drame  satirique.  On 
n'en  connaît  plus  que  les  litres  j  mais 
il  ne  paraît  pas  qu'on  doive  regretter 
Leaucoup   la   perte   de  ces   pièces , 

Suisqu'Élien  accuse  d'ignorance  ou 
e  prévarication  les  juges  qui  n'a- 
vaient pas  rougi  de  les  préférer  à 
celles  d'Euripide  :  Alexandre  ou 
Paris ,  Palamède  _,les  Trojens,  et 
Sisyphe.  Aristophane,  dans  la  co- 
médie des  Grenouilles  ,  fait  dire  à 
Hercule  (  vers  86  )  :  Oii  est  donc 
Xénoclès  ?  à  quoi  Bacchus  répond  : 
Par  Jupiter  ^  qu'il  périsse  !  L'an- 
cien Scholiaste  remarque  sur  ce  pas- 
sage que  Xénoclès  est  critiqué  com- 
me un  mauvais  poète  ,  et  surtout 
obscur  par  le  fréquent  usage  des  allé- 
gories (^r^^.  d'Élien  par  M.  Dacier, 
pag.  49  )•  Cependant ,  suivant  Lor. 
Crasso  ,  Démoslhène  cite  Xénoclès 
comme  un  poète  estimable  (  Storia 
de'  poeti  greci  )  ;  mais  on  doit  re- 
marquer qu'il  y  eut  deux  poètes  du 
nom  de  Xénoclès,  et  que  nous  ne 
savons  pas  si  c'est  du  même  que  par- 
lent Aristophane  et  Démoslhène. 
W— s. 


•ni 


(i)  Loi-,  c/7,  ,  notre  poî'le  est  mal  nommé  Xcno- 
c•/fl^',  par  une  faute  d  irupressiuii. 


XEN 

XÉNOCRATE ,  fds  d'Agathénor, 
fut    un   des  plus  illustres   philoso- 
phes de  l'ancienne  Grèce.  Il  naquit 
à  Chalcédoine,  vers  l'an  4o6  avant 
J.-G. ,  et  fut  de  bonne  heure  le  dis- 
ciple et  l'admirateur  de  Platon,  pour 
lequel  il  eut  toujours  le  même  res- 
pect et  le  même  attachement.  11  l'ac- 
compagna dans  son  voyage  de  Sicile; 
et  comme  Denys  le  tyran  menaçait 
un  jour  Platon,  en  lui  disant  que 
quelqu'un   lui   couperait    la    tête  : 
Personne  ,  répondit  Xénocrate  ,  ne 
le  fera   avant    d^ avoir    coupé  l 
mienne  !  Il  étudia  sous  Platon   en 
même  temps  qu'Aristote ,  mais  non 
pas  avec  les  mêmes  succès;  car  il  était 
d'un  esprit  lent  et  d'une  conception 
dure  ,  au  lieu  qu'Aristote  avait  l'es- 
prit vif  et  pénétrant  ;  ce  qui  faisait 
dire  à  Platon  que  le  premier  avait 
besoin  d'éperon,  et  Vautre  de  bride; 
et  Xénocrate  disait  lui-même  à  ci 
sujet  qu'il  ressemblait  aux  vases  qui 
ayant  le  goulot  étroit,  reçoivent diffi, 
cileraent ,  mais  retiennent  bien  mieux 
Un  jour  on   vint  dire  à  Platon  qu 
Xénocrate  avait  mal  parlé  de  lui 
«  Je  ne  le  crois  pas ,  »  répondit-il 
On   insista  ;  il  ne   céda  point.   0: 
ofirit  des  preuves  :  «  Non  ,  répliqua 
t-il;  il  est  impossible  que  je  ne  soi* 
pas  aimé  de  quelqu'un  que  j'aime  s 
tendrement.  »  Si  Xénocrate  était  infé 
rieur  à  Aristote  du  côté  de  l'esprit 
il  le  surpassait  beaucoup  danslapra 
tique  de  la  philosophie  morale.  T 
était  grave  ,  sobre ,  austère ,  et  d'u 
caractère  si  sérieux  et  si  éloigné  d 
la  politesse  des  Athéniens,  que  Plato: 
l'exhortait  souvent  à  sacrifier  am 
grâces.  Il  y  a  cependant  de  la  grâo 
et  de  la  bonté  dans  ce  mot  qu'on  lu 
attribue.  Un  moineau,  poursuivi  pa 
uuépervier,  se  réfugia  dans  sa  robe 
il  l'y  retint  ,  le  sauva  ,  et  lui  rend 
ensuite  la  liberté,  eii  disant  :  «  II 


XEN 

V  faut  pas  trahir    un    suppliant-  » 
ïl  souffrait  très-patiemment  les   re'- 
primandes    de    Platon  ;    et    lors- 
qu'on Tcxcitait  à  se  défendre  :  Il  ne 
me  traite  ainsi ,  rcpondait-il  ,  que 
pour  mon  profit.  On  le  loue  surtout 
pour  sa  cliaslete.  Il  avait  acquis  un 
tel    empire  sur  ses  passions  ,  que 
Phryne',  la  plus  belle  courtisane  de 
la  Grèce  ,  ayant  gagé  de  le  faire  suc- 
comber,  n'en  put   jamais  venir   à 
bout,  qiioiqu'elle  fût  allée  le  trouver, 
et  qu'elle  eût  employé  tous  les  moyens 
imaginables.  Comme  on  se  moquait 
d'elle,  en  voulant  l'obliger  de  payer 
la  gageure ,  elle  répondit  quelle  na- 
çaitpoint  perdu,  parce  quelle  avait 
parié  défaire  succomber  un  homme  ^ 
et  non  point  une  statue.  Xénocrale 
lit  paraître   en   tout  la  même  tem- 
pérance. Il  n'aima  ni  les  plaisirs,  ni 
les  richesses,  ni  les  louanges.  Il  était 
d'une  si  grande  sobriété,  qu'il  se  vit 
quelquefois  obligé  de  jeter  ses  pro- 
visions, parce  qu'elles  étaient  moi- 
sies  et  trop  vieilles  •    ce  qui    fai- 
sait dire   aux    Grecs  ,    proverbia- 
lement ,  le  fromage  de  Xénocraie  , 
lorsqu'ils  voulaient    faire   entendre 
qu'une  chose  durait  long  temps.  Il 
remplaça  dans  l'académie   d'Athè- 
nes ,  Speusippe ,  successeur  de  Pla- 
ton, 339    3vant    J.-C.  ,    et  il  fut 
le     chef    de     l'académie     pendant 
vingt  -  cinq  ans.  Il   voulait  que  ses 
disciples  sussent  les   mathématiques 
avant   de   venir  à   ses    leçons  ;    et 
il  renvoya  un  jeune  homme  qui  ne 
les  savait  pas,  en  disant  qu'il  n'a- 
idait point  la  clef  de  la  philosophie. \\ 
s'acquit  une  si  grande  réputation  de 
franchise  et  de  probité  ,  qu'il  fut  le 
seul   que  les   magistrats  d'Athènes 
dispensèrent  de  confirmer  son  témoi- 
gnage parle  serment.  Polémon ,  jeune 
homme  riche  ,  mais  si  dissolu  ,  que 
$a  femme  l'avait  accusé  en  justice ,  à 


XEN  343 

cause  de  ses  mœurs  infâmes ,  ayant 
un  jour  bu  outre  mesure  ,  et  courant 
par  les  rues  avec  ses  compagnons  de 
débauche ,    entra  dans    l'école   de 
Xénocrate  à  dessein  de  s'en  moquer 
et  de  l'insulter.  Tous  les  auditeurs 
s'indignèrent  de  cette  insolence;  mais 
Xénocrate,  sans  se  troubler,  tourna 
aussitôt  son  discours  sur  la  tempé- 
rance ,  et  parla  de  cette  vertu  avec 
tant  de  force  ,  de  dignité  et  de  no- 
blesse ,  qu'il  fit  naître   tout-à-CQ.up 
dans  l'ame  du  débauché  la  résolu- 
tion de  renoncer  aux  voluptés  ,  et  de 
s'attacher  à  la  sagesse.  Polémon  de- 
vint ,  dès  ce  moment,  un  discijde  de 
la  vertu  ;  il  ne  but  plus  que  de  l'eau, 
et  succéda  ,  dans  la  suite,  à  Xéno- 
crate dans  la  chaire  de  philosophie. 
Cette  conversion  fit  grand  bruit ,  et 
elle  ajouta  beaucoup  au  respect  que 
le  philosophe  s'était  acquis.  Dès-lors, 
quand  il  passait  dans  les  rues,  la 
jeunesse  débauchée  s'éloignait  pour 
éviter   sa   rencontre.   Alexandre-lc- 
Grand  lui  envoya  cinquante  talents, 
somme  considérable  pour  ce  temps- 
là.  Mais  les  députés  de  ce  prince  étant 
arrivés  à  Athènes  avec  ce   trésor  , 
Xénocrate  les  invita  à  manger  ,   et 
ne  leur  lit  servir  que  son  repas  ordi- 
naire. Le  lendemain  ,  comme  ces  dé- 
putés lui  demandaient  à  qui  il  voulait 
que  les  cinquante  talents  fussenlcomp- 
tés  :  Le  souper  d'hier^  leur  répondit- 
il,  7ie  vous  a-til  point  fait  compren- 
dre que  je  n'ai  pas  besoin  d'argent  ? 
voulant  marquer  par-là  qu'il  se  con- 
tentait de  peu ,  et  que  l'argent  est 
nécessaire  aux  rois  et  non  pas  aux 
philosophes.  Les   députés  lui  firent 
néanmoins  de    si  vives    instances  , 
qu'il  prit  une  petite  partie  de  la  som- 
me, de  peur  de  montrer  du  mépris 
pour  celui  qui  l'offrait.  «  Ainsi  ,  dit 
Va  1ère  Maxime,  un  grand  roi  vou- 
lut acheter  l'amitié  d'un  phiiosophei 


Iî4 


XEN 


et  le  philosophe  refusa  de  vendre 
son  araitic'  au  grand  roi.  »  Les  Athe'- 
niens  ,  qui  l'avaient  envoyé  en  am- 
bassade vers  Philippe ,  roi  de  Macé- 
doine ,  l'envoyèrent  encore  ,  long- 
temps après ,  vers  Antipater  ;  et  il 
fut  charge' ,  ainsi  que  Phocion  ,  de 
traiter  avec  le  prince  qui  menaçait 
d'envahir  l'Attique  ;  mais  il  ne  put 
en  obtenir  que  des  conditions  fort 
dures  ,  ce  qui  lui  Ht  dire  en  pré- 
sence d' Antipater ,  que  pour  des 
esclaves,  il  traitait  les  Athéniens 
assez  doucement,  mais  que  pour  un 
peuple  libre,  il  se  montrait  bar- 
bare. La  conduite  qu'il  tint  ,  la 
probité  et  le  courage  qu'il  montra 
dans  cette  ambassade  ,  lui  firent 
encore  une  grande  réputation.  On 
s'étonne  que^  les  Athéniens  aient 
pu  laisser  traiter  un  philosophe  de 
ce  mérite  aussi  indignement  par 
les  fermiers  et  les  receveurs  de 
leurs  impots  ;  car,  quoiqu'ils  les  eus- 
sent une  fois  condamnés  à  l'amende 
pour  avoir  voulu  mener  Xénocrate 
en  prison  y  faute  de  payer  un  certain 
impôt  mis  sur  les  étrangers,  il  est 
constant  que  ces  mêmes  collecteurs 
ou  receveurs  le  vendirent  une  autre 
fois  ,  parce  qu'il  n'avait  pas  de  quoi 
])ayer.  Mais  DémétriusdcPhalère  ne 
put  souffrir  une  action  si  odieuse  j  il 
acheta  Xénocrate ,  le  mit  sur-le- 
champ  en  liberté ,  et  paya  la  dette 
aux  Athéniens.  Quelques  jours  après, 
ayant  rencontré  le  fils  de  son  libéra- 
teur, ce  philosophe  hii  dit:  «  Votre 
n  père  est  payé  avec  usure  du  bien 
»  qu'il  m'a  fait,  car  je  suis  cause 
»  qu'il  est  loué  de  tout  le  monde.  » 
On  attribue  aussi  à  l'orateur  Ly- 
curgue  l'acUon  de  Déraétrius.  Xé- 
nocrate mourut  vers  l'an  3i4  avant 
J.  -  C. ,  à  l'âge  d'environ  quatre- 
vingt-dix  ans  ,  pour  s'être  heurté 
de  nuit  à  un  vase  de  cuivre.  Con- 


XEN 

sidéré  comme  philosophe  ,  Xé- 
nocrate, ainsi  que  Speusippe,  son 
prédécesseur  ^  ne  fit  faire  que  peu  de 
progrès  à  la  science,  et  s'occupa 
moins  de  modifier  ou  de  développer 
ses  théories  platoniciennes,  que  de 
les  concilier  avec  le  pythagorisme. 
Aussi  entendit-il  la  doctrine  du  phi- 
losophe de  Samos  dans  le  sens  des 
dernières  modifications  qu'on  lui 
avait  fait  subir,  et  regarda-t-il  l'unité 
comme  le  principe  actif,  et  le  duel 
comme  le  principe  passif,  seul  sens 
dans  lequel  les  deux  systèmes  puis- 
sent se  rapprocher.  Plularque  rap- 
porte un  grand  nombre  de  ses  maxi- 
mes et  de  ses  paroles  remarqua- 
bles ,  entre  autres  :  on  s'est  souvent 
repenti  d'avoir  trop  parlé ,  mais  ja- 
mais de  s^ctre  tu  :  —  les  vérita- 
bles philosophes  sont  les  seuls  qui 
font  de  bon  gré  et  de  leur  propre 
mouvement  ce  que  les  autres  nef  ont 
que  par  la  crainte  des  lois  :  — c'est 
un  aussi  grand  péché  de  jeter 
les  jeux  sur  la  maison  de  son  pro- 
chain ,  que  d'y  mettre  le  pied  :  — 
il  faut  mettre  des  lames  de  fer 
aux  oreilles  des  enfants  pour  les 
rendre  sourds  aux  propos  corrup- 
teurs y  plutôt  que  d'en  mettre  aux 
athlètes  pour  les  garantir  des  coups, 
etc.  Xénocrate, dit- on,  ne  reconnais- 
sait point  d'autre  divinité  que  le  ciel 
et  les  sept  planètes ,  ce  qui  faisait  huit 
dieux.  Cicéron ,  dans  son  livre  i^»'. 
de  la  Nature  des  dieux ,  réfute 
très-bien  un  tel  système  ;  mais  il  n'est 
guère  probable  que  l'école  de  Platon 
se  fût  déjà  autant  éloignéedeses  doc- 
trines. Plutarque  a  loué  Xénocrate  de 
ce  que  la  pesanteur  de  son  esprit  ne 
lui  fit  pas  perdre  courage  dans  le 
cours  de  ses  études,  et  il  le  cite  pour 
exemple  ,  afin  d'encourager  les  es- 
prits qui  ont  peu  de  facilité.  Il  avait 
composé  ,  à  la  prière  d'Alexandre  , 


XEN 

un  traité  de  V^rt  de  régner  ;  six 
livres  de  la  Nature;  six  de  la  Phi- 
losophie; un  autre  des  Richesses^ 
etc.  Mais  ces  ouvrages  ne  sont  point 
parvenus  jusqu'à  nous.  On  trouve  , 
sous  son  nom  ,  un  Traite  de  la  morty 
dans  Je  JamLlique  d'Aide,  1497  ? 
in-fol.  M.  Denis  Van  den  Wynpersse 
a  publié  à  Leyde ,  en  1822,  une 
Dissertation  sur  Xénocrate ,  in-S". 
—  Pline  fait  mention  de  deux  autres 
Xénocrate,  dont  l'un  avait  écrit  sur  la 
Toreutique ,  et  l'autre  ,  habile  pein- 
tre et  sculpteur,  avait  composé  un 
traité  de  Ja  peinture.  On  trouve  aussi 
un  Xénocrate  parmi  les  poètes  de 
\ Anthologie.  M — d  j. 

XÉNOCRATE ,  médecin  grec ,  vi- 
vail  vers  le  milieu  du  premier  siècle 
de  l'ère  vulgaire.  Il  était  né  à  Aphro- 
disé.    Plusieurs    villes  portaient   ce 
nom;  et  on  ne  peut  aujourd'hui  dé- 
terminer précisément  celle  à  laquelle 
il  appartenait.  Il  avait  composé  un 
ouvrage,  qui  ne  nous  est  pas  parve- 
nu ,  sur  l'utilité  médicale  des  ani- 
maux.  Galien  l'accuse  d'ignorance 
et  de  superstition;  et  il  est  difficile 
d'être  d'un  autre  avis  quand  on  lit 
les  étranges  recettes  que  Galien ,  au 
commencement  de  son  dixième  livre 
sur  l'efficacité  des  remèdes  simples  , 
a  extraites  du  Traité  de  Xénocrate. 
Toutefois  il  faut  dire  qu'à  côté  de  ces 
indications  puériles  et  absurdes,  Xé- 
noct-ate  avait  placé  des  prescriptions 
sages  et  rationnelles.  Oribase  nous  a 
conservé  de  cet  ouvrage  un  fragment 
qui  le  prouve  ;  et  il  nous  reste  encore 
une  autre  preuve  du  bon  sens  et  de 
l'expérience  de  Xénocrate ,  dans  son 
Tiaité  De  la  nourriture  tirée  des 
poissons.  Ce  livre,  dont  nous  devons 
aussi  la  conservation  à  Oribase,  a 
été  assez  souvent  imprimé.  La  pre- 
mière édition  fut  donnée ,  en  1 559  -> 
par  Conrad  Gcsner  ;  mais  elle  était 


XEN 


345 


incomplète  des  deux  tiers.  Fabricius , 
aidé  d'un  bon  manuscrit,  le  réimpri- 
ma en  entier ,  dans  le  tome  ix  de-sa 
Bibliothèque  grecque.  Le  nouvel  édi- 
teur de  Fabricius  ne  l'a  pas  conservé, 
jugeant  avec  raison  que  cette  réim- 
pression était  rendue  inutile  par  les 
éditions  que  Franz  avait  publiées  à 
Leipzig,  en  1774  et  1779,  et  par 
celle  de  Gaétan  d'Ancora  (Naples, 
1 794  ).  La  meilleure  édition  est  celle 
du  docteur  Coray  (Paris,  i8i4)j 
elle  forme  le  tome  troisième  des 
Hors  -  d*œuvres  de  sa  Bibliothèque 
grecque.  Xénocrate  se  trouve  aussi 
dans  le  recueil  d'Oribase,  publié  à 
Moscou,  par  M.  Matthœi.    B — ss. 

XÉNOPHANE ,  fondateur  de  l'é- 
cole d'Élée ,  naquit ,  de  l'aveu  de  tous 
les  auteurs,  à  Coiophon,  colonie  Io- 
nienne de  l'Asie  mineure.  Les  uns  le 
disent  fils  de  Dexius  ou  Dexinus,  les 
autres  d'Orthoraène  ;  cette  dernière 
opinion  a  pour  elle  les  meilleurs  et 
les  plus  nombreux  témoignages,  et 
elle  a  généralement  prévalu.  Quant  à 
la   date    précise    de   sa    naissance , 
parmi  bien  des  contradictions   ap- 
parentes ou  réelles,  nous  trouvons 
pourtant  trois  auteurs  qui ,  malgré  la 
dilïércnce  d'écoles  et  d'époques,  sont 
unanimes  à   cet  égard.  Sotion,  au 
rapport  de  Diogène  de  Laerle ,  fait 
Xénophane  contemporain  d'Anaxi- 
mandre  ,  ce  qui  placerait  à-peu-près 
sa   naissance    vers  la   quarantième 
olympiade;  or,  Sotion,  qui  vivait 
près  de  deux  siècles  avant  notre  ère , 
qui  avait  voué  toute  sa  vie  à  l'étude 
de  l'histoire  des  premiers  âges  de  la 
philosophie  grecque,  et  qui  était  en- 
touré, à  Alexandrie,  des  plus  riches 
documents  historiques,  est  une  auto- 
rité grave.  Apollodore^,  qui  était, 
comme  Sotion ,  très-versé  dans  l'his- 
toire de  la   philosophie^   et  vivait 
comme  lui  à  Alexandrie,  un  siècle 


plus  tard  ,  fait  aussi  naître  Xcno- 
pliane  ,   selon   saint  Clément  d'A- 
lexandrie ,  à  la  quarantième  olym- 
piade. Enfin  ,    deux   siècles   avant 
notre  ère,   Sextus,  qui  s'est  beau- 
coup  occupe  du  fondateur  de  l'é- 
cole d'Éle'e  et  nous  en  a  conservé  de 
précieux  fragments,  met  sans  hési- 
ter sa    naissance  à  la  même   épo- 
que. Voilà  donc  trois  auteurs  dignes 
de  confiance ,  qui ,  s'accordant  sur 
ce  point ,  forment  une  autorité  im- 
posante. De  plus ,  il  ne  faut  pas  ou- 
blier que  Xénophane  a  vécu  très- 
long-temps.  Lucien  le  fait  vivre  qua- 
tre-vingt-onze ans  ,  et  encore  est-ce 
trop  peu  ;  car  Diogène  nous  a  con- 
servé des  vers  dans  lesquels  Xéno- 
phane nous  apprend  lui-mcme  quel 
était  son  âge  au  moment  où  il  les 
composait;  et  cet  âge  est  celui  de  qua- 
tre-vingt-douze ans.  Et  comme  rien 
ne  prouve  que  Xénophane  soit  mort 
immédiatement  après  avoir  fait  ces 
Yers  ,  on  peut  très-bien ,  avec  Censori- 
iius ,  le  faire  vivre  un  siècle  entier , 
un    peu    plus    ou    un   peu    moins. 
Or ,   en  partant  de  la   date  de   la 
quarantième  olympiade  ,  avec  So- 
tion,  ApoUodore  et  Sextus,   et  en 
nous  donnant  un  siècle  entier  d'aprçs 
Xénophane  lui-même,  nous  avons 
assez  d'espace  pour  y  placer  tous  les 
récits  des  auteurs  et  résoudre  leurs 
contradictions  apparentes.  En  effet , 
mi  homme  né  à  la  quarantième  olym- 
piade, et  qui  a  vécu  à -peu -près  un 
siècle,  a  dû  voir  la  soixante-cinquième 
olympiade.  Par  conséquent  il  a  très- 
bien  pu  venir  à  la  soixante-unième 
olympiade,  comme  l'attestent  tous  les 
auteurs ,  lui ,  Ionien  d'origine  ,  s'éta- 
blir à  Elée  ,dansune  colonie  Phocéen- 
ne de  la  Grande-Grèce ,  colonie  ré- 
cemment fondée,  dont  les  habitants 
échappés  aux  désastres  de  toutes  les 
autres  colonies   de  l'Asie  mineure , 


restés  seuls  libres ,  à  force  de  courage 
et  de  dévouement  au  milieu  de  la 
commune   servitude ,    offraient    un 
asile  et  une  patrie  à  tous  ceux  de 
leurs   compatriotes  qui  fuyaient  le 
joug  des  Perses.  11  a  pu  ,  à  l'âge  de 
quatre-vingt  douze  ans,  c'est-à-dire^ 
à  la  soixante-troisième  olympiade, 
composer  les  vers  rapportés  par  Dio- 
gène.  Et  quand  ce   même  Diogène 
dit  que   Xénophane  fleurit  vers  la 
soixantième  olympiade,  rien  de  plus 
facile  à  admettre,    en    prenant  la 
quarantième  pour  date   de  sa  nais- 
sance; car  dans  ce  cas  ,  il  aurait  fleu- 
ri à  l'âge  de  quatre-vingts  ans ,  ce  qui 
devait  être  en  effet  la  plus  belle  épo- 
que de  son  talent  et  de  sa  gloire,  à 
l'en  croire  lui-même.  ApoUodore, 
dans  le  passage  cité  par  St.  Clément , 
après  avoir  dit  que  Xénophane  na- 
quit vers  la  quarantième  olympiade, 
ajoute  qu'il  prolongea  sa  vie  jusqu'au 
temps  de  Darius  et  de  Cyrus  ;  et  le 
faux  Origène  dit  à-peu-près  la  même 
chose.  Rien  encore  de  plus  facile  à 
concevoir  ;  car  Cyrus  était  dans  toute 
sa  puissance  vers  la  cinquante-huitiè' 
me  olympiade  ;  et  Darius  étant  mon- 
té sur  le  trône  à  la  fin  de  la  soixante- 
quatrième  ,  Xénophane  a  pu  voir  les 
commencements  de  son  règne.  D'ail- 
leurs le  faux  Origène  ne  fait  mention 
quede  Cyrus.  Cependant  on  fait  dire  à 
Eusèbe  que  Xénophane  est  né  dans  la 
cinquante-sixième  olympiade;  et  sur 
cette  base  on    élève  un  long  écha- 
faudage chronologique  que  nous  ren- 
verserons d'un  seul  mot  :  Eusèbe  n'a 
jîas  dit  que  Xénophane  naquit,  mais 
qu'il  fleurit  à  la  cinquante  -  sixième 
olympiade,  clarus  hahelui%  ce  qui 
est  tout  différent,  et  si  dilTérent  que 
l'autorité  d'Eusèbe  est  alors  pour 
nous  ,  et  détruit  l'opinion  même  que 
jusqu'ici  elle  paraissait  a]>puycr.  Ou 
cite  encore  des  vers  de  Xénophane , 


XEN 

rapportes  par  Athenëe ,  où  il  parle 
de  l'invasion  des  Perses^  et  de  ces 
vers  ou  tire  la  nécessite  de  le  faire  al- 
ler jusqu'à  labalaille  de  Marathon  et 
même  au-delà  ,  c'est-à-dire  jusqu'à  la 
soixante-quinzième  olympiade.  Mais 
nous  contestons  le  sens  que  l'on  veut 
donner  aux  vers  de  Xënophane. 
Selon  nous  ,  ces  vers  ne  font  pas 
allusion  à  l'invasion  du  continent  de 
la  Grèce ,  mais  bien  à  celle  des  côtes 
de  l'Asie  mineure^  qui  eut  tant  d'in- 
fluence sur  la  destinée  de  sa  premiè- 
re et  de  sa  seconde  patrie  et  sur  l'his- 
toire entière  de  sa  vie:  —  Foici  ce 
qu'il  faut  dire  auprès  du  f m  pen- 
dant l'hii^er ,  —  Couché  mollement 
et  bien  repu ,  —  En  Imitant  du  vin 
délicieux  ,  et  en  mangeant  des  pois 
chiche  S:  —  Qui  es  -  tu  ?  d  où  es-tu  ? 
quel  âge  as-tu,  mon  cher?  —  Quel 
dge  avais-tu  quand  le  Mède  arriva? 
—  Tels  sont  les  vers  deXénophane 
que  nous  a  conservés  Athénée.  On  y  re- 
connaîtun  Ionien  de  cœur  et  d'habitu- 
de,qui,  s'adressant  à  un  habitant  de 
la  nouvelle  colonie,  relève  le  charme 
de  la  sécurité'  présente  du  souvenir 
de  l'infortune  passée ,  et  tranquille  à 
Élée ,  s'entretient  des  désastres  de 
Phocée  avec  un  homme  qui  a  grandi 
depuis  ces  malheurs  ,  et  dont  il  me- 
sure l'âge  actuel  sur  celui  qu'il  pou- 
vait avoir  quand  le  Mède  arriva. 
Quelle  pouvait  être  l'invasion  du  Mè- 
de qui  importât  si  fort  à  un  homme 
d'Élée,  sinon  celle  qui  le  regardait^ 
c'est-à-dire,  l'expédition  contre  les 
colonies  grecques  de  l'Asie  mineure, 
et  particulièrement  contre  Phocée  , 
la  mère-patrie  d'Élée?  Hérodote,  qui 
raconte  cette  expédition ,  la  défense 
désespérée  de  Phocée .,  la  fuite  noc- 
turne des  Phocéens,  leurs  aventures 
en  Corse  et  en  Sardaigne ,  et  leur  dé- 
faite par  les  Carthaginois^  qui  les 
força  de  se  jeter  sur  les  côtes  de  l'I- 


XEN 


347 


talie  et  d'y  fixer  leurs  pénates,  Héro- 
dote ajoute  qu'Harpagus, général  de 
Cyrus  et  chef  de  l'expédition,  quoi- 
qu'il commandât  les  Perses,  était  Mè- 
de de  nation.  H  n'est  donc  pas  im- 
possible que  l'expression  :  le  Mède 
arriva ,  désigne  tout  simplement  cet 
Harpagus  ,  auteur  des  maux  de 
Phocée  et  d'Élée.  Mais  il  est  plus 
probable  que  c'est  une  expression 
générale  qui  désigne  les  Perses  eux- 
mêmes  ,  que  l'on  apj)elait  alors  Mo- 
des ,  témoin  l'exjJression  de  guerre 
médique  et  les  expressions  latines 
dérivées  de  celle-là.  Or  ,  nous  conve- 
nons bien  que  les  Grecs  du  continent 
devaient  appeler  invasion  médique 
celle  qui  fut  suivie  de  la  bataille  de 
Marathon  et  de  Salaraine^  mais  ce 
n'est  point  ici  un  Grec  du  continent 
qui  parle  à  un  Grec  du  continent  : 
c'est  un  Grec  de  l'Asie  mineure  qui 
parle  à  des  Grecs  de  l'Asie  mineure, 
pour  lesquels  le  Perse  ou  le  Mède  ne 
peut  être  que  celui  qui  les  attaqua  et 
leur  enleva  leur  patrie,  événement 
terrible  et  mémorable,  par  lequel  il 
était  naturel  que  les  hommes  échap- 
pés à  ce  grand  désastre,  une  fois 
tranquilles  à  Elée ,  comptassent  les 
années  de  leurs  enfants.  Les  vers  de 
Xénophane,  faits  à  Élée ,  et  adressés 
à  unÉléate ,  ne  peuvent  donc  désigner 
que  l'invasion  des  Perses  dans  l'Asie 
mineure,  et  nullement  la  guerre  mé- 
dique proprement  dite  ,  celle  qu'ap- 
pellent ainsi  les  historiens  et  les  poè- 
tes du  continent.  Cette  interpréta- 
tion ,  qui  nous  semble  incontestable, 
résout  les  difficultés  que  l'on  pourrait 
tirer  contre  nous  des  vers  de  Xëno- 
phane cités  par  Athénée;  et  parla 
tombe  le  seul  argument  plausible 
sur  lequel  repose,  avec  la  fausse  au- 
torité d'Eusèbe,  tout  l'édifice  chro- 
nologique de  Casaubon ,  de  Bayle,  de 
Dodwell,  de  Feuerlin,  de   Brucker 


348 


XEN 


et  de  Hcirles.  Nous  avons  vu  que  les 
témoignages  en  apparence  les  plus 
opposes,  bien  examines,   se  conci- 
lient et  concourent  au  même  résultat. 
Ce  résultat,  si  bien  appuyé,  ne  peut 
plus  être  ébranlé  par  la  seule  autori- 
té de  Timée  ,  qui ,  selon  St.  Clément 
d'Alexandrie ,  fait  naître  Xénopliane 
au  temps  de  fliéron ,  tyran  de  Sicile, 
etdupoèteÉpicliarme.  Nous  ne  dissi- 
mulerons pas  qu'il  y  a  dans  lesApopli- 
tliegmes  de  Plutarque  une  anecdote 
qui  se  rapporte  à  l'opinion  de  Ti- 
mée. Xénophane,  dans  Plutarque, 
se  plaignant  à  Hiéron  de  ne  pouvoir 
nourrir  deux  serviteurs,  celui-ci  lui 
répondit  :  «  Homère  ,  que  tu  déchi- 
res ,  en  nourrit ,  après  sa  mort ,  plus 
de     dix   mille.   »    Nous    trouvons 
aussi  dans  la  métaphysique  d'Aris- 
tote  un  passage  duquel  il  résulterait 
qu'Épicbarme  avait  dit  de  Xénopha- 
ne :  «  H  a  l'air  d'avoir  raison,  mais 
»  il  a  tort.  »  D'abord  il  ne  suit  nul- 
lement de  ce  passage  d'Aristote  qu'É- 
picbarme ait  connu  Xénophane,  mais 
seulement  qu'Épicbarme  a  vécu  dans 
un  temps  oh  la  gloire  de  Xénophane 
remplissait  encore  assez  la  Grèce  ^ 
pour  qu'Épicbarme  mît  de  l'intérêt  à 
lui  lancer  quelques  traits  satiriques. 
Pour   l'opinion  de   Timée,  elle  est 
si  étrange  qu'elle  se  détruit  elle-mê- 
me.  En   efïèt,  Hiéron  et  Epichar- 
me  sont  à -peu -près  de  la  soixante- 
quinzième  olympiade.    Ajoutez    un 
siècle  pour  la  durée  de  la  vie  de  Xé- 
nophane ,  et  vous  le  faites  aller  jus- 
qu'à Périclès  et  Socrate ,  ce  qui  n'a 
pas  besoin  d'être  réfuté.  Aussi ,  nul 
critique  n'a-t-il  adopté  l'opinion  de 
Timée ,  mais  elle  a  eu  du  moins  cette 
autorité,  de  faire  méconnaître  celle 
que  nous  avons  exposée,  et  qui  a  pour 
elle  l'accord  et  l'unanimité  de  tous 
les  autres  témoignages  ^  en  sorte  que, 
comme   terme  moyeu ,    la    plupart 


XEN 

des  critiques  ont  pris  la  fausse  date 
d'Eusèbe.  Quant  aux  historiens  de 
la  philosophie, ils  sont  en  généraltrop 
négligents  des  questions  de  chronolo- 
gie, pour  s'être  embarrassés  de  celle- 
là.  Mais  les  questions  de  chronologie^ 
en  apparence  indifférentes,  tiennent 
intimement  à  l'histoire  approfondie 
des  écoles,  puisque  bien  résolues  elles 
montrent  les  rapports  que  les  écoles 
ont  pu  avoir  entre  elles  ,  les  em- 
prunts qu'elles  ont  pu  se  faire  ré- 
ciproquement;,  et  leurs  liens  histo- 
riques qui  renferment  tant  d'autres 
liens.  —  La  date  de  la  naissance  de 
Xénophane,  ainsi  fixée,  on  s'oriente 
assez  bien  dans  le  reste  de  son  his- 
toire et  de  sa  vie.  Né  à  Colophon^  à 
la  quarantième  olympiade  (617  ans 
avant  notre  ère  )  ,  tous  les  au- 
teurs attestent  qu'il  quitta  sa  pa- 
trie ,  mais  on  ne  sait  trop  à  quel- 
le époque,  ce  qui  est  sans  impor- 
tance, ni  s'il  la  quitta  volontaire- 
ment ou  malgré  lui.  11  n'est  pas  im- 
possible que  Xénophane ,  comme  Py- 
thagore  ,  ait  fui  bù-même  le  specta- 
cle de  la  servitude  et  de  la  corrup- 
tion de  son  pays.  Cependant,  il  est 
plus  probable  qu'il  fut  exilé,  l'ex- 
pression de  Diogène  de  Laërte  ,  ré- 
pétée par  tous  les  auteurs,  supposant 
une  perte  que  l'on  n'a  pas  faite  vo- 
lontairement ,  et  qui  nous  est  impo- 
sée par  le  sort.  Le  même  Diogène 
nous  apprend  qu'après  avoir  quitté 
sa  patrie,  Xénophane  vécut  en  Sici- 
le, à  Zancle  et  à  Catane.  Plus  tard  , 
et  déjà  vieux,  il  vint  s'établir  dans 
la  colonie  nouvelle  d'Élée,  sur  les 
cotes  de  l'Italie ,  et  l'établissement 
de  cette  colonie  ayant  eu  lieu  dans 
l'olympiade  soixante-une  (536  avant 
J.-C.) ,  d'après  notre  calcul ,  Xéno- 
phane ne  devait  pas  avoir  moins  de 
quatre-vingts  ans,  lorsqu'il  se  fixa  à 
Élée.  11  eut  des  enfants  qui  mouru- 


XEN 

rent  avant  lui.  Dëinetriiis  de  Phalè- 
re,  dans  son  traite  de  la  vieillesse, 
et  le  stoïcien  Panœlius,  dans  son 
traité  de  la  tranquillité,  rapportent 
tous  deux ,  selon  Diogène  de  Lacr- 
te,  qu'il  ensevelit  ses  lils  de  ses  pro- 
pres mains,  comme  le  firent  Anaxa- 
goras  et  les  pythagoriciens  Parraenis- 
cos  et  Oresladès,  selon  Phavorinus 
dans  le  premier  livre  de  ses  com- 
mentaires. Brucker  voit  dans  ce  fait 
une  preuve  de  la  pauvreté  de  Xéno- 
pliane  j  mais  Casaubon  remarque 
fort  bien  que  c'est  une  preuve  de  for- 
ce morale,  une  pratique  pythago- 
ricienne ,  et  que  c'est  pour  cela  que 
Philostrate  prétend  qu'Apollonius  de 
Tyane,le  second  Pythagore,  ense- 
velit lui-même  son  père.  L'anecdote 
racontée  par  Plutarque ,  réduite  à  sa 
juste  valeur,  prouve  d'ailleurs  assez 
bien  quelle  était  la  pauvreté  de  Xé- 
nophane.  Il  paraît  qu'il  vivait  du 
métier  d«  rhapsode ,  comme  Homère 
et  Hésiode  ;  c'est  ainsi  du  moins  que 
nous  entendons  la  phrase  tant  con- 
troversée de  Diogène.  H  est  même 
probable  qu'en  sa  qualité  de  rhap- 
sode il  alla  chanter  ses  vers  dans 
les  cours  de  la  Sicile^  car  outre  l'a- 
necdote de  Plutarque  ,  qui  le  met  en 
rapport  avec  un  poète  de  cour  et  un 
prince,  Diogène  nous  a  conservé  un 
mot  de  Xéuophane,  qui  atteste  une 
certaine  expérience  des  grands  et  des 
princes  :  a  H  faut  ne  pas  approcher 
des  tyrans  ,  ou  le  faire  avec  une  ex- 
trême douceur.  »  Enfin,  Timon, 
qui  n'était  pas  facile  en  ce  genre, 
loue  sa  bonne  foi  et  son  indépendan- 
ce ,  et  l'absout  entièrement  du  repro- 
che d'entêtement  dogmatique  qu'il 
fait  à  tous  les  philosophes.  —  On  a 
souvent  agité  la  question  de  savoir  si 
Xénophane  avait  eu  des  maîtres,  et 
quels  avaient  été  ces  maîtres.  Selon 
Diogène,  il  n'en  eut  aucun;  selond'aii- 


XEN 


34î) 


très ,  il  prit  des  leçons  de  Boton  l'A- 
thénien j  et  même  quelques  auteurs 
pensent  qu'il  étudia  sous  Archelalis. 
Lucien  appuie  cette  dernière  opinion. 
L'Athénien  Boton  est  parfaitement 
inconnu.  Pour  Archelaiis,  il  s'agit 
de  savoir  si  l'on  adopte  sur  la  date 
de  la  naissance  de  Xénophane  l'opi- 
nion de  Timée  ou  celle  de  Solion, 
d'Apollodore  et  de  Sextus.  Dans  l'o- 
pinion de  Timée,  Xénophane  aurait 
très -bien  pu  entendre  Archelaiis, 
un  des  maîtres  de  Socrate,  car  il 
aurait  été  le  contemporain  de  ce 
dernier.  Mais  dans  notre  calcul,  la 
chose  est  absolument  impossible. 
Diogène  déclare  qu'il  s'écarta  de 
Thaïes  et  de  Pythagore,  et  qu'il  cri- 
tiqua sévèrement  Épiménide.  H  con- 
naissait donc  leurs  systèmes  s'il 
les  rejeta.  H  est  en  effet  presque  im- 
possible qu'un  hotnme  né  six  cent 
dix-sept  ans  avant  Jésus-Christ,  et 
qui  vécut  un  siècle  entier  sur  les  cô- 
tes de  l'Asie  mineure  ,  en  Sicile  et 
dans  la  Grande- Grèce,  n'ait  pas 
connu  les  philosophes  dont  la  gloire 
remplissait  et  cette  époque  et  ces 
contrées.  Si ,  avec  son  caractère  in- 
dépendant et  sa  vie  errante,  Xéno- 
phane n'eut  pas  de  maîtres  ,  à  pro- 
prement parler ,  il  s'instruisit  à  la 
grande  école  de  son  siècle,  et  de 
tous  les  systèmes  répandus  dans  ce 
siècle.  Quant  à  ses  rapports  directs 
avec  Tinstitut  pythagorique  dont 
parlent  plusieurs  modernes ,  nous 
ne  trouvons  dans  l'antiquité  au- 
cun passage  »ù  il  en  soit  fait  men- 
tion, si  ce  n'est  peut-être  celui  que 
nous  avons  déjà  cité ,  où  Diogène  dit 
qu'il  enterra  ses  enfants  de  ses  pro- 
pres mains.  Mais  si  c'était  là  en  ef- 
fet une  coutume  pythagoricienne ,  elle 
était  aussi  pratiquée  comme  un  exer- 
cice moral  par  des  philosophes  d'une 
école  difFérenle ,  et  Diogène  au  mê- 


35o  XEN 

me  endroit  raconte  la  même  chose 
d'Anaxagoras.  Xenophane  connut 
donc  toutes  les  doctrines  contempo- 
raines ,  mais  il  ne  s'asservit  à  aucu- 
ne ,  et  fonda  lui-même  une  doctrine 
qui  suppose  l'existence  et  la  connais- 
sance préalable  de  deux  autres,  en  par- 
ticipe et  s'en  éloigne  également.  En 
clFet ,  nous  verrons  plus  tard  que  le 
système  de  Xenophane  tient  du  py- 
thagorisme,  et  qu'il  résume  en  même 
temps  toute  la  philosophie  Ionienne 
antérieure  et  contemporaine  ,  et  re- 
présente merveilleusement  la  desti- 
née de  cet  homme  de  Colophcn ,  qui , 
après  avoir  passé  la  plus  grande  par- 
tie de  sa  vie  dans  l'ionie,  vint  ache- 
ver sa  carrière  en  Italie,  et  joindre 
à  l'empirisme  et  aux  habitudes  de 
son  premier  pays  quelque  chose  de 
l'esprit  idéaliste  de  sa  patrie  adopti- 
ve.  Quand  on  voit  ainsi  le  rapport 
de  la  doctrine  d'un  philosophe  avec 
les  circonstances  fondamentales  de 
sa  vie,  on  n'est  plus  tenté  de  mé- 
priser la  biographie  :  au  lieu  de  la 
négliger,  il' faut  la  féconder  et  l'a- 
grandir en  la  mettant  au  service 
de  l'histoire.  Dates,  lieux ,  événe- 
ments ,  tout  contient  des  idées  pour 
qui  sait  les  reconnaître  ,  quelles  que 
soient  leurs  formes  ;  rien  n'est  indif- 
férent ,  car  rien  n'est  arijitraire  ; 
tout  est  à  sa  place  ,  tout  se  rap- 
porte au  rôle  assigné  à  chaque 
philosophe  et  à  chaque  systè- 
me. Que  ce  soit  là  notre  excuse 
pour  les  détails ,  trop  étendus  peut- 
être,  où  nous  sommes  entrés  sur 
la  chronologie  et  la  biographie  de 
Xenophane.  —  On  sait  qu'il  avait 
fait  plusieurs  ouvrages  ,  tous  en 
vers,  mais  ils  ont  péri  avec  tant 
d'autres  monuments  de  la  même 
époque.  Quelques  débris  ont  à  peine 
échappé  au  naufrage,  et  l'on  ne  con- 
naît pas  même  avec  précision  les  ti- 


XEN 

très  des  écrits  auxquels  ils  appar- 
tiennent. On  avait  cru  long-temps, 
sur  la  foi  de  Strabon,  d'Eustalhe  et 
du  scholiaste d'Aristophane , tpie Xe- 
nophane avait  composé  des  Silles ; 
mais  maintenant  il  est  démontre' 
que  les  silles  qu'on  lui  avait  attri- 
bués sont  de  Timon ,  le  fameux 
sillographe ,  qui  dans  un  ouvrage 
divisé  en  trois  livres  ,  oii  il  fai- 
sait la  satire  des  philosophes  de  son 
temps  et  des  temps  antérieurs ,  avait 
imaginé  ,  au  second  et  au  troisiè- 
me livre  ,  un  dialogue  entre  Xe- 
nophane et  lui.  11  y  interrogeait 
Xenophane ,  qui  lui  répondait.  On 
conçoit  quels  silles  acres  et  mor- 
dants Timon  avait  dû  mettre  dans 
la  bouche  de  Xenophane.  Plus  tard, 
ces  vers  ,  détachés  du  corps  de  l'ou- 
vrage, auront  été  mis  sur  le  comptedu 
personnage  qui  les  débitait,ce  qui  aura 
trompé  Strabon ,  Eustathe  et  le  scho- 
liaste d'Aristophane.  Telle  est  l'hy- 
pothèse de  Stanley,  d'abord  com- 
battue et  ensuite  adoptée  par  Fabri- 
cius  ,  et  généralement  admise.  Quant 
aux  iambes  contre  Homère  et  Hésio- 
de, que  Diogène  prête  à  Xenophane, 
nul  autre  auteur  ancien  n'en  dit  un 
mot,  et  la  phrase  de  Diogène  est  visi- 
blement corrompue;  mais,  faute  de 
documents,  toute  tentative  pour  la 
rectifier  serait  arbitraire  et  super- 
flue, et  il  est  impossible  sur  une  au- 
torité aussi  douteuse  d'asseoir  aucu- 
ne opinion  critique  pour  ou  contre 
l'existence  d'iambes  de  Xenophane 
contre  Homère  et  Hésiode.  Nous  ne 
voudrions  pas  non  plus  admettre 
sans  aucune  réserve ,  d'après  un  seul 
passage  du  seul  Athénée,  que  Xeno- 
phane eût  composé  des  Parodies. 
Nous  nous  contentons  de  rapporter 
ici  qu'Athénée  fait  mention  d'un  frag- 
ment de  Parodies^  qu'il  lui  attribue. 
Diogène  de  Laërte  dît  positivement 


XEN 

qu'il  écrivit  près  de  deux  mille  vers 
sur  la  fondation  de  Coloplion  et  sur 
celle  d'Elce.  Il  n'en  reste  pas  un  seul. 
Mais  dillërents  auteurs  s'accordent  à 
attribuer  à  Xénophane  des  Elégies. 
Atlicnée  en  cite  même  plusieurs  fraj^- 
ments  assez  étendus ,  et  qui  parais- 
sent tout-à-fait  authentiques.  Leur 
naïveté,  le  mélange  de  rudesse  anti- 
que et  de  grâce  naissante ,  le  goût  de 
la  liberté  et  du  plaisir,  le  mépris  des 
exercices  du  corps,  la  critique  des 
fictions  mythologiques  ,  et  l'éloge  in- 
génu de  lui-même,  y  caractérisent  par- 
faitement Xénophane  et  son  siècle, 
et  l'esprit  de  l'ionie  déjà  mé!é  de  lé- 
gères teintes  pythagoriciennes.  Mais 
ce  n'est  là  que  la  partie  littéraire  pour 
ainsi  dire  des  ouvrages  deXéuophane; 
celui  qui  contenait  son  système  phi- 
losophique j  et  qui  a  immortalisé  son 
nom  ,  était  un  poème  en  vers  hexa- 
mètres ,  intitulé  :  De  la  Nature,  On 
reconnaît  ici  cette  première  époque  de 
la  philosophie  grecque  ,  oii  la  pensée 
trop  faible  pour  se  prendre  elle-mê- 
me pour  objet  de  ses  recherches,  ab- 
sorbée dans  la  contemplation  du 
monde  extérieur,  essayait  de  se  ren- 
dre compte  de  ce  grand  phénomène, 
à  l'existence  duquel  la  sienne  propre 
paraissait  attachée.  C'était  là  telle- 
ment la  matière  nécessaire  du  travail 
philosophique  de  cette  époque,  que, 
dans  les  ouvrages  qu'elle  produi- 
sait, l'identité  du  sujet  amenait  celle 
du  titre.  La  plupart  sont  intitulés  : 
De  la  Nature ,  comme  celui  de 
Xénophane.  Et  même ,  comme  , 
avant  Xénophane ,  nous  ne  ren- 
controns aucun  oîivrage  qui  porte  ce 
titre  devenu  depuis  si  commun,  nous 
sommes  tentés  de  le  regarder  com- 
me le  premier  qui  ait  mis  dans  le 
monde  et  dans  la  circulation  des 
idées  ,  toutefois  sans  l'écrire,  une 
composition  régulière  sur  ce  sujet  et 


XEN 


35i 


sous  ce  titre.  Cette  composition  non 
écrite  ,  condamnée  à  exister  un  mo- 
ment dans  la  mémoire  et  à  pé- 
rir ,  a  péri  en  effet ,  sauf  un  petit 
nombre  de  fragments  arrachés  à 
l'incertitude  et  à  la  fragilité  de  la 
tradition  ,  très-postérieurement  il  est 
vrai ,  mais  sans  qu'on  ait  aucune 
raison  de  suspecter  leur  authenticité. 
En  même  temps  les  auteurs  attribu(  nt 
à  Xénophane,  sans  citer  ses  propres 
paroles^  des  opinions  qui  se  rappor- 
tent fort  bien  à  ces  fragments ,  de 
sorte  que  sur  le  même  point  l'autorité 
des  fragments  appuie  celle  des  té- 
moignages ,  lesquels  de  leur  côté 
ajoutent  à  celle  des  fragments.  Quel- 
quefois aussi  les  fragments  tombent 
sur  des  points  où  manquaient  les  té- 
moignages j  quelquefois  ce  sont  les 
témoiguages  qui  suppléent  à  l'ab- 
sence de  tout  monument.  Ainsi  la 
critique ,  tout  en  regrettant  de  ne  pas 
avoir  plus  de  matériaux ,  peut  ce- 
pendant en  recueillir  un  assez  grand 
nombre,  pour  rétablir,  sans  le  secours 
d'aucune  hypothèse,  et  reconstruire 
à-peu-près  l'ensemble  du  système  de 
Xénophane.  C'est  ce  que  nous  allons 
essayer  de  faire  avec  le  soin  et  l'éten- 
due que  réclament  l'importance  de 
ce  système  ,  l'influence  qu'il  a  exer- 
cée sur  l'école  d'Élée  et  par  l'école 
d'Élée  sur  la  philosophie  grecque 
tout  entière ,  et  la  haute  admiration 
ou  les  attaques  violentes  dont  il  a  été 
l'objet  à  toutes  les  grandes  époques  de 
l'histoire  de  la  philosophie.  —  Nous 
croyons  pouvoir  tirer  le  système  de 
Xénophane  des  fragments  qui  nous 
en  restent  et  des  témoignages  des 
auteurs.  Mais  quelle  était  la  place 
relative  de  ces  fragments ,  et  le  plan 
du  poème  sur  la  Nature  ,  et  dans 
quel  ordre  Xénophane  y  dévelop- 
pait-il ses  idées?  C'est  ce  qu'il  nous 
paraît  à-peu-près  impossible  de  dé- 


352  XEN 

terminer  aujourd'hui.  Force's  donc 
de  renoncer  à  retrouver  et  à  repro- 
duire Tordre  de  l'ouvrage  original  , 
condamnes   à  une  exposition   arbi- 
traire ,  nous  choisirons  celle  qui  a 
l'avantage  de  mettre  le  mieux  en  lu- 
mière le  vrai  caractère  du  système 
de  Xcnophane.  Or,  selon  nous,  ce 
système   n'a  pas  l'unitë  qu'on   lui 
prête  généralement.  Nous  avons  vu 
que    Xénopliane    est    un     Ionien  , 
qui ,  après  avoir  passé  la  plus  gran- 
de partie   de  sa  vie    dans    l'ionie 
ou  tout  près  de  l'ionie,  est  allé  vers 
l'âge  de  quatre-vingts  ans  s'établir 
dans  un  pays  habile  en  grande  par- 
tie par  les  Doriens ,  et  soumis  à  leur 
influence.  De  même  la  philosophie 
de  Xénopliane  a   en   quelque  sorte 
deux  parties,  l'une  ionienne,  l'autre 
dorienne  et  pythagoricienne.   C'est 
mi  mélange  de  deux  philosophies  qui 
se  rencontrent  sans  se  fondre  vérita- 
blement,de  sorte  que, malgré  leur  ac- 
cord momentané ,  il  est  évident  que 
l'avenir  doit  les  séparer  et  faire  pré- 
valoir l'une  ou  l'autre.  Or  ,  à  Élée , 
dans  la  Grande-Grèce  ,  au  milieu  des 
établissements    de    Pythagore  ,    ce 
qui  devait  prévaloir  était  l'élément 
pythagoricien.   De  là   Parménide  , 
Mélisse  et  Zenon.  Mais  il  faut  bien 
se  garder  d'attribuer  à  Xénophane 
le  système  simple  et  un  de  ses  suc- 
cesseurs; il  faut  lui  laisser  le  système 
mixte  e(   complexe    qui  le    carac- 
térise et  constitue  son  originalité.  — 
La  partie  du  système  de  Xénophane 
qui  porte  l'empreinte  de  l'esprit  io- 
nien est  et  devait  être  sa  partie  cos- 
mologiqûe  et  physique.  Mais  qu'est- 
ce  que  l'esprit  ionien  ?  le   sensua- 
lisme en  toutes  choses;  l'amour  du 
plaisir  dans  la  vie;  en  politique  , 
des    goûts    démocratiques    et    des 
mœurs  serviles ;  dans  l'art,  la  pré- 
dominance de  la  grâce;  dans  la  reli- 


XEN 

gion, l'anthropomorphisme,  et  dans 
la  philosophie,  qui  est  l'expression 
la  plus  générale  de  l'esprit  d'un  peu- 
ple ,  un  empirisme  plus  ou  moins  in- 
génieux, une  curiosité  assez  hardie  , 
mais  toujours  dans  le  cercle  et  sous 
la  direction   de  la  sensibilité.  Or, 
qu'enseignent  les  sens?  ce  qui  paraît, 
non  ce  qui  est.  Que  peuvent  donc  en- 
seigner les  sens  sur  l'ordre  du  mon- 
de >  le  système  des  apparences.  L'ap- 
parence pour  l'homme  est  que  lui- 
même,  et  avec  lui  cette  terre  qu'il 
habite,  est  le  centre  de  toutes  cho- 
ses.   Selon   l'apparence   encore ,  la 
terre,  étant  solide  et  immobile,  doit 
être   infinie    dans    sa    partie   infé- 
rieure. Au  contraire,  le   soleil,  la 
lune  et  tous  les  astres  se  meuvent  , 
et  tournent  autour    de    la    terre  , 
non  pas  au-dessous  de  sa  base,  qui 
semble  infinie ,  mais  autour  de  son 
sommet   et  de  sa  surface,  de  ma- 
nière que  le  ciel  entier  n'est  qu'un  ap- 
pendice de  la  terre.  Voilà  ce  que  di- 
sent les  sens  et  l'apparence  ;  c'est  là 
le  fond  de  la  cosmologie  ionienne  et 
de  celle  de  Xénophane.  Il  est  si  vrai 
que  Xénophane  fait  mouvoir  le  soleil 
et  tous  les  astres ,  que  même  ,  selon 
lui ,  le  soleil,  la  lune  et  les  astres  en 
général  ne  sont  que  des  nuages  en- 
flammés, dans  un  mouvement  per- 
pétuel. Selon  lui,  c'est  la  condensa- 
tion des  nuages  qui  donne  aux  astres 
l'apparence  de  la  consistance  ;  c'est  le 
plus  ou  moins  d'inflammation  des 
nuages  qui  fait  le  plus  ou  moins  de 
lumière  des  astres,  détermine  leur 
lever  et  leur  coucher  :  les  éclipses  ne 
sont  que  des  extinctions  momenta- 
nées de  nuages.  Les  auteurs  oii  nous 
puisons  ces  résultats  sont,  il  est  vrai, 
très-postérieurs;  mais  leur  unanimité 
leur  donne  une  autorité  irrésistible. 
Ce  sont  :  Plutarque ,  DcPlac.  PhiL, 
II,  T3;Galien,  xiii;  Stohce, Ed. 


XEN 

PhfS.y  I ,  'i5  ;  ëdit.  Heeren ,  p.  5 1 '2 , 
et  Acliilles  Talius,  sur  Aratus,chap. 
II.  Nous  nous  contenterons  de  rap- 
porter le  passage  de  ce  dernier  au- 
teur :  Xénophane  dit  que  les  astres 
sont  composés  de  nuages  enflam- 
més ;  qu'ils  s'éteignent  et  se  rallu- 
ment comme  des  charbons;  que 
lorsqu'ils  s'allument ,  nous  nous  fi- 
gurons qu'ils  se  lèvent ,  et  qu'ils  se 
couchent  lorsqu'ils  s' éteignent.  En- 
fin Stobëe,  Ed. y  p.  5oo,  en  parlant 
des  comètes ,  dit  que  Xënophane  re- 
garde tout  cela  comme  des  assem- 
blages et  des  moui>ements  de  nua- 
ges enflammés.  Nous  cioyons  que 
par-là  Stobee  fait  plutôt  allusion  à 
l'opinion  connue  de  Xënophane  sur 
les  astres,  qu'il  ne  sigualeson  opinion 
sur  les  comètes  en  particulier.  Du 
moins  nous  ne  retrouvons  ailleurs 
aucune  trace  d'une  opinion  quelcon- 
que de  Xënophane  sur  les  comètes. 
Si  les  astres  sont  des  nuages  en- 
flammes ,  il  suit  qu'ils  brillent  d'un 
éclat  qui  leur  est  propre ,  et  que  par 
consëquent  la  lune  n'emprunte  pas 
sa  lumière  au  soleil.  Xënophane  s'é- 
cartait eu  cela  du  système  dëjà  bien 
plus  profond  de  Thaïes,  poursuivre 
celui  d'un  autre  Ionien ,  Anaximan- 
dre,  système  en  harmonie  avec  son 
opinion  sur  la  nature  de  la  substan- 
ce de  la  lune  et  des  astres ,  et  plus  con- 
forme à  l'apparence  immédiate.  Les 
astres  rëduits  à  des  nuages ,  reste  à  sa- 
voir d'oii  viennent  les  nuages  qui  for- 
ment les  astres.  Plutarque,  Plac. 
Phil. ,  II,  20  j  Galien,et  peut-être 
Stobëe,  Ecl.^  \j  26 ,  sur  l'autoritë  de 
Thëophraste.  attribuent  à  Xënopha- 
ne l'opinion  que  les  feux  dont  se 
composent  les  astres  viennent  d'exha- 
laisons humides ,  c'est  -  à  -  dire ,  des 
exhalaisons  qui  s'échappent  de  la  ter- 
re et  de  l'eau.  Voilà  donc ,  en  der- 
nière analyse,  le  ciel  entier  établi ,  non 

LI. 


XEN  353 

plus  seulement  comme  un  appendice, 
mais  comme  une  émanation  de  la 
terre,  laquelle  est  à-la-fois  le  centre 
et  le  principe  de  l'univers.  La  cos- 
mologie de  Xënophane  se  résout  ain- 
si dans  sa  géologie.  On  n'est  pas 
d'accord  sur  la  doctrine  des  éléments 
qu'il  avait  adoptée.  Les  uns  lui  font 
admettre  quatre  éléments,  les  au- 
tres deux,  d'autres  un  seul.  Tou- 
tes ces  contradictions  ne  sont  qu'ap- 
parentes. Selon  lui ,  la  terre  ve- 
nait de  l'eau  ;  et  dans  ce  sens ,  l'eau 
était  le  principe  de  toutes  choses;  mais 
une  fois  que  la  terre  est  sortie  de 
l'eau  et  constituée,  c'est  la  terre  qui 
produit  tout  ce  qui  est ,  tout  ce  que 
nous  pouvons  connaître  :  dans  ce  sens 
la  terre  aussi  est  le  principe  des 
choses.  De  cette  manière  voilà  deux 
principes  liés  ensemble  et  également 
nécessaires.  Il  y  a  plus;  comme  il 
paraît  d'après  Plutarque  et  Galien 
que  pour  constituer  la  terre,  la 
durcir  et  lui  donner  de  la  solidité  , 
Xënophane  admettait  l'intervention 
nécessaire  de  l'air  et  du  feu,  c'est 
de  là  probablement  que  sera  venue 
l'opinion  de  Diogène  de  Laërte  que 
Xënophane  admet  quatre  éléments. 
Quant  à  la  forme  et  aux  bornes  de  la 
terre ,  Xénophane  comme  pour  tout 
le  reste  n'allait  pas  plus  loin  que 
l'apparence  et  le  jugement  grossier 
des  sens.  De  ce  que  l'œil  croit  aper- 
cevoir la  fin  de  la  terre  au  bout  de 
l'horizon ,  Xénophane  concluait  que 
la  surface  de  la  terre  est  finie;  et,  de 
ce  que  la  terre  semble  stable  et  im- 
mobile ,  il  concluait  qu'elle  est  in- 
finie dans  sa  partie  inférieure.  Sur  ce 
point  nous  avons  les  témoignages 
les  plus  positifs  d'auteurs  graves,  dont 
l'autorité  est  ici  décisive.  Aristote,  de 
Cœlo,  11^  i3,  lui  attribue  l'infinité 
de  la  partie  inférieure  de  la  terre. 
Simplicius,  en  commentant  ce  pas- 

23 


3^4  XEN 

sage  ,  affirme  que  Xënophane  in- 
venta cette  hypothèse  pour  ex- 
pliquer la  fixité'  de  la  terre.  C'est 
ainsi  que  l'interprète  encore  George 
Pachymère  ,  page  ii8.  Propter 
quietem  et  stabilitatem  id  quod 
deorsùm  vcrgit  in  terra  ,  Infinitum 
esse  ait.  Voyez  aussi  Plutarque , 
de  Placit  philos.  ,  m,  9,  11,  et 
Galien  ,  xxi.  Quand  Piularque  , 
dans  Eusèbe  ,  Prœp.  evang. ,  page 
23,  et  Origcne,  edit.  Wolf ,  page 
98 ,  font  dire  à  Xënophane  t/îv  yr/j 
ânstpov  slvat  ,  il  faut  entendre  et 
suppléer  t/}v  y.dzcù  y^v.  Acliilles 
Tatius  sur  Aratus ,  édit.  Junt.  , 
page  84  ,  rapporte  deux  vers  où 
Xënophane  s'explique  nettement  à 
cet  égard  :  —  La  borne  de  la 
terre  par  en  haut  se  voit  à  vos 
pieds  y  —  Elle  est  tout  près  de  vous; 
mais  par  en  bas  elle  s'enfonce  dans 
V infini.  Aussi  Achilles  Tatius  conclut- 
il  de  ce  passage  que  Xënophane  ne 
croyait  pas  la  terre  suspendue  dans 
l'air',  et  Cosmas  remarque  très- 
bien  que ,  puisqu'il  pose  la  par- 
tie inférieure  de  la  terre  comme  in- 
finie ,  il  ne  peut  admettre  qu'elle  soit 
une  sphère.  Cette  conclusion  néces- 
saire ,  tirée  par  Cosmas  ,  est  très- 
importante  ,  et  nous  prions  le  lecteur 
de  s'en  bien  souvenir.  Si  la  base  de 
la  terre  est  infinie,  il  suit  que  la 
terre  ne  peut  être  environnée  d'air 
par  tous  les  cotés ,  il  suit  donc  que 
l'air  ne  peut  être  infini.  Cepen- 
dant l'auteur  et  le  commentateur 
du  traité  de  Cœlo  prêtent  à  Xëno- 
phane l'opinion  que  l'air  est  infini , 
opinion  appuyée  par  l'auteur  de 
rouvruge  sur  Xënophane,  Zenon  et 
Gorgias,  lequel  dit  expressément  que 
Xënophane  admet  l'infinité  de  la 
terre  et  de  l'air ,  et  cite  un  vers  d'Em- 
pédocle  contre  l'infinité  de  la  terre  et 
de  Tair,  qui  ne  peut  guère  être  di- 


XEN 

rigé  que  contre  Xënophane.  Voilà 
donc  deux  infinis  ,  ce  qui  semble 
contradictoire.  Mais  en  effet ,  il  n'y  a 
pas  contradiction  ,  si  l'on  suppose 
que  l'infinité  de  la  terre  ne  s'appli- 
que qu'à  la  base  de  la  terre  ,  et  que 
l'infinité  de  l'air  ne  s'applique  qu'à 
la  partie  siipéricure  de  l'espace  ;  de 
sorte  que  la  terre  serait  une  espèce 
de  cône  dont  la  base  se  perdrait  dans 
l'infini ,  taudis  que  le  sommet  serait 
environné  de  l'air  infini  dans  lequel 
s'agiteraient  les  astres  ,  le  soleil ,  la 
lune  ,  émanations  de  la  terre  qui  lui; 
serviraient  pour  ainsi  dire  de  cou- 
ronne. On  dira  que  deux  infinis  sont 
une  étrange  métaphysique  :  c'est 
celle  des  yeux  et  des  sens  ,  celle  de 
l'enfance  de  la  raison  humaine.  Tâ- 
chens  de  nous  faire  une  idée  claire 
du  système  de  Xënophane.  I!  paraît 
avoir  admis  que  le  fond  de  notre 
terre  est  ferme  et  se  déroule  dans  une 
étendue  sans  bornes  en  régions  et  en 
mondes  infinis  et  innombrables.  Ainsi 
au-dessous  de  la  terre  pas  de  change- 
ments ;  la  surface  seule  est  sujette  à 
des  révolutions.  Mais  cette  surface 
est  naturellement  couverte  d'eau  ;  de 
là  la  terre  et  l'eau  comme  éléments 
de  toutes  choses.  L'eau  se  retire  et 
revient  ^  voilà  le  principe  des  révo- 
lutions ,  le  principe  de  tous  les  chan- 
gements des  formes  extérieures  de  la 
terre.  Mais  sans  air  et  sans  feu  pas 
de  durcissement  possible  de  la  sur- 
face de  la  terre.  L'air  et  le  feu  sont 
donc  nécessaires  pour  la  constitution 
de  la  terre  habitable;  voilà  donc 
deux  nouveaux  principes  ,  et  en  tout 
quatre  principes  ,  comme  le  veut 
Diogène  de  Laërte.  Sans  admettre 
l'infinité  de  l'air  dans  toutes  les  di- 
mensions, et  sans  le  faire  circuler 
autour  de  la  terre ,  on  peut  admettre 
son  infinité  en  hauteur  au-dessus  de 
la  terre  et  autour  de  son  sommei 


I 


XEN 

infinité  dans  le  sein  de  laquelle  se- 
ront les  astres  ,  le  soleil ,  la  lune  ou 
même  plusieurs  lunes  ,  considérées 
comme  des  vapeurs  terrestres.  On 
voit  alors  tout  le  reste  suivre  de  la 
manière  la  plus  simple:  tous  les  êtres, 
plantes  et  animaux,  sortant  du  limon 
de  la  terre,  l'homme  expose  sans 
cesse  à  voir  le  fruit  de  ses  travaux 
détruit  par  le  retour  de  la  mer  sur 
cette  terre  qu'il  possède  à  peine,  de- 
vant tout  au  temps  et  au  travail  , 
faisant  des  dieux  à  son  image  ,  et  les 
prêtres  et  les  poètes  consacrant  et 
répandant  dans  leur  intérêt  ces  dé- 
lires de  l'imagination.  C'est  là  ce 
qu'on  peut  tirer  des  fragments  de 
Xénophane  ,  que  nous  allons  mettre 
successivement  sous  les  yeux  du  lec- 
teur. On  connaît  le  vers  où  il  re- 
présente le  soleil  comme  échauf- 
fant et  fe'condant  la  terre.  Voilà 
le  principe  de  la  production.  *Au 
milieu  de  tous  les  êtres  l'homme  se 
distingue  à  peine  de  l'animal ,  son 
ame  n'est  qu'un  souffle  de  feu  :  Xéno- 
phane n'a  pas  d'autre  psychologie. 
Il  était  impossible  qu'un  philosophe 
qui  tirait  toutes  choses  de  la  terre  et 
de  l'eau  ,  admît  l'opinion  populaire 
que  les  dieux  ont  doté  l'homme  à  sa 
naissance  des  plus  riches  trésors  en 
tout  genre  qu'il  a  dissipés  peu-à-peu. 
L'hypothèse  que  l'homme  est  né  par- 
fait ,  et  que  l'âge  d'or  est  le  com- 
mencement des  choses  ,  devait  pa- 
raître à  Xénophane  une  extravagance 
des  poètes ,  et  il  devait  se  prononcer 
fortement  pour  l'opinion  opposée  qui 
fait  naître  l'homme  faible  et  dépour- 
vu, et  considère  la  civilisation,  l'ordre, 
le  bonheur  et  rintelligcuce  comme 
des  conquêtes  lentes  et  progressives 
du  travail  et  du  temps.  C'est  ce 
qu'expriment  ces  vers  depuis  imités 
et  répétés  tant  de  fois  :  —  Non , 
les   dieux    n'ont  pas  tout  donné 


XEN 


355 


aux  mortels  dans  l'origine  •  — 
C*est  l'homme  qui  avec  le  temps 
et  le  trai^ail  a  amélioré  sa  desti- 
née. La  guerre  que  Xénopha  ne  a 
faite  à  la  mythologie  résulte  néces- 
sairement de  tout  ce  qui  précède. 
Si  le  mouvement  naturel  de  l'anie 
est  de  se  projeter  pour  ainsi  di- 
re hors  d'elle-même  et  de  trans- 
porter les  qualités  du  sujet  de  la 
pensée  à  ses  objets ,  aussitôt  que 
l'expérience  arrive  et  aborde  directe- 
ment le  monde  extérieur ,  elle  le 
dépouille  des  caractères  qu'une  in- 
duction irréfléchie  lui  avait  prêtés, 
et  remplace  la  mythologie  et  l'an- 
thropomorphisme par  des  explica- 
tions physiques.  Ainsi  bientôt  :  —  Ce 
quon  appelle  Iris  est  un  simple  nua- 
ge —  Qui  présente  à  l'œil  une  ap- 
parence rouge  et  verte,  l.es  Dios- 
cures  ,  ces  fils  de  Jupiter  qui  prési- 
dent à  la  navigation  ,  se  réduisent  à 
des  nuages  que  le  mouvement  fait 
étinceler  au-dessus  des  vaisseaux  , 
comme  des  astres.  On  ne  peut  pas 
se  prononcer  plus  fortement  contre 
l'anthropomorphisme  que  Xénopha- 
ne ne  le  fait  dans  les  ^er?,  suivants  : 

—  Ce  sont  les  hommes  qui  semblent 
avoir  produit  les  dieux  _,  —  Et  leur 
avoir  donné  leurs  sentiments.,  leur 
voix  et  leur  air  ;  et  encore  :  Si  les 
bœufs  ou  les  lions  avaient  des  mains ^ 

—  S'ils  savaient  peindre  avec  ces 
mains  et  faire  des  ouvrages  comme 
les  hommes  :  —  Les  chevaux  se  ser- 
viraient des  chevaux  et  les  bœufs 
des  bœufs,  —  Pour  représenter  leurs 
idées  des  dieux ,  et  ils  leur  don- 
neraient des  corps  —  Tels  que 
ceux  qu'ils  ont  eux-mêmes.  L'ad- 
versaire de  l'anthropomorphisme  et 
de  la  mythologie  devait  être  celui 
d'Hésiode  et  d'Homère.  Cela  suffit 
pour  expliquer  les  critiques  sévères 
qu'il  en  fit ,  et  dont  plus  tard  peut- 

23.. 


356 


XEN 


{*tre  y  on  n'aura  pas  compris  Tin- 
tention  purement  philosophique  :  — 
Homère  et  Hésiode  ,  dit-il ,  ont 
attribué  aux  dieux ^ — Tout  ce  qui 
est  déshonorant  parmi  les  hom- 
mes :  — [^e  vol  y  r adultère ,  la  trahi- 
son. Aulu-Gelle  prétend  que  Xéno- 
phane  préférait  Hésiode  à  Homère  ; 
il  n'en  dit  pas  la  raison  ,  mais  il  est 
probable  que  c'était  parce  que  la 
mythologie  d'Hésiode  a  un  caractère 
plus  philosophique  que  celle  d'Ho- 
mère ,  et  n'est  pas  aussi  anthropo- 
morpbiqiie.  H  nous  semble  impossi- 
ble de  méconnaître  dans  ces  frag- 
ments, sur  chaque  point  comme  dans 
l'ensemble  ,  le  caractère  de  l'esprit 
ionien,  et  une  tendance  absolument 
opposée  à  la  philosophie  pythago- 
ricienne. Selon  les  pythagoriciens  le 
soleil  est  au  centre  du  monde  et 
immobile  ,  et  la  terre  tourne  autour 
de  lui  ;  elle  est  si  loin  d'être  infinie 
par  aucun  côté  ,  qu'elle  est  sphéri- 
que.  Les  éléments  du  monde  sont  des 
nombres  dont  les  combinaisons  tou- 
tes mathématiques  constituent  l'or- 
dre universel.  La  physique  pythago- 
ricienne est  entièrement  mathéma- 
tique y  et  par  conséquent  idéale.  Au 
contraire  chez  Xénophane  tout  est 
matériel.  Comme  les  Ioniens  ,  il  s'ar- 
rête à  l'apparence  sensible  j  au  lieu 
de  remonter  à  ses  principes  intellec- 
tuels ,  il  part  de  cette  apparence  et 
il  n'en  sort  pas.  Le  point  de  départ, 
la  route  et  le  but  ,  la  méthode  et  les 
résultats ,  chez  lui  tout  est  emprunté 
aux  sens  et  à  la  matière ,  tout  est 
profondément  ionien.  Et  non-seule- 
ment l'esprit  général  de  son  système 
physique  rappelle  le  pays  où  d  na- 
quit ,  et  passa  les  trois  quarts  de  sa 
vie,  mais  toutes  les  parties  de  ce  sys- 
tème attestent  qu'il  connaissait  les 
doctrines  diverses  qui  depuis  Thaïes 
avaient  successivement   paru  dans 


XEN 

rionie.  On  retrouve  dans  sa  physi- 
que   l'eau    de   Thaïes ,   l'air   d'A- 
naxiracne  ,    le  feu  d'Heraclite;  car 
son  long  âge  a  très-bien  pu  lui  faire 
connaître  ce  philosophe.  Sa  psycho- 
logie _,  si  opposée  à  celle  de  Pythago- 
re ,  est  tout  ionienne.  Quant  à  son 
antipathie  pour  l'anthropomorphis- 
me  et  la  mythologie  ,   elle  lui  est 
commune  avec    les   Ioniens   et   les 
pythagoriciens  ,     l'idéalisme    et    le 
matérialisme    se    réunissant  contre 
l'idolâtrie.  En  cela  donc  Xénopha- 
ne reproduit  encore  et  rappelle  les 
idées    de  son   pays  j    et    en    mê- 
me  temps  ,   dans  toutes    ses  atta- 
ques contre  la  mythologie,  il  y  a 
quelque  chose  de  grave  et  de  reli- 
gieux ,  qui  fait  sentir  que  son  systè- 
me entier  ne  se  réduit  point  à  la  cos- 
mologie et  à  la  physique  ioniennes,  et 
qu'un   souffle  pythagoricien  a  passé 
par -là.  —  Nous  demandons,   par 
exemple ,  s'il  serait  possible  de  trou- 
ver dans  quelque  philosophe  ionien  , 
avant  Anaxagoras  ,  des  vers  qui  res- 
semblassent le  moins  du  monde   à 
ceux-ci  :  —  Un  seul  dieu,  supérieur 
aux  dieux  et  aux  hommes  ,  —  Et 
qui  ne  ressemble  aux  mortels  ni  par 
la  fleure  ni  par  l'esprit.  Saint  Clé- 
ment ,  qui  nous  a  conservé  ces  vers  , 
les  caractérise  fort  bien  en  disant 
que  Xénophane  y  enseigne  l'unité  et 
la  spiritualité  de  Dieu.  Où  trouverait- 
on  aussi  dans  un  philosophe  ionien , 
avant  Anaxagoras  ,  ce  vers  :  Sans 
connaître  la  fatigue  ,  il  dirige  tout 
par  la  puissance  de  l'intelligence. 
Ces  deux  fragments  précieux  sépa- 
rent déjà  leur    auteur   des   philoso- 
phes ioniens.  Mais  des  témoignages 
bien  plus  précis  et  plus  étendus  ne 
laissent  aucun  doute  à  cet  égard  ,  et 
nous  avons  ici  un  avantage  que  nous 
n'avons  pas  toujours  eu  pour  la  phy- 
sique de  Xénophane  y  c'est  de  mar- 


XEN 

cher  sur  un  sol  plus  ferme ,  et  ap- 
puyés sur  des  autorités  d'un  tout 
autre  poids.  Précédemment  nous 
étions  réduits,  la  plupart  du  temps  , 
à  des  renseignements  puisés  dans  les 
écrivains  d'un  âge  inférieur  et  dépour- 
vusde  critique:  ici  nous  avons  toujours 
pour  guides  Aristote  et  Simplicius, 
et  encore  avec  ce  singulier  avantage 
que  ces  deux  excellents  esprits  ne 
nous  rapportent  pas  seulement  les 
opinions  de  Xénophane  y  mais  la 
manière  dont  il  les  établissait  ;  non- 
seulement  la  lettre,  mais  l'esprit 
de  ces  opinions.  Or ,  on  y  voit 
à  découvert  le  plus  pur  et  le  plus 
noble  théisme  y  c'est-à-dire  une 
doctrine  qui  ue  se  trouvait  alors 
que  chez  les  pythagoriciens  de  la 
Grande  -  Grèce.  Et  ce  qui  est  de 
la  plus  haute  importance ,  Aristote 
et  Simplicius ,  en  reproduisant  l'ar- 
gumentation de  Xénophane  ,  nous 
apprennent  par-là  que  s'il  avait 
profité  de  l'esprit  nouveau  qu'il 
rencontra  sur  les  côtes  de  l'Ita- 
lie, il  resta  fidèle  à  l'esprit  de  liberté 
qui  caractérisait  les  Ioniens.  En  ef- 
fet, au  lieu  de  poser  simplement  des 
dogmes ,  comme  aurait  fait  un  pytha- 
goricien ordinaire,  s'il  eût  même  osé 
enfreindre  le  secret  prescrit  aux  mem- 
bres de  l'institut  pylhagorique  ,  au 
lieu  de  prononcer  des  sentences  et 
presque  des  oracles,  et  de  parler  par 
symboles  ,  Xénophane  raisonna.  Les 
Ioniens  l'avaient  fait  en  physique  ; 
mais  la  plus  haute  difficulté  est  de 
donner  à  la  pensée  une  direction  ré- 
gulière alors  même  qu'elle  s'élance 
hors  du  monde  _,  et  de  porter  l'ordre 
et  la  lumière  là  où  tout  semble  sim- 
ple pressentiment ,  intuition  immé- 
diate et  révélation.  On  peut  dire 
que  Xénophane  a  l'honneur  des  pre- 
miers essais  de  dialectique.  Aristote 
dans  son  livre  sur  Xénophane  y  Sim- 


XEN  357 

plicius  dans  son  commentaire  sur  la 
physique  d' Aristote,  et  Théopliraste 
dans  Bessarion  ,  nous  ont  conservé 
le  corps  de  l'argumentation  par  la- 
quelle Xénophane  démontrait  que 
Dieu  n'a  pas  eu  de  commencement 
et  n'a  pas  pu  naître.  Il  est  impossi- 
ble de  ne  pas  éprouver  une  impres- 
sion profonde  et  presque  solennelle 
en  présence  de  cette  argumentation  , 
quand  on  se  dit  que  c'est  là  peut-être 
la  première  fois  que  ,  dans  la  Grèce 
au  moins ,  l'esprit  humain  a  tenté  de 
se  rendre  compte  de  sa  foi  ,  et  de 
convertir  ses  croyances  en  théories. 
Il  est  curieux  d'assister  à  la  nais- 
sance de  la  philosophie  religieuse  : 
la  voilà  ici  au  maillot,  pour  ainsi 
dire;  elle  ne  fait  encore  que  bé- 
gayer sur  ces  redoutables  problè- 
mes; mais  c'est  le  devoir  de  l'ami  de 
l'humanitéd'écouter  avec  attention  et 
de  recueillir  avec  soin  les  demi-mots 
qui  lui  échappent,  et  de  saluer  avec 
respect  la  première  apparition  du 
raisonnement.  Voici  l'argumentation 
de  Xénophane,  telle  qu' Aristote  et 
Simplicius  nous  l'ont  conservéc.Aris- 
tote,  ch.  3:  «  Il  est  impossible  d'ap- 
»  pliquer  à  Dieu  l'idée  de  naissance, 
»  car  tout  ce  qui  naît  doit  naître  né- 
»  cessairement  ou  de  quelque  chose 
»  de  semblable,  ou  de  quelque  chose 
»  de  dissemblable.  Or  ici  l'un  et  l'au- 
»  tre  est  impossible ,  car  le  sembla- 
»  ble  n'a  pas  d'action  sur  le  sembla- 
»  ble,  et  ne  peut  pas  plus  le  produire 
»  qu'en  être  produit.  .  .  .  D'un  autre 
»  côté  le  dissemblable  ne  peut  naître 
»  du  dissemblable  :  car  si  le  plus 
»  fort  naissait  du  plus  faible  ,  ou  le 
»  plus  grand  du  plus  petit,  ou  le 
»  meilleur  du  pire  ,  ou  bien  tout  au 
»  contraire  le  pire  du  meilleur,  l'être 
»  sortirait  du  non-être ,  ou  le  non- 
»  être  sortirait  de  l'être  ,  ce  qui  tsX. 
»  impossible.  Il  faut  donc  que  Dieu 


358 


XEN 


»  soit  éternel.  »  Il  importe  de  lire  la 
même  argumentation  abre'gée  dans 
Simplicius ,  de  la  lire  re'duite  encore 
dans  Bcssarion;  il  ne  faut  pas  même 
négliger  le  passage  de  Plutarque  dans 
Eusèbe,  passage  qui,  au  milieu  d'er- 
reurs graves  ,  contient  d'heureux 
e'claircisscments  au  morceau  d'Aris- 
tote ,  et  où  Plutarque  reconnaît  posi- 
tivement queXcnopliane  a  pris  ici  un 
chemin  qui  lui  est  propre  ;  et  en  ef- 
fet Diogène  assure  que  Xcnophane 
le  premier  démontra  que  tout  ce  qui 
naît  périt.  C'est  ici  qu'on  voit  poin- 
dre à  son  aurore  le  principe  qui  doit 
un  jour  devenir  si  célèbre  :  l'être  ne 
peut  sortir  du  non-être ,  le  non-être  ne 
peut  rien  produire, c'est-à-dire,  rien 
ne  se  fait  de  rien.  Voilà  la  première 
expression  peut-être  du  principe  de  la 
causalité.  Xcnophane  n'a  point  in- 
venté ce  principe  j  il  est  inhérent  à 
Tesprit  humain  qui  le  possédait , 
s'en  servait  et  l'appliquait,  ou  plutôt 
était  dominé  et  gouverné  par  lui  dans 
toutes  ses  démarches ,  mais  à  son  insu  j 
car  ce  qui  échappe  le  plus  à  l'intelli- 
gence est  précisément  ce  qui  lui  est 
le  plus  intime.  Tirer  ce  principe  des 
profondeurs  et  des  ténèbres,  où  il  agit 
spontanément  et  se  développe  d'une 
manière  concrète  _,  vivante  et  ani- 
mée, le  dégager  à  la  lumière  de  la 
réflexion,  et  le  transformer  en  une  loi 
et  en  une  formule  abstraite  et  généra- 
le, dont  l'esprit  acquiert  la  conscien- 
ce, et  qu'il  exa«nine  en  quelque  sorte 
com'me  un  objet  extérieur  :  telle  est 
la  gloirede  la  philosophie.  La  conclu- 
sion de  celte  argumentation  dans 
Aristote  est ,  «  que  puisque  Dieu  ne 
))  peut  pas  naître ,  il  ne  peut  pé- 
»  rir ,  tout  ce  qui  est  né  périssant 
»  nécessairement,  tandis  que  ce  qui 
»  n'est  pas  né,  c'est-à-dire,  ce  qui 
))  ne  devient  pas  un  être  parle  moyen 
)>  d'un  autre,  mais  ce  qui  est  un  être 


XEN 

»  en  soi-même,  est  éternel.  »  Ce  n'est 
plus  là  seulement  le  principe  de  cau- 
salité* c'est  la  conception  distinc- 
te de  l'accident  et  de  la  substance,  de 
l'être  phénoménal  et  de  l'être  en  soi, 
et  l'altribiition  de  la  notion  de  cor- 
ruptibilité  à  l'un,  et  de  la  notion 
d'incorruptibilité  et  d'éternité  à  l'au- 
tre, c'est-à-dire  le  principe  de  la 
substance  avec  tout  son  cortège. 
Voici  une  autre  argumentation  où 
Xénophanc  déduit  l'unité  de  Dieu 
de  sa  toute-puissance  et  de  sa  tou- 
te-bonté. Sans  doute  ,  avant  lui  , 
les  notions  de  l'imité  ,  de  la  bonté  et 
de  la  puissance  de  Dieu  ne  man- 
quaient point  aux  hommes ,  et  on  les 
avait  même  exprimées  avec  toute  la 
force  et  l'éclat  du  sentiment;  mais 
personne^  que  nous  sachions,  n'a- 
vait essayé  de  trouver  le  rapport 
qui  unit  ces  idées  entre  elles  ;,  de  ma- 
nière à  en  faire  la  matière  d'un  rai- 
sonnement ,  et  à  en  construire  la 
théorie  qu'Aristote  nous  a  conser- 
vée, a  Si  Dieu  est  ce  qu'il  y  a  de  plus 
M  puissant,  Xcnophane  dit  qu'il  doit 
»  être  un  5  car  s'il  était  deux  ou  plu- 
»  sieurs ,  il  ne  serait  pas  ce  qu'il  y  a 
»  de  plus  puissant  et  de  meilleur.  Ces 
»  diflérents  dieux  étant  égaux  entre 
»  eux,  seraient  chacun  ce  qu'il  y  a 
))  de  plus  puissant  et  de  meilleur  j 
»  car  ce  qui  constitue  un  Dieu ,  c'est 
»  d'être  le  plus  puissant,  et  non  d'ê- 
»  tre  surpassé  en  puissance,  de  sorte 
»  que  si  Dieu  n'est  pas  ce  qu'il  y  a 
»  de  plus  puissant,  il  n'est  pas  par 
M  cela  même.  Si  l'on  suppose  qu'il  y 
»  en  a  plusieurs ,  ou  il  y  a  entre  eux 
»  des  inférieurs  et  des  supérieurs  ,  et 
))  alors  il  n'y  a  pas  de  Dieu ,  car  la 
»  nature  de  Dieu  est  de  ne  rien  ad- 
»  mettre  de  plus  puissant  que  soi  ;  ou 
»  ils  sont  égaux  entre  eux,  et  alors 
»  Dieu  perd  sa  nature ,  qui  est  d'ê- 
»  tre  ce  qu'il  y  a  de  plus  puissant  ; 


XEN 

»  car  Tëgal  n'est  ni  meilleur  ni  pire 
»  que  son  égal  ;  de  sorte  que  s'il  y  a 
»  un  Dieu,  et  s'il  est  tel  que  doit 
»  être  un  Dieu ,  il  faut  que  Dieu  soit 
»  un;  car  si  l'on  admet  plusieurs 
»  Dieux ,  Dieu  ne  pourra  pas  tout  ce 
»  qu'il  voudra.  »  Il  faut  voir  dans 
Simplicius  tout  ce  raisonnement  abrè- 
ge' :  «  Xënopliane  conclut  l'unité  de 
»  Dieu  de  sa  toute  puissance;  car 
»  s'il  y  a  plusieurs  Dieux,  dit-il,  il 
»  faudrait  nécessairement  que  tous 
i)  eussent  également  la  suprême  puis- 
»  sauce  ,  car  la  toute-puissance  et  la 
»  louie-Lonté  est  le  Cviractère  essen- 
»  tiel  de  la  Liivinilé.  »  II  faut  voir  aus- 
si dans  Bessarion  l'extrait  de  Tliéo- 
pliraste.  C'est  là  la  première  ten- 
tative qui  ait  été  faite  de  porter  la 
dialectique  jusque  dans  les  qualités 
essentielles  de  Dieu ,  de  soumettre 
ces  qualités  à  une  dépendance  ré- 
ciproque ,  et  d'en  former  une  théo- 
rie. Et  celle  théorie  est  restée 
dans  la  philosophie  non-seulement 
comme  un  exemple  respectable  des 
premiers  efforts  de  la  raison  ,  mais 
comme  un  modèle  que  Ton  a  depuis 
sans  cesse  imité  en  le  surpassant,  et 
comme  la  source  de  tous  les  raison- 
nements du  même  genre.  Voilà  donc 
dès  l'origine  de  la  philosophie  grec- 
que, Dieu  conçu  et  établi  comme 
souverainement  puissant,  souverai- 
nement bon ,  et  par  cela  même  com- 
me essentiellement  un;  ce  n'est  plus 
seulement  la  cause  et  la  substance 
de  toutes  choses,  comme  nous  l'a- 
vions vu  précédemment ,  c'est  la 
cause  et  la  substance  sous  un  point 
de  vue  plus  intellectuel,  c'est  la  sa- 
gesse et  la  bonté,  c'est  déjà  un  Dieu 
moral.  Or,  où  Xrnophane  aurait-il 
trouvé  le  plus  faible  germe  de  cette 
doctrine  dans  ses  devanciers  ou  dans 
ses  contemporains  de  l'Ionie  avant 
Anaxagoras?  Au  contraire,  l'esprit 


XEN 


359 


qui  pouvait  l'y  conduire  e'tait  dans 
les  pythagoriciens  de  la  Grande-Grè- 
ce, il  faut  donc  supposer  que  cette 
doctrine  n'a  aucun  antécédent  histo- 
rique ,  ou  la  rapporter  à  sa  cause 
la  plus  probable  ,  le  voisinage  de 
l'école  de  Pylhagore.  La  présence 
de  deux  esprits  opposés  ,  dans 
la  physique  et  la  théologie  de 
Xénophane,  est  évidente,  et  elle 
atteste  deux  sortes  d'antécédents, 
à  travers  lesquels  il  a  passé  , 
et  dont  il  forme  le  point  de  réu- 
nion. Mais  comment  a-t-il  allié  les 
contraires  ?  Comment  la  physique 
ionienne  se  mêle-t-elle  dans  Xénopha- 
ne à  la  théologie  pythagoricienne, 
et  quel  tout  résulte  de  cette  combi- 
naison ?  C'est  ce  qu'il  s'agit  de  re- 
connaître, car  c'est  précisément  cet- 
te combmaison  qui  caractérise  la 
doctrine  propre  de  Xénophane  ,  lui 
donne  une  physionomie  particulière 
et  lui  assigne  un  rôle  original  dans 
l'histoire  de  la  philosophie  de  cette 
époque.  —  L'école  ionienne  et  l'école 
pythagoricienne  ont  introduit  dans 
la  philosophie  grecque  les  deux  élé- 
ments fondamentaux  de  toute  philo- 
sophie^ savoir  :  la  physique  et  la 
théologie.  Voilà  donc  la  philosophie 
en  possession  des  deux  idées  sur  les- 
quelles  elle  roule ,  l'idée  du  monde 
et  celle  de  Dieu.  Les  deux  termes  ex- 
trêmes ,  et  pour  ainsi  dire  les  deux 
pôles  de  toute  spéculation  étant  don- 
nés ,  il  ne  reste  plus  qu'à  trouver 
leur  rapport.  Or ,  la  solution  qui  se 
présente  d'abord  à  l'esprit  humain 
préoccupé  qu'il  est  nécessairement  de 
l'idée  de  l'unité,  c'est  d'absorber  l'un 
des  deux  termes  dans  l'autre ,  d'iden- 
tifier le  monde  avec  Dieu  ou  Dieu 
avec  le  monde,  et  par-là  de  tran- 
cher le  nœud  au  lieu  de  le  résoudre. 
Ces  deux  solutions  exclusives  sont 
toutes  deux  bien  naturelles.  Il  est  na- 


36o 


XEN 


turel ,  quand  on  a  le  sentiment  de  la 
vie  et  de  cette  existence  si  variée  et 
si  grande  dont  nous  faisons  par- 
tie, quand  on  considère  Tétendue 
de  ce  monde  visible  et  en  même 
temps  l'harmonie  qui  y  règne  et  la 
beauté'  qui  y  reluit  de  toutes  parts , 
de  s'arrêter  là  où  s'arrêtent  les  sens 
et  l'imagination ,  de  supposer  que  les 
êtres  dont  se  compose  ce  monde  sont 
les  seuls  qui  existent,  que  ce  grand 
tout  si  harmonique  et  si  un  est  le 
vrai  sujet  et  la  dernière  application 
de  l'idée  de  l'imite',  qu'en  un  mot  ce 
tout  est  Dieu.  Exprimez  ce  résultat 
en  langue  grecque ,  et  voilà  le  pan- 
théisme. Le  panthéisme  est  la  con- 
ception du  tout  comme  Dieu  uni- 
que. D'un  autre  côté,  lorsque  l'on 
découvre  que  l'apparente  unité  du 
tout  n'est  qu'une  harmonie  et  non  une 
unité  absolue,  une  harmonie  qui  ad- 
met une  variété  infinie ,  laquelle  res- 
semble fort  à  une  guerre  et  à  une  ré- 
volution constituée ,  il  n'est  pas 
moins  naturel  de  détacher  de  ce 
monde  l'idée  de  l'unité ,  qui  est  in- 
destructible en  nous ,  et  ainsi  déta- 
chée du  modèle  imparfait  de  ce 
monde  visible,  de  la  rapporter  à 
un  être  invisible  placé  au-dessus  et 
en  dehors  de  ce  monde,  type  sacré 
de  l'unité  absolue,  au-delà  duquel  il 
n'y  a  plus  rien  à  concevoir  et  à  cher- 
cher. Or  ,  une  fois  parvenu  à  l'unité 
absolue ,  il  n'est  plus  aisé  d'en  sor- 
tir, et  de  comprendre  comment  l'uni- 
té absolue  étant  donnée  comme  prin- 
cipe, il  est  possible  d'arriver  à  la 
Pluralité  comme  conséquence  j  car 
unité  absolue  exclut  toute  pluralité. 
Il  ne  reste  donc  plus ,  relativement 
à  cette  conséquence  ,  qu'à  la  nier  ou 
tout  au  moins  à  la  mépriser,  et  à  re- 
garder la  pluralité  de  ce  monde  visi- 
ble comme  une  ombre  mensongère 
de  l'unité  absolue  qui  seule  existe, 


XEN 

une  chute  à  peine  compréhensible, 
une  négation  et  un  mal  dont  il  faut 
se  séparer  pour  tendre  sans  cesse  au 
seul  être  véritable  ,  à  l'unité  absolue, 
à  Dieu.  Voilà  le  système  opposé  au 
panthéisme.  Appelez-le  comme  il 
vous  plaira  ,  ce  n'est  pas  autre  chose 
que  l'idée  d'unité  appliquée  exclusi- 
vement à  Dieu,  comme  le  panthéisme 
est  la  même  idée  appliquée  exclusi- 
vement au  monde.  Or,  encore  une 
fois,  ces  deux  solutions  exclusives  du 
problème  fondamental  sont  aussi  na- 
turelles l'une  que  l'autre,  et  cela  est 
si  vrai ,  qu'elles  reviennent  sans  ces- 
se à  toutes  les  grandes  époques  de 
l'histoire  de  la  philosophie ,  avec  les 
modifications  que  le  progrès  des 
temps  leur  apporte  ,  mais  au  fond 
toujours  les  mêmes  ,  et  que  l'on  peut 
dire  avec  vérité  que  l'histoire  de  leur 
lutte  perpétuelle  et  de  la  domination 
alternative  de  l'une  ou  de  l'autre  a 
été  jusqu'ici  l'histoire  même  de  la 
philosophie.  C'est  parce  que  ces  deux 
solutions  tiennent  au  fond  même  de 
la  pensée  qu'elle  les  reproduit  sans 
cesse  dans  une  impuissance  égale 
de  se  séparer  de  l'une  ou  de  l'autre , 
et  de  s'en  contenter.  En  effet,  l'une 
ou  l'autre  prise  isolément  ne  suiFit 
point  à  l'esprit  humain ,  et  ces  deux 
points  devue  opposés,  si  naturels ,  et 
par  conséquent  si  durables  etsiviva- 
ces,  exclusifs  qu'ils  sont  l'un  de  l'au- 
tre, sont  par  cela  même  également 
défectueux  et  insulfisanls.  Un  cri 
s'élève  contre  le  panthéisme.  Tout 
l'esprit  du  monde  ne  peut  absoudre 
cette  doctrine  ,  et  réconcilier  avec 
elle  le  genre  humain.  On  a  beau 
faire,  si  l'on  est  conséquent,  on  n'a- 
boutit avec  elle  qu'à  une  espèce  d'a- 
me  du  monde  ,  comme  principe  des 
choses  ,  à  la  fatalité  comme  loi 
unique ,  à  la  confusion  du  bien  et  du 
mal ,  c'est-à-dire,  à  leur  destruction 


XEN 

dans  le  sein  d*ime  unité  vague  et 
abstraite,  sans- ^ujet  fixe;  car  l'u- 
nité absolue  n'esi  certainement  dans 
aucune  des  parties  de  ce  monde 
prise  se'parement  ;  comment  donc 
serait-elle  dans  leur  ensemble?  Com- 
me nul  effort  ne  peut  tirer  l'absolu 
et  le  nécessaire  du  relatif  et  du 
contingent,  de  même  de  la  plura- 
lité' ,  ajoutée  autant  de  fois  qu'on  a  ou- 
dra  à  elle-même,  nulle  généralisa- 
tion ne  tirera  l'unité. mais  seulement 
la  totalité.  Au  fond,  le  panthéisme 
roule  sur  la  confusion  de  ces  deux 
idées  si  profondément  distinctes. 
D'une  autre  part,  l'unité  sans  plu- 
ralité n'est  pas  plus  réelle  que 
la  pluralité  sans  unité  n'est  vraie. 
Une  unité  absolue  qui  ne  sort  pas 
d'elle-même  ou  ne  projette  qu'une 
ombre ,  a  beau  accabler  de  sa  gran- 
deur et  ravir  de  son  charme  mys- 
térieux, elle  n'éclaire  point  l'esprit, 
et  elle  est  hautement  contredite  par 
celles  de  nos  facultés  qui  sont  en 
rapport  avec  ce  monde  et  nous  at- 
testent sa  réalité  ,  et  par  toutes  nos 
facultés  actives  et  morales ,  qui  se- 
raient une  dérision  et  accuseraient 
leur  auteur ,  si  le  théâtre  où  l'obli- 
gation de  s'exercer  leur  est  imposée 
n'était  qu'une  illusion  et  un  piège. 
Un  Dieu  sans  monde  est  tout  aussi 
faux  qu'un  monde  sans  Dieu  :  une 
cause  sans  effets  qui  la  manifestent , 
ou  une  série  indéfinie  d'effets  sans 
une  cause  première  j  une  substance 
qui  ne  se  développerait  jamais  ,  ou 
un  riche  développement  de  phéno- 
mènes sans  une  substance  qui  les  sou- 
tienne j  la  réalité  empruntée  seule- 
raentau  visible  ou  à  l'invisible  .-d'une 
et  d'autre  part  égale  erreur  et  égal 
danger ,  égal  oubli  de  la  nature  hu- 
maine, égal  oubli  d'un  des  côtés 
essentiels  de  la  pensée  et  des  choses. 
Entre  ces  deux  abîmes ,  il  y  a  lo«g- 


XEN  36 1 

temps  que  le  bon  sens  du  genre  hu- 
main fait  sa  route;  il  y  a  long-temps 
que ,  loin  des  écoles  et  des  systèmes, 
le  genre  humain  croit  avec  une  égale 
certitude  à  Dieu  et  au  monde.  Il  croit 
au  monde  comme  à  un  effet  réel,  cer- 
tain ,  ferme  et  durable  ,  qu'il  rappor- 
te à  une  cause,  non  pas  à  une  cause 
impuissante  et  contradictoire  à  elle- 
même  ,  qui ,  délaissant  son  effet ,  le 
détruirait  par  cela  même,  mais  à 
une  cause  digne  de  ce  nom ,  qui,  pro- 
duisant et  reproduisant  sans  cesse,  dé- 
pose ,  sans  les  épuiser  jamais  ,  sa 
force  et  sa  beauté  dans  son  ouvra- 
ge ;  il  y  croit  comme  à  un  ensemble 
de  phénomènes ,  qui  cesserait  d'être 
à  l'instant  où  la  substance  éternelle 
cesserait  de  les  soutenir  ;  il  y  croit 
comme  à  la  manifestation  visible 
d'un  principe  caché  qui  lui  parle 
sous  ce  voile  ,  et  qu'il  adore  dans 
la  nature  et  dans  sa  conscience. 
Voilà  ce  que  croit  en  masse  le  genre 
humain.  L'honneur  de  la  vraie  phi- 
losophie serait  de  recueillir  cette 
croyance  universelle  ,  et  d'en  don- 
ner une  explication  légitime.  Mais 
faute  de  s'appuyer  sur  le  genre  hu- 
main _,  et  de  prendre  pour  guide  le 
sens  commun ,  la  philosophie ,  s'é- 
garant  jusqu'ici  à  droite  ou  à  gauche, 
est  tombée  tour-à-tour  dans  l'une  ou 
l'autre  extrémité  de  systèmes  égale- 
ment vrais  sous  un  rapport ,  égale- 
ment faux  sous  un  autre ,  et  tous 
vicieux  au  même  titre ,  parce  qu'ils 
sontégalementexclusifset  incomplets. 
C'est  là  l'éternel  écueil  de  la  philo- 
sophie. Ces  deux  tendances  exclusi- 
ves sont  représentées  en  grand  dans 
l'histoire  de  l'humanité  ,  par  l'Orient 
et  par  la  Grèce,  et  particulièrement 
en  Grèce  par  la  philosophie  de  la  ra- 
ce ionienne  et  par  celle  de  la  race 
dorienne.  La  tendance  panthéiste  est 
évidente  dans  la  philosophie  ionien- 


ne ,  qui,  disciple  des  sens  et  de  Tap- 
parence ,  s'occupe  de  ce  monde ,  mais 
ne  croit  qu'à  lui ,  et  ne  clierclie  rien  . 
au-delà ,  prenant  tour  -  à  -  tour  pour 
principe  des  choses  l'eau  ,  la  terre  , 
l'air  ou    le   feu  sépares  ou  reunis, 
mais  ne  s'ëlevant  jamais  à  un  prin- 
cipe invisible  et  idéal.   Au  conlrai- 
re,  la    philosophie   pythagoricien- 
ne idéalise  tout,  et  part  de  princi- 
pes invisibles.  Xënophane,  Ionien  et 
Italien    à-la-fois  ,  qui  participa  de 
ces  deux  philosophies  ,  les  combina- 
t-il  de  raaiiicre  à  les  fondre  ensemble, 
et  à  les  tempérer  l'une  par  l'autre 
dans  le  sein  d'un  sage  éclectisme, 
qui ,  s'élevant  en  esprit  jusqu'au  Dieu 
un  et  invisib'e,  aurait  su  le  recon- 
naître aussi  dans  la  vie  et  la  variété 
de  ce  monde,  et  admettre   le  tout, 
non  pas  comme  Dieu,  mais  comme 
divin?  Xéno[)hane  releva-t-il  lepan- 
théisme  en  le  rattachant  au  théisme, 
comme  l'eflét  à  la  cause ,  et  vivilia- 
t-il  le  théisme  en  en  tirant  le  pan- 
théisme, comme  du  sein  de  la  cause 
sort  et  se  développe  la  série  indéfi- 
nie   des  effets  ?    Devança-t-il   ainsi 
l'ordre  des   temps   et    son   siècle  ? 
IN  on  :  personne  ne  devance  son  siè- 
cle ;  chacun   fait  son   rôle  5  et  Xë- 
nophane n'a    pas    dérobé    à    Pla- 
ton celui  qui  avait  été  assigné  à  ce 
grand  homme  ,    à  son  siècle  et  à 
Athènes.    Mais  Xénophane  y  préci- 
sément parce  qu'il  fut  l'homme  et  le 
philosophe  de  sa  situation  et  de  son 
temps,  ne  devait  pas  tomber  et  n'est 
tombé   en    etïet  ni    dans    l'une    ni 
dans  l'autre  des  deux  tendances  ex- 
clusives qui  se  combattaient  alors  j 
mais  ,  ayant  participé  de  l'une  et  de 
l'autre  ,  il  en  fit  une  combinaison  qui 
le  sépare  à-la-fois   et  le  rapproche 
des  pythagoriciens  et  des  Ioniens^ 
mêla  les  deux  esprits  de  ses  deux  pa- 
tries , et  sans  garderune  mesure  par- 


XPN 

faite  entre  l'un  et  l'autre ,  les  ad- 
mit assez  tous  lesd;'Mx  pour  qu'il  soit 
injuste  de  l'accuser  d'une  tendance 
exclusive  prononcée;,  et  surtout  de 
panthéisme.  Cependant  l'accusation 
de  panthéisme  pèse  depuis  des   siè- 
cles sur  Xénophane.  Examinons  cet- 
te accusation.  Pour  qu'on  eût  le  droit 
de  Taccuser  de  panthéisme  ,  il  fau- 
drait  de  deux  choses  l'une,   ou  nier 
tout  ce  que  nous  avons  rapporté  de 
son  théisme  ,  sa  démonstration   de 
l'éternité  de  Dieu ,  et  de  son  unité 
tirée    de    sa    puissance    et    de    sa 
bouté  suprême  ,  c'est-à-dire  nier  ce 
qu^il  y  a  précisément  de  plus    au- 
thentique et   de  plus   certain  dans 
les   anciens    témoignages  ;  ou  pré- 
tendre que  ce  qu'Aristote  et  Sim- 
pljcius  font  dire  à  Xénophane  sur 
Dieu  ,  qu'il  est  éternel  ,  un  ,  tout- 
puissant  et  tout  bon ,  il  l'a  dit  du 
monde  et  de  l'ensemble  des  choses  vi- 
sibles. C'est  ce  qu'on  a  prétendu. 
Faute  de  bien  entendre  les  passages 
d'AristotCj  et  attribuant  à  Xénopha- 
ne  une  opinion  exclusive  pour  le 
comprendre  plus  aisément ,  car  rien 
n'est  plus  clair  et  plus  précis  que 
l'exclusif,  des  écrivains  postérieurs , 
dépourvus    de    critique,    ont    fait 
dire  du   monde  et  du  tout  à  Xé- 
nophane ce  qu'Aristote  et  Simpli- 
cius  lui  font  dire  de  Dieu  et  de  l'u- 
nité. Plutarque,  de  Plac.phil.  ,  II  , 
4  :  «  Selon  Xénophane  le  monde  n'a 
»  pas  eu  de  commencement,  il  estéter- 
»  nel  et  incorruptible.  »  Stubée,  Ed. 
Phys.ycà. Heeren ,  p.  4 1 6, lui  prctela 
même  opinion. Théodoret,  deJJJect. 
cur. ,  IV  :  «  Le  tout  est  un ,  il  est 
»  sphérique.  »  Origène,  p.  g5  :  «  Le 
»  tout  n'a  pas  été  produit  et  ne  peu 
y)  être  détruit ,  il  est  immuable,  u 
»  et  en   dehors  du   changement. 
Plutarque,  dans  la  Prép.  ^P'.d'Eusè 
be:  c(  Le  tout  est  un  et  toujours  ëga 


« 


« 


XEN 

»  à  lui-même.  »  Si  ces  témoignages 
étaient  certains,  ils  contiendraient 
l'identité  de  Dieu  et  du  monde ,  c'est- 
à-dire  le  plus  mauvais  panthéisme. 
Mais  il  n'en  est  rien ,  et  il  est  prouvé 
au  contraire  par  l'autorité  d'Aristote 
que  Xéiiophane  n'attribue  l'cteinité 
et  l'unité  qu'à  Dieu,  à  celui  auquel 
il  attribue  en  même  temps  la  suprê- 
me puissaijce  et  la  suprême  bonté. 
En  ièg!e  générale ,  on  ne  .^aurait  ad- 
mettre avec  trop  de  réserve  les  asser- 
tions non  motivées ,  courtes  et  obscu- 
res des  écrivains  des  siècles  infé- 
rieurs, ni  accorder  trop  de  coniiance 
à  Aristote  qui  non- seulement  rap- 
porte les  opinions  de  Xenophane  , 
mais  en  développe  et  en  commente 
les  motifs.  11  y  a  plus  ,  les  idées  de 
Xénopliane  sur  le  monde  ,  telles  que 
nous  les  avons  rapportées  en  traitant 
de  sa  physique,  et  la  phipart  du 
temps,  d'après  Stobée ,  'Ihéodo- 
ret  ,  le  faux  Plutarque  et  le  faux 
Origène  ,  sont  absolument  incompa- 
tibles avec  celles  que  ces  mêmes  écri- 
vains lui  attribi:enl  maintenant.  Par 
exemple,  une  des  choses  qui  ont  pa- 
ru le  mieux  démontrer  le  panthéisme 
de  Xenophane  est  sa  célèbre  assimi- 
lation de  Dieu  à  une  sphère;  mais 
c'est  précisément  de  cette  expression 
bien  comprise  que  l'on  peut  déduire 
avec  le  plus  de  certitude  la  distinc- 
tion de  Dieu  et  du  monde.  îSi  Xeno- 
phane eût  admis  en  physique  que  le 
monde  est  une  sphère,  dire  ensuite 
que  Dieu  est  spheiique  ,  serait  une 
confession  évidente  de  panthéisme  ; 
mais  nous  avons  vu  que,  loin  d'ad- 
mettre la  forme  sphérique  de  la  terre, 
il  prétend  le  contraire,  ci  que  le  con- 
traire résulte  nécessairement  de  son 
système  entier  sur  la  terre  ,  dont  il 
pose  la  partie  inférieure  comme  in~ 
linie  ,  ce  qui  détruit  toute  sphéricité 
possible, ainsi  que  plusieurs  auteurs , 


XEN  363 

et  entre  autres  Cosmas ,  Font  très- 
bien  remarqué.  Si  donc  le  monde  ne 
peut  être  sphérique  ,  dire  que  Dieu 
l'est,   ce    n'est  pas  les   confondre. 
L'épithète    de    sphérique  est   tout 
simplement   une    locution   grecque 
qui   désigne   la   parfaite   égalité  et 
l'unité  absolue  qui  ne  conviennent 
qu'à     Dieu ,    et    dont    une   sphère 
peut  donner  quelque  image.  Il  n'est 
pas  étonnant  que  Xenophane,  poè- 
te aussi  bien  que  philosophe  ,  écri- 
vant  en    veis  ,  et  peu  capable  en- 
core de  trouver  les  expressions  mé- 
taphysiques qui  répondaient  à   ses 
idées  ,  ait  emprunté  à  la  langue  de 
l'imagination  l'expression  qui  pou- 
vait le  miei:x  rendre  sa  pensée  pour 
lui-même  et  la  faire  entendre  aux  au- 
tres ,  et  représenter  à  l'entendement 
encore  enveloppe  dans  les  sens  celui 
qui  est  un ,  égal  et  semblable  à  lui- 
même.    Voilà  bien  ce  que  disent  les 
plus  anciens  auteurs.  Aristote,  ibid.  : 
a  Dieu   en  tant  qu'absolument  sem- 
»  blable  à  lui-même  est  sphérique  , 
»  car  il  n'est  pas  semblable  à  lui- 
»  même  par  un  colé  et  dissemblable 
»  par   un   autre,  il  est  absolument 
»  semb'able  et  identique.  »  Cicéron, 
Acad.yiv ,  3>'j  :  «  Unum  ideniDciim^ 
neque  natuin  miquam,  et  sempiter- 
num  ,  con^lobata  figura.  nl\ esiéyi- 
dent  que  dans  ces  deux  passages  l'ex- 
pression dont  nous   nous  occupons 
n'est  là  que  comme  une  comparai- 
son et  une  métaphore,  et  qu'elle  té- 
moigne d'un  théisme  sévère.  Sextus 
hmpiricus  ccmmencedéjà  à  dépraver 
l'exjiression  de  Xenophane,  et  à  la  rat- 
tacher indirectemeiit  à  un  point  de 
vue  panthéiste. //;^'/?of.  /.  ;  «  Dieu  ha- 
bite dans  le  tout  ;  il  est  sphérique.  » 
J/jpot.  III  :  «  Dieu  est  une  sphère 
impassible.  »   Diogène  lui  fait  dire 
d'une  manière  plus  vicieuse  encore  et 
même  absurde  :  «  L'essence  de  Dieu 


estsphérique.  »  Et  Théodoret,  déjà 
cité  :  <c  Le  tout  est  un;  il  est  sphe- 
rique.  »  Sans  poursuivre  plus  long- 
temps   ces  citations,  nous  croyons 
avoir  suiFisamment  de'montré  que  la 
conclusion  que  l'on  a  voulu  tirer  de 
cette  expression  est  :  i».  en  contra- 
diction   manifeste  avec   le  système 
physique  de  Xënopliane,  qui  fait  du 
tout  et  du  monde  non  une  sphère  , 
mais  un  cône  dont  la  base  est  infinie 
et  le  sommet  couronné  par  les  astres; 
2».  en  contradiction  avec  l'interpré- 
tation des  auteurs  les  plus  dignes  de 
confiance.  Ce  même  Aristote,  auquel 
on  revient  toujours  comme  au  guide 
le  plus  sûr  dans  les  anciens  systèmes 
philosophiques,  nous  a  conservé  de 
Xénophane  une  opinion  qui  montre 
assez   bien  l'état  de  son  esprit ,   le 
désir  de  ne  point  identifier  Dieu  avec 
le  monde ,  et  cependant  de  n'en  pas 
faire  une  abstraction.   Or  ,  l'Ionien 
dans  Xénophane  est  toujours  un  peu 
porté  à  regarder  comme  une   abs- 
traction et  comme  n'existant  pas  ce 
qui  n'a  pas  d'existence  visible  et  ap- 
préciable. L'idée  d'un  être  infini,  et 
qui  serait  en  dehors  du  mouvement , 
lui   paraissait   une    idée  purement 
négative  ,   qu'il    craignait  d'appli- 
quer à  Dieu  ,  en  même  temps  qu'il 
lui  répugnait  j    comme  pythagori- 
cien ,  d'en  faire  un  être  fini ,  mobile 
et  uniquement  doué  des  qualités  de 
ce  monde,  a  Dieu  est  éternel  ,  un  et 
»  sphérique  ,  il  n'est  ni  infini  ni  fini, 
w  car  être  infini  c'est  n'être  pas,  c'est 
»  n'avoir  ni  milieu ,  ni  commence- 
»  ment,  ni  fin  ,  ni  aucune  autre  par- 
»  tie  ,  c'est  ainsi  qu'est  l'infini  ;  or  , 
»  l'être  ne  peut  pas  être  comme  le 
»  non-être.D'un  autre  côté,  pour  qu'il 
»  fût  fini_,  il  faudrait  qu'il  fût  plu- 
»  sieurs  ;  or  ,    l'unité  n'admet  pas 
»  plus  la  pluralité  que  la  non-exis- 
»  tence  :  l'unité   n'a  rien  qui  la  li- 


XEN 

»  mite.  »  SimpHcius  dans  son  com- 
mentaire  dit   exactement  la  même 
chose,  ainsi  que  Théophraste  dans 
Bessarion.  Cette  opinion  était  trop 
délicate  et  trop  complexe  pour  ne 
pas  s'altérer  en  passant  des  mains 
d'Aristote  dans  celles  des  critiques 
postérieurs.  Comme  il  est  plus  aisé 
de  comprendre  le  système  qui  fait  de 
Dieu  un  être  fini  ou  un  être  infini , 
les  critiques  se  sont  partagé  l'opinion 
de  Xénophane  ,  et  ils  lui  font  dire,  les 
uns  que  Dieu  est  fini,  les  autres  qu'il 
estiniini.  Ainsi  il  paraît  qu'Alexandre 
d'Aphrodise  ,  trompé  par  l'expres- 
sion  de  sphérique ,  faisait  dire   à 
Xénophane  que  Dieu  est  fini.   Ori- 
gène  et  Galien  le  répèlent  ainsi  que 
Jean  Philopon   et    ce   même   Sim- 
plicius  que    nous   avons   vu    tout- 
à-l'heure  commenter  si  exactement 
Aristote  sur  l'unité  de  Xénophane. 
D'un  autre  coté  d'autres  critiques,  se 
jetant   à   l'extrémité   opposée ,    ont 
prétendu    qu'il   fait    de  Dieu    tout 
ce  qui  est  infini.   C'est  ce   que  dit 
Gicéron,  de  Nat.  Deor.,  l,  i,  et  ce 
que  répète  Minucius  Félix.  Simpli- 
cius  nous  rapporte  que  Nicolas  de 
Damas  prête  à  Xénophane  l'opinion 
que  le  principe  des  choses  est  infini 
et  immuable.  Mais  il  est  impossible 
de  savoir  si  Nicolas  de  Damas  parle 
ici  de  Dieu  ou  de  la  terre ,  dont  en 
effet  Xénophane  faisait  la  base  im- 
muable et  infinie.  Enfin  Théophraste 
dans  Bessarion  dit  que  Xénophane 
prétend  dans  un  sens  que  Dieu  n'est 
ni  fini^  ni  infini,  et  que  dans  un  autre 
il  est  fini  et  même  sphérique.  Les 
mêmes  raisons  qui  faisaient  rejeter 
à  Xénophane  l'idée  de  fini  et  d'in- 
fini ,  appliquée  à  l'unité  ,  lui  firent 
aussi  séparer  de  l'unité  la  mobilité 
et  l'immobilité.  Aristote  (  ibid.  )  lui 
fait  dire  que  Dieu  ,  en  tant  qu'un 
n'est  ni  mobile   ni  immobile;  qi 


1 


XEN 

l'immobilité  est  une  non  -  existen- 
ce j   que  d'un  autre  côté  le  chan- 
gement   suppose   la     relativité     et 
la  divisibilité  ;    et    que   l'unité    ne 
tombe  ni   sous    l'une  ni  sous  l'au- 
tre de  ces  deux    suppositions    d'u- 
ne immobilité  abstraite  qui  est  une 
négation  d'existence,  ou  d'une  mo- 
bilité  destructive  de    l'unité.  Sim- 
plicius  dans  sou  commentaire  déve- 
loppe très  chiircment  cette  idée.  Ce- 
pendant Gicéron,    (lalien  et  Pliilo- 
pon  attribuent   à  Xénophane  l'opi- 
nion contraire,  et  Simplicius  nous  en 
a   conservé  deux  vers  qui  semblent 
bien  admettre  l'immobilité  du  pre- 
mier principe  :   —  //   reste    tou- 
jours   en   lui  -  même   sans    aucun 
changement;  —  Une  se  transporte 
pus  d'un  lieu  à  Vautre  ,  car  il  est 
identique  à  lui-même.  Quoi  qu'il  en 
soit  de  ce  point  particulier,  il  ne  reste 
pas  moins  incontestable  que  c'est  le 
mélange  indécis  de  théisme  et  de  pan- 
théisme qui  caractérise  le  système 
de  Xénophane.  Veut-on  y  trouver  le 
théisme  ?  qu'on  se  rappelle  tous  les 
passages  que  nous  avons  cilés^  et 
de  plus  cette  phrase  de  Diogène  de 
Laërte  :  a  Dieu  est  toute  intelligence 
»  et  toute  sagesse;  »  et  cette  autre 
dumêmeauteur:  «  Toute  pluralité  est 
»  inférieure  à  l'intelligence.  »    D'un 
autre  côté  veut-on  trouver  le  pan- 
théisme dans  Xénophane?  Outre  les 
passages  d'Aristote  sur  la  non-infi- 
nité et  la  non-immutabilité  de  Dieu  , 
et  les  assertions  des  écrivains  d'un 
âge  postérieur ,  on  n'a  qu'à  prendre 
ces  expressions  de  Sextus ,  Hjpot.  : 
«  Dieu  habite  dans  le  toutj  »  enfin 
le  vers  célèbre  qui  semble  bien  faire 
du   Dieu   de  Xénophane  l'ame  du 
monde  du  panthéisme  :  «  Il  est  toute 
»  vision  j  toute  intelligence  y  toute 
»  ouïe.  »  Mais  il   serait   profondé- 
ment injuste  déqualifier  de  panthéis- 


XEN  365 

me  le  système  total  deXénophane,car 
ce  serait  le  caractériser  par  une  seule 
de  ses  parties.  Sachons  voir  le  passé 
comme  il  a  été  ;  ne  prêtons  pas  à  un 
philosophe  du  sixième  siècle  avant 
l'ère  chrétienne  les  combinaisons  sa- 
vantes et  les   systèmes   précis  des 
Shilosophes   des  siècles  suivants  et 
es  temps   modernes.    Encore   une 
fois  ,  Xénophane  est  un  homme  de 
l'Ionie  et  de  la  Grande-Grèce ,  qui 
comme  les  Ioniens  a  philosophé  sur 
la   nature,   et  s'est  principalement 
occupé  du  monde  extérieur ,   mais 
qui  j  n'étant  pas  resté  étranger  aux 
spéculations    pythagoriciennes,   sut 
voir  dans  ce  monde  de  l'intelligen- 
ce ,  de  l'harmonie  et  de  l'unité,  et 
appela   Dieu  cette  unité  telle  qu'il 
la  voyait  et  la  sentait,  c'est-à-dire 
en   rapport  intime  avec  le    mon- 
de, ne  niant  pas  qu'elle  n'en  soit 
essentiellement  distincte  ,  mais   ne 
l'aiîlrmant  pas  non  plus.  C'est  cette 
indécision  qui    constitue    le    systè- 
me  de   Xénophane  ,    et    ici    nous 
sommes  heureux  de   pouvoir   nous 
appuyer  sur  l'autorité  d'un  passa- 
ge  de    la   Métaphysique,  où  Aris- 
tote  résume  avec  sa  justesse  et  sa 
profondeur  ordinaires  l'opinion  du 
fondateur  de   l'école  d'Elée.   Aris- 
tote ,  dans  ce  qui  précède  et  suit  ce 
passage,  divise  et  subdivise  tous  les 
points  de  vue  possibles  de  la  ques- 
tion de  l'unité ,  les  rapporte    aux 
différents    personnages    de    l'école 
d'Élée  ,  et  termine  ainsi  :   «  Xë- 
»  nophane  qui  le  premier  parla  de 
»  l'unité  ,    car     Parménide    passe 
»  pour   son   disciple  ,   n'a   pas   eu 
»  de  système  précis  ;  il  ne  paraît  pas 
»  s'être  prononcé  sur  la  nature  de 
»  cette  unité  (  si  elle  était  matérielle 
»  ou  spirituelle  ) ,  mais  en  contem- 
»  plant  l'ensemble  du  monde,  il  a  dit 
»  que  l'unité  est  Dieu.  »  Méi.  ^  édi- 


l 


366  XEN 

tion  Brandis,  I,  pag.  i8.  Tel  est  le 
jugement  auquel  ,    selon    nous,   il 
faut  s'arrêter.  En  essayant  de  donner 
plus  de  précision  au  système  de  Xëno- 
phane,  on  le  fausse.  Xe'nophane  eut 
donc  le  premier  Tidëc  de  l'unité  , 
mais  plutôt    par  intuition  que  par 
réllexion,  et  sans  s'être  pose  à  lui- 
même  et  sans  avoir  résolu  toutes  les 
questions  que  renferme  celle  de  Tu- 
nité  des  choses^  sans  aucune  subti- 
lité ,  et  sans  grande  méthode,  comme 
le  dit  Aristote  au  même  endroit.  La 
nature  entière  lui  parut  pleine  d'har- 
monie et  d'unité ,  et  il  appela  cette 
miité  Dieu,  mettant  à-la-fois  la  phi- 
losophie sur  la  route  d'un  théisme 
absolu  ,  ou  d'un  absolu  panthéisme. 
On  sait  ce  qu'ont  fait  Parménide  et 
récole  d'Élée.    Sans  doute  Xéno- 
hane  est  le  maître  de  Parménide  et 
e  fondateur  de  l'école  d'Élée^  mais 
celui    qui    commence    n'est    point 
celui  qui  finit.  Le  premier  qui  met 
une  idée  dans  le  monde  ,  non- seule- 
ment n'en  voit  pas  l'accomplisse- 
ment, mais  n'en  connaît  pas  la  por- 
tée; cette  idée  même  est  toujours 
indécise  à  sa  naissance.  N'attribuons 
donc  pas  à  Xénophaue  l'œuvre  de 
Parménide  ;  mais   en  même   temps 
convenons  que  le  germe  du  système 
de  Parménide  est  dans  Xénophane  , 
non  dans  la  partie   ionienne  de  ce 
système,  mais  dans  sa  partie  pytha- 
goricienne. Et  cela  est  si  vrai ,  que 
l'unité  qui   pouvait  être  dans    son 
successeur    matérielle   ou   spirituel- 
le ,    selon  la   prédominance  de  l'é- 
lément ionien  ou  pythagoricien ,  a 
été  spirituelle  et  exclusivement  spi- 
rituelle dans  Parménide;  que  pouvant 
devenir  entre    ses    mains   celle    du 
monde  ou  celle  de  Dieu,  elle  est  de- 
venue l'unité  divine ,  unité  solitaire 
et  retirée  en  elle-même  ,  devant  la- 
quelle le  monde  disparaît  et  n'est 


XEN 

plus  qu'une  apparence  insignifiante. 
Le  monde  ,  le  tout  est  si  peu  l'unité 
et  le  Dieu  de  Parménide  ,  que ,  selon 
Parménide  ,  en  partant  de  l'unité,  on 
ne  peut  arriver  au  tout  et  au  monde. 
Loin   d'être  panthéiste,  Parménide 
distingue  tellement  la  totalité  de  l'u- 
nité ,  le  TÔ  Tràv  du  To  ev ,  qu'il  nie  la 
totalitéetle  ro  Tràv  ,  et  s'enfonce  dans 
l'abîme  d'une  unité  absolue  qui  seule 
existe  ,  unité  sans  nombre  ,  existence 
sans  contenu  et  sans  réalité,  qui  n'est 
plus  qu'une  abstraction  sublime  ,  et 
ressemble   au  néant  de   l'existence. 
Xénophane   n'était  pas  allé  jusqu'à 
cette  extrémité  ;  mais  il  faut  avouer 
que  l'idée  de  l'unité   implantée  par 
lui  dans    le   sol   spiritu  iliste    d'I^'- 
lée  ,  devait  y  produire  ce   qu'elle 
a  produit.  Qu'on   juge   maintenant 
de  la    folie  de     ceux    qui ,    répé- 
tant ,  sans  aucune  critique  histori- 
que ni  philosophique  ,  des  assertions 
fondées   sur  des  textes   indignes  de 
foi  de  mauvais   écrivains    du  Bas- 
Empire  ,   ont  peu-  à  -peu  compose 
à     Xénophane    une    réputation  de 
panthéisme  ,    aujourd'hui    si    bien 
établie    et   si  bien    accréditée    au  - 
près  de  la  foule  philosophique,  qu'en 
attaquant  ce  préjugé  ridicule  ,  et  en 
substituant  ici  l'autorité  d'Âristote  à 
celle  de  Théodoret,  du  faux  Plutar 
que  et  du  faux  Orig'^ne,  c'est  nous  qui 
passerons  pour  téméraires  et  aurons 
l'air  d'avancer  un  paradoxe.  —  Une 
accusation  encore  plus  mal  fondée  et 
plus  étrange  que  celle  de  panthéisme 
a  été  portée  et  renouvelée  sans  cesse 
contre  Xénophane  ,  l'accusation  du 
scepticisme  universel.  Chose  admira- 
ble ,  tous  les  historiens  s'accordentà 
lui  attribuer  l'invention  du  scepticis- 
me universel,   en  même  temps  qu'ils 
exposent  tout  au  long  son  système 
sur  l'unité  absolue ,  et  l'accusent  de 
panthéisme ,   entassant    ainsi  pèle- 


XEN 

mêle  trois  contradictions.  Il  est  trop 
bizarre  en  vérité  de  commencer  par 
prêter  à  un  homme  mi  dogmatisme 
outré,  pour  finir  par  lui  reprocher 
d'avoir  introduit  dans  la  philosophie 
la  doctrine  de  l'incompréhensibilité 
de  toutes  choses.  Cet  étrange  préjugé 
repose ,  en  dernière  analyse,  sur  quel- 
ques vers  de  Xénophane  contre  la  my- 
thologie, que  Sextus  rapporte,  et  dont 
il  généralise  arbitrairement  la  con- 
clusion dans  un  sens  sceptique ,  au 
profit  de  son  école.  Une  fois  celte 
interprétation  de  Sextus  mise  eîi 
avant ,  elle  a  passé ,  détachée  des 
vers  qui  eussent  pu  la  rectifier,  de 
l'ouvrage  même  de  Sextus  dans  ceux 
d'écrivains  postérieurs  ,  historiens 
olliciels,  mais  trôs-peu  sûrs,  des  sys- 
tèmes philosophiques ,  oii  pourtant 
il  a  paru  plus  commode  aux  histo- 
riens modernes  d'aller  chercher  des 
opinions  toutes  faites  que  de  s'en 
former  à  eux  -  mêmes  par  l'étude 
approfondie  d'écrivains  d'un  accès 
plus  difficile,  mais  d'une  autorité  tout 
autrement  grave,  comme  Platon  ,  et 
surtout  Aristote.  Or ,  ici  Aristote,  qui 
a  si  souvent  parlé  de  Xénophane,  ne 
dit  pas  un  mot  de  son  prétendu  scep- 
ticisme universel.  Platon  n'en  parle 
pas  davantage*  et  il  faut  reléguer  cet- 
te opinion  parmi  les  nombreux  mal- 
entendus qui  remplissent  encore  l'his- 
toire de  la  philosophie.  En  résumé, 
nous  trouvons  queXénophTne,né6 17 
ans  avant  notre  ère,  et  dont  la  vie 
remplit  tout  un  siècle,  Ionien  de  nais- 
sance, est  resté  Ionien  dans  une  gran- 
de partie  de  ses  idées,  et  qu'arrivé, 
dans  sa  vieillesse,  au  milieu  des  co- 
lonies de  la  Grande-Grèce,  il  y  puisa 
quelque  chose  de  pythagoricien ,  qui, 
se  combinant  avec  ses  autres  idées  ;, 
en  composa  ce  système  si  bien  ca- 
ractérisé par  Aristote,  comme  un 
système  indécis ,  ou  le  théisme  et  le 


XEN  367 

panthéisme  coexistent,  avec  une  pré- 
dominanceassez  marquée  de  l'élément 
pythagoricien  et  théiste,  qui,  peu-à- 
peu  s'accroissant  et  se  développant , 
finit  par  absorber  l'élément  panthéis- 
te et  ionien  dans  l'unité  absolue  et 
l'idéalisme  exclusif  de  Técole  d'É- 
lée.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus 
un  des  meilleurs  titres  de  gloire  de 
Xénophane.  Il  commença  la  dialec- 
tique ,  et  fonda  cet  art  de  raisonner 
que  l'école  d'ÉIée ,  fidèle  à  Xéno- 
phane ,  a  porté  depuis  si  loin. — Aris- 
tote est  le  seul  philosophe  de  l'anti- 
quité qui  ait  consacré  un  livre  parti- 
culier à  l'école  d'ÉIée.  C'est  du  moins 
à  lui  que  l'on  attribue  le  livre  sur 
Xénophane ,  Zenon  et  Gorgias, 
Ce  livre  est  précieux  en  ce  que ,  non- 
seulement  il  rapporte  toute  la  méta- 
physique et  la  théologie  de  Xéno- 
phane ,  mais  aussi  l'argumentation 
par  laquelle  ce  dernier  essaya  de  dé- 
montrer et  de  lier  entre  elles  les  gran- 
des vérités  qu'il  exposait,  et  en  ce 
qu'il  donne  des  arguments  de  Xéno- 
phane une  critique  qui  contribue 
beaucoup  à  les  mettre  en  lumière. 
Malheureusement  cet  écrit  est  si  cor- 
rompu que  les  efforts  des  critiques  les 
plus  habiles  sont  loin  de  l'avoir  en- 
tièrement éclairci.  Les  travaux  les 
plus  distingués  dont  il  a  été  l'objet 
sont  ceux  de  Fiilleborn  :  Commenta- 
tio  qud  liber  de  Xénophane ,  Ze- 
none  et  Gorgid  passim  illustratur , 
Halle,  1789;  celuideSpaldiug:  Com- 
mentarius  in  primam  partem  libel- 
li  de  X en. y  Z .  et  G.,  prœmissisvin- 
diciis  philosophorum  megaricorum , 
Berlin  ,  1793  ;  et  celui  de  M.  Bran- 
dis ,  dans  son  excellent  écrit  :  Com- 
mentationum  eleaticarum  pars  pri- 
ma, Altona,  181 3.  Il  faut  lire  avec 
une  extrême  précaution  Diogène 
de  Laërte  ,  le  faux  Plutarque  ,  le 
faux  Origène ,  Galien  ,  Théodoret , 


368 


XEN 


etc.,  auteurs  sans  critique  comme 
sans  intelligence  ;  le  meilleur  ,  de 
beaucoup ,  est  encore  Diogène.  Sextus 
est  précieux  pour  les  fragments  qu'il 
nous  a  conservés.  Simplicius  e'clair- 
cit ,  en  l'abrégeant ,  l'ouvrage  d'A- 
ristole.  Chez  les  modernes ,  toutes  les 
histoires  de  la  philosophie  où  Xe'no- 
phane  trouve  sa  place,  présentent  en 
général  ces  deux  défauts  :  i**.  de  ne 
point  le  séparer  assez  de  Parmé- 
nide  et  de  l'école  d'Élée  ;  i^.  de  trop 
rapporter  au  monde  ce  que  Xéno- 
phane  ne  dit  que  de  l'unité  et  de  Dieu. 
Parmi  les  écrivains  qui  se  sont  occu- 
pés spécialement  de  ce  philosophe, 
il  faut  compter  :  yV Miev  j  Eroefnete 
Eleatische  Graeher ji^.  éd. ,  1724; 
Fœverlin,  Diss.  historicophilos.  de 
Xenophane y  Altdorf,  17 "29,  in-4".j 
Tiedemann,  Xenophanis  décréta, 
nov.  Blblioth.  ph'dol.  et  crit.,  vol. 
I ,  fasc.  1  ;  —  Fiiîleborn  ,  Beitrage 
zur  Geschichte  der  Philosophie  ;  le 
7^.  cahier  contient  une  collection, 
mais  incomplète,  des  fragments  de 
Xénophane,  et  le  i  ^^.  cahier,  un  essai 
sur  sa  philosophie  ;  —  Buhle,  Com- 
mentât, de  or  tu  et  progressa  pan- 
theismi  à  Xénophane  Colophonio , 
primo  ejus  auctore  _,  usque  ad  Spi- 
nosam,  Gôtt.,  1790,  in-4^. ,  et  aus- 
si dans  les  Mémoires  de  l'académie 
de  Gott.,  tome  x  ;  —  Brandis  _,  Com- 
ment. Eleat,  pars  prima ,  181 3. 
V.  G— N. 
XÉNOPHILE,  sculpteur  grec, 
qui ,  de  concert  avec  Straton,  fit  un 
Esculape  cité  par  Pausanias ,  comme 
étant  de  son  temps ,  à  Argos ,  la  statue 
la  plus  remarquable  de  cette  divinité. 
La  figure  du  dieu  en  marbre  blanc 
était  accompagnée  de  celle  d'Hygie , 
qui  était  debout,  et  des  figures  assises 
de  Xénophile  et  Straton ,  auteurs  de 
cet  ouvrage.  Cet  ensemble  de  figu- 
res^ selon  M.  Quatremère  de  Quincy , 


XEN 

qui  en  a  restitué  une  légère  idée  en 
gravure  dans  son  Jupiter  Olympien  , 
planche  xix,  n».  6_,  devait  être  une 
de  ces  nombreuses  compositions  qui , 
sous  le  nom  de  trônes,  ornaient  les 
sanctuaires  de  presque  tous  les  grands 
temples,  et  dont  l'auteur  cité  a  re- 
cueilli les  notions^  en  redonnant,  par 
la  critique  et  le  dessin ,  une  sorte 
d'existence  à  cette  partie  si  brillante, 
et  jusqu'ici  méconnue  de  l'art  des 
Grecs  et  de  leur  luxe  religieux.  Quant 
à  la  composition  renfermée  dans  le 
temple  d'Esculape  à  Argos ,  le  même 
critique  élève  quelque  doute  sur  la 
dénomination  des  deux  figures  assi- 
ses, que  Pausanias  donne  comme 
ayant  représenté  en  réalité  les  sculp- 
teurs Xénophile  et  Straton,  qui  au- 
raient placé  là  eux-mêmes  leur  pro- 
pre image.  Il  soupçonne  que  Pausa- 
nias aura  fort  bien  pu  ne  rapporter 
qu'une  de  ces  traditions  populaires, 
dont  il  y  a  beaucoup  d'exemples.  Il 
aura  suffi  que  les  sculpteurs ,  comme 
cela  est  souvent  arrivé  ,  aient  intro- 
duit dans  le  visage  de  ces  statues 
quelques  traits  de  leur  propre  phy- 
sionomie ,  pour  faire  naître  et  per- 
pétuer l'opinion  qu'elles  étaient  éri- 
gées en  leur  honneur.  M,  Quatremère 
de  Quincy  soupçonne  qu'elles  ont  dû 
représenter  deux  personnages  mysti- 
ques ,  dont  peut-être  on  ne  disait  pas 
le  nom  à  tout  le  monde  ,  et  qui  au- 
raient pu  être  Machaon  et  Podalyre, 
les  deux  fils  d'Esculape.  Toutefois 
ce  n*est  encore  là  qu'une  conjecture. 
L — s — E. 
XÉNOPHILE,  historien  dont 
on  ignore  la  patrie  et  l'époque  , 
n'est  cité  qu'une  seule  fois ,  dans  l'an- 
tiquité ,  comme  auteur  d'une  Histoi- 
re de  Lydie.  Voy.  Anonym.  de  mu- 
lierib.  quœ  bello  clar.  ^  dans  la  Bi- 
hliothek  der  acten  litter.  und  kunst , 
vi*^.  part. ,  inéd.f  p.  20.  Z. 


XEN 

XÉNOPHON ,  historien,  philoso- 
phe et  gëiie'ral  athénien  ,  était  lils  de 
Grylhis  ,  et  vit  le  jour  à   Erchie , 
bourfjade  ou  dème  de  la  trihu  Égci- 
de.  Nous   possédons   probablement 
tous  les  ouvrages  qu'il  avait  compo- 
sés, ou.  du  moins,  qui  furent  publiés 
de  son  temps  ;  et  nous  pouvons  nous 
faire  une  idée  exacte  de  ses  talents  et 
de  son  caractère  j  mais  les  diverses 
circonstances  de  sa  vie  ne  nous  sont 
connues  que  très-imparfaitement.  Il 
ne  nous  reste  en  etlet  qu'une  seule 
biographie  de  Xénophon,  celle  de 
Diogène  de  Laërte ,  rédigée ,  comme 
toutes  celles  de  ce  compilateur,  sans 
méthode  ni  critique  j  elle  a  d'ailleurs 
fort  peu  d'étendue ,  et  laisse  des  lacu- 
nes considérables  dans  plusieurs  par- 
lies  importantes  delà  vie  de  ce  grand 
homme.   Quelques  renseignements , 
épars  dans  les  autres  auteurs  anciens 
et  dans  les  écrits  de  Xénophon  lui- 
même,  sont  insuffisants  pour  remplir 
ces  lacunes;  en  sorte  qu'il  est  à-peu- 
près  impossible  d'écrire ,  d'une  ma- 
nière suivie  ,   sa  biographie  ,   sans 
avoir  recours  à  des  conjectures  plus 
ou  moins  probables  ,  pour  classer 
certains  faits  de  sa  vie,  ou  déterminer 
la  date  de  ses  divers  ouvrages.  Cette 
notice  ,  rédigée  d'après  les  sources 
originales  ,    contiendra  ,  du  moins  , 
tous  les  faits  positifs  que  l'antiquité 
fournit ,  et  les  principales  inductions 
que  peut  faire  naître  une  étude  ap- 
profondie de  ses  ouvrages.  —  Dès 
les  premiers  pas,  le  biographe  de 
Xénophon  setrouve  arrêté.  Avant 
d'aborder  l'exposé  des  événements  de 
la  vie  de  ce  grand  écrivain ,  il  est 
obligé  d'en  fixer  les  termes  extrêmes , 
parce  que  les  renseignements  à   cet 
égard  sont  en  contradiction,  soit  les 
uns  avec  les  autres,    soit  avec  ses 
écrits.  L'époque  de  sa  naissance  n'est 
établie  par   aucun  texte;  mais  ou 

LI. 


XEN  369 

pourrait  la  conclure  de  celle  de  sa 
mort,    fixée   par  Stésiclès  d'Athè- 
nes (1)  à  la  première  année  de  la 
I  o5^.  olympiade  (36o  avant  J.-C.  )  ; 
combinée  avec  la  durée  de  sa  vie, 
que  Lucien  estime  à  plus  de  quatre- 
vingt-dix  ans  (2);  sa  naissance   se 
trouverait  donc  ainsi  portée  à  l'an- 
née 45 1  ou45o  avant  J.-C.  Mais  l'as- 
sertion de  Stésiclès  est  combattue  et 
détruite  par  une  autorité  irréfraga- 
ble, celle  de  Xénophon  lui-même, 
qui,  dans  les  Helléniques,  fait  men- 
tion   de   l'assassinat  d'Alexandre  , 
tyran  de  Phères  (3);  événement  qui 
eut  lieu  la   4*=.  année  de   la    loS®. 
olympiade  (  357  av.  J.-C).  En  ou- 
tre, plusieurs  détails  du  traité  des 
revenus  de  l'Attique  se  rapportent 
à  l'année   suivante   (4).    Ainsi  ,    il 
a  vécu  au  moins  jusqu'à  l'an  356; 
mais  il  a  pu  difficilement  dépasser 
leterme  de  355  ou  354-  En  eiîét ,  Dio- 
gène  de   Laërte  (5)  et  Strabon  (6) 
rapportent  que  Socrate  lui  sauva  la 
vie  à  la  bataille  de  Délium,  en  l'an- 
née /^'i^.  Or ,  on  sait  que  les  jeunes 
Athéniens ,  enrôlés    à  dix-huit   ans 
pour  garderies  frontières  de  l'Attique, 
ne  sortaient  de  leur  pays  qu'à  vingt 
ans  révolus.  Xénophon  avait  donc 
au  moins  vingt  ans  en  4^4 J  ce  qui 
porte  sa  naissance  à  445  ou  444  ^  ^^^ 
sa  mort  à  355  ou  354.  Cette  anec- 
dote, il  est  vrai,  serait  fort  suspecte 
si  l'on  s'en  rapportait  à  l'assertion 
d'un  certain  Démocharis,  cité  par 
Athénée  (7),  qui  prétend  que  Socra- 
te n'a  jamais  porté  les  armes  ,  et  que 
Platon  a  eu  tort  de  lui  attribuer  une 


(1)  Ap.  Diog.  Laert.,  Il,  56. 

(2)  Jn  Macrnh. ,  §  21 . 

(3)  VI,  4,  35. 

(4)  Boeckb  ,  Staats/iauili.  cUr  Alhen. ,  I,  p. 

(5)  H,  22,  28. 

(6)  IX,  p.  4o3. 

(-)  V,  p.  210,  c.  n. 

•24 


3-].  XEN 

parlicipatlon  à  trois  expéditions  guer- 
rières, celles  dePotidée,  d' Amphipolis 
ctdeDélium.  Mais  on  n'hésitera  pas , 
je  pense  ,  entre  cette  assertion  d'un 
inconnu  et  le  témoignage  formel  de 
Platon,  qui  n'avait  nul  intérêt  de 
mentir,  et  qui  d'ailleurs  n'aurait  cer- 
tainement trompé  personne  à  Athè- 
nes. Quant  à  l'afTaire  de  Délium ,  la 
seule  qui  se  rapporte  à  notre  sujet, 
flérodicus  (S)  et  Gicéron  (g)  attes- 
tent aussi  la  part  que  Socrate  y  avait 
prise.  Il  nous  paraît  donc  impossi- 
ble de  ne  point  admettre  l'anecdote, 
d'autant  plus  qu'elle  se  trouve  en 
harmonie  avec  le  fait  conclu  du  tex- 
te même  de  Xénophon ,  et  de  celui 
de  Lucien.  Hutchinson,  Schneider  et 
d'autres  critiques  ont  déjà  répondu 
à  des  objections  qu'on  peut  tirer  de 
deux  textes  de  l'Anabase.  Dans  l'un  , 
Phalinus  (  i  o)  traite  Xénophon  de;>M- 
ne  homme  {vccf.via/.Q(;),  bien  qu'il  dut 
avoir  alors  quarante -trois  ou  qua- 
rante-quatre ans;  mais  on  a  prouvé 
que  v£ayt(7>toç,  coinmc  adolescens  en 
latin,  a  été  quelquefois  appliqué  à 
des  hommes  qui  avaient  passé  qua- 
rante ans.  On  peut  ajouter  que  Xéno- 
phon, dont  les  anciens  vantent  l'ex- 
trême beauté(  1 1  ),  pouvait  bien  paraî- 


(8)  Âp.  Athen. ,  V,  p.  ai5,  F. 

(ci)  Div.,  I,  54.  —  Ajoutez,  Simplicius  {inEpict., 
p.  i53  ,  A ,  Heins.  ;  346  ,  Schw.  ). 

(10)  Anab.,  II,  I  ,  i3. 
•  (11)  Laërt. ,  II,  48.  L'auteur  d'une  des  lettres, 
supposées  écrites  par  Je  philosophe  Chion  d'Héra- 
clée  ,  disciple  de  Platon  (Ep.  m  ,  6  Orcll.) ,  parle 
de  la  beauté  et  de  la  grâce  des  traits  de  Xéno- 
phon,  auquel  il  donne  l'épithète  de  y.OU'ÔTYJÇ, 
le  chevelu.  Cette  lettre,  d'uu  néoplatonicien  du  4*' 
siècle,  n'a  pas  grande  autorité;  cependant,  rien 
n'empêche  de  croire  que  cet  auteur  n'ait  donné  ces 
indications  d'aj>rès  quelque  portrait  de  Xénophon. 
Nous  n'en  connaissons  pas  d'authentiques  ;  et  il 
n'est  peut-être  pas  inutile  d'avertir  que  ceux  qu'on 
voit  en  tête  de  quelques  éditions  ou  traductions 
de  cet  auteur  sont  des  images  de  pure  fantaisie. 
Winckelmann  {^Mon.  ined. ,  n".  171;  Hist.  de 
/'Art,  II,  part.  7.,  p.  33t3  )  avait  cru  reconnaître 
un  portrait  de  Xénophon  (  représenté  au  moment 
eu  il  apprend  la  mort  de  son  fils  )  dans  une  belle 
tète  c«ur«iinéc  d'»li\itr,   jadis  à  la  villa  Aibani , 


I 


XEN 

trc  avoir  quelques  années  de  moin 
que  son  âge.  Dans  l'autre  texte  (12) 
Xénophon  dit  qu'il   ne  s'excusera' 
pas  sur  son  âge,  pour  refuser  les 
fonctions  de  chef;  mais  cela  ne  si- 
gnifie autre  chose ,  sinon  qu'il  ëtaiti 
plus  jeune  que  d'autres,  qui  avaient  ^1 
en  conséquence ,  plus  de  droits  au 
commandement.  D'ailleurs  ,  quand» 
Seuthès  ,  roi  de  Thrace  ,  pour  l'en- 
ager  à  le   secourir,   ofïre   de   lu 
onner  sa   fille  ,    ou  d'épouser   h 
sienne ,   s'il  en  a  une  (  1 3  ) ,  il  noui 
montre  bien  que  Xénophon  parais- 
sait d'âge  à  avoir  une  fille  nubile  : 
ce  qui  suppose  environ  quarante  ans 
Rien  ne  s'oppose  donc  à  ce  que  nous 
regardions  comme  fixées  définitive- 
ment la  naissance  de  notre  auteur  à 
445  ,  et  sa  mort  à  355  avant  J.-G 
Ces  deux  termes  extrêmes  établis ,  il 
faut  maintenant  essayer  d'en  remplir 
l'intervalle.  —  On  ne  sait  rien  ni  desl 
parents  de  Xénophon ,  ni  des  cir- 
constances de  sa  première  jeunesse, 
Il  devait  avoir  atteint  l'âge  dequinza 
ou  seize  ans  ,  lorsqu'il  fit  la  connais-! 
sance  de  Socrate.  Ce  philosophe,  ren- 
contrant ce  jeune hommC;,  fut  frappé 
de  sa  beauté  modeste  (i4);  il  lu" 
barra  le  passage  avec  son  bâton  , 
lui  demanda  où  l'on  pourrait  achetei 
les  choses  nécessaires  à  la  vie  :  a 
marché,  répondit   Xénophon.  So- 
crate lui  demanda  de  nouveau  :  où 
peut-on  apprendre  à  devenir  honnête 
homme?  Le  jeune  Athénien  hésitait 
à  répondre  :  «  Suis-moi ,  lui  dit  So- 


maintcnant  au  Musée  royal  (  n».  56o  ).  Mais  Vis- 
couti  (  Musto  Pio  Clément, ,  VI,  pi.  i3,  p.  37.  )  » 
prouvé  que  cette  tête  est  celle  d'Hercule,  vain- 
queur aux  jeux  olympiques  (  Voy.  encore  Ânt.  du 
Mus.  Napol. ,  par  T.  Piroli ,  Il ,  pi.  33  ,  et  Icon. 
grectfue ,  I,  p.  a37  ). 

(la)  ylnah.  ,  III ,  l  ,  7.5. 

(i3)  Anal/.,  VII,    2,  8. 

(l4)  AlrJiôf^twv  V.CÙ  sùst^étTruTQç  sic 

XJTttp^ollhv.   Laért.  ,  II,  4». 


3 


XEN 

ft  crate,  et  tu  l'apprendras.  »  Dès 
cemoment,  il  devint  son  disciple  (  1 5). 
Sans  garantir  absolument  cette  anec- 
dote ,  on  peut  dire  au  moins  qu'elle 
est  parfaitement  dans  le  caractc'ie  et 
les  habitudes  de  Socrate.  D'ailleurs 
comme  il  en  résulte  qu'il  connais- 
sait ce  jeune  homme  depuis  plu- 
sieurs années ,  lors  de  la  bataille 
de  Dclium ,  elle  explique  tout  na- 
turellement pourquoi  il  se  trouvait  à 
ses  côtés  ,  et  put  lui  sauver  la  vie.  11 
semble  que  Xénophon  dans  quelque 
autre  engagement  ,  dont  l'histoire 
n'a  point  parlé  ,  tomba  au  pouvoir 
des  Béotiens  qui  le  retinrent  prison- 
nier; car,  selon  Philostrate  (i(3)  ,  il 
reçut  des  leçons  de  Prodicus  de  Céos, 
pendant  qu'il  était  prisonnier  en 
Béoiie.  Il  serait  ditiicile  de  trouver 
une  autre  époque  pour  rendre  compte 
de  ce  fait,  en  le  supposant  exact  , 
que  celle  de  la  guerre  des  Athéniens 
et  des  Béotiens.  On  ignore  absolu- 
ment ce  qu'a  lait  Xénophon  ,  depuis 
cette  bataille  jusqu'à  son  départ  pour 
l'armée  de  Cyrus  ^  espace  de  vingt- 
trois  ans.  Mais  on  ne  saurait  douter 
qu'il  n'ait  servi  dans  une  des  expédi- 
tions de  la  guerre  du  Péloponnèse. 
Outre  qu'on  ne  concevrait  pas  qu'un 
homme  de  son  âge  et  de  sa  force  eût 
été  laissé  dans  l'inaction ,  l'expé- 
rience consommée  qu'il  montra  lors 
de  la  retraite  des  Dix-Mille  suppose 
une  habitude  de  la  guerre  qu'il  n'a 
pu  acquérir  que  dans  plusieurs  cam- 
pagnes 11  est  également  impossible 
que ,  dans  cet  intervalle  qui  se  ter- 
mine à  sa  quarante-troisième  ou  qua- 
rante-quatrième année ,  il  n'ait  pas 
e'crit  quelqu'un  de  ses  ouvrages,  sous 
les  yeux  et  par  les  conseils  de  son 
maître.  Je  placerais,  par  exemple, 


(i5)  Laërt.,  Il,  48. 
(16)  VU.  Soph.j  I,  13. 


XEN  371 

à  cette  époque ,  la  rédaction  du  Ban- 
quet ,  dont  le  but  a  été  de  faire  res- 
sortir dans  un  dialogue  animé  ,  où 
les  leçons  graves  de  la  morale  se 
mêlent  à  une  aimable  plaisanterie, 
les  vrais  principes  deSocrate  sur  l'a- 
mour. Plusieurs  savants  ont  cru,  d'a- 
près Athénée,  que  notre  auteur  avait 
composé  le  Banquet  pour  l'opposer 
au  dialogue  de  Platon  qui  porte  le 
même  titre.  Dans  ce  cas  ,  on  serait 
obligé  d'en  rapporter  la  composition 
à  une  époque  bien  plus  récente  j  car 
le  Banquet  de  Platon  ,  selon  la  re- 
marque de  Wolf  (17),  a  été  com- 
posé après  la  troisième  année  delà 
g^^.  olympiade  (  386  avant  J.-G.  ). 
Mais  une  comparaison  attentive  des 
deux  ouvrages  montre  que  celui  de 
Platon  est  d'une  date  postérieure  à 
l'autre  (18).  Quelques  savants  ont  re- 
gardé le  Banquet  comme  un  des  ou- 
vrages que  Xénophon  avait  écrits  à 
son  retour  d'Asie ,  pour  défendre  les 
doctrines deson maître. Cette  opinion 
est  fort  soutenable.  Toutefois  ,  com- 
me rien  ,  dans  ce  dialogue  ,  ne  sent 
l'apo'ogie  ,  je  ne  vois  pas  ce  qui 
empêcherait  d'en  placer  la  composi- 
tion avant  la  mort  de  Socrate.  En 
elï'etjla  conversation  rapportée  dans 
ce  Banquet  eut  lieu ,  d'après  l'auteur 
lui-même,  à  l'occasion  de  la  victoire 
d'Autolycus  qui  avait  remporté  le 
prix  du  Pancrace  (19):  or,  selon 
Athénée  (20) ,  ce  prix  fut  gagné  sous 
l'archontat  d'Aristion,  la  quatrième 
année  de  la  89^.  olj'mpiade,  ou  421 
avant  J.-G.  Le  début  de  l'ouvrage 
me  semble  annoncer  une  composition 
rédigée  peu  de  temps  après  la  scène 
qui  s'y  trouve  racontée,  et,  en  quel- 


(i:)Prqfat.Sfmp.,^.-LV. 

(18)  Boeckh,    De   simultate  quce    PLatoni   ciun 
Xenoph.  intercess.Jertur,  p.  8. 

(19)  I,  2. 

(20)  V,  p.  ai6,  B. 


.4. 


que  sorte ,  dans  tonte  la  fraîcheur  de 
la  piemicre  impression.  Dans  ce 
cas,  l'auteur  n'aurait  eu  que  vingt- 
quatre  à  vingt- cinq  ans,  lorsqu'il 
aurait  commence'  la  composition  de 
ce  dialogue,  quatre  ou  cinq  ans  après 
la  bataille  de  Délium.  Ce  serait  là 
son  premier  ouvrage,  écrit  sous  les 
yeux  mêmes  de  Socrate,  mais  dont 
il  revit  sans  doute  plus  tard  le  style 
et  les  détails.  —  C'est  entre  4^6 
et  4^*  <î"'^^  ^^^^  prendre  les  le- 
çons d'isocrate  ,  dont  il  fut  le  dis- 
ciple ,  selon  Pliotius  ('2 1  ).  Isocrate  , 
né  en  436 ,  était  plus  jeune  que  son 
disciple  de  dix  à  onze  ans  :  mais  il 
fut  connu  de  bonne  heure  pour  un 
écrivain  habile  ;  et  rien  n'empêche 
qu'à  l'âge  d'une  trentaine  d'années 
il  ait  pu  avoir  un  auditeur  xel  que 
Xénophon.  Ce  n'est  pas  la  seule 
fois  qu'en  Grèce  le  maître  s'est 
trouvé  plus  jeune  que  le  disciple. 
Peut  être  V  Hier  on  est-il  l'ouvrage  de 
notre  auteur  où  l'on  trouve  le  plus 
de  cet  artifice  de  la  parole  ,  qu'on 
devait  puiser  dans  l'école  d'isocrate; 
et  je  ne  sais  si  cet  excellent  ou- 
vrage ne  se  ressent  pas  plus  qu'au- 
cun autre  de  l'inlhience  immédiate 
de  ce  rhéteur.  On  peut  encore  es- 
sayer de  rattacher  la  composition 
de  ce  morceau  à  une  circonstance 
qu'Atiiénée  seul  nous  a  conservée. 
\J  Hier  on  est ,  comme  on  sait  ,  un 
dialogue  entre  Hiéron ,  tyran  de 
Syracuse,  et  le  poète  Simonidede 
Céos  :  le  premier  y  montre  tous  les 
dangers  du  pouvoir  suprême,  et  tous 
ses  inconvénients  ,  comparés  avec  la 
tranquillité  et  le  bonheur  dont  jouis- 
sent les  simples  particuliers  :  le  se- 
cond indique  au  tyran  les  moyens  de 
bien  gouverner  et  de  rendre  le  peu- 
ple heureux,  en  l'étant  lui-même.  11 

t:»i)P. /,86,  37,  éd.  Btkk. 


est  bien  possible  que  le  choix  d'un 
tel  sujet  se  rattache  au  voyage  quel 
l'auteur  a  dû  faire  en  Sicile,  puisque' 
Athénée  rapporte  \\n  mot  de  Xéno- 
phon,fils  de  Grjllus  ,  à  la  table  de  1 
Denys  leïyran(2'2).  C'est, il  estvrai,  1 
la  seule  trace  qui  existe  d'un  tel 
voyage  ;  mais,  comme  il  n'a  rien  que 
de  très- vraisemblable  à  cette  époque 
où  tant  d'A  théniens  visitaient  Syra- 
cuse, nous  n'avons  réellement  aucun 
motif  de  le  rejeter.  Athénée  nomme 
Denys  le  Tyran,  sans  autre  dési- 
gnation :  cela  peut  s'ap])liquer  éga-l 
lemeut  bien  aux  deux  Denys  :  oUi 
croira  dilïicilement  toutefois  qu'il  s'a- 
gisse de  Denys  le  jeune,  qui  n'a  suc- 
cédé à  son  père  qu'en  867  •  car  Xé- 
nophon avait  alors  soixante  dix-sept 
à  soixante-dix-huit  ans  ;  or,  ce  n'est 
pas  à  près  de  quatre-vingts  ans  qu'on 
entreprend  un  voyage  de  ce  genre,  à 
moins  d'une  nécessité  absolue  :  et  la 
suite  des  événements  nous  montrera 
qu'elle  n'a  pas  dû  exister.  Denys  l'an- 
cien a  régné  de  4o6  à  867  ;  dans  le 
cours  de  ces  Sq  années ,  il  n'y  a  guère 
que  deux  intervalles  qui  conviennent ,  " 
ce  voyage,  celui  de4o5à  4oi,  année 
du  départ  de  Xénophon  pour  l'Asie 
et  celui  de  899  à  894  ,  qui  comprenc 
l'espace  entre  son  retour  d'Asie  et 
son  départ  pour  aller  rejoindre  Agé- 
silas.  11  est  assez  diliicile  de  se  déci- 
der entre  l'un  et  l'autre  :  je  penche 
néanmoins  pour  le  premier  ;  mais 
quelque  opinion  qu'on  adopte  à  cet 
égard  ,  il  me  paraît  assez  probable 
que  la  rédaction  de  l'Hiéron  doit  se 
rattacher  à  ce  voyage.  Xénophon  , 
de  retour  de  Syracuse  ,  l'ame  en- 
core toute  remplie  du  spectacle  des 
inquiétudes  de  Denys ,  et  des  moyens 
violents  qu'il  employait  pour  mainte- 
nir son  autorité  naissante  ,  a  pu  con- 


(")x,i).  427-^28. 


XEN 

cevoir  l'idée  de  ce  dialogue ,  l'un  des 
plus  parfaits  écrits  qui  soient  sortis 
de  sa  plume ,  sous  le  rapport  de  la 
diction  et  de  l'enchaînement  des  pen- 
sées. Dans  cette  hypothèse,  l'Hiéron 
aurait  été  composé  entre  4o46t  4^1, 
sous  les  yeux  et  peut-être  par  les 
conseils  même  de  Socrate.  L'auteur 
était  alors  âgé  de  quarante  ans.  Son 
talent  devait  avoir  acquis  toute  sa 
maturité.  —  C'est  également  entre 
l'année  4o3  et  celle  de  son  départ 
pour  l'armée  de  Cyrus  qu'il  a  du  pu- 
blier l'histoire  de  Thucydide.  Diogè- 
ne  de  Laërte  rapporte  en  effet  qu'il 
mit  au  jour  l'ouvrage  encore  incon- 
nu de  Thucydide^  lorsqu'il  ne  te- 
nait qu'à  lui  de  le  supprimer  ou  de 
se  r attribuer  (23).  Ce  fait  a  été  géné- 
ralement révoqué  en  doute  ^  d'après 
des  raisons  très-plausibles  fondées 
sur  l'opinion  de  Dodv^^ell  ,  relative  à 
l'époque  de  la  mort  de  Thucydide  , 
qu'il  fixe  à  l'an  Sgi.  D'après  cette 
opinion ,  en  effet,  il  était  impossible 
de  comprendre  comment  l'histo- 
rien ,  revenu  de  l'exil  en  4o4  ou  4o3, 
au  plus  tard ,  n'aurait  pas  ,  dans 
l'espace  de  treize  ans  ,  terminé  son 
ouvrage ,  et  n'en  aurait  pas  répan- 
du assez  la  connaissance  ,  pour  qu'il 
ne  fût  plus  au  pouvoir  de  personne 
de  l'anéantir  ou  de  se  l'approprier  ? 
D'ailleurs,  en  Tan  391  ,  Xénophon 
était  en  exil  à  Scillonte.  Com- 
ment aurait -il  seul  comm  l'histoire 
de  Thucydide  ?  comment  serait-elle 
parvenue  secrètement  en  sa  pos- 
session ?  voilà  bien  des  difficultés. 
Dodwell ,  qui  veut  accorder  l'anec- 
dote avec  son  système ,  suppose  que 
le  manuscrit  fut  apporté  à  Xénophon 
par  sa  femme  et  ses  enfants  ,  lors- 
qu'ils vinrent  le  rejoindre  à  Scillonte. 
C'est  là  une  supposition  tout-à-fait 


XEN 


373 


gratuite.  L'anecdote  est  donc  réelle- 
ment inconciliable  avec  l'époque  de 
la  mort  de  Thucydide  ^  fixée  à  l'an 
391  ;  mais  si  cette  époque  elle  même 
est  fausse,  l'anecdote  pourrait  bien 
être  véritable.  Assurément  la  gloire 
de  Xénophon  n'a  rien  à  gagner  ni  à 
perdre  à  ce  que  le  fait  soit  vrai  ou 
faux.  Qui  pourrait  songer  à  lui  faire 
un  mérite  de  ne  s'être  pas  approprié 
l'ouvrage  d'un  autre?  Mais  comme 
ce  point  se  rattache  à  une  question 
d'histoire  littéraire  assez  curieuse ,  il 
est  bon  de  s'y  arrêter  un  moment 
pour  établir  :  i**.  que  Thucydide  est 
mort  à  Athènes  peu  de  temps  après 
son  retour  de  l'exil  ;  i'\  qu'il  a  laissé 
son  ouvrage  imparfait  j  3^*.  que  Xé- 
nophon était  encore  à  Athènes  à  cette 
époque  ,  et  conséquemment  qu'il  a  pu 
être  son  éditeur.  —  Aucun  auteur  an- 
cien n'a  donné  l'époque  de  la  mort  de 
Thucydide;  on  pourrait  la  conclure 
de  l'année  47 1  ■>  fixée  pour  sa  nais- 
sance d'après  Pamphila ,  si  l'on  sa- 
vait combien  d'années  il  a  vécu.  Son 
biographe ,  Marcellin  ,  lui  donne  , 
il  est  vrai  ^  em^iron  cinquante  an- 
nées dévie  ;  mais  cela  est  impossi- 
ble :  ou  l'auteur  se  trompe  grossiè- 
rement, ou  son  texte  est  altéré.  Dans 
l'un  et  l'autre  cas  ,  il  n'y  a  rien  à  en 
conclure.  Dodwell  a  donc  essayé,  par 
un  autre  moyen  ,  sinon  de  détermi- 
ner l'année  précise  de  la  mort  de 
Thucydide  ,  du  moins  d'obtenir  la 
preuve  qu'il  a  dépassé  l'année  395  ; 
ce  qui  rendrait  assez  probable  qu'il 
a  poussé  sa  carrière  jusqu'en  391. 
Cet  historien  (24),  à  l'occasion  de 
l'éruption  de  l'Etna,  qui  ravagea  Ca- 
tane ,  la  sixième  année  de  la  guerre 
du  Péloponnèse  (en  426),  rappelle 
qu'il  y  a  eu  trois  éruptions  de  ce  vol- 
can depuis  l'arrivée  des  Grecs  en  Si- 


(23)  II  ,  5;. 


374  XEN 

cile.  Dodwell  a  pense  que  la  troisiè- 
me ,  dont  voulait  parler  Thucydide  , 
est  celle  qui  eut  lieu,  selon  Diodore, 
la  première  année  de  la  quatre-vingt- 
seizième  olympiade  (  en  Sqj  )  ,  d'oii 
il   résulterait  déjà  que    Thucydide 
aurait  vécu  au-delà  de  cette  année. 
Mais  ,  quoique  son  opinion  ait  été 
adoptée  par  plusieurs  habiles  criti- 
ques (25),  il  est  certain  cependant 
que  ce   savant   a   mai  compris   le 
texte    de  l'historien.   La   troisième 
éruption  est  bien  celle  de  l'an  4^6. 
La  seconde  avait  eu  lieu  cinquante 
ans  auparavant,   selon  Thucydide. 
Quant  à  la  première,  il  l'indique  sans 
en  donner  la  date^probablcmeut  parce 
qu'il  l'ignorait.  L'historien  veut  dire 
(pie  depuis  l'arrivée  des  Grecs  jusqu'à 
la  sixième  année  de  la  guerre  du  Pélo- 
ponnèse_,  il  y  avait  eu  trois  éruptions 
de  l'Etna  ,  dont  celle  de  cette  année 
était  la  troisième.  C'est  ce  qu'avaient 
déjà  compris  d'Orville  (lÙ) ,  Heyne 
(27),  Voss  (28)  et  Mannert  (29) ,  et 
ce  qu'a  très-bien  expliqué  tout  ré- 
cemment le  dernier  éditeur  de  Thu- 
cydide ,  M.  Goeller  (3o).  Dodwell 
s'appuie  d'un   autre  fait ,  qui  n'est 
pas  mieux  fondé.  Dans  un  passage 
du  biographe  Marcellin ,  il  est  dit 
que  Thucydide  n  a  point  eu  de  répu- 
tation tant  qu'a  vécu  Archélaûs. 
Dodwell  prend  cet  Arcliéiaiis  pour  le 
roi  de  Macédoine ,  mort  en  898  ;  et 
de  là  une  preuve  que  Thucydide  a 
vécu  plusieurs  années  après  l'an  4oo. 
Mais  Visconti  a  déjà  observé  (3i) 


(55)  Enire  anlres,  M.  Gosselliç,  sur  Strabon  , 
i,  109,  et  l'auteur  du  savant  article  Thucydide  , 
dans  la  Biographie  universelle. 

(9.6)  S'icula,  p.  241. 

{t.-^)  Ad  Mneid  ,  m  ,  Exe.  ,  xv. 

(28)  T'Veltkundc,  XI,  x. 

(21.9)  Geo/g.  der  Allen,  Ix,  part,  x  ,  p.  295. 

{3o)  In  Ad  Monac.  ,  11,  243,  et  in  Thucvd.  , 
p.  9-10. 

(3i)  Icono^r.  grecque,  l,  23o, 


XEN 

quecenomd'Archélaiis,  qui  n'est  ac^ 
compagne  d'aucune  indication  quel- 


conque 


fait  nul  sens  en  cet  en- 


droit ;  qu'il  a  été  évidemment  trans- 
posé de  la  ligne  précédente  •   qu'il 
faut  le  retrancher  ;  et  que  la  phra- 
se du  biographe  signifie  tout  simple- 
ment que  Thucydide  n  a  point  eu  de 
réputation  de  son  vivant  (  comme 
historien)  •  ce  qui  a  dû  naturellement 
arriver  ,  s'il  est  vrai  que  son  ouvra- 
ge n'ait  été  publié  qu'aj)rès  sa  mort. 
11  ne  reste  donc  réellement  aucune 
preuve  qu'il  ait  vécu   au-delà  de 
l'année  4oo.  Au  contraire  ,  des  in^- 
dications  positives  ,  et  surtout  l'état 
dans  lequel  son  ouvrage  s'est  trou- 
vé à  sa  mort ,  montrent  qu'il  n'a  pas 
même  été  jusqu'à  ce  terme.  Thu- 
cydide, qui  avait  employé  les  vingt 
années  de  son  exil  (32)  à  en  rassem- 
bler   les  matériaux ,  déclare  ,  à   la 
vérité  ,  dans    le    cinquième    livre  , 
qu'il  a  écrit  l'histoire  de  la  guerre 
du  Péloponnèse  ,  jusqu'à  la  prise 
d'Athènes  ,    dans  une   durée    de 
vingt-sept  ans  (33).  Mais  le  temps 
passé  yiypaf^s  (34)  ne  fait  pas  né- 
cessairement   entendre    qu'il    avail 
achevé  son  ouvrage.  En  se  mettant 
k  la  place  d'un  auteur  qui  rédige  eu 
paix  un   ouvrage  avancé,   on   con- 
çoit que    l'expression     peut   ne    se 
rapporter  qu'à  l'intention    formelle 
où  Thucydide  était  de  le  terminer, 
quand  il  écrivait  ces  mots ,  et  à  sou 
espérance  de  toucher  bientôt  le  terme 
de  ses  longs  efforts.  11  parlait  comme 
fait  d'un  livre  (i\i'\\  faisait  encore.  Ce 

(?9.)  11  est  presque  indubitable  que  Thucydide 
pendant  son  exil  ,  parcourut  le  theâlre  des  divers 
événements  qu'il  avait  à  décrire.  Quand  on    lit 
description  du  siège  de  Syracuse  ,  il  est  bien  dil 
cile  de  croire  qu'il  n'avait  pas  acquis  une  connais- 
sauce  personnelle  des  lieux.  Par  là  s'explique  l'as- 
sertiou  erronée  deTimée,  qui  prétendait  que  Thu 
cydide  avait  son  tonibeati  en  Italie  (Ap.  Marcell. 
^  33.-   Cf.  GœUini^.   gel.   Anzeigeii  ,     iSv.a,    11 
p.  io47)- 

(;33}  V  ,  26.  —  (3h)  Cf.  I  ,  1-V  ,  20  ,  passtin. 


XEN 

passage  a  été  écrit ,  après  la  vingt- 
septième  année  de  la  guerre,  lorsque 
Thucydide ,  dans  le  feu  de  la  com- 

})Osition ,  se  croyait  sûr  d'atteindre 
c  but.  Or  ,  il  est  certain  que  son  es- 
pérance a  été  trompée ,  et  que  son 
histoire  n'a  jamais  été  terminée,  puis- 
que Je  huitième  et  dernier  livre ,  com- 
me on  sait,   finit  à  la  'ii^,   année 
de  la  guerre,  en  4iï«  Mais,  dira- 
t-on ,  ce  livre  était  peut-être  suivi  de 
plusieurs   autres.    Tout  prouve    le 
contraire.   Je  n'insiste   pas  ici  sur 
l'opinion  des   anciens  eux-mêmes, 
qui  regardent  le  huitième  livre  com- 
me indigne  des  précédents,  ni  sur 
celle  des  meilleurs  critiques  moder- 
nes, qui  reconnaissent  dans  ce  livre 
un  morceau  inachevé,  où  l'auteur  n'a 
pas  eu  le  temps  de  répandre  la  vie 
et  le  mouvement  qui  animent  le  reste 
de  son  ouvrage  j  d'où  il  résulte  que , 
loin  d'avoir  pu  achever  entièrement 
son  histoire ,  il  n'aurait  pas  même  eu 
le  temps  de  terminer  ce  huitième  livre. 
Sans  insister  sur  ce  point ,  une  preu- 
ve indubitable  que  Thucydide ,  ainsi 
que  le  disent  d'ailleurs  formellement 
Diodore  de  Sicile  (35)  et  Denys  d'Ha- 
licarnasse  (36) ,  n'avait  point  rédigé 
son  ouvrage  au-delà  de  la  2i«.  au- 
lîée  de  la  guerre,  c'est  que  les  Hellé- 
niques  de   Xénophon   commencent 
tout  juste  où  finit  le  huitième  livre; 
il  n'y  a  ni  lacune  ni  solution  de  con- 
tinuité. Le  iisTccrïs  raÙTa  (après cela), 
qui  forme  le  début  si  brusque  (  ou , 
comme  les  anciens  disaient ,  acépha- 
le )  des  Helléniques  ,  se  rapporte  pré- 
cisément au  fait  qui  termine  ce  livre 
de  Thucydide.  H  est  donc  certain 
que  Xénophon  n'a  connu  de  cet  ou- 
vrage que  ce  que  nous  en  connaissons 
nous-mêmes  ;  ce  qui  équivaut  à  dire 


XEN 


StS 


(35)  xm,  42./ 

(36)  Ep.  ad  Pomp. ,  p. 


i3*. 


que  Thucydide  n'en  avait  pas  rédigé 
davantage,  à  moins  d'admettre,  com- 
me ona  été  tenté  de  le  faire  (87),  que 
Xénophon  aurait  supprimé  le  reste; 
supposition  étrange,  et  que  je  rap- 
pelle ici  uniquement  pour  montrer 
toute  la  force  de  l'argument  qui  se 
tire  du   début  des  Helléniques.  Si 
l'on  rapproche  maintenant  ce  fait 
incontestable  des  paroles  de  Thucy- 
dide ,  citées  plus  haut ,  ou  sera  na- 
turellement conduit  à  dire  que  Thu- 
cydide ,  revenu  de  l'exil ,  en  4o3  , 
après  l'expiration  de  la  27*^.  année 
de  la  guerre,  continua  de  rédiger  son 
histoire  ,   dont  tous  les  matériaux 
avaient  été  rassemblés  et  la  rédac- 
tion commencée  pendant  les  vingt  an- 
nées de  son  bannissement  :  de  plus,  que 
cette  rédaction  était  déjà  fort  avancée 
lorsqu'il  a  écrit  ces  paroles.  Dès-lors 
l'auteur ,  marchant  avec  confiance 
au  but ,  et  se  croyant  sûr  de  l'attein- 
dre, puisque  l'achèvement  de  l'ouvra- 
ge ne  pouvait  lui  demander  plus  d'un 
an  ou  deux,  a  dû  s'exprimer  com- 
me il  l'a  fait.  Ceci  suppose  que  la 
mort  vint ,  peu  de  temps  après  son 
retour  de  l'exil ,  l'arrêter  au  moment 
où  il  se  croyait  près  de  terminer  son 
ouvrage.  Concevrait-on  que  s'il  avait 
encore  vécu  treize  ans ,  il  n'eût  pas 
plus  avancé  sou  Histoire^  et  l'eût 
laissée  dans  un  état  si  imparfait?  Or , 
tous  les  auteurs  qui  ont  parlé  de  la 
mort  de  Thucydide  s'accordent   à 
dire  qu'il  mourut  assassiné  ;  ils  va- 
rient seulement  sur  le  lieu  de  sa  mort. 
Selon  Plutarque,  ce  fut  en  Thrace 
(38);  selon  Pausanias  ,  ce  fut  en  re- 
venant de  l'exil  (89).  Zopyre  et  Cra- 
tippus ,  cités  par  Marcellin,  disaient 
qu'il  avait  été  tué  à  Athènes ,  après. 


(37)  Gail,  Philologue ,  Ul ,  3i/i-3ie. 

(38)  In  CimoKe,  §  4. 
f39)i,a3,  lu 


376 


XEN 


son  retour  (4o).  On  peut  deviner  d'où 
proviennent  ces  contradictions.  Thu- 
cydide ,  revenu  dans  sa  patrie ,  dut 
cire  appelé  en  Thrace  pour  des  inte'- 
rêts  de  famille,  puisqu'il  y  avait  ses 
biens;  et  ce  fut  sans  doute  en  reve- 
nant une  seconde  fois  à  Athènes 
qu'il  fut  assassiné.  De  là  l'opinion 
qu'il  était  mort  en  revenant  d'exil , 
ou  même  qu'il  avait  péri  en  Thrace. 
Il  semble  pourtant  que  le  témoignage 
de  Pausanias,  qui  avait  vu  son  tom- 
beau y  et  que  celui  de  Zopyre  et  de  Cra- 
tippus ,  qui  étaient  ses  contemporains 
(4i),nepermettentpasdedouterq'u'il 
ne  soit  mort  à  Athènes,  et  n'y  ait  été 
enterré.  Mais,  dans  tout  cela,  rien  qui 
indique  combien  de  temps  il  a  vécu 
après  son  exil.  Seulement  tout  sem- 
ble se  réunir  pour  annoncer  que 
sa  mort  violente  suivit  de  près 
l'époque  de  son  retour  ;  résultat 
auquel  orx  est  d'ailleurs  invincible- 
ment conduit  par  l'examen  de  toutes 
les  autres  circonstances.  Il  suflil  de 
voir  dans  quel  état  Thucydide  a  lais- 
sé son  ouvrage  pour  trouver  bien  dif- 
ficile qu'il  ait  poussé  sa  carrière  au- 
delà  de  l'an  4o^;  et  comme  il  faut 
bien  que  quelqu'un  ait  publié  ce  qu'il 
avait  achevé  de  son  Histoire,  puis- 
qu'à  coup  sûr  il  ne  l'a  pas  publié  lui- 
même  ,  quelle  raison  de  rejeter  le  ré- 
cit de  Diogène  de  Laërte ,  lorsqu'on 
est  certain  qu'en  4o2Xénophon était 
encore  à  Athènes?  Rien  n'empêche 
de  croire  que  l'ouvrage  de  Thucydi- 
de, non  terminé,  lui  fut  confié  par 
l'auteur  lui  -  même ,  en  mourant ,  ou 
par  ses  héritiers.  Ainsi ,  le  dire  de  Dio- 

(4o)  §  32,  33.  Dans  le  second  passage,  M.  Pop- 
po  corrige  avec  raison  la  leçon  gv  ©OaXÏ)  , 
«:onfradictoire  avec  ce  qui  précède. 

(4i)  Selon  Denys  d'Halicarnasse  (  de  Thncyd, 
idioni.,  p.  143,  1.  4'  )'  ^'ralipjjus  était  contemporain 
et  continuateur  de  Thucydide  (  cf.  Plut.,  de  (,lor. 
yit/i.^  p.  345^;  or  on  voit,  par  un  passa;;e  de  Mar- 
cellin  (§  3H),  que  ce  Cratippus  avait  cité  Zopyre, 


XEN 

gène  de  Laërte,  loin  d'être  invrai- 
semblable ,  se  coordonne  au  contraire  : 
parfaitement  avec  les  circonstances 
de  la  vie  des  deux  historiens  et  avec 
l'état  d'imperfection  où  était  restée 
l'histoire  de  la  guerre  du  Péloponnè- 
se. Il  n'y  a  donc  plus  aucun  motif 
d'enlever  à  Xénophon  l'honneur  d'a- 
voir été  le  premier  éditeur  de  Thucy- 
dide.—  Ce  fut  immédiatement  après 
avoir  rendu  ce  service  signalé  aux  ^ 
lettres  qu'il  dut  partir  pour  la  cour  ■ 
deCyrus  le  jeune ^  en  4oi.  Il  raconte  ■ 
lui-même  les  motifs  qui  l'y  détermi- 
nèrent {^1).  Un  Béotien,  nommé 
Proxène ,  autrefois  disciple  de  Gor- 
gias  de  Léontium ,  alors  attaché  à  la 
personne  de  Cyrus,luiavaitécritpour 
l'engager  à  quitter  son  pays,  en  lui 
promettant  l'amitié  de  ce  prince.  Xé- 
nophon consulta  Socrate  sur  ce  voya- 
ge. Celui-ci ,  craignant  que  son  ami 
ne  se  rendît  suspect  aux  Athéniens 
en  se  liant  avec  Cyrus ,  qui  avait  paru 
empressé  à  aider  les  Lacédémoniens 
dans  leur  guerre  contre  Athènes  ,  lui 
conseilla  d'aller  à  Delphes ,  consulter 
Apollon.  Xénophon,  résolu  d'avan- 
ce, ne  demanda  pas  au  Dieu  s'il  devait 
ou  non  entreprendre  le  voyage ,  mais  à 
quelle  divinité  il  devait  sacrifier,  pour 
qu'il  fût  honorable  et  avantageux:  et 
c'est  un  reproche  que  lui  fit  Socrate. 
Le  philosophe  finit  cependant  par 
lui  conseiller  de  partir,  après  avoir 
fait  ce  que  le  Dieu  lui  avait  prescrit. 
Xénophon  s'embarqua  ,  et  trouva 
Proxène  à  Sardes  ;  son  ami  le  pré- 
senta à  Cyrus  qui  l'accueillit  fort  bien, 
l'engagea  à  rester  auprès  de  lui,  lui 
promettant  de  le  renvoyer  ,  quand  la 
guerre  qu'il  préparait,  disait- il  ^ 
contre  les  Pisidiens  ,  serait  terminée. 
Xénophon  ,  croyant  que  l'expédition 
n'avait  pas  d'autre  but ,  consentit  à 

(49.)  Anab.,  m,  I. 


XEN 

en  faire  partie  ,  de  même  que  Proxè- 
ue  qui  fut  trompe  également  ;  car  ,  de 
tons  les  Grecs  ,  Cléarque  seul  était 
dans  le  secret  des  intentions  de  Cy- 
rus.  La  bataille  de  Cunaxa ,  la  vic- 
toire d'Artaxerce,  la  mort  deCyrus, 
le  massacre  de  Cléarque  et  des  vingt- 
quatre  autres  chefs  de  l'armée  grec- 
que ,  dont  Tissa pherne  s'était  rendu 
maître  par  trahison  (  V.  Cléarque  , 
IX ,  4  )  ?  sont  des  événements  trop 
connus  pour  que  nous  devions  y  in- 
sister ici.  Ce  ne  fut  qu'après  cette 
dernière  catastrophe  qui  compromit 
si  gravement  le  salut  de  l'armée, 
que  Xénophon  commença  à  jouer 
un  rôle  important  dans  la  retraite 
des  Grecs  ;  et  ,  quoiqu'il  se  soit 
nommé  trois  fois  dans  les  deux  pre- 
miers livres  ,  pour  des  mots  ou  des 
actions  de  peu  d'importance  (/p),  et 
toujours  comme  s'il  s'agissait  d'une 
^  personne  dilïérente  de  celle  de  l'au- 
teur ,  ce  n'est  qu'au  commencement 
du  troisième  livre  qu'il  se  met  en 
scène,  et  s'annonce  lui-même  en  ces 
termes  :  «  11  y  avait  à  l'armée  un 
))  Atliénien  ,  nommé  Xénoj)hon,  qui 
»  ne  la  suivait  ni  comme  général ,  ni 
»  comme  lochage,  ni  comme  soldat.» 
L'armée  était  plongée  dans  le  décou- 
ragement et  le  désespoir ,  lorsque 
Xénophon ,  tourmenté  de  cette  situa- 
tion pénible,  alla  trouver  les  locha- 
ges  (  ou  chefs  de  bataillon)  du  coips 
de  Proxène  ,  auxquels  il  communi- 
qua ses  idées  sur  le  moyen  de  sauver 
l'armée:  ensuite  ,  il  parla  avec  tant 
de  force  et  de  raison  dans  l'assem- 
blée formée  par  ceux  d'entre  les 
chefs  qui  restaient  encore  ,  qu'on 
le  choisit  ,  avec  quatre  autres , 
peur  remplacer  les  généraux  que 
Tarmée  avait  perdus.  Dès  ce  mo- 
ment, il  devint  Tame  de  toutes  ces 


XEN  377 

belles  opérations  militaires  qui ,  en 
moins  de  huit  mois,  ramenèrent  les 
Grecs  ,  à  travers  tant  de  dilbcultés 
et  d'obstacles  ,  depuis  les  bords  du 
Tigre  jusqu'à  ceux  du  Pont-Euxin. 
C'est  dans  cette  retraite,  à  jamais 
mémorable  ,  qu'il  déploya  une  fer- 
meté ,  un  sang  -  froid ,  un  coura- 
ge ,  toujours  réglé  par  la  raison  , 
qui  le  placent  au  rang  des  plus  grands 
capitaines.  Arrivé  à  Chrysopolis  , 
en  face  de  Byzance  ,  il  cherchait  les 
moyens  de  se  rendre  dans  sa  patrie, 
lorsqu'il  fut  sollicité  par  Seuthès,  roi 
de  Thrace,  de  lui  amener  ses  trou- 
pes pour  le  rétablir  sur  le  trône. 
Xénophon,  dont  l'armée  était  dé- 
nuée de  tout ,  y  consentit  ;  mais 
après  que  Seuthès  eut  obtenu  le  service 
qu'il  desirait  ,  il  ne  voulut  pas  don- 
ner la  somme  dont  il  était  convenu. 
A  force  de  négociations  pourtant ,  le 
général  grec  en  obtint  une  partie.  Ce 
fut  alors  que  Thymbron,  chargé  par 
les  Lacédémoniens  de  faire  la  guerre 
aux  satrapes  Pharnabaze  et  Tissa- 
pherne,  envoya  solliciter  les  troupes, 
sous  la  conduite  de  Xénophon  ,  de  ve- 
nir le  joindre  pour  l'aider  dans  cette 
guerre,  moyennant  une  forte  solde. 
Xénophon  se  disposait  à  retourner 
dans  sa  patrie;  mais  les  Grecs  le 
prièrent  de  ne  les  point  abandonner 
encore  ,  et  de  ne  les  quitter  que  lors- 
qu'il aurait  remis  lui-même  l'armée 
à  Thymbron  (44)  qui  était  enlonie. 
Il  y  consentit.  Depuis  cette  époque 
(  3()9  ) ,  jusqu'au  moment  oii  il  alla 
rejoindre  Agésilas  en  Asie  (  3g5  ou 
394  ),il  s'écoula  quatre  ou  cinq  ansj 
aucun  texte  ne  nous  apprend  ce 
qu'il  a  fait  dans  cet  intervalle  :  mais 
heureusement  diverses  inductions 
probables  nous  amènent  à  pouvoir 
le  remplir  en  partie.   On  doit  croi- 


C43) 


io;5, 


(44)  Anal.,  V,  7. 


37» 


XEN 


re  ,  en  effet ,  qu'après  avoir  remis 
son  arme'e  à  Thymbron  ,  il  cxe'cuta 
son  dessein  de  retourner  à  Athènes  , 
d'où  il  n'était  pas  encore  banni ,  ainsi 
qu'il  nous  l'apprend  lui-même  (45). 
Arrive  dans  sa  patrie,  en  Sgg,  il  n'y 
trouva  plus  son  maître  que  les  Athe'- 
niens  avaient  fait  mourir.  Du  vivant 
de  Socrate,  il  a^ait  pris  des  notes 
(46)  sur  tout  ce  que  ce  philosophe  di- 
sait de  remarquable.  11  dut  alors  re'- 
diger  ces  notes.  On  peut  donc ,  avec 
vraisemblance  ,  reporter  à  cette  épo- 
que la  composition  de  plusieurs  des 
ouvrages  qui  ont  pour  objet  la  justi- 
fication de  son  maître ,  par  exem- 
ple les  Dits  mémorables  et  V apo- 
logie ^  si  toutefois  cet  ouvrage  est 
réellement  de  lui  ;  ce  qui  est  fort  dou- 
teux. Dans  le  premier  de  ces  écrits, 
on  aperçoit  le  besoin  de  justifier  So- 
cratedes  accusations  de  «es  ennemis. 
Quelques  e'crivains  anciens  ont  dit  que 
les  Athéniens  s'étaientbientot  repentis 
de  leur  iniquité  ,  qu'ils  avaient  ren- 
du de  grands  honneurs  à  la  mémoire 
de  Socrate ,  et  accablé  ses  accusa- 
teurs de  leur  indignation.  S'il  est  dif- 
ficile de  rejeter  le  témoignage  de  ces 
auteurs  ,  il  est  à  présumer  du  moins , 
d'après  le  silence  des  disciples  de 
Socrate  ;,  que  ce  repentir  fui  tardif  : 
par  là  même,  s'expliquent  tant  d'ef- 
forts de  ces  disciples  pour  ramener 
l'opinion  à  l'égard  de  leur  maître. 
Croit-on  ,  par  exemple ,  que  Platon 
et  Xénophon  eussent  pris  tant  de 
peine  pour  le  justifier,  s'ils  n'avaient 
pas  eu  à   combattre  des  préventions 

(45)  Anab.,  V,  7  fin. 

(46)  Voilà  le  vrai  sens  du  mot  hltoarilieiM- 
GÛfJLS'JOÇ  «îont  se  sert  Diogène  de  liaërte  (II,  48). 
Une  fausse  interprétation  de  ce  mot  a  fait  croire  son- 
■vent  qu'il  désigne  une  é<  riline  en  noies,  espèce  de 
/achjgiaphie,  analogue  à  ceîle  de  Tiron ,  dont  on 
a  attribué  la  connaissance  et  même  l'invention  à 
notre  auteur  (  yoy.  l'art.  TlRON  ] .  Cett«  opinio» 
n'a  aucun  fondement. 


XEN 

toujours  subsistantes?  Le  ton  apolo- 
gétique qui  règne  dans  les  Mémora- 
bles de  notre  auteur,  et  dans  plusieurs 
écrits  de  Platon,  mesemble,à  luiseul, 
une  preuve  de  la  nécessité  oii  ils  se 
trouvaient  de  défendre  leur  maître ,  en 
faisant  mieux  connaître  sa  doctrine , 
sa  méthode  d'enseigner  les  jeunes 
gens  ,  qui  avait  donné  lieu  à  tant  de 
calomnies,  son  caractère,  son  désin- 
téressement, toutes  ses  vertus  enfin. 
Pour  moi ,  je  pense  que  ces  écrits 
des  disciples  de  Socrate  ont  dû  beau- 
coup contribuer  à  inspirer  aux  Athé- 
niens les  vifs  regrets  qu'ils  éprou- 
vèrent. S'il  en  est  ainsi ,  on  a  une 
époque  très-probable  pour  la  rédac- 
tion de  plusieurs  dialogues  de  Platon, 
et ,  en  particulier,  pour  divers  écrits 
socratiques  de  Xénophon,  qui  doivent 
dater  du  moment  de  son  retour.  Je 
rapporte  au  même  temps  la  rédaction 
àeV Économique.  Plusieurs  critiques 
modernes  croient  que  cet  écrit  faisait 
originairement  partie  des  Mémora- 
bles ,  dont  il  formait,  selon  eux  ,  le 
cinquième  livre  :  opinion  assez  vrai- 
semblable. Dans  tous  les  cas  ,  il  est 
certain ,  d'une  part ,  que  cet  ouvrage 
fut  écrit  à  Athènes ,  com.me  les  Mé- 
morables ;  et ,  de  l'autre,  que  l'auteur 
était  de  retour  de  l'expédition  d'Asie, 
puisqu'il  met,  dans  la  bouche  de  So- 
crate ,  l'éloge  de  Gyrus  le  jeune,  et  la 
mention  de  sa  mort  (47  )•  ^^  même 
temps,  appartient  la  rédaction  du 
Maître  de  la  cavalerie,  traité  com- 
posé certainement  à  Athènes,  comme 
le  prouvent  plusieurs  passages  (c.  2  et 
3  ),  et  l'ensemble  même  du  morceau. 
Ce  traité  ne  me  paraît  être  que  le 
développement   d'une  conversation 


(47)  Œconomic. ,  IV  ,  16,  a5.  Socrate  était  mort 
avant  Cyrus  ;  c'est  un  genre  d'anachronisme  dont 
les  exemples  sont  très-fréquents  dans  Platon  {f^ov. 
mon  Méinniie  sur  les  Dialogues  socratiques ,  daii& 
le  Journal  des  saitmls,  non.  1820 ,  p.  673-683  ). 


I 


XEN 

que  l'auteur  attribue  ailleurs  à  son 
maître  (48) ,  et  des  conseils  que  le 
philosophe  donne  à  un  jeune  homme 
récemment  nommé  hipparque.  Xe'- 
nophon  ne  pouvait  guère  résister  au 
désir  d'étendre  ces  conseils,  que  So- 
crate  indique  en  termes  généraux, 
et  de  faire  part  à  ses  concitoyens  de 
l'expérience  qu'il  avait  acquise  _,  lors 
de  la  retraite  des  Dix-Mille,  dans  les 
grandes  manœuvres  de  la  cavalerie. 
On  doit  remarquer  qu'un  des  pré- 
ceptes qu'il  donne,  celui  de  propo- 
ser des  prix  pour  les  manœuvres  et 
exercices  (  49  )  7  fut  mis  en  prati- 
que par  Agesilas,  dans  son  expé- 
dition d'Asie  (5o),  probablement 
d'après  les  avis  de  Xénophon  lui- 
même  (  5i  ).  —  Diogène  de  Laërte 
(52)  et  Hégésandre,  cité  par  Athé- 
née (53),  ont  parlé  d'une  espèce 
de  jalousie  entre  Xénophon  et  Pla- 
ton. Si  elle  a  existé  réellement ,  elle 

(48J  M  cm.,  m,  3. 

(4.,)  Hipparch.,  1, 5,6.  —  (5o)  HelUn.,  m,  4  ,  ,6. 

(5i)   Courier  place  la  rédaction  de  cet  opuscule 
beaucoup  plus  tard  ,  lors  de  la  première   inyasiou 
de   la  Laconie  par   les  Tliébains  ,    c'est-à-dire  \  ers 
368  (  du  Conim.    rie   la  Caval.,  p.  28  )  ;  il  se  tonde 
sur  un  passage  où  Xénopiion  semble  établir  un  pa- 
rallèle entre  les   Athéniens  et  les  Béotiens,  comme 
si  l'on  cr  ignait  une  invasion  de  la  part  de  ces  der- 
niers.   Mais  ce  passage  ne  prouve  rien  pour  qui- 
conque se  souvient  de  la  conversation  de  Socrate 
«t  du   fils    de  Périclès  ,  dans   les    Mémorables  ,  où 
l'espèce  deparaMèle  entre  les  forces  des  Béotiens  et 
Celles  des  Athéniens  revientavec  bienpiusde  détails 
(ni  .5,3  seq    )  ;  ce  qui  ne   se  rapporte  qu'aux  af- 
faires  de   l.ébadée  et  de  Délium.  Depuis   lors,  les 
Béotiens  furent  toujours  un  sujet  d'inquiétude  pour 
le-s  Athéniens  dont  ils  touchaient  les  frontières  ;   et 
c'est  pour  cela  que  Xénophon,  soit  dans    les   Mé- 
morables, soit  dans  i'Hipparchique ,  les  prend  pour 
terme  de  comparaison.  L  allusion  que  Courier  croit 
trouver  (  Vlll  ,    10  )  a   une  faute   d'Iphicrnte  (  en 
371  )  est    fort  douteuse,  puisque  cette  faute  a  pu 
être  commise  par  d'autres  que  ce  général.  L'allu- 
sion aux  bannis  de  Thespies  et  de  Platées  (ix  ,  7)  est 
encore  plus  incertaine;   quant  au  passage  ou  il  est 
dit   que  la  cavalerie  lacédémonienne  se  fit  remar- 
quer lorsqu'on  y  eut  joint  des  corps  étrangers  ,    il 
»e  prouve  pas   que  l'écrit  soit  postérieur  à  l'expé- 
dition d'A«ésilas   en    Asie;    du    moins,   je  ne  vois 
rien    qui  nous   oblige  de  croire  que  les  Lacedémo- 
niens  n'eurent  pas,  avant  cette  époque,  de  cavalerie 
étrangère  dans  leur  armée.  La  circonstance  que  cet 
opuscule   a    été  écrit   à  Athènes  me   paraît  s'arran- 
ger difficilement  avec  toute  autre  époque  que  celle 
que  j'ai  choisie. 
(52)  II,  5;;  —ni,  34.  (53)  Jp.  Ath.,  XI,  5o7,B.  C54)  Mem.,  ni,  G,  i. 


XEN  3,3 

a  pu  naître  vers  cette  époque  et  à 
l'occasion  même  des  écrits  relatifs 
à  Socrate.  11  faut  convenir  avec  M. 
Boeckh,  que  les  faits  cités  par  Athénée 
et  d'autres  auteurs  anciens  ^  en  preuve 
de  cette  prétendue  jalousie,  ne  sont 
pas  fort  concluants;  mais  il  en  reste 
une  impossible  à  nier_,  c'est  que  Pla- 
ton n'a  cité  nulle  part  son  condisciple 
dans  tous  ses  ouvrages  j  et  que  celui-ci 
n'a  cité  Platon  qu'une  seule  fois,  et  à 
propos  d'un  fait  très-insignifiant  (54). 
Que  ce  silence  ne  soit  pas  un  indice 
certain  de  jalousie,    cela    est  pos- 
sible ;  mais  on  conviendra  du  moins 
qu'il  annonce  fort  peu  de  bienveil- 
lance mutuelle.  Que  d'occasions  les 
deux  condisciples  auraieiit  eues,  s'ils 
avaient  voulu  les  saisir ,  de  se  donner 
quelque  marque  d'un  souvenir  hono- 
rable !  Il  n'est  pas  besoin  d'une  gran- 
de connaissance  du    cœur  humain  , 
pour  deviner  que  ces  deux  écrivains , 
d'un  talent  etd'un esprit  sidifTerents, 
devaient  avoir  peu  de  penchant  l'un 
pour  l'autre.  Or ,  il  est  rare  que  le 
défaut  de  sympathie  entre  deux  hom- 
mes qui  se  rencontrent  dans  la  même 
carrière  n'engendre  que  l'indifTérence, 
et  leur  permette  de  s'apprécier  mu- 
tuellement à  leur  juste  valeur.  Pla- 
ton ,  si  supérieur  à  son  condisciple, 
comme  penseur  et  comme  écrivain, 
était  sans  doute  fort  enclin  à  traiter 
de  faiblesse    ce  calme    de  raison^ 
cette  sagesse  de  pensée  et  de  style, 
cette  modération  en  tout,  qui  distin- 
guent   le  talent   et  le  caractère   de 
Xénophon  ;    et    celui-ci   éprouvait 
peut-être,  à  l'égard  de  son  condis- 
ciple ,  cet  éloignement  secret  et  invo- 
lontaire que   nous   sentons  presque 
toujours  pour  ceux  dont  nous  nous 
croyons  mal  appréciés. — Il  est  à  pré- 
sumer encore  que  ce  fut  dans  cet  in- 


38o 


XEN 


tervallcqueXeiîoplioii  se  maria  (55); 
du  moins,  cette  cpoqiic  cadre  fort  bien 


r^ 


g^  q 


ne    devaient    avoir   ses 


iils,  Gryllns  et  iJiodoie,  dans  les 
diverses  circonstances  où  il  en  est 
fait  mention,  et  dont  nous  parlerons 
plus  bas.  Ces  deux  fils  étaient  sur- 
nommes Dioscures  [^Q].  Cette  déno- 
mination se  rapporte  t-elle  à  leur  at- 
tachement mutuel?  ou  ferait-elle  en- 
tendre qu'ils  étaient  jnmea  MX?  ou  bien 
que,  comme  Castor  et  Pollux  ,  ils 
étaient  habiles  dans  l'equiîation,  les 
jeuK  de  la  palestre?  Je  l'ignore.  C'est 
à  la  même  époque,  et  peut-être  lors 
de  quelque  voyagea  Sparte,  que  Xe'- 
nophon  dut  connaître  Age'silas ,  dont 
il  resta  toute  sa  vie  l'ami  et  l'admi- 
rateur (57).  Lorsque  ce  prince  partit 
pour  son  expédition  d'Asie ,  en  3g5 
{F.  Agï'silas  ,  !_,  287  ),  il  fit  pro- 
mettre sans  doute  à  son  ami  de  le  ve- 
nir joindre.  Ce  dernier  ne  tarda  pas 
à  remplir  sa  promesse,  et  partit  en 
3g4.  Selon  Diogène  de  Laërte ,  il  mit 
à  la  solde  d'Agësilas  les  troupes 
grecques  qui  avaient  servi  Cyrus  le 
jeune.  C'est  une  inadvertance  (58). 
Le  biographe  a  confondu  Age'silas 
et  Thymbron  ;  car  les  troupes  que 
Xenophon  avait  amenées  à  ce  der- 
nier passèrent  à  Dercyllidas  son  suc- 
cesseur (59),etensuite  se  retrouvèrent 
naturellement  sous  le  commandement 
du  roi  de  Sparte  (60),  dans  l'arméedu- 

(55)  Diogène  de  Laërte,  d'après  Démetrius  de 
Map^?sie  (n,  5?.  ),  sç  sert  du  mot  •V'jvatOV^  en 
parlant  de  la  femme  de  Xenophon  :  StTTSTO  §S 
aùzM  yuvaiov,  ovoi^x  ^llvi^liX.  Ce  dimi- 
rilitif,  comme  \emiiliprrida  des  Latins,  semLlerait 
plus  propre  à  designer  une  concnbine  ,  une  maî- 
tresse, qu'une  feiiune  légitime.  Mais  comme  Suidas 
dit  formellement  qu'il  eut  de  cette  Pliilésie  ses 
fils  Grylluspt  Diodore,  on  ne  doit  pas  s'allarher  trop 
rigoureusement  il  l'expression  de  Démetrius  :  peut- 
être  n'a-t  il  voulu  dire  autre  chose,  sinon  que  Phl- 
Jésie  était  une  très-jeune  femme. 

(.16)  Laërt.,  If,  Sa. — (,'Ï7)Cic.,  de  oral.,  m,  34. 

(58)  Brucker  (  i  ,  S?»  )  ne  s'en  est  pas  aperçu. 

(5())  Hellen.,  Ht,  l  .  8.  —  (()o)  Ead.,    UI,  4,  so. 


XEN 

quel  elles  formaient  un  corps  distinct , 
dont  il  est  fait  une  mention  spéciale 
lors  de  la  bataille  de  Coronec(Gi). 
Quoi  qu'il  eu  soit,  ce  fut,  je  pense,  celte 
démarche  de  Xe'noplion  qui  motiva 
son  bannissement.  Dcjcà  ,  les  Alhe'- 
nicns    avaient    été'    mécontents    de 
lui  voir  prendre  parti  dans  l'armée 
de  Cyrus  j  mais  cette  preuve  mani- 
feste d'un  attachement  si  vif  pour  un 
Lacédéraonien  dut  les  irriter  davan- 
tage encore ,  et  les  décider  à  le  ban- 
nir d'une  patrie  qu'il  quittait  toujours 
pour  suivre  des  étrangers.  Diogène 
de  Laërte  place  en  eifet  à  cette  épo- 
que son  exil  (62) ,  pour  cause  de  la- 
conisme ,  c'est  -  à  -  dire ,   d'attache- 
ment à   Lacédémone.  Pausanias  ,  à 
la  vérité  ,   dit  qu'il  fut  banni  pour 
être  entré  dans  l'armée  de  Cyrus. 
S'il    en  était  ainsi ,  ce  bannissement 
aurait  suivi  de  près  son  départ.  Or, 
Xenophon  nous  apprend  lui-même 
que   lorsqu'il    remit    ses   troupes   à 
Thymbron ,  deux  ans  après  ,  Athènes 
ne  l'avait  point  encore  banni  (63). 
Le  récit  de  Diogène  de  Laërte  mé- 
rite donc   ici  la  préférence.  Xeno- 
phon resta  auprès  d'Agësilas  ,  tant 
que    dura    l'expédition    d'Asie  •    et 
quand  l'or  du  grand  roi ,  en    exci- 
tant une  coalition  contre  Lacédémone, 
eut  forcé  celte  république  à  rappeler 
l'armée    d'Agësilas  ,   il  continua  de 
le  suivre.  Disposé  à  s'associer  à  tous 
ses  périls ,  et  dans  l'incertitude  du 
sort  qui  l'attendait  au  mi  lieu  des  com- 
bats ,  il  déposa  ,  dans  les  mains  du 
Mégabyze  (64)  du  temple  de  Diane 


(Ft^  Pseudo-Xenoph. ,  Encom.  Ages. ,  II,  ii. 

(6->.)  Il,  5.1.  —(63)  Anah.,  vu  ,  7  fin. 

(04)  Les  commentai eurs  sont  incertains  si  le 
mot  Mé^ahjze  est  employé  par  Xénojihon  comme 
nom  propre  on  comme  un  nom  commun  auxprêlres 
de  Diane  àÉphèse,  selon  Hésychins  etThomas  Ma- 
gister  ;  M.  Sturz.  est  de  ce  dernier  avis.  Cependant  il 
me  paraît  que  noire  auteur  a  pris  ce   mot  pour  un 


1 


nom  propre  ,  soit  qu'il   faille  lire  Mégabaze 
oue  l'on  conserva  la  leçon  Métialiyie.  Si  c'él 


fpie  l'on  conserva  la  leç< 


était  lui 


XEN 

à  Éphèse  ,  la  portion  du  bulin 
cTu'il  avait  fait  vœu  de  consacrer  à 
cette  déesse  ;  et  lui  recommanda 
d'accomj)lir  son  vœu ,  s'il  venait 
à  succomber.  Il  se  trouva  en  per- 
sonne à  la  bataille  de  Coronce  ,  et 
combattit  aux  cotes  d'Agcsilas  :  c'est 
Plutarque  qui  nous  l'apprend  (65). 
En  songeant  que  les  Athéniens  fai- 
saient partie  de  l'armée  ennemie , 
on  aimerait  à  croire  que  Plutarque 
s'est  trompé,  et  que  Xénophon  ne 
prit  aucune  part  à  un  combat  où  il 
se  trouvait  dans  la  nécessité  de  por- 
ter les  armes  contre  ses  concitoyens; 
mais  il  détruit  lui-même  la  possibilité 
de  toute  interprétation  bienveillante. 
Il  dit, dans  l'Anabase,  qu'il  l.iissason 
dépôt  à  l^pliëse,  pansant  cjuil  allait 
courir  des  dans^ers  à  Coronée  avec 
Agésilas{66).  Certainement,  lorsque 
Xeuophon  confia  son  dépôt  au  Mega- 
byze,  il  ignorait  011  l'armée  d'Agésilas 
serait  obligée  de  combattre  en  Grèce. 
11  n'était  sûr  que  d'une  chose,  c'est 
qu'elle  livrerait  des  combats,  et  qu'il 
était  résolu  cày  prendre  part.  La  men- 
tion de  Coronée  est  ici  une  prolepse; 
mais  1«  pfirasc ,  écrite  long-temps 
après  la  bataille,  montre  clairement 
qu'il  y  prit  part ,  et  qu'il  dut  même  y 
courir  des  dangers.  Les  Athéniens  qui 
étaient  dans  l'armée  des  Thébains 
n'ignorèrent  sans  doute  pas  que  leur 
compatriote  se  trouvait  au  nombre  de 
leurs  ennemis  :  et  de  là  très- proba- 
blement l'extrême  retard  qu'éprouva 


nom  appellalif,  Xt'uophon  aurait  mis  l'article  de- 
vant; et,  au  moins  la  seconde  fois  qu'il  en  parle,  il 
aurait  dit  :  à^f/.VctTat  0  tZSyâÇu^OÇ  slç 
Olv IXTZ LOLV ,  et  non  pas  (X.ft'JC.V£lrXt  MsjÔ.- 
Ou'^OÇf  comme  porte  son  texte  :  l'absence  de  l'ar- 
ticle serait  "une  faute  de  langue  intolérable  ,  si 
Msvaê^U^OÇ  était  ici  uu  synonyme  de  LSOSUÇ» 
Diogène  de  Lacrte  me  paraît  avoir  entendu  de 
même  les  passage»  de  notre  auteur. 

(nà)  In  Ages.,^  in. 

(66]  Anab.,  V,  3,  7. 


XEN 


38 1 


son  rappel  de  l'exil.  Son  banaisse- 
ment,  qui  dura  près  de  trente  années, 
prouve  assez  la  gravité  des  torts 
qui  lui  fiuent  attribués  dans  sa  pa- 
trie. Après  la  bataille  de  Coronée  , 
il  accompagna  Agésilas  à  Sparte 
[Gn):  il  ne  tarda  pas  à  se  rendre 
à  Scillonte  en  Élide,  ville  située  sur 
la  route  de  Sparte  à  Olympie ,  et 
éloignée  de  vingt  stades  seulement  de 
ce  lieu  célèbre.  Cette  retraite  doit 
être  de  l'an  '6ç)'i  environ.  Sa  femme 
Pliilésie  et  ses  enfants  vinrent  l'y 
joindre  (6S);  mais,  sur  les  conseils 
d'Agésilas  (69)  ,  il  envoya  ses  fils  à 
Sjiarte  ,  pour  y  apprendre  la  plus 
belle  des  sciences  ,  disait  le  roi  de 
Lacédémone^  celle  de  commander 
et  d'obéir.  Selon  notre  calcul,  ces 
enfants  devaient  alors  avoir  sept 
et  huit  ans,  et  leur  père  cinquante- 
deux  à  cinquante-trois  ans.  A  cette 
époque,  il  renonça ,  pour  toujours, 
à  la  carrière  militaire  qui  lui  avait 
valu  la  gloire  et  l'exil  ;  il  se  renfer- 
ma dans  la  vie  paisible  et  indépen- 
dante d'un  homme  qui  ne  désire 
plus  rien.  Déjà  les  Lacédémoniens 
lui  avaient  accordé  le  droit  de  proxé- 
nie.  En  reconnaissance  de  l'attache- 
ment qu'il  leur  avait  montré  ,  et 
peut-être  aussi  en  considération  des 
motifs  de  son  bannissement  ,  ils  lui 
iirent  présenta  Scilîonle  d'une  mai- 
son et  de  terres  considérables  (-jo) , 
et  le  Spartiate  Philopidas  bii  en- 
voya des  esclaves  pris  à  Darda- 
nus  ,  en  lui  disant  d'en  disposer 
comme  il  voudrait.  Selon  Pausanias 
(71),  qui  paraît  rapporter  la  tradi- 


(67)  Plut.,  in  A'^es.,  §  20. 

(68)  Laërt.,  n,52. 

(69)  Plutarch.  ,  Ages. ,  §  20.  —  Simson  ,  trompé 
par  l'ambiguité  du  texte  et  de  la  version  latine,  a 
cru  y  voir  qu'Agé.silas  avait  chargé  Xénophon  de 
l'éducation  de  ses  eui.iuts  \Ad  ann.  36io,  p.  8o3  ), 

(70)  Dinarch.,  ap.  Diogen.  Lacrt.,    U  ,  62  ,  53-. 

(71)  V,  6,  4;  Siebclis. 


382  XEN 

tioj^  conservée  chez  les  Eléens^  ils 
lui  donnèrent  la  ville  de  Scillon- 
te  ;  ceci  n'est  pas  fort  vraisem- 
blable. On  voit,  par  le  texte  mê- 
me de  notre  auteur,  que  les  Lacë- 
demoniens  avaient  envoyé  une  colo- 
nie dans  cette  ville  ;  or,  le  moyen  de 
croire  qu'ils  lui  eussent  donné  cette 
colonie  ?  Tout  au  plus  ,  pensera-t- 
on qu'ils  lui  en  avaient  conlie  la  di- 
rection et  le  gouvernement.  Au  reste, 
Xenophon,  qui  a  raconte  en  détail 
son  établissement  à  Scillonte(7'2),  ne 
dit  rien  de  pareil.  Combien  de  temps 
lui  fut-il  permis  de  jouir  de  celte 
paisible  retraite  ?  En  fut-il  chasse  ? 
ou  bien  y  termina -t- il  ses  jours? 
Ce  sont  là  autant  de  questions  assez 
difficiles  à  résoudre ,  parce  que  les 
textes  anciens  ne  sont  pas  d'accord 
entre  eux.  L'examen  de  ces  textes 
fournit  cependant  des  motifs  pour 
préférer  les  uns  aux  autres  ,  et  se 
décider  sur  les  faits  qu'ils  énon- 
cent. D'après  le  même  Pausanias , 
les  Exégètes  Éléens  disaient  qu'il 
avait  été  cité  au  tribunal  olympi- 
que pour  avoir  accepté  ce  don  des 
Lacédémoniens  (73)  j  mais  que,  les 


(72)  yinab.,  V,  3  fin. 

(73)  Paus.,  V,  6,4-  Il  n'est  pas  vrai  cependant 
<jue,  par  arrêt  de  ce  tribunal,  Xenophon  se  soit 
vu  exclu  lies  jeux  olympinues,  pour  avoir  accepte 
ce  don,  comme  le  dit  M.  Pouqueville  [^t^ojage 
en  Grèce,  t.  v,  pag.  43o,  not.  ,  2®  édit.  ),  citant 
Epictèle  [Enchirid.  ,  c.  3i  )  qui  n'en  parle  pas.  Il 
ne  l'est  pas  davantage  que  Xenophon  ail  été  pro- 
clamé aux  jeux  olympiques  ,  pour  avoir  sauve  les 
Orecs  ,  comme  l'assurent  Larcher  (  Table  chron. 
d'Hérod.  ,  t.  VII  ,  p.  680  )  et  d'autres,  d'après 
lui.  Ces  deux  faits  contradictoires  sont  fondés  sur 
«n  même  passage  deSiiiiplicius,  dans  son  commen- 
taire sur  Epictète.  Simplicins  vient  de  dire  que 
Xenophon  a  sauvé  les  dix-mille  et  les  a  lamenés 
en  Grèce;  immédiatement  après,  on  lisait ,  dans 
toutes  les  éditions  et  manuscrits  ,  un  seul  excepté  , 
les  mots  :  AC/X  TWV  olu^TttMV  k^SV-floÛ/Qf} 
(  et  il  fut  exclu  des  jeux  olympiques  )  ,  qui  parais- 
saient devoir  naturellement  se  rapporter  à  Xeno- 
phon; mais  il  y  avait  réellement,  en  cet  endroit, 
une  lacune  occasionnée  par  la  perte  d'un  feuillet: 
M.  Schweigha;user  fils  trouva  ce  passage  dans  le 
manuscrit  de  Paris,  et  le  fit  imprimer  à  part,  avant 
que  son  père  l'insérât  dans  son  édition  de  s'impli- 
cjufl.  C«s  njots  s«  Irouveiil  maintenant  sépar«s  par 


XEN 

Eléens  lui  ayant  pardonné^  il  continua 
d'y  vivre  en  paix  -,  ils  prétendaient 
même  qu'il  était  mort  parmi  eux, 
et  l'on  monlr;iit  un  tombeau  qu'on 
disait  être  le  sien.  Ceci  est  tout-à- 
fait  contradictoire  avec  ce  que  rap- 
porte Diogène  de  Laërte.  Selon  ce 
biographe  :  «  les  Éléens  marchèrent 
»  contre  Scillonte;  comme  les  La- 
»  cédémoniens  tardaient  à  arriver,  ils 
»  ravagèrent  le  pays  et  s'en  empa- 
»  rèrent  ;  les  fils  de  Xenophon  se 
»  sauvèrent  à  Lepréum  avec  quelques 
»  esclaves:  Xenophon  lui-même  se 
»  rendit  d'abord  à  Elis  ,  de  là  à 
»  Lepréum  pour  retrouver  ses  fils  • 
»  et  enfin  à  Corinthe  ,  où  il  s'éta- 
»  blit  (7 4) y  et  où  il  mourut ,  selon 
»  Démétrius  de  Magnésie  (75).  »  Il 
me  semble  difficile  qu'un  récit  aussi 
détaillé  ne  soit  pas  vrai  :  et  je  ne 
doute  point ,  quant  à  moi  ,  que  les 
Eléens,  honteux  de  leur  conduite  en- 
vers ce  grand  homme,  n'aient  plus 
tard  cherché  à  déguiser  leurs  torts  , 
en  accréditant  la  tradition  qu'ils 
lui  avaient  pardonné  ,  et  lui  avaient 
permis  de  demeurer  à  Scillonte  , 
où  il  finit  ses  jours,  et  où  l'en  mon- 
trait même  son  prétendu  tombeau. 
Nous  nous  attacherons  en  conséquen- 
ce au  dire  de  son  biographe.  Il  est 
impossible  au  juste  de  sa  voir  combien 
de  temps  il  demeura  à  Scillonte  ;  on 
peut  croire  cependant  que  les  Éléens 
profitèrent  du  moment  où  les  Lacé- 
démoniens  étaient  le  plus  occupés 
dans  leurs  guerres  contre  les  Thé- 
bains  j  et,  dans  ce  cas,,  on  pourrait 
placer  cet  événement  à  l'époque  de 

trois  pages  de  texte  du  passage  où  Xenophon  est 
mentionné  et  n'ont  plus  aucun  rapj)ort  avec  lui  {f'^. 
l'édition  de  M.  Schweighaeuser  ,  t.  I,  p.  9.4t)-a5o  , 
et  les  notes  t.  Il  ,  p.  34f)).  Quoique  cette  erreur 
soit  détruite  sans  retour,  nous  avons  dix  rappeler 
sur  quel  fondement  elle  repose ,  puisque  des  ou- 
vrages récents  la  reproduisent  encore. 

(74)11,53. 

(75)  II,  56. 


I 


XEN 

rcxpëdition  d'Épaminondas  en  La- 
conie  ,  c'est-à-dire  vers  Tan  368. 
Xcuophon  aurait  donc  passé  près  de 
vingt-quatre  ans  dans  celte  retraite, 
d*où  il  aurait  été  chassé  à  l'âge  d'en- 
viron soixante -dix-sept  ans.  Dans 
l'Anabase,  il  trace  un  charmant  ta- 
bleau de  son  séjour  à  Scillonte,  et 
de  la  vie  qu'il  y  menait.  Jouissant 
de  beaucoup  d'aisance  et  de  liberté  , 
il  put  se  livrer  en  paix  à  tous  ses 
goûts  :  son  temps  fut  partagé  entre 
l'étude  et  les  plaisirs  de  la  chasse 
qu'ilaimait  passionnément.  Sa  situa- 
tion aisée  lui  permettait  en  outre  de 
recevoir  et  de  traiter  honorablement 
ses  amis  et  ceux  que  sa  réputation 
attirait  à  Scillonte,  surtout  à  l'épo- 
que de  la  célébration  des  jeux  olym- 
piques. C'est  là  qu'il  composa  ses 
Histoires  ,  dit  Diogène  de  Laérte  -, 
ar-là  il  faut  entendre  VAiiabase  , 
es  Helléniques  et  la  Cjropédie.  Le 
premier  ouvrage  fut  certainement  ré- 
digé à  Scillonte  ;  mais  il  ne  termina 
les  deux  derniers  qu'après  son  éta- 
blissement à  Corinthe ,  comme  on  le 
verra  plus  bas.  Je  rapporte  à  la  mê- 
me époque  de  sa  vie  la  composition  de 
plusieurs  autres  ouvrages. Tels  sont  les 
Qynége'tiques  qui  renferment  tant 
de  précieuses  observations  sur  les 
habitudes  des  chiens  de  chasse ,  et 
des  différentes  espèces  de  gibier  ,  et 
sur  les  moyens  de  les  chasser  avec  le 
plus  d'avantage.  Sa  passion  extrême 
pour  cet  exercice  se  montre  dans  le 
magnifique  éloge  qu'il  en  fait  au  der- 
nier chapitre.  Si  les  deux  traités  des 
républiques  de  Sparte  et  d'Athènes 
sont  de  lui ,  comme  je  le  pense,  c'est 
encore  dans  sa  retraite  de  Scillonte 
qu'il  dut  les  écrire ,  peut-être  pour 
l'instruction  de  ses  fils.  Un  autre 
fruit  de  sa  retraite  fut  le  petit  ouvrage 
sur  VEquitation  :ce  traité,  qui  a  peu 
de  rapport  à  l'art  militaire ,  est  évi- 


XEN 


383 


fe 


demment  postérieur  à  V Hipparchi- 
que  ,  puisque  celui-ci  est  cité  vers  la 
fin  ;  il  a  été  composé  hors  d'Athè- 
nes (-^6) ,  et  n'a  pu  l'être  qu'après  le 
bannissement  de  l'auteur.  Xénophon 
y  parle  de  sa  longue  habitude  du 
cheval ( 7 -j);  il  veut,  dit-il,  enseigner 
l'art  de  gouverner  les  chevaux  à  ses 
jeunes  amis.  Je  crois  qu'il  désigne 
par-là  les  jeunes  gens  qui  venaient  le 
visiter  dans  sa  retraite ,  et  prendre 
part ,  avec  ses  deux  fils,  aux  plaisirs 
de  la  chasse.  On  a  vu ,  plus  haut , 
qu'après  son  expîdsion  de  Scillonte ,  il 
se  rendit  d'abord  à  Élis  :  ce  fut  sans 
doute  pour  plaider  sa  cause ,  et  se 
faire  restituer  au  moins  le  terrain  con- 
sacré à  Diane  qu'il  avait  acheté  de 
ses  propres  deniers.  Mais  il  faut  que 
ses  représentations  aient  eu  peu  de 
succès  ,  puisqu'il  revint  à  Lepréum 
retrouver  ses  fils  qu'il  emmena  à  Co- 
rinthe ,  oii  il  se  fixa  ,  et  oîi  il  finit 
ses  jours  ,  quoique  les  Athéniens 
l'eussent  rappelé  de  l'exil.  Ister , 
cité  par  Diogène  de  Laërte,  disait  que 
Xénophon  avait  été  banni  par  un 
décret  d'Eubulus  ,  et  rappelé  par  un 
autre  décret  du  même  (78).  11  y  a  ici 
quelque  confusion.  Eubulus  eut  diffi- 
cilement assez  de  crédit  à  Athènes  , 
pour  faire  exiler  ou  rappeler  un  ci- 
toyen avant  la  io!2<=.  ou  la  io3«.  (79) 
olympiade  ;  et  Xénophon  fut  exilé 
peu  après  son  départ  pour  aller  re- 
trouver Agésilas,  en  394,  la  troi- 
sième année  de  la  96^.  olympiade. 
Or,  il  est  à  remarquer  que,  précisé- 

(76)  Je  crois  pouvoir  conclure  ce  fait  de  la  phrase  : 
«  c'est  Simon  qui  a  érigé  le  cheval  d'airain  ,  dans 
X  l'EIeusinium  à  Athènes  (  Proœm,  ).  »  Si  Xéno- 
phon eût  écrit  à  Athènes,  il  aurait  dit  simplement  : 
dans  l'EIeusinium;  l'addition  était  inutile.  Ainsi, 
d:tns  l'Hipparchiqne  ,  quand  il  cite  des  parti- 
cularités de  la  topographie  d'Athènes  ,  il  n'a- 
joute jamais  le  mot  A^'ïjvyjo't. 

(77)  ',  I- 

(78)  Laërt.,  Il,  §  59;— Cf.  Siehclis,  ad  Phant^d. 
fragm. ,  p.  55. 

{•]Ç))Bnt:cVh^StaalshausIiatlungfierAlh,,  II,  p.i44> 


su 


XEN 


ment  celte  année  394 (80),  l'a rclionle 
eponyme  à  Athènes  s'appelait  Eu- 
hulide ,  selon  Diodore  (Bi) ,  et  Eu- 
bulus^  selon  Lysias  (82);  ce  qui  re- 
vient au  même  ,  puisqu'il  arrivait 
souvent  cliez  les  Athéniens  qu'un 
double  nom  primitif  et  patronymi- 
que était  donne  au  même  individu 
(83).  Ister  avait  dit,  sans  doute, 
que  Xcnophon  fut  exile'  par  un  de'- 
cret  de  l'archonte  Eiihidus ,  et  rap- 
pelé' par  un  décret  de  l'orateur  Eu- 
bulus ,  etDiogcne  de  Laërte  aura  cru 
par  inadvertance  qu'il  s'agissait  du 
mme  personnage.  Par  ce  qui  vient 
d'être  dit ,  on  voit  que  Xénophon  ne 
dut  pas  être  rappelé  de  l'exil  avant  la 
102*^.  ou  la  io3^.  olympiade.  Je 
pense  que  son  rappel  dut  suivre  de 
peu  de  temps  son  expulsion  de  Scil- 
lonte  :  il  est  vraisemblable  qu'appre- 
nant le  malheur  que  venait  d'éprou- 
ver cet  homme  illustre  ,  sa  patrie 
consentit  enfin  à  révoquer  l'arrêt  de 
son  bannissement  :  je  placerais  cet 
événement ,  vers  la  première  an- 
née de  la  I  o3«.  olympiade.  11  est  cer- 
tain du  moins  que  son  rappel  a 
précédé  la  bataille  de  Mantiiiée  (troi- 
sième année  de  la  io4*^.)r  car  ap- 
prenant qu'Athènes  avait  pris  le 
parti  de  Sparte  dans  la  guerre  contre 
Thèbes ,  il  saisit  cette  occasion  unique 
de  voir  ses  fils  combattre  sous  les 
drapeaux  athéniens  en  faveur  de  sa 
chère  Lacédémonej  tous  deux  il  les 
envoya  à  Athènes  ,  où  ils  furent  en- 
rôlés dans  le  corps  d'Athéniens  qui 
combattit  à  Mantinée  (84) ,  ce  qui 
suppose  qu'alors  leur  père  n'était  plus 
banni.  11  avait  quatre-vingts  ans^  et 

(80)  Corsini,  FnU.  An.,  u,  p.  a8G. 

(81)  IX,  85. 

(8?.)  l>.  i54;  28,  Sleph.;  — ,,.  (JSî.  Reiske. 

(^83)  Ileinst.,  ad  Luriaii.  Timon.   %  !\\. Ad 

Aristiipb.,  Plut.  i>.  39.5,  Lips. 
(84)  Lncrl.,  Il,  54. 


'XEN 

son  exil  en  avait  duré  environ  trente, 
ou  dix  de  plus  que  celui  de  Thucy- 
dide. Ce  long  bannissement  montre 
combien  était  grave  aux  yeux  des 
Athéniens  l'accusation  de  laconisme 
qu*il  avait  encourue.  A  l'époque  de  la 
bataille  de  Mantinée,  il  n'était  pas  en- 
core revenu  à  Athènes;  on  ignore  s'il 
y  retourna  jamais  ;  du  moins  est-on 
sûr  qu'il  ne  vint  pas  s'y  lixer.  Devons- 
nous  en  chercher  la  cause  dans  le 
ressentiment  d'une  si  longue  disgrâce  ? 
oubien  faut-il  l'attribuer  à  la  dilliculté 
qu'éprouve  toujours  un  vieillard  à 
quitter  le  Heu  où  il  a  pris  ses  habitu- 
des? Ce  dernier  molif  est  probable- 
ment le  véritable  ;  car  ,  bien  loin  de 
conserTcr,  sur  ses  vieux  jours  ,  au- 
cun ressentiment  contre  sa  patrie,  il 
lui  consacra  le  tribut  de  son  expé- 
rience dans  le  petit  écrit  sur  les  re- 
venus de  l'Attique,  qui  respire  le  pa- 
triotisme le  plus  vif  et  le  plus  éclairé. 
Or ,  cet  écrit  n'a  pas  été  terminé  avant 
la  première  année  de  la  106*^.  olym- 
piade (85) ,  c'est-à-dire ,  qu'il  a  été 
achevé  peut-être  l'année  même  de  la 
mort  de  son  auteur.  Xénophon  pas- 
sa donc  le  re.>te  de  ses  jours  à  Co- 
rinthe.  C'est  là  qu'il  apprit  que  sou 
fils  Gryllus  avait  perdu  la  vie  en 
combattant  à  Mantinée,  a  près  avoir, 
disait-on ,  blessé  à  mort  Épaminon- 
das.  On  rapporte  que  lorsque  celte 
funeste  nouvelle  arriva  ,  Xénophon^ 
la  couronne  sur  la  tête ,  célébrait 
un  sacrifice.  Il  ota  sa  couronne  ; 
mais  apprenant  que  son  lils  était 
mort  vaillamment,  il  la  remit  sans 
verser  de  larmes  ,  et  se  contenta 
de  dire  :  «  Je  savais  bien  que  j'avais 
pour  fils  un  mortel  »  ,  mot  qui  a  été 
attribué  tantôt  à  Solon  ,  et  tantôt  à 
Anaxagoras  (86).  Malgré  cette  rési- 

(85)  Bocckh,   Stria(s/tausfiii//.,  etc.,    H  ,  p.   i^6. 
(8fi)  Laeil.,  il,  i3.— Cic.  Tiisc.  Qucvsl.,  m,  i3. 


M 


XEN 

^nation  à  la  volonté  des  Dieux  ,  sa 
douleur  fut  profonde  -,  ou  en  juge  du 
moins  par  le  grand  nombre  d'éloges 
et  d'ëpitaplies  qui  furent  composés 
en  l'honneur  de  Gryllus  ,  pour  com- 
plaire à  Xénophon  (87)  ,  c'est-à- 
dire  ,  pour  cliarmer  sa  douleur  par 
le  tableau  des  regrets  universels  qui 
suivaient  son  filsdans  la  tombe  (88). 
Hermippe,  cite'parDiogènede  Laërte, 
disait  que  Socrate  fut  un  de  ceux 
qui  composèrent  l'éloge  de  Gryllus; 
mais  Socrate  était  mort  depuis 
trente  -  huit  ans,  Diogène  ou  ses 
copistes  auront  confondu  les  noms. 
Sans  doute  qu'au  lieu  de  Socrate 
Hermippe  avait  écrit  Isocrate.  Rien 
de  plus  croyable,  en  effet,  que  ce 
rhéteur  ait  donné  cette  preuve  d'atta- 
chement à  un  disciple  et  à  un  ami 
dans  la  douleur.  Le  grand  âge  de 
Xénophon ,  les  fatigues  et  les  cha- 
grins qu'il  avait  éprouvés ,  n'é- 
teignirent point  l'activité  de  son  es- 
prit :  car  c'est  à  Corinthe  quM  ter- 
mina la  Cyropédie  (  s'd  est  vrai , 
comme  je  le  pense,  que  l'épilogue  de 
cet  ouvrage  soit  de  lui  ) ,  puisqu'on 
y  trouve  rappelé  un  fait  qui  se  rap- 
porte à  ran36i(/^.plusbas,p.39o); 
"  et  les  ffelléniques  ,  ouvrage  au- 
quel il  travaillait  encore  en  l'an- 
née 357.  Ce  fut  à -peu -près  à  la 
même  époque ,  ou  même  un  an  plus 
tard,  qu'il  rédigea  son  traité  des  re- 
venus de  l'Attique,  son  dernier  et 
peut-être  un  de  ses  meilleurs  ou- 
vrages Schneider  conjecture  qu'il 
le  composa  en  faveur  et  sur  la  de- 
mande d'Eubulus  ,  qui  l'avait  rappe- 
lé   :    cette    conjecture    paraît   fort 


(87')   Arislot.,  ap,  Laërt.  II,  S/j, 

(88)  Dans  le  tableau  de  la  bataille  de  Mantine'e  , 
qu  on  voyait  au  Céramique  ,  Euphranor  avait  re- 
présente Gryllus  au  moment  où  il  frappe  Épami- 
uondas(Paa5,  i,  3,  9;  IX,  i5  ).  Cette  scène 
paraîtrait  avoir  été  la  principale  du  tableau. 


LI. 


XEN 


385 


vraisemblable,  quand  on  rapproche 
les  principes  qui  y  sont  développés , 
de  la  conduite  administrative  d'Eu- 
bulus  (89).  Quoi  qu'il  en  soit,  l'au- 
teur y  montre  le  patriotisme  le  plus 
vrai  ;  et  il  exprime  ,  dans  les  termes 
les  plus  touchants  ,  ses  vœux  pour  la 
prospérité  d'Athènes  ;  «  Avant  de 
»  descendre  dans  la  tombe,  que  je 
»  voie,  du  moins,  ma  patrie  tran- 
»  quille  et  florissante(9o).  »  On  di- 
rait qu'il  a  voulu,  par  cet  écrit,  dé' 
fendre  d'avance  sa  mémoire  du 
reproche  de  Laconomanie ,  que  sa 
conduite  et  ses  autres  écrits  lui 
avaient  si  justement  attiré;  ou,  tout 
au  moins,  prouver  que  son  admira- 
tion pour  les  institutions  et  les  grands 
hommes  de  Sparte  n'avait  jamais 
étouffé  dans  son  cœur  l'amour  de  la 
patrie.  (  /^ojr.  ci-après ,  p.  38G,  le 
tableau  de  la  vie  de  Xénophon, 
d'après  les  faits  et  les  inductions 
réunis  dans  cette  notice.  — J'ai  dit, 
en  commençant ,  que  nous  pos- 
sédons très -probablement  tout  ce 
que  Xénophon  avait  composé  ou 
du  moins  livré  au  public.  Cependant, 
selon  Diogène  de  Laèrte,  il  aurait 
laissé  eni^iron  quarante  lii^res  (  |3t- 
Qta);  or,  les  ouvrages  qui  nous  res- 
tent ,  ne  sont  qu'au  nombre  de  quin- 
ze ,  en  comptant  tout  ce  qui  porte 
son  nom  :  i".  quatre  Historiques ^ 
V  Jnabase ,  ou  Expédition  des  Dix- 
Mille,  les  Helléniques  et  la  Cyro- 
pédie ,  si  toutefois  on  peut  ran- 
ger ce  livre  parmi  les  histoires;  et 
la  Vie  à' A^ésilas  y  2°.  trois  Di- 
dactiques ,  V Hipparchique  ou  le 
Maître  de  \diQ,Si\ai\Q.ne  ^VEquitation ^ 
les  Cynégétiques  ;  3»,  trois  Poli- 
tiques ,  lés  Républiques  de  Sparte 
et  d'Athènes,  et  les  Retenus  de  VAt- 

(89)  Boeckh  ,   StaulshiiishalUatg  ,  etc.,    t.     II, 
p.    144. 

(90)  VI  ,  I. 

-^5 


386 


XE^ 


XEN 


OLYMPIADES. 

ANKÉES 

avant 

ÉVÉNEMENTS. 

AGE. 

l'ôre    vulg. 

LXXXIII,4 

445. .  .  . 

Naissance  de  Xénoplion - 

LXXXVII,  3.   .   . 

43o. .  .   . 

Il  fiùt  connaissance  avec  Socrate.  .   .    . 

i5 

LXXXVI1I,2.   .   .  . 

427 — 

Est  enrôlé  parmi  les  7î'£ptTfo)^ot 

18 

LXXXIX,  I 

424. .  .  . 

Se  trouve  à  la  bataille  de  Délium. 

21 

xc,  I. ...:..  . 

XCIII,3.-XCIV,  4- 

420. . . . 
406-401. 

riniTinn»»*»     1p    T^nnniiPt      ..... 

23 

Prend  des  leçons  dTsocrate.  Voyage 
en  Sicile.  Compose  l'Hiércn.  Se  ma- 
rie. Publie  l'ouvrage  de  Thucydide. 
Éciit  les   deux  premiers   livres   des 
Helléniques 

39-44 

xcïv,  4 

401. .  .  . 

Part  pour  l'année  de  Cyrus 

44 

XCV,  2 , 

XCV,  ^.-XCVI,  3. 

399 — 
399-394. 

46 

46-5i 

Composeles  Mémorables  ,  l'Economi- 
que ,  le  Maître  de  la  cavalerie.  Com- 
mence la  Cyropédie  et  FAnabase.    . 

394. . . . 

Part  pour   rejoindre    Agésilas.    Banni 
d^ Athènes  sous  Eubulus  ou  Eubulide. 

xcvi,  4 

393 — 

Revient  en   Grèce.   Bataille  de  Coro- 
née.  Suit  Agésilas  à  Lacédémone..   . 

'^ll 

XCVII,  I 

392. .  .  . 

Se  retire  à  Scillonte  ,  où  il  reste  24  ans, 

J 

Envoie  ses  fils  à  Sparte.  Rédige  l'Ana- 
base  et  la    Cyropédie.    Continue  les 
Helléniques.  Ecrit  les  Républiques  de 
Sparte  e^t  d'Athènes  ,  les   Cynégéti- 
ques ,  l'Équitation 

cm,  I 

368.  .  .   . 

Xénophon  expulsé  de  Scillonte.  Se  re- 
tire à  Lepréum  ,   puis  à  Corinihe.    . 

11 

cm,  2 

367. .  .  . 

Rappelé  par  un  décret  d'Eubulus.  .   .  . 

78 

CIV,  3 

362..  .  . 

Mort  de  Gryllus  ,  à  la  bat.  deMantinée. 

83 

CV,  I 

36o..   .   . 

Achève  la  Cyropédie 

85 

CV,  4 

35'7.  .  .  . 

88 

89 

90 

CVI,  I 

356.  .  .   . 

Compose   le    traité    des    finances    des 
Atnéniens..        .......        .. 

CVI,  2  ou  3.  .   .  .  . 

355  ou  354 

XEN 

tique i  4**-  chiq^PHiLOSOPHiQUEs  ou 
Moraux,  les  Dits  Mémorables  de 
Socrate ,  V Economique  ,  le  Ban- 
quet et  VHiéron  ,  V^pologie  de  So- 
crate  (91).  Je  ne  parle  pas  des  cinq 
lettres,  ou  fragments  de  lettres,  qui  lui 
sont  attribuées,  parce  que  ces  ])ro- 
ductions  ne  lui  appartiennent  certai- 
nement point.  On  pourrait  donc 
croire  (  et  en  elFet  on  l'a  cru  )  qu'il 
s'est  perdu  près  des  deux  liersdes ou- 
vrages de  notre  auteur ,  si  !a  liste  qu'en 
donne  ensuite  Diogène  de  Laërte  ne 
contenait  pas  les  seuls  que  nous 
posse'dions  encore.  II  s'ensuit  que,  par 
livres  (  /3to)./a  ),  le  biographe  a  vou- 
lu parler  ,  non  d'ouvrages  distincts , 
mais  des  livres  ou  divisions  de  tous 
les  ouvrages  de  l'auteur.  Les  Hel- 
léniques sont  divisées  en  huit  livres  , 
ainsi  que  la  Cyropédie  :  l'Anabase 
en  a  sept ,  et  les  Mémorables  en  ont 
quatre  :  eu  comptant  ces  quatre 
ouvrages  pour  vingt -sept  /5t6).ia, 
on  en  trouve  trente-huit  pour  toutes 
les  œuvres  de  Xénophon.  Cela  est 
bienprès  de  quarante  :  etlu  petite  dif- 
férence s'explique  facilement ,  puis- 
que Diogène  de  Laërte  ajoute  que 
tout  le  monde  n'admettait  pas  les 
mêmes  divisions. — Il  est  deux  de  ces 
ouvrages  que  l'antiquité  elle-même 
n'a  pas  reconnus  unanimement  pour 
être  de  Xénophon;  ce  sont  les  traités 
sur  la  République  de  Sparte  et  d'A- 
thènes ,  qui  étaient  attribués  à  un  au- 
tre auteur,  par  le  grammairien  Dé- 
métrius  de  Magnésie  (92)  ,  Tarai 
d'Atticus  (93).  Plusieurs  critiques 
modernes  ont  partagé  cette  opinion  , 
entre  autres  Schneider;  mais  les  ar- 
guments  qu'ils    ont   employés   sont 

(91  j  Outre  ces  ouvrages.  Suidas  cite  une  vie  des 
Philosophes;  mais  il  est  prouve  que  ce  lexicographe 
a  conclu  l'existence  de  ces  ouvrages  d'une  phrase 
de  Diogène  de  Ijaërte  qu'il  a  mal  comprise. 

(92)  Lacrt.,  II,  57. 

(93)Cic..  Auic,  »V,  II  ;  VIIT,  n. 


xp:n  3S7 

loin  d'être  péremptoires  (94) ,  com- 
me l'a  montj'é  M.  Boeckh.  Sous  le 
rapport  du  style  et  des  principes,  ils 
n'ollrent  rien  de  contradictoire  avec 
les  autres  écrits  de  l'auteur  ;  l'un 
respire  une  grande  admiration  pour 
Lacédémone ,  et  une  sorte  de  prédi- 
lection en  faveur  de  l'art  militaire  ; 
l'autre,  une  haine  contre  le  gouver- 
nement démocratique,  et  un  éloigne- 
ment  pour  la  constitution  d'Athè- 
nes (95),  également  conformes  aux 
goûts  et  au  caractère  du  disciple  de 
Socrate.  Eniin  l'authenticité  de  l'un 
d'eux.  (  la  République  de  Sparte  ) 
était reconnuç par  Plutarque  (96),  et. 
à  ce  qu'il  paraît,  par  Polybe  (97); 
or,ies  deux  ouvrages  sont  évidem- 
ment de  la  même  main.  Quel  motif 
reste-t-il  donc,  au  fond,  pour  par- 
tager les  doutes  de  Uémétrius  de 
Magnésie? — Un  autre  ouvrage  que  les 
anciens  ne  lui  ont  point  contesté ,  l'clo  - 
ged'Agésilas,l'a  été  par  lesmodernes; 
Valckenaer  d'abord  (98)  ,  ensuite 
Wyltenbach  (99),  et  bien  d'autres 
critiques  ,  ont  regardé  cet  ouvrage 
comme  indigne  de  Xénophon  ;  et, 
malgré  les  elforts  de  M.  VVeiske  (100), 
pour  combattre  leur  sentiment ,  il  est 
bien  difficile  de  ne  pas  reconnaître 
avec  eux ,  comme  peu  digne  de  ce 
grand  maître,  cet  éloge,  espèce  de 
pasticcio  y  composé,  en  grande  par- 
tie, de   lambeaux  copiés  textuelle- 

(04)  Boeckh  ,  Staalihaiishall.  der  Ath.,  i  ,  48  . 
344. 

1^95)  Brp,  Alh.,  II,  9.0;   III,  r. 

(96)  In  Lycurg.,   §1. 

(97)  Vi  ,  45,  I.  Polybe  nomme  Xénophon  parmi 
ceux  qui  ont  compilé  la  conslilulion  de  Crète  à 
celle  ne  Sparte.  Ritn  de  tel  n'existe  dnns  le  traité 
de  Xénophon.  Polybe  cite  à  Taux,  jiatce  qu'il  cite 
de  mémoire  :  mais  celle  erreur  elle-même  montre 
qu'il  regardait  le  traité  du  gouvernement  de  Spar 
te  comme  appartenant  à  notre  auteur. 

(98)  yld  Herodot.,  Hl ,  i34;  IX  ,  27.  —  Jd  Xe- 
noph.,  Mem.,  III ,  3  ,  9  ; — Diulrib.  in  Eurip.  trn^., 
dep.,  p.  aôfi  Ë. 

(99)  Adhûinu.  Orat.,  i,  p.  16:,  190,  éd.  Schaet. 
—  yi<i  Plutarchi  op.  tnor.,  p.  3i,  C. 

(100)  Xenovh,  Sciipla,  t.  IV,  p.  ^o5-^-if, 

25.. 


388 


XEN 


ment  des  Helléniques  et  de  ses  autres 
ouvrages.  ValclwCnacr  et  Schneider 
ont  élevé  les  mêmes  doutes  sur  V^- 
pologie  de  Socrate ,  morceau  ,  à 
vrai  dire,  extrêmement  faible,  et  qui 
tient  mal  ce  que  le  titre  promet. 
Mais  un  doute  plus  important ,  et 
qui  vient  des  anciens  eux-mcmes , 
porte  sur  le  principal  ouvrage  de 
Xcnophon,  pour  ne  pas  dire  son 
chef-d'œuvre  ,  V Histoire  de  la  re- 
traite des  Dix-Mille.  Suidas  l'attri- 
bue formellement  à  The'mistogène  de 
Syracuse.  Cette  opinion  est  fondée 
sur  un  passage  des  llellcniques  ,  oii 
l'auteur  s'exprime  ainsi  :  «  Quant 
»  aux  moyens  qu'employa  Cyrus 
»  pour  avoir  une  armée  et  la  con- 
»  duire  dans  l'intérieur  de  l'Asie, 
»  contre  son  frère;  quant  au  récit  de 
»  la  bataille,  de  sa  mort  et  de  la  re- 
»  traite  des  Grecs  jusqu'au  Pont- 
»  Euxin  (loi);  c'est  ce  qu'a  écrit 
»  ïhémistogène  le  Syracusain.  »  Ce 
passage  a  paru  sufïisant  à  Usséiius  , 
à  Kuster  et  à  Dodwell ,  pour  établir 
que  l'Anabase  n'est  pas  de  Xéno- 
phon.  Peut- on  douter,  disent -ils, 
que  ,  s'il  eût  rédigé  ,  comme  ce 
Themistogène  l'avait  fait,  l'Histoire 
de  la  retraite  des  Dix-Mille  ;,  il  eût 
renvoyé  à  cet  auteur  pour  en  connaî- 
tre les  détails?  Tout  au  moins  au- 
rait-il dû  dire  :  «  C'est  ce  que  j'ai 
écrit  dans  un  autre  ouvrage ,  ainsi 
que  Themistogène.  »  Cet  argument 
est  très-fort  et  a  entraîné  d'autres 
critiques  habiles.  Pour  l'affaiblir , 
Schneider  et  M.  Weiske  répondent 
que  Xénophon,  ayantsans  doute  écrit 
l'Anabase  après  les  Helléniques,  a  dû 
citer  l'ouvrage  de  Themistogène  , 
puisqu'il  n'avait  pas  encore  composé 
le  sien.  Mais  tout  prouve  au  contrai- 
re que  les  Helléniques  sont  un  de  ses 


(loi)   lU, 


XEN 

derniers  écrits  ,  puisqu'il  y  tra- 
vaillait encore  en  35-],  c'est-à-dire 
dans  la  88^.  année  de  son  âgej  tan- 
dis que  l'Anabase  a  été  écrit  et  ache- 
vé pendant  le  séjour  de  l'auteur 
à  Scilionte,  comme  le  prouve  l'épi- 
sode du  v*'.  livre  (plus  haut,  p.  383). 
Ce  fait  certain  réduit  à  rien  la  réponse 
des  deux  critiques  ;  et  la  dilïiculté  res- 
te dans  toute  sa  force.  Cependant ,  à 
n'examiner  que  l'ouvrage  en  lui-mê- 
me ,  il  est  presque  impossible  de  dou- 
ter qu'il  ne  soit  de  Xénophon.  \n-M 
dépendarament  d'une  foule  d'indi-J 
calions  diverses,  relevées  par  Morus 
et  M.  Weiske,  quel  autre  que  lui  se  se- 
rait étendu  avec  tant  de  complaisan- 
ce sur  les  moindres  actions  de  Xéno- 
phon, l'aurait  montré  toujours  en 
scène  ^  aurait  rapporté  fidèlemenl 
toutes  ses  paroles  les  plus  insigni- 
fiantes ,  et  ses  discours  même  leî 
plus  longs,  aurait  enfin  pris  à  tâch< 
de  nous  mettre  dans  la  confidence  d( 
ses  pensées  les  plus  secrètes? Ce  son 
là  des  caractères  qui  ne  sauraientnou: 
tromper  sur  le  véritable  auteur  di 
livre.  Mais,  comment  donc  explique: 
ce  que  Xénophon  dit  de  Thémistogè 
ne  ?  On  peut  indiquer  deux  solutions 
La  première,  qu'on  n'a  pas  trouv« 
très  probable,  est  donnée  par  Plutar 
que;  il  dit  que  Xénophon  a  mis  soi 
ouvrage  sur  le  compte  de  Thémistogè 
ne,  afin  qu'on  eût  plus  de  confiance 
à  ce  qu'il  y  disait  de  lui-même  (lo'i) 
Il  s'ensuivrait  que  cet  historien  an* 
rait  d'abord  fait  paraître  son  ouvra' 
ge  sous  un  nom  supposé,  et  que  soi 
propre  nom  n'y  aurait  été  mis  quifl 
plus  tard  ;  c'est  en  effet  ce  que  dit  le' 
scholiaste  cité  par  Kuster  (io3). 
L'autre  solution  que  je  propose  coii^ 


(lo?.)  De  glor.  Alhen.,  p.  345,  E.—  Cf.  BibliolA 
Cru.  nov.,  it,  7,S8,  Leyde,  187.6. 

(io3)  Ad  Suid.,  voce  SsvO'iJ, 


XEN 

slste  à  admettre  i*^".  qu'en  effet 
il  a  existe  un  ouvrage  de  Tliémisto- 
gène  qui  comprenait  l'Histoire  de  la 
retraite  des  Dix-Mille  seulement  jus-' 
qu'au  Pont-Euxin;  i2".queXenoplion 
a  compose'  et  publié  les  Helléniques 
en  deux  fois.  Dans  mon  bypollièse, 
notre  historien  aurait  d'abord  publié 
le  complément  de  l'ouvrage  de  Thu- 
cydide ^  c'est-à-dire,  l'histoire  de  la 
guerre  du  Péloponnèse ,  jusqu'à  la 
prise  d'Atlùnes,  et  l'aurait  poussée 
jusqu'à  l'an  3^9,  époque  de  son  re- 
tour à  Athènes  ,  ce  qui  comprend  les 
deux  premiers  livres ,t  et  le  premier 
paragraphe  du  troisième,  où  se  trouve 
le  passage  sur  Thémistogène.  Celle 
partie,  commencée  avant  qu'il  allât 
joindre  Cyrus,  aurait  étéachevée^ 
soit  dans  l'intervalle  entre  son  retour 
d'Asie  et  son  départ  pour  l'armée 
d'Agésilas ,  soit  dans  les  premiers 
temps  de  sa  retraite  à  Scillonte,  épo- 
que à  laquelle,  n'ayant  sans  doute  pas 
encore  composé  l'Anabase,  il  a  dû  ci- 
ter l'ouvrage  déjà  publié  et  connu  de 
Thémistogène.  Le  reste  des  Helléni- 
ques aurait  été  composé  plus  tard,  et 
publié  peut-être  seulement  après  sa 
mort  par  son  filsDiodore  ou  son  petit- 
iilsGryllus. — Uneautre  question  qui 
a  été  agitée  parmi  les  critiques  est  de 
savoir  si  la  Cyropédie  est  une  histoire 
ou  mi  roman  politique.  Plusieurs  au- 
teurs anciens  eux-mêmes  ont  été  de 
cette  dernière  opinion.  Cicéron  le  dit 
formellement  :  Scripta  non  ad  his~ 
toriœ  fideni ,  sed  ad  effi^iem  justi 
imperii  {10^)^  et  Ausone  plus  claire- 
ment .  .  .  Xenophon  j4ttice  ^  .  .  tu 
qui  ad  Cfri  virtutes  exsequendas 
votum  potiùs  quàm  histcriam  com- 
modasii ,  cùm  diceres  ,  non  qualis 
esset ,  sed  qualis  esse  deheret  (  i  o5). 


(io4)  I.  Qn'uit.  Fr.,  I,  8. 
(io5)  Jii  Grat,  rtcr.j  p,  JI7.8. 


XEN 


38q 


Deuys  d'Halicarnasse  (  i  o6)  a  été  du 
même  avis  ,  ainsi  que  plusieurs  his- 
toriens, puisque  ni  Diodore  de  Sicile, 
ni  Trogue  Pompée  n'ont  suivi  Xeno- 
phon dans  le  récit  de  la  mort  de 
Cyrus.  Cette  opinion  a  été  adoptée 
par  î^rasme  ,  Vossius  ,  Louis  Yives, 
Scahger  ,  Calvisius  ,  Simson,  Fra- 
guier,  Dcsvignoles  ,  Fréret ,  Larcher , 
Sainte-Croix  ,  Weiske  ,  etc.  •  tous 
s'accordent  à  ne  voir  dans  la  Cyro- 
pédie  qu'un  traité  politique  ,  dont 
l'auteur  a  eu  en  vue  d'exposer  les 
moyens  de  former  des  citoyens  jus- 
tes et  courageux ,  et  de  mettre  en 
action  un  général  également  sage  et 
habile  dans  l'art  de  la  guerre.  Quel- 
ques vérités  historiques  s'y  trouvent 
mêlées, mais  plus  ou  moins  altérées: 
la  plupart  des  personnages ,  tous 
peut-être  ,  Cyrus  et  ses  parents  ex- 
ceptés ,  sont  d'invention  ;  les  faits 
qu'on  leur  attribue  sont  ou  fictifs 
(107),  ou  arrangés;  et  les  usages 
qu'il  prêle  aux  Perses  sont  emprun- 
tés le  plus  souvent  à  la  Crète  ,  et 
surtout  à  Lacédémone.  Voyez  la  note 
que  j'ai  insérée  dans  la  nouvelle  édi- 
tion de  Rollin  (t.  1 1 ,  p.  98  ) ,  et  qui 
n'est  que  le  résumé  des  opinions  de 
tous  les  critiques.  Comme  ouvrage 
historique,  la  Cyropédie  est  donc 
d'une  autorité  d'autant  plus  faible , 
qu'il  est  plus  dilîiciîe  de  distinguer 
le  petit  nombre  de  faits  réels  qui 
peuvent  s'y  trouver  ;  mais,  considérée 
comme  ouvrage  politique  ,  elle  est 
peut-être  le  plus  parfait  de  tous  ceux 
de  Xenophon  ,  et  celui  auquel  il  pa- 
raît avoir  donné  le  plus  de  soin.  Il  a 
dû  y  travailler  long-temps  ,  et  ne  le 
publier  que  fort  tard ,  puisque  ,  dans 
l'épilogue  ,  il  est  question  d'événe- 


(106)  Epïst.  ad  Poiiip.,  p.  46. 

(107)  Comme  lorsque  Xéuophou    allribue  m  Cy- 
rus la  conquête  do  VEgyple. 


ogo 


XEN 


mcnts  qui  tombent  à  Tan  36 1  avant 
notre  ère.  Cet  épilogue  a  pour  objet 
de  montrer  que  les  Perses  avaient , 
sous  tous  les  rapports  ,  beaucoup  dé- 
génère depuis  \a  mort  de  Cyrus.  Il  a 
etc  cite  ,  comme  étant  de  Xénophon , 
par  Athe'née  et  d'autres  auteurs  ,  ce 
qui  n'a  pas  empêché  des  critiques  mo- 
dernes tels  que  Valckenaer,  David 
Scluilz  (  1 08) ,  Sclineider ,  lieindorff, 
etc. ,  de  le  regarder  comme  une  ad- 
dition de  quelque  faussaire-  mais  on 
ne  voit  pas  pourquoi  (109)  ce  mor- 
ceau ne  serait  pas  de  Xénophon  lui- 
même  ;  il  ne  me  semble  pas  impossi- 
ble qu'il  ait  voulu  aller  au-devant 
de  l'objection  tirée  du  contraste 
entre  le  tableau  qu'il  avait  tracé 
des  mœurs  et  des  vertus  des  Perses 
sous  le  règne  de  Cyrus,  et  l'état 
où  ils  se  montraient  aux  Grecs. — 
Les  deux  seuls  ouvrages  vraiment 
historiques  de  notre  auteur  sont  donc 
V^Anahase  et  les  Helléniques^  Le 
premier  de  ces  ouvrages  est  divisé 
eu  sept  livres  ;  et  il  contient  toute 
l'histoire  de  l'expédition  des  Grecs 
à  la  suite  de  Cyrus  ,  et  de  leur 
retraite  après  sa  mort,  jusqu'au 
moment  oii  Xénophon  eut  ame- 
né ses  troupes  à  Thymbron  ,  ce 
qui  comprend  un  intervalle  de  deux 
ans.  On  peut  le  diviser  en  deux  par- 
ties :  la  première  comprend  la  mar- 
che de  l'armée  de  Cyrus  ,  la  bataille 
de  Cunaxa  ,  et  la  retraite  des  Grecs 
à  travers  la  Babylonie  ,  l'Assyrie  et 
l'Arménie^  jusqu'à  leur  arrivée  à 
Cotyoresurles  bords  du  Pout-Euxin; 
intervalle  de  quinze  mois,  qui  forme 
le  sujet  des  quatre  premiers  livres  ; 
là  seconde  partie  se  termine  à  la 
jonction  des  troupes  avec  l'armée  de 

(ïo8)  De  Cyrop.  epilogo  Xcnophoiiit  ahjudican- 
tiv,  etc.,  Halle,  i8ob. 

(ioq)  Cf.  Fr.  Aug.  I>ai-netimnn,  Fpilog.  dcr  Cy- 
t  'f.a'dif  ,  H.  s.  H'.,  Leipzig,  1819. 


XEIS 

Thymbron,  et  comprend  un  inter- 
valle d'environ  huit  mois.  Ces  deux 
parties  de  l'ouvrage  ne  sont  ni  d'un 
égal  intérêt,  ni  peut-être  d'un  égal 
mérite  :  la  seconde  est  naturellement 
moins  attachante  que  la  première  y 
011  l'intérêt  croît  à  chaque  page  ,  en 
faveur  de  cette  armée  qui  se  fraie 
une  route  à  travers  les  obstacles  de 
tout  genre  qui  entravent  sa  marche 
et  compromettent  son  existence  :  on 
peut  ajouter  aussi  qu'outre  la  moin- 
dre importance  des  faits  ,  la  narra- 
tion ,  dans  la  'i^.  partie,  se  traîne  da- 
vantage sur  dé!&  détails  d'un  médiocre 
intérêt.  Ce  n'en  est  pas  moins  ,  dans 
son  ensemble ,  unmorceau  à-peu-près 
achevé,qui(i  lo)  renferme  decurieux 
détails  sur  la  géographie  des  contrées 
que  l'armée  avait  parcourues^  et  des 
précieux  documents  pour  l'art  militai- 
re. Les  Helléniques,  comme  on  l'a  vu, 
font  suite  à  l'histoire  de  Thucydide. 
Cet  ouvrage  comprend  un  intervalle 
de  quarante-huit  ans  ,  qui  se  termine 
à  la  bataille  de  Mantinée,  la  troisiè- 
me année  de  la  io4®-  olympiade- 
ce  qui  n'empêche  pas  que  l'auteur 
n'y  intercale  la  mention  de  l'assas- 
sinat d'Alexandre,  tyran  de  Phères, 
qui  eut  lieu  la  4^-  année  de  la  loS*'. 
Xénophon  ,  comme  Thucydide  ,  di- 
visé le  temps  en  saisons;  si  l'on 
trouve  en  quelques  endroits  l'indica- 
tion d'olympiades  ,  d'archontes  et 
d'éphores,  ce  sont  des  interpolations 
évidentes,  comme  l'ont  prouvé  Mar- 
sham,  Dodwcll  et  Schneider  (i  it). 
Les  Helléniques  sont  un  ouvrage  de 
beaucoup  inférieur  à  l'Anabase.  Les' 


fiio)  Le  major  Rermell~et  le  lieutenant-colonel 
Leake  outrepeudant  trouvé  des  erreurs,  soit  dans 
l'évaluation  de  certaines  distances  ,  soit  dans  la  po- 
sjtiou  de  certains  lieux;  i!  faut  les  attribuer  à  ca 
que  l'ouvrage  a  elé  rédige  long-Icrups  après  l'cvë- 
nemeut  ,  sur  des  notes  dans  lesquelles  il  a  pu 
s'introduire  quelque  confusion. 

^11^)  Ad  Hellen.,   ,,  ■}.,   i.— CR  Idelcr,   liafid 
buch  der m 


idtechn.  ChronoL,  i,  p.  377. 


XEN 

événements  y  sont  présentés  avec  or- 
dre ;  la  narration  en  est  rapide  , 
mais  presque  partout  (n^)  sè- 
che ,  dénuée  de  couleur  et  de  déve- 
loppement, rarement  mêlée,  com- 
me dans  Thucydide  ,  de  ces  réflexions 
qui  éclairent  sur  les  causes  et  les  con- 
séquences des  événements  ,  de  ces 
vues  profondes  qui  annoncent  dans 
l'historien  la  faculté  de  généraliser 
les  laits,  talent  que  Thucydide  pos- 
sédait à  un  si  haut  degré.  D'ailleurs 
Xénophon  ,  tout  entier  à  ses  alléc- 
tions^  et  uni:juenicnt  occupé  de  re- 
produire ses  impressions  ])ropres  ^ 
met  souvent  une  dis[)ro|)orlion  cho- 
quante entre  l'iuiportance  des  événe- 
ments et  l'étendue  de  la  place  qu'il 
leur  consacre  (ii3).  (/est  ainsi 
que  la  paix  d'Antalcidas  ,  événe- 
ment qui  changea  les  rapports  es- 
sentiels de  la  confédération  hellé- 
nique ,  est  racontée  avec  une  briè- 
veté excessive.  Il  en  est  de  même 
de  quelques-unes  des  batailles  les 
plus  décisives  ,  comme  celles  de 
Leuctres  ,  des  Arginuscs  et  d'^gos 
Potamos ,  quoique  celle  -  ci  ait  eu  la 
plus  grande  influence  sur  la  destinée 
d'Athônes.  Enfin  on  en  peut  dire  au- 
tant des  actions  des  généraux  les  plus 
renommés  de  son  temps,  tels  qu'É- 
paminondas,  Pélopidas,  Alcibiade, 
Conon  ,  Ipliicrate,  Timolhce.  On  a 
dit,  pour  excuser  l'historien ,  que  son 
ouvrage  était  moins  une  histoire  que 
des  Mémoires.  Cette  excuse  est  peu 
valable.  Par  là  on  expliquerait  bien 
la  sécheresse  et  la  nudité  de  son  récit, 
mais  non  ce  défaut  choquant  entre 
l'étendue  de  la  narration  et  l'impor- 
tance des  faits.  D'ailleurs  les  anciens 


(lia)  Il  faut  exrepter  l'épisode  delà  condamna- 
tion des  généranx  qui  avaient  combattu  aux  Argi- 
uuses;  i]  est  touchant  et  dramatique. 

(ii3)  Frid.  Creuxer  ,  die  historische  Kunst  , 
p.  îA)4,  ff. 


XEN  Sgi 

auteurs  ,  entre  autres  Diodore  et  Po- 
lybe ,  citent  cet  ouvrage  comme  une 
véritable  histoire,  comme  une  conti- 
nuation de  Thucydide  ;  et  en  effet ,  il 
est  bien  peu  probable  que  l'auteur, 
continuant  l'ouvrage  de  cet  historien, 
ait  eu  l'intention  de  faire  autre  chose 
qu'une  histoire ,  comme  son  prédé- 
cesseur. Dira-t-on  qu'il  n'a  pas  eu  le 
tcm ps  de  Tac  liever?  Cette  supposition 
n'est  pas  non  plus  admissible,  quand 
on  songe  que  l'auteur  a  travailléàcet 
ouvrage  pendant  son  exil  à  Scillonte 
et  après  son  établissement  à  Corin- 
the ,  et  n'a  cessé  de  l'avoir  sous  les 
yeux  presque  jusqu'à  sa  mort. — Lu- 
cien, ])ar!ant  de  Xénophon  comme 
historien,  l'appelle  par  excellriice, 
rUy-ULOç  nuyy pxfcûç  (  m4).  Cette 
épithète  div.'x.toç  donne  ici  l'idée 
d'une  sincérité  de  caractère  et  d'une 
rectitude  de  jugement  dont  le  résul- 
tat ,  chez  rhi>torien  ,  doit  être  l'im- 
partialité. Xénophon  mérite  cet  élo- 
ge dans  l'Anabase ,  que  Lucien  pa- 
raît, en  cet  endroit,  avoir  spéciale- 
ment en  vue.  Tout  ce  qu'on  pourrait 
trouver  ,  c'est  qu'en  deux  circons- 
tances il  ne  s'est  pas  tenu  assez  en 
garde  contre  ses  aflections.  Ainsi, 
dans  ses  portraits  de  Cyrus  le  jeune 
et  de  Cléarque  ,  il  ne  les  montre  que 
du  beau  côté,  et  ne  met  aucune  om- 
bre au  tableau  ,  tandis  qu'il  résulte 
clairement  de  son  propre  ouvrage 
qu'on  peut  reprocher  à  Cyrus  une 
ambition  excessive,  de  la  dissimula- 
tion et  de  l'ingratitude;  à  Cléar- 
que de  l'orgueil ,  de  l'égoïsme  et  de 
la  dureté  (i  i5).  Du  reste,  rien  n'é- 
gale le  ton  de  candeur  qui  règne  dans 
cet  écrit ,  où  l'autour ,  presque  tou- 
jours  en  scène  ,  dès  le  troisième 
livre  ,  ne  laisse  pas  un  instant  naître 


(ii4)  De  Conscr.  H  ht.,  §  Sf). 

(ii5)  Manso  ,  Sparla  ,I1I,  i   th.,  p.  7. 


Sga  XEN 

l'idée  qu'il  a  pu  altérer  le  moindre 
fait  à  son  avantage.  Il  faut  convenir 
qu'en  lisant  les  Helléniques  ^  on 
se  sent  à -peu -près  obligé  de  faire 
beaucoup  de  restrictions  à  l'éloge 
de  Lucien.  On  y  voit  percer  ,  plus 
qu'en  aucun  autre  de  ses  ouvrages, 
cette  lacoîioinanie  qu'il  avait  mani- 
festée par  sa  conduite.  Selon  l'obser- 
vation du  savant  auteur  de  l'article 
Socrate  (XLII,  545  ),  Xénopbon  , 
de  même  que  son  condisciple  Platon , 
hérita  des  opinions  anti-démocrati- 
ques de  son  maître.  De  là,  un  pen- 
chant marquépour  les  institutions  et 
les  hommes  de  Sparte,  penchant  que 
développèrent  encore  l'étroite  amitié 
qui  l'unit  à  Agésilas  et  son  admira- 
tion profonde  pour  les  vertus  rigides 
de  ce  grand  homme.  Cette  disposi- 
tion égara  plus  d'une  fois  son  ju- 
gement,  et  lui  fit  taire,  sinon  alté- 
rer, la  vérité  à  l'avantage  des  La- 
cédémoniens ,  et  en  général  des  ob- 
jets de  ses  affections  particulières; 
les  exemples  assez  nombreux  que  les 
Helléniques  présentent  (i  16)  mettent 
le  fait  hors  de  doute  ,  et  forcent  au 
moins  d'avouer  qu'il  avait  quelque 
difficulté  à  se  défendre  d'une  certaine 
illusion  sur  les  défauts  ou  les  torts  de 
ses  amis;  ce  qui  fait  certainement  l'élo- 
ge de  son  cœur, mais  ce  qui  neprouve  ni 
une  grande  supériorité  de  raison,  ni 
mie  grande  force  de  caractère.  Ajou- 
tons que  son  attachement  presque 
sans  bornes  à  la  religion  populaire , 
sa  confiance  explicite  aux  songes  et 
à  tous  les  genres  de  pronostics ,  qui 
sont  un  trait  caractéristique  si  re- 
marquable dans  un  disciple  de  So- 
crate, limitent  sa  vue,  et  rétrécissent 
pour  lui  le  champ  de  l'observation 
liistorique.  Au  lieu  de  réfléchir  pro- 
fondément ,    comme  Thucydide ,  à 

(116)  Manso  ,  Spcirla  ,  lU ,  zw.ili.,  p.  1-14. 


XEN 

renchaînement  des  causes  et  des  ef- 
fets y  il  a  recours  à  l'intervention  im-  , 
médiate  des  Dieux ,  et  trouve  ainsi ,  , 
sans  aucune  peine ,  une  solution  com- 
mode ,  que  son  prédécesseur  aurait 
laborieusement  cherchée  dans  les  pas- 
sions ,  les  talents  ,  les  défauts  ou  les 
qualités  des  hommes.  Quant  à  son 
style,  les  anciens  en  vantent  unani- 
mement la  grâce  et  la  douceur.  Ci- 
céron  (117)  le  trouve  plus  doux  que 
le  miel  {melle  dulcior);  on  dirait 
que  les  muses  elles-mêmes  ont  parlé 
par  sa  bouche  (118).  Selon  Quinti- 
lien  ,  les  Grâces  semblent  avoir  pé- 
tri son  langage  (119);,  et  la  per- 
suasion s'être  assise  sur  ses  lèvres 
(120).  On  le  surnomma  en  consé- 
quence V Abeille  attique.  Ces  éloges 
des  anciens  ,  dans  leur  forme  hyper- 
bolique ,  attestent  le  cas  qu'ils  fai- 
saient de  son  style.  Denys  d'Ha- 
licarnasse  lui  accorde  toute  la  dou- 
ceur possible  ;  mais  il  prétend  qu'il 
n'a  pas  toute  la  beauté  désira- ^ 
ble  (121).  Si  le  critique  entend  par, 
là  que  ce  style  n'a  ni  la  profondeur 
ni  le  nerf  de  celui  de  Thucydide  , 
dans  les  ouvrages  historiques,  ni  l'é-. 
lévatiou,  la  variété  et  l'entramement 
de  celui  de  Platon ,  dans  les  ouvrages 
philosophiques ,  il  a  pleinement  rai- 
son ,•  car  ce  qui  distingue  ce  style  _, 
c'est  une  clarté  parfaite  ,  une  grande 
simplicité,  la  grâce  et  l'abandon; 
c'est  -  à  -  dire ,  les  qualités  mêmes  du 
caractère  de  l'auteur.  Xénophon,  en 
effet,  de  quelque  coté  qu'on  le  consi- 


(117)  Orat.,  §   Ç). 
(1,8)  W.  ,§  19. 

(119)  Inst.  Oral.,  X,   i,  8i. 

(120)  Td.  Jb.,  ce.  qu'on  avait  dit  de  Periclès,  et 
ce  qui  le  fut  de  bien  d'autres  ensuite  (Cf.  Boisson., 
iii  Eunap.,  9.9.0,  287). 

(121)  ll^éuç  pt.£V^    MÇ    £Vt  fxdUlÇOCj    OÙ 

(jLYîV  y.(x'kôi)ç  y  s  ,   icp'  ocrov  eâîu  ^c  Comp. 

verh.,  p.  ii5,  éd,Sch. 


I 


XEN 

dère,  ne  présente  aucune  faculté  trans- 
cendante ;  une  re'union  très  -  rare  de 
facultés  diverses  y  à  un  degré  ordi- 
naire, et  dans  un  parfait  équilibre 
entre  elles,  voilà  son  caractère  dis- 
tinctif.  Il  n'a  été  doué  ni  de  la  puis- 
sance de  réflexion,  ni  de  cette  acti- 
vité intérieure  qui  entraînait  Platon 
à  s'élever  sans  cesse  aux  spéculations 
les  plus  sublimes,  ni  de  cet  esprit 
d'observation  qui  révélait  à  Thucy- 
dide les  causes  les  plus  secrètes  des 
événements,  et  lui  faisait  pénétrer 
les  intentions  les  plus  cachées  des  prin- 
cipaux acteurs  du  grand  événement 
dont  il  avait  entrepris  l'histoire.  Ce 
qu'il  a  possédé,  par-dessus  tout,  c'est 
le  talent  d'exposer  et  de  narrer.  Aus- 
si ,  quoique  Xénophon  ait  écrit  sur 
l'histoire  et  la  philosophie ,  si  l'on 
disait  qu'il  ne  fut  ,  à  proprement 
parier,  ni  historien  ni  philosophe, 
ce  paradoxe  pourrait  bien  n'être 
pas  très  -  loin  de  la  vérité.  Ce 
qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  qu'il  ne 
s'était  point  formé,  par  ses  mé- 
ditations propres  ,  une  opinion  à 
lui  sur  une  branche  quelconque  de 
la  science  philosophique  :  ses  ouvra- 
ges en  ce  genre  sont  d'admirables 
narrations,  des  conversations  aima- 
bles, une  exposition  claire,  une  dé- 
fense noble  et  simple  des  opinions 
de  son  maître,  plutôt  que  des  traités 
de  philosophie,  composés  pour  obéir 
à  ce  besoin  impérieux  de  répandre 
au  dehors  les  créations  ou  les  com- 
binaisons de  la  pensée.  Dans  ces  ou- 
vrages ,  il  s'attache  pas  à  pas  aux 
idées  de  Socrate;  on  dirait  souvent 
qu'il  reproduit  jusqu'à  ses  paroles  : 
à  peine  y  supposerait-on  d'autre  mé- 
rite que  celui  d'une  rédaction  pleine 
de  grâce  et  de  charme.  Ce  n'est  point 
unpenseur  profond  qui  prend  de  loin 
et  de  haut  le  parti  d'approfondir  , 
comme  Platon,  les  grandes  questions 


XEN  393 

de  la  morale  et  de  la  philosophie  , 
ou  de  reproduire ,  comme  Thucydide, 
le  tableau  complet  d'une  époque  his- 
torique :  c'est  un  homme  essentielle- 
ment pratique  ,  mêlé  aux  hommes  et 
aux  choses  de  son  temps  j  et  qui  , 
lorsque  l'occasion  l'y  conduit  ,  se 
met  à  raconter  les  événements  dont 
il  a  été  témoin,  et  les  impressions 
qu'il  a  reçues ,  ou  rédige'  les  obser- 
vations qu'il  a  faites  sur  les  che- 
vaux ,  la  chasse  ,  l'agriculture,  l'é- 
ducation ,  le  gouvernement ,  les  linan- 
ces.  Tous  ses  ouvrages  ont  plus  ou 
moins  ce  caractère.  C'est  ce  qui  a 
fait  croire  aux  anciens  eux-mêmes 
qu'il  a  dû  reproduire,  avec  plus  de 
fidélité  que  Piaton ,  les  opinions  de 
son  maîtrej  et  cela  est  très-probable- 
ment vrai ,  en  ce  sens,  qu'il  n'y  ajou- 
te rien  ;  mais  en  donne-t-il  une  idée 
complète?  On  peut  en  douter  :  du 
moins  ,  le  Socrate  de  Xénophon  ne 
nous  représente  qu'imparfaitement 
l'homme  qui  a  eu  une  si  grande  in^ 
fluence  sur  l'esprit  de  ses  contempo- 
rains; et  il  serait  possible  que  Pla- 
ton, dans  la  partie  dramatique  du 
Phédon,  dans  le  Criton  et  l'Apologie 
surtout ,  nous  donnât ,  de  cette  gran- 
de figure  de  l'antiquité,  un  portrait 
plus  ressemblant,  quoique  peint  avec 
plus  de  largeur  et  de  liberté. — Quant 
à  ses  ouvrages  historiques  ils  ne  sont 
pas  non  plus  le  résultat  d'un  plan  for- 
mé long-temps  d'avance: il  ne  prend 
pas,  comme  Thucydide,  la  résolu- 
tion de  consacrer  vingt  années  de  sa 
vie  à  recueillir  les  matériaux  d'une 
histoire,  à  interroger  tous  ceux  qui 
en  ont  eu  connaissance ,  à  voyager 
exprès  sur  le  théâtre  des  événements 
pour  en  bien  connaître  les  détails  et 
pour  en  mieux  pénétrer  les  causes^ 
Ces  ouvrages  sont  a  menés,  en  quelque 
sorte,  par  des  circonstances  fortuites. 
Ainsi,  acteur  principal  dans  la  mer- 


304 


XEN 


veilleuse  retraite  des  Grecs ,  il  éprou- 
ve, à  son  retour ,  le  besoin  de  racon- 
ter un  e'vënement  dont  personne  ne 
devait   connaître  mieux    que  lui  les 
détails ,   et  n'était  plus  interesse'  à 
présenter  une  narration   complète  , 
puisqu'elle  devait  être  un  tableau  de 
ses  talents  stratégiques.  Appelé  par 
la  confiance  de  Thucydide  ou  de  ses 
héritiers  à  faire  connaître  l'ouvrage 
incomplet  de  cet  historien,  il  est  na- 
turellement amené  à  l'idée  de  conti- 
nuer cet  ouvrage  jusqu'à  la  fin  de  la 
guerre  du  Péloponnèse ,  c'est-à-dire 
jusqu'au  point  où  Thucydide  voulait 
pousser  son  histoire,  ])artie  qu'il  ré- 
digea sans  doute  en  premier  lieu  , 
comme  nous  l'avons  déjà  dit;  puis  il 
ajouta  successivement  dans  sa  retrai- 
te à  Scillonte  et  à  Corinthe  le  reste  de 
l'histoire  de  son  temps  ,  jusqu'à  la 
bataille  de  Mantinée.  —  On  trouvera, 
dans  la  Bibliothèque  grecque  de  Fa- 
bricius,  et  dans  le  tom.  vu  du  Xé- 
noplion  de  M.  Gail ,  le  catalogue  de 
toutes    les   éditions    et    traductions 
complètes  ou  partielles  des  OEuvres 
de   Xénophon:    nous    devons  nous 
contenter    d'indiquer    ici  les   prin- 
cipales   (  F.    Pekrot  ).    Les  Hellé- 
niques sont  le  premier  ouvrage  qui 
aitparuen  grec  :  il  fut  imprimé, par 
Aide,  en  i5o3,  sous  le  titre  de  Pa- 
ralipomènes  ,  faisant  suite  au  Thu- 
cydide (i5o2).  La  première  édition 
des  œuvres  est  due  à  Ph.  Giunta(  Flo- 
rence,   i5i6);  mais  elle  n'est  pas 
complète  ,  puisqu'il  y  manque  V A^é- 
sïlas ,  V  Apologie  y   les  lievenus ,  et 
une  partie  de  la  République  d'A- 
thènes. Dans  la  seconde  édition ,  en 
1  5^5  ,  donnée  par  André    d'Asola  , 
il    ne   manque   que  l'Apologie.    La 
première  édition  entièrement  com- 
plète   est   celle    de    i54o,  à  Halle 
en  Souabe  ,  avec  une  préiace  de  Ph. 
Mélanchthon.    En    i54.'>,    parut   à 


I 


XEN 

Baie,  par  les  soins  de  JNic.   Bry- 
linger  ,   la    première  édition  grec- 
que-latine. Ces  diverses  éditions  fu- 
rent effacées  par  celles  d'Henri  Es- 
tienne,  i56i    et  i58i  ,  toutes  grec- 
ques j  mais  à  la  dernière ,  qui  est  la 
meilleure ,  se  joint  la  version  latine  ,    « 
imprimée  à  part.  Le  texte  de  ces  édi-   ■ 
tions,  le  meilleur  qu'on  eût  jusqu'à-    ■ 
lors  possédé,  fut  établi  par  ce  grand 
helléniste  sur  les  éditions  antérieures 
et  sur  quelques  manuscrits  ,  et  épu- 
ré, dans  une   foule  de  détails  ,  par 
une  critique  fine  et  ingénieuse.  Ce 
texte  fut  reproduit  dans  les  trois  édi- 
tions de  Jean  Loew  enklau,  |d!is  connu 
sous  le  nomdeLeunclaveouLeuncla- 
vii:s,  Bâle ,  i  SGg  et  i  S-yQ;  Francfort, 
1 594 ,  accompagnées  de  la  version  la- 
tine. L'éditeur,  parl'envieet  la  préten- 
tion de  faire  plus  et  mieux  qu'Henri 
Estienne,a  donné,  dans  ses  notes,  une 
foule  de  conjectures  futiles  ou  inad- 
missibles ,  annoncées  d'un  ton  tran- 
chant qui  ne  les  rend  pas  meilleures. 
L'édition  de  Loev^'enklau^,  de  i  5g4 , 
fut    réimprimée  à  Paris   en    i625. 
Depuis,  il  ne  parut  plus  de  nouvelle 
édition  critique  de  Xénophon,  avant 
celle  de  d'Kd.  Wels  (  Oxford  ,  1 708,. 
5  vol.   iu-8^.  ),qui  a   plutôt  altéré 
qu'amélioré  le  texte,  en  y  introdui- 
sant avec  trop  de  légèreté  tantôt  des 
corrections  d'Henri  Estienne  ,  tantôt 
des  conjectures  de  Loewenklau.  Cet- 
te édition  fut  réimprimée  par  leS' 
soins  de  Thième,   Leipzig,   1763, 
4  vol.  in-8*^.  'y  mais  cet  éditeur  mit  de 
plus  à  profit  le  travail  d'Hutchinson 
sur  la  Cyropédie  et  l'Anabase.  L'é- 
dition de  Ben  j.  Weiske  (6  vol.  in-S^., 
Leipzig,  1798-1804  )    est  remar- 
quable par  les  dissertations  histori- 
ques  et    littéraires  qui  raccompa- 
gnent. Le  texte  n'est  pas  le  fruit  d'une 
nouvelle  récension.  La  plus  volumi- 
neuse de  toutes  les  éditions  de  Xéno 


XEN 

pliou  est  celle  qye  M.  Gail  a  publiée , 
sous  le  titre  d' OEui^res  complètes 
de  Xénophon  f  traduites  en  fran- 
çais ^  accompagnées  du  texte,  de 
la  version  latine ,  et  de  notes  cri- 
tiques ,  6  vol.  in-4°. ,  de  1797  à 
1804  ;  plus  un  septième  volume  en 
trois  parties,  dont  l'une  (  1808)  con- 
tient les  variantes  des  manuscrits  j 
l'autre  (181 4),  les  notices  des  ma- 
nuscrits, et  des  obseivations  litté- 
raires et  criticpies  ;  la  3*^^  un  atlas 
de  cartes  et  plans.  M.  Gail  a 
adopté  l'ancien  texte  ,  et  ne  s'est 
point  servi  ,  pour  l'améliorer  ,  de 
sa  collection  des  variantes  j  c'est 
un  soin  qu'il  a  laissé  aux  éditeurs 
futurs.  Ses  observations  littéraires 
et  critiques  ,  où  il  discute  un  certain 
nombre  de  passages  dilliciles  ,  sont 
plus  utiles  à  l'intelligence  de  Xé- 
uophonqu'à  l'amélioration  du  texte. 
La  division  en  paragraphes,  si  com- 
mode pour  les  rechcicbes,  n'a  été 
malheureusement  adoptée  que  dans 
le  dernier  volume,  contenant  les  Mé- 
morables, les  Cynégétiques  et  l'Éco- 
nomique. La  version  latine  est  celle 
de  Loewenklau,  corrigée  en  quel- 
ques endroits.  Quant  à  la  version 
française  ,  elle  n'est  nouvelle  qu'en 
partie  :  l'auteur  avoue  n'avoir  fait 
que  reproduire  celles  de  la  Cyropé- 
die,  des  Mémorables  et  de  l'Anabase 
de  MM.  Dacier,  Leveque  et  Lar- 
cher  ,  sauf  quelques  légers  change- 
ments ,  dont  il  exprime  ainsi  le  mo- 
tif :  «  J'étais  tenté  de  copier  ces  trois 
»  versions;  mais,  le  libraire  de  l'un 
»  de  ces  traités  m'ayant  annoncé 
»  des  prétentions  ,  pour  éviter  toute 
»  discussion  ,  je  (is  des  changements 
»  (i'2!2).  »  Il  y  a  des  tables  alphabé- 
tiques des  matières  à  chaque  volume^ 
excepte  au  premier  qui  n'a  qu'une 

•;,i22>  T.Aîi. -î".  part.,  â*  sè^t.,p.*ta,  n<»    -?.. 


XEIN  395 

table  des  chapitres ,  très-insuffisante. 
On  aurait  désiré  une  table  générale 
à  la  fin  de  l'ouvrage.  Cette  édition  pè- 
che par  le  défaut  de  plan  et  d'en- 
semble :  et  elle  est  loin  d'être  d'une 
utilité  proportionnée  à  son  étendue ,  à 
sa  beauté  et  à  tout  ce  qu'elle  a  dû 
coûter  de  peines  et  d'argent.  Zeune  , 
professeur  à  Wittemberg,  donna  suc- 
cessivement les  divers  traités  de  Xé- 
nophon,  de  1778  à  1785  ,  en  5  voL 
in-8*^\  La  mort  l'empccha  de  publier 
les  Helléniques.  Ces  éditions  se  distin- 
guent plutôt  par  les  notes  qui  les  ac- 
compagnent que  par  la  cri  tique  verba- 
le. Schneider  se  chargea  de  revoir  ces 
éditions,  et  il  a  publié  les  Helléniques 
en  1791;  les  Mémorables  en  1790 
et  1801;  la  Cyropédic  en  1800^ 
l'Économique  ,  l'Agésilas  ,  etc. ,  en 
i8o5  j  l'Anabase  en  1806;  et  les 
Opuscula  polit ica  en  181 5.  Les 
commentaires  de  ces  éditions  sont 
très- estimés  et  méritent  de  l'être.  Au 
nombre  des  éditions  qui  donnent  une 
nouvelle  récension  du  texte,  il  faut 
distinguer  surtout  celle  du  Maître  de 
la  cavalerie  ,  et  de  VÈquitation  , 
parP.-L.  Courier.  L'emploi  des  Mss. 
pour  la  constitution  du  texte  est  un 
modèle ,  et  montre  tout  ce  qu'il  reste 
à  faire  pour  avoir  un  texte  de  Xéno- 
phon  aussi  épuré  que  possible.  Il 
faut  encore  citer  ,  sous  ce  rapport , 
l'édition  de  la  Cyropédie  parM.Ern. 
Poppo,  Leipzig,  1821;  celles  de 
l'Anabase  par  L.  DindorIF,  Leipzig, 
1824;  Frédéric  Jacobs  ^  ibid.  , 
i825;  et  M.  Ern.  Poppo,ib. ,  1827 
(i23).  —  Diogène  de  Laërte  (124) 
compte  encore  six  personnages  qui 
ont  porté  le  nom  de  Xénophon  :  le 
premier  est  un  Athénien  ,  frère  de 
JNicostrate  ou  Pithostrate,  qui  avait 


(i7.3)  On  a  de  M.  l'ortia  d'Url)^u,    une  Vie  de 
Xénophon  ,  179.5  ,  in-8° 
(la/,!  n,5()." 


396  XEN 

composé  entre  autres  ouvrages  his- 
toriques ,  les  vies  d'Épaminondas  et 
de  Pelopidas;  et  un  poème  épique 
intitulé  Théséide ,  qui  a  été  cité  par 
PlutarquedanslaviedeTliésée(i25). 

—  Le  second  avait  écrit  une  vie  d'An- 
nibal  :  on  n'en  sait  pas  davantage. 

—  Le  troisième  était  un  thaumatur- 
ge ,  dont  parle  Athénée  (  1 26)  :  il  fai- 
sait jaillir  du  feu  à  volonté  ,  et  opé- 
rait divers  autres  prodiges  de  magie 
blanche ,  qui  étonnaient  beaucoup  les 
Athéniens.  —  Le  quatrième  était  un 
excellent  sculpteur  de  Paros  :  ce  n'est 
cependant  pas  le  sculpteur  du  même 
nom  dont  parle  Pausanias ,  puisque 
celui-ci  était  Athénien  (127)  (  P^oj, 
Particle  qui  suit).  —  Le  cinquième 
est  un  poète  de  l'ancienne  comédie. 

—  Enfin  ,  le  sixième  est  un  médecin 
de  Cos  ,  le  même  dont  parle  Tacite 
(128).  Selon  cet  historien,  il  était  de 
la  famille  des  Asclépiades  :  a  Reçu 
»  dans  le  palais  des  Césars  ,  sous  le 
)>  règne  de  Claude  ,  il  y  jouit  d'une 
»  faveur  si  distinguée,  qu'un  sénatus- 
»  consulte,  sollicité  par  l'empereur 
))  lui-même,  déclara  la  patrie  du 
»  médecin,  exempte  à  perpétuité  de 
))  tout  impôt.  »  Un  si  grand  bienfait 
n'empêcha  pas  que  Xénophon  ne  con- 
tribuât à  la  mort  de  Claude,  à  l'ins- 
tigationd'Agrippine;  il  lui  mit,  dans 
le  gosier,  comme  pour  le  faire  vomir, 
une  plume  enduite  d'un  poison  très- 
subtil.  Voir  dans  le  cabinet  de  Vien- 
ne (129)  une  médaille.  —  Outre  les 
six  persoimages  que  cite  Diogène  dé 
Laërte,  Suidas  nous  fait  connaître 
encore  un  Xénophon  d'Antioche  qui 
avait  écrit  des  Bahjlonica  :  un  Xé- 


(12.T)  %-f.'j.  —  Cf.  Heyn.  Ad  kpdttoà.,  III,  16. 
.  —  Heeren.  défont,  -vit.  paraU'.  Plut.  ,  p.  12. 
(iî6)  I,  19,  E, 

(127)  viii,3o//i.  — IX,  iG,  (•«. 
(1V..8)  Annal.,  Xlï ,  61,  (l;. 
{i7.r))  Visconli,  Icono^r.  grecque,  i,  281-282, 


XEN 

nophon  de  Cypre  ,  auteur  des  Cy- 
priaqucs  :  ces  deux  ouvrages  parais- 
sent avoir  été  un  recueil  d'histoires 
amoureuses.  Il  faut  ajouter  Xéno- 
phon de  Larapsaque,  auteur  d'un  Pé- 
riple ,  que  citent  Pinie  et  Solin  :  on  en 
ignore  absolument  l'époque  :  on  peut 
présumer,  d'après  les  citations  de 
Pline  ,  que  ce  Périple  embrassait  les 
cotes  septentrionales  de  l'Europe. 

L NE. 

XÉNOPHON ,  sculpteur  athénien, 
a  dû  vivre  vers  la  120°.  olvmpiade, 
puisqu'il  a  travaillé,  de  concert  avec 
Céphisodore  ou  Céphisodote,  fds  de 
Praxitèle  (  Foj-.  Céphisodore  )  ,  au 
trône  de  Juj)iter  à  Mégalopolis  ;  le 
dieu  y  était  représenté  assis  ,  ayant 
à  sa  droite  la  ville  de  Mégalopolis 
personnifiée,  et  à  sa  gauche  Diane. 
Le  monument  était  en  marbre  penté- 
lique.  Un  ouvrage ,  plus  célèbre 
encore ,  était  la  statue  de  la  Fortune 
à  Thèbes.La  Fortune  portait  dans  ses 
bras  le  dieu  Plutus  enfant  j  mais 
Xénophon  n'avait  exécuté  que  la 
tête  et  les  bras  de  la  déesse  j  le  reste 
était  l'ouvrage  deCallistonicus,  thé- 
bain.  On  en  conclut  avec  apparence 
de  raison  ,  que  cette  statue  apparte- 
nait à  la  sculpture  polychrome  ,  et 
qu'elle  était  composée  de  matières 
diverses.  L — s — e. 

XÉNOPHON  à'Éphèse,  ou  com- 
me on  l'appelle  vulgairement  Xéno- 
phon le  Jeune ,  un  des  neuf  roman- 
ciers grecs  dont  les  ouvrages  ont  été 
publiés  ,  ne  nous  est  absolument  con- 
nu que  par  ses  Epliésiaques  ou 
Amours  cCHabrocome  et  cl' AntJiia. 
Long-temps  ignoré  des  modernes,  il 
paraît  qu'il  n'eut  aussi  qu^uie  très- 
raédiocrc  célébrité  chez  les  anciens  ; 
car,  à  l'exception  de  Suidas,  aucun 
auteur  ne  fait  mention  de  lui  ,  pas 
même  Photius,  qui  dans  sa  Bi- 
bliothèque a  enregistré  tant  d'ccri- 


XEN 

Tains  médiocres.  11  est  vrai  que  ni 
l'ëlégante  pastorale  de  Longus,  ni 
les  anecdotes  de  Partlienius  ne  sem- 
blent être  parvenues  à  la  connaissan- 
ce de  ce  Savant  patriarche  de  Gons- 
tantinople,  et  que  vingt  autres  lacu- 
nes  non   moins  importantes  prou- 
vent combien  son  travail    est  loin 
d'être  complet.  Quant  à  la  notice  de 
Suidas,  elle  est  d'une  brièveté  qui 
décèle  l'ignorance  complète  du  lexi- 
cographe. 11  se  borne  à  nous  appren- 
dre que  Xénophon  d'Kphèse  ,  histo- 
rien{  tel  est  le  litre  que  l'on  donnait 
en  Grèce  aux  auteurs  de  romans  ), 
composa  outre  les  Éphésiaques ,  un 
traité  sur  la  ville  d'Ephèse,  et  quel- 
ques autres  ouvrages.  Encore  la  pre- 
mière partie  de  ce  paragraphe  con- 
tient elle  une  erreur  palpable.  Selon 
Suidas ,  les  Ephésiaques  se  compo- 
sent de  dix  livres,  et  l'ouvrage  que 
nous  po'-sédons  n'en  a  que  cinq.  Peut- 
être  va  t-on  s'écrier  que  nous  pre- 
nons des  fragments   pour  l'ouvrage 
entier,  et  que  de  deux  choses  Tune  , 
ou  le  roman  n'est  point  fini ,  ou  il 
s'y  trouve  des  lacunes  considérables. 
Mais  il  suffit  de  parcourir  les  Ephé- 
siaques, pour  s'assurer  que  ni  l'une 
ni  l'autre  de  ces  hypothèses  n'est  ad- 
missible. On  pourrait  tout  au  plus 
supposer,    et  cette  conjecture,  que 
personne  n'a  encore  risquée ,  ne  man- 
que pas  de  vraisemblance;  on  pour- 
rait,  dis-je  ,  supposer  qu'un   conti- 
nuateur anonyme  ait  ajouté  à  l'his- 
toire d'Abrocome  et  d'Anthia  cinq 
autres  livres  d'aventures  qui  auront 
couru  sous  le  titre  d'Ea^scriaxà  via,  et 
que  dans  la  suite  on  se  sera  habitue' 
à    croire  l'ouvrage   en    dix    livres. 
Cette  explication  est  plus  naturelle  à 
coup    sûr  que    l'idée    de  ceux    qui 
croient  que  Suidas  aura  réuni  sous 
le  chilFre  lo  la  totalité  des  ouvrages 
de  notre  auteur ,  ou  que  les  copistes 


XEN  397 

se  sont  trompe's  en  laissant  e'chapper 
un  iota  (signe  numéral  delà  dixaine) 
pour  un  epsilon.  Ne  pourrait-on  pas 
aussi  soupçonner  que  l'erreur  de  Sui- 
das a  pour  cause  la  ressemblance  des 
noms  de  quelques  autres  romanciers? 
En  effet ,  il  résulte  de  plusieurs  docu- 
ments anciens  que  deux  Xénophons, 
l'un  d'Antioche,  et  l'autre  de  l'île 
de  Gypre,  avaient  composé  le  pre- 
mier des  Baby  Ioniques  ,  et  le  second 
des  Cj'priaques  (  f^oj^.  l'article  pré- 
cédent à  la  fin).  Il  serait  possible  que 
l'une  de  ces  histoires  ou  même  que 
toutes  les  deux  se  composassent  de 
dix  livres,  et  que  Suidas,  avec  cette 
précipitation,  qui  a  introduit  dans 
son  lexique  tant  d'inexactitudes   et 
de  faussetés  de  tout  genre,  ait  trans- 
porté à  l'écrivain  d'Ephèse,  ce  qui 
ne  convenait  qu'a  ceux  de  Gypre  ou 
d'Antioche.  Au  reste,  celte  question 
n'est   que  d'un   faible  intérêt    :  les 
Éphpsiaques  existent    dans    un   état 
d'intégrité  à  peu  de  chose  près  par- 
fait ;  et  elles  ne  contiennent  que  cinq 
livres.  Il  serait  plus  curieux  d'ap- 
profondirleproblème  indiquépar  Pa- 
ciaudi,qui,  dans  ses  Prolégomènes 
de  l'édition  de  Longus ,  donnée  par 
Bodoni,  Parme  ,  1786,  frappé  de 
l'homonymie  des  trois  romanciers  ci- 
tés plus  haut ,  prctend   que  le  nom 
de  Xénophon  n'est  autre  chose  qu'un 
pseudonyme  placé  par  chaque  au- 
teur en   tête  de  son  livre,  pour  lui 
procurer  des  acheteurs.  Le  baron  de 
Locella  ne  repousse  point  cette  sup- 
position ;  et  il  nous  semble  que  légè- 
rement modifiée,  elle   aurait   pour 
elle  tous  les  caractères  de  la  proba- 
bilité.  Voici   comment  un  des  trois 
Xénophons ,  le  plus  ancien  ,  TÉphé- 
sien  par  exemple,  n'aurait  choisi  le 
nom  sous  lequel  son  ouvrage  nous^est 
parvenu  qu'en  pensant  à  l'auteur  de 
la  Gvropédie  et  du  Banquet.  Mais 


3g\i 


XEN 


bientôt  ses  Éphésiaques  auraient  e'té 
lues  pour  clles-uiêraes ,  et  l'écrivain 
devenu  une  des  notabilités  littéraires 
d'une  cj:)oque  pauvre  en  chefs-d'œu- 
vre, loin  d'avoir  besoin  de  spéculer 
sur  une  erreur  de  noms,  aurait  été 
utile  aux  gens  curieux  de  repioduire 
des  spéculations  de  ce  genre.  De 
cette  manière  les  prosateurs  eroti- 
ques d'Antiocbe  et  de  l'île  de  Cypre, 
pour  donner  de  la  vogue  à  leurs 
compositions,  auraient  emprunté  le 
nom  du  romancier  d'Kplièse,  et  non 
celui  d'un  historien,  philosophe,  gé- 
néral et  homme  d'ctat.  Il  resterait 
maintenant  à  fixer  l'époque  ,  ou  , 
comme  on  le  dit  en  termes  d'école,  l'â- 
ge de  Xénophon.  Cette  tâche  difficile 
ne  peut  être  accomplie  que  par  l'ins- 
peclion  attentive  des  détails  histori- 
ques ,  géographiques  ou  archéologi- 
ques de  son  livre,qui  se  réfèrent  déci- 
dément à  un  siècle  plutôt  qu'a  un  au- 
tre. Malheureusement  ces  détails  sont 
si  peu  nombreux  dans  les  Éphésia- 
ques, que  Salvini  désespérait  d'en  ja- 
mais pouvoir  tirer  une  conclusion. 
Aussi  les  autres  savants,  en  différant 
de  lui  ,  ont  -  ils  néanmoins  long- 
temps varié  sur  ce  point.  Fabricius, 
dans  sa  Bibliothèqiic,  suppose  Xé-^ 
nophon  plus  ancien  qu'Heliodore, 
mais  sans  dire  sur  quels  arguments 
il  se  fonde.  Dorville,,  au  contraire 
(  dans  sa  Préface  à  la  tête  de  Ghari- 
ton  ),  le  fait  plus  jeune  qu'Hcliodore, 
Achille  Tatius  et  Longus.  Paciaudi , 
dans  ses  Prolégomènes  déjà  indiqués, 
le  porte  jusqu'à  la  fm  du  cinquième 
siècle  de  l'ère  chrétienne.  Nous  ne 
parlons  ici  ni  de  Burmann,  qui  se  bor- 
ne à  dire  que  le  style  des  Éphésia- 
ques a  quelque  chose  de  l'atticisme 
de  Lucien,  ni  du  Marseillais  Jour- 
dail,  qui  croit  l'auteur  de  très-peu 
postérieur  à  Sénèque,  à  cause  des 
pointes  semées  dans  son  récit.  Nous 


XEN 

verrons  plus  tard  ce  qu'il  faut  pen- 
ser de  cette  appréciation  littéraire 
de  l'ouvrage,  et  par  conséquent  de 
la  conjecture  qui  l'accompagne.  Pro 
litons  de  cette  occasion  pour  libérer 
Salvini  d'une  absurdité  dont  le  gratifie 
de  son  chef  le  même  Jourdan ,  fort 
riche  en  ce  genre  :  à  entendre  ce  bel- 
esprit  provençal ,  Salvini  place  sou 
Xénophon  sous  Jules-César.  Impu- 
dentissimuin  mendacium  !  s'écrie 
Locella  en  citant  cette  assertion  :  et 
en  effet  Salvini  était  trop  conscien- 
cieux dans  son  travail  pour  ne  point 
remarquer  qu'on  parle  à  diverses 
reprises  dans  les  Éphésiaques  du  pré- 
fet d'Egypte ,  et  trop  habile  pour 
ignorer  que  l'Egypte  ne  devint  une 
préfecture  romaine  qu'aprè»  l'extinc- 
tion de  la  dynastie  des  Lagides  dans 
la  personne  de  Cléopâlre,  l'an  3i 
avant  Jésus-Christ.  D'autre  part  il 
est  question  en  deux  endroits  de  l'ou- 
vrage du  préfet  de  la  paix  en  Cilicie, 
périphrase  qui  ne  peut  désigner  que 
V Irénarque  de  cette  contrée.  Or ,  il 
est  aujourd'hui  démontré  par  une 
dissertation  ex-professo  deSchvvartz 
que  rirénarchie  ne  fut  instituée  que 
sous  le  règne  d'Adrien  ,  c'est-à-dire 
de  l'an  1 17  à  l'an  i38  de  notre  ère. 
Il  est  donc  désormais  impossible  d'ad- 
mettre que  Xénophon  ait  vécu  anté- 
rieurement à  celte  époque,  et  proba- 
blement on  ne  risquerait  rien  en  le 
reculant  d'un  demi -siècle,  puisqu'ea 
nommant  les  Irénarques  ,  il  parle  de 
leur  magistrature  comme  d'une  ins- 
titution ancienne,  et  en  quelque  sorte 
universellement  connue  au  moins  en 
Asie.  Maintenant,  ne  peut-on  avancer 
encore  plus  vers  les  siècles  posté- 
rieurs ,  et  voir ,  par  exemple  ,  dans 
notre  romancier  un  contemporain  de 
Dioclétien  ou  de  Julien  ?  Plusieurs 
raisons  s'y  opposent.  D'abord  l'au- 
teur emploie  toujours  des  noms  géo- 


XEN 

graphiques  qui  au  commencement  du 
quatrième  siècle, avaient  disparu  delà 
langue  usuelle  comme  de  celle  du  gou- 
vernement. Ainsi  Héraclée  en  Thracc 
est  Perinthe  ^  Cesaree  de  Gappadocc 
s'appelle  encore  Mazaca  ;  enfin  ,  et 
ceci  est  formel,  Byzance n'est  jamais 
nommée  Gonslantinople ,  et  d'ailleurs 
il  n'en  est  parle  que  comme  d'une 
ville  ordinaire.  Le  choix  du  supplice 
de  la  croix  pour  faire  périr  Habro- 
come  à  Alexandrie  ,  prouve  non 
moins  victorieusement  que  la  com- 
position desÉphèsiaques précéda  l'an 
3  1 1  ,  puisque  à  cette  e'poque  Cons- 
tantin ,  vainqueur  de  Maxence  et  ca- 
téchumène ,  abolit  un  genre  de  mort 
dont  le  Sauveur  avait  sanctifie  l'igno- 
minie. Nous  rétrograderons  encore 
plus  ,  si  nous  songeons  au  ton  avec 
lequel  l'auteur  parle  de  l'oracle  d'A- 
pollon à  Claros ,  oracle  dont  les  an- 
ciens cessent  totalement  de  faire  men- 
tion depuis  le  troisième  siècle  ,  et 
qui  probablement  cessa  alors  d'exis- 
ter faute  de  dupes.  xAutre  particula- 
rité :  le  célèbre  temple  de  Diane  à 
Éphèse  fut  brûle  et  pille  en  'iG'i,  par 
les  ordres  de  Gallien  ,  et  l'histoire 
nous  atteste  qu'il  ne  se  releva  pas  de 
celte  dévastation.  Cependant  Xéno- 
phon  parle  des  cérémonies  et  du 
temple  comme  si  les  unes  existaient, 
et  comme  si  l'autre  était  debout  j 
c'est  même  dans  une  des  processions 
en  l'honneur  de  la  protectrice  d'É- 
phèse  ,  qu'Habrocome  et  Anthia  se 
rencontrent  et  conçoivent  l'un  pour 
l'autre  un  amour  qui  est  la  base  ou 
le  nœud  de  l'ouvrage.  De  ces  rap- 
prochements dus  généralement  à  la 
sagacité  de  Casjyérius  {Spécimen Dis- 
sertationum  de  Xenophonte  Ephe- 
siaco j  1 7 4o>  quoique  sans  date), 
il  résulte  que  le  romancier  éphésien 
vécut  entre  les  années  1 1 7  et  262  de 
l'ère  chrétienne.  Nous  croyons  que 


XEN  399 

l'on  peut  arriver  à  une  plus  grande 
précision  chronologique.  Déjà  ci 
dessus  par  une  remarque  qui  nous 
est  propre ,  nous  avons  rapproche' 
la  publication  de  l'ouvrage  de  la 
fin  du  second  livre  d'une  cin- 
quantaine d'années ,  pour  donner 
quelque  ancienneté  à  l'Irénarchie,  ce 
qui  place  l'auteur  vers  167,  et  en 
fait  un  contemporain  de  Marc-Au- 
rcle  et  de  Commode.  Nous  n'ose- 
rions le  renvoyer  beaucoup  plus  loin 
parce  qu'après  l'assassinat  du  der- 
nier de  ces  princes  (  3 1  décembre 
192),  ce  que  l'on  peut  appeler 
l'anarchie  militaire  commença  :  en 
moins  de  trois  mois ,  Pertinax  passa 
du  trône  aux  Gémonies  :  Didius 
acheta  et  ne  put  payer  l'empire  qui 
lui  fut  arraché  avec  la  vie  :  trois  ar- 
mées créèrent  alors  trois  empereurs  : 
ce  fut  en  Asie  qu'eut  lieu  la  lutte  de 
Sévère  et  de  Pescennius  ,  et  cette 
lutte  terminée  enfin  aux  plaines  d'Is- 
sus ,  après  avoir  ,  pendant  près  de 
deux  ans ,  rem|^li  l'Asie  de  sang  et 
de  larmes,  ne  fut  que  le  prélude  de 
vingt  guerres  civiles  dont  l'Orient  fut 
le  théâtre,  surtout  dans  la  première 
partie  du  troisième  siècle.  Comment 
le  spectateur  de  tant  de  désastres  , 
de  tant  de  scènes  de  désolation  et  de 
carnage  ,  ne  nous  retracerait-il  que 
les  talileaux  de  l'opulence  ,  de  l'in- 
dustrie et  de  la  paix  ?  Comment,  vou- 
lant nous  peindre  ses  personnages  en 
proie  à  tous  les  malheurs  ,  ne  profi- 
terait-il pas  des  ressources  que  lui 
présenteraient  en  foule  des  guerres  , 
et  surtout  des  guerres  civiles  ?  Com- 
ment pour  faire  enlever  son  héroïne 
serait-il  obligé  d'avoir  recours  à  des 
corsaires?  Tout  s'explique  dès  qu'on 
suppose  les  Éphésiaques  publiées 
long-temps  avant  que  ces  tristes  ré- 
sultats de  l'ambition  eussent  ensan- 
glanté l'Orient.  Nos  conjectures  arri- 


4oo  XEN 

veroiil  à  la  certitude ,  si  Ton  songe 
plus  specialcmeut  à  la  manière  dont 
l'auteur  présente  Byzance.  Chez  lui 
c'est  une  cité  libre  ,  riche  ,  floris- 
sante ,  populeuse  ,  brillante  ])armi 
les  villes  de  province  par  son  com- 
merce et  sa  grandeur  ,  et  gouvernée 
par  ses  propres  magistrats.  Telle  fut 
Byzance  en  effet,  depuis  les  temps 
de  Milhridate  jusqu'à  l'avènement  de 
Sévère.  Mais  lors  des  troubles  qui 
s'élevèrent  pour  la  succession  de 
Didius  ,  non-seulement  Byzance  , 
ainsi  que  le  reste  de  l'Orient  ,  se 
déclara  pour  l'antagoniste  de  Sé- 
vère ;  elle  tint  contre  l'armée  vic- 
torieuse, trois  ans  après  que  tou- 
tes les  provinces  avaient  reconnu 
sa  loi.  Enfin  pourtant  ,  il  fallut  se 
rendre  j  mais  la  ville  rebelle  vit  ses 
murailles  rasées  ,  ses  maisons  rédui- 
tes en  cendres,  ses  habitants  vendus,  et 
sesprivi'éges,ses  franchises  à  jamais 
anéantis.  Quelques  édifices  seulement 
furent  conservés  à  la  sollicitation  de 
Caracalla  ,  et  forn^j^rent  une  misé- 
rable bourgade,  jusqu'au  temps  où 
Dioclétien  alla  habiter  Niromédie. 
C'est  donc  dans  un  espace  d'environ 
vingt-cinq  ans  ,  de  167  à  192,  que 
nous  placerons  la  publication  du  ro- 
man qui  nous  occupe.  Quant  au  style 
de  l'auteur ,  quoique  celte  considéra- 
tion ne  soit  point  à  dédaigner  pour 
établir  l'âge  d'une  composition,  néan- 
moins elle  prête  trop  à  l'arbitraire 
pour  que  l'on  appuie  sur  elle  seule 
une  décision.  D'abord  on  peut  ne 
point  tomber  d'accord ,  soit  sur  le 
caractère  général  de  la  diction ,  soit 
sur  ses  nuances.  Ensuite,  combien  de 
fois ,  dans  cette  période  de  décaden- 
ce,  qui  comprend,  pour  la  Grèce, 
tous  les  siècles  écoulés  d'Auguste  à 
Justinien  ,  les  auteurs  les  plus  élé- 
gants se  sont-ils  proposé  pour  modè- 
les les  écrivains  qui  les  avaient  pré- 


XEN 

cédés,  et  ont -ils  reproduit,  sinon 
leur  génie  ,  du  moins  leurs  formes  de 
style  !  Quant  à  notre  romancier  ,  nous 
ne  voyons  pas  qu'il  ait  été  attaqué 
de  celte  manie  épidémique;  et  rien 
en  lui  ne  décèle  l'imitation  servile 
d'un  grand  homme  préférablement  à 
tous  les  autres.  Généralement  son 
style  est  pur  ,  simple  ,  élégant ,  dé- 
nué de  toute  affectation  et  d'enflure. 
C'est  donc  à  tort  que  le  traducteur 
français  ,  Jourdan ,  croit  y  trouver 
quelque  chose  qui  ressemble  aux 
concettl  de  Séuèque,  et  que  Leclerc, 
trop  prompt  à  croire  sur  parole,  pré- 
tend (  Bihliothèq.  ancienne  et  mo- 
derne ,  vol.  '26,  pag.  4'^^)  que  l^s 
Éphésiaques  sont  souvent  écrites 
avec  un  peu  d'enflure.  Burmann  , 
meilleur  juge  en  cette  matière,  re- 
connaît au  contraire  o^we  rien  n'est 
plus  sévère  et  plus  simple  que  la  dic- 
tion de  cet  ouvrage.  Hemsterhuys , 
Abresch,  Locella  et  les  plus  savants 
comme  les  plus  judicieux  hellénistes 
se  sont  rangés  de  cet  avis,  et  com- 
parent le  style  de  notre  Xénophon  , 
tantôt  à  celui  de  Lucien ,  tantôt  à  ce- 
lui de  Longus.  Cocchi  seul  ne  lui  dé- 
cerne que  des  louanges  médiocres 
sous  ce  rapport.  Mais  cette  réserve 
indique  ici  la  conscience  que  ce  tra- 
ducteur avait  de  son  peu  d'aj)titude 
à  prononcer  sur  des  matières  aussi 
délicates  ,  et  non  le  peu  de  mérite  du 
romancier.  Outre  ces  éloges,  on  peut 
donner  à  Xénophon  celui  de  faire 
marcher  l'action  avec  rapidité,  de 
ne  point  multiplier  à  l'infini  les  res- 
sorts et  les  incidents  ,  enfin  de  rester 
constammeut  vraisemblable  et  d'ac- 
corda vec  la  nature.Ses  narrations  mé- 
riteraient d'être  citées  dans  les  cours 
de  rhétorique  des  plus  sévères  pro- 
fesseurs, comme  des  modèles  de  con- 
cision et  de  vivacité.  Enfin  il  retrace^ 
avec  assez  de  bonheur  et  de  fidélité' 


XEN 

le  costume  de  son  époque  et  de  son 
pays.  Quant  aux  taules  de  gc'ogra- 
piiie  dont  on  Ta  accuse,  nous  nous 
bornerons  à  remarquer  qu'en  ce  gen- 
re, les  Grecs  et  les  Romains  ont  pres- 
que tous  rivalise    à   qui  saurait  le 
mieux  transposer  les  lieux,  et  estro- 
pier les  noms.  Au  reste ,  ces  fautes 
doivent  être  en  partie  attribuées  aux 
copistes  'y  et  il  est  peu  douteux  que 
s'il  nous  restait  plus  d'un  manuscrit 
de    Xenophon,   cet  écrivain  serait 
bientôt  reconnu  innocent  de  la  plu- 
part d'entre    elles.   Il  n'existe  des 
Épliesiaques  qu'un  seul  exemplaire 
manuscrit.    Ce    manuscrit  ,    ense- 
veli  avec  tant  d'autres  trésors  lit- 
téraires   dans    la    fameuse   biblio- 
thèque des  moines  de  Sainte-Marie, 
à  Florence  ,  et  par  conséquent  très- 
rarement  feuilleté  ,  avait  été  proba- 
blement sous  les  yeux  d'Ange  Poli- 
tien  ,  qui  en  a  traduit  et  insère  un 
passage  dans  ses  Miscellanea ,  ch. 
5 1  (  P^oy.  Gruter ,  Thésaurus  criti- 
eus ,  tome  i,  p.  63  ) ,  en  louant  l'e- 
légance  et  la  pureté  du  style.  On  doit 
même  penser  qu'il  avait  lu  l'ouvrage 
entier  ;  car  le   caractère  de  Jules  , 
dans  les  stances  qui  font  partie  de  la 
collection  dite  Stanze  di  diversipoe- 
tiilluslri,  par  Lodov.  Doice,  Veni- 
se ,  1 553  ,  in  - 1 2 ,  semble  une  imita- 
tion de  celui  d'Habrocome.  Ce  manus- 
crit dans  la  suite  passa  sous  les  yeux 
du  P.  Bernard  de  LMontfaucon ,  qui 
dans  son  Diarium  italicum ,  en  fait 
une  mention  assez   détaillée.  Selon 
lui ,  l'antiquité  de  cet  exemplaire  re- 
I  monte  au  treizième  siècle,  comme 
j  l'indiquent  et  la  forme  carrée  et  la  tem- 
I  te  jaune  pâle  des  caractères,  presque 
j  totalement  rouilles  de  vétusté.  L'é- 
criture en  est  d'une  finesse  extraor- 
dinaire. Aussi  le  volume  se  compose- 
t-il  de  vingt-trois  opuscules  différents, 
la  plupart  relatifs  aux  affaires  théo- 

LI. 


XEN 


4oi 


logiques  ou  à  l'histoire  Byzantine,  et 
les  cinq  livres  des  Éphésiaqucs  n'oc- 
cupent-ils que  dix -huit  pages,  du 
feuillet  9  au  i^e.  C'est  donc  à  tort 
que    Vossius   (  De  historicis  grœ- 
cis  et  latinis  ) ,    Grotius   (  Not.  in 
Nov.  Testam. .  ii  ,p.  281 ,  ad  Epist. 
ad  Ephes. ,  cap.  iv  ,  vs,   2g  ; ,  et 
Huet  (  Origine  des  romans ,  p.  loi 
et  suiv.  ),  s'accordaient  à  dire  que 
le  roman  de   Xenophon    n'existait 
plus.  Cependant  Salvini  fit  paraître 
la    première     traduction     italienne 
(Londres,  1723  ),  rédigée  sur  une 
copie  grecque  ,  primitivement  trans- 
crite par  lui  à  la  bibliothèque  de  Sain- 
te-Marie ,  ou  plutôt  sur  une  transcrip- 
tion de   cette  copie,  au  reste  peu 
exacte  _,  et  déparée  en  quelques  en- 
droits par  des    lacunes.  Da venant , 
chargé  d'affaires  d'Angleterre euTos- 
cane  ,  ayant  acquis  à  Florence  plu- 
sieurs manuscrits  précieux,  se  fit  céder 
aussi  la  copie  autographe  de  Salvini, 
qui  d'ailleurs  paraît  avoir  été  faite  à 
sa  sollicitation ,  et  il  la  porta  à  Lon- 
dres, où  il  la  livra  à  un  philologue 
italien  ,  Antoine  Cocchi  ou  Coccliius, 
qui    fit    paraître  l'édition  princeps 
dans  cette  ville  ,  1726,  in-4°.,  avec 
une  version  latine,  vantée  dans   le 
temps,    quoique    ne    s'élevant    que 
fort  peu  au-dessus  du  médiocre.  Les 
autres  éditions  desEphésiaques  sont: 
i».   celle  de  Fr.  Buonsignori ,  Luc- 
ques,    1781  ,  in -40.;  elle  contient, 
outre  le  texte  grec  de  Veditio  prin- 
ceps,  les  versions  latine,  italienne 
et  française  de  Cocchius,  de  Salvini 
et  de  Jourdan  :  fort  jolie ,  si   on  la 
considère   typographiqnement^   elle 
n'a  aucune  importance  sous  les  rap- 
ports critiques  ou  littéraires.  2».  Celle 
de  Polyzoïs ,  indiquée  par  les   ini- 
tiales n.  K.  (no).u^&j/3çKôvTou),  Vien- 
ne en  Autriche ,  1 793 ,  in  -  8».  Outre 
les  fautes   dont  elle  fourmille  ,  on 
26 


402 


XEN 


y  remarque  à  chaque  instant  des 
interpolations  ridicules.  Apres  d'aussi 
audacieuses  modifications  ,  on  ne 
doit  pas  être  étonne  que  l'éditeur 
se  permette  de  semblables  interpo- 
lations dans  la  version  italienne  de 
Salvini , qu'il  a  jointe  à  son  texte.  3». 
Celle  du  baron  de  Locella ,  Vienne , 
1-^96,  in  -  4°.  Cette  dernière  réunit 
toutes  les  qualités  :  excellente  tra- 
duction latine,  texte  habilement  et 
soigneusement  rectifié,  même  dans 
la  partie  si  minutieuse  de  la  ponc- 
tuation,  notes  philologiques,  histo- 
riques ,  exégétiques ,  les  unes  de  Bur- 
mann ,  Abresch  ,  Albcrti ,  Hemster- 
huys,  les  autres  de  lui-même  ;  index 
et  notice  aussi  savante  que  détaillée, 
soit  sur  l'auteur ,  soit  sur  ses  inter- 
prètes ,  telles  sont  les  diverses  par- 
ties d'un  travail  qui  annonce  dans 
Locella  un  éditeur  consciencieux  et 
habile.  C'est  ici  le  lieu  de  rappelerune 
anecdote  célèbre  dans  l'histoire  de 
la  critique  conjecturale.  Les  correc- 
tions et  même  les  suppléments  pro- 
posés par  Hemsterhuys ,  pour  rem- 
plir les  lacunes  laissées  dans  Veditio 
prmceps  ,  conjectures  qui  se  trou- 
vent rapportées  dans  les  Ohserva- 
tiones  miscellaneœ  Batavœ  (  vol. 
i-vi  )y  ont  été  reconnus  être  presque 
identiques  avec  le  manuscrit  ^  col- 
lationné  postérieurement  à  Florence 
avec  plus  d'exactitude.  Ajoutons 
que  le  texte  des  Éphésiaques  se 
retrouve  aussi  dans  la  collection  des 
Scriptores  erotici  grœci.  Quant  aux 
traductions,  il  en  existe  deux  en  al- 
lemand (  Antliia  und  Ahrokomes 
aus  dem  Griechisclien  des  Xeno- 
phons  von  Ephesus,  Leipzig,  1775, 
in-80.  ;  et  Etwas  von  Ephesus,  oder 
Geschichte  eines  jungen  Ehepaars , 
ûbersetzt durch  H*** jHâusiU,  i  ']']'] y 
in-80.);  une  en  anglais,  par  Rooke, 
Londres,  1727,  in -8°.,  et  deux  en 


XER 

français  ,  l'une  par  un  anonyme,  Pa- 
ris (la  Haye),  i-j36,  petit  in-  12; 
l'autre  par  un  Marseillais  appelé 
Jourdan  (  nom  qui  au  reste  est  ca- 
ché, sur  le  titre,  par  l'initiale  J)^ 
Paris,  1748,  in-  12.  Celle-ci  four- 
mille de  fautes ,  de  contre-sens  et  de 
phrases  à  prétention.  La  première , 
quoique  la  simplicité  du  style  dégé- 
nère quelquefois  en  platitude  ,  est 
moins  mauvaise.  Elle  s'attache  d'ail- 
leurs au  texte  grec  avec  plus  de  fidé- 
lité. Jourdan,  qui  en  l'appréciant 
dans  sa  préface,  déclare  que  le  tra- 
ducteur est  un  de  ces  Allemands  qui 
vont  apprendre  le  français  en  Hol- 
lande, aurait  fort  bien  pu  aller  à  son 
école  pour  apprendre  le  grec.  INous 
avons  parlé  ci-dessus  de  la  traduc- 
tion italienne  de  Salvini ,  qui  l'em- 
porte de  beaucoup  sur  toutes  celles- 
ci  ,  par  l'extrême  fidéhté,  par  l'élfr 
gance  et  la  hardiesse.  On  en  trouv 
des  exemplaires  avec  un  frontispi 
dont  le  millésime  est  Florence,  I7'i3 
mais  qui  n'est  probablement  qu'u 
rafraîchissement  de  l'édition  de  Loa 
dres.  Elle  a  été  imprimée  dans  1 
collection  des  Romanzieri  Greci 
Florence ,  1 792  ,  in- 1 2  ,  tome  i^i' 
séparément  par  A.-A.Renouard,  Pa 
ris  ,  1 800.  La  préface  annonce  qu'ell 
a  été  revue  par  le  célèbre  Visconti 
qui  l'a  corrigée  dans  plus  de  deu 
cents  endroits  ,  en  sorte  qu'elle  peul 
passer  pour  une  traduction  nouvelle, 
et  souvent  même  servir  de  commen- 
taire. P OT. 

XERCÈS  T'^^'.  ,  cinquième  roi  dJ 
Perse  ,  succéda,  en  l'an  485  avand 
J.-C. ,  à  son  père  Darius  qui ,  se  pré- 
parant à  partir  pour  une  seconde  ex- 
pédition contre  la  Grèce,  l'avait  dé- 
signé pour  son  successeur  ,  le  préfé- 
rant à  Artabaze,  son  fils  aîné,  parce 
que  celui-ci  était  né  avant  son  avène- 
ment au  trône ,  et  que  Xercès ,  petit- 


II 


XER 

iî!s  deCyrusparsa  mcre  Atossa,  était 
venu  au  monde  lorsque  Darius  était 
déjà  roi  (  V^oy.  Darius  ,  X,  549  )• 
Dès  qu'il  fut  monté  sur  le  trône  , 
Xercf's  s'occupa  de  réduire  l'Egypte. 
Il  se  rendit  lui -même  dans  celte  con- 
trée ,  et  après  l'avoir  soumise  à  sa 
puissance  ,  dans  une  seule  cara- 
])agne ,  il  y  laissa  pour  gouver- 
neur son  frère  Acliémène.  Il  fit  en- 
suite un  voyage  à  Habylone  pour  y 
voir  le  tombeau  de  Béliis.  Ou  lit  dans 
Élien  que,  l'ayant  fait  ouvrir,  il  vit 
d'un  coté  le  cadavre  de  cet  ancien 
roi,  dans  un  cercueil  cpii  était  j)resque 
plein  d'huile  ,  et  de  l'autre  côté  une 
inscription  qui  menaçait  des  plus 
grands  malheurs  celui  qui  ne  rempli- 
rait pas  l'espace  vide.  Xcrcès  le  tenta 
vainement  ,  et,  comme  ses  malheurs 
en  Grèce  survinrent  peu  de  temps 
après ,  on  ne  manqua  pas  de  les  at- 
tribuer à  la  colère  de  Bélus.  Il  réso- 
lut ensuite  de  poursuivre  l'entreprise 
de  son  père  contre  la  Grèce ,  et  de 
venger  les  injuresqu'ii  avaitreçiiesdes 
Spartiates  (i).  Après  avoir  continué 
pendant  plusieurs  années  les  prépa- 
ratifs de  guerre  commencés  par  Da- 


(i)  Les  Sparliales,  ayant  fait  périr  les  hérauts 
que  Darius  leur  avait  envoyés  pour  deniaiider  la 
terre  et  l'eau  eu  .signe  d'hommage,  s'imaginèrent 
que  celle  violation  du  droit  des  gens  avait  aUiré 
sur  eux  la  colère  de  Tallhybiiis  ,  héraut  d'Aga- 
merauon  ,  qui  avait  un  temple  à  Sparte.  Oo/ant 
voir  celte  colère  se  manifester  |)ar  dit!  rents  signes, 
ils  pensèrent  que  le  seul  moyen  d'apaiser  Talthy- 
bius  était  d'envoyer  deux  d'enlre  eux  au  succes- 
seur de  Darius.  En  conséquence,  ils  deuiaudèrent 
dans  l'assemblée  du  peuple  s'il  s'y  trouvait  deux 
personnes    qui    voulussent  se   dévouer    à    la    mort 

fiour  le  salut  de  l'élat.  Bulis  et  Sperihiès,  qui,  par 
eur  naissance  et  leur  fortune,  tenaient  le  premier 
rang  de  la  ré])ublique ,  se  prese  aèrent  alors  pour 
aller  auprès  de  Xercès  ,  et  expier  par  leur  mort 
le  crime  commis  envers  son  père.  Ils  se  rendirent 
a  Suze  auprès  de  ce  prince,  qui  les  renvoya  en 
disant  qu'un  crime  ne  s'expiait  p.i.s  par  un  autre 
crime.  On  crut  que  la  colère  de  Tdîthybius  s'était 
apaisée  à  l'égard  des  Lacédémoniens  ;  mais  qu'elle 
»  était  appesantie  surla  famille  de  ceux  qui  s'étaient 
dévoués,  parce  que  les  deux  lils  de  Bulis  etdeSper- 
thics  ,  étant  partis  de  Sparte  pour  aller  en  ambas- 
sade auprès  du  roi  de  Perse  ,  furent  pris  à  leur 
passage  dans  la  Thrace ,  par  Sitalcès ,  qui  les  livra 
*ux  AUiéniens ,  et  que  ceux-ci  les  firent  mourir. 


XER 


4o3 


rius,  Xercès  assembla  un  conseil, 
et  y  montra  la  nécessité  de  réta- 
blir l'honneur  du  nom  persan  ,  si 
malheureusement  compromis  aux 
champs  de  iVîarathon.  11  Unit  en 
disant  :  «  Je  traverserai  les  mers  , 
»  je  raserai  les  villes  coupables  ; 
»  j'emmènerai  les  citoyens  captifs 
»  dans  les  fers.  »  Cette  ré.solution  ne 
trouva  de  contradicteur  dans  le  con- 
seil que  l'oncle  du  roi  Artaban  ,  qui^ 
en  la  désapprouvant  hautement,  s'at- 
tira de  sanglants  reproches.  Tous  les 
autres  furent  eniraînés  par  Mardo- 
nius  qui ,  le  premier  ,  applaudit  à  la 
proposition  du  monarque.  La  guer- 
re étant  résolue,  Xercès  ne  son- 
gea plus  qu'aux  immenses  prépa- 
ratifs de  l'expédition.  Des  cour- 
riers partirent  de  Suze  pour  toutes 
les  parties  de  l'empire  ;  et  ils  y  por- 
tèrent l'ordre  de  faire  de  nombreuses 
levées  et  d'immenses  approvisionne- 
ments. En  mijme  temps  le  grand  roi 
cherclia  partout  des  alliés.  Enfin  il 
forma  une  ligue  générale;  et  l'on  vit 
l'Asie,  l'Europe  et  l'Afrique  se  réunir 
pour  marcher  contre  un  coin  de  terre 
aussi  petit  ,  aussi  peu  considérable 
que  la  Grèce.  Les  Carthaginois  signè- 
rent un  traité  d'alliance  avec  Xercès, 
et  lui  amenèrent  des  Gaulois  ,  des 
Italiens ,  qu'ils  avaient  pris  à  leur 
solde;  les  Macédoniens  même  lui  en- 
voyèrent des  troupes  ;  la  Phénicie  et 
l'Egypte  lui  fournirent  des  vaisseaux  ; 
enfin  il  réunit  un  million  d'hommes 
dansles  plaines  deDoriscus(2). Avant 
de  quitter  l'Asie ,  Xercès  voulut  se 
donner  la  satisfaction  de  contempler 
toutes  ses  troupes;  et  il  monta  pour 
cela  sur  un  édifice  construit  dans  cette 
intention.  Un  tel  spectacle ,  loin  de  le 


(a)  Ctésias  fait  monter  les  forces  de  Xercès  à 
huit  cent  mille  hommes  et  à  mille  voiles.  Hérodote 
les  porte  à  788  mille  hommes  et  à  douze  cents 
voiles. 


26.. 


4o4  XER 

charmer ,  lui  ht  verser  des  larmes  , 
quand  il  vint  à  penser  que  de  tant  de 
milliers  d'hommes  il  n'en  resterait 
pas  un  seul  dans  moins  d'un  siècle.  A 
l'apin-oche  de  forces  si  formidables, 
plusieurs  provinces  de  la  Grèce  se 
rangèrent  du  cote'  des  Perses  ;  et  l'on 
vit  la  Bcotie  y  l'Argolidey  la  Thessa- 
lie  et  plusieurs  îles  de  la  mer  Lgee 
joindre  leurs  efforts  à  ceux  des  enne- 
mis  de  leur  patrie.   Xercès  établit 
alors  sur   rUellcspont  un  immense 
pont  de  bateaux-  mais,  lorsque  l'ar- 
mée fut  passée,  une  tempête  le  ren- 
versa en  un  instant  ,  et  le  grand  roi 
furieux  fit  cliâlier  la  mer  par  trois 
cents  coups  de  fouet  donnés  grave- 
ment aux  flots  révoltés.  Il  perça  en- 
suite l'isthme  du  Mont-Athos,  et  ses 
innombrables    cohortes   pénétrèrent 
dans  l'Attique  au  printemjis  de  l'an 
480  avant  J.-C.   On   voyait  à  leur 
tête  les  rois  de  Tyr ,  de  Si  don  et  de 
Ciîicie  ,  la  reine  Artémise  et  les  guer- 
riers les  plus  célèbres  de  cette  époque. 
Tout  d'abord  céda  à  l'impulsion  d'un 
si  grand  elfortj  les  ïhermopyles  fu- 
rent franchies  (  Fof.   Léonidas), 
et  les  remparts  de  Thèbes  ,  de  Pla- 
tée et  de  Thespies  tombèrent  devant 
le  vainqueur.  Cependant  tant  de  na- 
tions  différentes  de  caractère ,    de 
mœurs  et  de  langage,  ne  pouvaient 
marcher  long-temps  sous  les  mêmes 
bannières  ;  et  le  grand  roi ,  bientôt 
effrayé  des  obstacles  qu'il  avait  ren- 
contrés sur  la  mer  et  aux  Thermo- 
pyles,  autant  que  de  l'aspect  vérita- 
blement imposant  que  lui  offrait  la 
Grèce  assistant  tranquillement  aux 
jeux  olympiques  en  sa  présence,  com- 
mençait à  faire  de  sérieuses  réflexions 
sur  les  suites  de  son  entreprise.    Il 
réunit  dans  un  conseil  les  chefs  de 
son  armée  ,  et  leur  exposa  sans  dé- 
guisement ses  craintes  et  ses  espé- 
rances. Le  roi  de  Sidon  opina  pour 


XER 

une  attaque   immédiate  de  la  flot- 
te athénienne  ;  la    reine  d'Halicar- 
nasse  pensa  au  contraire  qu'en  traî- 
nant la  guerre  en  longueur  les  Grecs 
succomberaient  infailliblement;  mais 
ce  dernier  avis  fut  rejeté  ,   et  l'on  se 
prépara    au    combat.    Ne  doutant 
pas  de   la   victoire  ,  Xercès    se   fît 
placer  sur  un  trône  élevé  ;  envoya 
des  troupes  dans   les  îles  voisines, 
afin  qu'aucun  des  Grecs  ne  pût  se 
sauver  de  la  destruction  générale  ;  et 
donna  le  signal  du  combat.  Son  frère 
Ariabignez  qui  avait  le  commande- 
ment général   des  galères  ,    s'étant  J 
maladroitement  engagé  dans  un  dé-" 
troit  ,  ne  put  offrir  aux  Grecs  qu'un 
front  très-resserré  ,    et  perdit  ainsi 
tout    Ta  vanta  ge    du    nombre.    Lesfl 
Athéniens  attaquèrent  les  Phéniciens  ■ 
avec  impétuosité,  et  le  premier  choc 
fut   très  violent.    Ariabignez  s'étanti 
élancé  sur  une  galère  ennemie ,  y  de- 
meura percé  de  coups.  Dès-lors  b 
confusion  fut  générale  dans  les  flot-l 
tes  alliées;    leur  nombre   ne  servit 
qu'à  l'augmenter  ,   et  bientôt  cett« 
multitude  prit  honteusement  la  fuit< 
{Foy.  Thf'mistocle  ).  Après  cette 
défaite  le  grand  roi  repassa  en  Asiei 
fugitif  sur  une  petite  barque  ,  et  i|| 
laissa  les  débris  de  son  armée  soui 
le  commandement  de  Mardonius,  soi 
cousin  ,  qui  fut  complètement  balti 
l'année  suivante  à  Platée  Foy.  M  ar« 
DONius  )  ,   au  moment  même  où  I( 
reste  de  la  flotte  persanne  subissaii 
une  nouvelle  défaite  près  de  Mycale^i 
Ces  revers  abattirent  singulièrement 
le  courage  et  l'orgueil  de  Xercès  ,  et 
il  ne  songea  plus  qu'à  s'en  dcdora- 
magcr  dans  la  débauche  et  les  plai- 
sirs de  toute  espèce.  On  prétend  que 
ce  fut  alors  qu'il  rendit  un  édit  pai 
lequel  il  promettait  une  très-grand< 
récompense  à  celui  qui  inventerai 
un  plaisir  nouveau.  Le  voyant  ains 


XER 

plonge  dans  les  délices ,  son  capitaine 
des  gardes,  Artaban  ,  conçut  l'idée 
de  s'emparer  du  trône ,  et  conspira 
contre  lui.  Ayant  fait  part  de  son 
projet  à  l'eunuque  Miliiridate  ,  son 
parent  ,  qui  avait  toute  la  confiance 
de  Xercès  ,  il  s'introduisit  pendant 
la  nuit  dans  la  chambre  de  ce  prince 
et  le  tua  (  an  4^^  avant  J.-C.  ).  Il 
courutaiissitôtaprèsà  Artaxercès,fils 
de  Xercès,  lui  dit  que  Darius,  sou 
frèrcaînë,  venait  detuer  leur  père ,  et 
lui  conseilla  de  venger  ce  parricide. 
Artaxercès  le  crut ,  alla  sur-le-champ 
avec  ses  gardes  attaquer  Darius  qui 
ne  s'y  attendait  pas ,  et  le  lit  mourir. 
Artaban,  voyant  que  tous  ses  projets 
réussissaient ,  pensa  qu'il  lui  serait 
trcs-i'acile  de  sedefaire  d' Artaxercès, 
etayant  rassemblé  ses  (ils,  il  fondit  sur 
ce  prince,  et  lui  porta  un  coup  d'épécj 
mais  la  blessure  étant  légère,  Ar- 
taxercès se  défendit ,  et  tua  Arlaban. 
(  F.  Artaxercès,  11,5).  Ctésias  ne 
raconte  pas  ce  fait  absolument  de  la 
même  manière  :  il  dit  qii' Artaxercès 
étant  sur  le  trône  par  les  intrigues 
d'Arlaban  ,  ce  dernier  conspira  con- 
/tre  lui,  et  communiqua  sou  projet  à 
Mégabyse  qui  le  dénonça  ,  etqu'Ar- 
taxercès  fit  mourir  Artaban.  Plusieurs 
poètes  tragiques,  entre  autres  Cré- 
billon.  Métastase,  Lemierre,  et  plus 
récemment  M.  Delrieu ,  ont  mis  cet 
événement  sur  la  scène.  L'expédition 
contre  l'indépendance  de  la  Grèce  a 
fourni  à  Eschyle  le  sujet  d'une  tra- 
gédie intitulée  les  Perses  ,  et  dans 
laquelle  il  présente  le  grand  roi  re- 
venant à  Persépolis  seul  et  un  carquois 
vide  à  la  main.  Comme  ce  poète  n'a 
fait  que  des  trilogies  héroïques  ,  on 
ne  peut  douter  qu'il  n'ait  trouvé 
la  matière  de  deux  tragédies  dans 
cet  événement  capital  pour  les  Grecs, 
et  le  titre  les  Salaminiens  (  ot. 
Ssda^t'vioi  ),  qu'où  retrouve  dans  le 


XI 


4o5 


catalogue  de  ses  pièces,  est  probable- 
ment un  de  ces  deux  ouvrages.   C-r. 

XERCÈS  II ,  roi  de  Perse ,  était 
fils  d'Artaxercès  Longue-Main  ,  et 
par  conséquent  petit -lils  du  précé- 
dent. Il  succéda  à  son  père  en  l'aif- 
née  4^5  ans  avant  J.-G.  Un  an 
après  il  fut  assassiné  par  son  frère 
Secundian  ou  Sogdian ,  qui  s'empara 
du  trône.  — XercÈs,  roi  d'Arsamo- 
sate,  ville  capitale  de  la  Grande-Ar- 
ménie, ne  doit  l'honneur  d'être  con- 
nu de  la  postérité  qu'à  une  médaille 
qui  d'un  côté  offre  la  tête  d'un  prince, 
et  de  l'autre  une  victoire  avec  cette 
légende  :  BASIAEnS  SEPEOT  ,  re^is 
Xercis ,  du  roi  Xercès.  C — r. 

XÉRÈS  (  François  ) ,  historien  es- 
pagnol, suivit  Pizarre  à  la  conquête  du 
Pérou,  et  remplit  ensuite  près  de  lui 
l'emploi  de  secrétaire.  Il  adressa  par 
ses  ordres  à  l'empereur  Charles-Quint 
le  récit  détaillé  de  celtegrande  expé- 
dition. L'ouvrage  de  Xérès  parut  à 
Salamanque  ,  en  l547  ,  infol.  ,  sous 
ce  litre  :  Conquista  del  Piru  :  Fer- 
dadera  relacion  de  la  conquista  del 
Piruy^provincia  del  Cuzco  llamada 
la  Nueva  Castilla,  etc.  On  le  trouve 
quelquefois  à  la  suite  de  V Histoire 
naturelle  des  Indes  ,  par  Ovicdo 
(  Foy.  ce  nom ,  XXXIl ,  3 1 1  )  ;  il 
a  été  traduit  en  italien  ,  et  inséré  par 
Ramusio  dans  le  troisième  volume 
de  son  Recueil  des  Foyages.  Mal- 
gré la  partialité  de  Xérès  pour  le 
conquérant  du  Pérou  ,  cette  histoire 
est  très-importante  ,  l'auteur  ayant 
été  témoin  oculaire  de  tous  les  faits 
qu'il  rapporte ,  et  ayant  pris  une  part 
active  à  la  guerre  qui  décida  du  sort 
de  ce  beau  pays.  —  Ferdinand  Pe- 
rez  de  Xeres  a  traduit  Ilérodien 
en  espagnol  sur  la  version  latine  de 
Politien  ,  i54^>  ,  in-fol.       W — s. 

Xl-HOAM-TI  ou  XIUS.  Fofez 
Thsik-Chi-Houang-Ti, 


4o6 


XIM 


XIMEINES  (Don  Roderic),  ar- 
chevêque de  Tolède  et  cardinal ,  était 
issu  d'une  famille  noble  de  la  Na- 
varre ,  dans  les  dernières  années  du 
douzième  siècle.  Il  fit  ses  premières 
études  dans  la  Castille,  puis  à  Paris; 
revint  dans  sa  patrie ,  et  fut  reçu 
novice  dans  le  couvent  de  Saint- 
François  à  Tolède.  Il  s'ëleva  ensuite 
par  son  mérite  et  ses  vertus  à  la 
dignité  d'archevrque  de  cette  ville  , 
et  à  celle  de  cardinal.  Inviolablement 
attaché  à  la  famille  royale  de  Cas- 
tille,  et  très-zélé  pour  les  intérêts  de 
la  religion,  il  fit  souvent  la  guerre 
contre  les  Infidèles  ,  et  selon  l'usage 
de  ces  temps-là  ,  il  combattit  en  per- 
sonne à  plusieurs  batailles,  notam- 
ment à  celle  de  Talaraca.  Dans  les 
circonstances  les  plus  dilïîciles ,  il  fut 
l'ame  et  le  conseil  de  son  souverain  ; 
et  l'Espagne  lui  dut  en  grande  partie 
l'expulsion  des  Maures.  Ces  impor- 
tantes occupations  ne  rempêcbnient 
pas  de  se  livrer  avec  beaucoup  d'exac- 
titude à  l'administration  de  son  dio- 
cèse. Dans  toutes  les  occasions  il  se 
montra  fort  jaloux  des  droits  de  son 
siège.  L'archevêque  de  Tarragone 
l'ayant  excommunié, p.irce  que,  en 
sa  qualité  de  primat  d'Espagne,  Xi- 
menès  avait  marché  la  croix  levée  _, 
dans  le  territoire  de  sa  métropole  , 
celui-ci  se  rendit  à  Lyon ,  auprès  du 
pape  Innocent  IX ,  qui  y  tenait  un 
concile  ,  pour  se  plaindre  de  cet  af- 
front. Le  pontife  l'accueillit  avec 
beaucoup  d'égards,  et  prononça  en  sa 
faveur  une  décision  qui  ne  le  satisfit 
cependant  pas  entièrement.  Ximenès 
tomba  malade  ,  en  retournant  en 
Espagne  ,  et  il  mourut  sur  le  Rhône, 
le  9  août  1247,  dans  un  bateau  où 
il  s'était  embarqué.  Ses  restes  lurent 
transportés  au  monastère  des  Bernar- 
dins à  Huerta  sur  les  frontières  de 
l'Aragon,  où  ron  voit  encore  son 


XIM 

tombeau  avec  Tépitaphe  dont  voici 
la  traduction  :  La  Navarre  est  ma 
mère  ;  la  Castille  ma  nourrice  / 
Paris  mon  école  ;  Tolède  ma  de- 
meure ;  Huerta  ma  sépulture  ;  le 
ciel  mon  repos.  On  a  de  Roderic 
Ximenès  une  Histoire  d^ Espagne  en 
neuf  livres  ,  qui  se  trouve  dans  le 
recueil  des  historiens  de  ce  royaume, 
avec  des  remarques  du  P.  André 
Scliott.  Cet  ouvrage  finit  à  la  vingt- 
sixième  année  du  règne  de  saint 
Ferdinand  ,  roi  de  Castille.  C'est  un 
monument  precieuX;  mais  on  doit  se 
défier  en  le  consultant  du  zèle  pa-  I 
triotique  et  religieux  de  l'auteur.  ■ 
Ximenès  a  encore  donnéune  Histoire 
des  Ostrogoths,  une  Histoire  des  Huns 
et  des  Vandales,  une  Histoire  des 
Arabes  ,  de  770  à  i  i5o  ;  et  enfin 
une  Histoire  de  Rome  ,  depuis  Janus 
jusqu'à  l'an  de  la  répub'ique  708. 
Tous  ces  ouvrages  ont  été  publiés 
par  André  Schott,  à  la  suite  de  l'His- 
toire d'Espagne  de  Roderic,  dans  le 
tome  H  de  V Hispania  illustrata. 
L'Histoire  des  Arabes  a  été  publiée 
par  Th.  Erpenius  ,  à  la  suite  de 
VHistoria  saracenica  d'Elmacin  , 
Leyde,  i625  ,  in  -  fol.  et  in-4°. 
—  Ximenès  (  François  )  ;,  né  à  Gi- 
ronne ,  à  la  fin  du  treizième  siècle  , 
fut  évêque  d'Elvas  ,  et  fit  imprimer 
un  ouvrage  remarquable  sous  ce  ti- 
tre :  De  vitdangelicd.      M — d  j. 

XIMENÈS  DE  CISNEROS 
(François),  archevêque  de  Tolède, 
cardinal  et  régent  d'Espagne  pendant 
la  minorité  et  l'absence  de  Charles- 
Quint,  naquit  dans  une  petite  ville  de 
la  Castille  en  i4'7«  E^  noblesse  de 
sa  famille  est  contestée;  et  la  jalou- 
sie excitée  par  son  élévation  lui  fit 
souvent  un  reproche  de  l'obscurité  de 
sa  naissance.  Cependant  il  apparte- 
nait, par  sa  mère,  à  une  ancienne  et 
honorable  maison  ;  mais  une  place  de 


d 


XIM 

receveur  des  décimes  e'iait  la  seule 
ressource  qu'eût  son  père  pour  élever 
une  nombreuse  famille.  Destine  d'a- 
bord à  succe'der  à  cet  emploi,  Xime- 
nès  eût  été  enseveli  dans  la  mrme 
obscurité ,  si  son  caractère  ne  se  fût 
déclaré  par  son  aversion  pour  l'état 
auquel  il  semblait  appelé,  et  surtout 
par  un  noble  désir  d'apprendre,  qui 
Je  conduisit  à  l'université  de  Sala- 
manque,  la  plus  savante  qu'il  y  eût 
alors  en  Espagne.  A  l'étude  de  la  phi- 
losophie et  de  la  théologie,  du  droit 
civil  et  du  droit  canon,  il  joignit 
celle  des  langues  orientales.  Après 
avoir  reçu  les  ordres  sacrés,  il  pro- 
fessa quelque  temps  le  droit  j  et , 
lorsque  ses  ressources  pécuniaires  lui 
permirent  d'entreprendre  un  voyage 
à  Rome,  il  partit  plein  d'espoir 
pour  une  fortune  que  lui  révélait  son 
génie,  mais  qui  devait  se  faire  ache- 
ter par  bien  des  traverses.  Dépouillé 
d'abord  par  des  voleurs,  il  dut  à  un 
ancien  condisciple  les  moyens  d'a- 
chever son  voyage  et  de  subsister 
jusqu'à  ce  qu'il  pût  lui  -  même  pour- 
voir à  ses  besoins,  en  plaidant  les 
causes  des  Espagnols  devant  les  tri- 
bunaux ecclésiastiques  de  Rome.  La 
réputation  qu'il  acquit  dans  cet  em- 
ploi lui  valut  du  pape  Sixte  IV  une 
bulle  d'expectative  pour  le  premier 
bénéfice  vacant  dans  lediocèsede  To- 
lède. Rappelé  en  Castille  par  la  mort 
de  son  père,  Ximenès  saisit  bientôt 
l'occasion  que  lui  oOritla  vacance  de 
l'archiprêtréd'Uceda  pour  s'en  met- 
tre en  possession ,  en  vertu  de  la  bul- 
le qui  lui  avait  été  donnée.  L'arche- 
vêque, qui  déjà  en  avait  disposé, 
refusa  son  consentement  ;  mais  le 
jeune  ecclésiastique,  fort  de  son  bon 
droit  et  de  son  caractère ,  entreprit 
la  lutte.  Il  fut  enfermé  daus  la  tour 
d'Uceda,  oùl'on  raconte  qu'un  vieux 
prêtre,  depuis  long  -  temps  prisou- 


XIM 


407 


nier,  lui  prédit  qu'un  jour  il  serait 
archevêque  de  Tolède.  Mais  loin  de 
ces  rêves  de  fortune ,  il  fallait ,  pour 
arriver  à  la  possession  du  bénéfice 
qui  lui  était  dû  ,  supporter  des  épreu- 
ves qui  eussent  certainement  lassé 
tout  autre  courage.  Ce  fut  après  six 
années  d'inutiles  persécutions  que 
l'archevêque  se  vit  enfin  obligé  de 
céder;  mais  Cisneros  permuta  aussi- 
tôt cet  archiprêtré  ,  pour  deve- 
nir grand-vicaire  de  Siguença,  sous 
le  cardinal  Gonzalès  de  Mendoza , 
dont  la  réputation  l'attirait.  L'esti- 
me et  la  confiance  de  ce  prélat  mi- 
rent les  talents  de  Ximencs  dans  un 
très-grand  jour  ;  et  sa  fortune  parais- 
sait déjà  s'avancer  ,  lorsqu'il  l'arrêta 
lui-même ,  en  résignant  ses  bénéfices 
à  l'un  de  ses  frères  ,  pour  faire  pro- 
fession chez  les  Cordeliers  de  Tolède. 
Mais  il  ne  pouvait  échapper  à  la  cé- 
lébrité; on  accourait  à  ses  sermons  ^ 
on  voulait  se  ranger  sous  sa  direc- 
tion. Pour  se  soustraire  à  ces  em- 
pressements, il  se  retira  dans  le  cou- 
vent du  Castagnar,  situé  au  milieu 
des  bois.  Là  une  cabane  de  feuillage 
fut  souvent  le  lieu  de  ses  méditations; 
et  dans  sa  plus  haute  fortune,  on  l'a 
entendu  regretter  sa  solitude  de  Cas- 
tagnar. Ximenès  était  déjà  âgé  de 
cinquante-six  ans  lorsque,  sur  la  pro- 
position du  cardinal  de  Mendoza , 
alors  archevêque  de  Tolède ,  la  reine 
Isabelle  de  Castille  le  choisit  pour  con- 
fesseur. Ses  relus  modestes  ne  cédè- 
rent qu'à  de  longues  instances,  et 
surtout  à  la  condition  de  ne  pas  de- 
meurer à  la  cour  ;  ce  qui  ne  put  em- 
pêcher que  la  confiance  d'une  prin- 
cesse si  digne  d'apprécier  le  mérite 
ne  l'appelât  à  la  connaissance  de  tou- 
tes les  affaires,  à  tel  point,  qu'il  n'y 
en  eut  aucune  qui ,  avant  d'être  por- 
tée au  conseil ,  n'eut  été  d'abord  sou- 
mise à  son  avis.  Ce  crédit,,  que  tous 


4o8 


XIM 


les  soins  deXimenès  ne  pouvaient  en- 
tièrement cacher, détermina  les  cor- 
deliers  à  le  choisir  pour  provincial. 
On  le  vit  alors  entreprendre  à  pied  la 
visite  de  toutesles  maisons  de  l'ordre. 
Suivant  la  règle  de  Saint-François  il 
mendiait  sa  subsistance  •  mais  le 
jeune  frère  qui  l'accompagnait  lui 
reprochait ,  dit-on ,  le  peu  de  succès 
qu'il  avait  en  ce  genre,  l'assurant 
avec  gaîte  que ,  pour  peu  qu'il  s'y 
obstinât  ,  ils  mourraient  de  faim 
tous  les  deux.  Cet  abaissement  chre'- 
tien  ne  diminuait  en  rien  l'air  de 
supériorité ,  dont  la  nature  avait  fait 
comme  le  signe  des  grandes  qualite's 
de  Ximenès.  Sa  démarche  et  le  son 
de  sa  voix  imposaient  autant  que 
l'austéritéde  son  caractère el  la  gran- 
deur de  ses  talents.  Témoin  du  relâ- 
chement qui  s'était  introduit  dans  les 
maisons  de  son  ordre  ,  il  conçut  dès 
ce  moment  le  projet  d'une  reforme. 
On  dit  qu'à  la  vue  de  la  côte  d'Afri- 
que il  forma  aussi  le  pieux  dessein  de 
porter  l'Évangile  aux  peuples  bar- 
bares qui  habitent  cette  contrée  : 
mais  il  en  fut  détourné  par  les  pré- 
dictions d'une  de  ces  dévotes  que  les 
Espagnols  nomment  des  béates  ,  qui 
lui  annonça  qu'il  était  appelé  à  ser- 
vir plus  utilement  la  religion  en 
Espagne.  Le  cardinal  de  Mendoza  , 
qui  avait  toujours  conservé  pour  Xi- 
menès la  plus  haute  estime  y  le  dési- 
gna en  mourant  pour  son  successeur 
au  siège  de  Tolède.  De  ce  moment 
la  reine  Isabelle  destina  à  l'humble 
disciple  de  saint  François  cette  pre- 
mière dignité  de  l'église  d'Espagne 
alors  ambitionnée  par  le  roi  Ferdi- 
nand pour  un  de  ses  fils  naturels^ 
mais  pressentant  les  difiicultés  qu'op- 
poserait la  modestie  de  Ximenès  ,  la 
princesse  garda  ses  intentions  se- 
crètes jusqu'à  l'arrivée  des  bulles  du 
papcj  précaution  qui   ne  surmonta 


XIM 

pas  entièrement  la  résistance  qu'elle 
avait  prévue ,  et  qui  ne  céda  enfin 
qu'à  un  ordre  du  chef  de  l'Église. 
11  fallut  recourir  à  la  même  autorité 
poiirfaire  renoncer  l'humble  religieux 
à  la  stricte  observation  des  austérités 
de  son  ordre.  Près  des  magnifiques 
appartements  quilui étaient  destinés, 
Ximenès  occupait  une  cellule  ;  il 
couchait  sur  la  dure,  et,  faisant  por- 
ter aux  malades  les  mets  qui  lui 
étaient  servis ,  il  se  nourrissait  des 
aliments  les  plus  grossiers.  Alexan- 
dre VI,  plus  sensible  aux  pompes  de 
l'église  que  touché  de  ses  humilités, 
exigea ,  sur  la  demande  de  la  reine 
de  Castille,  que  l'archevêque  de  To- 
lède prît  une  manière  de  vivre  plus 
convenable  à  sa  haute  dignité;  et  le 
prélat,  dont  la  vertu  combattait  sans 
doute  avec  effort,  se  soumit  au  faste 
qui  lui  était  imposé.  Il  le  porta  même 
plus  loin  qn 'aucun  de  ses  prédéces- 
seurs mais  ,  dit-on  ,  sans  renoncer 
dans  le  secret  aux  privations  que  lui 
prescrivaient  ses  vœux.  Partagé  entre 
les  affaires  de  l'état ,  le  soin  de  son 
église  et  celui  de  son  ordre,  le  vaste  gé- 
nie de  Ximenès  avait  à  lutter  contre 
les  oppositions  des  intérêts  particu- 
liers ,  qu'il  voulait  dans  toutes  les 
occasions  sacrifier  à  ses  grandes  vues 
de  bien  public ,  et  à  son  amour  pour 
la  justice.  Les  abus  introduits  dans 
la  perception  de  l'impôt  doublaient 
le  fardeau  pour  les  peuples  ,  sans  que 
le  trésor  en  retirât  plus  d'avantage. 
La  plus  grande  difficulté  n'était  pas 
dans  le  choix  d'un  mode  plus  équi- 
table :  il  fallait  surmonter  des  préju- 
gés ,  froisser  des  intérêts  ,  vaincre  les 
résistances  du  conseil  et  des  grands. 
Ximenès  eut  besoin  d'adresse  et  de 
persévérance  :  mais  enfin  il  réussit , 
et  la  reconnaissance  publique  ,  les 
bénédictions  du  peuple  fiu-ent  la  ré- 
compense d'un  changement  si  utile. 


XIM 

Ses  projets  de  reforme  pour  les  cor- 
deliers,  long-temps  mûris  dans  le 
secret  ,  avaient  cependant  été'  péné- 
trés ;  et  l'ordre  ellraycchercbaittous 
les  moyens  de  ieséUider.  Le  général 
appelé  d'Italie  vint  inutilement  en 
Espagne,  ])!us  inutilement  encore  il 
tenta  d'abaisser  dans  l'esprit  de  la 
reine  un  crédit  trop  solidement  établi 
pour  ê(re  ébranlé.  L'activité,  la  pé- 
nétration de  l'archevêque  ,  la  persé- 
vérance de  sa  volonté ,  le  pouvoir 
dont -il  jouissait  furent  à  peine  sulll- 
sants  pour  combattre ,  tant  à  Rome 
qu'en  lispagne,  les  efforts  de  l'ordre. 
L'animosité  fut  portée  à  un  tel  point, 
qu'un  de  ses  frères, engagé  comme  lui 
parmi  les  franciscains  ,  non  content 
de  l'avoir  déchiré  dans  un  libelle,  et 
sans  reconnaissance  pour  le  pardon 
généreux  qu'il  en  avait  reçu  ,  attenta 
à  ses  jours  dans  un  accès  de  fureur. 
Mais  l'archevêque,  secouru  à  temps, 
arrêta  tontes  les  procédures  ;  il  voulut 
que  les  rigueurs  du  cloître  fussent  la 
seule  punition  du  coupable,  qui  mê- 
me par  la  suite  obtint  une  pension 
du  frère  dont  il  avait  été  l'assassin. 
Depuis  trois  ans  Ximenës  était  arche- 
vêque de  Tolède,  et  la  reine  dont  la 
confiance  le  retenait  toujours  auprès 
d'elle ,  ne  lui  avait  point  encore  laissé 
la  liberté  d'aller  prendre  possession 
de  ce  siège.  Il  y  était  attendu  par 
des  honneurs  qui  ne  parurent  pas 
l'étonner  ,  et  dont  il  se  montra  vrai- 
ment digne  par  toutes  les  choses 
grandes  et  utiles  qui  signalèrent  sa 
présence.  La  visite  qu'il  fit  de  toutes 
les  églises  de  son  diocèse  lui  donna 
de  fréquentes  occasions  de  dévelop- 
per son  amour  pour  l'ordre  et  la  jus- 
tice ,  la  grandeur  de  ses  vues  et  celle 
de  sa  charité.  Partout  il  rétablissait , 
rccdifiait,  dotait.  La  cathédrale  de 
Tolède  lui  dut  un  accroissement  con- 
sidérable^ le  gouvernement  ecclésias- 


XIM 


4og 


tique  et  même  la  justice,  qui  se  ren- 
dait au  nom  de  l'évêque ,  furent 
puissamment  réformés ,  des  synodes 
diocésains  établis,  et  les  plus  sages 
réglenienls  donnés  à  toutes  les  par- 
ties de  l'administration.  Après  avoir 
richement  doté  l'université  d'Alcala, 
l'archevrquey  aj)pela  les  hommes  les 
plus  habiles  de  l'Europe,  pour  leis 
charger  d'une  entre])risc  dont  l'idée, 
conçue  dès  sa  jeunesse,  avait  été  le 
motif  d'une  grande  partie  de  ses  étu- 
des. C'était  une  Bible  FoWgJotte , 
c'est-à-dire  ,  en  plusieurs  langues. 
Lui-même  s'adjoignit  à  ce  travail. 
Les  textes  hébreu  et  chaldaïque , 
la  version  des  Septante,  les  travaux 
de  saint  Jérôme  et  d'autres  anciens 
auteurs,  y  étaient  réunis.  Ce  monu- 
ment ,  le  plus  complet  qui  eût  été 
élevé  jusqu'alors,  devint  le  type  et 
le  modèle  des  Bibles  polyg'ottes  qui 
ont  été  publiées  depuis.  Bien  de  ce 
qui  pouvait  contribuer  à  la  gloire  de 
la  religion,  et  maintenir  l'autorité 
des  anciennes  traditions  ,  n'échap- 
pait aux  soins  de  Ximenës.  L'ancien 
rituel  des  églises  d'Espagne,  connu 
sous  le  nom  de  M  osa^abique ,  par- 
ce que ,  depuis  l'adoption  des  rites 
romains,  il  n'était  resté  en  usage 
que  dans  les  églises  soumises  à 
la  domination  des  Maures,  ce  vieux 
monument  de  l'uniformité  des  prin- 
cipes de  l'Église  depuis  un  temps 
si  reculé  allait  périr  de  vétusté  avec  \ 
les  anciens  manuscrits  qui  en  étaient 
dépositaires;  l'archevêque  en  fit  pu- 
blier une  édition  très  soignée,  dont 
les  exemplaires  furent  déposés  non- 
seulement  dans  les  églises  d'Espa- 
gne, mais  encore  au  Vatican  et  dans^ 
toutes  les  grandes  bibliothèques  de- 
l'Europe.  11  voulut  aussi  que  des  cha- 
pelains établis  à  cet  efl'et  conservas- 
sent à  perpétuité  ces  rites  antiques 
dans  une  des  cliapelles  de  la.cathé' 


4 10  XTM 

drale  de  Tolède.  Entre  plusieurs  mo- 
nastères fondés  par  le  même  prélat , 
celui  d'Alcala  >  auquel  par  reconnais- 
sance il  donna  le  nom  de  la  reine 
Isabelle,  mérite  nnc  mention  parti- 
culière. Il  était  destiné  à  l'éducation 
gratuite  des  filles  de  la  noblesse  pau- 
vre. Les  principes  de  leur  institution 
devaient  être  dirigés  vers  les  devoirs 
de  famille  et  de  société.  Un  fonds 
considérable,  qui  fut  depuis  fort  aug- 
menté par  la  muni  licence  des  rois 
d'Espagne,  était  destiné  à  doter  ces 
jeunes  personnes.  Il  est  impossible 
de  méconnaître  dans  celte  belle  insti- 
tution le  modèle  de  celle  de  iSaint- 
Cyr,  si  honorable  pour  la  mémoire 
de  M"^^.  de  Maintenon ,  et  pour  le 
règne  de  Louis-le-Grand.  Mais  ces 
travaux,  si  dignes  d'employer  la  vie 
d'un  prélat  et  les  revenus  de  son  ar- 
chevêché, ne  snifisaient  pas  à  l'acti- 
vité d'un  zèle  qui  semblait  s'étendre 
avec  les  circonstances.  Le  royaume 
de  Grenade  ,  nouvellement  conquis 
par  les  armes  de  Ferdinand ,  n'était 
pas  encore  converti  à  la  foi  ;  des  fer- 
ments de  révolte  s'y  manifestaient. 
La  présence  des  souverains,  accom- 
pagnés d'une  cour  nombreuse  et  mi- 
litaire, contint  les  esjirits  :  c'était  un 
moyen  conseillé  par  Ximcnès ,  qui, 
mettant  à  profit  cette  circonstance 
favorable,  travaillait  durant  ce  temps, 
avec  une  infatigable  ardeur,  à  la 
conversion  de  ce  peuple  infidèle.  Se- 
condé par  l'archevêque  de  Grenade  _, 
employant  tour-à-tour  la  persuasion, 
les  égards ,  les  promesses  ou  la  con- 
trainte ,  il  gagna  d'abord  lesalfaquis 
ou  prêtres.  11  fit  pour  le  peu- 
ple des  prédications,  à  la  suite  des- 
quelles on  le  vit  en  un  seul  jour  bap- 
tiser par  aspersion  trois  ou  quatre 
mille  personnes.  Mais  après  le  dé- 
part de  la  cour ,  son  esprit  naturelle- 
ment impérieux  et  décisif  lui  sug- 


XIM 

gérant  de  frapper  un  dernier  coup  , 
il  fit  brûler  publiquement  tous  les 
exemplaires  du  Coran ,  que  de  gré 
ou  de  force  il  avait  pu  se  procurer. 
Une  exécution  si  hardie  amena  un 
soulèvement  dont  Ximcnès,  malgré 
la  fermeté  de  son  courage,  eût  été 
probablement  victime ,  sans  le  se- 
cours d'un  prmce  maure,  qui  avait 
été  nouvellement  contraint  d'embras- 
ser la  foi ,  et  qui  pourtant  resta  fidè- 
le. A  peine  délivré ,  le  prélat  ne  crai- 
gnit point  de  venir  à  la  cour,  où 
il  savait  qu'il  était  vivement  accusé  j 
il  y  reparut  sous  le  rôle  d'interces- 
seur ,  et  en  rapporta  une  amnistie 
absolue  pour  tous  ceux  qui  rece- 
vraient le  baptême.  Étrange  mode  de 
conversion  ,  auquel  les  deux  arche- 
vêques joignirent  avec  un  zèle  vrai- 
ment apostolique  des  instructions  et 
des  soins  qui  purent  rendre  sincèri" 
une  partie  de  ces  conversions  foi 
céesl  Cette  concession  faite  aux  mœurs 
du  temps  ne  pouvait  néanmoii 
porter  Ximcnès  jusqu'à  meVonnaîtl 
tous  les  droits  de  l'iiumanité,  alo^ 
si  cruellement  violés  en  Amériqi 
parles  Espagnols,  Quelques religiei 
arrivés  de  ce  pays  exposaient  les  soi 
frances  des  peuples  indigènes  ,  et 
annonçaient  déjà  la  prochaine  des- 
truction. L'archevêque  obtint  que 
des  commissaires  fussent  envoyés  sur 
les  lieux.  Il  eut  soin  de  les  choisir; 
et  ces  hommes  sans  autre  force  que 
la  délégation  royale  ,  et  la  justice  âàl 
la  cause  qu'ils  venaient  défendrdji 
arrêtèrent  le  mal ,  du  moins  pour  un 
temps.  La  condamnation  du  gouver- 
neur d'Hispaniola ,  qu'ils  renvoyèrent 
chargé  de  chaînes  ,  mit  en  évidenci 
que,  sous  le  ministère  d'un  homi 
équitable  ^  il  n'est  point  de  rang  qi 
puisse  soustraire  un  coupable 
châtiment.  La  mort  de  la  reine  Ls£ 
belle,  arrivée  en  i5o4,  bien  loin 


i 


XIM 

diminuer  le  crédit  de  Ximenès  y  l'ac- 
crut  de  l'importance  que  chaque  par- 
ti mettait  à  se  l'attacher.  La  grande 
prépondérance    qu'il    avait    acquise 
le  rendit  comme  arbitre  entre  le  roi 
Ferdinand   et  l'archiduc   Philippe , 
époux  de  l'infante  Jeanne  ,  héritière 
de  la   couronne  de  Castille.  Choisi 
paries  deux  princes  pour  médiateur, 
le  prélat  chercha  tous  les  moyens  de 
se  concilier,  et,  ce  qui  est  fort  rare,  il 
conserva  la  coniiance  de  l'un  et  de 
l'autre  parti.  Mais  à  peine  deux  ans 
s'élaient-ils  écoulés,  lorsque  la  mort 
de  l'archiduc  et  l'élat  malheureux  où 
la  douleur  plongea  sa  veuve  ouvri- 
rent un  nouveau  champ  aux  ambi- 
tions, aux   intrigues  des   partis,  et 
aussi  une  nouvelle  diieclion  à  la  po- 
litiquedc  Ximenès,  L'empereur  INlaxi- 
miiien,  et  le  roi  d'Aragon  ,  tous  deux 
aïeuls  du  jeune  Charles  d'Autriche, 
prétendaient  avoir  des  droits  égaux 
à  la  régence  de  la  .{]astd'e.  La  crain- 
te d'une   domination   étrangère,  et 
sans  doute  une  juste  prévention  na- 
tionale l'emportèrent  dans  l'esprit  du 
ministre  sur  les  sujets  de  plainte  que 
lui  avait  souvent  donnés  Ferdinand; 
il  se  déclara  ouserlement  pour   lui. 
JVIais  ce  prince  était  haï  de  la   no- 
blesse castillane,  il  en  était  craint, 
parce  qu'elle  avait  toujours  soutenu 
contre  lui  l'indépendance  du  pouvoir 
delà  reine,  et  en  dernier  lieu  les  jus- 
tes droits  de  l'archiduc  Philippe.  Il 
ne  fallait  pas  moins  que  l'habileté 
de  Ximenès  et  le  crédit  qu'il  avait 
sur  le  clergé  et  sur  le  peuple ,  pour 
surmonter  tant  de  diiiicultés.  Il  en 
vint  à  bout;   et  Ferdinand,  qui  se 
trouvait  alors  dans  le  royaume  de 
Naples  ,  confirma  toutes  les  promes- 
ses que  l'archevêque  avait  faites  en 
son  nom;  lui  envoya  les  pouvoirs  les 
plus  étendus  pour  gouverner  en  son 
absence,  et  avant  de  quitter  l'Italie 


XTIVI 


4ii 


obtint  pour  lui  le  chapeau  et  le  titre 
de  cardinal  d'Espagne.  Mais  l'exer- 
cice de  toute  cette  puissance  deman- 
dait des  forces  qui  manquaient  au 
prélat.  A  cette  époque  les  rois  d'Es- 
pagne n'entretenaient  point  d'armée 
permanente  :  ils  ne   pouvaient   que 
dillicilement  réunir  des  troupes  sans 
le  concours  de  la  noblesse ,  et  c'était 
contre  les  empiétements  de  celte  mê- 
me noblesse  que  le  ministre  avait  à 
soutenir  les  droits  du  prince.   Son 
génie  fertile  en  ressources  lui  suggé- 
ra l'idée  d'opposer  les  villes  aux  sei- 
gneurs.  11  donna  aux  communes  le 
pouvoir  de  lever  des  troupes,  et  par 
ce    coup   hardi    sa   politique  com- 
mença i'airranchissement  du  trône. 
En  i5o9,  la  porte  d'une  armée  pres- 
que entièrement  détruite  par  les  Mau- 
res sur  la   côte  d'Afrique,  le  préju- 
dice que  leur  établis.'^ement  d'Oran 
portait  au  commerce  espagnol,   et 
plus  que  tout  cela  sans  doute  l'espoir 
de  propager  la  foi  chrétienne,  firent 
concevoir  a  Ximenès  l'idée  d'une  ex- 
pédition que,  sur  le  refus  de  Ferdi- 
nand ,  il  olïiit  de  diriger  et  de  solder 
lui-même  ,  à  la  seule  condition   du 
remboursement  des  frais .  lorsque  la 
conquête  serait  assurée.  On  vit  alors 
une  armée  rassemblée  sous  les  dra- 
peaux d'un  prêtre  septuagénaire.  Il 
est  vrai  qu'un  ch.ef  habilement  choisi, 
Pierre  Navarre,  avait  sous  ses  ordres 
la  direction  de  l'entreprise.  Mais  ce 
guerrier  secrètement  blessé  de  l'auto- 
rité que  s'était  réservée  le  cardinal , 
traversa  ses  pians  par  tous  les  moyens 
que  la  mauvaise  volonté  et  l'intrigue 
peuvent  mettre  en  usage.  Ce  fut  par 
ses  intrigues  qu'au  moment  de  l'em- 
barquement l'armée  se  révolta  :  mais 
Ximenès,  sans  paraître  s'en  étonner, 
lit ,  à  la  vue  des  troupes  ,  transpor- 
ter sur  les  vaisseaux  l'argent  destine' 
à  la  solde;    et  l'on    vit  aussitôt  y 


13 

courir   ceux  qui  un  instant   aupa- 
ravant refusaient  d'y   monter.   La 
forte  volonté  du  prélat  assura  ensui- 
te le  succès  de  i'enlrepi  ise ,  en  pre'- 
cipitant  l'attaque.   Oran  ,    surprise 
avant  l'arrivée  des  secours  ,  fut  ra- 
pidement enlevée,  la  ville  saccagée, 
et  les  habitants  presque  entièrement 
massacrés.  A  la  vue  de  tant  d'iior- 
rer.rs,  on  assure  que  Ximcnès  repro- 
cha à  Pierre  Navarre  d'avoir  si  peu 
ménagé  des  hommes  qu'il  venait  pour 
convcrtir.il  n'y  avait  rien  là  qu'il  n'eût 
dû  prévoir;  mais  à  cette  époque,  les 
plus  alï'reuses  barbaries  étaient  trop 
souvent  exercées  par  les  Esj)aguols  , 
au  nom  d'une  religion  de  paix.  Le 
caractère  ambitieux  et  dillicile   de 
Pierre  Navarre  avaijL  été  plusieurs  fois 
obligé  de  plier  sous  la  fermeté  impé- 
rieuse d'un  vieillard,  d'un  prêtre, 
qu'une  volonté  inflexible  et  l'amour 
des  soldats  rendaient  tout-  puissant. 
Il  est   probable    cependant  que  ces 
diiïicultés  empêchèrent  le  cardinal  de 
pousser  plus  loin  une  entreprise  si 
étrangère  au  sacerdoce.  Il  revint  en 
Espagne  à  l'instant  où  Ferdinand  , 
toujours  plein  de  duplicité  ,  écrivait 
à  Navarre  de  retenir  le  honhonnne  en 
Afrique,  afin  d'user  sa  personne 
€t  son  argent.  De  grands  honneurs 
attendaient  Ximenès  dans  sa  patrie. 
II  entra  en  triomphe  dans  Alcala ,  se 
faisant  précéder  par  des  esclaves  et 
des  chameaux  chargés  des  richesses 
enlevées  à  Oran,  et  dont  il  offrit  en- 
suite au  roi  tout  ce  qu'il  ne  réserva 
pas  pour  les  églises  et  les  bibliothè- 
ques. Ce  noble  usage  de  la  victoire 
ne  l'empêcha  pas  cependant  de  pour- 
suivre le  remboursement  des  avances 
qu'il  avait  faites ,  avec  une  fermeté  et 
une  persévérance  qui   confondirent 
tous  les  artifices  par  lesquels  Ferdi- 
nand espérait  éluder  l'exécution  de 
SCS  promesses.  Mais  la  probité  sévè- 


re de  Ximenès  ne  lui  permettait  d'em^ 
ployer  les  biens  de  l'Église  qu'à  de^ 
objets  d'utilité  publique.  Les  sommes 
qui  lui  rentrèrent  furent  destinées  à 
l'établissement  de  greniers  d'abon- 
dance ,  qui ,  remplis  à  ses  frais ,  du-* 
rcnt  à  l'avenir  préserver  son  diocèse 
de  tous  les  maux  qu'entraînent  les 
cherlés  et  les  disettes.  Lorsque  le  roi 
d'Aragon  mourut,  en  i5i6,  il  nom^ 
ma,  par  son  testament,  le  cardinal 
d'Espagne  régent  du    royaume    dé 
Castille  pendant  l'absenGe  de  son  pe 
til-(ils  Charles  d'Autriche.  Le  jeum 
priuce  était  alors  âgé  dKî  seize  ans.  I 
confirma  les  pouvoirs  du  ministre 
mais  impatient  de  porter  le  titre  d< 
roi ,  il  désira  que  les  états  de  Castil" 
le  lui  donnassent  conjointement  aveé 
la  reine  sa  mère  ,  qu'une  sombre  mé 
lancolie  mettait  hors  d'état  de  pieiH 
dre  les  rênes  du  gouvernement.  Le 
grands  du  royaume  n'étaient  poiii 
disposés  à  cette  condescendance.  Xi 
menés  ,     dont    les    représentatioi 
avaient  été   sans   eflet  sur   le  jeun 
prince ,  craignit  que  l'opposition  ne  \ 
disposât  défavorablement ,  et  voyai 
que  la  discussion  traînait  en  longueul 
il  Ht  proclamer  Charles  avant  qu'e 
le    fût  fermée.  Tant  que    dura    soi 
pouvoir  ,    il    s'attacha    toujours 
abaisser  l'orgueil  de  cette  puissant 
féodalité  ,  dangereuse  rivale  des  tro£ 
nés,  dont  elle  était  pourtant  l'appu 
Ce  système  ,  qui  fut  aussi ,  plus  tare" 
en  France,  celui  de  Richelieu  ,  serai 
ble  lui  avoir  été  enseigné  par  un  m 
nistre  qui  avec  autant  de  hauteur 
mais  plus  de  droiture,  autant  de  foi? 
ce ,  mais  plus  de  clémence ,  prépar 
le  règne  de  Charles  -  Quint ,  comm 
le  prélat  français  celui  de  Louis  XH 
Mais  sans  développer  ici  un  para 
lè!e,    certainement  honorable    aU 
vertus   de  Ximenès  ,   et  qui  a  fai 
d'ailleurs  le  sujet  d'un  ouvrage  c 


XIM 

les  faits,  constamment  en  rapport  , 
laissent  çiu  lecteur  toute  la  liberté  du 
jugement ,  il  siiilit  de  montrer  le  ré- 
gent de  Castille  réprimant  les  hautes 
prétentions,  confondant  les  intri- 
gues ,  maintenant  tout  par  la  seule 
force  de  son  caractJ^re ,  et  saisis- 
sant l'instant  où  les  députations  de  la 
noblesse  l'accusaient  auprès  du  prin- 
ce, pour  demander  un  accroissement 
presque  illimité  du  pouvoir  qu'il  exer- 
çait avec  tant  de  plénitude  et  de  hau- 
teur. Jean  d'Albret,  qui  avait  cru  le 
temps  d'une  régence  plus  favorable 
pour  recouvrer  la  Navarre  que  lui 
avaient  enlevée  les  armes  de  Ferdi- 
nand ,  fut  défait  dès  l'ouverture  de 
la  campagne.  Les  Génois  ,  alarmés 
pour  leur  commerce,  désavouèrent 
d'indiscrètes  entreprises  ;  les  habi- 
tants de  Malaga  révoltés  rentrèrent 
dans  le  devoir  ;  et  les  grands ,  obligés 
de  plier,  posèrent  les  armes  qu'ils 
avaient  déjà  prises.  A  tant  de  titres 
à  la  reconnaissance  publique  et  à  celle 
du  prince  ,  Ximenès  en  joignit  un 
encore,  qui  lui  attira  les  bénédictions 
du  peuple;  la  reine  Jeanne,  que  l'ou- 
bli de  tous  et  la  négligence  du  roi, 
son  père, avaient  laissée  tomber  dans 
une  sorte  d'abrutissement ,  fut  enfm 
rendue  par  ses  soin^  à  une  vie  plus 
honorable.  Ghièvrc  ,  qui  de  gouver- 
neur de  Gharles-Qiiint  était  devenu 
son  ministre  dans  les  Pays-Bas, 
cherchait  à  profiter  du  caractère  de 
Ximenès  pour  rejeter  tout  l'odieux 
des  actes  de  répression  et  de  sévérité 
sur  un  rival  qu'il  se  proposait  bien 
■  de  supplanter.  Le  cardinal  sentait 
mieux  que  personne  la  nécessité  des 
réformes  ;  mais  il  ne  voulut  pourtant 
accepter  ce  ministère  de  rigueur  qu'à 
la  condition  d'y  joindre  une  entière 
liberté  sur  les  dédommagements  et  les 
grâces  à  accorder.  Dès-lors  les  mesu- 
res furent  prises  avec  tant  de  sages- 


XIM 


4i3 


se ,  et  leur  exécution  fut  accompa- 
gnée de  tant  de  ménagements  ,  que 
sans  exciter  trop  de  murmures,  il 
parvint  à  faire  rentrer  dans  le  do- 
maine royal  tout  ce  qui  en  avait  été 
aliéné.  Les  pensions  aussi  furent  res- 
treintes, beaucoup  d'abus  redressés  , 
une  grande  partie  des  administra- 
teurs changés j  enfin  les  ordres  reli- 
gieux militaires  ,  si  forts  de  leur 
union  et  du  crédit  de  leurs  membres , 
se  virent  obligés  de  restituer  à  la 
couronne  les  droits  qu'ils  avaient 
usurpés.  Mais  de  si  grands  succès 
éveillaient  de  plus  en  plus  l'envie  ; 
Gharles-Quint,  excité  par  un  conseil 
soupçonneux  et  jaloux,  voulut  ad- 
joindre à  Ximenès  le  doyen  de  Lou- 
vain  ,  son  ancien  précepteur  ,  qui 
dans  la  suite  fut  pape  sous  le  nom 
d'Adrien  VI,  et  successivement  deux 
hommes  habiles  ,  le  seigneur  de  la 
Chaux  {F.  PoupET ,  XXXV  ,  555  ) 
et  le  hollandais  Amerstofs.  Lesunset 
les  autres  furent  reçus  avec  de  grands 
honneurs  ,  introduits  par  le  cardi- 
nal lui-mcrae  dans  le  conseil^  mais 
ainsi  que  tous  ceux  qui  en  faisaient 
partie,  ils  restèrent  spectateurs  d'une 
autorité  qu'ils  venaient  partager  et 
surveiller.  Leurs  efforts  pour  secouer 
un  joug,  qui  était  appuyé  par  une 
véritable siipériorité,  sur  la  confiance 
du  peuple  ,  et  l'éloignement  des  Es- 
pagnols pour  toute  domination  étran- 
gère, fiuTnt  toujours  inutiles.  Une  fois 
en  se  hâtant  de  signer  des  dépêches , 
ils  crurent  forcer  Ximenès  à  placer 
son  nom  au-dessous  des  leurs.  Mais 
l'impérieux  prélat  ordonna  froide- 
ment de  déchirer  l'expédition  ,  en  fit 
faire  une  autre  qu'il  signa  seul ,  et 
depuis  il  en  usa  toujours  de  même, 
Gette  hauteur  de  caractère  bien  pro- 
pre à  faire  des  ennemis  au  cardinal , 
ne  l'était  pas  moins  aussi  à  lui  atta- 
cher ceux  dont  il  prenait  la  défense. 


4i4  Xiivi 

Le  clergé  castillan  lui  dut  Texemp- 
tioii  d'un  décime  imposé  par  Léon 
X,   mais    dont  le  prétexte,  en  sa 
qualité  de  régent ,  ne  lui  parut  pas 
assez,  fondé  pour  qu'il  l'admît.    Ce- 
pendant  comme   chef  suprême  de 
l'inquisilion  ,  il  soutenait  en  même 
temps  les  droits  de  ce  tribuna  I  terri- 
ble ,  près  d'im  jeune  prince  ébranlé 
par  les  plaintes  des  Juifs  et  des  Mau- 
res.  Sa  sévérité  inflexible  voulait  la 
justice  ;  mais,  non  content  de  soute- 
nir les  droits  du  trône  et  ceux  du 
peuple  ,  il   se  croyait  chargé  selon 
l'esprit  du  temps  de  venger  encore 
ceux  de  la  Divinité.  D'après  les  rele- 
vés de  Llorente  ,  plus  de  cinquante 
mille  condamnations  furent  pronon- 
cées   pendant  les   onze  années  que 
Ximenès    exerça    les    fonctions  de 
grand-inquisiteur,  et  deux  mille  cinq 
cents  victimes  périrent  dans  les  flam- 
mes. Cependant  le  même  auteur  dont 
les  témoignages  favorables  ne  doivent 
pas  être  suspects  ,  assure  que  de  con- 
cert avec  le  cardinal  de  Mendoza  et 
l'évêque  de  Grenade ,  Ximenès  s'é- 
tait opposé  à  l'établissement  de  l'in- 
quisition  en  Espagne.    Il   convient 
encore  qu'en  étant  devenu   le  chef 
il  destitua  plusieurs  inquisiteurs  qui 
avaient  abusé  de  leur  pouvoir  ;  qu'il 
protégea  l'innocence  et  fit  des  règle- 
ments pleins  de  sagesse  pour  ralen- 
tir l'activité  du  tribunal ,  et  diminuer 
le  nombre  de  ses  victimes.  Le  même 
Llorente  attribue  à  Ximenès  un  ma- 
nuscrit conservé  dans  la  bibliothèque 
des  études  royales  de  Saint-Isidore  à 
Madrid.  L'ouvrage  dédié  au  prince 
des  Asturies,  Charles  d'Autriche  ,  est 
intitulé  du  Gouvernement  des  prin- 
ces. On  y  traite  ,  sous  une  forme  al- 
légorique, des  différentes  parties  de 
l'administration  ;  les  abus  de  l'inqui- 
sition ,  et  particulièrement  le  secret 
de  ses  procédures ,  y   sont  discutés 


XIIM 

avec  beaucoup  de  sagesse  ;  et  de 
grandes  réformes  y  sont  proposées. 
Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  saurait  nier 
que  cette  ame  forte  et  hautaine  ne 
fût  touchée  de  l'amour  du  bien  ;  on 
peut  croire  même  qu'elle  s'ouvrait  à 
la  pitié,  témoin  la  grâce  qu'il  accor- 
da rà  quatre    jeunes   sei;;neurs,  qu'il 
avait  réduits  par  la  force,  et  qu'il 
s'attacha  par  la  reconnaissance.  Mais 
le  parti  flamand  apportait  des  obs- 
tacles à  tous  ses  desseins  ;  les  trésors 
de  la  Castille  ,  transportés  cà  Gand, 
devenaient  la  proie   des  courtisanS; 
du  jeune  prince  ;  et  Ximenès  ,  adres- 
sant  de   continuelles  réclamations  , 
était  l'objet  contre  lequel   se  diri- 
geaient tous  les  efl'orts  de  la  malveil- 
lance et  de  rintrigue.  En  vain  près- il 
sait-il  le  roi  de  venir  en  Espagne  ;1 
la  Flandre,  à  la  veille  de  n'être  plus 
qu'une  province  de  cette  vaste  mo- 
narchie  ,     retardait     par    tous    lej 
moyens  le  dcpart  du  souverain.  Leî 
intérêls  de  l'infant  Ferdinand,  jeun( 
frère  de  Chailcs  ,  et  qui  né  en  Es 
pagne  y    était    toujours   demeuré 
servaient  sourdement  de  prétexte  aui 
intrigues  des  grands  ;  Germaine  d 
Foix ,  veuve  en  secondes  noces  du  ro 
d'Aragon  ,  se  montiiiit  disposée  à  s 
joindre   à   ce    parti.   Le   cardinal 
dont  la    prudence    ne    sVndormai 
point,   avait   plusieurs   fois   déjoui 
toutes  ces  menées.  Il  crut  nécessair 
de  changer  les  officiers  qui  compo 
saient  la  maison  du  jeune  prince:  se 
vives  réclamations,  les  p'aintes  d 
la  cour  ,  les  menaces,  tout  fut  sani 
effet  sur  une  détermination  que   h 
sûreté  de    la  couronne    avait    seul 
dictée.  Quelques  seigneurs  lui  deman- 
dant raison  de  ces  actes  d'autorité^ 
Ximenès  les  conduisit  sur  un  balcon, 
leur  montra  des  détacliements  de  sa 
garde,  et  après  avoir  ordonné  une 
décharge  d'artillerie  :  «  Voilà ,  dit- 


XIM 

il,  la  dernière  raison  des  rois  {Hœc 
est  ultima  ratio  regurn  ).  »  Puis  , 
remuant  avec  la  main  son  cordon  de 
Tordre  de  Saint-François  :  v  Cela  me 
sullit,  ajouta-t-il  ,  pour  mettre  à 
la  raison  des  sujets  rebelles.  » 
Mais  celui  qui  devait  jouir  du  fruit 
de  tant  de  travaux,  prévenu  s.ms 
cesse  par  tout  ce  qui  l'entourait  , 
et  peut-être  atteint  d'une  secrète  ja- 
lousie de  pouvoir  ,  ne  vit  jamais  un 
homme  dont  on  avait  trop  de  rai- 
'  sons  de  craindre  l'ascendant.  Déjà 
attaque'  d'un  mal  dont  la  source 
e'tait  attribuée  au  poison  ,  Ximenès, 
qui  semblait  ne  survivre  que  pour 
montrer  jusqu'à  quel  point  une  ame 
forte  peutétre  indépendante  des  souf- 
frances du  corps,  s'était  mis  en  route 
pour  al'er  au-devant  du  roi  ;  enfin  , 
débarqué  en  Espagne,  arrêté  par  la 
maladie ,  il  insistait  dans  ses  dépê- 
ches pour  que  les  seip;neurs  flamands 
fussentrcnvoyés  dans  leur  pays  avant 
la  tenue  des  états  ;  et  cet  avis  décida 
sa  disgrâce.  On  ne  voulut  point  at- 
tendre que  la  mort  éteignît  ce  flam- 
beau ;  il  jetait  un  trop  grand  jour 
sur  les  intérêts  du  prince.  Charles- 
Quint  fit  écrire  à  Ximenès  qu'il  était 
temps  qu'il  allât  prendre  dans  son 
diocèse  le  repos  dont  il  avait  besoin. 
On  dit  que,  blessé  de  tant  d'ingrati- 
tude, et  d'autant  plus  que  la  lettre 
était  écrite  de  la  main  d'un  ami  qui 
lui  devait  son  élévation,  le  cardinal 
mourut  peu  d'heures  après  l'avoir 
reçue.  D'autres  assurent  qu'étant  déjà 
à  l'extrémilé  il  ne  put  l'ouvrir  ,  et 
n'en  connut  jamais  le  contenu.  Xime- 
nès termina  sa  carrière  le  8  nov.  1 5 1  -j 
à  l'âge  de  quatre  vingt-un  ans.  Son 
extérieur  était  noble  ,  la  sagesse  et 
l'élévation  se  montraient  dans  tout 
son  ensemble.  «  Il  s'expliquait  nette- 
»  ment  et  en  peu  de  mots  ,  dit  Flé- 
»  chier  y  ne  sortant  jamais  du  sujet 


XIM 


4i5 


»  dont  on  lui  parlait ,  et  soit  qu'il 
»  fût  joyeux  de  quelque  grande  pros- 
»  périté ,  soit  qu'il  fût  obligé  de  me- 
»  nacer  et  d'être  en  colère  ,  il  était 
»  toujours  également  précis  et  mé- 
»  nagé  dans  ses  paroles.  »  Il  a  laissé 
à  douter,  dit  le  même  écrivain  ,  s'il 
avait  le  plus  excellé  dans  la  pénétra- 
tion à  saisir  les  affaires  ,  ou  dans  le 
courage  à  les  entreprendre  ;  dans  la 
fermeté  à  les  soutenir  ou  dans  la 
sagesse  et  le  bonheur  à  les  ache- 
ver. On  dit  qu'au  lit  de  mort  Xi- 
menès se  rendait  le  témoignage  de 
n'avoir  par  passion  vexé  ni  favori- 
sé personne,  de  n'avoir  surtout  rien 
détourné  des  trésors  de  l'église  pour 
des  objets  étrangers  au  bien  public, 
ou  pour  l'élévation  de  sa  famille,  à 
laquelle  dans  la  vérité  il  ne  procura 
que  des  établissements  très-modérés. 
Habitué  de  bonne  heure  à  se  vaincre 
lui-même,  il  est  peu  d'hommes  sur 
qui  la  passion  paraisse  avoir  eu 
moins  de  prise.  Dans  un  différend 
très-vif  qu'il  eut  avec  le  duc  de  l'In- 
fantado,  le  chapelain  de  ce  seigneur 
vint  de  sa  part  accabler  le  cardinal 
des  injures  et  des  menaces  les  plus  ou- 
trageantes :  Ximenès,  après  avoirde- 
man-lé  à  cet  homme  avec  beaucoup 
de  sang-froid,  s'il  n'avait  rien  à  ajou- 
ter, lui  dit  de  retourner  vers  son 
maître, qu'il  trouveraitbien  honteux 
de  la  commission  qu'il  lui  avait  don- 
née ,  et,  peu  après,  le  duc  passa  en 
effet  de  l'emportement  à  la  plus  en- 
tière soumission.  Dans  tout  ce  qui 
n'attaquait  pas  la  foi,  Ximenès  épar- 
gna toujours  le  sang.  Il  écrivait  à 
Charles -Quint,  qu'il  fallait  regarder 
les  crimes  des  grands ,  lorsqu'ils  en 
témoignaient  du  repentir  ,  comme 
des  occasions  d'exercer  sa  clémence; 
que  ceux  qui  pouvaient  troubler  l'e'- 
tat  pouvaient  aussi  le  servir ,  et  que 
l'orgueil  étant  le  principe  de   leur 


4i(> 


XIM 


faute   il   siifTisait   que  rbumilialiou 
en  fût  le  châtiment.  Dans  sa  plus 
haute  fortune,  le  rogent  de  Gastille 
suivit  toujours  la  règle  de  Saint-Fran- 
çois ,  sans  que  l'importance  des  af- 
faires lui    fît  rien    retrancher   aux 
heures  destinées  à  la  mëdilalion  et  à 
la  prière.  On  raconte  qu'un  cordelier 
lui  ayant  reproche  le  luxe  de  ses  ha- 
bits ,  pour  toute  réponse ,  il  lui  mon- 
tra que  dessous  il  portait  un  cilice. 
On  donne  aussi  pour  preuve  de  sa 
simplicité  y  dans  ses  voyages  ,  la  re'- 
ponse  d'un  muletier,   qui,  voulant 
s'excuser  de  l'avoir  fait  attendre,  dit 
qu'il  ne  pouvait  pas  être  aussitôt  prêt 
que  Monseigneur  ,  dont  toute  la  toi- 
lette consistait  à  secouer  sa  robe  ,  et 
à  resserrer  la  corde  qui  l'attachait. 
L'histoire  du  cardinal  Ximencs  fut 
écrite  en  espagnol,  par  Gomcz  de 
Castro  ,  à  une  époque  où  toutes  les 
particularités  pouvaient  encore  être 
recueillies  des  personnes  qui  avaient 
vécu  avec  lui.  Cet  ouvrage,  vérita- 
ble monument  de  la  reconnaissance 
de  l'université  d'Âlcala  ,  dont  l'au- 
teur faisait  lui-même  partie,  pour- 
rait être  taxé  de  partialité  ,  si  les 
faits  consacrés  par  l'histoire  ne  par- 
laient ouvertement;  tous  les  témoigna- 
ges sont  uniformes ,  et  ni  le  ressenti- 
ment des  intérêts  blessés,  ni  les  pré- 
ventions de  la  philosophie  n'ont  pu 
jamais  reprocher  à  Ximenès  qu'une 
hauteur  trop  supeibe  ,  une  sévérité 
qui  est  la  suite  ordinaire  de  l'austé- 
rité des  mœurs  ,  et,  dit-on,  quelque 
penchant   à   des   superstitions   qui  , 
chez  un  tel  homme,  prouvent  à  un 
point  très -remarquable  l'influence 
de  l'éducation  et  celle  du  siècle.  Deux 
écrivains  français ,  Fléchier  et  Mar- 
soUier  ,  publièrent ,  à  peu  de  distance 
l'un  de  l'autre,  l'histoire  de  cet  ha- 
bile ministre.  Tous  deux  puisent  aux 
mêmes  sources^  et  s'éloignent  peu 


XIM 

dans  l'ordre  des  faits.  Cependant  la 
supériorité  du  style  ne  distingue  pas 
seulement  l'éloquent  évêque  de  Nî- 
mes :  chez  lui  le  principal  personna- 
ge est  dessiné  d'une  manière  plus  fer- 
me; ses  lettres,  ses  propres  expres- 
sions souvent  citées  semblent  l'offrir 
lui-même  au  jugement  du  lecteur,  et 
le  faire  mieux  connaître.  Robertson  , 
dans  l'histoire  de  Charles- Quint, 
trace  avec  habileté  le  caractère  et  la 
vie  de  ce  grand  homme  d'état.  11  est 
à  remarquer  que  la  dissidence  des 
opinions  religieuses  ne  l'empêche  pas 
de  rendre  aux  vertus  qui  accompa- 
gnèrent de  si  rares  talents  le  même 
témoignage  que  Fléchier.  Leibnitz  a 
fait  de  Ximenès  le  plus  magnifique 
éloge,  en  disant  que,  si  les  grands 
hommes  pouvaient  s'acheter  ,  l'Es- 
pagne n'aurait  pas  payé  trop  cher 
par  le  sacrifice  d'un  de  ses  royau 
mes,  le  bonheur  d'avoir  un  parei: 
ministre.  M~s — n. 

XIMENÈS  (Pierre),  né  à  Mid 
delbourg  ,  de  parents  portugais  ,  ei 
T  5 1 4  ,  ht  ses  études  à  l'université  d^ 
Salaraanque,  sous  la  protection  d 
l'évêque  de  cette  ville  qui  était  so: 
parent  ,  et  voyagea  ensuite  pour  so 
instruction  en  Italie  et  en  France.  Il 
séjourna  quelque  temps  à  Paris,  e 
se  rendit  à  Louvain ,  puis  à  Liège, 
oii  il  se  livra  avec  beaucoup  de  suc 
ces  à  l'étude  des  langues  et  delà  thé 
logie.  Ce  fut  dans  cette  dernière  vill 
que,  voulant  réfuter  les  fausses  doc- 
trines qui  agitaient  alors  toute  l'Euro- 
pe, il  commença  son  excellent  traité 
intitulé   :   Démonstratif  catholicœ 
veritatis.    Il  acheva  cet  ouvrage  à 
Cologne  ,   où  les  troubles  des  Pays- 
Bas  l'avaient  obligé  de  se  réfugier  , 
et  l'ayant  fait  imprimer  il  l'envoya 
à  Liévin  Torrentius,  évêque  d'An- 
vers.   Cet  habile  théologien  mourut 
en   iSgS.    —  Ximenès  (  Joseph- 


i 


XI M 

Albert  )  ,  espagnol ,  ne  ,  en  1 7 1  g  , 
d'une  famille  noble ,  se  iit  car- 
me en  1734  ,  et  fut  professeur 
de  théologie.  Il  se  distingua  par 
ses  talents  pour  la  prédication  ; 
devint  théologien  du  nonce  en  Espa- 
gne ,  et  après  avoir  rempli  diflércnts 
emplois  dans  son  ordre  ,  en  fut  nom- 
mé prieur-général  en  1768,  et  mou- 
rut dans  CCS  fondions  en  1774-  ^»  '"i 
doit  les  deux  derniers  volumes  du 
Sullaire  des  Carmes  ,  in-fol. ,  où  il 
a  inséré  les  brefs  et  les  bu'lles  qui 
concernent  cet  ordre.  Z. 

XI M  EN  ES  (  Jacques  ) ,  poète  es- 
pagnol ,  né  vers  le  milieu  du  seiziè- 
me siècle ,  à  Arcos  de  la  Frontera 
dans  l'yXndalousie^  fit  imprimer,  en 
1579  ,  à  Alcala  de  Hénarès,  un 
poème  héroïque  en  langue  espagnole, 
sur  les  expéditions  de  V invincible 
cavalier  le  Cid  rity  Dias  de  Bivar 
ou  Fibar,  vol.  in-4^-,  dédié  au  duc 
d'Albe,  sous  qui  l'auteur  avait  fait 
la  guerre  des  Pays-Bas.  Suivant 
Baillet  et  Rapin  ,  cet  ouvrage  est  une 
très- mauvaise  imitation  de  poème 
e'pique.  Jacques  Xi  menés  a  encore 
fait  imprimer,  en  166g,  un  volume 
de  Sonnets,  qui  sont  également  ou- 
bliés. —  XimenÈs  {François),  pein- 
tre, naquit  à  Saragosse  en  i5g8, 
apprit  les  principes  de  la  peinture  fa 
Espagne  ,  et  se  rendit  à  Rome,  pour 
étudier  les  ouvrages  des  grands  maî- 
tres de  l'art.  C'est  là  qu'en  appro- 
priant à  son  talent  ce  que  chacun 
avait  de  plus  remarquable ,  il  par- 
vint à  se  faire  une  manière  qui  était 
pour  ainsi  dire  l'extrait  des  dilFcrents 
genres  qu'il  avait  étudiés.  De  retour 
dans  sa  patrie,  Ximenès  mit  en  pra- 
tique les  grandes  leçons  qu'il  avait 
été  puiser  en  Italie.  Les  plus  beaux 
nionuments  de  Saragosse  furent  en- 
richis de  ses  ouvrages.  Il  est  facile 
ie  reconnaître,  en  voyant  ses  ta- 

LI. 


XIM 


417 


bleaux  ,  à  quelle  école  il  s^est  formé  j 
ils  ont  tout  l'appareil  des  grandes 
machines  italiennes,  et  la  simplicité 
des  compositions  espagnoles.  11  y  a 
quelque  analogie  entre  ses  tableaux 
et  ceux  de  Lebrun  j  tous  deux  pei- 
gnent avec  une  espèce  de  magni- 
ticence  qui  leur  est  partictdière. 
On  voit  dans  la  chapelle  de  Saint- 
Pierre  de  Saragosse  trois  composi- 
tions de  Ximenès  ,  dont  chacune  a 
plus  de  quarante  pieds;  elles  sont  si 
h'ian  remplies  par  le  sujet  qu'elles  re- 
présentent, que  la  grandeur  du  ca- 
dre ne  s'y  fait  sentir  que  par  l'admi- 
ration qu'inspire  le  pinceau  qui  a  su 
l'animer  de  tant  de  vie,  d'éclat  et  de 
noblesse.  Les  petits  tableaux  de  Xi- 
menès ne  sont  pas  moins  estimés  en 
Espagne  ,  que  ses  grands  ouvrages 
d'apparat.  Ce  peintre  mourut  à  Sa- 
ragosse en  1666.  A — s. 

XIMENÈS  DECARMONA 
(François),  médecin  espagnol,  né 
vers  la  fin  du  seizième  siècle  à  Cor- 
doue ,  acheva  ses  études  à  l'uni- 
versité de  Sala  manque  ,  et  après  y 
avoir  reçu  le  degré  de  docteur  fut 
pourvu  de  la  chaire  d'anatomie  qu'il 
remplit  avec  distinction.  Il  pratiqua 
depuis  la  médecine  à  Séville  avec 
beaucoup  de  succès.  On  lui  doit  un 
ouvrage  très  -  curieux  ,  intitulé  : 
Tratado  de  la  grande  excelencia 
de  la  a^ua  f  de  sus  maravillus j  vir- 
tudes ,  calidades ,  y'  eleccion  jj-  del 
buen  uso  de  enjricar  con  nieve  ,  Sé- 
ville, 1616,  in-4^-  C'est  le  sujet  traité 
par  Macquart  (  V.  ce  nom, XXVI  , 
76),  dans  le  Manuel  sur  les  pro- 
priétés de  l'eau  dans  Vart  de  gué- 
rir ;  mais  le  médecin  français  n'a 
pas  pu  profiter  des  remarques  du 
docteur  espagnol,  puisqu'il  n'a  point 
connu  son  ouvrage.  La  ])lupart  des 
biographes  attribuent  encore  à  Xi- 
menès de  Carmona  :  Quatro  ïibros 
27 


4i8  XIM 

de  la  naturaleza  de  las  plantas  j 
animales  que  csian  recehidos  en  el 
uso  de  la  medecina  en  la  Nueva  Es 
■pana  y  Mexico,  i6i5.^  iii-4".  C'est 
une  traduction  du  latin  de  Fr.  Her- 
naudez  (  Voj.  ce  nom^  XX  ,  '268  ;  : 
le  traducteur  est  le  père  François 
XiMENÈs,cordelier  et  missionnaire  au 
Mexique  ,  où  il  mourut  vers  1620, 
laissant  en  manuscrit  une  Gram- 
maire et  un  Dictionnaire  de  la  lan- 
gue des  naturels  du  pays.  Les  mêmes 
biographes  ont  encore  confondu  le 
médecin  de  Cordoue ,  avec  un  autre 
de  ses  homonymes  François  Xime- 
]yÈs  GuiLLEN  ,  médecin  à  Sévillevers 
la  jQn  du  seizième  siècle.  On  doit  à 
cekii-ci  une  dissertation  indtnlée  : 
Quid  sit  per  sapientiam  mori  apud 
Pliniiim  ^  in-4°. ,  et  quelques  autres 
opuscules  en  réponse  à  son  confrère 
JeandeLema. — X  imen  Es  (/ero  me), 
médecin ,  était  né  dans  le  seizième 
siècle  à  Épila,  bourg  de  l'Aragon, 
et  pratiqua  son  art  avec  succès  à 
Saragosse.  Il  est  auteur  des  deux  ou- 
vrages suivants  :  Institutionum  me- 
dicarum  lihri  iv  ,  Tolède  ,  1 583  , 
in-fol.j  Épila,  iSgô,  in-4''.  Quœs- 
tiones  me2?icce ,  Epila  ,  in-fol.  W-s. 
XïMENÈS  (  Léonard  ) ,  célèbre 
géomètre  et  astronome,  naquit  le  27 
décembre  1 7 16 ,  à  Trapani ,  dans  la 
Sicile,  de  parents  nobles  _,  originaires 
d'Espagne.  Dès  sa  plus  tendre  en- 
fance ,  il  montra  des  dispositions 
étonnantes  pour  l'étude  ,  et  en  même 
temps  un  grand  éloigncment  pour  les 
vanités  du  monde.  A  quinze  ans,  il 
embrassa  la  règle  de  saint  Ignace  ; 
mais  après  avoir  terminé  son  novi- 
ciat, et  professé  quelque  temps  la 
rhétorique  et  la  philosophie  ,  il  sol- 
licita de  ses  supérieurs  la  permission 
de  passer  en  Italie,  où  il  devait  trou- 
ver toutes  les  ressources  nécessaires 
pour  perfectionner  ses  connaissances 


XIM 

et  en  acquérir  de  nouvelles.  Chargé 
d'abord  d'enseigner  les  belles-lettres 
à  Florence  et  à  Sienne  ,  il  alla  ensuite 
à  Home  faire  son  cours  de  théologie 
au  collège  de  la  Sapience.  11  venait 
de  l'achever  ,  lorsque  le  marquis 
Vinc.  Riccardi ,  genlihomme  floren- 
tin, ayant  demandé  au  provincial  des 
Jésuites  un  sujet  pour  enseigner  les 
mathématiques  à  ses  enfants  ,  on  lui 
accorda  le  P.  Ximenès.Dans  ce  non- 
veau  poste  ,  il  sut  profiter  de  ses 
loisirs  pour  se  livrer  avec  ardeur^ 
l'étude  des  sciences  ;  et ,  aidé  des  cofl 
seils  de  quelques-uns  de  ses  confrè- 
res ,  il  fit  de  rapides  progrès  dans  la 
géographie  et  les  hautes  mathémati- 
ques. Quelques  opuscules  qu'il  pub'ia 
vers  le  même  temps  ,  l'ayant  fait 
connaître  de  la  manière  la  plus  avan- 
tageuse ,  il  obtint ,  avec  le  titre  de 
mathématicien  de  l'empereur  ,  la 
chaire  de  géogra})hie  à  l'académie 
de  Florence.  Les  ravages  causés  par 
le  débordement  du  P6  et  du  Reno  , 
sujets  continuels  de  contestations  ei 
tre  les  divers  états  de  la  Basse-Itaîi 
fournirent  bientôt  au  P.  Ximeu 
l'occasion  de  signaler  ses  talents  pc 
riiydraulique.il  fut  choisi  par  l'ei 
pereur  pour  régler  les  difficultés 
s'étaient  élevées  entre  la  Toscane 
\\  ré])ublique  de  Lucques  ,  dont  le 
commissaire  était  le  P.  Boscovich(^^. 
ce  nom  )  ;  et  il  s'acquitta  de  cette  tâ- 
che avec  tant  de  zèle  j  les  moyens 
qu'il  indiqua  pour  prévenir  de  nou- 
veaux débordements  furent  jugés  si 
supérieurs  à  tous  ceux  qu'on  avait 
employés  jusqu'alors,  que  depuis  on 
n'agita  dans  l'Italie  aucune  question 
d'hydraulique  sans  la  lui  soumettre. 
11  n'est  pas  en  Italie  un  seul  état  qoêa 
n'ait  eu  recours  aux  lumières  dull 
Ximenès  ,  et  qui  n'ait  pu  s'applanl- 
dir  d'avoir  suivi  ses  conseils.  11  fut 
consulté  par  la  cour  de  Rome  si 


XIM 

moyens  de  dessécher  les  marais  Pon- 
tins  ,  et  de  régulariser  le  cours  des 
fleuves  dans  le  Bolonais  ;  par  les  Vé- 
nitiens, au  sujet  des  dégâts  causés 
par  la  Brenta-  par  les  Lucquois ,  sur 
le  lac  Sextus  ou  Bicntina  ^  par  les 
Génois  ,  sur  des  af{ueducs  à  cons- 
truire, des  routes  à  percer,  et  d'au- 
tres objets  importants.  Mais  les  tra- 
vaux qu'il  a  fait  exécuter  en  Toscane 
suffisent  pour  lui  assurer  une  répu- 
tation immortelle.  Il  serait  trop  long 
de  rappeler  ici  tous  les  plans  et  les 
projets  dressés  par  le  P.  Ximenès , 
tous  les  travaux  entrepris  sous  sa  di- 
rection^ et  achevés  par  les  ordres  du 
grand-duc  Léopold.  Il  suilira  de  citer 
le  Fal  de  la  Chiusa  y  la  Maremme 
de  Sienne ,  et  la  route  de  Pistoie. 
Les  obstacles  sans  nombre  qu'il  ren- 
contra dans  l'exécution  de  ces  beaux 
ouvrages  ne  servirent  qu'à  montrer 
la  puissance  et  le  triomphe  de  l'art. 
Le  seid  pont  de  Sestajone  ,  jeté 
sur  des  précipices  horribles  ,  entre 
des  montagnes  désertes,  égale  les 
plus  superbes  monuments  des  Grecs 
et  des  Romains.  Quoique  occupé  pres- 
que sans  relâche  par  les  travaux  dont 
on  vient  de  parler  ,  le  P.  Ximenès 
trouva  cependant  le  loisir  de  faire 
une  foule  d'observations  astrono- 
miques importantes  ,  et  de  publier 
un  grand  nombre  d'écrits  très -esti- 
més. Il  était  fréquemment  consulté 
par  les  savants  ainsi  que  par  les  aca- 
démies qui  s'étaient  empressées  de 
se  l'associer  ;  et  telle  était  son  acti- 
vite  presque  incroyable,  qu'il  ne  lais- 
sa jamais  aucune  lettre  sans  réponse. 
Il  consacra  les  traitements  qu'il  re- 
cevait de  ses  divers  emplois,  et  les 
revenus  de  son  patrimoine  ,  à  déco- 
rer !a  ville  de  Florence  d'un  des  plus 
beaux  monuments  qu'rlle  possède 
pour  les  sciences.  C'est  l'observatoire 
AeSan  Giovannino  ^  fameux  surtout 


XIM 


419 


par  son  grand  cadran  mural ,  et  par 
le  gnomon  de  Paul  Toscanelli  {Voy. 
ce  nom,  XLVI ,  3o3  ),  ç^we  le  P. 
Ximenès  y  rétablit;  il  y  joignit  une 
bibliothèque  choisie  ,  et  un  grand 
nombre  d'instruments  de  mathéma- 
tiques. Enfin  ,  après  une  vie  dont 
tout  le  cours  avait  été  rempli  par  la 
pratique  des  vertus  chrétiennes  y  et 
par  l'exercice  des  plus  nobles  talents, 
il  mourut  d'apoplexie,  à  Florence,  le 
3  mai  1786,  à  l'âge  de  soixante-dix: 
ans.  Par  son  testament  ^  il  fonda 
deux  chaires  ,  l'une  d'astronomie  et 
l'autre  d'hydraulique  ,  qui  devaient 
être  remplies  par  deux  religieux  Pia- 
ristes  auxquels  il  léguait  sa  biblio- 
thèque et  son  cabinet ,  sous  la  con- 
dition de  les  remettre  aux  Jésuites  , 
s'ils  étaient  rétablis  en  Toscane.  Il 
laissa  tous  ses  manuscrits  au  sénateur 
J.-B.  Nelli,  qui  possédait  déjà  ceux 
de  Galilée  et  de  plusieurs  autres  sa- 
vants dont  la  Toscane  s'honore  à 
juste  litre.  Le  P.  Ximenès  s'était 
composé  cette  épitaphe  : 

Qui  didici  astioruinqite  -vias  ,    unlnsque  Jliienles  , 
Hoc  cinis  exiguus  nunc  jaceo  in  lumuto  .- 

Parte  lamen  meliore  met  super  astra  vocatus 
Gralulor  ceUrni  Numinis  orefrui. 

A  beaucoup  d'érudition  ,  il  joignait 
le  talent  de  mettre  ses  découvertes  à 
la  portée  des  intelligences  les  plus 
vulgaires.  Toujours  clair,  précis  et 
méthodique,  il  parlait  avec  éloquen- 
ce et  captivait  l'attention  de  ses  au- 
diteurs. Placé  dans  un  poste  impor- 
tant ,  il  ne  pouvait  manquer  d'en- 
vieux ,  mais  il  compta  parmi  ses  amis 
les  hommes  les  plus  distingués  de 
son  temps.  Son  noble  désintéresse- 
ment,  sa  prodigieuse  activité,  la 
constance  avec  laquelle  il  poursuivit 
l'exécution  des  projets  qu'il  avait 
conçus  pour  l'utilité  publique  ,  lui 
assurent  une  place  parmi  les  plus 
grands  hommes  de  l'Italie  au  dix- 
huitième  siècle.  Il  était  associé  des 
27.. 


4^,0  XI M 

académies  des  sciences  de  Paris  et  de 
Petersbonr^  ,  et  membre  de  celles 
de  Ye'roneet  de  Sienne.  Ses  ouvrages 
sont  :  ï.  Osscjvazione  delV  aurora 
boréale  del  dl  3  fehhrajo  \']^o  , 
a  cui  s'aggiiigne  lo  sciogUmento 
d'un  nuovo  problemaper  calcolarne 
le  distanze  y  secundo  Vipotesi  del 
Mayer  ,  etc.  —  Osservazione  delV 
aurora  boréale  comparsa  la  notte 
del  dï  26  agosto  1756.  Ces  deux 
observations  ont  été  pubbees  dans 
la  première  Décade  des  Symbol, 
Litterar.  de  Gori.  II.  Notizia  de' 
tempi ,  de'  principali  fenomcni  del 
cielo  nuovainente  calcolati  ,  etc.  ^ 
Florence,  1751  ,  in-80.  Cet  ouvrage, 
fait  sur  le  plan  des  Ephémérides  ,  a 
été  continue  pour  les  années  17  52  et 
1753.  III.  Prhni  elementi  délia 
geometria  piana  ,  Venise  _,  1751  , 
in-8*^.  IV.  Dissertazione  meccanica 
di  due  stromenti  che  posson  servire 
alla  giusla  stima  del  viaggio  ma- 
ritimo  ,  e  délia  velocità  delV  acque 
e  de'  venti ,  Florence,  1752.  V. 
Disserlatio  de  maris  œstu  ^  acprœ- 
sertim  de  viribus  lunœ  solisque 
mare  moventibus ,  ibid. ,  1755  ,  in- 
4".  de  58  pag.  VI.  Del  vecchio  e 
nuovo  gnomone  fiorentino ,  e  délie 
osservazioni  astronomiche  ,  etc.  ^ 
faite nelverificarne  la  coiistruzionc 
lib.  IF,  ibid.  ,  1757  ,  grand  in-4".  , 
fig.  Cet  ouvrage,  précède  d'une  his- 
toire de  l'astronomie  en  Toscane , 
et  rempli  d'observations  curieuses 
sur  l'astronomie^  la  physique  et  l'ar- 
chitecture ,  acquit  à  Ximenès  une 
grande  réputation.  VU.  Ossen^a- 
zionedelpassagio  di  Venere  sotto  il 
disco  solare  ,  accaduto  la  matina 
del  dï  6  giugno  1 76 1  ,  ibid. ,  iu-4''. 
de  8  p.  VIll.  Dissertazione  intor- 
no  aile  osservazioni  solstiziali  del 
1775  ,  Livourne  ,  1776  ,  in-4'\  de 
127    pag.  Dans    cet   ouvrage  il   a 


XIM 

corrigé  et  perfectionné  son  traité  !)<?/_ 
vecchio  gnomone  ,  auquel  on  doit 
le  réunir.  «  L'auteur,  dit  Lalande 
trouve  la  diminution  séculaire  de  l'o- 
bliquité de  l'écliplique  d'environ  35^' 
au  lieu  de  5o''  que  supposaient  ]i 
plupart  des  astronomes  ;  et  j< 
crois  que  son  résultat  est  plus  vrai- 
semblable. »  Bibliog.  astronomiq . 
55 1.  IX.  Nuowe  sperienze  idrau- 
liche  Jatte  ne'  canali  e  ne'  fîu- 
miper  verificarne  le  principali  leg- 
gi  e  fenomcni  delV  acque  corren 
ti ,  Sienne  ,  1780,  in-4".  Cet  ou- 
vrage est  très  -  estimé.  X.  i?/5^ref^c 
delV  osserwazione  delV  ecclissi  so- 
lare del  dï  «7  octobre  1781  ^Ro- 
me ,  in-4°.  de  8  p.ng. ,  iuséré  dans  le 
Journa  des  savants  ,  mars  1782 
i85.  XT.  Teoria  e  pratica  délie 
resistenze  de'  solidi  ne'  loroattriti 
Pise et  Florence,  1782,  2  vol.  in- 
4°.  XII.  Raccolta  di  perizie  et 
opuscoli  idraulici^  etc. ,  Florence 
1781-86,  2  vol.  'm-f\^.  Ce  granc 
ouvrage^  enrichi  d'un  grand  nom- 
bre de  planches  ,  devait  formel 
six  volumes  dont  le  dernier  aurai 
contenu  un  dictionnaire  hydrauli- 
que ;  mais  l'auteur  n'a  pas  donn( 
suite  à  ce  projet.  On  trouve  encor< 
divers  opuscules  de  Ximenès  dani 
les  journaux  scientifiques  ,  et  danj 
les  Mémoires  des  académies  dont  il 
était  membre  ,  principalement  de 
Vérone  et  de  Sienne.  Les  ouvrages 
que  l'on  peut  consulter  sur  ce  grand 
mathématicien  sont:  1*^.  son  Eloge 
par  l'abbé  Louis  Brenna  ,  dans  le' 
Giornale  di  Pisa ,  lxiv  ,  91  ;  2^. 
un  autre  Eloge  par  Palcani  dans 
les  Memorie  délia  società  ital. ,  Vé- 
rone, 1790;  réimprimé  séparément, 
Bologne,  179»  ;  cl  Nuov.  Dizioni 
istorico  ,  Bassano  ,  179G  ,  et  enfii 
le  Supplem.  Bibl.  soc.  Jesu  ,  par  h 
P.  Caballero  ,  284-86.       W— s. 


XIM 

XI MENÉS  (  Augustin  -Marie, 
marquis  de  ) ,  mort  eu   1817,  doyen 
des  colonels  et  des  poètes  français, 
naquit  à  Paris  ^  le  26  février  1726  , 
d'une    ancienne    famille    originaire 
d'Espagne.  Joseph  ,  comte  de  Xiuie- 
nés  (1),  son  a'ieul,  entra  au  service 
de  France  en  1657  ,  et  mourut  lieu- 
tenanl-ge'nëral  des  armées  du  roi ,  en 
1706.  Il  eut  deux  fils,   dont  l'aîne 
fut  tue  à  Oudenarde  ,  en  1  708  ,  à  la 
tête  de  son  régiment  :  le  plus  jeune, 
Augustin,  marquis  de  Ximenès ,  se 
distingua  à  Oudenarde,   à  Malpla- 
quet,  à  Denain,  fut  nomme  maré- 
chal de  camp  en  1734  ,  fit,  comme 
maréchal-general-des-logis,  les  cam- 
pagnes de  1733,   1734  et  1735  à 
Tarmée  du  Rhin .  et  mourut  en  1 746, 
à  Vblin  en  Bohême.  Le  fils  de   ce 
Lrave  oillcier,  Augustin- Marie,  sui- 
vit d'abord ,    comme  ses  aïeux  ,  la 
carrière   des  armes  ;  il  se  distingua 
il  Fonlenoi ,  sous  les  yeux  du  ma- 
réchal  de  Saxe,  dont  il  était  aide- 
de-camp  ,   et  parvint   au   grade  de 
mcstre-de-camp  ;   mais   dès  que  la 
mort  de   son  père  lui  permit  de  se 
livrer   à    ses   goûts    d'indépendan- 
ce, il  quitta  le  service  sans  avoir 
obtenu  la  croix  de  Saint-Louis  ,  et 
devint  un  poète  médiocre,  un  habi- 
tué de  coulisses,  de  cafés  et  d'aca- 
démies :  c'était  un  triste  lot  pour  un 
homme  qui  avait  la  perspective  assu- 
rée de  devenir  oiïicier- général.  Il  n'é- 
tait cependantdoué  d'aucundes  avan- 
tages qui  constituent  l'homme  à  bon- 
nes fortunes  :  il  avait  au  contraireen 
partage  les  désagréments  de  la  lai- 
deur et  de  la  malpropreté  portés  au 
dernier  point.  C'est  à  Ximenès,  in- 
décis sur  la   manière  dont  il  ferait 
mourir  un  de  ses  héros  tragiques  , 
([ue  le  comte  de  Thiars  dit  en  se  bou- 

i)  On  pi-QKunce  Cbiuiène. 


XIM  421 

chant  le  nez:  a  Je  le  sais  bien  ,  moi: 
»  vous  l'empoisonnerez.  »  Ximenès 
avait  la  manie  dujeu  des  échecs,  com- 
me celle  des  vers  ;  et  c'est  ainsi  qu'avec 
delà  naissance,  de  la  fortune,  avec 
une  véritable  instruction  et  un  goût 
bttéraire  très-pur,  il  ne  fut  jamais 
qu'un    personnage    ridicule.    Après 
s'être  ruiné  avec  des  comédiennes,  il 
voulut    réparer   les  brèches  de   sa 
fortune  par  un  mariage  d'argent.  Il 
se  mésallia  et  n'eut  pas  l'esprit  de 
s'enrichir  (  avril  1 76H  ).  Celle  qu'il 
épousa  était  la  fille  d'un  Lyonnais, 
nommé  Jourdan,  auteur  de  quelques 
romans  peu  connus.  La  marquise  de 
Ximenès   se  prétendait  parente  de 
M.   Berthier  de  Sauvigny ,  qui  n'é- 
tait pas  au  reste  d'une  extraction 
bien  relevée.   Avant    ce    mariage, 
Ximenès  avait  songé  à  profiter  de 
l'alïection  que  lui   témoignait  Vol- 
taire, pour  épouser  Mn^e.  Denis,  la 
nièce  de  ce  grand  poète ,  dont  il  con- 
voitait la  succession  ;  mais  elle  eut 
le  bon  esprit  d'échapper  à  ce  péril  ! 
Les  liaisons  de  Ximenès  avec  M^l^. 
Clairon ,  qui  finit  par  se  moquer  de 
hâ,  le  couvrirent  d'un  nouveau  ridi- 
cule; et  si  l'on  en   croit  Voltaire 
(  Lettre  à  d'Argental  ) ,  le  marquis 
eut  trois  rendez-vous  avec  l'actrice  , 
perdit  partie,  revanche  et  le  tout, 
Ses   relations    avec   l'auteur  de   la 
Henriade  ne  laissaient  pas   cepen- 
dant de  lui  donner  quelque  relief.  Par 
une  espèce  d'adoption  très-honora- 
ble ,  Voltaire   fit   insérer  plusieurs 
fois  dans  ses   éditions  des  vers  du 
marquis  ;  et  les  éloges  qu'il  lui  pro- 
digiia  furent  quelquefois  mérités.  En 
1760,  Ximenès  présenta  au  concours 
de  l'académie  un    discours  où  Toa 
trouve  ces  vers,  que  Voltaire  lui-mê- 
me n'aurait  pas  désavoués  : 

H  est  des  rois  sans  force  et  nés  dans  l'indolente, 
Que  la  mollesse  endort,  que  l'intérêt  encense. 


Tl 


XIM 


Taiitôuies  élevés  sur  un  liùrifi  avili, 
il.s  passent  c-omme  nu  songe,  et  tombcut  dans 

l'oubli. 
Sous  ces  règnes  de  denil ,  le  mérite  inutile 
Languit,  découragé,  dans  un  obscur  asile; 
Et  des  hommes  divins  y  vivent  méconnus, 
Mais  laissent  eu  mourant  un  nom  qui  ne  meurt 

plus. 
Illustres  malheureux  !  vos  ombres  consolées 
Abandonnent  aux  rois  l'orgueil  des  mausolées; 
i.a  mort  y  foule  aux  pieds  le  faste  qui  les  suit  : 
Votre  empire  commence  oii  leur  règne  finit. 

«  Je  conserve  votre  poème ,  qui  me- 
»  ritait  le  prix ,  écrivait  Voltaire  à 
»  Ximenès  ;  c'est  le  sort  des  Xime- 
»  Iles  d'être  vengés  de  l'académie  par 
»  le  public  (2).  »  En  i  "^52  ,  le  mar- 
quis osa  briguer  les  palmes  dramati- 
ques. Sa  tm^édie  à' Epicharis y  don- 
née sur  le  Théâtre-Français ,  n'eut 
qu'une  représentation.  Le  comte  du 
Luc,  ami  de  l'auteur,  mais  qui  per- 
dait rarement  l'occasion  d'un  bon 
mot ,  applaudissait  de  toute  sa  force 
au  milieu  des  huées  générales.  Quel- 
qu'un lui  en  témoignant  sa  surprise  : 
«  Moi ,  Messieurs  _,  dit-il ,  je  suis 
très-content ,  je  n'en  attendais  pas 
tant  du  marquis.  »  Voltaire  cepen- 
dant n'avait  pas  conçu  une  si  mau- 
vaise idée  de  cette  tragédie,  dans 
laquelle  il  trouvait  de  beaux  vers. 
Avant  cette  malencontreuse  épreu- 
ve, Ximenès  avait  déclaré  que  si 
sa  pièce  réussissait  il  n'en  ferait 
point  d'autre  •  mais  que  si  elle  n'ob- 
tenait pas  de  succès  il  tâcherait  de 
mieux  faire  une  seconde  fois.  11  don- 
na donc,  dès  l'année  suivante,  Don 
Carlos  y  tragédie,  qui,  sans  être 
meilleure  que  la  première,  eut  plus 
de  succès.  Le  style  a  du  naturel , 
mais  il  est  sans  force.  On  en  peut  ju- 
ger par  celte  faible  imitation  d'un 
des  plus  beaux  vers  de  Virgile  ; 
Ilaud  igjiara  mali ,  miseris  succur- 
rere  disco  : 

Les  cccurs  des  malheureux  n'eu  sont  que  plus 

sensibles. 


^)  Ailuiiion  i)  la  CLinùuG  du  CiJ. 


XIM 

^on  Carlos  fut  joué  sur  le  thëât 
de  Lyon  en    1761.   Amalazonte 
représentée  au  théâtre  de  la  cour  ei 
1754  ,  avait  suivi  de  près  Don  CaA 
los.  Ximenès  fit  cette  troisième  fois 
encore  moins  bien  que  la  seconde. 
Les  épigrammes  et  les  bons  mots  ne 
tarissaient  ni  sur  l'auteur ,  ni  sur  ses 
tragédies.  On  fit  au  sujet  de  la  pre- 
mière et  de  la   dernière  cette  épi 
gramme  imitée  de  Boileau  : 


Après  Epicharis 

Les  ris  ; 
Après  Amalazonte 

La  honte. 


Ces  différentes  pièces  ont  été  impri- 
mées j  et  quelques  scènes  peuvent  s^ 
lire  avec  plaisir.  La  versification  est 
de  la  bonne  école.  Malheureusemenl 
l'auteur ,  qui  avait  bien  lu  nos  grands 
poètes ,  consultait  trop  sa  mérnoire  eij 
composant.  Un  jour  qu'il  lisait  uiM 
de  ses  tragédies  à  l'abbé  de  Voisenon, 
celui-ci ,  copiant  une  des  plaisanterie 
de  Piron ,  se  levait  à  tout  instant  pou 
faire  une  profonde  révérence.  A  qi 
diable  en  ai^ez  -  vous  y  avec  toute; 
vos  salutations!  lui  dit  à  la  fin  I 
poète  impatienté.  — Encore  faut-i 
être  poli  y  repartit  l'abbé ,  et  salue] 
les  gens  de  sa  connaissance  quani 
ils  passent.  Aguerri  contre  les  trait 
de  la  satire  ,  Ximenès  se  prêtait  ai 
bonne  grâce  à  la  raillerie;  mais  il  ne 
laissait  pas,  quand  il  voulait  s'en 
donner  la  peine,  de  repousser  les 
agressions  avec  d'heureuses  reparties 
On  lui  avait  un  jour  emprunté  sa  pe 
titc  maison  pour  une  partie  de  plai- 
sir :  on  craignit  qu'il  ne  voulût  en 
être  y  et  l'on  cherchait  différentes 
tournures  pour  lui  donner  à  entendi 
qu'il  fallait  faire  les  choses  au  mieul 
et  n'y  pas  venir.  Après  avoir  joi 
quelque  temps  de  l'embarras  avec  1( 
quel  on  lui  faisait  ces  insinuations, 
dit  enfin  :  Soyez  tranquilles ,  Mes\ 
sieurs^  j'use  de  ma  petite  mai  soi 


XIM 

comme  de  ma  petite  loge  à  V  Opé- 
ra ;  je  n'y  vais  que  quand  les  bons 
acteurs  jouent.  11  serait  trop  long  et 
assurément  fort  peu  intéressant  de 
suivre  Xiinenès  dans  la  foule  d'infri- 
f;ues  dramatiques  et  de  querelles  lit- 
icraires  auxquelles  il  prit  part  dans 
sa   longue   carrière.  Ceux  qui  sont 
curieux    de    ce   genre    d'anecdotes 
lieuvent   consulter  surtout  les  Mé- 
moires de    Bachaumont.  La   cor- 
respondance de  Voltaire  nous   ap- 
prend qu'avant  que  d'Argental  fût 
chargé  de  ce  soin ,  Ximencs  voulut 
aussi  se  mêler  de  protéger  les  pro- 
ductions de  ce  grand  poète ,  bien  que 
celui  -  ci    ne   l'en  priât  nullement. 
Lors   des    obstacles  qu'éprouva    la 
représentation  des  Guèbres  ,  il    se 
porta    d'oiïice    l'avocat     de    cette 
tragédie  auprès   de  l'autorité.    Ses 
démarches    indiscrètes    déplurent  ; 
et  Voltaire  fut  obligé  de  les  désa- 
vouer. «  S'il  était  permis  de  vous  par- 
»  1er  sérieusement ,  écrivait-il  au  duc 
»  de  Richelieu,  je  vous  dirais  que  je 
«  n'ai  jamais  chargé  M.  de  Ximenès 
»  de  vous  parler  des  Guèbres  ni  de 
))  vous  les  présenter.  Il  a  pris  tout  cela 
»  sous  son  bonnet,  qui  ne  vaut  pas 
»  celui  du  cardinal  de  Ximenès ,  dont 
»)  il  prétend  pourtant  descendre  en 
»  ligne  droite.  Je  lui  suis  très-obligé 
»  d'aimer  les  Guèbres;  mais  je  ne 
»  l'ai  assurément  chargé  de  rien.  » 
Ximenès  n'avait  pas  été  ainsi  désa- 
voué lorsque  ,  se  faisant  l'instrument 
des  animosités  de  Voltaire  ,  il  s'était 
déchaîné  contre  J  .-J.  Rousseau ,  dans 
quatre  Lettres  en  prose  sur  la  Nou- 
velle. Héldise  (1761).  Le  patriarche 
de  Ferney  lui  en  sut  au  contraire  un 
gré  infini.  «  Il  (Rousseau)  ne  mé- 
)>  rite  pas  le  mépris  dont  M.  de  Xi- 
»  menés  daigne  l'accabler  »  (Lettre  à 
Daniilaville  ,     i']6i).  —  «  M.    le 
»  marquis  de  Ximencs  ,  ajoutait  -  il 


XIM 


423 


»  dans  une  autre  lettre  au  même,  a 
»  daigné  s'abaisser  jusqu'à  couvrir 
»  de  ridicule  son  ennuyeux  et  imper- 
»  tincnt  roman.  »  On  a  peine  à  con- 
cevoir aujourd'hui  le  langage  inju- 
rieux de  Voltaire  envers  Rousseau 
qui ,  malgré  les  torts  qu'on  peut  lui 
reprocher,  n'en  est  pas  moins   un 
grand    écrivain.     L'auteur    à'Epi- 
charis  était  destiné  à  survivre   de 
près     d'un    demi  -  siècle   à  l'espè- 
ce de   célébrité  que  lui  avaient  va- 
lue ses  tragédies  et  quelques  pièces 
de  vers  assez  bien  tournées  ,  dont  le 
principal    mérite  était   celui  de  la 
circonstance.  Lui-même  porta  un 
coup  mortel  à  sa  petite  renommée 
littéraire,  en  réunissant  dans  un  vo- 
lume, sous  le  titre  A' OEuvres ,  tou- 
tes les  études ,  tous  les  essais  poéti- 
ques de  sa  j eunesse  (  1 7  72).  On  y  trou- 
ve quelques  héroïdes  et  plusieurs  mor- 
ceaux  de  l'Iliade  traduits  en  vers 
alexandrins.  Vingt  ans  après,  Xime- 
nès donna  un  nouveau  recueil  de  ses 
poésies  ,  sous  le  titre  de  Codicille 
d'un  vieillard  (  1 79^2  )  ;  et  sa  renom- 
mée poétique  n'y  gagna  pas  davan- 
tage.  Il    vivait    alors    dans    l'obs- 
curité,  fréquentant  toujours,  mais 
seulement  encore   comme   amateur 
de  l'art ,  car  il  était  très  -  pauvre , 
les   actrices   et  les   beaux  -  esprits 
du  dernier  ordre;  passant  ses  jour- 
nées à  jouer  aux  échecs  au  café  de  la 
Régence,  et  ses  soirées  au  balcon  dans 
les  foyers  des  spectacles ,  où  il  avait 
ses  entrées.  De  temps  en  temps  il  pu- 
bliait quelques  articles  dans  le  Jour- 
nal de  Paris  ;«t  ses  petits  vers  étaient 
toujours  au  service  de  la  circons- 
tance. Il  se  montra  partisan  de  la 
révolution,  mais  avec  désintéresse- 
ment  et  sans  fanatisme.  Il  ne  prit 
aucune  part  aux  événements,  et  ne 
remplit  aucune  fonction  publique.  Au 
temps  de  Robespierre,  il  n'échappa 


XIM 

à  la  persécution  qu'en  prenant  la 
qualité  de  doyen  des  poètes  sans-cu- 
lottes. Il  fut  aussi  le  poète  des  llieo- 
pliilantropes.  Quand  le  pouvoir  de 
Napoléon  remplaça  les  gouverne- 
ments révolutionnaires,  la  muse  sep- 
tuagénaire de  Ximcnès  lui  inspira 
quelques  vers  bien  louangeurs,  qui 
lui  valurent  une  pension.  Il  en  fut  de 
même  au  rétablissement  des  Bour- 
bons, en  i8i4-  Du  reste,  ces  varia- 
tions étaient  sans  conséquence.  En 
politique  il  était  toujours  de  l'avis 
de  toui  le  monde.  Apres  la  restaura- 
tion, il  fut  décoré  de  la  croix  de  Saint- 
Louis  (iHiCi).  Il  avait  alors  quatre- 
vingt-onze  ans;  ce  qui  fit  dire  que,  le 
jour  de  sa  réception,  il  était  à-la-fois 
le  plus  jeune  et  le  plus  vieux  des  che- 
valiers de  cet  ordre.  11  était  en  outre 
alors  le  doyen  des  chevaliers  de  Mal- 
te. Le  1 1  mai  de  l'année  suivante,  il 
lit  des  vers  sur  le  soixante-douzième 
anniveisaire  de  la  bataille  de  Fonte- 
noi ,  et  mourut  vingt  jours  après, 
dans  la  quatre-vingt-douzième  an- 
née de  son  âge ,  après  avoir  reçu 
les  secours  de  la  religion.  On  a 
du  marquis  de  Xiraenès  ,  outre  les 
tragédies  dont  on  vient  de  parler  : 
I.  Essai  de  quelques  genres  d'wers 
de  poésie,  17..,  in  -  8^.  IL  Les 
Lettres  ont  autant  contribué  à  la 
gloire  de  Louis  XIV qu'il  avait  con- 
tribué à  leurs  progrès,  poème,  i  --  5o. 

III.  Ode  sur  l'inoculation ,  1756. 

IV.  César  au  sénat  romain  ,  poème, 
17  59.  V.  Lettres  portugaises  ,  en 
vers  (  publiées  sous  le  nom  de  M^^«. 
Dol***  ) ,  Lisljonne  (  Paris  ) ,  1 709  ; 
réimprimées  à  Francfort-sur-le-Mein, 
en  1760,  à  la  suite  des  Quatre  par- 
ties du  jour  de  l'abbé  de  Bernis. 
C'est  une  imitation  en  vers  de  la  pre- 
mière et  de  la  quatrième  des  fameu- 
ses Lettres  d'une  religieuse  portugai- 
se à  un  oflicier  français  (  F".  Guil- 


XIM 

LERAGUES  ,  SUBLIGNY  ).  VI.    PoèmC 

sur  VJmour  des  lettres,  1771.  VII. 
Discours  en  vers,  à  la  louange  de 
Voltaire,  suivi  de  quelques  autres 
Poésies ,  et  précédé  d'une  Lettre  à 
l'auteur ,  1 784 ,  in  -  8°.  VIII.  Mon 
Testament ,  en  vers  et  en  prose , 
Bouillon  et  Paris,  1787.  Les  opus- 
cules de  Ximenès  en  prose  sont^ 
outreles  Lettres  sur  la  Nouvelle  Héloï- 
se,  1°.  Lettre  sur  Oreste  ,  1748; 
2<>.  Lettre  à  J.  -  J.  Rousseau  sur 
l'effet  moral  du  théâtre,  17585 
3».  De  l'influeTice  de  Boileau 
sur  son  siècle  ^  1786.  Il  y  avait 
quelque  mérite  à  faire  l'éloge  de^ 
Boileau  ,  à  cette  époque  ,  où  ,  suivant 
l'exemple  de  Marmontel ,  tant  d'é- 
crivains se  faisaient  un  jeu  de  déni- 
grer le  législateur  du  Parnasse.  Aussi 
le  clievalier  de  Cubières  adressa  à^ 
Ximenès  une  lettre  dirigée  contre 
Boileau ,  et  qui  est  un  monument  dé 
délire  et  d'audace.  Ximenès  préten- 
dait savoir  tous  les  vers  de  la  langue 
française ,  et  surtout  des  pièces  de 
théâtre.  Sa  mémoire  en  eflét  était 
prodigieuse.  M"^*^.  Denis,  pour  l'em- 
barrasser ,  composa  sur-le-champ 
un  vers  ,  et  lui  demanda  dans  quelle 
pièce  il  se  trouvait  :  Dans  la  Cher' 
cheuse  d'esprit^  lui  dit  Ximenès.  11 
avait  eu,  en  1772,  le  désir  d'être 
de  l'académie  française;  et  il  se  con- 
sola facilement  de  n'avoir  pas  réussi. 
Palissot^  dans  ses  Mémoires  litté- 
raires ,  cite,  à  cette  occasion,  des 
vers  très-piquants  que  Ximenès  fit 
sur  sa  mésaventure.  On  lui  a  attribué 
faussement  le  Fojage  autour  de  ma 
chambre  de  M.  de  Mestre  (  P^.  de 
Mestre  ,  au  Supplément).  D-r-r. 
XIMENO  (  VicENTE  ),  savant 
biographe,  était  né  vers  la  fm  à\i 
dix-septième  siècle ,  à  Valence  ,  ca- 
pitale du  royaume  de  ce  nom ,  d'une 
famille  honorable.  Ayant  achevé  ses 


études  avec  succès  y  il  embrassa  l'é- 
tat ecclésiastique  ,  se  fit  recevoir  doc- 
teur en  théologie, et  fut  pourvu  d'un 
Le'nelice  de  la  cathédrale,  qui  lui 
donnait  rang  parmi  les  chanoines. 
Son  goût  pour  les  lettres  et  pour  les 
recherches  d'histoire  lui  valut ,  avec 
l'amitié  de  ses  compatriotes  les  plus 
distingues,  tels  que  Gregor.  Majano 
et  le  P.  Buriel ,  une  place  à  l'acadé- 
mie de  Valence.  Le  P.  Jos.  Rodii- 
guez,  religieux  trinitaire,  avait  laissé 
une  Bibliothèque  de  Valence  (  Bi- 
hliolhcca  valentina  ) ,.  dont  l'im- 
pression était  commencée  lorsqu'il 
mourut  en  l'^oS.  Depuis  cette  épo- 
que, ses  confrères  refusaient  obsti- 
nément de  faire  paraître  un  ouvrage 
qui  devait  ajouter  à  l'illustration  du 
pays.  D.  Vicente,  cédant  aux  instan- 
ces de  ses  amis  ,  résolut  de  dédom- 
mager les  savants  de  la  privation 
que  leur  imposait  le  caprice  de  quel- 
ques moines  ,  en  publiant  une  histoi- 
re littéraire  du  royaume  de  Valence. 
Il  employa  quatorze  ans  à  visiter  les 
archives  des  chapitres  et  des  ab- 
bayes, pour  recueillir  les  matériaux 
qui  lui  étaient  nécessaires  ,  et ,  aidé 
des  recherches  du  P.  Rodriguez ,  il  fit 
paraître  enfin  son  travail  sous  ce  ti- 
tre :  Escritores  del  regno  de  Fa- 
lencia ,  chrojiologicanieiite  ordena- 
dosdesde  el  anno  i  '238  de  la  chris- 
iiana  coîiquista  de  la  misma  ciu- 
dad  liasta  el  de  1747»  Valence, 
1747-49?  ^  vol.  in-fol.  En  têle  du 
premier  volume  est  une  dissertation 
sur  l'état  des  lettres  dans  le  royau* 
me  de  Valence,  sous  les  Romains, 
les  Goths  et  les  Maures.  Vient  en- 
suite la  notice  chronologique  des 
écrivains  depuis  la  conquête  de  ce 
royaume  sur  les  Arabes,  par  Jayme 
ou  Jacques ,  roi  d'Aragon  ,  dit  le 
Conquérant  {F.  ce  nom ,  XXI,  l^i'i). 
Parmi   leurs  ouvrages  ,  l'auteur   a 


XIP  425 

soin  de  distinguer  les  manuscrits  de 
ceux  qui  sont  imprimés,  dont  il  in- 
dique les  dilïérentes  éditions,  le  nom- 
bre de  volumes  et  le  format.  Plusieurs 
points  d'hisJoire  littéraire  y  sont  dis- 
cutés avec  beaucoup  d'érudition  et 
une  critique  judicieuse.  Les  Escrito- 
res de  Falcfici a  ïoi  ment  une  histoire 
complète  de  la  littérature  de  ce  royau- 
me, et  méritent  d'être  placés  dans 
les  cabinets  des  curieux  à  côté  de  la 
JSibl.  hispana  de  Kicol.  Antonio 
(  Foy.  ce  nom  ) ,  dont  ils  sont  le 
complément  nécessaire  et  presque  in- 
dispensable. Cet  ouvrage  est  assez 
rare  en  France.  On  en  trouve  deux 
extraits  intéressants  dans  les  Mé- 
moires de  Trévoux f  1750,  11 , ^3o- 
57  ,  et  1040-57.  W — s. 

XIPHILÏN  (Jean),  patriarche 
de  Constantiuople,  était  d'une  illus- 
tre famille  de  ïrébizonde.  Sa  nais- 
sance l'appelait  à  siéger  un  jour  par- 
mi les  sénateurs  j  mais  désabusé 
prompteracntdes  vanités  du  monde, 
il  embrassa  la  vie  monastique,  et  se 
retira  dans  une  des  solitudes  du  mont 
Olympe ,  résolu  d'y  passer  le  reste  de 
ses  jours  entre  la  prière  et  l'étude. 
Cependant  après  la  mort  de  Lichude^ 
en  io()G,  il  fut  élu  son  successeur 
sur  le  siège  de  Constautinople.  Forcé 
de  céder  aux  vœux  du  peuple  et  du 
clergé,  il  gouverna  pendant  douze 
ans  l'Eglise  d'Orient  avec  beaucoup 
de  zèle,  et  mourut  en  1078.  Quel- 
ques courtisans  lui  ayant  |)ersuadé 
qu'on  pensait  à  mettre  son  frère  sur 
le  trône,  il  consentit  à  supprimer  la 
promesse  qu'avait  signée  la  princesse 
Eudoxie  de  ne  pas  se  remarier  (  F. 
EuDOXiE,  XIII,  47^);  °i^'S  <^'^st 
la  seule  faiblesse  que  lui  reproche 
l'histoire  •  et  il  serait  facile  de  l'ex- 
cuser. On  a  de  ce  prélat  :  Oratio  in 
crucem  seu  in  tertiam  jejunioruin 
hebdomadcm  ;  le  P.  Gretzcr  l'a  pu- 


4'i6 


XIP 


bliëe  en  grec  et  en  lal'in  ,dans  son  re- 
cueil De  crucc,  ii,  i449î  —  ^<^' 
creta  duo  de  sponsalihus ,  dans  le 
Jus  grcpco-roman.  de  Leunclavius  , 
111 ,  2  T I  ;  —  Decretum  de  iniptiis 
prohibitis ,  ibid.  ,  iv,  266.  Trois 
Constitutions  sur  des  matières  ecclé- 
siastiques. La  première,  en  date  du 
26  avril  1066^  faite  dans  un  concile 
auquel  assistèrent  vingt-huit  métro- 
politains ou  archevêques,  contient 
un  règlement  canonique  sur  les  fian- 
çailles. D'aj)rès  cette  constitution,  les 
liançadles ,  légitimement  contracte'es, 
produisent,  quand  même  elles  n'ont 
point  ètè  suivies  du  mariage  ,  le  mê- 
me effet  que  l'empêchement  d'af- 
finité 'y  de  sorte  que  les  parents 
des  fiances  sont  inhabiles  à  con- 
tracter mariage  entre  eux.  Ce  règle- 
ment ,  qui  n*est  point  comui  dans  l'É- 
glise romaine  ,  fut  confirme,  en  1080, 
par  une  bulle  d'or  de  l'empereur  Ni- 
cèphore  Botoniate.  La  seconde  cons- 
titution de  Xiphilin  confirme  la  pré- 
cédente. Dans  la  troisième,  qui  est 
du  16  février  1070,  le  patriarche 
dit  :  ((  Voyant  que  plusieurs  ecclé- 
siastiques et  religieux  plaident  les 
causes  d'autrui  devant  les  tribunaux 
ecclésiastiques  ,  cet  usage  étant  con- 
traire aux  lois  de  l'Église,  nous  or- 
donnons qu'à  l'avenir  _,  il  sera  défen- 
du aux  religieux  et  ecclésiastiques 
de  plaider  devant  un  tribunal,  quel 
qu'd  soit  'y  car  la  plaidoirie  est  évi- 
demment une  action  mercenaire,  que 
nous  ne  laisserons  point  impunie. 
Notre  ordonnance  sera  lue  aux  juges 
séculiers ,  afin  qu'ils  n'admettent  au- 
cun ecclésiastique  à  plaider  devant 
eux.  La  bibliothèque  du  Vatican 
possède  un  recueil  manuscrit  des 
Homélies  de  Xiphilin,  pour  tous 
les  dimanches  de  l'année.  Voy.  Ca- 
ve ,  Script,  ecclesiast.  Histor.  lit- 
ter.,  I,  146.  G- Y  etW-s. 


XIP 

XIPHILIN  vJean),  neveu  du 
précédent  (  i  ) ,  avec  lequel  on  l'a  sou- 
vent confondu  ,  vivait  sous  le  règne 
de  l'empereur  Michel  Ducas.  C'est  à 
lui  qu'on  doit  V Abrégé  de  Dion 
Cassius ,  que  la  perle  d'une  grande 
partie  de  l'ouvrage  de  cet  historien 
rend  très-précieux.  Cet  abrégé  com- 
mence au  trente-  cinquième  livre  de 
Dion ,  et  contient  la  suite  de  l'his- 
toire romaine  depuis  les  guerres  de 
César  et  de  Pompée  jusqu'à  la  mort 
d'Alexandre  Sévère.  Xiphilin  n'a 
guère  fait  que  retrancher  de  l'original 
les  digressions  qui  lui  paraissaient  em- 
barrasser la  marche  des  événements. 
Il  conserve  d'ailleurs  les  expressions 
mêmes  de  son  auteur,  comme  on  peut 
en  juger  par  la  comparaison  de  son 
travail  avec  les  livres  qui  nous  res- 
tent de  Dion.  Ainsi  les  éloges  ou 
les  critiques  qu'on  a  faits  de  son 
style  doivent  se  rapporter  à  Dion, 
dont  il  n'est  que  le  copiste.  On  a 
reproché  très  -  injustement  à  Jeai 
Xiphilin  d'avoir,  quoique  chrétien, 
transcrit  tous  les  prodiges  que  -rap- 
porte son  auteur  (2)  j  mais  il 
pris  soin  lui-même  de  repousser  c( 
reproche ,  qu'il  ne  pouvait  cependani 
pas  prévoir.  Toutes  les  histoires  an- 
ciennes sont  remplies  du  récit  deî 
merveilles  qui  précédèrent  la  ba- 
taille de  Philippes  ,  oii  fut  décidé  1( 
sort  de  la  liberté  romaine.  Dans  ui 
temps  où  les  croyances  religieuseî 
étaient  dans  toute  leur  force ,  per- 
sonne n'aurait  osé  penser  qu'un  s; 
grand  événement  avait  pu  s'accom* 


(1)  Voy.  son  Abrégé,  liv.  53. 

{11.)  «  Cet  abrégé  ,  dit  Cliawlon  ,  est  assez,  l'iei 
fait;  mais  le  style  manque  de  pureté  et  d' élégance 
et  l'aliréviateur,  quoique  chrétien,  copie  tous U 
prodiges  que  rapporte  son  auteur.  Il  semble  mèi 
qu'il  donne  la  préférence  à  ces  puérilités  :  ce  q^ 
ne  donne  pas  une  grande  idée  de  la  justesse  de  so 
esprit.  >>  IjC  lecteur  est  à  même  d'apprécier  le  jq 
gemenl  de  Cltaudon ,  copié  suivant  l'usage  pi' 
tous  les  Diclionnaires  qui  se  sont  succédé  depi 
cinquante  ans. 


XUA 

plir  sans  rintenention  de  la  Divini- 
té. Xi;iliilin  déclare  qu'il  ne  répétera 
point  le  récit  de  ces  merveilles.  «  Je 
laisse ,  dit-il ,  à  ceux  qui  sont  curieux 
de  pareils  faits  le  soin  de  les  recueil- 
lir. Quant  à  moi,  je  pense  que  Dion 
aurait  dû  ne  s'y  pas  tant  arrêter  ,  et 
suivre  en  cela  l'exemple  de  Poly- 
be  »  (  Voy.  liv.  4?  )•  L'Abrégé  de 
Xiphilin  fut  imprimé  pour  la  pre- 
mière fois  ,  à  Paris  ,  par  Rub. 
Estienne,  i55i,  in-4"'.,  avec  la 
traduction  latine  de  Guill,  Blanc 
d'Alby.  Cette  édition  est  rare  et  re- 
cherchée. On  fait  aussi  beaucoup  de 
cas  de  celle  de  H.  Estienne ,  1 5ç)2  ^ 
in-fol.,  avec  les  corrections  d'Es- 
tienne  lui-même  et  de  Xylander.  Fa- 
bricius  a  donné  dans  la  Bibl.  grceca, 
la  liste  des  éditions  de  Dion  et  de 
Xiphilin.  Freytag  a  décrit  les  plus 
estimées  avec  son  exactitude  ordinai- 
re dans  V Apparat,  litterar.  j  ii  , 
i3io-  23.  V Abrégé  de  Xiphilin  a 
çté  traduit  dans  les  principales  lan- 
gues de  l'Europe;  il  l'a  été  en  fran- 
çais par  Bois-Guillebert(/^.  ce  nom, 
V,  '10  )^  Paris,  5674,  ^  vol.  in- 12: 
et  par  le  président  Cousin,  ibidem  , 
1678,  in  -  f\^.j  et  1686,  2  volumes 
in- 12.  Cette  dernière  édition  est  plus 
rare  et  plus  recherchée  que  celle 
in-4°.  (  Voy.  le  Manuel  du  libraire 
de  M.  Brunet).  W— s. 

XISTE^  pape.  V.  Sixte. 

XIUS ,  empereur  de  la  Chine.  V. 

ÏHSIN-Cni-UOUANG-TI. 

XUARÈS  ou  SUARÈS  (Rode- 
Ric  ) ,  célèbre  jurisconsulte  espagnol, 
florissait  dans  le  quinzième  siècle, 
sous  le  règne  de  Ferdinand  et  d'Isa- 
belle. Il  avait  fait  ses  études  d'une 
manière  brillante  à  l'université  de 
Salamanque,  sa  ville  natale.  Cepen- 
dant il  ne  voulut  prendre  aucun  autre 
degré  que  le  baccalauréat  ,  disant 
qu'il  valait  mieux  être  le  premier  ba- 


XUA  427 

chelier  des  Espagnes  que  le  dernier 
des  licenciés  ou  des  docteurs.  Ayant 
choisi  sa  résidence  à  Valladolid ,  il 
s'acquit  une  grande  réputation  par 
son  savoir  et  par  le  talent  qu'il  dé- 
ploya dans  la  défense  des  causes  dont 
il  était  chargé.  Devenu  membre  de 
l'audience  royale  de  cette  ville,  il 
apporta  dans  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions beaucoup  de  zèle  et  d'intégrité. 
Il  paraît  que  sur  la  fin  de  sa  vie, 
Xuarès  revint  habiter  Salamanque, 
puisqu'on  sait  que  Ferdinand  l'en 
nomma  décurion.  Les  jurisconsultes 
espagnols  les  plus  distingués  ,  tels 
qu'Ant.  Quesada,  Did.  Cuvaruvias  , 
Gasp .  de  Ba  ëza ,  citent  tou  j  ours  Xua- 
rès avec  éloge  ,  et  s'appuient  fré- 
quemment de  son  opinion.  On  a  de 
lui  :  I.  Allegationes  et  consilia 
xxriii ,  Médina  del  Campo  ,  i555; 
Madrid,  iSng,  in-fol.  II.  Repetitio- 
nés  sive  lecturœ  in  quasdam  leges 
fori  legum,  Salamanque ,  1 556.  III. 
Divers  Opuscules  de  droit.  Ses  ou- 
vrages ont  été  recueillis  et  imprimés 
avec  des  notes  de  Did.  Valdes,  Val- 
ladolid, iSgo,  Francfort,  i594, 
Douai ,  1614  ,  in-fol.  Voy.  la  Biblio- 
thec.  hispan.  nov.  d'Antonio,  11, 
271-72.  W — s. 

XUARÈS  (Gaspard),  botaniste, 
né,  le  9  juillet  1781,3  San  -  lago 
del  Estero ,  dans  le  Tucumau ,  pro- 
vince du  Paraguay,  entra  jeune  dans 
l'ordre  des  Jésuites ,  et  professa  plu- 
sieurs années  la  philosophie  et  la 
théologie  dans  divers  collèges.  Après 
la  suppression  de  l'institut,  il  par- 
tagea le  sort  de  ses  confrères  ,  qui  fu- 
rent amenés  en  Europe  et  transpor- 
tés eu  Italie.  Il  s'établit  aux  envi- 
rons de  Rome,  et  partagea  son  temps 
entre  la  culture  des  lettres  et  celle  de 
la  botanique ,  science  pour  laquelle 
il  avait  toujours  senti  du  penchant. 
Quelques  écrits  dans  lesquels  il  ren- 


4'^o  XYL 

dait  compte  des  plantes  qu'il  avait 
observées  dans  ses  excursions  le  fi- 
rent connaître  avanlagousement  des 
uaturalistcs  ;  et  l'on  peut  conjecturer 
qu'il  aurait  poussé  plus  loin  ses  tra- 
vaux en  ce  genre  si  les  événements 
de  la  guerre  ne  l'eussent  forcé  de  les 
interrompre.  Le  P.  Xiiarcs  mourut  à 
Rome  le  3  janvier  i8o4.  On  a  de 
lui  :  I.  Trois  opuscules  intitulés  :  Os- 
servazioni  Jilologiclie  soprà  alcune 
plante  esotiche  ,  Jatte  nel  1788, 
1789  et  1790,  Rome,  1789-92,  in- 
4".  11.  Elogio  de  lajeriora  Maria - 
Josephe  Biistos  Americana ,  ibid. , 
1797,  in-8^.  III.  Fida  iconologica 
del  apostol  de  las  Indlas  S.  Fran- 
cisco Xavier ,  ibid.,  1798  ,  in-8^.  Il 
a  laissé  manuscrites  V Histoire  de  la 
province  de  Buenos- Jjres ,  et  des 
Dissertations  sur  le  droit  de  la  na- 
ture, le  droit  des  gens  et  le  droit  de 
la  piiix  et  de  la  guerre.  Voy.  Cabal- 
Icro  :  Bihl.  soc.  Jesu  supplément.  ^ 
286.  W— s. 

XYLANDER  (  Guillaume 
HoLTZMANN  (  1  ) ,  couuu  sous  Ic  nom 
de  ) ,  l'un  des  plus  savants  hommes 
du  seizième  siècle  ,  naquit  le  26 
décembre  i53'2  ,  à  Augsbourg ,  de 
parents  très -pauvres.  Les  disposi- 
tions étonnantes  qu'il  annonça  de 
bonne  heure  pour  l'étude,  auraient 
été  perdues  si  Wolf.Rolinger,  patri- 
cien d'Augsbourg  ,  ne  se  fut  cliargé 
de  l'instruire  ,  en  attendant  qu'd 
pût  être  admis  dans  les  écoles  publi- 
ques. Ses  progrès  dans  les  langues  et 
la  littérature  anciennes  surpissèrent 
encore  l'attente  de  ses  maîtres.  A  l'âge 
de  seize  ans,  il  traduisit  vers  pour 

(i)  Deux  inolsalleiiiiiids  qui  s.'gnifienl  hontine  de 
bois,  et  que  ,  suivant  l'usag<-  des  savants  de  IVpo- 
que,  il  a  traduit  en  grec  par  Xylander.  Ce  nom 
s'est  conservé  en  Allemagne  jusqu'à  nos  joins.  Un 
M.  de  Xylandîr,  lieulenant-gôiiéral  bavarois,  jm- 
l)liait  en  février  i8;>.o,avec  M.  d'Aretin ,  le  i^r. 
cahier  d'un  journal  d'opérations  inililjiires  ,  eu  al- 
lemand ,  Munich ,  TLii 


XYL 

vers  le  poème  de  Trjphiodore  (^.cc 
nom  ) ,  et  cet  essai  fut  imprimé  à  soi 
insu  par  Oporin  (Voy.  VEpitomeX 
Bibl,  Gesneri y  éd.  de  Fries  ,  3i5 
Plus  tard  il  alla  perfectionner  ses] 
connaissances  à  Tubingue  et  à  Baie  y 
et  se  rendit  très-babile  dans  l'his- 
toire ,  la  théologie  ,  la  philosophie 
et  les  mathématiques.  En  i558,  n'é- 
tant âgé  que  de  vingt-six  ans,  il  fut 
choisi  pour  succéder  à  Jacq.  Micyl-« 
lus(r.  cenom,XXVÏlI,6oo)dansi 
la  chaire  de  la  langue  grecque  à  l'aca- 
démie de  HeidellDerg.  11  venait  de 
se  faire  connaître  des  savants  par  une 
traduction  latine  de  V Histoire  àe  Dion 
Cassius  (  F.  ce  nom).  Elle  lui  valut 
de  la  part  des  libraires  des  proposi- 
tions qu'il  aurait  dû  rejeter  dans 
l'intérêt  de  sa  gloire,  puisque  son 
traitement  comme  professeur  le  met- 
tait à  l'abri  du  besoin.  Doué  d'une  fa-! 
cilité  prodigieuse,  il  traduisit  en  peu 
d'années  un  grand  nombre  d'ouvra- 
ges )  et  quoique  ses  versions  se  res- 
sentent nécessairement  de  la  piécipi- 
tation  avec  laquelle  il  les  a  faites 
elles  n'en  ont  pas  moins  obtenu  h 
suffrage  des  philtlogues  qui  se  sou 
bornés  à  les  retoucher.  Xylandei 
fut  honoré  de  l'estime  de  l'électeuj 
Palatin  Frédéric  III  ,  qui  le  nomma 
secrétaire  des  assemblées  convoquées 
à  l'abbaye  de  Maulbrun,  pour  sta- 
tuer sur  des  points  controversés  par 
mi  les  protestants.  Les  gratifications 
qu'il  reçut  de  ce  prince  ainsi  que  du 
duc  de  W lirtembeig  ,  et  le  produit 
de  ses  ouvrages,  auraient  dû  l'enri 
chir;  cependant  il  })assa  sa  vie  dans 
la  misère;  mais  ce  fut  sa  faute  ,  si, 
comme  le  dit  Scaliger,  il  s'enivrait 
tous  les  jours  (2).  Épuisé  par  l'ex- 
cès du  travail  ,  et  par  l'abus  des  li 
queurs  fortes^  il  mourut  le  10  fé- 


L-ueinauti  , 


(■/)  (^uolies  ciiU  cl 


Scali^erana. 


I 


XYL 

viier  15^6,  à  l'âge  de  quarante- 
trois  ans.  De  Tlioii ,  Is.  Wossius  , 
Huet,  Wyttenbach  ,  etc. ,  parlent  de 
Xylander  avec  éloge.  Outre  des  édi- 
tions de  la  version  latine  à' Euripide 
parlMelanchthon^  de  Théocriteayec 
des  scolies  grecques  et  des  notes  , 
Baie,  i558,in-8«.;  d'Etienne  de 
Byzance ,  de  urbibus  ,  1 568 ,  in  fol. , 
et  à' Horace ,  avec  des  notes  ,1575, 
in-8^. ,  on  doit  à  Xylander  des  ver- 
sions latines  :  1.  De  l'ouvrage  de 
Psellus  :  De  quatuor  disciplim s  ma- 
thematicis  opusculum  ,  avec  des  no- 
tes ,  Baie ,  1 55() ,  in~8".  II.  De  V His- 
toire de  Dion  Cassius,  ibid.^  i558  , 
in-fol.  y  avec  la  traduction  corrigée 
dé  V Abrégé  de  Xylander ,  par  Guill. 
Leblanc  , accompagnée  dénotes  cour- 
tes, mais  utiles.  111.  Des  Réflexions 
de  Marc  Aurèle  ,  Zurich  ,  1 538  ,  in- 
8°.; Lyon  ,  iS^g,  in- 12  ,gr.  et  lat.  ; 
Baie  ,  i5G8  ,  in-8".  ;  à  cette  édition 
revue  et  corrigée  ,  Xylander  a  joint 
des  traductions  d'Antonius  Libe'ralis^ 
de  Phlëgon  et  d'Antigone  Carystius  , 
de  mirabilibus.  IV.  Des  Fies  et  des 
OEuvres  morales  de  Plufarque  , 
Baie,  1561-70,  2  vol.in-foi.  V.  De 
la  Chronique  de  Cedrenus^  avec  le 
texte  grec,  ibid. ,  i565,  in-fol.  VI. 
DeStrabon,  avec  le  texte  grec,  ibid, , 
157 1  ,  in-fol.  Yll.  De  Diophante , 
gr.  et  lat. ,  ibid.  ,  1  675  ,  in  foi.  (  F. 
DioPH  ANTE  ,  XI ,  4  06  ).  Cette  version 
lui  valut  du  duc  de  Wiirleaiberg  un 
présent  de  cinquante  ecus.  On  doit  sa- 
voir gré  de  ce  travail  à  Xylander  , 
dit  Montucla  ^  quoique  vicieux  en 
l)!usieurs  endroits,  tant  par  le  mau- 
vais état  du  manuscrit  (3)  que  par 
la  difficulté  de  la  matière  et  la  hâte 
avec  laquelle  son  indigence  l'obli- 
geait de  travailler  (  Hist.  des  ma- 
thémat. ,  1 ,  566  ).  C'est  à  Xylander 

(3)  11  tenait  ce  manuscrit  ti'Andté  Dudilb. 


XYS 


4^9 


qu'on  est  redevable  de  la  première 
traduction  allemande  des  six  premiers 
livres  d'Euclide,  Bàle  ,  1572;  il  a 
traduit  d?ins  la  même  langue  VHis- 
toire  de  Polybe  et  le  Nouveau-  Tes- 
tament. Enfin  ses  ouvrages  sont  :  I. 
De  philosophid  et  ejus  partibus 
Carmen ,  et  nonnulla  alia  car  mina 
dii^ersi  argumenti  j  Baie,  1  556  , 
in-80. ,  à  la  suite  de  la  trad.  de  Psel- 
lus, citée  plus  haut.  IL  Schediasma 
de  astronomico  horologio  Argento- 
ratensi ,  Strasbourg,  1575,  in-4^. 

III.  Institutiones  aphoristicœ  Lo- 
gicœ  Aristotelis  y  ità  scriptce ,  ut 
adolesceutihus  proponi  commode  , 
eorumque  ad  Aristotelea  perd- 
pienda  acuere  ingenium  et  memo- 
ri(im  juvare  possint ,  etc.  ,  Heidel- 
berg  ,  1577  ,  '"■4'''  (4-  IV.  Une  trad. 
en  vers  du  poème  de  Trjphiodore  , 
ditïérente  de  ce! le  dont  on  a  parlé  , 
imprimée  à  la  suite  de  Diodore  de 
Sicile  ;  Baie  ,  1578  ,  info!.  Il  avait 
entrepris  un  Dictionnaire  géogra- 
phique que  «a mort piématuree  l'em- 
pêclia  de  termii»er.  On  a  recueilli 
quelques  pièces  de  Xylander  dans 
les  Deliciœ  poetar.  germanor. ,  vi , 
1 1  Sç).  Outre  les  auteurs  cités  dans  le 
cours  de  cet  article,  on  peut  consulter 
Melch.  Adam,  Fitœ  philosophor. ; 
Freher  ,  Theatrum  viror.  doct.  , 
1471  ;  l<'s  Eloges  des  hommes  il- 
lustres àe  Teissicr  ;  le  Dict.  de  Bayle^ 
et  les  Mémoires  de  Niceron  ,  xix  ^ 
397  4 08.  Le  portrait  de  Xylander  est 
gravé  dans  la  Bibl.  chalcogr.,  tome 

IV ,  de  J.-J.  Boissard  (  Foj.  Xi- 
p^ihn).  V^ — s. 

XYSTE  y  que  quelques  savants  ont 
confondu  avec  le  pape  S.  Xiste  ou 
Sixte  It'r,  est  auteur  d'une  Litur- 
gie imprimée  en  syriaque  ,  dans  le 
Missel    des  Maronites  ,   en    1 594  , 

(/))  Cet  ouvrage  n'a  pas  c'tc  connu  de  Niceron. 


43o 


YAG 


et  en  latin  ,  dans  le  premier  to- 
me des  Liturgies  orientales ,  par 
Renaiidot.  On  pense  qu'il  avait  le  ca- 
ractère cpiscopal ,  les  evéqnes,  ciiez 
les  Syriens,  ayant  seuls  le  droit  de 
composer  et  de  publier  des  liturgies. 


YAC 

cours  ascétiques,  qui  n'ont  point  ëtc 
rendus  publics.  Voy.  Jssemani  hi- 
bliotheca orientaîis, tome i^i".,  et  Ca- 
talogus  librorum  chaldœoruin,  auc-  1 
tore  Hebcdiesus  metropolitd  Sohen-  % 
si ,  publié  par  Abraliam  Ecbellensis , 


On  attribue  au  même  Xyste  des  Dis-     Rome  ,  i653  ,  in-8" 


G— Y. 


ï  ACOUB  Ibn  -  Leïts  ou  LaÏth  , 
surnomme  Al-Soffar  (  le  chau- 
dronnier ou  V ouvrier  en  cuivre  ) , 
à  cause  de  la  profession  de  son  père  , 
qui  fut  aussi  la  sienne^  suivant  plu- 
sieurs auteurs,  a  été,  dans  la  Perse 
orientale,  le  fondateur  de  la  dynas- 
tie des  Sojfaridcs  ,  Tune  des  premiè- 
res qui  sapèrent  les  fondements  de 
l'empire  des  khalifes  abbassides. 
Leïts  et  ses  tiois  fds ,  Yacoub  ,  Am- 
rou  et  Aly,  habitaient  un  village  du 
Seïstan  ,  province  que  sa  position  et 
son  éloignement  de  Baglidad  ren- 
daient depuis  long-temps  le  foyer  des 
révoltes.  Sobre  et  ennemi  des  plai- 
sirs^ Yacoub  trouvait  dans  ses  éco- 
nomies un  moyen  de  satisfaire  sa  gé- 
nérosité envers  ses  camarades.  Mais 
appelé  par  instinct  à  de  plus  hautes 
destinées ,  i!  rougissait  de  son  obs- 
curité :  il  endurcissait  son  corps  aux 
exercices  les  plus  violents,  et  s'habi- 
tuait à  braver  les  plus  grands  périls. 
Son  caractère  ne  se  démentit  pas 
un  instant,  et  le  conduisit  enfin  au 
but  qu'il  s'était  proposé.  Ses  discours 
et  son  exemple  ayant  déterminé  ses 
frères  et  ses  compagnons  à  embras- 
ser un  état  plus  convenable  à  des 
gens  de  cœur ,  et  qui  n'est  point  ré- 
puté infâme  chez  les  orientaux,  il  en 
lit  des  brigands  ,  se  mit  à  leur  tcte  , 
et  attaqua  les  caravanes.  Mais  plus 


stimulé  par  l'amour  de  la  gloire  que 
par  l'intérêt ,  il  laissait  aux  voya-^ 
geurs  une  partie  de  leurs  bagages , 
distribuait  le  reste  à  sa  troupe,  et  ne 
gardait  rien  pour  lui.  Vers  ce  temps- 
là  ,  Salih  ,  fils  de  Nasr  ,  Arabe  d'une 
illustre  naissance  et  d'une  grande  ré- 
putation ,  vivait  à  Bost,  ville  du 
Seïstan ,  et  méditait  d'enlever  cette, 
province  aux  Thahérides ,  qui  gou- 
vernaient, au  nom  des  khalifes,  toute 
la  partie  orientale  de  l'empire  mu^ 
sulman.  Le  pillage  de  sa  maison  pa- 
rut à  Yacoub  une  entreprise  digne  dei 
lui.  11  y  pénètre  de  nuit ,  enlève  les 
objets  les  plus  précieux  ;  mais ,  en  se 
retirant,  il  fait  un  faux  pas,  croit 
avoir  laissé  tomber  quelque  bijou, 
cherche  dans  l'obscurité  ce  qui  a  pu 
le  faire  trébucher  ,  et  trouve  mi 
morceau  de  sel.  Saisi  de  respect  pour 
cette  matière  ,  que  les  musulmans, 
regardent  comme  le  symbole  de; 
l'hospitalité,  il  jette  son  butin,  et 
s'éloigne  au  plus  vite  d'une  maison 
qui  lui  semble  sacrée.  Cette  aventure 
devint  l'origine  de  sa  fortune.  Salih, 
soupçonnant  la  vérité,  voulut  en  en- 
tendre le  récit  de  la  bouche  même 
du  fils  de  Leïts.  Ce  mélange  d'auda- 
ce, de  religion,  de  bravoure  et  de 
franchise  ,  lui  plut  dans  un  chef  de 
voleurs.  11  l'attacha  à  son  service, 
et  lui  donna  le  commandement  dej 


^ 


YAG 

troupes  avec  lesquelles  il  s'empara 
du  Seislan,  Tau  'Ï6']  de  i'heg.  (  85*2 
(le  J.-C.  ).  Mais  Salih  périt  bientôt 
dans  une  bataille  contre  Tliaher  II , 
c'mir  du  Klioraçan  ,  ou  survécut 
peu  à  sa  défaite.  Yacoub  continua 
de  servir  Darham,  son  frère,  qui 
lui  avait  succédé,  et  il  reprit  le 
Seïstan^qui  était  rentré  sous  l'obéis- 
sance des  Tbahérides.  Darham ,  prin- 
ce faible  et  sans  capacité  ,  s'ctant 
demis  du  pouvoir  suprême,  ou  ayant 
été  fait  prisonnier  par  les  troupes  du 
khalife,  Yacoub  lui  succéda  par  les 
suflrages  de  l'armée,  que  ses  larges- 
ses avaient  gagnée  (i).  Aussitôt  que 
Yacoub  fut  maître  du  Seïstan ,  l'an 
•248  (  862  ) ,  il  fit  sur  llerat  une 
tentative  dans  laquelle  il  échoua 
complètement  ;  mais  pour  réparer 
son  imprudence  il  s'appliqua  à  for- 
tifier ses  états  ,  à  étoufïér  tous  les  ger- 
mes de  troubles  et  de  discordes,  et  à 
se  concilier ,  par  sa  douceur  et  son 
'  équité,  Tatrectiou  de  tous  ses  sujets. 
Pour  consolider  et  sanctionner  son 
usurpation  ,  il  lui  fallait  encore  Tad- 
bésion  de  l'émir  du  Khoraçan,  et 
le  diplôme  du  khalife.  11  ne  put  les 
obtenir  que  par  la  force.  La  circons- 
tance était  favorable  :  les  milices 
turkes ,  véritables  gardes  prétorien- 
nes ,  ensanglantaient  le  trône  des 
Abbassides  ,  dont  l'empire  perdait 
chaque  jour  de  ses  anciemies  limites , 
par  suite  des  révoltes  qui  éclataient 
dans  les  provinces  les  plus  reculées. 
Yacoub  entre  dans  le  Khoraçan ,  l'an 
'253  (  867  )  ,  s'empare  de  Herat,  de 
Fouscheng ,  et  ne  les  rend  à  Tindo- 
lent  Mohammed  ,  fils  de  Thaher  , 
qu'en  le  forçant  à  renoncer  au  Scïs- 


(ij  Les  auteurs  orientaux  ne  s'aocordeut  pas  sur 
ces  i'ails;  les  uu.s  attribuaut  à  l.eits  ce  que  nous 
vcuous  de  rapporter  de  sou  tils  Ywcoub  ,  les  aulres 
lie  laisaul  aucune  laenlion  de  Salih,  ou  lie  le  pla- 
i;aut  qu'après  Darliaiu. 


YAC  43 1 

tan.  Tranquille  de  ce  cote,  il  enva- 
hit le  Keruian  ,  deux  ans  après,  bat 
et  fait  prisonniers  successivement  le 
lieutenant  du  gouverneur  de  Chiraz  , 
et    ce   gouverneur    lui-même.   Cette 
double  victoire  lïTi  soumet  toute  la 
])rovincc  de  Farsistan,  et  lui  ouvre 
les  portes  de  Chiraz,    sa   capitale. 
Mais  ne  voulant  qu'elî'rayer  le  khali- 
fe ,  sans  rompre  avec  lui,  il  lui  en- 
voie des  présents  aussi  riches  que  ci'.- 
rieux  ,    accompagnés    d'une    lettre 
remplie  de  protestations  d'obéissan- 
ce et  de  respect;  puis  sans  attendre 
le  succès  de  sa  démarche,  il  évacue 
ses  conquêtes ,  et  retourne  dans  ses 
états ,  emmenant  avec  lui  ses  deux 
prisonniers  comme  otages.  Bientôt  il 
obtint  du  khalife  Motamed   la  ces- 
sion authentique  du  Seïstan.  Après 
avoir  déjoué  une  conspiration  tra- 
mée par  les  parents  de  Darham,  et 
])ar  quelques  familles  puissantes,  qui 
s'indignaient  d'obéir  à  un  homme 
d'aussi  basse  extraction,  Yacoub  fit 
une  nouvelle  invasion  dans  le  Farsis- 
tan  ,  l'an  'iS-j   (  87  i  ) ,  afin  d'arra- 
cher encore  quelques  concessions  au 
khalife.  En  eiret,  Mowafek,  frère  et 
lieutenant-général  de  ce  prince ,  pour 
éloigner  le  fiis  de  Lcïts.  lui  abandon- 
na Balkh  et  ses  dépendances  ,  à  con- 
dition qu'il  irait  sans  retard  en  pren- 
dre possession.  Yacoub  s'y   rendit 
aussitôt,  réunit  à  ses  états  cette  par- 
tie du  Khoraçan ,  y  recruta  son  ar- 
mée ,  porta  la  guerre  chez  les  prin- 
ces idolâtres  de  Kaboul  et  de  Ro- 
khadje,    et  les  ayant  vaincus,    fit 
charger  de   chaînes  le  premier ,  et 
mettre  à  mort  le  second  ,  qui  pous- 
sait l'orgueil  jusqu'à  se  faire  adorer 
sur  un  trône  d'or.  Il  rétablit  l'isla- 
misme dans  ces  contrées^  et  les  ido- 
les ,  qu'il  ravit  à  la  vénération  des 
peuples,  accompagnèrent  lesmagui- 
liqucs  présents  dont  sa  politique  of- 


432  YAC 

frit  encore  l'hommage  nn  k])alife. 
A  peine  de  retour  de  cette  brillante 
et  fructueuse  expédition  ,  Yacoub 
tourna  ses  armes  contre  l'émir  iha- 
liëridc,  qui  avait  refuse  de  iui  livrer 
les  émigrés  du  Séistan  (  F'.  Moham- 
MEDBiiNTHAHT:R,XXIX^  234).  Maî- 
tre de  Herat,  pour  la  seconde  fois  ,  il 
marche  sur  î^icliabour.  Au  lieu  de 
combattre  ou  d'apaiser  ce  superbe  en- 
nemi, Mohammed  lui  envoie  deman- 
der stupidcnuiit  de  quel  droit  il  enva- 
hit leKhoraçan.  .(Voilà  mes  titres,  » 
répond  fièrement  Y'acoub ,  en  tirant 
son  épée.  Cependant  à  l'approche 
des  enseignes  solFarides,  Mohammed 
montre  de  l'énergie  et  du  courage; 
mais  ses  troupes  désertent,  ses  cour- 
tisans le  trahissent ,  et  les  habitants  , 
pour  échapper  aux  horribles  suites 
d'un  assaut,  implorent  la  clémence 
du  vainqueur.  Mohammed  ,  arrêté 
dans  sa  fuite,  est  conduit  à  son  en- 
nemi, qui  le  retient  prisonnier,  et 
met  lin,  en  209  (B^S)  à  la  dynastie 
des  Thahérides.  Yacoub  signala  son 
entrée  dans  JNichabour,  par  un  grand 
acte  de  justice  :  il  fit  mourir  tous 
les  traîtres,  et  combla  de  faveurs 
Ibrahim,  le  seul  qui  tut  resté  fidèle 
à  son  maître.  Les  réfugiés  scïstaniens 
avaient  trouvé  un  asile  auprès  du 
prince  alide  Haçan  ,  fils  de  Zeïd, 
souverain  du  ïhabaristan.  Yacoub  , 
les  ayant  réclamés  en  vain^  court  à  la 
vengeance.  Il  entre  dans  les  états 
de  ce  prince  en  260  (  874  )?  taille  en 
pièces  sou  armée ,  s'empare  de  Sari 
et  d'Amoul  ^  et  se  dispose  à  poursui- 
vre Haçan,  jusque  dans  le  Deylem; 
mais  des  pluies  qui  tombèrent  pen- 
dant quarante  jours,  inondant  tout 
le  plat  pays  ,  firent  déborder  les 
nombreux  torrents  dont  il  est  entre- 
coupé, et  forcèrent  Yacoub  de  re- 
tourner dans  le  Khoraçan ,  après 
avoir  perdu  quarante  mille  hommes, 


YAC 

emportés  par  les  flots  ou  par  l'insa- 
lubrité du  climat.  Malgré  le  mauvais 
résultat  de  celte  expédition  ,  il  se  fit 
un  mérite  auprès  du  khalife  ,  d'a- 
voir combattu  un  prince  hérétique, 
et  demanda  l'investiture  de  toutes 
les  provinces  dont  il  s'était  emparé. 
Mais  Motamed,  aux  yeux  de  qui  le 
fils  de  Le'its  était  un  rebelle,  un  en- 
nemi bien  plus  redoutable  encore  que 
Haçan,  ne  lui  tint  point  compte  de  ce' 
prétendu  zèle.  Ravi  de  son  désastre, 
et  le  croyant  abattu  pour  longtemps , 
il  dépêcha  partout  des  ordres  de  ful- 
miner contre  lui  des  malédictions 
dans  toutes  les  mosquées ,  et  excita 
ses  voisins  à  lui  faire  la  guerre.  Ya- 
cuub  perdit  en  effet  Balkh,  Termed, 
le  Djouzdjan  et  quelques  autres  de  ses 
dernières  conquêtes  ,  en  261  (  B-jS  ). 
Ces  revers  ne  le  rendirent  que  plus 
implacable  dans  sa  haine  contre  le 
khalife.  Le  Farsistan  venait  de  tom- 
ber au  pouvoir  d'un  autre  ambitieux 
qui  n'avait  lutté  avec  avantage  con- 
tre les  forces  abbassides, qu'en  épui- 
sant les  siennes.  Yacoub  l'attaqua  ,  le< 
vainquit,  le  tua  dans  une  bataille, 
s'empara  de  ses  trésors  ,  et  subjugua 
le  Farsistan  et  l'Ahwaz.  Enflé  de  ses 
prospérités  ,  il  ne  met  plus  de  bor- 
nes à  ses  prétentions  ,  et  marche  sur 
Baghdad.  Le  khalife  essaie  en  vain 
de  le  fléchir^  en  lui  envoyant  la  pa- 
tente d'investiture  du  Khoraçan,  du 
Farsistan  et  du  ïhabaristan.  Ce  prin- 
ce et  son  frère  Mowafek  se  décident, 
enfin  à  défendre  la  capitale,  et  s'a- 
vancent contre  le  rebelle,  qui  vient 
à  leur  rencontre,  le  9  redjeb  262 
(  9  avril  B^ô  ) ,  dans  les  environs  de 
Waseth.  La  fortune  abandonna  Ya- 
coub dans  cette  journée.  Sa  valeur, 
son  expérience  ,  ses  efforts  ne  purent 
résister  aux  talents,  aux  savantes 
manœuvres  de  Mowafek.  Percé  de 
trois  flèches,  dont  une  l'avait  atteint 


YAC 

h  la  gorge ,  il  fat  oJjlige  de  fuir  avec 
les  débris  de  sou  armée ,  et  d'aban- 
donner son  camp  aux  vainqueurs. 
Les  ravages  commis  par  les  Zendjes, 
dans  l'Irak ,  firent  une  diversion  fa- 
vorable aux  projets  du  fils  de  Leïts, 
empcclièrent  '^[u'il  ne  fût  poursuivi , 
et  lui  laissèrent  les  moyens  de  répa- 
rer ses  pertes,  et  de  rentrer,  dès 
l'année  suivante,  dansl'AliwaZj  éva- 
cué par  ces  barbares,  avec  lesquels 
il  avait  vraisemblablement  contracté 
alliance.  A  la  tcte  d'une  armée  formi- 
dable qui  semble  menacer  et  Bagli- 
dadetla  famille  des  Abbassides  d'une 
entière  destruction  ,  il  arrive  enfin  à 
Djondiscliabour.  C'est  là  que  la  Pro- 
vidence avait  fixé  le  terme  de  ses 
jours.  Une  colique  inflammatoire 
causée  par  l'excès  de  ses  fatigues  , 
plus  encore  que  par  les  ardeurs  d'un 
soleil  brûlant,  le  force  de  s'arrêter. 
En  vain  les  hommes  de  l'art  pres- 
crivent les  remèdes  propres  à  calmer 
le  feu  de  ses  entrailles.  Yacoub ,  infa- 
tué du  préjugé  delà  prédestination, 
s'y  refuse  obstinément.  Sur  ces  en- 
trefaites ,  arrivent  des  ambassadeurs 
du  klialife.  Au  bruit  de  l'approche 
du  conquérant  solTaride ,  Motamed  , 
entouré  d'ennemis ,  avait  pris  le  par- 
ti d'entrer  en  négociation  avec  celui 
qui  lui  paraissait  le  plus  redoutable. 
Il  lui  envoyait  donc  une  lettre  pleine 
de  témoignages  de  bienveillance  et 
déconsidération,  avec  un  diplôme 
qui  lui  conférait  la  souveraineté  de 
toutes  les  provinces  qu'il  avait  con- 
quises, en  exigeant  seulement  qu'il 
s'éloignât  de  l'Irak.  Le  fils  de  Leïts_, 
loin  d'être  touché  de  cette  démarche 
humiliante  dont  il  connaissait  le  peu 
de  sincérité,  demeure  inébranlable 
dans  sa  résolution;  et,  pour  oter  au 
khalife  tout  espoir  de  paix  et  de  ré- 
conciliation,  il  fait  introduire  ses 
imh.issadeurs,  11  était  couché;,  ayant 

LI. 


YAC  433 

devant  lui  son  épée  avec  des  oignons 
et  un  pain  d'orge  et  de  son.  «  Voici , 
»  leur  dit -il ,  ma  dernière  réponse  : 
»  le  mal  qui  me  dévore  peut  seid  dé- 
»  livrer  votre  maître  de  la  terieur 
»  que  mon  nom  lui  inspire.  Qu'il 
»  tremble,  si  je  recouvre  la  santé; 
»  cette  épée  terminera  nos  querelles  ^ 
»  et  assurera  ma  vengeance.  Mais  si 
M  je  succombe  dans  la  lutte,  alors 
»  j'irai  dans  le  désert,  où,  reprenant 
»  la  frugalité  de  mon  premier  mé- 
:)  tier ,  ce  pain  noir  et  ces  oignons 
»  suffiront  à  ma  subsistance.  »  Avant 
que  les  ambassadeurs  fussent  de  re- 
tour à  Baghdad  ,  Yacoub  expira  au 
mois  de  chav^al  265  (  juin  879  ).  Il 
avait  régné  dix  ans  dans  le  Seïstan, 
et  six  dans  le  Khoraçan.  Son  frère , 
Anirou,  lui  succéda  (^.  AmpxOU  ,  11 , 
6Sy  etKnAT.AF,  XXII,  342).  Tous 
les  historiens  orientaux  font  reloge 
de  Yacoub.  11  posséda  éminemment 
toutes  les  qualités  nécessaires  à  un 
conquérant,  à  un  fondateur  de  dy- 
nastie, et  plusieurs  des  vertus  qui 
caractérisent  les  bons  rois.  L'équité 
et  la  modération  présidaient  à  ses 
jugements.  11  n'abusa  jamais  de  la 
victoire ,  et  se  montra  humain  à  l'é- 
gard des  vaincus.  Doué  d'une  gran- 
deur d'ame  peu  commune  chez  les 
hommes  de  basse  origine,  il  ne  se 
laissa  jamais  abattre  par  les  revers; 
et  son  zèle  pour  la  propagation  de 
l'islamisme  ne  l'empêchait  pas  d'ê- 
tre tolérant  en  matière  de  religion.  Il 
n'avait  ni  conseillers  ni  ministres,  et 
ne  communiquait  à  personne  ses  se- 
crets ni  ses  projets,  tant  pour  ses  af- 
faires particulières  que  pour  celles 
de  l'état.  11  couchait  seul  dans  sa 
tente,  où  l'on  ne  voyait  d'autres 
meubles  que  ses  armes  et  son  tapis. 
Persuadé  que  les  nombreux  équipa- 
ges embarrassent  une  armée,  il  vou- 
lait, par  son  exemple,  accoutumer 
28 


434  YAG 

SOS  oflliciers  à  se  contenter  en  campa- 
gne d:i  strict  nécessaire.  Ce  prince  , 
si  simple  sur  sa  persoime  ,  était  ma- 
gnifique dans  son  état  militaire.  II 
avait  une  cavalerie  excellente,  dont 
les  chevaux  lui  appartenaient  et 
étaient  nourris  à  ses  dépens.  Sa  gar- 
de se  composait  de  deux  mille  cava- 
liers d'élite,  divisés  en  deux  briga- 
des ,  et  distingués  par  leur  masse 
d'arme;  les  mis  la  portaient  d'or 
massif,  et  les  autres  d'argent.  Sévère 
pour  le  maintien  de  la  discipline  mi- 
litaire, il  plaçait  sa  tente  sur  une 
émincnce  ou  sur  un  échafaudage, 
d'où  il  voyait  aisément  tout  ce  qui 
se  passait  dans  son  camp.  On  ne 
peut  reprocher  à  Yacoub  que  son 
ingratitude  envers  la  famille  de  ses 
bienfaiteurs,  sa  conduite  peu  géné- 
reuse envers  les  princes  thahérides", 
un  orgueil  excessif  et  une  ambition 
démesurée  qui  nuisirent  à  l'affermis- 
sement et  à  la  durée  de  sa  puissance. 
Nul  doute  qu'il  n'eût  changé  la  face 
de  l'empire  musulman,  si  la  mort  ne 
l'avait  pas  surpris  au  moment  où  il 
allait  opérer  cette  grande  révolution. 
A — T. 

YACOUB  I^'-.Al-Mansour,  roi 
de  Maroc  {F.  Mansour,  XXVI ^ 
5-25  ). 

YACOUB  II  AL  -  MANSOUR- 
BÏLLAH  (  Abou  Yousouf  )  ,  cin- 
quième prince  de  la  famille  des  Me- 
riiiides  en  Afrique  ,  et  premier  roi 
de  Maroc  de  cette  dynastie  ,  dont 
on  peut  le  regarder  comme  le  fonda- 
teur, succéda  à  son  frère  Abou-Bekr  , 
l'an  656  de  l'hégire  (i25B  de  J.-C), 
et  fut  proclamé  roi  de  Fez ,  à  l'âge 
de  quarante-huit  ans.  Beau  et  bien 
fait,  il  était  affable,  juste  ,  pieux  et 
libéral.  Heureux  dans  toutes  ses  en- 
treprises ,  il  ne  fut  jamais  vaincu.  Il 
commença  son  règne  par  des  actes 
de  bienfaisance  ,  fonda  un  hospice 


YAG 

pour  les  malades  et  les  fous  ,  et  as- 
signa des  pensions  aux  indigents  , 
aux  aveugles  etaux  orphelins.  Ayant 
appris  en  l'an  658  (  1260  )  que  les 
chrétiens  avaient  surpris  la  ville  de 
Salé  ,  dont  ils  avaient  massacré  ou 
réduit  en  esclavage  la  plus  gragiide 
partie  des  habitants  _,  il  marcha  avec 
tant  de  diligence  ,  qu'il  les  attaqua 
sans  leur  laisser  le  temps  de  s'y  for- 
tifier ,  et  leur  enleva  cette  con- 
quête qu'ils  n'avaient  occupée  que 
vingt-quatre  jours.  Yacoub  lit  cons- 
truire une  forte  muraille  du  côté 
du  fleuve  ,  pour  garantir  cette  ville 
d'une  seconde  invasion  ,et,  afin  d'ac- 
célérer les  travaux  ,  il  encouragea 
les  ouvriers  en  portant  lui-même  des 
pierres.  La  même  année  ,  il  conclut 
la  paix  avec  Omar  al-Mourteda  , 
roi  de  Maroc  ,  et  la  rivière  Omme;^ 
Piabia  fut  fixée  pour  limite 
leurs  états.  Mais,  en  ôSg,  Om^ 
recommença  les  hostilités.  Il 
d'immenses  préparatifs  ,  et  d^ 
peupla  sa  capitale  pour  lever  ui 
armée  formidable  ;  cependant,  qu( 
qu'il  eût  parmi  ses  troupes  un  corj 
d'auxiliaires  portugais  ,  elles  furej 
totalement  défaites.  L'annéesuivanl^ 
Yacoub  marcha  sur  Maroc ,  dans 
dessein  d'en  former  le  siège  ;  maiï 
ayant  perdu  un  de  ses  fils  dans  une 
bataille  que  lui  livra  Omar  ,  il  re- 
tourna à  Fez.  En  &^i  (  1 264  ) ,  il 
envoya  un  corps  de  trois  mille  hom- 
mes faire  la  guerre  aux  chrétiens  d'Es- 
pagne. Ce  furent  les  premières  trou- 
pes merinides  qui  se  montrèrent  dans 
la  Péninsule.  Le  roi  de  Maroc  ayant 
conçu  des  soupçons  sur  la  fidélité 
d'Abou  Dabbous  ,  son  général,  celui- 
ci  se  réfugia  auprès  du  roi  de  Fez,  et 
en  obtint  des  secours  par  le  moyen 
desquels  il  fit  la  guerre  à  son  maître 
le  détrôna  et  le  fit  périr  en  QQS 
(  I  iQÇi).  L'usurpateur  avait  promis  ii 


YAG 

Yacoub  (le  lui  cc'der  la   moitié  des 
états  dont  il  devait  s'emparer.  Mais, 
loin  de  tenir  sa  promesse,  il  renvoya 
l'ambassadeur  de  ce  prince  avec  une 
réponse  hautaine  et  menaçante.  Le 
roi  de  Fez  ,  indigné  ,  allait  tirer  une 
vengeance  éclatante  de  ce  prince  in- 
grat et  perfide,  lorsqu'il  fut  rappelé 
dans  ses  états  par  une  diversion  qu'y 
opéra  Yaghmourassen ,  roi  deTelme- 
sen,  allié  du  roi  de  Maroc.  Yacoub 
repoussa  ce  nouvel  ennemi ,  le  vain- 
quit, mit  ses  provinces  au  pillage  , 
revint,  avec  toutes  ses  forces,  tomber 
sur  AbouDalibous,  qui,  en  montant 
sur  le  Ironé ,  avait  pris  le  titre  à' Al- 
TFathek-Billah ,  et  ravagea  impu- 
nément ses  étals.  Mais ,  voyant  que  le 
roi  de  Maroc  ,  pour  arrêter  ces  dé- 
vastations ,  s'était  mis  à  la  tcte  d'une 
armée  ,  il  feignit  de  fuir,  et  lorsqu'il 
eut  attiré  Wathek  loin  de  sa   capi- 
tale il    fit   volte-face,  et  l'attaqua 
vigoureusement.   Après  un   combat 
sanglant,  le  roi  de  Maroc  fut  vaincu  ; 
étant  tombé  de  cheval  en  fuyant,  il 
fut  tué  i^et  l'on  [)orta  sa  tête  à  Yacoub 
qui  la  lit  exposer  à  Fez.  Cet  événe- 
ment qui  arriva  le  g  moharrem668 
(  8  septembre  l'î.ôg)  mit  fin  à  la  dy- 
nastie des  Al-Mohades  ,  fondée  par 
Mohammed  al  MahdybenToumtrt, 
et  devenue  si  puissante  sous  ses  trois 
premiers  successeurs  (  /^.  Toumebt, 
Abd-el  Moumen  ,  Mansour,  XXVI, 
5^5,  et  YousouF  II,  ci-après  ).  Le 
vainqueur  se  rendit  à  Maroc  ,  et  y 
fut  reconnu  souverain   de  toute  la 
Mauritanie.   Il   traita  ses  nouveaux 
sujets  avec  justice  et  bienveillance  , 
et  affermit  sa    domination  par   les 
soins  qu'il  prit  de  détrinre   les  bri- 
gands et  les  petits  tyrans  qui  ,  sous 
les  faibles  princes  de  la  dernière  race, 
avaient  troublé  la  tranquillité  de  l'é- 
tat  et  produit  l'anarchie.   Sollicité 
par  le  roi  de  Grenade  ,  Yacoub   se 


YAC 


435 


préparait  à  passer  en  Espagne ,  mais 
il  fut  retenu   en  Afrique  ,  par  une 
guerre  qu'il  fit  malgré  lui  au  roi  de 
Telmesen.  Après  en  avoir  triomphé, 
il  revint  à  son  premier  dessein  •  mais 
pour  traverser  le  détroit,  il  fallait 
être  maître  de  Tanger  et  de  Ceuta 
qui  formaient,  depuis  quelques  an- 
nées, un  petit  état.  Il  prit  d'assaut 
l'une  de  ces  places  ,  en  672  (1273) , 
et  reçut  les  soumissions  et  le  tribut  du 
prince  qui  résidait  dans  l'autre.  La 
ville  et  l'état  de  Sedjelmesse,  ancien- 
nes dépendances  du  royaume  de  Ma- 
roc,étaiei}t  un  motif  de  guerre  contre 
le  roi  de  Telmesen  qui  les  avait  enle- 
vés aux  Al-Mohades.  Yacoub  en  fit  la 
conquête  en  678  ,  et  ayant  conclu  la 
paix  avec  Yaghmourassen  il  se  rendit 
aux  vœux  de  Mohammed  II  ^  roi  de 
Grenade  ,  qui ,  pour  le  déterminer  , 
lui  avait  cédé  Tarifa  et  Algeziras.Ce 
fut  le  21  safàr  674  (  ï(>  août  1275  ) 
que  le  monarque  africain  s'embar- 
qua  avec  une   armée  de   cinquante 
mille  fuitassins  et  de  dix-sept  mille 
cavaliers.  Un  de  ses  fils  l'avait  pré- 
cédé ,  depuis  trois   mois ,  à  ia  tête 
d'un   corps  de   cavalerie.   Yacoub, 
ayant  réconcilié  le  roi  de  Grenade  et 
le  wali  de  Malaga  ,  et  concerté  avec 
eux  le  plan  de  campagne  ,  s'avan- 
ça dans  les  plaines  de  l'Andalousie, 
et  porta  le  ravage  jusqu'aux  bords 
du  Guadalquivir.   Son  arrivée  avait 
répandu   l'épouvante    en    Espagne. 
Avant  que  les  princes  chrétiens  eus- 
sent réuni  leurs  forces ,  le  gouverneur 
d'Andalousie ,  don  Nuno  de  Lara  , 
eut  la  témérité  de  se  mesurer  avec 
l'armée   africaine,  près  d'Écija^  le 
i5  rabi  i«^'.  674  (8  septembre  1275). 
Il  périt  sur  le  champ  de  bataille  avec 
la  plupart  des  siens.  Leurs  têtes  ,  au 
nombre   de  dix-huit   mille  ,  furent 
empilées ,  par  ordre  du  vainqueur  , 
en  forme  de  pyramide  ,   du  haut  de 
28.. 


/t35 


YàC 


laquelle  les  Muezzins  appelèrent  les 
musulmans  à  la  prière.  Le  roi  de 
Maroc  envoya  dans  tous  ses  c'tats  la 
relation  de  cette  mémorable  journée, 
et  emmena  à  Algeziras  nn  immense 
butin  et  une  foule  de  captifs  des  deux 
sexes  j  mais  ayant  échoué  devant 
Écija  et  Séville  ,  ne  pouvant  faire 
subsister  son  armée  dans  un  pays 
dont  il  avait  détruit  les  récoltes  ,  et 
craignant  que  la  flotte  cL rétienne 
n'empêcliât  son  retour  en  Afrique, 
il  conclut  une  trêve  de  deux  ans  avec 
Alphonse  X ,  roi  de  Castille,  et  aban- 
donna l'Espagne,  après  un  séjour  de 
six  mois.  Quelques  révoltes  ,  et  sur- 
tout la  fondation  de  la  nouvelle  ville 
de  Fez,  dont  il  accéléra  les  travaux 
par  sa  présence  ,  et  la  construction 
d'un  château  et  d'une  mosquée  à 
Mékinez ,  l'occupèrent  en  Afrique. 
Il  revint  en  Espagne;  mais  à  l'ex- 
ception d'une  victoire  qu'il  remporta 
le  i^rabi  i^^'.  676  (  i3 août  127 -y  ), 
sur  les  Castillans  ,  près  de  Séville,  et 
de  la  prise  d'Alcala  ,  de  Guadaïra  , 
de  Zahra  et  de  quelques  châteaux , 
ses  hostilités  ne  furent  en  général 
qu'une  suite  continuelle  de  dévasta- 
tions. Elles  déterminèrent  cependant 
Alphonse  à  demander  la  paix,  qui 
fut  conclue  avec  le  roi  de  Grenade  ; 
Yacoub  la  ratifia  seulement  comme 
auxiliaire.  Après  avoir  pris  posses- 
sion de  Malaga  que  lui  céda  le  wali , 
ennemi  du  roi  de  Grenade  _,  ce  prince 
retourna  en  Afrique  j  mais  il  y  apprit 
bientôt  qne  le  gouverneur  qu'il  avait 
laissé  dans  cette  place  venait  de  la 
vendre  au  roi  de  Grenade  ,  et  qu'Al- 
.phonsc  ayant  rompu  la  trêve  assié- 
geait Algeziras  par  terre  et  par  mer. 
Retenu  dans  les  environs  de  Maroc  , 
par  le  serment  qu'il  avait  fait  de  ne 
point  en  partir  ,  qu'il  n'eût  châtié  ou 
soumis  im  rebelle  qui  troublait  celte 
contrée ,  il  chargea  son  fils  Yousouf 


YAC 

de  secourir  Algeziras.  Yousouf  se 
rendit  à  Tanger ,  et  y  rassembla  une 
flotte  de  soixante  vaisseaux  ,  aux- 
quels se  joignirent  douze  navires 
équipes  par  le  roi  de  Grenade.  Il 
aborda  à  Gibraltar,  et  ayant  atta- 
qué la  flotte  chrétienne,  le  12  rabi 
i^^".  678  (23  juillet  1279),  il  rem- 
porta une  victoire  complète.  L'in- 
fant don  Pèdre  qui  commandait  l'ar- 
mée de  terre,  épuisée  par  les  mala- 
dies, leva  le  siège  en  abandonnant 
ses  tentes  ,  ses  machines  et  ses  muni- 
tions. Algeziras  fut  ainsi  délivré  d'un 
blocus  qui  durait  depuis  un  an.  Le 
prince  Yousouf  y  fit  bâtir  la  ville 
actuelle  sur  l'emplacement  qu'avait 
occupé  le  camp  des  chrétiens.  Il 
accorda  au  roi  de  Castille  une  trêve 
que  son  père  refusa  de  ratifier.  Le 
roi  de  Maroc  se  retira  même  à  Sous  , 
pour  ne  pas  recevoir  les  ambassa- 
deurs castillans  que  son  fils  lui  ame- 
nait. Comme  sa  mésintelligence  avec 
le  roi  de  Grenade  était  favorable 
aux  chrétiens ,  il  invita  ce  prince  à 
lui  rendre  Malaga,  et  à  resserrer  les 
nœuds  de  leur  ancienne  amitié.  Loin 
de  répondre  â  ces  avances, Moham- 
med fit  alliance  avec  le  roi  de  Tel- 
mesen  ,  et  l'engagea  à  tomber  sur 
les  états  de  Maroc.  Yacoub  employa 
vainement  encore  les  voies  de  la 
conciliation  envers  Yaghmourassen. 
Forcé  de  combattre ,  il  le  vain- 
quit sur  les  bords  du  Tafnet  ,  en 
680  (  1 28 1  ),  etle  poursuivit  jusqu'aux 
portes  de  la  capitale  ;  mais  il  s'en  re- 
tourna sans  en  former  le  siège.  L'in- 
fant don  Sanche  s'était  révolté  con- 
tre son  père.  Alphonse,  abandonné  de 
tous  les  potentats  de  TEurope  ,  im- 
plora le  secours  du  roi  de  Maroc. 
Yacoub  se  rendit  à  Algeziras,  l'an- 
née suivante  ,  et  s'avança  jusqu'à 
Zahra  ,  où  il  eut  une  entrevue  avec 
le  roi  de  Castille  qui  lui    offrit  sa 


YAG 

couronne  eu  gage.  Il  traita  ce  prince 
avec  les  plus  grands  égards  ,  lui 
donna  cent  mille  dinars,  et  se  joi- 
gnit à  lui  pour  assiéger  Cordoue ,  où 
don  Sanclie  s'était  renferme  •  mais 
ils  levèrent  le  siège  à  l'approche  du 
roi  de  Grenade  .,  allie  de  l'infant.  Au 
total,  les  exploits  du  monarque  afri- 
cain ,  pendant  cette  campagne  et  la 
suivante  _,  se  bornèrent  à  des  dégâts 
affreux  dans  l'Andalousie  et  dans 
une  partie  delà  Castille,  et  à  la  prise 
de  quelques  bicoques.  Il  enleva  aussi 
quelques  places  à  Mohammed  ,  avec 
lequel  il  ne  tarda  pas  à  s'accommo- 
der. Il  en  résulta  de  la  froideur  entre 
Yacoub  et  Alphonse  qui  mourut  avec 
le  regret  d'avoir  appelé  un  si  dange- 
reux auxiliaire.  Sanche,  son  succes- 
seur ,  ayant  grossièrement  refuse  la 
paix  que  le  roi  de  Maroc  lui  fit  offrir, 
celui  ci  reparut  en  Espagne  eu  684 
(  1285  ) ,  et  assiégea  vainement  Xé- 
rès. Mais  ses  ravages  forcèrent  enfin 
le  roi  de  Castille  à  demander  la  paix. 
Yacoub  mourut  dans  son  palais  d'Al- 
geziras  ,  le  i-i  moharrera  G85  (  'lo 
mars  i'286),  âge  d'environ  soixante- 
dix-sept  ans,  après  eu  avoir  règne 
vingt- trois  comme  roi  de  Fez  ,  et 
dix-neuf  comme  roi  de  Maroc.  Ce 
prince  fut  le  plus  puissant  de  sa  race; 
quoiqu'il  passât  sa  vie  à  la  tête  des 
armées ,  il  protégea  les  lettres  ,  et 
fonda  des  académies  et  des  collèges. 
Il  eut  pour  successem'  son  fils  You- 
souflV.  A — T. 

YAGHIVIOURASSEN  (Arou-Ya- 
uiA  BEN  Zeïan  ) ,  fondateur  de  la  dy- 
nastie des  Zeïanides  et  du  royaume 
de  Telmesen  (Tremecen)  en  Afrique, 
appartenait  à  la  puissante  tribu  des 
Zenates  ,  et  faisait  remonter  sa  généa- 
logie jusqu'à  Aly  ,  gendre  de  Maho- 
met. Profilant  de  la  décadence  de  la 
dynastie  des  Al-Mohades  eu  Afri(|ue 
€t  en  Espagne ,  et  de  lu  faiblesse  des 


YAG  437 

derniers  i*ois  de  cette  famille,  il  se 
révolta  contre  eux,  et  leur  enleva 
Telmesen ,  Alger  ,  Budjie,  etc.,  dont 
il  forma  un  état  indépendant.  Dé- 
daignant le  titre  de  roi,  il  prit,  eu 
raison  de  sou  illustre  origine,  celui 
de  khalife  :  mais  il  ne  fut  reconnu 
pour  tel  que  dans  ses  états  ;  et  cette 
qualité  ne  lui  donna  aucune  supréma- 
tie religieuse  dans  les  autres  pays 
musulmans.  Ce  fut  vers  l'an  G/^'i  de 
l'hégire  (1*244  dq  J.-C.)  qu'il  se  ren- 
dit indépendant.  Il  eut  d'abord  à 
lutter  contre  un  autre  ambitieux  , 
Abou  Hafs,  fondateur  de  la  dynastie 
des  liafsides  et  du  royaume  de  Tu- 
nis, et  il  fut  sur  le  point  de  succom- 
ber; mais  un  intérêt  commun  les  unit 
bientôt;  et  ils  vécurent  depuis  en 
paix.  Trois  ans  plus  tard,  Yaghmou- 
rassen  fut  attaqué  par  le  roi  de  Ma- 
roc ,  Abou'l  Haçan  Aly  al  Saïd ,  qui 
le  força  d'abandonner  sa  capitale,  et 
de  se  renfermer  dans  la  forteresse  de 
Tagcrart,  avec  sa  famille  cl  ses  tré- 
sors. Il  y  fut  bientôt  assiégé;  mais 
Al  Saïd ,  s'ctant  imprudemment 
avancé,  avec  son  vezir,  pour  recon- 
naître les  fortifications  de  la  place  , 
fut  surpris  et  tué ,  le  29  safar  646 
(  'Ï6  juin  i2/|8),  par  les  avant-pos- 
tes du  roi  de  Telmesen  ,  qui  le  lit  en- 
sevelir honorablement.  L'armée  ma- 
rocaine ,  privée  de  sou  souverain , 
décampa  aussitôt,  laissant  ses  tentes, 
ses  armes ,  ses  munitions  et  ses  tré- 
sors au  pouvoir  de  Yaghmourassen. 
Parmi  le  butin  que  fit  le  vainqueur, 
se  trouva  un  exemplaire  du  Coran  , 
écrit  de  la  main  du  khalife  Osman  , 
le  troisième  des  successeurs  de  Ma- 
homet. L'ambition  de  Yaghmouras- 
sen luifitperdre,dèsraiuiee  suivante  , 
le  prix  d'une  victoire  si  facile.  Il  osa 
attaquer  Aboubekr,  quatrième  roi 
de  la  dynastie  des  Meriiiides,  établie 
à  Mequinez  et  à  Fez  ;  mais  il  fut  corn- 


plètcment  défait  près  de  Woudjda  et 
du  fleuve  Elsly,  et  abandonna  au 
vainqueur  un  immense  butin.  L'an 
655  (  1257  ),  il  voulut  enlever  Sed- 
jelmesse  au  roi  de  Maroc  ;  mais  il 
fut  en  concurrence  avec  le  roi  de  Fez, 
qui,  plus  heureux  que  lui;,  le  battit, 
et  s'empara  de  celte  ville.  Elle  tom- 
ba cependant^  en  662  ,  au  pouvoir 
du  roi  de  Telraesen  ,  qui  la  posséda 
onze    ans.    Yaghmourassen  ,  ayant 
plus  à  redouter  de  la  puissance  nais- 
sante des  Merinides ,  rois  de  Fez ,  que 
de  la  puissance  expirante  des   Al- 
MobadeS;,  lit  la  paix  avec  le  dernier 
roi  de  Maroc  de  cette  famille,  et  en- 
treprit de  le  soutenir  contre  les  forces 
de  Yacoub,  roi  de  Fez.  Il   envoya 
faire  le  dégât  dans  les  états  de  celui- 
ci*  mais  il  eut  bientôt  sur  les  bras  le 
prince  merinide,  perdit  sur  les  bords 
du   Telag    une   troisième    bataille , 
dans  laquelle  Omar,  son  fils  aînc,  fut 
tuë,lei2djouraadi  icr  ()66(29Janv. 
1268  ),  et  regagna  sa  capitale  dans 
un  dénuement  absolu.Deux  ans  après , 
Yacoub,  ayant  établi  à  Maroc  la  do- 
mination des  .Merinides  sur  les  ruines 
de  celle  des  Al  -  Moliades ,  devint 
pour  Yagîimourassen  un  voisin  re- 
doutable j  mais,  sollicité  de  porter 
secours  aux  Musulmans  d'Espagne, 
il  envoya  proposer  la  paix  au  roi  de 
Telmesen ,  qui  repondit  qu'il  ne  ces- 
serait de  faire  la  guerre  aux  Merini- 
des ,  jusqu'à   ce  qu'il  eût  vengé  la 
mort  de  son  fils.  Les  deux  armées 
se  rencontrèrent  en  redjeb  670  (fé- 
vrier  1272  )  dans  les  environs  de 
Woudjda.     Yaghmourassen  y    es- 
suya une  quatrième  défaite  ,  d'autant 
plus  cruelle .  qu'il  y  perdit  encore 
un  de  ses  fds.  Toujours  malheureux 
dans  ses  guerres  avec  Yacoub,  il  se 
vit  enlever  Sedjelmesse,  en  678,  et 
consentit  à  faire  la  paix,  et  à  pren- 
dre part  à  la  guerre  de  religion  con- 


YAG 

tre  les  Chrétiens  d'Espagne.  Une  pa- 
raît pas  cependant  qu'il  ait  fourni 
son  contingent  de  troupes  :  mais  il 
entretenait  des  relations  intimes  avec 
le  roi  de  Grenade  •  et,  lorsqu'il  apprit 
que  celui  -  ci  était  brouillé  avec  le 
roi  de  Maroc,  il  fil  alliance  avec  lui 
contre  son  éternel  ennemi.  Yacoub 
eut  vainement  recours  aux  négocia- 
tions pour  amener  ce  prince  à  une 
politique  plus  conforme  à  l'esprit  de 
l'islamisme.  Il  fallut  encore  le  com- 
battre- et  Yaghmourassen,  suivant 
sa  coutume,  perdit  une  cinquième 
bataille^  sur  les  rives  du  Tafnet,  en 
680  (1281).  Il  mourut,  l'année  sui- 
vante ,  dans  un  âge  fort  avancé  , 
après  avoir  régné  environ  quarante 
ans.  Ce  prince,  que  les  auteurs  orien- 
taux dépeignent  comme  incompara- 
ble pour  les  talents  militaires  et  po- 
litiques et  pour  la  bravoure,  s'était 
trouvé ,  dit  -  on ,  à  soixante  -  deux 
combats.  Jamais  abattu  par  ks  re- 
vers et  toujours  prêt  à  les  réparer  , 
il  conserva  le  royaume  qu'il  avait 
formé,  et  le  transmit  à  son  fils  Omar, 
qui  éprouva  de  plus  grands  mal- 
heurs. Le  tumulte  des  armes  n'empê- 
cha pas  Yaghmourassen  de  cultiver 
les  lettres  et  d'attirer  à  sa  cour  un 
grand  nombre  de  savants  et  de  poè- 
tes. Le  royaume  de  Telmesen  ,  affai- 
bli par  ses  guerres  continuelles  avec 
les  rois  de  Maroc  ,  qui  le  conquirent 
plusieurs  fois,  n'a  pu  jouer  un  rôle 
important  dans  l'histoire.  Diminué 
dans  ses  limites  par  les  fameux  pi- 
rates Oroutch  et  Khaïr-eddin  Bar- 
berousse,  qui  de  ses  débris  formè- 
rent le  royaume  d'Alger  en  920 
(  1 5 1 4  ),  il  fut  enfin  détruit  par  un 
de  leurs  successeurs  ,  ainsi  que  la 
dynastie  des  Zeïanides ,  en  g58 
(  1 56o) ,  malgré  les  secours  de  Char 
les-Quint  et  de  Philippe  1 1,  après  avoii^ 
duré  plus  de  trois  cents  ans.  A — t; 


YAH 

YAHIA  AL-BARMEKI  (  Abou- 
Al  Y  ) ,  personnage  aussi  illustre  par 
sa  naissance  que  par  son  mérite  y 
appartenait  à  la  famille  des  Barme- 
kides  ,  vulgairement  nommés  Bar- 
mecides  dans  les  romans  et  au  théâ- 
tre. Feu  Jourdain,  qui  a  fourni  aux 
premiers  volumes  de  cette  Biogra- 
phie plusieurs  articles  orientaux  , 
n'en  a  donné  aucun  qui  fût  relatif  à 
quelque  personnage  de  la  race  de 
Barmek.  11  a  renvoyé  tout  ce  qu'il 
avait  à  en  dire  à  Tarticle  de  Yahia  , 
où  il  aurait  donne  un  ahréj;é  de 
l'histoire  des  Barmekides  ,  d'après 
un  travail  plus  étendu  qu'il  se  pro- 
posait d'insérer  dans  les  Mines  de 
l'Orient.  La  cessation  de  cette  im- 
portante collection  et  la  mort  de 
Jourdain  ont  empêché  la  publication 
d'un  ouvrage  qui,  Lien  qu'annoncé 
long-temps  à  l'avance,  était  peut- 
être  à  peine  commencé,  ou  n'existait 
même  que  dans  la  pensée  et  dans 
les  extraits  de  cet  orientaliste.  Quoi- 
que nous  ignorions  ce  qu'est  devenu 
le  travail  de  Jourdain  ,  et  que  nous 
n'ayions  pas  eu  l'occasion  de  nous 
livrer  aux  mêmes  recherches  ,  nous 
allons  tâcher  de  le  suppléer  de  ma- 
nière à  satisfaire  la  curiosité  des. 
lecteurs  ,  en  donnant  une  notice  sur 
les  Barmekides,  d'après  ce  que  nous 
en  avons  trouvé  dans  d'Herhelot, 
Abou'Ifeda,  Elmakin ,  Abou'lfaradj, 
et  surtout  dans  la  Chrestomathie 
arabe  de  M.  Silvestre  de  Sacy. — La 
famille  de  Barmek  était  une  des  plus 
illustres  de  la  Perse  ,  et  quelques  au- 
teurs pensent  qu'elle  descendait  des 
anciens  rois  du  pays.  Ce  qui  paraît 
plus  certain,  c'est  que  les  Barme- 
kides étaient  originaires  delà  ville  de 
Balkh  ,  où  ils  avaient  occupé  le  ve- 
zirat  et  les  charges  les  plus  impor- 
tantes. Suivant  d'autres  ,  ils  avaient 
fonde  dans  cette   ville  une  superbe 


YAH  439 

mo?>(\\xéQ  nommée  Neu-Bahar ,  sur 
le  modèle  du  temple  de  la  Mekke. 
Comme  l'administration  de  cette  mos- 
quée était  un  droit  que  s'étaient  ré- 
servé les  fondateurs^  celui  d'entre 
eux  qui  était  revêtu  de  cette  char- 
ge portait,  dit-on _,  le  nom  de  Bar- 
mek, comme  qui  dirait  intendant  de 
la  Mekke,  et  par  suite  le  nom  de 
Barmek  resta  à  cette  f.imille.  Cette 
étymologie  est  ,  il  faut  l'avouer, 
très-peu  vraisemblable.  On  en  trou- 
ve encore  une  autre  dans  d'Herbe- 
lot ,  mais  elle  ne  mérite  guère  plus 
decroyance.Le  ])lus  ancien Barmeki- 
dedont  les  auteurs  musulmans  fassent 
mention  paraît  avoir  été  un  certain 
Djâfar,  qui  vint  à  Damas  où  tenait 
sa  cour  le  khalife  ommeyade  Solei- 
man,  fils  d'Abd'ei-IVieltk.  Mais  ce 
Djâfar  ne  figure  que  dans  une  his- 
toire romanesque,  rapportée  en  abré- 
gé par  d'Herbelot ,  et  dont  le  texte 
aralDese  trouve  en  entier  aux  manus- 
crits de  la  Bibliothèque  du  roi,  avec 
une  traduction  française ,  par  un 
jeune  de  langue,  sous  ce  titre  :  His- 
toire de  Soliman  et  de  Muslim , 
n»^.  8'^  des  traductions  in  4*^.  Pour 
s'en  tenir  à  ce  qui  appartient  réelle- 
ment à  l'histoire,  on  doit  commencer 
celle  des  Barmekides  à  Khaled  fds 
de  Barmek  ,  qui  ,  s'étant  attache' 
à  la  fortune  des  AbbassidesJ  dont 
l'élévation  avait  commencé  dans 
le  Khoraçan  ,  devint  _,  suivant  l'his- 
torien El  -  Makin  ,  vezir  d' Abou'l 
Abbas  Al  -  Safîah  ,  premier  khalife 
de  cette  maison ,  et  le  fut  encore 
du  khalife  Aboj-Djâfar  al-Mansour, 
suivant  Fakhr-cddin  Razi.  Abou'Ifeda 
nous  apprend  seulement  que  Khaled 
était  un  illustre  Persan,  qui ,  lorsque 
le  khalife  Al-Mansour  fonda  Bagh- 
dad  ,  dissuada  ce  prince  d'embellir 
cette  villeaux  dépens  de Mad-aïn,  an- 
cienne résidence  des  Khosroès   Man- 


44o 


YAH 


sour  désapprouva  ce  conseil ,  et  re- 
procha même  à  Khaled  d'avoir  plus 
à  cœur  la  gloire  de  ses  ancêtres  que 
celle  de  son  souverain  actuel.  Mais 
lorsqu'après  avoir  commence  la  de'- 
molition  du  palais  de  Mad-aïn ,  le 
khalife  fit  suspendre  ce  travail  , 
parce  que  les  frais  surpassaient  la 
valeur  des  matériaux  (  V,  Mansour, 
XXVI,  5i4  ),  Khaled  lui  conseilla 
de  continuer ,  de  peur  qu'on  ne  dît 
qu'Ai  Mansour  n'avait  pas  été  assez 
puissant  pour  détruire  les  monu- 
ments de  ces  anciens  monarques.  Le 
khalife  ne  suivit  point  encore  ce  con- 
seil, et  laissa  subsister  les  restes  de 
la  capitale  des  Sassanides;  mais  il 
ne  sut  point  mauvais  gre  à  Khaled  de 
sa  hardiesse,  car  il  lui  donna  le  gou- 
vernement de  Mossoul,  l'an  de  l'he- 
gire  i4B  (  de  J.-C.  760  ),  année  re- 
marquable par  la  naissance  du  célè- 
bre Haroun  Al-Raschid,  l'un  des  pe- 
tits fils  du  khalife,  et  deFadhl,  l'un 
des  petits-fils  de  Khaled.  Comme  il 
n'y  avait  que  sept  jours  de  diffe'- 
rence  pour  l'âge  des  deux  enfants  , 
les  mères  leur  présentaient  mutuelle- 
ment la  mamelle  ;  ce  qui  prouve  que 
de'jà  la  famille  des  Barmekides  était 
en  grande  faveur  à  la  courdesAbbas- 
sides.  L'an  161  (778),  le  khalife 
Mahdy  confia  l'éducation  de  son  fils 
Haroun  au  sage  Khaled,  qui  mourut 
probablement  peu  d'années  après. 
Yahia ,  fils  de  Khaled ,  est  repré- 
senté par  tous  les  écrivains  musul- 
mans comme  un  personnage  doué  de 
toutes  les  vertus  ,  de  tous  les  talents 
civils  et  militaires.  D'abord  secrétai- 
re du  prince  Haroun,  il  contribua 
beaucoup  à  lui  assurer  le  khalifat , 
en  dissuadant  fortement  le  khalife 
Hady ,  son  frère  ,  du  projet  de  déshé- 
riter ce  prince  des  droits  que  lui  don- 
nait le  testament  de  Mahdy,  et  de 
faire  reconnaître  son  propre  fils ,  en- 


YAH 

core  enfant ,  pour  son  successeur.  C( 
fut  Yahia  qui  annonça  la  mort  de 
Hady  à  Haroun  ;  el  celui  -  ci ,  étant 
monté  sur  le  tronc,  l'an  170  (7 86), 
donna  la  charge  de  vezir  à  son  fidèle 
secrétaire.  Yahia  se  montra  digne; 
de  ce  poste  éminent.  A  la  sagesse,  à^ 
l'éloquence,  aux  lumières, il  joignait 
le  rare  talent  de  se  faire  craindre 
aimer  et  respecter,  en  employant  à-i 
propos  la  fermeté,  la  douceur,  et  sur- 
tout la  libéralité,  qualité  héréditain 
et  tellement  prédominante  dans  la  fa: 
mille  des  Barmekides,  qu'elle  étail 
passée  en  proverbe ,  et  que  les  exem- 
ples qu'on  en  cite  surpassent  tout» 
croyance  (i).  Yahia  pourvut  à  la 
sûreté  des  frontières  ,  maintint  la 
tranquillité  dans  l'intérieur  ,  remplit 
le  trésor  public  ,  fit  fleurir  l'agricul- 
ture et  l'industrie  dans  les  provin- 
ces ,  protégea  les  lettres  et  les  arts  ,j 
dirigea  toutes  les  affaires  de  Tempircy 
porta  au  plus  haut  point  l'éclat  du 
tronc,  et  eut  la  principale  part  au^ 
actes  du  règne  heureux  et  brillant  de 
Haroun  Al-Raschid.  Il  eut  quatre 
fils  :  Fadhl,  Djâfar,  Mohammed  el 
Mousa ,  qui  ne  dégénérèrent  pas  d( 
la  vertu  de  leur  père  et  de  leur  aïeul 
{2).  Fadhl  fut  le  plus  généreux  d( 
tous  les  hommes ,  s'il  faut  en  jugera 
par  les  traits  qu'en  rapportent  les 
auteurs  extraits  et  traduits  pard'Her- 
beîot  et  M.  de  Sacy.  Ses  libéralités 
étaient  excessives  j  les  revenus  d'ua 

(i)    Nous  n'ea    rnpportcroris     qu'un    Irait 
moins    étonnant    et     le    plus     court    :    YaLia 
montait  jamais    à  cheval  sans   être  muni   de  bour-j 
ses   qui  contenaient  chacune  loo  pièces   d'argent, 
et  il  les  distribuait  aux  personnes  qui  s'oSraienlJ 
sa  rencontre. 

(a)  Une  note  de  l'édition  d'Aboul'feda  ,  donnce~F 
par  AdJpr,  avec  la  traduction  de  Pveiske  ,  fait  re- 
gretter que  l'histoire  n'ait  i>as  transmis  plus  de 
détails  sur  Khaled  ,  père  de  Yahia.  On  J'^oit  qu'il 
surpassa  son  fils  et  ses  petits-lils  dans  les  vertus  qui 
riistiiiguaient  particulièrement  chacun  d'eux.  Il 
(ut  pins  hiibile  et  plus  prudent  que  Yahia  ;  plus 
lihéial  quR  Fadhl  ;  il  eut  uu  style  plus  élégant  que 
niâfar  ;  plus  de  douceur  que  aïoîiammed  ,  el  plus 
de  courage  «jne  Mor.sa. 


YAH 

prince  auraient  eu  peine  à  y  suffire. 
Il  donnait  des  maisons  ,  des  terres , 
des  millions  ,  comme  un  autre  aurait 
donné  un  diamant.  Mais  ce  qui  aug- 
mentait le  prix  de  ses  largesses ,  c'est 
qu'il  y  mettait  autant  de  délicatesse 
et  d'esprit  que  de  magnificence.  Il 
semblait  se  faire  un  jeu  de  causer  les 
surprises  les  plus  agréables  à  ceux 
dont  il  était  le  bienfaiteur.  Avec  une 
qualité  si  précieuse  et  qui  supplée  à 
tantd'aulres,Fadhl  n'étaitpas  exempt 
de  défauts  :  il  avaitde  l'orgueil  et  l'hu- 
meur fâcheuse  et  difficile.  Aussi,  quoi- 
qu'il fût  le  frère  de  lait  du  khalife 
Haroun  Al-Raschid,  ce  priuce  avait 
plus  de  penchant  pour  le  fils  puîné 
de  Yahia.  En  effet  Djâfar  ne  se  dis- 
tinguait pas  moins  par  son  humeur 
douce  et  facile  et  par  ses  manières 
nobles  et  agréables,  que  par  son  élo- 
quence^ son  esprit  et  son  jugement. 
Il  était  le  compagnon,  l'ami,  le  con- 
fident de  son  maître  ;  et  c'est  comme 
tel  qu'il  est  si  souvent  représenté 
dans  les  Mille  et  une  nuits  (  car  le 
Giafar  de  Galland  n'est  autre  que 
Djâfar).  Le  khalife  lui  avait  confié 
l'éducation  de  son  fils  aîné ,  qui  fut 
le  célèbre  Al-Mamoun.  On  trouve 
chez  les  auteurs  orientaux  plus  d'a- 
necdotes que  de  faits  historiques  sur 
la  famille  des  Barmekides.  On  voit 
cependant  que  vers  l'an  17a  (  788), 
FadhI  devait  épouser  la  fille  du  khan 
des  Turks  Khozars,  et  que  cette  prin- 
cesse étant  morte  à  Berdaâ  en  Armé- 
nie, tandis  qu'elle  venait  en  Perse 
trouver  son  futur  époux  ,  les  gens  de 
sa  suite  publièrent  à  la  cour  du  khan 
qu'elle  avait  été  assassinée  j  ce  qui 
dans  la  suite  occasionna  une  invasion 
des  Turks  dans  l'empire  musulman, 
il  paraît  que  FadhI  était  dès  -  lors 
cjouverncurde  Reï,  do  l'Irak  Adjem, 
HuDjordjanct  duThabaristan.  Ij'an 
Ï76  (792),  uu  prince  de  la  maison 


YAH 


441 


d'Aly,  Yahia,  fils  d'Abdallah  ,  ayant, 
en  sa  qualité  de  descendant  du  pro- 
phète des  musulmans  ,  ren  ouvelé  les 
prétentions  de  sa  famille  ,  se  fit  pro- 
clamer   khalife    dans    le    Deylera. 
FadhI  marcha  contre  lui ,  par  or- 
dre  de  Haroun  Al-Raschid  ,  avec 
une  armée  de  cinquante  jmille  hom- 
mes j  mais  ,  au  lieu  de  recourir  aux 
armes  _,  il  envoya  de  riches  présents 
au  prince  alide ,  avec  une  lettre  rem- 
plie de  témoignages  de  bienveillance 
et  de  politesse,  par  laquelle  il  l'enga- 
geait à  se  soumettre ,  et  lui  promettait 
de  le  prendre   sous  sa  sauvegarde. 
Il  lui  envoya  même ,  à  sa  demande , 
un  sauf- conduit  écrit  de  la  propre 
main  du  khalife  ,  et  signé  d'un  grand 
nombre  de  témoins ,  choisis  parmi  les 
personnages  les  plus  importants  de 
la  cour  et  de  la  capitale.  Yahia  licen- 
cia ses  troupes ,  et  se  rendit  auprès 
de  FadhI  ,  qui  le  conduisit  à  Bagh- 
dad ,  et  le  ])résenta  au  khalife.  Ha- 
roun accueillit  d'abord    favorable- 
ment son  infortuné  rival;  mais  dans 
la  suite  il  le  fit  charger  de  chaînes  , 
et  donna  à  Djâfar  la  commission  de 
le  faire  périr.  Si  FadhI  fut  indigné 
de  ce  qu'un  serment  solennel  avait 
été  violé  par  le  khalife ,  celui-ci  ne 
fut  pas  moins  courroucé  de  l'inexé- 
cution de  l'ordre  qu'il  avait  prescrit  à 
Djâfar.  Mais  ces  motifs  réciproques 
de  refroidissement  entre  les  Barme- 
kides et  leur  souverain  n'éclatèrent 
que  plusieurs  années  après.   FadhI 
était  le  lieutenant  de  son  père  Ya- 
hia ;  aussi  le  nommait -on  le  petit 
vezir.  Mais  le  monarque  ayant  de- 
mandé cà  Yahia  de  donner  à  Djâfar 
un  département  dans  l'administra- 
tion ,  le  vezir  lui  confia  la  surinten- 
dance du  palais  du  khalife,  et  de- 
puis ce  temps,  Djâfar  fut  aussi  ap- 
pelé le  petit  vezir.  Plus  tard,  Ha- 
roun  chargea    Yahia   de   retirer  à 


442 


YAH 


Fadhl  le  ministère  du  sceau,  pour  le 
donner  à  Djâfar.  Le  vezir  écrivit 
donc  à  son  fils  aîné  en  ces  termes  : 
«  Le  prince  des  croyants  t'ordonne 
d'oter  ton  anneau  de  la  main  droite, 
pour  le  mettre  à  ta  main  gauche.  » 
Fadhl  comprit  le  sens  de  ces  paro- 
les, et  rëpoijdit  :  «  J'obéis  à  l'ordre 
du  khalife.  Je  ne  crois  pas  être  privé 
d'une  faveur  quand  elle  passe  à  mon 
frère ,  et  je  ne  pense  pas  avoir  perdu 
une  place  quand  il  en  est  investi.  »0n 
ne  cite  qu'une  expédition  militaire 
de  Djâfar  j  ce  fut  lorsqu'en  l'année 
180  (  'jÇ)6  )  il  conduisit  une  armée 
en  Syrie ,  où  il  parvint  à  comprimer 
des  factions  qui  déchiraient  cette 
province  depuis  quelques  années.  Le 
crédit  de  ce  personnage  à  la  cour  du 
Mialife  était  tel  ,  qu'un  jour  ,  dans 
une  partie  de  débauche  ,  ayant  pro- 
mis à  un  particulier,  qui  appartenait 
à  la  famille  des  Abbassides,  de  payer 
ses  dettes,  qui  montaient  à  un  mil- 
lion de  drachmes,  et  de  procurer  à 
son  fils  le  gouvernement  d'Egypte  et 
la  main  d'une  fille  du  khalife,  il  rem- 
plit aussitôt  la  première  partie  de  sa 
promesse,  et  obtint,  dès  le  lende- 
main, du  monarque,  la  ratification 
des  deux  autres  points.  Les  Barme- 
kides  étaient  parvenus  au  faîte  de  la 
gloire  et  de  la  puissance,  lorsque  la 
fortune  les  abandonna  tout-à-coup. 
Mais  leur  chute  était  préméditée,  com- 
me on  peut  en  juger  par  une  anec- 
dote que  nous  empruntons  de  l'ou- 
vrage précité  de  M.  de  Sacy,  et  qui 
est  rapportée  par  Bakhtischou,  mé- 
decin de  HarounAl-Baschid.  <(  J'en- 
trai, un  jour,  dit-il,  dans  l'appar- 
tement du  khalife  ,  dont  le  palais ,  à 
Baghdad,  n'éfait  séparé  de  celui  des 
Barmekides  que  par  la  largeur  du 
Tigre.  11  remarquait  la  foule  qui  se 
])ressait  à  la  porte  de  Yahia  ,  fîîs  de 
Khafed  ,  et  la  mulliludc  de  chevaux 


I 


YAH 

qui  y  étaient  arrêtés  :  v  Que  Dieu  ré- 
compense Yahia  ,  dit-ilj  en  se  char- 
geant seul  de  tout  l'embarras  des  af- 
faires ,  il  m'a  soulagé  de  ce  soin,  et 
m'a  laissé  le  temps  de  me  livrer  aux 
plaisirs.  »  Quelque  temps  après,  je 
me  trouvai  encore  chez  ce  prince , 
qui  regardant  par  les  fenêtres  de 
son  palais,  et  observantla  même  af- 
fluence  d'hommes  et  de  chevaux  que 
la  première  fois,  devant  celui  des 
Barmekides  ,  laissa  échapper  ces 
mots ,  qui  me  parurent  le  pronostic- 
de  leur  disgrâce  :  «  Yahia  s'est  em- 
paré de  toutes  les  affaires;  il  me  les 
a  toutes  enlevées;  c'est  lui  qui  exerce 
lekhalifat,  et  je  n'en  ai  que  le  nom.  » 
On  attribue  plusieurs  motifs  à  la  ca- 
tastrophe de  cette  famille.  La  haine 
de  ses  envieux  qui  ne  cessaient  de  la 
desservir  et  de  la  calomnier;  le  soup- 
çon plus  ou  moins  fondé  que  les  Bar 
mekides  favorisaient  et  pratiquaient^ 
secrètement  le  Zendikisme ,  secte  qu* 
avait  quelques  rapports  avec  la  reli 
gion  des  mages  qu'avaient  suivie  leur 
ancêtres  ;  l'ombrage  que  portaien 
au  khabfe  leur  puissance  et  leurs  ri- 
chesses ,  enfin  le  tort  impardonna 
ble  que  leur  donnait  à  ses  yeux  la  su 
périorité  de  leurs  talents.  A  ces  eau 
ses  générales  se  joignirent  deux  griefi 
personnels  à  Djâfar,  et  qui  lui  atti 
rèrent  un  traitement  plus  cruel  qu'à 
son  ])ère  et  à  ses  frères.  Loin  de  fairç 
périr  le  prince  alide  Yahia ,  il  l'a^ 
vait  traité  avec  beaucoup  d'égards 
et  lui  avait  rendu  la  liberté.  Le  kha 
life,  informé  de  sa  désobéissance  par 
des  malveillants  ,  lui  demanda  cq 
qu'était  devenu  son  prisonnier.  Djâ- 
far répondit  qu'il  était  toujours  ren- 
fermé. «  En  ferais-tu  serment  sur  ma 
vie?  demanda  Raschid.  Non,  certes 
dit  Djâfar,  devinant  qu'il  était  tra- 
hi :  je  l'ai  laissé  aller,  parce  qu'i 
n'était  point  coupable.  »  Le  khalift 


YAH 

feignit  d'approuver  la  conduite  de 
son  favori  ,*  mais  à  peine  fut- il  sorti, 
qu'il  s'écria  :  «  Que  Dieu  m'extermi- 
ne, si  je  n'ai  ta  vie.  »  Quoique  Djâ- 
far^,  dans  cette  circonstance,  eût  con- 
sulte les  lois  de  l'honneur  et  la  foi 
ducaux  serments,  sa  desobéissance 
à   son   souverain    ne   pouvait  man- 
quer de  lui  attirer  une  disgrâce  écla- 
tante. Mais  s'il  en  faut  croire  l'opi- 
nion la  plus  commune,  le  grief  qui 
servit  de  prétexte   à  l'arrêt  de  sa 
mort,  et  à  la  proscription  de  toute  sa 
famille,  a  répandu  le  plus  grand  in- 
térêt sur  la  mémoire  des  Barmeki- 
des,  et  souillé  la  gloire  d'un  monar- 
que qu'on  s'était   trop  hâté  de  sur- 
nommer Baschid  (  le  juste  ).  Dans 
le  temps  où  les  Barmekides  étaient 
le   plus  en  faveur,  ce  khalife  avait 
une  sœur  nommée  Abbassa,qui  par- 
tageait avec  Djâfar  toutes  ses  ailec- 
tions.  Ne  pouvant  se  passer  un  ins- 
tant de  la  société  des  deux  êtres  qui 
lui  étaient  les  plus  chers  au  monde, 
et  les  mœuis  de  l'Orient  ne  permet- 
tant pas  qu'il  réunît  auprès  de  lui 
deux  personnes  d'un  sexe  différent , 
Haroun    lit  épouser  la  princesse  à 
Djâfar,  pour  qu'elle  pût' décemment 
se  montrer  devant  lui  sans  voile; 
mais  il  avait  préalablement  exigé  de 
lui  la  promesse  qu'il  n'userait  jamais 
avec  elle  des  droits  du  mariage.  Djâ- 
far promit  tout;  il  ne  connaissait  pas 
l'épouse  qui  lui  était  destinée.  11  la 
vit,  et  l'amour,  la  jeunesse,  la  natu- 
re lui  firent  oublier  son  serment.  La 
princesse  devint  enceinte,  et  mit  au 
monde  deux  jumeaux ,  qui  furent  éle- 
vés secrètement  en  Arabie.  Le  kha- 
life pénétra  ce  mystère .  soit  par  le 
moyen  d'une  esclave  qui  trahit  le  se- 
cret d'Abbassa  ,  soit  dans  le  pèlerina- 
ge qu'il  lit  à  la  Mekke,  l'an    186 
:  802  ).  En  revenant,  il  dissi^nula 
ses  projets  de  vengeance,  et  ne  cessa 


YAH 


443 


pendant  toute  la  route  d'envoyer  des 
présents  à  son  favori.  Ce  fut  à  An- 
bar,   sur  l'Euphrate  ,  qu'arriva  le 
dénouement  de  ce  terrible  drame.  Le 
i^'".  safar  187   (29   janvier  8o3  ), 
Djâfar  passait  la  soirée  à  boire  avec 
le  médecin  Bakhtischou,  et  un  poète 
aveugle  qui  le  divertissait  par  ses 
chants,  lorsque  l'eunuque  Mesrour  ;, 
son  ennemi ,  entra  brusquement  sans 
se  faire  annoncer,  et  lui  demanda  sa 
tête  de  la  part  du  khalife.  Djâfar  , 
croyant  que  cet  ordre  avait  été  don- 
né dans  un  moment  de  colère  ou  de 
débauche,  se  flattait  de  fléchir  son 
maître.  11  obtint  qu'avant  de  remplir 
sa  commission ,  Mesrour  le  condui- 
rait à  l'entrée  du  lieu  où  se  trouvait 
le  khalife  ,  auquel  il  annoncerait  que 
son  ordre  était  exécuté.  11  espérait 
que   ce   court  délai,  et  la   nouvelle 
supposée  de  la  mort  de  son  ami  ,  fe- 
raient naître  le  repentir  dans  le  cœtr 
du  monarque  irrité.  Mais  son  attente 
fut  déçue.  Haroun   réitéra  l'ordre, 
et  l'eunuque  a|jia  aussitôt  couper  la 
tête  de  Djâfar  ,  la  présenta  au  kha- 
life ,  sur  un  bouclier  ,  et  lui  apporta 
ensuite  le  corps  enveloppé  dans  un 
cuir.  La  tête  et  le  tronc  furent  en- 
voyés   à   Baghdad ,  et  exposés  au 
haut  d'un  pal ,   sur  les  deu^i  ponts 
principaux  de  cette  capitale,  lis  en 
furent  retirés  ,  au  bout  de  deux  ans , 
pour  être  brûlés ,  et  l'on  remarqua 
que  les  funérailles  du  malheureux  fa- 
vori n'avaient  coûté  que  quelques  piè- 
ces de  monnaie ,  tandis  que  peu  de 
temps  avant  sa  disgrâce,  il  avait  reçu 
du  prince  un  habillement  d'honneur, 
qui  valait  quatre  cent  mille  dinars. 
Djâfar  n'était  âgé  que  de  trente-sept 
ans  quand  il  périt  (3).  La  vengean- 
ts) Ebn-Rhaldouii  ,  historien  dislingué  pnr  une 
critique  très-rare  cher,  les  écriTaiti»   orieiitaiij, 
n'hésite  point  à  traiter  de  fable  l'avcnfure  de  Djû- 
Var  et  d'Abbawa.  S-  D-  S— Y. 


444 


YAH 


ce  de  Haroun  s'cteudit  sur  toute  la 
famille  des  Barmekides.  Des  ordres 
furent  cxpcdie's  tant  à  Baghdad  que 
dans  les  autres  parties  de  l'empire, 
pour  les  arrêter  et  confisquer  leurs 
biens.  Quelques  auteurs  aj  outent  qu'ils 
furent  exterminés  ;  mais  il  ne  faut  pas 
prendre  ce  fait  à  la  lettre ,  car  il  est 
certain  que  Yahia  et  ses  fils,  Fadlil, 
Mohammed  et  Mousa,  furent  envoyés 
prisonniers  à  Racca  en  Me'sopotamie , 
où  ils  finirent  tristement  leurs  jours^ 
le  premier,  l'an  191  (807)^3  soixan- 
te-dix ans  ^  et  le  second,  deux  ans 
après,  à  l'âge  de  quarante-cinq  ans. 
La  mère  de  Fadhl ,  qui  avait  allaite 
Haroun ,  n'avait  pu  obtenir  de  lui  la 
liberté  de  son  fils  et  de  son  époux  ;  il 
n'y  eut  d'excepté  de  la  proscription 
que  la  brandie  de  Mohammed ,  fils 
de  Khaled,  qui,  n'ayant  pas  égalé 
en  crédit  et  en  faveur  la  branche  de 
l^hia ,  n'avait  eu  ni  les  mêmes  torts 
ni  des  ennemis  aussi  puissants.  Il  pa- 
raît aussi  que  quelques  rejetons  de 
Yahia  échappèrent  Lia  catastrophe 
générale.  Le  poète  Demeschki,  se 
trouvant  un  jour  au  bain ,  y  chantait 
des  vers  qu'il  avait  composés  autre- 
fois pour  la  naissance  d'un  fils  de 
Fadhl ,  et  en  récompense  desquels  il 
avait  reçu  dix  mille  dinars.  Tout-à- 
coup  le  garçon  qui  le  servait  s'éva- 
nouit. Il  s'ensuivit  une  explication, 
et  le  poète  apprit  que  ce  jeune  hom- 
me était  ce  même  fils  de  Fadhl.  11 
voulut  lui  faire  donation  de  ses  biens, 
mais  il  ne  put  parvenir  seulement  à 
lui  faire  accepter  la  plus  faible  mar- 
que de  reconnaissance.  «  A  Dieu  ne 
plaise,  dit  le  jeune  Barmekide  ,  que 
je  reprenne  ce  que  mon  père  vous  a 
donné.  »  Les  opinions  varient  sur  le 
sort  qu'éprouva  Abbassa ,  épouse  du 
malheureux  Djâfar.  Chassée  du  pa- 
lais ,  selon  les  uns,  elle  traîna  une 
existence  misérable  avec  ses  enfants  : 


YAH 

suivant  d'autres,  ils  moururent  etL 
prison,  ou  furent  précipités  dans  ui 
puits,  que  le  khalife  fit  combler  \m< 
médiatement.  Mais  cette  dernière  ver 
sion,  quoique  la  plus  répandue,  esl 
la  moins  vraisemblable.  La  gloire  el 
le  souvenir  des  Barmekides  survécu-' 
rent  à   leur  disgrâce.  Leur  mérite 
leurs  rares  qualités  brillèrent  avec 
plus   d'éclat    qu'au    temps  de  leu 
puissance,  et  ils  ont  trouvé  presque  au' 
tant  d'historiens  que  les  conquérantî 
et  les  monarques   de  l'Orient.  Soil 
honte,  soit  remords,  Haroun  Al-RaS' 
chid  avait  défendu,  sous  peine  d< 
mort,  de  publier  leurs  louanges,  el 
de  prononcer  leur  nom  ♦  mais  il  ne 
put  faire  taire  la  reconnaissance  des 
peuples.  Deux  hommes  furent  arrê- 
tés ,  l'un  chantant  une  complainte 
sur  la  chute  de  Yahia  et  de  ses  fils 
qui  l'avaient   comblé  de  bienfaits 
l'autre  racontant  leurs  belles  actioni 
et  faisant  leur  éloge.  Le  khalife,  émi 
malgré  lui ,  ne  put  s'empêcher  de  par 
donner  au  premier ,  et  de  récompen 
ser  le  second ,  qui  osa  lui  rappelé 
les  obligations  qu'il  avait  lui-mêm 
aux  Barmekides,  el  les  services  qu'il 
avaient  rendus  à  l'état.  Ce  dernier 
en  recevant  une  assiette  d'or  que  lu 
donnait  le  khalife,  s'écria  :  «  Voil 
encore  un  présent  que  je  reçois  de 
Barmekides.  »  Les  malheurs  de  cett 
famille ,  ainsi  que  les  amours  de  Djc 
far  et  de  la  sœur  du  khalife  ,  sont  I 
sujet  d'un  roman  de  M'^*^.  Fauque 
intitulé  Ahhassdi,  histoire  orientale 
1752,  in-i'i.  Laharj)e  a  donné,  a 
Théâtre-Français^  une  tragédie  re 
présentée  et  imprimée  en  1778,  sous 
ce  titre  :  Les  Barmecides.  Mais  les 
faits  connus  ne  forment  que  l'avant - 
scène  j  le  reste  est  de  l'invention  de 
l'auteur.  Contre  toute  vraisemblance, 
il  y  ressuscite  Djâfar,  qu'il  nomme 
Barmecide,  Gii\  le  fa  il  paraître  poui 


YAH 

arrêter  et  découvrir  une  conspiration 
tramée  par  son  fils  contre  le  khalife, 
qu'il  suppose  mal- à-propos  apparte- 
nir à  la  race  d'Aly,  et  qiîi  pardonne 
comme  Auguste.  M.  de  Hammer  a 
aussi  composé  en  allemand  une  tra- 
gédie dont  le  sujet  est  la  chute  des 
Barraekides.  -  A — t. 

YAHIA  AL-MOTALY  ,  seizième 
roi  de  Cordoue  ,  et  troisième  khalife 
delà  dynastie  des  Hamoudidcs,  était 
fils  d'Aly  ben  Hamoud ,  qui  se  pré- 
tendant issu  du  prophète  des  musul- 
mans ,  par  les  Édrissides  ,  anciens 
rois  de  Fez  ,  et  héritier,  par  la  dis- 

Sarition  et  le  choix  de  Hescham  II , 
u  trône  de  Cordoue ,  usurpé  succes- 
sivement par  deux  princes  ommeya- 
des  (  Fof.  Mahdy  ,  XXVI  ,  i55  , 
et  SoLEiMAN,  XLIII,  1 1  ),  avait  quit- 
té son  gouvernement  de  Ceuta  ,  l'an 
4o5  de  l'hég.  (  ioi5  de  J.-G.  ), 
prisMalaga,  vaincu  et  tué  Soleiman, 
en  407  (  1016),  et  usurpé  la  cou- 
ronne avec  le  titre  de  khalife  ,  qui 
lui  furent  disputés  par  Abd-el-Rah- 
raan  IV,  de  la  race  des  Ommeyades. 
Aly  ayant  été  assassiné  dans  le  bain 

Car  ses  esclaves  ,  en  4o8  (  1018  ) , 
ahia  partit  de  Ceuta  ,  avec  toutes 
ses  forces  ,  s'empara  de  Malaga  ,  et 
n  marcha  sur  Cordoue ,  où  son  oncle 
Cacem  ,  gouverneur  d'Algeziras  , 
avait  été  reconnu  souverain.  Après 
plusieurs  combats  sans  résultats 
décisifs  entre  l'oncle  et  le  neveu  , 
celui-ci  resta  maître  de  Cordoue, 
en  4iîi  (  1021  ) ,  fournit  des  troupes 
à  Cacem  pour  faire  la  guerre  au  parti 
d'Abd-el-Rahman,  et  convint  de  par- 
tager l'Espagne  avec  lui.  Mais  ,  au 
mépris  de  ce  traité,  Yahia  s'attribua 
la  souveraineté  sans  partage  ,  et  dé- 
clara que  son  oncle  n'y  avait  aucun 
droit  :  celte  déclaration  fut  signée 
par  tous  les  cheikhs  ,  les  khatibs 
et  les   généraux   de  Cordoue,  qui 


YAH  445 

préféraient  la  douceur  et  l'affa- 
bilité du  neveu  au  gouvernement 
tyrannique  de  son  oncle.  Cacem , 
qui  venait  de  conduire  à  Ceuta 
le  corps  de  son  frère  Aly  ,  ayant 
appris  à  Malaga  la  perfidie  de  son 
neveu  ,  négligea  la  guerre  contre 
Abd-el-Rahman  ,  et  réunit  tous  ses 
efforts  contre  Yahia.  Celui-ci ,  privé 
d'une  partie  de  ses  troupes  ,  et  ne 
pouvant  opposer  qu'une  faible  résis- 
tance à  son  oncle  ^  se  replia  sur  AI- 
geziras  ,  à  la  fin  de  4^3  (février 
I  o'23).  Cacem  rentra  dans  Cordoue  • 
mais ,  irrité  de  ne  voir  sur  son  pas- 
sage que  la  populace ,  il  se  vengea 
de  ce  froid  accueil  par  de  nouvelles 
cruautés  qui  le  rendirent  plus  odieux. 
Une  conspiration  excitée  par  les  pre- 
miers citoyens  ayant  éclaté  contre 
lui ,  il  parvint  à  sortir  de  Cordoue  , 
à  travers  mille  périls  _,  au  commen- 
cement de  l'an  4^4  f  avril  io23  ) ,  et 
se  relira  à  Xerez ,  où  l'alcaïde  le  livra 
aux  troupes  de  Yahia  qui  le  fit  ren- 
fermer dans  une  étroite  prison.  Yahia 
se  maintint  dans  la  souveraineté  de 
Malaga  ,  d'Algeziras ,  de  Tanger  , 
de  Ceuta,  etc. ,  qu'il  gouverna  avec 
autant  d'équité  que  de  modération  , 
jusqu'à  la  fin  de  l'année  suivante  : 
cédant  alors  aux  vœux  de  ses  parti- 
sans ,  plus  qu'à  son  ambition  ,  il  alla 
reprendre  possession  du  royaume  de 
Cordoue  ,  livré  à  l'anarchie,  depuis 
la  mort  tragique  des  deux  princes 
ommeyades,  Abd -el  -  Rahman  V, 
et  Mohammed  lïl ,  qui  avaient  ré- 
gné successivement  après  Cacem. 
Yahia  y  fut  reçu  au  bruit  univer- 
sel des  acclamations  et  des  ap- 
plaudissements. Ses  vertus  et  ses 
talents  faisaient  espérer  un  règne 
fortuné  ;  mais  ayant  marché  contre 
le  wali  de  Séville  ,  Aboul  Cacem 
Mohammed  ben-Abad ,  qui  refusait 
de  lui  rendre  hommage  ,  il  donna  , 


446 


YAH 


près  de  Ronda ,  dans  une  embuscade 
où  il  périt  le  7  moharrem  4^7  (^^ 
février  1026  ).  Il  eut  pour  successeur 
Hescliam  III ,  le  dernier  des  princes 
ommeyades,  après  l'expulsion  du- 
quel le  trône  de  Cordoue  fut  occupé 
par  deux,  princes  d'une  autre  famille, 
avantd'ètre  conquis  parle  troisième 
roi  de  Séville  ,  l'an  45'2  (  1 060).  Mais 
les  Hamoudides  ,  issus  de  Yahia  , 
régnèrent  à  Malaga  età  Algeziras,  jus- 
qu'en 472  (  1079).  Le  dernier  d'en- 
tre eux  fut  dépouillé  par  le  roi  de 
Séville  ,  et  se  retira  en  Afrique. 
A — T. 

YAHIA  AL-DHAFER-BILLAH, 

roi  de  Tolède  et  ensuite  de  Valence  , 
était  fils  ou  petit-fils  d'Yahia  J«=^  al- 
Mamoun  _,  qui ,  l'ayant  désigné  pour 
sou  successeur,  l'avait  mis  sous  la  pro- 
tection d' Alphonse  VI,  roi  de  Léon 
et  de  Castille  {F.  Mamoun ,  XXVI , 
439).  Mais  comme  Yahia  I^^^'.  était 
mort  à  Séville  ou  à  Cordoue,  dont 
il  avait  fait  la  conquête ,  et  que 
sou  petit  -  fils  était  probablement 
auprès  de  lui ,  les  habitants  de 
Tolède,  craignant  que  le  nouveau 
souverain  ne  choisît  une  de  ces 
deux:  villes  pour  sa  résidence,  re- 
connurent pour  roi  son  frère  ou  son 
oncle  Hescham  al-Gader-Billah  ,  qui 
prit  possession  du  troue  l'an  4(>9  de 
l'hég.  (1077  de  J.-C),  et  s'y  main- 
tint sans  doute  au  moyen  de  quelques 
concessions  qu'il  lit  au  roi  de  Castil- 
le. Les  auteurs  chrétiens  le  représen- 
tent comme  un  prince  juste  ,  sage  et 
habile  ;  mais  les  historiens  arabes  qui 
ne  le  nomment  pas  ,  donnent  lieu  de 
croire  qu'il  était  ce  roi  voluptueux  et 
efféminé  que  les  habitants  de  Tolède 
chassèrent  de  leur  ville,  en  47^ 
(1080),  après  avoir  massacré  une 
partie  de  ses  ministres  et  de  ses  gar- 
des. Ce  fut  probablement  alors  que 
Yahia  monta  sur  le  trône  ;  mais  il  ne 


YAH 

put  s'y  maintenir.  La  haine  de  Mo- 
tamed   ben-Abad  ,    roi  de  Séville, 
contre    les    Dzoulnounides    se    ré- 
veilla lorsqu'il  vit  l'héritier  de  leur  - 
puissance    menacé    par   les   Castil- 
lans ,  qui  le  regardaient  comme  un 
usurpateur ,  comme  un  tyran ,  parce 
qu'il  n'était  pas  leur  créature  ,  et 
qu'il  refusait  d'être  leur  vassal.  Les 
ambassades ,  les  intrigues  ,  les  pré- 
sents du  roi  de  Séville  étouffèrent  ai- 
sément dans  le  cœur  de  l'ambitieux 
Alphonse  la  voix  delà  reconnaissance 
qu'il  avait  jurée  à  l'aïeul  du  roi  de 
Tolède.  11  déclara  la  guerre  à  ce  der- 
nier, se  ligua  avec   Motamcd   son 
ennemi ,  et  dès  l'année  474  (  ^^^0  » 
fît  deux  excursions  par   an   sur  le^ 
terres  de  Yahia,  les  dévasta  pen- 
dant trois  ans ,  et    mit   ensuite   le 
siège    devant    la     capitale,    tandis 
que  son  allié  attaquait  les  provin- 
ces du  midi.  Si   Yahia  eût  été  un 
monstre  avide,  impudique  et  cruel, 
comme  le  dépeignent  les  historiens 
espagnols;  si  ses  sujets  ,  pour  en  être 
délivrés  ,  se  fussent  adressés  en  mê- 
me temps  aux  rois  de  Castille  et  de 
Séville  ;,  ils  n'auraient  pasmanquéde 
se  soulever  contre  leur  tyran ,  dès  la 
première    apparition    des    troupes 
étrangères  sur  leur  territoire.  Leur 
dévouement ,  leur  fidélité ,  leur  résis- 
tance contre  les  efforts  des  Castillans, 
démentent  les  calomnies  qui  ont  flé^ 
tri  la  mémoire  de  ce  prince.  Aban-' 
donné  par  les  autres  dynastes  mu- 
sulmans de  la  péninsule ,  excepté  par 
le  roi  de  Badajoz,  la  famine  qui  ra- 
vageait Tolède  le  força  de  capituler, 
le  27  moharrem  478  (^5  mai  io85). 
Il  stipula  que  les  musulmans  qui  vou- 
draient y  demeurer  conserveraient 
leurs  biens,  leurs  juges,  leurs  mos- 
quées et  l'exercice  public  de  leur  cul- 
te. Il  en  sortit  avec  sa  famille,  ses 
trésors  ,  ses  sujets  les  plus  distingués; 


YAH 

Ctayantobtenu  îles  secoursd' Alphon- 
se, dont  il  s'était  reconnu  tributaire, 
il  se  retira  à  Valence ,  et  se  mit  en 
possession  ,  dès  la  même  année ,  du 
ttonede  cette  ville,  que  son  père  avait 
conquise.  Plus  sensible  à  la  perte  de 
la  couronne  que  le  Castillan  lui  avait 
enlevée  ,  que  reconnaissant  d'en 
avoir  obtenu  une  autre  par  la  protec- 
tion de  ce  prince  ,  il  entra  dans  la  coa- 
lition des  princes  musulmans  de  la 
péninsule ,  envoya  des  députés  à  la 
junte  de  Cordoue  ,  et  donna  son  adhé- 
sion à  la  funeste  délibération  dont  le 
résultat  fut  de  recourir  au  roi  de  Ma- 
roc, fondateur  de  la  dynastie  des  Al- 
Mora vides  (  /^.  Yousouf  ben  Tasch- 
fyn).  L'année  suivante,  il  amena  ses 
troupes  au  camp  de  ce  monarque,  et 
assista  à  la  bataille  de  Zaiaka  ;  mais 
démêlant  les  intentions  de  ce  dange- 
reux auxiliaire  ,  il  retourna  dans  ses 
états ,  et  resserra  son  alliance  avec  le 
roi  de  Castille.  En  effet,  Yousouf , 
ayant  réduit  les  royaumes  de  Gre- 
nade, de  Séville,  d'Almérie  et  de 
Murcie ,  envoya  des  troupes  qui  sou- 
mirent Dénia,  Schatibah  et  Mour- 
viedro  ,  dont  les  princes  s'étaient 
aussi  ligués  avec  les  Castillans,  pour 
résister  aux  Al-Moravides.  Réunis 
sous  les  drapeaux  du  Cid ,  qui  com- 
mandait les  chrétiens,  ils  s'enfermè- 
rent dans  Valence ,  où  Yahia  fut  bien- 
tôt assiégé  par  les  Africains.  Aban- 
donné de  ses  alliés ,  ce  prince  conti- 
nua de  se  défendre  vigoureusement  ; 
mais  les  portes  de  la  ville  ayant  été 
ouvertes  aux  assiégeants  par  le  ca- 
dhi  Ahmed  ben  Djahaf  al-Moafery, 
le  roi  périt  glorieusement ,  en  com- 
battant à  la  tête  de  sa  garde ,  en  48f> 
(  109*2  ) ,  après  avoir  régné  sept  ans 
à  Valence.  11  fut  le  dernier  prince 
de  sa  race.  A — t. 

YAHIA  (  Abou  -  Zakharia  Ben 
Aly  Ben -Ghani a),  fameux  capitaine 


YAH  44^ 

maure  ,  que  les  historiens  espagnols 
ne  désignent  que  sous  le  nom  de  Ben 
Gama  ,  était  allié  à  la  famille  sou- 
veraine des  Al-Moravides  qui  régnait 
sur  les  deux  Mauritanies  et  sur  la  plus 
grande  partie  de  l'Espagne  (  /^qr. 
Yousouf  ben  Tascufyn  ).  Il  était 
wali  ou  gouverneur  de  Lérida  .  Tan 
528  del'hég.  (  ii34  de  J.-C  ) , 
lorsqu'ayant  intercepté  les  convois 
destinés  à  l'armée  d'Alphonse  1er.  ^  roi 
d'Aragon  ,  qui  assiégeait  Fraga  ,  il 
remporta  ,  le  7  juillet,  une  victoire 
complète  sur  ce  prince  qui  périt  sur 
le  champ  de  bataille ,  suivant  les  au- 
teurs arabes  ,  ou  cinquante  jours 
après ,  suivant  les  historiens  espa- 
gnols. Un  tel  exploit  valut  à  Yahia 
ben-Ghaniale  gouvernement  de  Cor- 
doue, après  qu'Aly,  roi  de  Maroc  , 
eut  rappelé  son  iils  Taschfyn  en 
Afrique;  et  lorsque  ce  dernier  eut 
succédé  à  son  père  l'an  53»]  (  r  i43) , 
il  chargea  Yahia  du  commandement 
général  de  toutes  les  forces  des  Al- 
Moravides  en  Espagne.  Mais  les  re- 
vers que  ïaschfyn  éprouva  en  Afri- 
que (  f^oj^.  Taschfyn  )  rendirent  la 
position  de  son  lieutenant  très-péni- 
ble dans  la  péninsule.  Les  Maures 
d'Espagne  ne  supportaient  qu'en  fré- 
missant le  joug  odieux  des  princes 
Al-Moravides.  Aussitôt  qu'ils  appri- 
rent les  succès  obtenus  sur  leurs  ty- 
rans en  Afrique,  par  les  Al-Mohades 
( /^.  Abd-el-Moumen)  ,  ils  prirent 
les  armes  de  toutes  parts.  La  pre- 
mière révolte  éclata  dans  l'Al-Garb , 
au  mois  de  safar  53g  (août  1 144). 
Yahia  marcha  contre  les  rebelles 
qui  menaçaient  la  ville ,  les  tailla  en 
pièces  et  les  força  de  repasser  la 
Guadiana  ;  mais  tandis  qu'il  assié- 
geait Niebla ,  depoiis  trois  mois ,  il 
apprit  que  les  Cordouans  avaient 
assassiné  leur  cadhi  et  s'étaient  don- 
né un  roi  (  mars  1 1 45  ).  Il  leva  le 


4i8  Y  AH 

sic'gc,  et  marchait  pour  les  réduire  , 
lorsqu'il  reçut  successivement  la  nou- 
velle que  Valence  ,  Malaga  ,  Alican- 
te ,  IVIurcie,  etc.,  avaient  suivi  l'exem- 
ple de  Gordoue.  Désespérant  alors 
d'apaiser  les  troubles  de  l'Al-Garb  , 
et  même  de  conserver  l'Espagne  aux 
Al-Moravides  ,  il  manda  à  son  frère 
Mohammed  d'abandonner  Sëvilie^ 
d'en  emmener  les  troupes etles  vais- 
seaux disponibles ,  et  d'aller  se  for- 
tifier dans  les  îles  Baléares.  Le  départ 
de  Mohammed  fit  alors  tomber  Sé- 
ville  au  pouvoir  d'un  autre  rebelle. 
La  mort  du  roi  de  Maroc ,  arrivée 
sur  ces  entrefaites  ,  affaiblit  encore 
le  parti  des  Al-Moravides  en  Espa- 
gne. Son  cousin  Aly  ben  Aboubekr  ^ 
chassé  de  Grenade  par  les  habitants, 
fut  tué  en  défendant  la  citadelle  oii 
il  s'était  réfugié.  Abd-allah,  neveu 
d'Yahia  ben-Ghania  ,  forcé  d'aban- 
donner Valence  ;,  s'était  retiré  à 
Schatibah ,  oii  il  résista  quelque 
temps  aux  révoltés.  Mais ,  réduit  à 
capituler, il  se  rendit  à  Almerie,  oii 
il  se  maintint  encore ,  et  s'embarqua 
dans  la  suite  pour  aller  trouver  son 
père  Mohammed  à  Maïorque.  Ce- 
pendant Yahia ,  par  sa  valeur  et  son 
habileté ,  soutenait  les  débris  de  la 
puissance  des  Al-Moravides.  Il  par- 
courait les  provinces  y  rappelait  les 
peuples  à  la  concorde^  à  l'obéissan- 
ce envers  leurs  légitimes  souverains , 
employait  la  force  et  la  ruse  à  dé- 
faut de  la  persuasion ,  et  excitait  la 
rivalité  entre  les  divers  ambitieux 
qui  s'étaient  érigés  en  souverains 
(  Vojez  Seif  -  Eddaulah  XLT  , 
487  ).  Mais  ces  divisions  ^  utiles  à 
son  parti,  favorisèrent  les  entre- 
prises des  Al-Mohades  ^  ses  ennemis. 
Abd-el-Moumen,  leur  chef,  maître 
des  Mauritanies  ^  envoya  des  troupes 
en  Espagne^  et  soumit  Algeziras, 
Xerez  et  Scville  jl'an  54 1  (i  146-7). 


YAK 

Dans  le  même  temps ,  Yahia  ,  avec 
le  secours  d'Alphonse-Raimoud  ,  roi  1 
de  Gastille  ,  recouvrait  Andiijar , 
liaeça  et  Gordoue  j  mais  il  paya  chè-  ' 
rcment  ce  service  en  cédant  à  son 
auxiliaire  la  seconde  de  ces  places,  et 
en  l'aidant  l'année  suivante  à  s'em- 
parer d'Alraerie.  Ayant  affaibli  son 
armée  pour  envoyer  des  renforts 
aux  habitants  de  Geuta ,  révoltés 
contre  Abd-el-Moumen ,  il  fut  assiégé 
dans  Gordoue  par  les  Al-Mohades  j 
après  une  longue  et  inutile  résistance, 
il  en  sortit  et  laissa  un  de  ses  lieu- 
tenants qui  ne  tarda  pas  à  capituler. 
Yahia ^  retjré  à  Grenade  ,  continua 
de  lutter  contre  les  Al-Mohades,  avec 
des  succès  balancés  ,  jusqu'à  ce  que 
ceux-ci,  maîtres  de  toute  l'Anda- 
lousie ,  allèrent  l'attaquer  dans  son 
dernier  asile.  Soutenu  par  un  corps 
de  chrétiens ,  il  risqua  encore  une 
bataille  à  la  fin  de  décembre  1 148, 
ou  au  commencement  de  janvier 
1 1 49  ;  mais  il  y  fut  blessé  mortelle- 
ment et  expira  trois  jours  après  à 
Grenade.  Avec  lui  s'anéantit  la  puis- 
sance des  Al-Moravides  en  Espagne. 
Les  historiens  espagnols  disent  qu'il 
fut  massacré  à  Jaen  par  les  siens , 
pour  avoir  usé  de  perfidie  envers 
Alphonse,  auquel  il  avait  promis  de 
livrer  cette  place.  A — t. 

YAKOUT  (  Sciiéhab-eddin  Abou- 
Abd- ALLAH  )  était  Grec  d'origine  çt 
de  naissance.  Fait  captif  ,  et  enlevé 
de  son  pays  dans  un  âge  encore 
tendre,  il  fut  conduit  à  Bagdad,  et 
acheté  par  un  ne'gociant  nommé 
Asker  ,  natif  de  liamah  ,  mais  qui 
avait  {ïJ^é  sa  résidence  et  le  centre  de 
ses  affaires  dans  la  capitale  de  l'em- 
pire des  khalifes.  A  raison  de  ces 
circonstances ,  on  a  donné  à  Yakout 
les  surnoms  de  B.oumi ,  Hama\vi  et 
Bagdadi  qui  indiquent  son  origine  , 
la  patrie  du  maître  par  qui  i!  fut 


YAK 

affraiiclii ,  et  le  lieu  de  sa  résidence. 
Asker  eut  soin  de  son  éducation^  et 
lui  lit  entreprendre  divers  voyages 
dans  l'intérêt  de  son  commerce.  Plus 
tardYakout^  ayant  obtenu  sa  libelle, 
gagna  sa    vie  à  copier  des  livres  ; 
mais  il  ne  tarda  pas  à  rentrer  comme 
associe   ou  commis   inte'resse    dans 
les  affaires ,  au  service  d' Asker.  Ce- 
lui-ci étant  mort,    Yakout   rendit 
compte,  des  fonds  qu' Asker  lui  avait 
contiés,  à  sa  veuve  et  à  ses  enfants  : 
et ,  de  la  somme  qui  lui  resta  après 
la  liquidation  de  leurs  dlÉÉfis  respec- 
tifs ,  il  forma  un  capital  avec  lequel 
il  se  mit  à  faire  le  commerce ,  et  par- 
ticulièrement le  commerce  de  livres. 
Il  changea  son  nom    de  Yakout , 
Tun   de   ceux  qui   ne   sont   portés 
que    par  des    esclaves   ou  des   af- 
franchis,   en    celui    de    Yakouh  ; 
mais  il  est  demeuré  connu  sous  ce- 
lui  de   Yakout.  Une  mauvaise  af- 
faire qu'il  s'attira  à  Damas  ,   en  te- 
nant   des     propos    injurieux    à    la 
mémoire  d'Ali ,   l'obligea  de  quitter 
cette  ville,  et  de  changer  souvent  de 
domicile  j  et  après  avoir  résidé  suc- 
cessivement à  Alep  ,  à  Mosul ,  à  Ar- 
belles,   puis  dans  le  Khoiaçan ,   à 
Mérou  et  à  ISisa  ;,  il  se  trouvait  dans 
le  Kharizme,  en  l'année  6i6derhég. 
(  1 2 1 9-20),  lors  de  l'invasion  des  Tar- 
tares.  Fuyant  devant  l'armée  dévas- 
tatrice de  ces  conquérants  ,  et  dans 
un  dénuement  extrême  ,  il  revint  ha- 
biter Mosul ,  puis  Sandjar  ,  et  enOn 
,un  faubourg  d'Alep,  où  il  demeura 
jusqu'à    sa    mort,   arrivée  en  626 
(    1228-9  )   :   il    était  né    en   5^4 
(  1178-9)    ou  575  C  1179-80). 
Yakout  a  composé  un  assez  grand 
nombre  d'ouvrages  qui  prouvent  sa 
vaste    érudition.    Le    premier  ,  qui 
forme  quatre  gros  volumes  et  qui  est 
.intitulé  :  Irschad  elalibba  lia  mari- 
Jet  elodéba  j  est  une  histoire   litle- 

LI. 


YAK 


4t9 


raire  qui  embrasse  tous  les  person- 
nages qui  se  sont  distingués  dans  les 
diverses  parties  des  sciences  gram- 
maticales ,  les  historiens,  les  généa- 
logistes ,  les  hommes  célèbres  par  la 
beauté  de  leur  écriture,  etc.  Le  se- 
cond est  une  histoire  des  poètes  an- 
ciens et  modernes  :  le  troisième  et  le 
quatrième  sont  ,  comme  l'indiquent 
leurs  titres  :  Moadjem  clschoara  et 
Moadjem  elodéha  ^   deux  diction 
nd^s  historiques  ,   l'un  des  poètes  , 
l'autre  des  hommes  de  lettres.   Le 
cinquième  et  le  sixième  sont  des  dic- 
tionnaires géographiques  :    le  pie- 
mier,  qui  porte  le  titre  àe  Moadjem 
alholdan^  jouit  d'une  grande  célé- 
brité ;  les  exemplaires  en  sont  rares 
en  Europe ,  et  l'on  rendrait ,  en  le  pu- 
bliant,   un  service  éminent  à  la  lit- 
térature de  rOrient  ;  le  second,  qui 
est  extrait  de  celui-là  ,  est  intitulé  : 
Kitah  elmoschtaric   ivadhaîi ,  eZ- 
mokhtelif  saJcan  ,   ou  Dictionnaire 
des     homonymes     géographiques  , 
c'est-à-dire  ,  des  noms  qui  sont  com- 
muns à  divers  lieux  :  c'est  un  livre 
indispensable  à  ceux  qui  s'occupent 
d'histoire  ou  de  littérature  arabe.  Il 
est  plus  connu  que  le  précédent ,  sur 
lequel  il  faut  consulter  principale- 
ment M.    Fraehn ,    dans  l'ouvrage 
qu'il  a  publié  ;,  en  allemand  ,  à  Pé- 
tersbourg  ,  en  1828  ,  sous  ce  titre  : 
Ihn  Foszlans  und  anderer  Araher 
Berichte  ûher  die  Russen  œlterer 
Zeit.  Yakout  a  encore  composé  quel- 
ques autres  ouvrages  ,    notamment 
une  préface    ou    des  prolégomènes 
pour  le  Kitab  clagani  ou  Recueil 
de  chansons  d'Abou'lfaradj  Ali  Is- 
fahani.  La  vie  de  Yakout ,  écrite  par 
Ebn-Khilcan  ,  dans   sa   Biographie 
des  hommes  illustres ,  a  été  publiée 
et  traduite  par  M.  Hamaker ,  pro- 
fesseur à  Leyde,  dans  le  volume  in- 
titulé :  Spécimen  Catalogi  codicum 

29 


45o  YAK 

mss.  orient,  hihlioth.  Jcademiœ 
Lugduno-Batapce.  Elle  est  d'autant 
plus  intéressante  que  le  biographe  y 
a  inséré  eu  entier  une  lettre  de  Ya- 
kout ,  dans  laquelle  il  raconte  une 
grande  partie  des  événements  d'une 
vie  fort  agitée.  Le  grand  Dictionnaire 
géographique  de  Yakout  a  été  abré- 
gé ,  sous  le  titre  de  Kitab  mérasid 
elittild  ala  asma  elamkinet  ouel- 
hikd  :  on  ignore  quel  est  l'auteur  de 
cet  abrégé , livre  très-utile ,  et  ddft  la 
publication  ,  moins  dispendieuse  que 
celle  de  l'ouvrage  original  de  Yakout , 
serait  favorablement  accueillie  par 
tous  ceux  qui  mettent  quelque  intérêt 
aux  progrès  de  la  littérature  orien- 
tale. La  bibliothèque  du  roi  possède 
un  exemplaire  de  cet  abrégé. 
S.  D.  S — Y. 
YAKOUT  (Emin-eddin-Abou'l- 
dorr)  ,  iils  d'Abd-allali ,  et  surnom- 
mé Méliki ,  parce  qu'il  avait  été  au 
service  du  suithan  de  Perse  Abou'l- 
fath  Mélicschali  ,  et  Mausili  ^  en 
raison  de  ce  qu'il  établit  sa  ré- 
sidence à  Mosul  y  se  rendit  cé- 
lèbre dans  le  sixième  siècle  de  l'hé- 
gire par  la  beauté  de  son  écriture  :  il 
avait  pris  pour  modèle  le  célèbre 
Ebn-albawwab,  mais  i!  le  surpassa 
encore.  Il  lit  plusieurs  copies  du 
Dictionnaire  arabe  de  Djewahari, 
intitulé  Sihah ,  en  un  seul  volume. 
Ebn-Khilcan  ,  qui  assure  avoir  vu 
quelques-uns  de  ces  exemplaires^  dit 
qu'ils  se  vendaient  au  prix  de  cent  piè- 
ces d'or.  Yacout  acquit  une  grande 
célébrité,  et  forma  beaucoup  d'élèves: 
ion  venait  de  contrées  fort  éloignées 
pour  prendre  des  leçons  de  lui.  Il 
parvint  à  un  âge  très-avancé ,  et  son 
écriture  éprouva ,  par  Teftet  des  an- 
nées ,  une  grande  altération.  Il  mou- 
rut eii  6i8  (  1 221-9.  ).    S.  D.S — Y. 

YAKOUT      (  MOHEDDHIB-EDDIN 

Abou'ldobr  ) ,  Roumi  ,    avait  été 


YAL 

esclave  d'un  négociant.  Il  cultiva 
avec  soin  la  littérature,  et  surtout  la 
poésie  y  et;,  quand  il  y  eut  obtenu  des 
succès  ,  il  prit  le  nom  à' Ahdalrah- 
rrCan.  Il  résidait  dans  le  collège  fondé 
par  Nizam-elmoulc  à  Bagdad.  On  a 
de  lui  des  poésies,  principalement 
dans  le  genre  erotique ,  qui  étaient 
très-connues  dans  l'Irak  ,  en  Syrie  , 
et  dans  les  contrées  orientales  de 
l'empire  musulman.  Il  fut  trouvé 
mort  dans  sa  chambre  à  Bagdad,  en 
622  (  1225  ).  On  dit  que  ses  poésies 
ont  été  r(É|iiies ,  et  qu'on  en  a  formé 
un  recueil.  S.  d.  S — y. 

YALDEN  (  Thomas)  ,  poète  an- 
glais _,  naquit  à  Exéter  en  16-^1. 
Après  avoir  reçu  l'instruction  pre- 
mière dans  une  école  qui  dépendait 
du  collège  de  la  Madeleine ,  à  Ox- 
ford ,  il  fut  admis  comme  élève  de 
seconde  classe ,  dans  ce  même  col- 
lège^ sous  la  direction  spéciale  du 
docteur  Pullen ,  qui  a  laissé  une  ré- 
putation honorable  ,  dans  cette  ce 
Icbre  université.  Le  jeune  Yalden 
avait  alors  neuf  ans  :  l'année  suivan 
te  il  passa  au  grade  à* étudiant ,  et 
ne  tarda  pas  à  se  faire  remarquer  par 
une  aventure  où  le  hasard  le  servit 
au-delà  de  ses  vœux.  Son  tour  était 
venu  de  prononcer  la  Déclamation 
d'usage  :  le  docteur  Hough^  qui  pré 
sidait  la  séance ,  jugea  la  composition 
supérieure  aux  forces  du  jeune  ora- 
teur. Il  ne  témoigna  rien  de  ses  soup- 
çons; mais  l'occasion  se  présenta 
bientôt  de  les  éclaircir.  Ayant  surpris 
Yalden  à  la  bibliothèque  du  collège , 
dans  un  moment  où  le  règlement  le 
défendait ,  il  lui  imposa  pour  puni- 
tion un  nouveau  sujet  de  composi-  ' 
tion  ;  et  pour  mieux  s'assurer  qu'elle 
serait  bien  son  ouvrage ,  il  le  laissa 
seul ,  et  enfermé  sous  la  clef.  Par  un 
hasard  heureux,  Yalden  avait  fait, 
peu  de  jours  auparavant^  des  lee 


I 


YAL 

res  analogues  au  sujet  propose';  aussi 
s*en  tira-t-il  avec  autant  de  facilité 
que  de  succès  :  le  président,  agréable- 
ment surpris  ,  lui  fit  l'aveu  de  ses 
premiers  soupçons,  et  lui  voua  dès 
cet  instant  même  une  bienveillance 
qui  ne  se  démentit  plus.  Devenu  agré- 
gé en  1700  ,  Yaîden  entra  dans  les 
ordres  l'année  suivante  ;  et  un  petit 
bénéfice  dans  le  comté  de  Warwick_, 
joint  au  revenu  de  l'agrégation ,   et 
de  son  cours  particulier  de  Philoso- 
phie  morale ,   lui  assura    une  exis- 
tence très-honorable.    H   fut  l'ami 
de  Congrève  ,  d'Addison  ,  de  Hop- 
king,  d'Atterbury,  de   Saclieverell 
et  de    beaucoup    d'autres  savants. 
Yalden  embrassa  d'abord  la  cause 
des  Stuarts  ;  mais,  la  voyant  définiti- 
vement perdue  ,  il  changea  d'opi- 
nion y  devint  le  partisan  de  Guillau- 
me, et  composa,  en  l'honneur  de  ce 
prince ,  une  Ode  pour  célébrer  la  prise 
de  Namur  ;  puis  une  autre  sur  la  mort 
du  duc  deGlocester(i70i).Il  obtint 
alors  une  prébende,  et  fut  nommé  à 
la  chaire  de  philosophie  moralede  l'u- 
niversité d'Oxford.  Lorsque  la  reine 
'  Anne  monta  sur  le  trône ,  il  célébra  l'a- 
vénement  de  cette  princesse  dans  une 
pièce  de  vers ,  et  son  zèle  fut  récom- 
pensé par  le  rectorat  de  Ghalton  ,  et 
celui  de  Gleanville  dans  le  Hertford- 
shire.  Il  obtint  encore  les  prébendes 
de  Déans,  de  Hains,  et  de  Pendles 
dans    le    Devonshire.    Depuis    l'an 
1698    il    avait     succédé   à    Atter- 
bury ,  dans  la  place  d'aumônier  de 
l'hôpital  de  Bridwell ,  et  il  jouissait 
paisiblement  de   tant   de    bénéfices 
accumulés  sur  sa  tête  ,  lorsqu'il  fut 
accusé  d'avoir  pris  part  à  la  conju- 
ration d'Atterbury  (  Foy,  Atter- 
BURY  ,  11  ,  6*23  ) ,  et  mis  en  prison 
(  1 7  2i3  ) .  11  subit  un  interrogatoire  très- 
sévère,  et  dans  lequel  on  lui  présenta 
,      sa  correspondance  avec  Kelly ,  se- 


YAN 


45 


crétaire  d'Atterbury,  qu'il  reconnut, 
mais  dont  il  s'excusa  ,   disant  que 
rien  n'y  annonçait  l'intention  de  tra- 
hir  son  souverain.    On  ne  trouva 
chez  lui  aucun  écrit  qui  pût  le  com- 
promettre ,  si  ce  n'est  les  mots  sui- 
vants :  Doctrine  de  la  résignation 
parfaite.  Les  juges  qui  desiraient  le 
trouver  coupable ,  l'ayant  interrogé 
sur  ces  expressions ,  il  répondit  qu'il 
avait  honte  de  s'expliquer  sur  une 
pareille  demande  ,  et  ne  put  indi- 
quer que  fort  imparfaitement  dans 
quel  sens  il  avait  autrefois  écrit  ce 
peu  de  mots  insignifiants  sous  le  rè- 
gne de  la  reine  Anne.  Comme  rien 
d'ailleurs  ne  prouvait  qu'il  fût  cou- 
pable ,  on  le  mit  en  liberté.  Il  ve'- 
cut  ensuite  dans  la   retraite ,  privé 
de  ses  bénéfices ,  et  mourut  le  1 6  juil- 
let 1736.  Parmi  ses  poésies  on  loue 
M  Hymne  à  la  lumière.  C'est  la  con- 
tre partie  de  celui  que  Cowley  avait 
adressé  aux  ténèbres.  Le  grand  cri- 
tique Samuel  Johnson  y  trouvait  de 
rimaginalion,dela  vigueur  dans  l'ex- 
pression ,  et  une  rare  propriété  dans 
les  termes.  Quant   aux  autres  pièces 
de  Yalden ,  elles  sont  déparées  par 
des  taches  qui  semblent  plutôt  des  né- 
gligences de  paresse  que  des  omis- 
sions d'enthousiasme.  L'auteur  est 
surtout  trop  peu  scrupuleux  pour  la 
rime.  Samuel  Johnson  et  Anderson 
ont  inséré  un  choix  de  ses  OEuvres 
dans  leurs  Becueils.       A — D — r. 

YANEZ  DE  LA  BARBUDA 
(  Dom  Martin  )  (i),  capitaine  por- 
tugais ,  doit  la  place  qu'il  tient  dans 
l'histoire  à^sa  folle  et  malheureuse 
entreprise  contre  les  Maures  de  Gre- 
nade. Né  d'une  des  premières  familles 
du  Portugal ,  d  embrassa  ,  jeune,  la 
profession    des   armes ,   signala   sa 


(i)  Ce  capitaine  est  nommé,  dans  les  Dictionnai- 
res,  Yvan-Beruda. 


29. 


459.  Y  AN 

valeur  dans  différentes  renconlrcs  , 
et  parvint  à  la  dignité  de  clavero 
(grand-trésorier)  de  l'ordre  d'Aviz. 
Après  I4  mort  du  roi  Ferdinand 
(  1 3B3  ) ,  le  grand  -  maître  d'Aviz 
s'étant  fait  déclarer  régent  de  Por- 
tugal ,  Yaîicz  resta  fidèle  à  la  reine  , 
et  suivit  cette  princesse ,  obligée  de 
chercher  un  asile  en  Caslille.  Tous 
les  biens  qu'il  possédait  en  Portugal 
furent  confisqués,  et  il  se  serait  trou- 
vé réduit  à  l'état  le  plus  déplorable  , 
si  le  roi  de  Castille  ne  l'eût  fait  élire 
grand-maître  de  l'ordre  d'Alcantara. 
Dans  la  guerre  contre  les  Portugais , 
Yanez  eut  de  nombreuses  occasions 
de  signaler  son  courage  ;  il  assista  à  la 
bataille  d'Aljubarota;  mais  tous  ses 
efforts  ne  purent  décider  la  victoire 
(  Foy.  Jean  I^^,  XXI ,  457  ).  Les 
Portugais,  maîtres  des  principales 
places  de  la  Castille  ,  dictèrent  les 
conditions  de  la  paix.  Le  repos  ne 
s'accordait  pas  avec  le  caractère 
aventureux  et  entreprenant  d'Yanez. 
Dans  le  voisinage  d'Alcantara  vivait 
un  ermite  nommé  Jean  Sago.  Ce  per- 
sonnage, que  le  peuple  vénérait  com- 
me un  saint ,  vint  trouver  Yanez  et 
lui  persuada  qu'avec  une  poignée 
d'hommes  il  pourrait  conquérir  le 
royaume  de  Grenade  ,  et  expulser 
les  Maures  de  l'Espagne.  Yanez  ,  sé- 
duit par  les  promesses  de  l'ermite , 
envoya  un  cartel  au  roi  de  Grenade; 
et ,  dans  le  cas  où  il  ne  lui  convien- 
drait pas  de  l'accepter  ,  lui  proposa 
de  faire  combattre  vingt ,  trente  ,  et 
même  cent  chrétiens  contre  le  dou- 
ble de  Maures  ,  à  la  condition  que 
la  religion  des  vainqueurs  serait  dé- 
clarée la  seule  véritabie.  Le  roi  mau- 
re retint  prisonnier  l'envoyé  d'Yanez, 
et  ne  répondit  point  à  son  défi.  In- 
(W^né  de  cette  double  infraction  aux 
lois  de  la  chevalerie  ,  le  grand- maî- 
tre d'Alcantara  fit  un  appel  à  Thon- 


YAN 

neur  castillan  ,  et  bientôt  il  vit  se 
ranger  autour  de  lui  six  mille  hom- 
mes animés  du  désir  d'exterminer  les 
Maures.  Le  roi  de  Castille,  instruit 
des  préparatifs  d'Yanez  ,  le  conjure 
de  renoncer  à  des  projets  qui  peu- 
vent ramener  le  fléau  de  la  guerre 
dans  ses  états.  Emporté  par  son  en- 
thousiasme   chevaleresque   et    reli- 
gieux y  il  méconnaît  la  voix  de  son 
souverain  ,  et  s'avance  sur  les  fron- 
tières du  royaume  de  Grenade  ,  ac- 
compagné de  l'ermite  ,  premier  mo- 
teur de  l'expédition  ,  et  portant  une 
croix  au  bout  d'une  lance.  La  tour 
de  Leguada,  dont  il  veut  s'emparer, 
oppose    une    résistance   inattendue. 
Tandis  qu'il  fait  des  préparatifs  pour 
une  nouvelle  attaque,  les  Maures  , 
plus  nombreux  et  mieux  armés  que 
les  soldats  d'Yanez ,  fondent  sur  eux  à 
d'improviste ,  et  les  taillent  en  pièces. 
Abandonné  de  la  plus  grande  partie 
des  siens ,  le  grand-maître  d'Alcanta- 
ra continua  de  se  défendre  ,  et ,  après! 
avoir  fait  des  prodiges  de  valeur  ,, 
tomba  percé  de  coups  sur  les  corpsl 
de  ses  ennemis  qui  lui  formaient  uni 
rempart.  Cette  bataille  mémorablel 
eut  lieu  le  26  avril  1874  '  les  restes! 
de  ce  capitaine  ,   réclamés  par  les] 
chrétiens ,  furent  ensevelis  avec  pom-l 
pedans  l'église  deN.-D.  d'Alcantara. 
Son  tombeau  était  décoré  de  l'épita- 
plie  suivante _,  qu'il  avait,  dit-on  ,■ 
composée  lui-même  : 

Hic  silus  est  Martinus  Yvanicus , 

In  onini periculo  expeHi  limoris  animo  (a). 

On  raconte  qu'un  seigneur  castillan 
ayant  rapporté  cette  épitaphe  à 
Charles-Quint ,  ce  prince  lui  dit  :  «  11 
faut  que  ce  p-rand  -maître  n'ait  ja- 
mais essayé  de  moucher  un  flambeau 


(2)  C'csl-à-dirc  :  Ci-gît  Martin   Yvan  ,  dont  le 
cœur  n'éprouva  jamais  de  crainte  dnns  le  danger. 


il 


YAN 

avec  les  doigts.  »  Voyez  Mariaua  , 
Hist.  d'Espagne  ,  liv.  xix.  W — s. 
YAJNG-TI,  empereur  de  la  Chine  , 
était  fils  d'Owen-ti ,  fondateur  de  la 
dynastie  des  Soui.  Il  succéda  l'an 
6o5  à  son  père ,  dont  on  le  soupçonna 
d'avoir  avancé  la  mort.  Il  obligea 
son  frère  aîné,  Yang-wang^  de  s'é- 
trangler lui-même,  cassa  les  minis- 
tres qui  s'étaient  montrés  opposés  à 
ses  vues  ambitieuses,  et  les  exila  dans 
des  provinces  éloignées.  Après  avoir 
rendu  les  honneurs  funèbres  à  son 
père  ,  il  visita  Lo-yang  où  il  avait  le 
dessein  de  transporter  sa  cour  j  et , 
ayant  déterminé  le  lieu  et  le  plan  du 
palais  qu'il  voulait  y  faire  construire , 
chargea  son  frère  Yang-sou  de  la  sur- 
veillance des  travaux.  Ce  palais ,  qui 
surpassait  en  magnificence  tout  ce 
(ju'on  avait  vu  jusqu'alors ,  n'était 
point  achevé  ,  lorsque  l'empereur 
ordonna  de  creuser  des  canaux  pour 
faciliter  le  transport  des  marchan- 
dises dans  l'intérieur  de  l'empire. 
Profitant  des  richesses  immenses  que 
son  père  avait  accumulées ,  il  bâtit 
quarante  palais  au  voisinage  de  Lo- 
yang,  et  établit  à  l'ouest  de  cette 
ville  un  jardin  de  deux  cents  ly  de 
tour.  Ce  jardin,  le  plus  vaste  qui  ja- 
mais ait  existé,  renîérmait  deux  lacs 
dont  un  très-grand ,  et  plusieurs  col- 
lines de  cent  pieds  de  hauteur,  toutes 
ornées  de  bâtiments  et  de  salles  ou- 
vertes qui  communiquaient  par  des 
galeries.  1/ empereur  parcourait  à 
cheval  ces  lieux  enchanteurs,  suivi 
de  mille  femmes  qui  chantaient  et 
jouaient  de  divers  instruments.  Dans 
un  voyage  qu'il  fit  à  Kiang-tou  ,  sur 
l'eau  ,  il  montait  une  barque  dans 
l'intérieur  de  laquelle  on  avait  pra- 

►  tiqué  ,  outre  une  salle  d'audience  et 
des  logements  pour  les  eunuques  de 
service ,  cent  vingt  chambres ,  toutes 
enrichies  d'or  et  de   pierreries.  La 


YAN 


453 


barque  impériale  était  entourée  d'un 
si  grand  nombre  de  nacelles  de  tou- 
tes les  grandeurs ,  que  l'on  comptait 
plus  de  quatre-vingt  mille  bateliers, 
dont  l'uniforme  réglé  par  l'empereur 
consistait  en  un  très-beau  brocard  , 
orné  de  dragons  et  de  fleurs.  Yang- 
ti,  malgré  son  goût  excessif  pour  les 
plaisirs ,  aspirait  à  la  réputation  d'un 
conquérant.  Il  agrandit  son  empire 
de  plusieurs  provinces  ;  mais  il 
échoua  dans  toutes  ses  entreprises 
pour  s'emparer  du  royaume  de  Co- 
rée. Non  moins  jaloux  delà  gloire  ijue 
donnent  les  lettres  aux  princes  qui 
les  protègent ,  il  fit  venir  à  sa  cour 
les  hommes  les  plus  instruits ,  et  leur 
enjoignit  de  composer  des  ouvrages, 
chacun  dans  le  genre  qu'il  avait  cul- 
tivé le  plus  particuhèreraent.  Ayant 
voulu  visiter  les  provinces  septentrio- 
nales de  l'empire  ,  il  s'avança  près 
de  la  grande  muraille.  Investi  par 
le  khan  des  Tartares  ,  il  se  réfugia 
dans  un  fort,  et  ne  dut  son  salut 
qu'à  l'adresse  d'une  princesse  chi- 
noise, femme  du  khan  ,  qui,  pour 
obliger  son  mari  à  se  retirer  ,  lui  fit 
donner  de  faux  avis  sur  des  troubles 
imaginaires  dans  ses  états.  Le  luxe  de 
Yang-ti  ne  se  soutenait  que  par  l'a<î- 
croissement  des  impots.  Ils  étaient 
devenus  si  onéreux  que  le  peuple  ne 
pouvait  plus  les  payer.  Dans  la 
seule  année  6i6  il  éclata  jusqu'à  six 
révoltes.  Li-chi-min  ,  plus  connu 
sous  le  nom  de  Thaï-tsoung  (  F.  ce 
nom ,  XLV ,  23 1  ) ,  réussit  à  s'empa- 
rer du  pouvoir.  Il  fit  déclarer  son 
père  empereur ,  laissant  à  Yang-ti  le 
titre  aussi  fastueux  qu'inutile  de 
suprême  empereur.  Retiré  dans  son 
palais  à  Kiang-tou,  Yaug-li  conti- 
nua de  s'y  livrer  à  ses  goûts  effémi- 
nés ,  se  montrant  insensible  aux  maux 
qui  désolaient  l'empire.  Un  de  ses 
officiers ,  indigné  de  servir  un  prince 


m  YAO 

si  méprisable  y  Tëtrangla  Tan  617. 
L'histoire  impartiale,  en  flétrissant 
les  vices  de  Yang-ti,  ne  doit  point  ou- 
blier  qu'il    rendit    un  service  im- 
mense à  la  Chine,  en  faisant  creuser 
des  canaux  dont  plusieurs  subsistent 
encore.   Son   règne    est  mémorable 
par  les    rapports  nouveaux  que  la 
Chine  eut  alors  avec  quelques  pays 
e'trangers,  et  notamment  avec  les  îles 
Lieou-Kliieou,  d^ont  on  place  la  dé- 
couverte à  l'an  610.  Trois  ans  aupa- 
ravant, dans  la  vue  de  servir  le  goût 
que  l'empereur  montrait  pour  les  re- 
lations des  pays  lointains ,  on  dressa 
une  carte  de  l'Asie  centrale ,  depuis 
Chu-tcheou  jusqu'à  la  mer  Caspienne, 
accompagnée  d'une  description   en 
trois  livres  ,  qui  sont  un  témoignage 
remarquable   des    progrès   que  les 
Chinois  avaient  faits  dès-lors  dans 
l'étude  de  la  géographie.  F.  Mailla , 
Ilist.  de  la  Chine  y  v  ,  5o2-53.  W-s. 
YAO,  l'un  des   premiers  empe- 
reurs de  la  Clnne.  C'est  au  règne  de 
ce   prince  que  commence  le  Chou- 
king  ;  mais  il  ne  faut  pas  en  con- 
clure ,  comme  l'ont  fait  quelques  sa- 
vants ,  qu'avant  lui  l'histoire  de  la 
Chine  ne  présente  qu'un  ramas  con- 
fus de  fables  et  de  traditions  obscu- 
res.  Yao   était  fils   de  Ti-ko  et  de 
Kian-ti,  sa  deuxième  épouse.  Dans 
sa  jeunesse  il  porta  le  nom  de  Y-ki. 
Après  la  mort  de  Ti-ko  (  l'an  2366 
avant  l'ère  chr.  )  Tché  ou  Ti-tchi , 
son  fils  amé,  fut  choisi  pour  lui  suc- 
céder. Le  prince  Y-ki ,  alors  âgé  de 
treize  ans,  reçut  en  apanage  le  pays 
de  Tao ,  ensuite  celui  de  Tang.  Les 
vices  grossiers  de  Ti-tchi  l'ayant 
fait  déclarer  indigne  du  trône,  Y-ki 
fut  élu  à  sa  place  (  0.35-]  avant  l'ère 
chr.).  A  son  avènement ,  il  changea 
son  nom  contre  celui  de  Yao ,  établit 
sa  résidence  à  Ping-yang  dans  le  Ki- 
tcheou^  et  prit  \efeu  pour  symbole 


YAO 

de  son  règne.  Un  de  ses  premiers 
soins   fut    d'encourager   l'étude  de 
l'astronomie  et  l'observation  des  phé- 
nomènes célestes.  Il  avait  à  sa  cour 
quatre  astronomes  ,  deux  du  nom  de 
Hiy  qui  étaient  frères  ^  et  deux  du 
nom  de  JIo ,  également  frères,  11  les 
envoya  aux  quatre  extrémités  de  son 
empire,  pour  en  déterminer  l'étendue 
et  les  limites.  A  leur  retour,  il  les 
chargea  de  dresser  un  nouveau  ca- 
lendrier, ou  du  moins  de  rectifier  les 
erreurs  que  la  négligence  avait  lais- 
sées s'introduiredans  celui  deHoang- 
ti  (  Fof.  ce  nom ,  XX ,  ^id  ).  Yao  , 
persuadé  que  le  devoir  d'un  prince 
est  de  veiller  sans  cesse  au  bonheur 
de  ses  sujets ,  visita  toutes  les  pro- 
vinces, pour  recueillir  les  plaintes  des 
malheureux ,  et  pour  remédier  aux 
abus.   Les   pauvres    étaient    l'objet 
constant  de  sa  sollicitude.  «  Si  le  peu- 
ple ,  disait-il  souvent ,  a  froid ,  c'est 
moi  qui  ensuis  cause.  A-t-il  faim?  c'est 
ma  faute.  Tombe-t-il  dans  quelque 
crime?  jedoism'en  regarder  comme 
l'auteur.  »  Les  vertus  de  Yao  étendi- 
rent au  loin  sa  réputation  ,  et  l'on  vit 
des    princes    étrangers  venir   à  sa 
COU"  lui  demander  des  conseils   sur 
l'art  si    difficile  de  régner.  C'est  à 
la  soixante-unième  année  du  règne 
de  ce  grand  prince  (  2298  av.  l'ère 
chr.  )  que  se  rapporte  la  fameuse 
inondation    de  la   Chine   qu'on   ne 
doit  pas   confondre ,  comme    l'ont 
fait  plusieurs  savants,  avec  le  déluge 
universel  (i).  Elle  est  décrite  dans  le 
Chou-kmg  en  ces  termes  :  ft  Les  eaux 
»  baignent  le  pied  des  montagnes, 
»  couvrent  entièrement  les  collines,  et 


(i)M.  deFortia  d'Urban  a  prouvé,  dans  ses  Me- 
moires  sur  l'ancienne  histoire  du  globe  ,  que  ce 
déluge  est  le  même  que  celui  d'Ogigès;  et  ce  fait 
vient  d'être  démontré  par  la  découverte  d'un  mo- 
nument de  ce  déluge  et  d'un  au  cien  mauuscnt 
grec  qui  eu  donne  l'histoire.  ^< 


YAO 

»  semblent  vouloir  s'élever  jusqu'au 
»  ciel.MYao  prescrivit  sur-le-champ 
les  mesures  nécessaires  pour  procurer 
l'écoulenientdes  eaux  ,  et  pour  répa- 
rer les  dégâts  qu'elles  auraient  occa- 
sionnés. D'après  l'avis  de  son  conseil , 
il  dçsigna  Pé-koiien  pour  dresser  les 
plans  d'assainissement,  et  diriger  les 
ouvriers  chargés  de  leur  exécution. 
Pé-kouen ,  quoique  habile  et  actif,  «e 
vit  forcé  d'avouer,  au  bout  de  neuf 
ans  ,  qu'un  si  grand  travail  était  au- 
dessus  de  ses  talents.  L'empereur 
avait  un  fils  nommé  ïan-tchou; 
mais  ne  lui  trouvant  pas  les  qualités 
convenables  pour  assurer  le  bonheur 
des  peuples ,  il  avait  invité  ses  mi- 
nistres à  lui  désigner  quelqu'un  qui 
pût  gouverner  l'empire  après  lui. 
L'affaiblissement  de  ses  forces  lui 
faisant  éprouver  de  plus  en  plus  le 
besoin  du  repos ,  il  pria  de  nouveau 
ses  ministres  de  lui  désigner  celui 
qu'ils  croiraient  le  plus  capable  de 
l'aider  à  supporter  le  poids  du  gou- 
vernement. Alors  on  lui  proposa 
Chun  (  Foy.  ce  nom^  VIII ,  Sot)  ). 
Le  respect  que  Chun  avait  toujours 
eu  pour  ses  parents,  malgré  l'injus- 
tice de  leur  conduite  à  son  égard  , 
décida  le  choix  de  l'empereur.  Il  lui 
donna  ses  deux  filles  en  mariage, 
l'établit  inspecteur  -  général  des  tra- 
vaux publics ,  et  le  chargea  de  faire 
observer  parmi  le  peuple  les  cinq 
devoirs  de  la  vie  civile.  La  manière 
dont  Chun  s'acquitta  de  ses  em- 
plois lui  valut  toute  la  confiance  de 
l'empereur  qui  le  nomma  son  pre- 
mier ministre,  çt  finit  par  l'associer 
au  trône  (  2285  avant  Tère  chr.  ) 
Yao  vécut  encore  vingt-huit  ans  en- 
touré des  hommages  de  ses  sujets.  Il 
mourut  l'an  2258  (avant l'ère  chr.), 
âgé  de  cent  quinze  ans  j  il  en  avait 
régné  quatre-vingt-dix-neuf.  Les  peu- 
ples le  pleurèrent  comme  un  père^  et 


YAR 


455 


portèrent  son  deuil  pci;clant  trois  ans. 
Son  nom  est  resté  en  vénération  .\  la 
Chine ,  et  son  exemple  est  un  de  ceux 
qui  sont  offerts  à  ses  successeurs.  On 
attribue  à  ce  grand  prince  l'inven- 
tion de  la  musique  Ta-tchoun^  ré- 
servée pour  les  fctes  religieuses  et 
pour  célébrer  !e  mérite  des  grands 
hommes.  Voyez  les  Mémoires  des 
missionnaires  sur  les  Chinois ,  m  , 
1G-18  ;  et  V Histoire  de  la  Chine  , 
parle  P.  de  Mailla,  i  ,  44-85.  W-s. 
YART  (  Antoine  )  ,  littérateur 
estimable,  naquit  à  Tlouen  le  i5  dé- 
cembre i-jio  ,  et  fut  destiné  par  ses 
parents  à  l'état  ecclésiastique.  Ayant 
achevé  ses  cours  de  théologie,  il  re- 
çut les  ordres  sacrés  ,  et  fut  pourvu 
de  la  cure  de  Saint-Martin  du  Vivier, 
qu'il  échangea,  dans  la  suite  ,  pour 
celle  du  Saussay  dans  le  Vexin.  La 
culture  des  lettres  charmait  ses  loi- 
sirs )  il  faisait  de  petites  pièces  de 
vers  très- agréables  ,  ou  composait 
des  dissertations  dont  il  enrichissait 
les  journaux.  L'uw  des  fondateurs  de 
l'académie  de  Rouen  (1744):»  il  en 
devint  l'un  des  membres  les  plus  la- 
borieux. Mais  la  réputation  de  l'abbe 
Yart  n'avait  point  franchi  les  bor- 
nes de  sa  province  ,  lorsqu'il  pU' 
blia  :  Idée  de  la  poésie  anglaise ,  ou 
traduction  des  meilleurs  poètes  an- 
glais qui  n'ont  point  encore  paru 
dans  notre  langue  ,  Paris ,  1749-56, 
8  vol.  in-i2.  C'est  un  recueil  de  tra- 
ductions en  prose  de  différents  poè- 
mes ,  précédés  de  discours  histori- 
ques et  littéraires  sur  chaque  auteur 
et  chaque  ouvrage.  Tous  les  genres 
de  poésies  y  sont  rassemblés  au  ha- 
sard et  sans  aucun  ordre.  Le  traduc- 
teur, qu'on  a  souvent  accusé  d'infidé- 
lité ,  se  montre  plus  fidèle  à  l'expres- 
sion du  poète  qu'à  sa  pensée,  et  il  en 
rend  plutôt  le  sens  que  la  grâce.  Mal- 
gré ces  défauts  ,  l'ouvrage  eut  un 


I 


456 


YAR 


grand  succès,  parce  que  c'était  le  seul 
dans  lequel  un  Français  pût  prendre 
une  teinture  des  beautés  poétiques  de 
nos  voisins  ;  mais  la  Poétique   an- 
glaise de  Henuet  rend  inutile  l'ou- 
vrage de  l'abbé  Yart  dans  lequel  on 
trouve  cependant  quelques  morceaux 
intéressants^  entre  autres  une  Disser- 
tation sur  la  fahle.  On  attribue  à 
i'abbé  Yart  un  opuscule  ,  très-rare  ; 
Mémoire  ecclésiastique  et  politique, 
concernant  la  translation  des  fêtes 
aux  dimanches  ,  en  faveur  de  la 
population,  Philadelphie  (Rouen) , 
1765  ,  in- 12  de  1212  pag.  Après  en 
avoir  cité  plusieurs  passages  dans  ses 
Mémoires  biographiques  (  11  ,  ^^'j 
et  suiv.  )?  M.-Guilbert  (i)   ajoute: 
«  On  ne  saurait  plaider  avec  plus 
d'esprit ,  de  raison  et  de  philosophie 
la  cause  delà  religion  et  des  mœurs.  » 
L'abbé  Yart  eut  pour  amis  les  hom- 
mes les  plus  distingués  de  sa  pro- 
vince ,  tels  que  Fontenelle^  l'abbé 
du  Resnel ,  Cideville  ,  etc.  Il  mourut 
au  Saussay,  en  1791  ,  dans  un  âge 
avancé.  Il  avait  exercé  quelque  temps 
les  fonctions  de  censeur  royal.  Com- 
me poète  il  a  réussi  surtout  dans  la 
Table  et  dans  l'épigramme  ;  sa  fable 
du  Chat  et    la    souris ,  imprimée 
dans  divers   recueils  ,  est  un   petit 
chef-d'œuvre.  Parmi  ses  épigrammes 
on  cite  celles  qu'il  fit  sur  V Histoire 
secrète  de  Dubois ,    et  sur  le  Para- 
dis perdu  de  Mnie.duBoccage.  On  a 
rapporté  la  première  à  l'art.  Serviez 
(  XLII ,  1 28  ).  La  seconde  n'est  pas 
moins  piquante  : 

Sur  cet  écrit ,  charmante  du  Boccage 
Veux-tu  savoir  quel  est  mon  sentiment? 
Je  compte  pour  perdus,  eu  Jisant  tou  ouvrage, 
).e  Paradis,  mou  temps ,  ta  peine  et  mon  argent. 

On  trouvera  la  liste    des  différents 

-„V')  L'ouvrage  de  M.  V.  GuilLert  est  intitule  : 
Mtnioues  biographiques  et  liuéraires  sur  les  hommes 
i/iu  se  soiiljail  reman/uer  dans  le  département  de 
LtiSeiiic-InJérieuie,  l'ai is ,  1812,  a  vol.  ia-8" 


YBE 

opuscules  de  l'abbé  Yart ,  avec  l'ex- 
trait de  son  éloge  par  Haillet  de 
Couronne,  dans  le  Précis  des  travaux 
de  l'académie  de  Rouen,  y,  33 1- 
34.  Outre  des  Odes  ,  des  Épîtres  ,  un 
Eloge  de  Marc-Aurèle  ,  des  Remar- 
ques sur  Perse  et  Juvénal,  etc. ,  on 
citera  de  lui  des  Observations  sur 
le  sentiment  et  l'intérêt  qui  doivent 
entrer  dans  les  tragédies  ,  Mercure , 
décembre  174^.  —  Sur  la  comédie , 
ibid.  ,  mai  1743-  —  Sur  le  Hue- 
tiana ,  mars  1744-  —  Sur  l'usage 
de  la  critique ,  septembre  ,  même 
année.  W — s. 

YBERVILLE  (Lemoyne  d'),  fds 
de  Charles  Lemoyne  de  Longueil , 
gentilhomme  de  Normandie  ,  qui 
s'était  établi  au  Canada  en  1640, 
naquit  à  Montréal  en  1662.  Il 
entra  dans  la  marine  dès  l'âge  de 
quatorze  ans  ,  et  fit  plusieurs  voya- 
ges longs  et  périlleux.  En  1686,  il 
fut  chargé  de  construire  des  forts 
dans  la  baie  d'Hudson ,  où  il  courut 
de  grands  dangers  •  mais  son  entre- 
prise eut  un  plein  succès  ,  et  il  fut 
nommé  gouverneur  du  fort  qu'il  avait 
établi.  En  1 688 ,  les  Anglais  envoyè- 
rent trois  bâtiments  avec  cent  vingt 
hommes  d'équipages  pour  surprendre 
d'Yberville  ,  et  s'emparer  du  fort 
dont  la  garnison  n'était  que  de 
quatorze  hommes.  Non-seulement  il 
leur  résista ,  mais  il  îès  tua  ou  les  fit 
tous  prisonniers  et  se  rendit  maître 
de  leurs  bâtiments.  L'année  suivante 
il  prit  à  l'abordage^  avec  une  cha- 
loupe armée  de  neuf  hommes ,  un 
bâtiment  anglais  qui  venait  attaquer 
un  de  ses  forts.  En  1690 ,  il  fut  nom- 
mé commandant-général  de  tous  les 
postes  que  les  Français  possédaient 
sur  la  baie  d'Hudson  ^  et  de  tous  les 
bâtiments  qui  navigueraient  dans  cette 
baie.  Les  Français  avaient  établi ,  en 
1 68 1 ,  sur  les  cotes  de  la  baie  d'Hud? 


YBE 

son ,  le  fort  Bourbon. Deux  ans  après, 
il  fut  livre  par  trahison  aux  Anglais, 
qui  lui  donnèrent  le  nom  de  fort  Nel- 
son, et  en  firent  un  fort  régulier  avec 
quatre  bastions  et  des  fossés  pleins 
d'eau  ,  et  une  nombreuse  garnison. 
Eu  iO()i,  d'Yberville  eut  ordre  de 
l'attaquer  avec  les  équipages  de  deux 
frégates,  et  s'en  empara  après  un  com- 
bat meurtrier  ,  dans  lequel  il  perdit 
un  de  ses  frères.  En  1696  ,  il  enleva 
avec  trois  cents  liommes  déterminés 
les  établissements  que  les  Anglais 
avaient  formés  dans  l'île  de  Terre- 
Neuve  ,  et  après  des  prodiges  de  va- 
leur il  prit  un  fort  ,  et  fit  dix- 
luiit  cents  prisonniers.  En  son  ab- 
sence les  Anglais  avaient  repris  le 
fort  Bourbon  j  on  le  chargea  de 
l'attaquer  ,  en  1697  ,  avec  quatre 
bâtiments  que  l'un  de  ses  frères  lui 
avait  amenés  de  France.  Une  tem- 
pête ayant  dispersé  sa  division  , 
il  se  trouva  seul  avec  le  Pélican 
de  quarante -six  canons  qu'il  mon- 
tait, et  soutint  contre  trois  bâti- 
ments anglais  ,  pendant  quatre  heu- 
res ,  un  des  combats  les  plus  terri- 
bles dont  îa  mer  ait  été  le  théâtre. 
Le  pont  du  Pélican  fut  couvert  de 
morts  ;  mais  l'un  des  vaisseaux  an- 
glais fut  coulé  ,  l'autre  pris ,  et  le 
troisième  mis  en  fuite.  A  la  suite  de 
ce  combat,  le  Pe7/cara  qui  se  trouvait 
dans  l'état  le  plus  déplorable  fit  nau- 
frage; d'Yberville  perdit  encore  plu- 
sieurs hommes  par  le  froid  et  la  fati- 
gue; il  sortit  le  dernier  de  son  bâti- 
ment ,  fut  rejoint  peu  de  temps 
après  par  son  frère  Sérigny  ,  qui 
avait  aussi  beaucoup  souffert;  et, 
malgré  l'état  de  dénuemerjt  dans  le- 
quel ils  se  trouvaient  ,  ils  osèrent 
attaquer  le  fort  Bourbon  qui  avait 
une  garnison  quadruple  de  leurs  for- 
ces ,  et  qui  aurait  pu  résister  à  une 
armée.  Ce  fut  Sérigny  qui  par  son 


YBE  457 

courage  et  son  grand  caractère  en 
obtint  la  reddition,  le  1 1  septembre 
1697.  En  1698,  d'Yberville  partit 
de  Rochefort  avec  deux  frégates  et 
un  transport,  pour  aller  reconnaî- 
tre l'embouchure  du  Mississipi  que 
Lasalle  n'avait  pas  pu  trouver  en 
1684.  11  y  entra  heureusement  , 
remonta  le  fleuve  jusqu'à  plus  de 
cent  lieues  ,  construisit  un  fort  sur 
ses  rives ,  et ,  dans  les  années  sui- 
vantes ,  il  établit  la  première  colonie 
à  la  Louisiane ,  et  en  fut  nommé 
gouverneur.  Le  7  mars  1706,  d'Y- 
berville arriva  à  la  Martinique  avec 
une  division  de  six  bâtiments.  Il  y  prit 
onze  cents  matelots  ,  et  plusieurs  fli- 
bustiers ,  et  le  2  avril  suivant ,  il 
s'empara  de  l'île  de  Nièves.  Les  An- 
glais s'étaient  retirés  dans  une  excel- 
lente position;  mais,  après  une  atta- 
que très-vive  ,  d'Yberville  les  força 
de  capituler  ;  toute  la  garnison  fut 
faite  prisonnière  ;  on  lui  remit  sept 
mille  nègres  et  trente  bâtiments,  dont 
quelques-uns  étaient  armés  en  guerre 
et  les  autres  chargés  de  marchan- 
dises. La  perte  de  l'ennemi  fut  esti- 
mée à  plus  de  quatre  millions.  Après 
un  tel  succès ,  d'Yberville  s'occupait 
à  rassembler  des  forces  pour  con- 
quérir la  Jamaïque  ,  lorsqu'il  fut  at- 
teint d'une  maladie  dont  il  mourut  à 
la  Havane,  le  9  juillet  1706.  Ce  brave 
officier  avait  été  secondé  dans  la 
plupart  de  ses  expéditions  par  plu- 
sieurs de  ses  frères.  L'un  d'eux ,  Le- 
moyne  de  Bienvilie  ,  qui  comman- 
dait une  batterie  dans  le  fameux  com- 
bat du  Pélican,  avait  rempli  des 
missions  importantes  auprès  des  sau- 
vages de  l'Amérique;  et  c'est  lui  qui 
fonda  la  colonie  de  la  Nouvelle- 
Orléans  ,  en  17 17.  Il  fut  gouverneur 
général  de  la  Louisiane  pendant  plus 
de  vingt  ans.  Il  a  publié  ,  sur  les  na- 
tions sauvages  de  cette  colonie,   un 


458 


YDE 


Mémoire  qui  a  ctc  insère  dans  les  Mé- 
moires de  Trévoux.  Lemoyne  dcSéri- 
gny  qui  avait  partagé  la  gloire  de  son 
frère  d'Yberville  ,  en  s'eraparant  du 
fort  Bourbon  ,  fut  aussi  gouverneur 
de  la  Louisiane  ,  et  devint  capitaine 
de  vaisseau,  en  1720,  après  s'être 
distingué  dans  plusieurs  combats.  En 
1700  ,  Louis  XïV  ,  voulant  récom- 
penser les  services  de  celte  famille , 
érigea  pour  elle  en  baronnie  la  terre 
de  Longueil  en  Canada.  La  branche 
de  Sérigny  s'est  fixée  en  France,  et 
elle  a  continué  ses  services  dans  la 
marine.  Z. 

YDELEZ  (  Etienne  ) ,  prêtre ,  né 
vers  iv54o,  àPort-Lesné,  bailliage 
de  Qiringey,  se  dévoua  au  service 
des  pauvres  malades ,  et  fut  peurvu 
de  l'emploi  de  chapelain  ordinaire 
des  pestiférés  de  la  cité  impériale  de 
Besançon.  Il  se  rendait  dans  les  diffé- 
rentes villes  011  ses  soins  devenaient 
nécessaires  ;  et  il  nous  apprend 
qu'en  i58i  il  était  à  l'hôpital  Saint- 
Laurent  de  Lyon  ,  remplissant  les 
fonctions  4fc  serviteur  des  affligés. 
On  ignore  l'époque  de  sa  mort.  Il  est 
auteur  d'un  opuscule  très-rare ,  in- 
titulé :  Des  secrets  souverains  et 
vrais  remèdes  contre  la  peste , 
livres  deux ,  Lyon ,  Stratius ,  1 58i , 
in  -  8°.  de  187  pages.  C'est  un 
recueil  de  recettes  vulgaires.  L'au- 
teur définit  la  peste  une  vapeur 
produite  par  l'horrible  conjonction 
des  planètes ,  comme  de  Mars  el  de 
Saturne  ,  ou  par  tremblement  de 
terre.  Il  conseille  (p.  62)  à  toutes 
personnes  qui  se  trouvent  dans  une 
ville  infectée ,  de  manger  ,  avant  de 
sortir  j  une  rôtie  trempée  en  bon 
vin ,  et  saupoudrée  de  gentiane.  C'est 
là,  dit-il,  de  quoi  je  me  suis  évité 
la  peste  régnant  à  Dole  en  1 58o ,  et 
m'en  suis  bien  trouvé.  Mais  de  tous 
les  remèdes  qu'il  indique ,  le  meil- 


YEA 

leur  à  son  avis  est  l'urine  :  prise  in- 
térieurement ,  dit-il  (  p.  67  ) ,  elle  a 
telle  vertu,  qu'elle  ne  permet  jamais 
aucun  poison  à  l'entour  des  parties 
nobles  du  corps:  car  c'est  la  maîtres- 
se-garde d'icelles.  Brief ,  elle  réussit 
contre  toutes  les  maladies  du  corps. 
Ydelez  en  avait  fait  lui-même  l'é- 
preuve ,  ayant  été  atteint  de  la  fiè- 
vre pestilentielle,  et  non  pas  em- 
poisonné par  ses  ennemis,  comme 
le  dit  le  Dict.  universel.  W — s. 
YEARSLEY  (mistriss  Anna), 
Anglaise ,  était  fille  d'une  laitière  de- 
meurant à  Clifton,  près  de  Bristol. 
On  pense  aisément  que  son  éducation 
fut  négligée.  Cependant  son  frère  lui 
ayant  enseigné  à  lire  et  à  écrire  ,  elle 
nourrissait  son  esprit  par  la  lecture 
de  quelques  livres ,  heureusement 
bien  choisis.  Les  Nuits  d'Young , 
!e  Paradis  perdu  ,  la  Lettre  d'Hé- 
loïse,  par  Pope,  quelques  drames  de 
Shakespeare,  une  traduction  des 
Géorgiques  ,  composèrent  d'abord  , 
avec  la  Bible  ,  tout  le  fonds  de  sa  lit- 
térature. Mariée  de  bonne  heure  ,  elle 
eut ,  en  sept  années ,  six  enfants.  Elle 
était  enceinte  d'un  septième  ,  et  par 
l'effet  de  malheurs  multipliés  ,  se 
trouvait  presque  dénuée  de  moyens 
d'existence,  lorsqu'un  homme  bien- 
faisant vint  alléger  son  infortune. 
Mais  ce  secours  inespéré  devint  fa- 
tal à  sa  mère ,  qui ,  infirme ,  épuisée 
par  des  privations ,  ne  put  soutenir 
la  joie  qu'elle  ressentit  en  ce  moment. 
Anna  continua  d'aller  vendre  du  lait 
de  porte  en  porte  dans  les  rues  de 
Bristol.  Dans  ses  instants  de  loisir, 
elle  exhalait  en  vers  incorrects,  mais 
pleins  de  poésie  ,  le  sentiment  de  ses 
peines.  Anna  Yearsley  avait  alors 
vingt-huit  ans;  elle  ne  connaissait 
pas  une  règle  de  la  grammaire ,  et 
n'avait  jamais  ouvert  un  dictionnai- 
re. Miss  Hanna  More ,  auteur  de  plu- 


I 


YEA 

sieurs  ouvrages  estime's ,  vit  quelques 
fragments  des  poèmes  de  la  laitière  , 
et  fut  frappée  de  ce  talent  inculte. 
Elle  l'engagea  à  réunir  pour  l'im- 
pression les  divers  morceaux  qu'elle 
avait  composes;  et,  par  des  démar- 
clies  auprès  de  ses  amis  et  de  ses  opu- 
lentes connaissances  ,  obtint, pour  le 
recueil  projeté ,  au-delà  de  raille  sous- 
criptions. Un  premier  volume,  in-4"., 
parut,  en  1785  ,  sous  le  titre  de  Poè- 
mes sur  divers  sujets ,  par  Anna 
Yearsley ,  laitière  de  Bristol ,  pré- 
cédés d'une  lettre  de  miss  More  à  mis- 
triss  Montagne  ,  auteur  de  V Essai 
sur  Shakespeare.  On  y  trouve  de 
l'originalité  dans  la  pensée  et  dans 
l'expression ,  un  style  fertile  en  ima- 
ges; quelquefois  de  l'obscurité, mais, 
ce  qui  est  remarquable ,  un  goût 
constamment  pur.  La  couleur  des 
pensées  se  ressentait  de  la  situation 
de  l'auteur  et  de  la  perte  douloureuse 
qu'elle  venait  d'éprouver.  Elle  revient 
fréquemment  sur  ce  triste  sujet.  Un 
second  volume  de  ses  poésies  parut 
en  1787.  On  lit,  dans  la  préface, 
qu'elle  eut  à  se  justifier  du  repro- 
che d'ingratitude  envers  ses  bienfai- 
teurs ;  elle  le  repousse  avec  la  vi- 
vacité d'un  bon  cœur  et  l'énergie  d'un 
poète  oiTensé.  L'année  suivante  vit 
paraître  son  Poème  sur  Vinhuma- 
nité  du  commerce  des  esclaves ,  où 
son  indignation  s'exprime  sans  mé- 
nagement. En  1791  ,  son  talent  s'es- 
saya dans  un  nouveau  genre  de  litté- 
rature, en  produisant  une  tragédie 
intitulée  le  Comte  Godwin,  drame 
historique  C'était  une  double  singu- 
larité qu'une  tragédie  sans  amour , 
écrite  par  une  femme  née  dans  la  plus 
humble  classe.  Elle  fut  représentée  sur 
le  théâtre  de  Bristol ,  avec  quelque 
succès.  On  y  reconnut  une  imitation 
de  Shakespeare  quelquefois  assez  heu- 
reuse. Miss  Yearsley  a  publié  depuis 


YEL  459 

quelques  autres  écrits,  notamment  les 
Augustes  captifs ,  fragment  d'his- 
toire secrète ,  copié  d'après  un  an- 
cien manuscrit,  ^79^?  ^  ^ol.  in- 12 
(tiré  de  l'histoire  du  Masque  de  fer)  ; 
la  Ljre  champêtre ^  recueil  de  poé- 
sies, 1796,  in -4^.;  Poésies,  1796  , 
3  vol.  Elle  mourut  à  Melkham,  le 
8  mai  1H06.  L. 

YEBRA  (Melchior  de),  reli- 
gieux de  l'ordre  des  frères  mineurs 
de  Castille  ,  mort  vers  la  fin  du  sei- 
zième siècle ,  se  distingua  par  sa 
piété,  et  composa  un  ouvrage  esti- 
mé ,  de  morale  religieuse ,  en  espa- 
gnol ,  sous  ce  titre  :  Befugium  in- 
firmorum  ,  en  el  quai  se  contienen 
muchos  avisos  espirituales  para  so- 
corro  de  los  ajligidos  enfermos  ,  y 
para  ajudar  a  bien  morir  a  los  que 
estan  a  lo  ultimo  de  su  vida  ,  im- 
primé après  la  mort  de  l'auteur  , 
Madrid  ,  1596,  in-S».  V — g — r. 

YELIU-ÏHSOU-THSAI,  surnom- 
mé Tsin-khing,  célèbre  ministre  au 
service  des  premiers  princes  de  la  fa- 
mille de  Tchingkis-khan ,  descendait, 
à  la  huitième  génération  ,  de  Thou- 
yo ,  prince  de  la  race  des  Khitans  ou 
Liao,  dans  le  pays  qu'on  nomme 
Liaoîoun2;il  était  fils  d'un  minis- 
tre ,  vice-chancelier  des  rois  delClP, 
ou  de  la  dynastie  d'Or^  et  il  naquit 
le  20  de  la  i^*^.  lune,  en  1 190,  dans 
le  pays  de  Y^an.  Son  père  était  âgé 
de  soixante  ans ,  quand  un  fils  lui  fut 
donné;  et  comme  il  jugea  ,  d'après 
certains  présages,  que  ce  fils  rendrait 
un  jour  d'importants  services  à  des 
princes  étrangers,  il  lui  fit  prendre 
le  nom  de  Thsou-thsaï  et  le  surnom 
de  Tsin-king ,  par  une  double  allu- 
sion à  un  passage  de  la  chronique  de 
Tso-khieou-ming  ,  qui  rappelait  une 
circonstance  de  la  même  nature. 
Thsou-thsaï  perdit  son  père  à  l'âge 
de  trois  ans;  mais  sa  mère  Yang-chi 


46o 


YEL 


pourvut  si  bien  à  son  éducation, 
qu'il  surpassa  bientôt  les  jeunes  gens 
2)lus  à'^és  que  lui,  par  la  connaissan- 
ce qu'il  acquit  de  toutes  sortes  de  li- 
vres, et  notamment  de  ceux  qui  trai- 
taient d'astronomie ,  de  géographie , 
du  calendrier  et  de  l'arithmétique. 
Ces  études  le  conduisirent  à  penser 
que  la  marche  des  planètes  était 
mieux  connue  dans  les  pays  occiden- 
taux qu'à  la  Chine,  et  il  composa  en 
conséquence,  sous  le  nom  de  Matha- 
pa  y  des  tables  conformes  au  système 
des'ïartares  musulmans.  Vers  l'an 
1  SI  1 3 ,  il  obtint  un  premier  emploi , 
qu'il  quitta  ensuite  pour  la  charge 
de  gouverneur  de  Yan-king  (  Peking). 
Lorsque  Tchingkis-khan  se  fut  em- 
paré de  cette  ville,  il  appela  à  lui  les 
princes  de  la  famille  des  Khitans, 
entre  autres  Thsou-thsaï.  Quand  ce- 
lui-ci lui  fut  présenté,  le  conquérant, 
frappé  de  sa  taille  avantageuse,  de 
sa  belle  barbe,  et  de  sa  voix  sonore, 
lui  dit  :  «  Les  Kin  étaient  ennemis 
0  des  Khitans ,  et  c'est  vous  que  je 
»  suis  venu  venger.  »  —  «  Mon  pè- 
»  re ,  mes  aïeux  et  moi  -  même ,  ré- 
»  pondit  Thsou-thsaï  ,  nous  avons 
»  toujours  été  au  service  des  Kin  : 
»  peut-on  être  l'ennemi  de  son  prin- 
»||e  et  de  son  père  ?  »  ïchingkis 
goûta  sa  réponse ,  et  le  retint  par- 
mi les  gens  de  sa  suite.  En  i2ig,  à 
la  6e.  lune,  en  été,  Tchingkis  partit 
pour  aller  conquérir  le  pays  des 
Tartares  musulmans  ou  le  Kharisme. 
Le  jour  même  où  se  célébrait  le  sa- 
crifice du  départ ,  il  tomba  de  la  nei- 
ge jusqu'à  une  épaisseur  de  trois 
pieds.  Tchingkis  parut  irrésolu  ,  et 
consulta  Thsou-thsaï  :  «  Cette  pré- 
»  dominance  de  l'influence  du  dieu 
w  des  eaux  sur  la  température  habi- 
»  tuelle  de  l'été  est ,  dit-il ,  un  gage 
»  assuré  de  la  victoire.  »  L'année 
suivante,  en  hiver  ,  il  y  eut  un  grand 


YEL 

bruit  de  tonnerre  ,  et  on  interrogea 
de  nouveau  Thsou-thsaï  :  il  répondit 
que  ce  phénomène  présageait  la  mort 
du  roi  de  Kharizme  :  ces  deux  pré- 
dictions furent  également  vérifiées 
par  l'événement.  11  y  avait  à  la  cour 
un  Tangutain  qui  avait  gagné  les 
bonnes  grâces  de  l'empereur  par  son 
habileté  dans  l'art  de  fabriquer  des 
arcs.  Cet  homme ,  fier  de  la  faveur 
dont  il  jouissait,  demandait  souvent 
à  quoi,  chez  une  nation  toute  guer- 
rière, pouvait  être  bon  un  lettré 
comme  Yeliu.  «  On  a  besoin  d'où- 
»  vriers  pour  fabriquer  des  arcs,ré- 
»  pliqua  Thsou-thsaï;  mais  s'il  s'a- 
»  git  du  gouvernement  des  empires , 
»  comment  se  passerait-on  des  ou- 
»  vriers  qui  en  connaissent  le  manie- 
»  ment?  »  L'empereur  apprit  cette 
réponse,  l'approuva  beaucoup^  et 
de  ce  moment  il  employa  plus  que 
jamais  celui  qui  l'avait  faite.  Les 
Mongols,  depuis  le  commencemeni 
de  leur  puissance  ,  n'avaient  pas  en 
core  songé  à  se  donner  une  astrono* 
mie.  Des  gens  venus  de  l'occiden 
présentèrent  à  Tchingkis  un  calen 
drier,d'aprèslequel  il  devait  y  avoir 
à  la  5«.  lune ,  la  nuit  de  l'opposition 
une  éclipse  de  lune  :  «  Il  n'y  en  aurj 
»  pas  ,  dit  Thsou-thsaï,  »  et  effecti- 
vement l'éclipsé  annoncée  n'eut  pai 
lieu.  L'année  suivante,  à  la  lo^.  lu 
ne,  Thsou-thsaï  prédit  une  éclipse 
de  lune  :  les  astronomes  occidentaus 
assurèrent  qu'il  n'y  en  aurait  pas,  e1 
cependant  au  temps  fixé  la  lune  fui 
éclipséedehuitdixièmes.Cefut,seloi 
quelques  historiens,  au  retour  de  l'ex 
pédition  d'occident ,  que  Thsou-thsà 
composa  les  tables  de  l'an  1 2 1  o_,  qu'i 
offrit  à  l'empereur.  D'autres  récit 
jettent  des  doutes  sur  la  réalité  des  pré 
dictions  d'éclipsés  faites  par  Thsou- 
thsaï,  en  donnant  à  entendre  qu( 
puisque  jusque-là  il  s'était  servi  de 


à 


* 


YEL 

taLles  composées  sous  les  Kin  pour 
le  climat  du  nord  de  la  Chine  ,  lui 
qui  se  trouvait  alors  dans  la  ville  de 
Tlîsinssekan ,  en  Boukliarie,  ne  pou- 
vait annoncer  le  moment  des  éclip- 
ses, sans  tenir  compte  de  la  distance 
des  lieux  et  de  la  différence  en  heu- 
res qui  y  correspond.  En  1 222  ,  à 
la  8*^.  lune  ,  une  longue  traînée  de  lu- 
mière se  montra  du  côté  de  l'occi- 
dent :  «  Les  Joutchi  vont  changer  de 
»  maître,»  ditThsou-thsaïjct  efïéc- 
tivement,  leur  prince  Siouan-tsoung 
ne  tarda  pas  à  mourir.  Toutes  les 
fois  que  Tchingkis  entreprenait  une 
expédition  ,  il  avait  soin  de  consulter 
Thsou-thsaï,  et  lui-même,  prati- 
quant un  ancien  usage  mongol ,  em- 
ployait les  présages  tirés  d'une  omo- 
plate de  mouton  torréfiée,  pour  con- 
trôler les  opérationsde  Thsou-thsaï, 
avant  d'en  faire  la  règle  de  sa  con- 
duite. L'an  1 224  7  Tchingkis  porta 
ses  armes  jusque  chez  les  Hindous 
orientaux.  Comme  ses  troupes  étaient 
arrêtées  au  défilé  de  la  Porte  de  Fer, 
il  y  vit  un  animal  semblable  à  un 
cerf,  avec  une  queue  de  cheval ,  le 
corps  vert  et  la  tête  armée  d'une 
corne  unique,  animal  merveilleux, 
doué  de  la  faculté  d'imiter  la  voix 
humaine ,  et  qui  cria  aux  gardes  de 
l'empereur  ;  «  Que  votre  maître  se 
»  retire  au  plus  vite  I  »  Tchingkis  , 
étonné  de  ce  prodige ,  consulta  Thsou- 
thsai,  qui  lui  répondit  :  a  Cet  ani- 
»  mal  merveilleux  se  nomme  Kio- 
»  touan  ;  il  entend  les  langues  de  tou- 
»  tes  les  parties  du  monde.  Il  aime 
y>  les  êtres  vivants  ,  et  il  a  horreur  du 
»  carnage.  Son  apparition  a  pour 
»  objet  d'avertir  V.  M.  Vous  êtes  , 
»  prince,  le  fils  aîné  du  ciel,  mais 
»  les  peuples  sont  aiissi  vos  enfants , 
»  et  ils  attendent  de  voms  les  senti- 
»  racnts  que  le  ciel  inspire  pour  leur 
»  salut...  »  L'empereur  ,  sur  cet  avis_, 


YEL 


4Cn 


fît  rentrer  son  armée.  Deux  ans  après 
cette  expédition,  l'armée  mongole  fut 
attaquée  par  une  violente  épidémie. 
Les  généraux  n'avaient  pensé  qu'à 
amasser  de  l'or  et  des  étoffes.  Thsou- 
thsaï  lui  seul  s'était  borné  à  recueil- 
lir des  livres  ;  et,  entre  autres  produc- 
tions naturelles,  une  certaine  quanti- 
té de  rhubarbe  ,  drogue  dont  il  con- 
naissait la  propriété.  Il  en  fît  usage 
en  cette  occasion ,  et  le  nombre  de 
ceux  qui  durent  la  santé  à  la  rhubar- 
be fut  de  plus  de  dix  mille.  Jusqu'à 
cette  époque  ,  Tchingkis  qui  avait 
passé  sa  vie  dans  les  camps ,  tout  en- 
tier à  ses  expéditions  dans  les  con- 
trées occidentales ,  n'avait  pas  eu  le 
temps  de  songer  à  établir  dans  cha- 
que district  des  magistrats  et  des  ju- 
ges :  la  vie  et  la  mort  avaient  dépen- 
du du  caprice  et  des  passions  des 
hommes  puissants.  Il  y  avait  à  Yan- 
king  un  général  d'un  caractère  cruel 
et  sanguinaire,  qui  avait  jonché  de 
cadavres  tous  les  lieux  publics.  A 
cette  nouvelle  _,  Thsou-thsaï  ne  put 
retenir  ses  larmes;  il  alla  trouver 
l'empereur ,  et ,  à  force  de  représen- 
tations ,  il  obtint  de  lui  qu'à  l'avenir 
le  pouvoir  ne  serait  exercé  que  par 
ceux  qui  auraient  reçu  une  patente  ; 
que  les  coupables  attendraient  en  pri- 
son le  sort  qu'ils  auraient  mérité,  et 
que  ceux  qui  enfreindraient  ces  dis- 

Ïiositions  seraient  punis  de  mort.  Par 
à ,  dit  un  auteur  chinois  ,  le  vent  du 
carnage  commença  à  s'arrêter.  On 
voyait  alors  dans  le  pays  de  Yan  un 
grand  nombre  de  brigands,  qui,  même 
avant  la  nuit,  enlevaient  les  bœufs  et 
les  chars ,  marquaient  les  maisons 
opulentes  qu'ils  avaient  intention  de 
piller,  et  faisaient  périr  ceux  qui 
leur  résistaient.  Thsou-thsaï ,  s'étant 
fait  donner  leurs  noms,  reconnut  que 
c'étaient  des  parents  du  dernier 
gouverneur,  ou  des  gens  dans  sa  dé- 


/l6-i 


YEL 


pcndaiice.  Il  les  fit  arrêter  tous  ,  et 
ordonna  que  les  plus  criicls  eussent 
la  tcte  traucliec  sur  la  place  publi- 
que. De  cet  instant ,  les  peuples  de 
Yan  commencèrent  à  goûter  quelque 
repos.  En   i^'iQ,   Ogodaï  ,   fils  de 
Tcliingkis ,  succéda  à  son  père.  Le 
jour    fixé   pour  son   couronnement 
était  le  11  de  la  8°.  lune.  Les  prin- 
ces,  assemblés  dans  cette  circons- 
tance ,n'avaientpas  pris  leur  derniè- 
re détermination  :  ïouli ,  autre  lils 
de  Tcliingkis ,  alors  chargé  du  com- 
mandement, consulta  Tlisou-tlisaï  : 
a  Tout  n'est  pas  encore  prêt ,  lui  dit- 
»  il.  Ne  conviendrait-il  pas  de  remet- 
î)  tre  la  cérémonie  à  un  autre  jour? 
))  —  Passé  celui-ci,  répondit  le  mi- 
»  nistre  fidèle,  il  n'y  aura  plus  de 
»  jour  heureux  pour  la  faire.  »  Et, 
sur-le-champ,  il  prit  sa  place  à  côté 
d'Ogodaï ,  en  l'engageant  à  monter 
sur  le  trône  à  l'instant  même.  Puis, 
s'adressant  àTchakhataï,  qu'on  avait 
un  instant   pensé   à   élever   à  l'em- 
pire :  «  Prince,  lui  dit-il,  vous  êtes 
»  l'aîné,  mais  en  même  temps  vous 
))  êtes  sujet.  Voici  le  moment  de  se 
»  prosterner  devant  l'empereur.  Don- 
»  nez  l'exemple ,  et  personne  n'osera 
»  refuser  de  le  suivre.  »   Tchakha- 
taï  se  rendit  à  cet  avis,  et  dans  le 
même  moment  _,  tous    les  princes , 
les  dignitaires,  les  courtisans  se  pros- 
ternèrent devant  la  tente  impériale. 
C'est  dans  cette  occasion  importan- 
te, et,  comme  on  voit 3  par  l'influen- 
ce de  Yeliu-thsou-thsaï  ,  que  prit  son 
origine  une  cérémonie  qui  fut  depuis 
répétée  au  couronnement  des  empe- 
reurs mongols ,  et  qui  attirait  un  con- 
cours immense  d'étrangers,  parmi 
lesquels  on  sait   qu'il    s'est   trouvé 
quelquefois   jusqu'à   des  Européens 
envoyés  par  les  princes  d'occident. 
A  l'époque  de  l'avènement  d'Ogodaï , 
les   peuples  étaient  livrés  à   toutes 


YEL 

sortes  de  désordres  ,  et  l'empire  n'a- 
vait pas  de  lois  pour  les  réprimer. 
Thsou-thsaï  fut  le  premier  qui  récla- 
ma des  règlements  pour  remédier  à 
ces  maux.  11  voulut  que  les  habitants 
eussent  des  magistrats  pour  protéger 
leurs  personnes  et  leurs  biens ,  et  qu'il 
fût  institué  des  officiers  pour  veiller 
à  la  conservation  des  richesses  de 
l'état  •  que  ceux  qui ,  sans  mission  du 
gouvernement ,  se  permettraient  des 
actes  d'autorité,  ou  qui  dissiperaient 
les  revenus  publics ,   fussent  punis  ; 
que  tout  Mongol ,  Tartare ,  Tibétain 
ou  autre ,  dont  les  .terres  cultivées 
n'auraient  pas  payé  le  tribut ,  encou- 
rût un  châtiment;  que  tout  officier 
pris  en  malversation   fût  puni   de 
mort.  Ces  règlements  portaient  sur 
dix-huit  chefs  principaux;  ils  furent 
tous  adoptés  par  l'empereur.  Au  mo- 
ment oi^iTchingkis  était revenude  son 
expédition  d'occident,  Yeliu-thsou- 
thsaï  avait  eu  occasion  de  rendre  aux 
peuples  de  la  Chine  un  service  enco- 
re plus  important.  Les  greniers  se 
trouvaient  vides    :   on   n'avait  pas 
un  boisseau  de  grain,  ni  une  piè- 
ce d'étoffe.  Il  fut  alors   représenté 
dans  le  conseil  que  les  Chinois  n'é- 
taient d'aucune  utilité  pour  le  servi- 
ce de  l'état ,  et  qu'en  exterminant 
toute  la   population  des   provinces 
conquises  ,  on  ferait   de   ces  pays 
d'excellents  ^pâturages  ,  qui  seraient 
du  plus  grand  secours.  Thsou-thsaï 
seul  peut-être  pouvait  faire   rejeter 
cette  épouvantable  proposition.  Il  fit 
remarquer  à  l'empereur  qu'en  s'a- 
vançant  vers  le  midi  de  la  Chine  ses 
armées  auraient  besoin  d'une  infini- 
té de  choses  qu'il  serait  aisé  de  se 
procurer ,  si  l'on  voulait  asseoir  sur 
une  base  équitable  les  contributions 
territoriales  et  les  taxes  commercia- 
les, l'impôt  sur  le  sel,  le  fer,  le  vin, 
le  vinaigre,  le  produit  des  monta- 


I 


YEL 

gties  et  des  lacs  ;  que  de  celte  maniè- 
re on  pourrait  retirer  par  an  cinq 
cent  mille  onces  d'argent,  quatre- 
vingt  mille  pièces  d'étoffes  ,  plus  de 
quarante  mille  quintaux  de  grain, 
en  un  mot,  tout  ce  qui  serait  néces- 
saire à  l'entretien  des  troupes.  «  Com- 
)>  ment,  ajouta  -  t-il,  peut  -  on 
»  dire  qu'une  telle  population  ne 
»  soit  d'aucune  utilité'  pour  le  service 
»  de  l'état?  »  La  philosophie  aurait 
pu  fournir  des  raisons  plus  éloquen- 
tes contre  un  projet  d'une  barbarie 
extravagante  :  mais  il  était  diillcile 
d'en  trouver  de  plus  propres  à  faire 
impression  sur  l'esprit  des  Mon- 
gols; et,  si  l'on  pouvait  estimer  numé- 
riquement les  services  rendus  à  l'hu- 
manité, on  devrait  peut-être  accor- 
der à  Yeliu  -  tlisou  -  thsaï  la  gloire 
d'avoir  sauvé  la  vie  au  plus  grand 
nombre  d'hommes;  car  il  ne  faut 
pas  oublier  qu'il  s'agissait  du  mas- 
sacre de  plusieurs  millions  de  Chi- 
nois ;  et  ce  que  les  Mongols  firent  ail- 
leurs prouve  qu'ils  étaient  gens  à 
l'entreprendre  et  à  en  venir  à  bout. 
La  province  de  Yan-king  dut  son  sa- 
lut à  son  gouverneur  ;  et  depuis  ce 
temps  elle  fut,  ainsi  que  dix  autres 
provinces,  administrée  selon  les  prin- 
cipes d'ordre  et  d'équité  qu'il  avait 
su  inspirer  aux  conquérants ,  et  par 
des  lettrés  qu'd  avait  recommandés. 
En  i23i  j  à  l'automne  ^  ces  provin- 
ces avaient  fourni  exactement  leur 
contingent  de  grains.  L'or  et  les  étof- 
fes avaient  été  rangés  dans  les  salles 
du  palais.  L'empereur  fut  satisfait 
de  ce  résultat,  et  dit  à  Thsou-thsaï  : 
«  C'est  vous  qui  sans  sortir  d'auprès 
))  de  moi,  savez  amasser  ainsi  des 
M  trésors  d'argent  monnayé  et  d'é- 
»  toffes.  »  A  cette  occasion ,  il  le  créa 
vice- chancelier,  avec  ordre  d'exami- 
ner le  premier  toutes  les  affaires ,  de 
quelque  importance  qu'elles  fussent. 


YEL 


4G3 


Tchin-haï  et  Nian-ho-tchoung-chan 
furent  nommés  ministres  d'état  pour 
l'assister.  Mais  les  hommes  puissants 
et  les  courtisans  en  crédit  ne  purent 
se  plier  aux  règles  qu'il  avait  éta- 
blies ;  et  il  y  eut  un  certain  Hiante- 
pou  qui ,  nourrissant  un  vieux  res- 
sentiment contre  Thsou -thsaï  ,  l'ac- 
cusa auprès  desprincesd'user  de  par- 
tialité en  faveur  des  siens  ,  et  de  mé- 
diter quelque  trahison ,  demandant 
qu'il  fût  puni  de  mort.  Les  princes 
transmirent  cettedénonciation  à  l'em- 
pereur, qui  n'en  tint  aucun  compte; 
et  Hiantepou  fut  blâmé  généralement. 
L'empereur  voulait  que  Thsou-thsaï 
le  mît  lui-même  en  jugement.  «  Cet 
»  homme,  dit  le  ministre,  est  un 
»  présomptueux ,  qui  accueille  toutes 
»  sortes  de  calomnies.  Nous  avons  au- 
»  jourd'hui  beaucoup  d'affaires  des 
»  contrées  du  midi  :  il  sera  temps  de 
»  nous  occuper  de  lui  quelque  autre 
»  jour.  »  Ogodaï  ne  put  s'empêcher 
de  louer  la  générosité  de  son  minis- 
tre et  l'indifférence  qu'il  montrait 
pour  ses  ennemis  personnels.  Un  sei- 
gneur, nommé  Khosse-bouga,  avait 
proposé  de  rassembler  des  ouvriers 
en  or  et  en  argent,  des  laboureurs 
des  contrées  occidentales,  et  notam- 
ment des  familles  de  gens  qui  sussent 
planter  la  vigne.  L'empereur,  goû- 
tant ce  projet,  avait  assigné,  près 
d'une  de  ses  capitales  ,  un  lieu  où 
l'on  avait  transporté  plus  de  dix 
mille  familles.  Mais  Thsou-thsaï  fut 
d'une  autre  opinion.  «  Ceux  que  les  an- 
»  ciens empereurs,  dit-il, appelaient 
»  à  eux  étaient  des  hommes  simples, 
»  et  non  de  ces  étrangers  qu'il  faut  à 
»  tout  prix  satisfaire.  D'ailleurs  il 
»  n'est  pas  bon  de  commencer  de  ces 
»  sortes  d'entreprises  qu'on  est  ensui- 
w  te  obligéde  laisser  tomber.  «Ogodaï, 
partant  pour  la  conquête  de  la  Chi- 
ne ,  et  prêt  à  passer  le  fleuve  Jaune , 


464  YEL 

annonça,  par  une  proclamation,  que 
ceux  des  habitants  fugitifs  qui  vien- 
draient se  soumettre  auraient  la  vie 
sauve.  Thsou-thsaï  proposa  de  faire 
faire  quelques  centaines  de  bannières, 
qu'on  distribuerait  à  ces  troupes  de 
fugitifs,  afin  qu'ils  pussent  retourner 
rn  sûreté  dans  leur  lieu  natal.  Au 
commencement ,  quand  les  Mongols 
attaquaient  une  ville ,  un  seul  coup 
de  flèclie  décidait  de  la  vie  des  ha- 
bitants j  car  lorsque  la  ville  était  pri- 
se, on  ne  manquait  pas  de  les   met- 
tre tous  à  mort.   La  ville  de  Pian 
(Khaï-fomig)  étant  sur  le  point  de 
succomber ,  le    général  Soupoutaï , 
qui    en   faisait    le    siège ,   annonça 
à  la  cour  que  depuis  bien  des  jours 
les   assiégés    résistaient  à    son  ar- 
mée, et   qu'il   se  proposait  de  les 
exterminer  tous.  A  cette  nouvelle, 
Thsou  -ihsaï  se  rendit  (n  hâte  à  la 
cour,  et  représenta  que  la  férocité 
du  général  se  faisait  voir  dans  une 
pareille  résolution.  «  Ce  qu'on  cher- 
»  che  depuis  dix  ans  par  tant  de 
•»  combats ,  ajouta-t-il ,  ce  pays  qu'on 
»  veut  conquérir  ,  c'est  le  peuple  qui 
î)  l'habite  qui  en  fait  le  prix.  Si  on 
»  obtient  le  pays  sans   le  peuple , 
»  quelle  utilité  en  pourra- 1 -on  reti- 
»  rer?  »  L'empereur  hésitait  à  lui 
accorder  sa  demande  •  mais  il  insis- 
ta :  «  Que  d'habiles  artisans  de  toute 
»  espèce,  s'écria-t-il ,  que  de  riches- 
î)  ses  accumulées  dans  les  maisons 
«  de  cette  ville ,  que  de  trésors  vont 
»  périr ,  si  vous  n'en  sauvez  les  ha- 
»  bitants!  );  Ogodaï  se  rendit  à  la  fin 
à  ces  représentations  :  on  pardonna 
aux  assiégés  ;  et  le  nombre  de  ceux 
qui  furent  sauvés  de  cette  manière 
est  porté  à  un  million  quatre  cent  soi- 
xante-dix mille  familles  ,   nombre 
énorme ,  et  qui  pourrait  sembler  in- 
croyable ,  si  l'on  ne  savait  que  la  ter- 
reur inspirée  par  les  Mongols  avait 


lit 


YEL 

engagé  la  plupart  des  habitants  du 
Ho-nan  à  se  réfugier  dans  la  vaste 
enceinte  de  Khaï-  foung.  Le  nombre 
des  prisonniers  qui  furent  faits  dans 
cette   expédition   du.  Ho  -  nan  était 
très-considérable  ;    mais    on  comp- 
tait dix -huit  corps  de  troupes  de 
cette   province   qui  avaient  pris  la 
fuite.  Ogodai  ordonna  de  poursuivre 
ces  fugitifs  ,  et,  toutes  les  fois  qu'on 
les  pourrait  prendre,   de  les  faire 
mourir ,  eux  ,  leurs  familles  et  ceux! 
qui  leur  auraient  donné  asile.  De  cet-, 
te  manière  beaucoup  de  fugitifs  fu- 
rent réduits  à  mourir  de  faim  sur  h 
routes.  Touché  de  tant  de  calamités, 
Thsou-thsaï  alla  trouver  l'empereur  J 
et  lui  représenta  que  puisque  le  Ho- 
nan  était  maintenant  soumis,  les  ha- 
bitants étaient  devenus  ses  enfants. 
«  Oi^i  peuvent-ils  fuir?  ajouta  t-il,  et 
»  que  sert ,  pour  un  seul  homme  fai 
»  prisonnier,  d'en  mettre  à  mort  des 
»  dixainesetdes  centaines?»  L'empe- 
reur se  rendit  à  ces  raisons,  et  relirj 
son  décret.  La  chute  de  la  dynastù 
d"  Or  venait  d'être  consommée  ;  et  i 
n'y  avaitplus qu'une  vingtaine  dédis 
tricts  qui  résistassent  encore.  Thsou 
thsaï  soutint  que  la  crainte  seule  avai 
peuplé  ces  districts  de  fugitifs  qui  re 
doutaient  la  mort,  et  qu'ils  se  sou 
mettraient  à  l'instant  si  on  leur  pro 
mettait  de  ne  pas   les  exterminer 
Ogodaï  suivit  le  conseil  de  son  minis 
tre ,  et  en  vit  immédiatement  les  bon 
effets.  Un  dénombrement  général  dei 
habitants  de  la  Chine  septentrional^ 
fut  ordonné  en  i'234.  Tous  les  minis 
très  étaient  d'avis  qu'il  devait  ctr« 
fait  par  individus.   Thsou-thsaï  s'j 
opposa ,  et  prouva  qu'il  valait  mieuî 
le  faire  par  familles,  afin  que  les  im 
pots  ne  souffrissent  pas  de  déficit 
le  chef  de  famille  était  du  nombr 
des  fugitifs  ;  mais  sa  véritable  raiso) 
pour  insister  sur  ce  point  était  qu 


YEL 

par  un  brigandage  fort  commun  alors, 
les  généraux  et  tous  les  hommes  en 
place  enlevaient  et  faisaient  escla- 
ves les  habitants  des  districts  voisins . 
En  établissant  un  état  de  toutes  les 
familles  et  du  nombre  des  membres 
qui  les  composaient,  un  tel  abus  de- 
venait impossible ,  ou  s'il  se  repro- 
duisait ,  ceux  qui  en  seraient  recon- 
nus coupables  devaient  être  punis  de 
mort.  A  la  même  époque ,  le  conseil 
suprême  proposa  d'envoyer  de  pré- 
férence les  troupes  turques  contre  le 
Kiang-nan,  et  de  faiieservirles  trou- 
pes chinoises  dans  les  expéditions  en 
Tartarie.ïhsou-lhsaï  combattit  celte 
proposition.  Ildémontra  que  la  Glii- 
ne  et  les  contrées  d'Occident  étaient 
séparées  par  une  si  grande  distance, 
qu'elles  n'avaient  rien  à  démêler  en- 
semble; que  les  hommes  et  les  che- 
vaux ne  pourraient  supporter  une 
aussi  grande  fatigue,  non  plus  que  la 
diirérence  des  eaux,  des  productions, 
des  climats ,  qui  leur  causerait  des 
maladies  mortelles,  et  qu'il  valait 
mieux  employer  chaque  peuple  aux 
entreprises  pour  lesquelles  il  était 
comme  destiné  par  la  nature.  On  tint 
une  grande  assemblée  de  tous  les 
princes,  au  printemps  de  l'an  ii36. 
L'empereur  ,  au  milieu  du  festin , 
prenant  un  vase  à  vin,  le  donna  à 
Thsou-thsaï,  en  disant  :  a  Sans  ce 
»  ministre ,  la  Chine  ne  serait  pas  à 
»  nous  ;  mais  aujourd'hui  même  on 
»  m'a  proposé  de  créer  un  papier- 
»  monnaie.  —  Di;  temps  de  Tchang- 
»  tsoung  ,  de  la  dynastie  d'Or,  reprit 
»  ïhsou  -  thsaï ,  on  a  commencé  à 
»  mettre  du  papier  en  circulation, 
»  concurremment  avec  la  monnaie. 
»  Il  y  avait  alors  un  ministre  qui  ga- 
»  gna  beaucoup  dans  l'émission  de 
»  ce  papier  ;  et  le  surnom  de  Sei- 
»  gneur  ~  Billet  lui  en  est  resté.  Les 
»  choses  en  vinrent   au  pomt    que 

LI. 


YEL 


46: 


»  pour  dix  mille  billets  on  ne  pou- 
»  vait  acheter  qu'un  gâteau.  Le  peu- 
»  pie  souffrit  beaucoup  ,  et  l'état  fut 
))  ruiné.  C'est  un  exemple  qu'il  faut 
»  avoir  devant  les  yeux.  Si  l'on  frap- 
»  pe  maintenant  du  papier-monnaie, 
»  il  ne  faut  pas  en  émettre  pour  plus 
»  décent  mille  onces  d'argent.  »  Ces 
conseils  judicieux  furent  suivis;  et  il 
ne  tarda  pas  à  s'offrir  une  autre  oc- 
casion,  non  moins  importante,  d'en 
profiter.  L'empereur  avait  formé  le 
projet  départager  les  terres  de  l'em- 
pire entre  les  princes  de  sa  famille  et 
les  autres  grands  personnages  de  sa 
cour.  L'habile  ministre  s'opposa  à 
ce  projet,  qui  eût  fait  naître  en  Chi- 
ne une  nouvelle  féodalité.  11  repré- 
senta que  ces  partages  de  terres  et  de 
ceux  qui  les  cultivent  ne  pouvaient 
que  produire  toutes  sortes  do  mécon- 
tentements ,  et  qu'il  était  bien  plus 
convenable  de  faire  des  largesses  en 
or  et  en  effets. —  «  Ma  parole  est  cn- 
»  gagée  :  que  puis-je  faire?  dit  Ogo- 
»  daï. — Que  V.  M.  ordonne  qu'on  lui 
»  présente  l'état  des  revenus  d'une 
»  année,  etqu'elle  les  distribue.  Vous 
»  épargnerez  au  peuple  toutes  sortes 
»  d'exactions  et  d'abus  de  pouvoir.» 
L'empereur  adopta  ce  plan  et  régla 
dès-lors  que  toutes  les  terres  de  l'em- 
pire et  les  tributs  qu'elles  paieraient 
seraient  partagés  en  trois  classes.  Les 
conseillers  du  monarque  ne  manquè- 
rent pas  de  trouver  que  ces  imposi- 
tions étaient  trop  légères.  «  La  loi 
»  doitêtreéconomc,ditThsou-thsaï  : 
»  l'avarice  n'y  pourvoira  que  trop. 
»  Ces  impositions  sont  trop  pesantes, 
»  si  leur  produit  doit  enrichir  les 
»  hommes  avides.  »  Un  grand,  nom- 
mé Touhouan,  avait  proposé  à  l'em- 
pereur de  réunir  dans  son  ])alais  les 
filles  des  principales  maisons  de  la 
Chine;  et  le  décret  avait  été  rendu. 
Thsou-thsaï  osa  rintercepteretTem- 
3o 


A66 


YKL 


pêcher  d'avoir  son  cxeciUion;p>iis, 
s'adressaiit  à  l'ompereiir  irrité:  «  Dc- 
»  jà,  Ait-il  ,voiis  avez  fait  choix  de 
»  vingt-huit  jcimes  filles  :  ce  nombre 
1)  ii'cst-ilpas  suffisant?  J'ai  craint,  si 
»  vous  vouliez  aller  plus  loin,  cjue  cette 
»  mesure  n'excitât  des  mécontente- 
»  ments  et  n  amenât  même  des  irou- 
»  hles:  tel  a  ëtc  le  motif  de  ma  con- 
»  duite.  »  L'empereur  s'arrêta  long- 
temps à  réfléchir,  et  finit  par  approu- 
ver le  procédé  de  son  ministre  ;  mais 
il  voulut  au  moins  qu'on  rassemblât 
toutes  les  cavales  qui  pourraient  ap- 
partenir aux  peuples  soumis.  Thsou- 
thsai  objectait  que  la  Chine  n'était  pas 
un  pays  riche  en  chevaux.  Le  décret 
ne  laissa  pas  d'être  rendu ,  malgré 
son  opposition,  au  grand  préjudice 
des  habitants  de  l'empire.  11  y  avait 
longtemps  que  les  affaires  étaient 
eu  souifrance  ,  et  Thsou-thsaï  vou- 
lant en  hâter  rex])édition  lit  à  ce 
sujet  des  remontrances  à  Ogodaï. 
«  Quand  on  veut  fabriquer  des  vases, 
»  on  réunitd'habiles  artisans,  lui dit- 
»  il  un  jour.  Pour  la  conduite  des  af- 
»  faires,iln'y  a  que  les  lettrés  qu'on 
»  en  puisse  charger.  Si  l'on  n'em- 
w  ploie  pas  ces  sortes  de  gens,  nous  ne 
»  viendrons  pas  à  bout  en  dix  ans  de 
»  celles  qui  sont  déjà  accumulées.  » 
—  «  Eh  bien  !  dit  l'empereur,  qui 
»  vous  empêche  d'appeler  ces  hom- 
»  mes  aux  emplois  ?  »  Ainsi  fut  ar- 
rêtée ,  sur  la  proposition  d'un  minis- 
tre lettré  lui-même,  une  mesure  qui 
faisait  rentrer  les  vaincus  dans  le 
droit  de  prendre  part  aux  fonctions 
publinues  ,  et  qui ,  par  l'ascendant 
méviîabledu  talent  et  des  lumières^ 
devait  un  jour  détruire  tous  les  effets 
de  la  conquête.  Thsou-tlisaï  fit  bien- 
tôt l'essai  de  son  nouveau  système 
de  gouvernement.  Il  chargea  plu- 
sieurs lettrés  de  parcourir  les  pro- 
vinces et   d'v  établir  des  examens 


Y  EL 

réguliers  sur  le  sens  des  livres  clas- 
siques,  et  sur  l'art  de  composer  ci' 
prose  et  en  vers.  Ceux  mêmes   qui 
avaient  été  faits  prisonniers  et  réduits 
en  esclavage  furent  admis  aux  exa- 
mens ,  et  il  fut  défendu  à  leurs  maî- 
tres ,  sous  peine  de  mort ,  de  les  em- 
pêcher de  s'y  présenter.  Il  y  eut  à 
cette   occasion  quatre   mille  trente 
lettrés  qui  furent  pourvus  d'emplois, 
et  qui  recouvrèrent  en  même  temps 
leurs  biens  et  leurs  familles.  Un  quart 
de  ceux  qui  avaient  été  réduits  à  la 
condition    d'esclaves    fut    rendu  à 
la  liberté.  Les  premières  places  aux- 
quelles on  nomma  des  lettrés,  furent 
celles  de  magistrats  et  de  juges  des 
départements    et  des  districts.    Le 
nombre  des  voleurs  qui  infestaient 
les  provinces  était  alors  si  considé- 
rable,   que    les   relations  commer- 
ciales   étaient   presque   entièrement 
interrompues.  Un  ancien  usage  vou 
lait  que  si  les  voleurs  n'étaient  pj 
arrêtés  dans  le  courant  de  l'année 
valeur  des  objets  dérobés  fût  payi 
par  les  habitants  du  lieu  où  le  cri 
avait  été  commis.  En  pareil  cas  , 
avait  recours  à  mille  expédients  poi 
trouver  de  l'argent,  et  les  magistral 
locaux  s'adressaient  ordinairemei 
aux  Tartarcs  musulmans  qui  leur 
prêtaient  ;  mais  l'année  révolue , 
somme  qu'on  leur  devait  était  doi 
blée  par  les  intérêts.  Un  an  apri 
la  dette  égalait  le  capital  et  les  ai 
rérages  échus.  Bientôt  en  était  coi 
traint  de  vendre  le  bétail   des  pai 
vres  gens 5  leurs  femmes,  eteux-m^ 
mes  étaient  réduits  à  l'esclavage.  Des 
familles  étaient  dispersées^  des  mai- 
sons ruinées  par  ces  dettes  usuraires. 
Thsou-thsaï  demanda  à  l'empcreiu-j, 
que  les  intérêts  fussent  mis  à  un  taifl 
convenable ,  et  que  les  sommes  duer 
aux  musulmans  fussent  remboursée 
par  le  trésor  public.  Ce  que  l'éta* 


YEÎ. 

eut  à  payer  dans  cette  occasion  s'e- 
Icvaà  'jGoyOOO  onces  d'argent.  D'au- 
tres abus  vinrent  ensuite  appeler 
son  attention.  Les  commandants  et 
ofliciers  des  provinces  s'étaient  par- 
tout ari'oge  le  droit  de  fabriquer  ,  se- 
lon leurs  caprices,  des  étalons  de 
poids  et  de  mesures  ,  et  des  sceaux. 
Ils  levaient  aussi  des  chevaux  de 
poste ,  fct  ils  dépassaient ,  à  cet  égard  , 
tonte  espèce  de  règle  et  de  modéra- 
tion. Le  ministre  demanda  d'abord 
que  l'on  astreignît  les  marchands  à 
n'employer  que  des  sceaux  et  des 
poids  fondus  dans  les  ateliers  de  la 
chancellerie  :  ensuite  les  oliiciers  du 
gouvernement ,  et  même  les  gens  de 
la  cour,  et  les  princes  du  sang  ,  qui 
vexaient  le  peuple  ,  en  exigeant  ar- 
bitrairement des  chevaux ,  des  pro- 
visions ,  et  en  recourant  aux  mauvais 
traitements  pour  peu  qu'on  tardât  à 
les  satisfaire,  furent  obligés  de  se 
munir  d'une  patente  qui  constatât 
leur  mission  et  réglât  leur  droit.  Les 
abus  furent  diminués,  et  le  peuple 
commença  à  re>pirer.  Deux  religieux 
s'étant  pris  de  querelle ,  le  plus  âgé 
accusa  l'autre  à  faux  d'êlre  un  dé- 
serteur déguisé.  Celui-ci,  qui  se  nom- 
mait Kitchoungkoue'i  eut  la  cruauté 
de  tuer  son  adversaire.  Thsou-thsaï 
fit  faire  le  procès  au  coupable.  L'em- 
pereur vit  ce  procédé  de  mauvais 
œil ,  et  lit  arrêter  son  ministre;  mais, 
revenant  bientôt  à  de  meilleurs  sen- 
timents ,  il  lui  accorda  sa  grâce. 
Thsou  thsaï  la  refusa  et  ne  voulait 
pas  sortir  de  prison  :  a  Vous  m'a- 
»  vez  nommé  votre  chancelier  pour 
»  administrer  les  affaires  de  l'état , 
»  dit-il  à  Ogodaï.  Vous  m'avez  fait 
»  arrêter  :  j'étais  donc  coupable. 
»  Vous  me  rendez  la  liberté  :  je  suis 
»  donc  innocent.  Il  vous  est  aisé  de 
•»  faire  de  moi  un  jouet  ;  mais  com- 
»  ment  puis-je  diriger  les  affaires  de 


YEL 


467 


))  l'empire  ?  »  —  a  II  m'échappe 
»  mille  paroles  en  un  jour_,  reprit 
»  l'empereur ,  en  lui  adressant  des 
»  consolations  pleines  débouté.  Vous 
»  êtes  innocent ,  et  vous  devez  être 
»  rétabli  dans  votre  rans;-.  »  Thsou- 
thsai  se  prosterna  pour  remercier 
l'empereur.  Il  ne  s'en  attacha  que 
plus  fortement  aux  maximes  qu'il 
s'était  faites  de  récompenser  et  de 
punir  avec  équité,  de  régler  les  ap- 
pointements et  les  gratifications  sur 
les  services  rendus ,  d'observer  la 
plus  stricte  justice  dans  les  examens 
et  dans  les  promotions  qui  en  étaient 
la  suite,  d'honorer  par-dessus  tous 
les  artisans  ceux  qui  se  livrent  à 
l'agriculture  ,  de  tenir  un  ordre 
parfait  dans  les  impôts  y  d'avoir 
tout  prêts  les  moyens  de  faire 
des  distributions  de  grains  selon  les 
besoins.  En  1288,  une  grande  fa- 
mine ravagea  l'empire.  Thsou-thsaï 
fut  d'avis  de  modérer  les  contribu- 
tions de  cette  année  :  les  administra- 
teurs craignaient  qu'elles  ne  fussent 
plus  suflisantes  pour  le  service  de  l'é- 
tat ;  mais  le  ministre  fit  voir  que  les 
caisses  et  les  greniers  étaient  remplis 
pour  plus  de  dix  ans.  Jusqu'à  cette 
époque  la  population  de  l'empire 
avait  été  évaluée  à  un  million  quatre 
cent  mille  familles  payant  le  tribut  ; 
mais  sur  ce  nombre  il  y  en  avait  un 
dixième  en  fuite  ^  et,  les  redevances 
continuant  d'être  fixées  sur  la  même 
base,  les  peuples  souffraient  beau- 
coup. Le  ministre  obtint  que  le  nom- 
bre d'hommes  entre  lesquels  l'im- 
pôt était  réparti  serait  diminué  de 
trois  cent  cinquante  mille.  L'inten- 
dant en  chef  des  revenus  publics  en 
Chine  était  un  nommé  Liu-tchîn  ; 
son  adjoint  ou  lieutenant  était Lieou- 
tseu.  Le  premier  disparut  avec  la 
caisse.  «  Ministre ,  dit  Ogodaï  ,  vous 
»  vantiez  l'école  de  Confucius  et  les 
3o.. 


46B 


YEL 


»  vertus  qu'elle  met  cii  pratique. 
»  Sont-ce  là  les  hommes  qu'elle  pro- 
»  duit? » — « Lcsaintiiomme(Conrii- 
»  cius)  afoudc  son  enseignement  sur 
»  la  connaissance  des  vertusetdesde- 
»  voirs  ,  et  il  n'est  pas  de  souverain 
»  dont  le  pouvoir  ne  repose  aussi  sur 
»  cette  base.  Ces  Alertas  sont  dans 
»  l'empire  ce  que  sont  au  ciel  le  soleil 
»  et  la  lune.  Que  signifient  les  torts 
»  d'un  particulier  qui  manque  aux 
M  lois  de  tous  les  temps  et  de  tous  les 
»  pays  ?  Et  notre  gouvernement  est- 
»  il  donc  le  seul  où  de  semblables 
»  fautes  puissent  être  commises  ?  » 
Ce  discours  satisfit  l'empereur.  Quel- 
que temps  après  ,  il  y  eut  à  Yan-king 
une  compagnie  d'hommes  opulents 
qui  olïrirent  de  se  charger  du  recou- 
vrement des  impôts  pour  une  somme 
d'un  million  d'onces  d'argent.  Ces 
sortes  de  fermes  avaient  déjà  ete' 
établies  en  Chine  vers  l'an  970. 
ïhsou-thsa'i  s'opposa  à  cette  spécu- 
lation qu'il  jugea  aussi  contraire  aux 
intérêts  du  prince  qu'onéreuse  pour 
les  sujets ,  et  qui  lui  semblait  une 
calamité  pour  l'état.  Il  supplia  l'em- 
pereur d'y  renoncer.  Sa  maxime  fa- 
vorite était  qu'il  valait  mieux  écar- 
ter un  malheur  qu'obtenir  un  gain  j 
qu'il  valait  mieux  expédier  une  affaire 
que  d'y  donner  occasion,  a  Je  suis  , 
»  disait-il ,  de  l'avis  de  Phantchao  : 
»  la  paix  avant  tout.  J'y  ai  toujours 
»  travaillé  ,  et  si  l'on  a  un  jour  quel- 
»  que  reproche  à  me  faire  ,  ce  ne 
»  sera  pas  d'avoir  professé  une 
»  vaine  maxime.  «  Ogodaï  aimait  le 
vin  :  un  jour  qu'il  était  à  boire  avec 
ses  courtisans,  Thsou-thsaï,  qui  l'a- 
vait plusieurs  fois  repris  inutilement, 
lui  apporta  un  vase  de  fer  ,  dont  le 
vin  avait  rong  ;  le  bord  :  «  Si  le  vin 
»  a  !a  force  de  corroder  ainsi  le  fer, 
»  dit  il,  jugez  de  ce  qu'il  peut  pro- 
»  duire  sur  les  entrailles.  »  Ogodaï 


YEL 

fut  frappé  de  cette  leçon  ,  et  depuis 
lors  ,  dans  les  repas  qu'il  faisait  avec 
ses  courtisans  ,  il  se  borna  à  prendre 
trois  coupes  de  vin.  Les  revenus  de  la 
partie  de  la  Ciiine  soumise  aux  Mon- 
gols avaient  d'abord  été  fixés   par 
Thsou-thsaï  à  cinq  cent  mille  onces 
d'argent  par  an.  Après  la  soumission 
du   Ilo-nan ,  ils  s'accrurent  jusqu'à 
un  million  d'onces.  Un  ministre  d'O- 
godaï,   turc  et  musulman,  nomme' 
Abderrahman_,  proposa  de  les  affer- 
mer pour  deux  millions  deux  cent 
mille  onces.  Thsou-thsaï  ne  cessa  de 
s'opposer  à  ce  projet.  Les  efforts  qu'il 
fit  pour  en  dissuader  Ogodaï,  lui  alté- 
rèrent le  teint  et  la  voix.  Ses  paroles 
éta  ient  entrecoupées  par  des  sanglots  : 
«  Êtcs-vous  prêt  à  combattre  ?  lui 
»  demanda  l'empereur,  et  allez-vous. 
»  pleurer  pour  la  cause  du  peuple? 
Thsou-thsaï,  voyant  ses  avis  rejetéSjj 
fit  un  soupir  :  «  La  misère  du  peuple 
»  va  dater  de  ce  moment  I  »  s'écrit 
t-il.  L'an  1241  ,  l'empereur  tomb^ 
malade.  Il  avait  perdu  le  pouls  et  b 
voix.  La  sixième  impératrice  Touj 
rakina  ,  de  la  tribu  de  Naïmatchin 
ignorant  l'état  des  affaires,  fit  venii 
Yeliu-thsou-thsriï  pour  le  consulter 
«  Il  suffisait  aux  anciens  d'un  mol 
»  pour  dissi])er  tous  les  doutes  ,  r 
pondit-il  j  mais  maintenant  on  tienï 
les  innocents  dans  les  fers  :  la  pre- 
mière chose- serait  de  publier  une 
amnistie  générale  dans  tout  l'em- 
pire. »  L'impératrice  parut  très- 
empressée  d'adopter  cet  avis  ,  maij 
le  ministre  lui  représenta  que  la  cliose 
ne  pouvait  avoir  lieu  sans  un  décret 
de  l'empereur.  «  Si   l'empereur   se 
»  trouve  mieux  demain,  ajouta  t-il, 
»  vous  pouvez  lui  en  parler ,  et  sans 
»  doute  il  y  consentira  volontiers.  » 
Ogod'u  se  remit  effectivement  de  cetttt 
maladie,   et  à  la  onzième  lune  ,  il 
voulut  aller  à  la  chasse.  Thsou-thsaf 


YEL 

tâclia  de  mettre  obstacle  à  ce  projet, 
mais  il  ne  put  y  faire  renoncer  l'em- 
pereur. Ce  prince  chassa  durant  cinq 
jours  ,  et  mourut  sur  la  route.  L'im- 
pératrice consulta  de  nouveau  le 
ministre,  sur  ce  qu'il  y  avait  à 
faire  dans  ces  circonstances.  Thsou- 
thsaï  répondit  avec  fermeté  que  des 
e'trangers  n'avaient  point  à  s'immis- 
cer dans  les  affaires  de  l'état  j  qu'il 
existait  un  testament  du  défunt  em- 
pereur, et  qu'il  fallait  s'y  conformer. 
Alais  l'impératrice,  que  ce  testament 
éloignait  du  trône,  n'en  voulut  point 
entendre  parler  ,  et  elle  se  fit  procla- 
mer régente  à  Kara-Koroum.  Abder- 
rahman,  par  d'immenses  libéralités, 
sut  se  faire  livrer  le  timon  de  l'em- 
pire ;  l'impératrice  lui  remit  les 
sceaux  ,  son  blanc- seing  ,  et  une  au- 
torité absolue  sur  les  olliciers  de  tout 
grade.  «  L'empire  ,  dit  Yeliu-tlisou- 
w  thsaï  j  était  Ja  propriété  du  défunt 
»  empereur,  V.  M.  s'en  empare,  et  va 
»  tout  bouleverser.  Il  m'est  impossi- 
»  ble  de  continuer  à  exécuter  ses  or- 
»  dres.  »  On  rendit  un  décret  portant 
que  lorsqu'Abderrahman  aurait  fait 
un  rapport  sur  une  alï'aire,  le  greflier 
qui  négligerait  d'en  tenir  note  sur  les 
registres  aurait  la  main  coupée.  «  Le 
»  défunt  empereur, disait  à  cette  oc- 
»  casion  Thsou-thsaï,  m'avait  con- 
»  fié  toutes  les  affaires  de  l'empire, 
»  et  il  n'était  nullement  besoin  de 
»  greflier.  Dès  qu'une  cliose  a  été 
»  jugée  raisonnalile,  il  est  tout  sim- 
»  pie  qu'elle  soit  exécutée.  Celui  qui  y 
»  manquerait  s'exposerait  à  la  mort. 
»  Que  signifie  de  plus  la  disposition 
»  nouvelle  ?  »  L'impératrice  goû- 
tait peu  les  représentations  sans  fin 
de  Yeliu- tbsou- thsaï  ;  et  comme 
celui-ci  s'en  apercevait:  «  Voilà 
»  trente  ans  ,  s'écriait-il ,  que  je  suis 
»  chargé  de  toute  l'administration, 
»  et  je  n'ai  point  de  faute  à  me  re- 


YEL  469 

»  prêcher  à  l'égard  du  pays.  L'ini- 
»  pératrice  veut-elle  me  donner  la 
»  mort  pour  prix  de  mon  innocen- 
»  ce?  »  Cependant  la  régente,  quoi- 
qu'elle eût  du  ressentiment  de  la  con- 
duite du  ministre  à  l'époque  de  la 
mort  d'Ogodaï,  lui  marquait  beau- 
coup de  respect  et  de  déférence.  Mais 
à  la  cinquième  lune  de  l'an  \  il\l\  ,  la 
tristesse  que  l'état  des  affaires  avait 
inspirée  à  Yeliu-thsou-thsai  le  con- 
duisit au  tombeau.  Il  était  alors 
âgé  de  cinquante-cinq  ans.  L'impé- 
ratrice l'honora  de  ses  regrets,  et  fit 
de  grands  sacrifices  pour  ses  funé- 
railles. Son  tombeau  est  situé  sur  le 
mont  Young  ,  dans  le  département 
de  Chun-thian;  au-devant  du  tombeau 
on  éleva  une  chapelle  qui  est  main- 
tenant en  ruines.  Il  ne  manqua  pas 
de  calomniateurs  qui  prétendirent 
qu'après  avoir  si  long-temps  admi- 
nistré l'empire,  la  moitié  des  reve- 
nus de  l'état  était  entrée  dans  sa  mai- 
son. La  régente  ordonna  d'y  faire 
des  perquisitions ,  et  tout  ce  qu'on 
trouva  dans  ses  trésors,  ce  furent 
une  dixaine  de  luths  dont  il  aimait  à 
jouer  _,  plusieurs  livres  anciens  et  mo- 
dernes ,des  peintures,  quelques  mor- 
ceaux de  jaspe ,  et  un  millier  de  vo- 
lumes qu'il  avait  composés  sur  dif- 
férentes matières.  Près  d'un  siècle 
après  la  mort  de  ce  grand  ministre 
(en  i33o),  l'empereur,  par  un  usa- 
ge très-commun  à  la  Chine ,  lui  dé- 
cerna solennellement  le  titre  de  roi 
de  Kouang-ning ,  avec  un  surnom  qui 
rappelait  les  nobles  qualités  de  son 
esprit  et  la  droiture  de  son  caractère. 
Lefds  de  Yeliu-thsou  thsaï  ,  nommé 
Yeliu-tchu  ,lui  succéda  dans  sa  char- 
ge de  vicc-chancclier,  et  son  petit- 
lils  Yeliu-thouhousse  se  distingua 
sous  les  règnes  de  Kh oubliai  et 
de  ses  successeurs.  Il,  mourut  du- 
rant le  règne  de  Ycsun-timour  (  en 


470  YEL 

1827  )  ,  laissant   des   travaux    sur 
l'histoire  des  Mongols,  et  quelques 
poésies.  —  La  vie   de  Yeiiii-thsou- 
thsaï  occupe  ici  beaucoup  d'espace; 
mais  on  doit  reconnaître  qu'elle  em- 
brasse une  des  époques  les  plus  in- 
téressantes  de   l'histoire  orientale, 
celle  des  premières  conquêtes  des  Mon- 
gols en  Chine^etqu'elJe  jette  un  jour 
tout  nouveau  sur  les  e'venemcnts  qui 
s'y    rapportent.    Les   circonstances 
dans    lesquelles  vécut    Yeliu-tlisou- 
thsaï,  les  belles  qualités  dont  la  na- 
ture et  l'éducation  l'avaient  pourvu  , 
ont  fait  de  lui  l'un  des  plus  grands 
ministres  dont  l'Asie   orientale   se 
glorifie.  Tartare  d'origine  ,  et  deve- 
mi  Chinois  par  la  culture  de  son  es- 
prit, il  fut  l'intermédiaire   naturel 
entre  la  race  des  opprimés  et  celle 
des  oppresseurs;  il  se  trouva  placé 
près  de  Tchingkis  et  de  son  succes- 
seur,  comme  une  providence  pro- 
tectrice des  peuples  vaincus,  et  sa 
vie  se  consuma  tout  entière  à  plaider 
auprès  de  la  barbarie  triomphante, 
la  cause  des  lois ,  du  bon  ordre ,  de 
la     civilisation    et  de    l'humanité. 
On  ne  saurait  compter  les  millions 
d'hommes  qui  lui  durent  la  vie  et  la 
liberté.  11  remplaça   le  joug-  de  la 
force  par  celui  de  la  raison  ;  la  puis- 
sance du  glaive  par  celle  des  institu- 
tions ;  le  pillage  par  un  système  ré- 
gulier d'impôts;  la  brutale  autorité 
des   conquérants  tartares  par  l'in- 
fluence lente,  mais  irrésistible  des 
lettrés  de  la  Chine  ;   il   organisa  la 
partie  orientale  de  cet  empire  gi- 
gantesque qui  menaçait  alors  d'en- 
vahir le  monde  entier ,  et  prépara  de 
loin  la  révolution,  qui ,  en  renvoyant 
les  Mongols  dans  leurs  déserts  de- 
vait affranchir  la  Chine  d'une  domi- 
nation étrangère,  et   lui  rendre  un 
gouvernement  fondé  sur  la  base  des 
mœurs  naturelles  et  des   traditions 


nationales.  Un  autre  motif  fera  ex-] 
cuser  l'étendue  de  la  notice  qu'on  al 
consacrée  à  Yeliu-thsou-thsaï.  Sa  viej 
se  trouve  ici  telle  qu'elle  a  été  écrite] 
par  l'historien  chinois  ,  qui  a  com- 
posé les  Annales  de  la  dynastie  de 
Tcliingkis-khan.  On  ne  s'est  permis 
qu'un  très- petit  nombi-e  de  suppres- 
sions ,  et  un  nonibre  moins  considé- 
rable encore  d'additions  indispensa- 
bles pour  rinleliigence  de  plusieurs 
passages.  On  a  cru  que  ce  morceau 
fidèlement  traduit  du  chinois  pour- 
rait, sous  un  double  rapport,  inté- 
resser les  lecteurs ,  et  qu'un  échan^ 
lillon  de  la  Biographie  de  la  Chine 
ne  serait  pas  jugé  déplacé  dans  un 
ouvrage  de  la  nature  de  celui  ci. 
A.R.— T. 
YELVERTOIj  (Henri),  habile 
jurisconsulte  anglais,  né,  en  i566, 
cà   Islington  ,    passa  de  l'université 
d'Oxford  au  collège  de  Gray's  Inn, 
pour  y  étudier  le  droit.  Il  fut  nom 
mé  ,  en  i6i3  ,  solliciteur  -  général 
et  obtint  la  distinction  de  la  cheva^ 
îerie ,  par  le  crédit  de  Carr ,  comt 
de  Somerset,  favori  de  Jacques  I< 
En  16165  il  devint  attorncy- général 
Mais,  ayant  eu  l'imprudence  d'offen 
ser  le  second  favori  du  roi ,  le  duc  à 
Buckingham  ,  il  fut  cité  devant  l 
chambre  Étoilée,  comme  s'étant  ren 
du  coupable  d'illégalités  dansl'exei 
cice  de  ses  fonctions ,  et  par  une  ser 
tence  de  cette  cour ,  fut  privé  de  s 
place ,  condamné   à   l'emprisonne 
ment  et  à  une  amende  considérable 
Cité  ensuite  devant  les  lords  ,  il  pra 
nonça  un  discours  qui  blessa  non 
seulement  le  favori ,  mais  le  souve 
rain  même.  Une  nouvelle  condamna 
tion  lui  imposa  le  paiement  de  quinj 
mille    marcs.  Yelverton ,   réconcili 
depuis  avec    Buckingham  ,    acqu 
ses    bonnes   grâces,    au  point   qi 
ce  fut  par  le  crédit  de  ce   seignei 


ê  YKO 

doutrinimilié  lui  avaitcoûté  si  clicr , 
qu'il  fut  nomme  un  des  juges  de  la 
cour  du  banc  du  roi ,  et  ensuite  de 
celle  des  plaids- communs.  Il  mourut 
en  possession  de  ce  dernier  emploi , 
le  i[\  janvier  i63o.  On  a  de  lui  :  1. 
Rapports  de  cas  particuliers  à  la 
cour  du  hanc  du  roi ,  depuis  la  qua- 
rante -  quatrième  année  du  règne 
d'Elisahelh  jusqu'à  la  dimènie  de 
Jacques  P' .,  ])ublies  originairement 
en  français ,  par  sir  W.  Wylde ,  1 66 1 
et  i6'j4;  traduits  en  anglais  et  pu- 
blies ainsi  en  l'joô  ,  in  -  fol.  II.  Les 
Droits  du  peuple  concernant  les  im- 
pôts,  Londres,  1679.  III.  Plusieurs 
Discours  prononces  dans  le  parle- 
ment; un,  entre  autres,  imprime  dans 
le  recueil  de  Rushvvorth.  L. 

YEOU-WANG,  empereur  de  la 
Chine,  descendait  de  Ye-wang  {V, 
ci-dessus  ) ,  et  monta  sur  le  trône 
l'an  781  avant  l'ère  chre'ticnne.  D'un 
caractère  faible  et  indolent ,  livre  dès 
son  enfance  aux  plaisirs  grossiers ,  il 
n'avait  aucune  des  qualités  qui  dis- 
tinguent les  souverains.  A  l'exemple 
des  grands  ,   le   peuple   supportait 
avec  jmpalience  un  joug  avilissant. 
Les  habitants  du  pays  de  Pao  ,  dé- 
voues dans  tous  les  temps  à  la  dy- 
nastie, se  révoltèrent  eux-mêmes; 
mais,  ayant  reconnu  leur  faute,  pour 
apaiser  l'empereur   ils  lui  présentè- 
rent une  jeune  (illc  d'une  rare  beauté. 
Yeou- Wang ,  touché  de  ses  charmes  , 
lui  donna  le  nom  dcPaosse  ;  et  à  sa 
consictération  il  fit  grâce  aux  rebel- 
les. L'année  suivante,  Pao-sse  mit 
au  monde  un  fds  ,  dont  la  naissance 
combla  de  joie  l'empereur.  En  vain 
les  lettrés  essayèrent  de  faire  rougir 
ce  prince  d'une  conduite  si  peu  pro- 
pre à  lui  ramener  l'estime  de  ses  su- 
jets. Aveuglé  par  sa  passion,  Y'^eou- 
wang  chassa  du  palais  l'impératrice; 
son  IHslégilirac  fut  fûrcr  d'aller  de 


YEO  47  V 

mander  un  as:îc  au  prince  de  Chin; 
ctil  déclara  son  successeur  celui  qu'il 
avait  eu  à.c  Pao-sse.  Cette  femme 
était  si  sérieuse ,  que  l'empereur  ne 
parvenait  à  la  dérider  qu'avec  beau- 
coup de  peine.  Lorsque  des  troubles 
éclat.îient,  c'était  la  coutume  d'allu- 
mer des  feux,  de  proche  en  proche, 
sur  tontes  les  montagnes.  A  ce  signai, 
les  princes  tributaires  se  hâtaient  de 
rassembler  leurs  troupes  ,  et  les  ame- 
naient à  la  cour.  Un  jour  l'empereur 
imagina  d'allumer  les  feux.  Les  prin- 
ces mirent  leurs  troupes  sur  pied ,  et 
vinrent  à  la  cour.  En  les  voyant  ar- 
river l'un  après  l'autre,  Pao-sse  se 
mit  à  rire  de  toutes  ses  forces.  En- 
chanté d'avoir  trouvé  ce  moyen  d'é- 
gayer sa  concubine ,  Yeou-wang  l'em- 
ployait de  temps  en  temps  ;  mais  les 
princes  se  lassèrent  d'être  les  jouets 
d'une  femme  détestée  de  tout  l'empi- 
re ,  et  ils  finirent  j^ar  ne  plus  répon- 
dre aux.  signaux  accoutumés.  La  fa- 
mine vint  se  joindre  à  tous  les  sujets 
de  mécontentement.  Yeou-wang  crai- 
gnant que  son  fils  légitime  ne  profitât 
de  cette  circonstance  pour  réclamer 
ses  droits,  somma  le  prince  de  Chin 
de  le  lui  renvoyer  ;    il  eut  la   lunte 
d'éprouver  un  refus.  Irrité  de  cette 
résistance  inattendue  à  ses  volontés , 
il  se  mit  aussitôt  en  campagne;  mais 
le  prince  de  Chin ,  ayant  appelé  les 
Tartares  à   son  secours,  se  trouva 
bientôt  à  la  tête  d'une  armée  nom- 
breuse et  aguerrie.  Dans  ce  pressant 
danger,  Yeou-wangdonnal'ordred'al- 
lumer  les  feux  ;  mais  les  princes  tribu- 
taires, dont  il  s'était  si  souvent  mo- 
qué, ne  bougèrent  pas  de  leurs  pays. 
Cependant  les  deux  armées  se  rencon- 
trèrent :  celle  de  Yeou-wang  futdéfaite 
complètement  :  l'empereur  et  P(W- 
sse  tombèrent  au  pouvoir  du  vain- 
queur ,  qui  les  fit  mourir  tous  deux 
l'an  77  T  avant  l'ère  chrétienncTeou- 


472  YEP 

Wang  eut  pour  successeur  son  fils  lé- 
gitime ,  qui  prit  ^  en  montant  sur  le 
trône ,  le  nom  de  Fing-fVang.  Voy. 
VHist.  de  la  Chine ,  par  Mailla  ^  ii , 
45-5o.  W— s. 

YEPEZ  (  Dom  Antoine  d'  ) ,  sa- 
vant bénédictin  espagnol ,  florissait 
à  la  fin  du  seizième  siècle  et  au  com- 
mencement du  dix -septième.  Il  ap- 
partenait à  la  congrégation  de  Yal- 
ladolid  ,  fameuse  en  Espagne  ,  et  s'y 
était  distingué  par  ses  études  et  son 
érudition.  Il  y  gouverna  plusieurs 
monastères  ,  tantôt  comme  prieur , 
et  plusieurs  fois  en  qualité  d'abbé; 
car  ,  en  général^  en  Espagne  cette  di- 
gnité n'est  que  triennale  et  point  ti- 
tulaire ;  de  sorte  que  les  abbés,  après 
avoir  cessé  de  l'être,  et  avoir  achevé 
le  temps  prescrit  où  ils  doivent  va- 
quer ,  peuvent  être  réélus  encore 
l)lusieurs  fois  :  c'est  ce  qui  arriva  à 
dom  d'Yepez ,  qui  enfin  fut  élu  su- 
périeur-général de  sa  congrégation. 
Mabillon ,  dont  en  celte  matière 
le  jugement  est  d'un  si  grand  poids, 
rend  mi  témoignage  avantageux  du 
profond  savoir  de  dom  d'Yepez  et 
de  sa  personne.  Ce  religieux  mou- 
rut en  i6'2i.  On  a  de  lui  sept  volu- 
mes des  Chroniques  de  l'ordre  de 
saint  Benoit  ,  dont  les  deux  pre- 
miers parurent,  en  1609,  le  troi- 
sième à  Pampelune,  en  1610  ,  le 
quatrième  à  Vaîladolid,  en  16 13, 
le  cinquième  et  le  sixième,  en  16  [5. 
Le  septième  ne  fut  imprimé  qu'après 
la  mort  de  dom  d'Yepez  ,  par  les 
soins  de  dom  JérômeMartlion,  abbé 
de  Saint-Benoît  de  Vaîladolid.  Quoi- 
que ces  chroniques  n'aillent  que  jus- 
qu'au douzième  siècle ,  et  qu'elles 
soient  en  langue  espagnole ,  elles 
sont  fort  estimées.  Dom  Thomas 
Weiss  ,  bénédictin  de  l'abbaye  deNe- 
resheim ,  congrégation  du  baint-Es- 
prit  au    diocèse   d'Augsbourg ,    eu 


YEP 

traduisit  une  partie  et  la  fit  impri- 
mer à  Cologne  en  i652  et  i653. 
Dom  Olivier  de  la  congrégation  de 
Vaîladolid ,  et  dom  Vaigrave ,  de 
celle  des  missions  d'Angleterre  ,  en 
entreprirent  une  traduction  française. 
Le  premier ,  prévenu  par  la  mort , 
ne  put  en  traduire  que  deux  volumes; 
l'autre  ne  fut  guère  plus  heureux  ,  et 
ne  put  achever.  C'était  à  dom  Mar- 
tin Rhetelois,  supérieur-général  de 
la  congrégation  de  Saint  -  Vannes, 
qu'il  était  réservé  de  donner  une  tra- 
duction entière  de  ce  grand  ouvrage. 
Non-seulement  il  l'acheva,  mais  en- 
core il  l'augmenta  considérablement, 
en  y  faisant  entrer  ce  qui  concerne 
les  monastères  de  France  ,  de  la 
Lorraine  et  du  Barrois,  et  en  y  ajou- 
tant l'histoire  de  la  congrégation  de 
Saint -Vannes,  et  celle  des  autres 
qui  en  sont  issues  ,  telles  que  \ts, 
congrégations  de  Saint  -  Maur  en 
France,  de  Saint-Placide  en  Flan- 
dre ,  et  la  réforme  de  Cluny.  Cette 
traduction  forme  sept  volumes  in-fol. 
Dom  Gabriel  Bucelin ,  religieux  de 
l'abbaye  de  Weingart  en  Souabe ,  a 
donné  un  abrégé  de  ces  chroniques. 
On  a  encore  de  dom  Antoine  d'Yepez 
la  relation  d'un  voyage  littéraire  en 
Catalogne,  et  un  catalogue  des  au- 
teurs qui  ont  écrit  en  faveur  de  l'im- 
maculée Conception.  L — y. 

YEPEZ  (Le  P. Diego  d'),  religieux 
hiéronimite ,  né  à  Yepez  près  de  To- 
lède,, en  1 559, fit  ses  étudesà Siguen- 
ça,avec  beaucoup  de  succès.  Estimé 
dans  sa  congrégation  par  son  sa- 
voir et  son  zèle  pour  la  discipline 
régulière ,  il  y  obtint  les  distinctions 
•  auxquelles  un  grand  mérite  donne 
droit.  Il  fut  successivement  prieur 
des  couvents  de  Jaën,  de  Zamora , 
de  Tolède  et  de  Grenade.  11  se  con- 
duisit dans  ces  différents  postes  avec 
une  sagesse  qui  augmenta  encore  sa  ré- 


^         YER 

putation. Philippe  II  ,roi  d'Espagne, 
le  fit  nommer  prieur  du  fameux  mo- 
nastère del'Escurial  ,  et  lui  confia  la 
direction  de  sa  conscience.  Le  P. 
Diego  d'Ycpez  jouit  de  la  même  fa- 
veur et  remplit  les  mêmes  fonc- 
tions près  du  fils  de  Philippe  II. 
Ce  prince ,  après  la  mort  de  son  père , 
étant  monte  sur  le  trône,  promut 
d'Yepezàrëvêche  de  Tarragone.  Ce- 
lui-ci  mourut  dans  cette  ville  le  20 
mai  161  3.  On  a  de  lui  en  espagnol  : 
I.  Histoire  particulière  de  la  persé- 
cution d'Angleterre ,  depuis  Van 
1670,  Madrid,  iôqq,  in-40.ll.  il^/e- 
moire  sur  la  mort  de  Philippe  II y 
écrit  par  l'ordre  de  Philippe  III , 
son  fils  y  W\\di\\ ,  i6on,  in-8''.  III. 
Vie  de  sainte  Thérèse  de  Jésus , 
Madrid,  1087',  i6i5,  in-^o.  ,  tra- 
duite en  français  par  le  P.  Cyprien 
delà  nativité  de  la  Vierge,  Paris, 
1643,  in-4^.  L — Y. 

YEREGUI  (Joseph  de),  pieux 
et  savant  ecclésiastique  espagnol,  était 
né,  en  1734,  à  Vergara  ,  dans  le 
Guipuscoa  ,  d'une  des  premières  fa- 
milles de  cette  province.  Ayant  com- 
mencé ses  études  à  Malaga,  il  vint 
les  continuer  à  l'académie  de  Ma- 
drid, et  se  rendit  ensuite  à  Paris,  où 
il  suivit  les  cours  de  physique  de 
l'abbé  Noilet  (  V.  ce  nom  ) ,  et  se 
perfectionna  dans  les  mathématiques. 
De  retour  en  Espagne,  il  fut  ordonné 
prêtre,  et  se  voua  tout  entier  à  ca- 
téchiser les  enfants,  et  à  répandre 
l'instruction  parmi  le  peuple  des 
campagnes.  Il  fonda  dans  son  voisi- 
nage plusieurs  écoles  élémentaires 
qu'il  dirigeait  lui-même ,  et  consacra 
ses  revenus  à  fournir  aux  élèves ,  soit 
des  livres ,  soit  les  autres  objets  dont 
ils  avaient  besoin.  Ni  sa  modestie, 
ni  les  vertus  dont  il  offrait  le  tou- 
chant exemple  ne  purent  le  mettre  à 
l'abri  de  l'envie.  Accusé  de  distribuer 


YER  473 

des  ouvrages  contraires  aux  doc- 
trines de  l'Église  catholique  ,  il  fut 
obligé  de  quitter  l'asiie  qu'il  s'était 
choisi  ,  et  vint ,  en  1786  y  habiter 
Madrid,  se  flattant  d'y  pouvoir  con- 
tinuer ,  sans  obstacle,  sous  les  yeux 
de  ses  supérieurs  ,  l'exercice  des 
actes  de  bienfaisance  dont  il  avait 
contracte  la  douce  habitude.  Les  ta- 
lents de  Yereguile  firent  bientôt  con- 
naître du  roi  Charles  III  ;  et  ce  bon 
prince  s'empressa  de  lui  donner  une 
marque  bien  grande  de  son  estime, 
en  le  nommant  précepteur  des  infants. 
Tant  que  le  roi  vécut,  Yeregui  n'eut 
rien  à  redouter  de  ses  ennemis  •  mais 
après  sa  mort  il  fut  éloigné  de  la 
cour,  et  en  1792  ,  traduit  à  l'inqui- 
sition comme  janséniste.  Cinq  mois 
après  son  arrestation,  un  jugement 
solennel  le  déclara  pur  dans  sa 
doctrine  et  dans  sa  conduite;  et  le 
roi  Charles  IV  le  nomma  son  con- 
seiller au  tribunal  qui  venait  de 
proclamer  son  innocence.  Yeregui 
se  servit  de  tout  l'ascendant  que 
lui  donnaient  ses  lumières,  et  la  fa- 
veur du  gouvernement, pourcontenir 
le  zèle  trop  ardent  de  ses  collègues  , 
et  diminuer  l'influence  d'un  tribunal 
dont  il  jugeait  la  suppression  néces- 
saire au  bonheur  de  l'Espagne.  L'af- 
faiblissement de  sa  santé  l'ayant  con- 
duit ,  en  i8o3  ,  à  Bagnères  ,  il  y  fît 
imprimer  :  Idea  del  catecismo  na- 
cionalformado  sobre  las  sagradas 
escrituras  ,  concdiors  y  padres  de 
la  iglesia,  in- 8".  de  xxxii,  23 1 
pag.  Ce  volume  est  très-rare,  l'au- 
teur n'en  ayant  fait  tirer  qu'un  petit 
nombred'exemplairespour  les  adres- 
ser aux  évêques  espagnols  ,  et  à  quel- 
ques théologiens  instruits  ,  en  les 
priant  de  l'aider  à  perfectionner  son 
travail.  «  Dans  les  années,  dit-il , 
que  j'ai  consacrées  à  l'enseignement 
des  enfants ,  j'ai  eu  l'occasion  de  lire 


4:4  Yiiw 

etd'examincr  les  catecliisraes  lesplus 
récents.  J'ai  reconnu  que  si  quelques- 
uns  sont  dignes  d'estime  pour  le  désir 
([ue  montrent  les  auteurs  d'étendre  le 
royaume  de  Jésus- Christ  ,  il  en  est 
plusieurs,  et  spécialement  ceux  qui 
sont  le  plus  répandus  en  Espagne  , 
qui  renlermeut  des  principes  oppo- 
sés à  l'ancienne  et  constante  doctrine 
de  l'Église.  »  Après  avoir  recueilli  les 
observations  des  hommes  les  plus 
éclairés  sur  cette  matière,  Yeregui 
se  disposait  enfin  à  publier  son  ou- 
vrage, lorsqu'il  mourut  en  i8o5  ,  à 
l'âge  de  soixante-onze  ans.  On  con- 
serve dans  un  cabinet  particulier ,  à 
Paris  ,  plusieurs  3ïémoires  de  Yere- 
gui sur  son  procès  à  l'inquisition, 
sur  l'origine  et  les  usages  de  ce  tri- 
bunal ,  ainsi  que  sur  les  modifications 
qu'il  conviendrait  d'apporter  à  son 
pouvoir.  Llorente  en  a  pu  prendre 
connaissance  ;  mais  il  ne  paraît  pas 
qu'il  en  ait  fait  usage  pour  son  His^ 
toire  de  VinquisitioniF.  Llorente, 
au  Supplément  ).  W — s. 

YERMAK.  Foy.  Iermak. 

Y  E-  W  A  N  G ,  empereur  de  la 
Chine,  était  fils  deYe-wang  ,  prince 
d'un  génie  fort  médiocre,  qui  mourut 
l'an  90g  avant  l'ère  chrétienne  ,  lais- 
sant ses  enfants  trop  jeunes  pour 
faire  respecter  leurs  droits.  Hiao- 
wang  ,  aidé  d'un  parti  puissant , 
enleva  sans  peine  le  sceptre  à  ses  ne- 
veux. Après  sa  mort  (  894  avant 
J.-C.  ) ,  les  grands  ,  qui  avaient  souf- 
fert impatiemment  son  usurpation , 
reconnurent  Ye-wang  légitime  héri- 
tier de  l'empire.  L'état  de  contrainte 
dans  lequel  ce  prince  avait  été  retenu 
par  son  oncle  l'avait  rendu  si  ti- 
mide, qu'il  parut  à  ses  officiers  moins 
leur  maître  qu'un  de  leurs  serviteurs. 
Le  jour  de  îa  cérémonie  du  couron- 
nement ,  les  grands  étant  venus  lui 
présenter  leurs  hommages  ,  il  des- 


YEZ 

ccndit  de  son  trône  pour  leur  rendre 
le  salut.  Cette  infraction  à  l'éti- 
quette parut  aux  plus  sages  un  signe 
certain  qu'il  ne  saurait  pas  faire  res- 
pecter son  pouvoir.  En  effet ,  la  fai- 
blesse de  Ye-wang  dut  encourager 
l'ambition  des  grands  ,  et  devint 
ainsi  la  première  cause  des  troubles 
et  des  divisions  qui  ne  lardèrent  pas 
à  éclater.  Ce  fut  le  prince  deïchin, 
Hroung-kiu  ,qui  donna  le  signal  de  la 
révolte  en  s'emparant  des  pays  de 
Young  et  dcYang-youan'.  A  son  exem- 
ple d'autres  princesétendirent  les  états 
que  leur  avaient  assignés  les  anciens 
empereurs  ,  en  récompense  de  grands 
services.  Pendant  ce  temps  Ye-wang , 
tranquille  dans  son  palais,  ne  songea 
pas  même  à  prendre  quelques  mesu- 
res pour  arrêter  ces  désordres.  Il  mou- 
rut l'an  879  avant  l'ère  chrétienne  , 
à  l'âge  de  soixante  ans,  dont  il 
avait  passé  seize  sur  le  trône  ,  sans 
gloire  et  sans  honneur.  Son  fds  Li- 
w^ang  lui  succéda.  (Voy.  V Histoire 
de  la  Chine ,  par  le  P.  de  Mailla  , 
tome  II,  1 5-1 8  ),  W — s. 

YEZDEDJERD.  F.  Iezdedjerd. 

YEZID  I^^,  second  khalife  om- 
meyade  ,  fut  inauguré  à  Damas  , 
l'an  60  de  l'hégire  (680  de  Jésus- 
Christ  ) ,  après  la  mort  de  son  père 
Moawyah  qui  l'avait  associé  à  sa 
puissance  (  Fof.  Moawyah  V^',).  Il 
fut  reconnu  en  Perse ,  en  Syrie,  en 
Egypte  ,  en  Mésopotamie  ,  et  dans 
les  autres  parties  de  l'empire  mu- 
sulman. Mais  laMekke,  Médine  , 
et  quelques  autres  villes  de  l'A- 
rabie et  de  l'Irak  ,  refusèrent  de  sa 
soumettre.  Un  parti  puissant  y  sou 
tenait  les  droits  de  Houcein,  fils 
d'Aly-  toutefois,  parmi  ceux  qui  se 
disaient  les  partisans  du  petit-lils  de 
Mahomet,  deux  ambitieux,  Abd-allah 
fils  deZobéir  ,et  Abd-allah  ,  fils  d'O^ 
mar,  travaillaient  secrètement  iiout* 


'  YEZ 

leur  propre  grandeur.  L'activité  d'O- 
be'id-ailali ,  gouverneur  de  Koufah  , 
et  l'iiiconstaiicc  des  habitants  de 
cette  ville  liront  triompher  Yezid  du 
vertueux  et  brave  Houccin  qui  périt 
l'an  6i  (680).  au  combat  de  Ker- 
belah  (  Voy.  Hocein  et  Oceid-al- 
LAH  BEN  Zeïad  ).  Lorsquc  Yezid  re- 
çut la  tête  de  Houcein  ,  il  ne  put  re- 
tenir ses  larmes ,  et  s'écria  :  «  0  ! 
»  malheureux  Houcein,  ie  ne  t'aurais 
))  pas  fait  périr,  si  je  t'avais  eu  en 
»  mon  pouvoir.  Que  Dieu  maudisse 
»  le  barbare  Obëid-allah  »  (i).  Il 
traita  avec  respect  les  femmes  et  les 
sœurs  de  ce  prince ,  quoiqu'elles  l'ac- 
cablassent de  reproches  ,  et  cpargu^ 
même  les  deux  plus  jeunes  li)s  de  son 
rival,  qui  avaient  survécu  seuls  au 
désastre  de  leur  famille.  Il  eut  d'au- 
tant plus  de  mérite  à  rejeter  les  con- 
seils qu'on  lui  donnait  de  les  faire  pé- 
rir, que  la  haine  de  ces  enfants  se 
manifestait  à  toute  heure.  Sa  conduite 
généreuse ,  à  leur  égard ,  ne  se  dé- 
mentit pas.  Il  les  lit  conduire  tous  à 
Médine  avec  une  escorte,  après  les 
avoir  comblés  de  présents ,  et  leur 
avoir  prodigué  tous  les  secours  ca- 
pables d'adoucir  leur  infortune  (  F. 
Zefn-alabeddyn  ).  Cette  année  ,  les 
lieutenants  du  khalife  subjuguèrent 
Bokhara  et  le  Khowarazm  ou  Kha- 
rizme  {Voy.  Mahleb}.  La  mort  de 
Houcein  n'éteignit  point  le  feu  des 
révoltes.  Les  habitants  de  la  Mekko 
et  de  Médine  secouèrent  entièrement 
lejougdesOmmeyades,en68i  ,et  ne 
pouvant  mettre  à  leur  tête  aucun  des 
deux  enfants  de  Houcein,  à  cause  de 
leur  jeunesse,  ils  proclamèrent  kha- 
life Abd-allah  fils  de  Zobéir  (  Voy. 
ce  nom  ,  1 ,  5 1  )..  Yezid  envoya  l'an- 
née suivante  une  armée  qui  assiégea 


YEZ 


4: 


(1)  (^e  n'est  point  Yezid  i\m  itisulta  la  tête  de 
Houccin ,  toniiiie  on  l'a  dit  a  l'^rlicle  de  ce  der- 
nier ,  mais  Obcid  aliah. 


Médine , sans  qu 'Abd-allah  ,  qui  son- 
geait à  soumettre  le  reste  de  l'Ara- 
bie, se  mît  en  devoir  de  secourir  la 
ville  qui  l'avait  élu.  Après  trois  mois 
d'une  vigouieuse  résistance  ,  Médine 
fut  prise  et  saccagée  sans  respect 
pour  le  tombeau  du  prophète  :  les 
habilants  furent  tous  ou  massa- 
crés ou  réduits  en  esclavage.  Il 
n'y  eut  d'épargné  que  la  famille  d'A- 
ly.  Après  cette  conquête,  Moslem 
ibn-Okbah  ,  général  de  l'armée  sy- 
rienne ,  marchait  sur  la  Mekke  lors- 
qu'il mourut  en  6B9.  Hassin  ibn-No- 
maïr,  qui  lui  succéda  dans  le  com- 
mandement ,  assiégea  celte  ville 
qu' Abd-allah  défendit  pendant  qua- 
rante jours.  Une  partie  du  temple  de 
laCaabah  fut  renversée ,  et  la  Mekke 
aurait  subi  le  sort  de  Médine^,  si  la 
nouvelle  de  la  mort  de  Yezid  n'avait 
pas  obligé  l'armée  syrienne  de  re- 
tournera Damas.  Ce  khalife  mourut 
dans  les  environs  de  Hemcsse.  le  i5 
rabi  1*=^'.,  64  (décembre  683), 
à  l'âge  de  trente-neuf  ans  ,  après  en 
avoir  régné  trois  et  demi.  Le  nom 
de  Yezid  est  en  horreur  à  un  grand 
nombre  de  musulmans ,  surtout  aux 
Chyites  ou  sectateurs  d'Aîy,  parce 
qu'il  fut  le  principal  auteur  de  la 
mort  de  Houcein  et  de  plusieurs  au- 
tres descendants  de  Mahomet  j  parce 
qu'on  le  soupçonna  d'avoir  avancé  les 
jours  de  Haçan,  fds  aîné  et  succes- 
seur d'Aly;  parce  qu'il  fut  le  premier 
khalife  qui  ait  bu  publiquement  du 
vin,  et  que  sous  son  règne  les  deux 
villes  saintes  furent  profanées  et  pres- 
que détruites.  A  ces  reproches ,  qu'on 
peut  soupçonner  d'être  dictés  par  l'es- 
prit de  parti  et  les  préjugés  religieux, 
les  auteurs  orientaux  en  aj  outent  d'au- 
tres qui  donnent  une  idée  peu  avan- 
tageuse de  Yezid,  et  qui  prouvent 
que  ce  prince ,  peu  digue  de  succéder 
par  droit  d'hérédité  à  son  père ,  ne 


476  YEZ 

se  soutint  sur  le  trône  que  par  Tatta- 
cliement  des  Syriens  pour  ia  maison 
des  Ommeyades.  On  l'accuse  d'ava- 
rice, de  mollesse,  de  débauches; 
d'avoir  ve'cu  au  milieu  de  ses  bala- 
dins, de  ses  chanteuses  et  de  ses 
chiens  ;  d'avoir  introduit  l'usage  des 
eunuques ,  et  même  d'avoir  entretenu 
un  commerce  incestueux  avec  sa 
sœur.  Au  reste,  il  aimait  la  poe'sie  et  la 
cultivait  avec  succès.  Son  fils  Moa- 
wyah  II  hii  succéda.  A — t. 

YEZID  II  (  Abou  Khaled  ), 
neuvième  khalife  ommeyade ,  petit- 
iils  du  précédent j  par  sa  mère,  était 
le  troisième  iils  d'Abd-.el-Melek.  Il 
succéda,  l'an  joi  de  l'hégire  (  720 
de  J.-C.)_,  à  son  cousin  Omar  II;,  au- 
quel il  ne  ressemblait  guère,  et  dont 
on  le  soupçonna  d'avoir  avancé  la 
mort  (  F.  Omar  II  ).  Il  révoqua  la 
plupart  des  gouverneurs  de  pro- 
vinces ,  nommés  par  ses  prédéces- 
seurs, ce  qui  occasionna  dans  l'empi- 
re musulman  des  troubles  qui  furent 
aisément  apaisés.  Il  n'en  fut  pas  de 
même  de  la  révolte  de  Yczid  Ibn 
Mahleb ,  qui  ne  put  être  étouffée  que 
par  la  mort  de  ce  fameux  rebelle,  et 
par  les  talents  de  Moslemah,  frère  du 
khalife^  et  de  son  neveu  Abhas,  fils 
de  Walid  I^r.  (  F.  Moslemah  j.  Ye- 
zid  persécuta  les  chrétiens;  publia" 
un  édit  pour  la  destruction  de  leurs 
images  ;  défendit  qu'ils  fussent  admis 
en  témoignage  contre  les  musulmans, 
et  ordonna  que  la  déposition  d'un 
musulman  aurait  autant  de  poids 
que  celle  de  deux  chrétiens.  Ce  fut 
d'ailleurs  un  prince  indolent,  adonné 
auxpîaisirs  ,  esclave  de  ses  passions; 
qui  dissipa  les  trésors  de  l'état  pour 
ses  concubines,  et  dont  le  court  rè- 
gne ne  fut  remarquable  que  par  les 
victoires  que  Moslemali  remporta 
sur  les  Turcs.  Yezid  était  beau  et 
bien  fait.  Sa  mort  prouve  qu'il  était 


YEZ 

doué  d'une  grande  sensibilité.  Ayant 
perdu  une  de  ses  esclaves ,  qui  fut 
étouflée  par  un  grain  de  raisin  qu'il 
lui  avait  jeté  dans  la  bouche,  en 
jouant  avec  elle,  il  tomba  dans  un 
tel  désespoir  ,  qu'il  refusa  ,  pendant 
plusieurs  j  ours ,  de  la  laisser  enterrer. 
Lorsqu'on  l'eut  mise  au  tombeau  ,  il 
l'en  lit  retirer  pour  la  voir  encore, 
ne  lui  survécut  qu'e  peu  de  jours,  et 
voulut  être  inhumé  avec  elle.  Il  mou- 
rut le  "^^  chaban  io5  (  février  724  ), 
âgé  de  trente-sept  ans,  après  en 
avoir  régné  un  peu  plus  de  quatre. 
Ce  prince  avait  ordonné  l'année 
précédente  ,  par  un  édit ,  de  tuer 
les  chiens ,  les  pigeons  ,  les  coqs 
blancs ,  et  tous  les  animaux  de  cette 
couleur,  qui  était  celle  que  la  mai- 
son d'Ommeyah  avait  adoptée.  Son 
frère  Hescham  lui  succéda.  —  Ye- 
zid Ht ,  neveu  des  précédents  ,  et  fils 
de  Walid  1^^.  ^  fi,t  je  1 1^.  khalife  de 
la  race  des  Ommeyades  ,  et  succéda  , 
l'an  1 26  de  l'hég.  (744  ^^  J.-C.  ) ,  à 
son  cousin  Walid  II,  qu'il  avait  fait 
assassiner.  Malgré  son  crime  et  son 
usurpation  que  les  vices  et  l'impiété 
de  son  prédécesseur  semblaient  ren- 
dre excusables;  malgré  son  orgueil 
d'être  issu  par  sa  mère  des  rois  de 
Perse  Sa ssanides,  Yczid  est  repré- 
sente comme  un  prince  doux  , 
juste  et  vertueux.  Il  aimait  le 
faste ,  et  prenait  le  nom  de  Khosrou , 
à  cause  de  son  origine  maternelle  ; 
mais  on  lui  donna  le  suruom  à' Al- 
Nakes  (  celui  qui  retranche  ),  parce 
que  le  mauvais  état  des  finances  l'o- 
bligea de  diminuer  la  solde  des  trou- 
pes. La  mort  de  Walid  causa  de 
grands  troubles  dans  l'empire.  Les 
Hemesseuiens  prirent  les  armes  pour 
la  venger  ,  et  battirent  les  troupes 
du  nouveau  klialife.  Les  peuples  de 
la  Palestine  massacrèrent  leur  gou- 
verneur. Mais  la  révolte  la  plus  dan- 


YEZ 

gerensc  fut  celle  de  Merwan ,  fils  de 
Mohammed  ,  prince  du  sang  des 
Ommeyades,  et  gouverneur  de  l'Ar- 
ménie. Yezid  l'assoupit  pour  un 
temps ,  en  faisant  des  concessions 
à  son  parent  ;  mais  elle  recommença 
plus  tard  avec  plus  de  force ,  et  le 
schisme  qu'elle  occasionna  parmi  les 
musulmans  accéléra  la  ruine  des 
Ommeyades  (/^.  Merwan  II).  Yezid 
avait  à  peine  régné  six  mois  ,  lors- 
qu'il mourut  de  la  peste  à  Damas , 
k  18  dzoulhadjah  126  (  3o  sept. 
744  )  ?  âgé  de  quarante  à  quarante- 
six  ans.  Il  avait  fait  reconnaître  pour 
ses  successeurs  au  khalifat,  son  frè- 
re Ibrahim  et  son  neveu  Abd-el- 
Aziz,  fils  dcHedjadj.Mais  le  second 
ne  régna  pas  ,  et  le  premier,  au  bout 
de  deux  mois  ,  contraint  de  ré- 
signer le  khalifat  à  Merwan  II,  a  si 
peu  marqué  dans  l'histoire ,  que  les 
auteurs  varient  sur  l'époque  et  le  gen- 
re de  sa  mort.  Le  corps  de  Yezid  III 
fut  exhumé  et  pendu  par  ordre  de 
Merwan.  A — t. 

YEZID  IBN  MAHLEB,  digne  fils 
d'un  grand  homme  (  F.  Mahleb  ) , 
et  non  moins  célèbre  par  ses  mal- 
heurs que  par  ses  exploits,  succéda  à 
son  père,  l'an  de  l'hégire  83  (de  J.-G. 
70a  ) ,  dans  le  gouvernement  du  Kho- 
raçan.  Quoiqu'il  ne  fût  réellement 
que  le  lieutenant  du  fameux  Hedjadj, 
dans  cette  province ,  il  hésita  à  com- 
battre le  rebelle  Abd-el-Rahman  Ibn 
Al- Aschat  et  lui  envoya  de  nombreux 
et  riches  présents  ;  mais  à  la  suite  de 
ces  procédés  généreux  ,  redoutant 
quelque  perfidie,  il  lui  livra  bataille  , 
le  vainquit,  et  déshonora  même  son 
Iriomj^he  en  envoyant  .1  Hedjadj  la 
tète  d'un  des  principaux  partisans 
d'Abd  -  el  -  Rahman  ,  et  deux  au- 
tres chefs  de  cette  révolte  enchaînés. 
Ce  service  ne  put  justifier 'dans  l'es- 
prit du  soupçonneux  Hedjadj   l'hé- 


YEZ  477 

sitation  qu'avait  d'abord  montrée 
Yezid  ;  il  lui  donna  pour  successeur 
Kotaïbah  _,  1/an  85 ,  le  rappela  au- 
près de  lui,  el  l'ayant  fait,  plus  tard, 
entourer  de  gardes  dans  une  tente 
voisine  de  la  sienne,  il  le  condamna 
à  payer  six  millions  d'aspres  ,  et  lui 
extorqua  la  moitié  de  cette  somme. 
Comme  Yezid  était  dans  l'impossibi- 
lité d'acquitter  le  reste,  Hedjadj  le 
fît  mettre  à  la  torture  ,  et  inventant 
chaque  jour  quelque  supplice  nou- 
veau ,  il  poussa  le  raffinement  de  la 
cruauté  jusqu'à  ordonner  au  bour- 
reau de  gratter  ,  avec  un  peigne  de 
fer,  une  blessure  mal  cicatrisée  que 
ce  général  avait  reçue  au  bas  de  la 
jambe.  Aux  cris  terribles  du  mal- 
heureux Yezid ,  sa  sœur ,  femme  de 
Hedjadj ,  accourut  et  accabla  son 
barbare  époux  de  si  violents  re- 
proches ,  qu'il  la  répudia.  Enfin 
Yezid  parvint  à  se  dérober  aux  tour- 
ments qu'il  endurait  depuis  si  long- 
temps ;  il  enivra  ses  gardes,  sortit 
du  camp  ,  déguisé  par  une  barbe 
blanche  et  le  costume  d'un  cuisinier^ 
monta  sur  un  cheval  qu'un  de  ses 
frères  lui  avait  procuré  ,  gagna  la 
Syrie  ,  et  trouva  un  asile  auprès  de 
Soléiman,  frère  du  khalife  Walidl*^^'. 
Il  y  fut  poursuivi  par  la  haine  de  son 
implacable  ennemi.  Hedjadj  écrivit 
au  khalife  pour  lui  dénoncer  les  con- 
cussions de  Yezid  ,  et  lui  découvrir 
sa  retraite.  Walid  ayant  réclamé  ce 
malheureux  ,  Soléiman  répondit  à 
son  frère  que  la  famille  d'Yezid , 
alliée  dès  long-temps  à  celle  d'Om- 
meyah  par  les  nœuds  du  sang  et  de 
l'amitié ,  avait  rendu  de  grands  ser- 
vices à  l'islamisme,  et  n'avait  jamais 
encouru  le  reproche  de  malversation  ; 
que  Yezid  lui-mcnie  était  faussement 
accusé  par  Hedjadj  ,  et  qu'en  atten- 
dant qu'il  pût  faire  entendre  sa  jus- 
tification, il  espérait  que  le  khalife 


4-B 


YEZ 


lui  permettrait  de  medre  ses  jours  en 
sr.rcte.  Walid  accueillit  mal  les  repré- 
sentations de  son  frère,  et  lui  intima 
l'ordre  d'envoyer  à  Damas  Yezid  en- 
chaîné. Celui-ci,  craignant  de  com- 
promettre les  jours  de  son  ami  par 
une  plus  longue  résistance  ,  était  dé- 
terminé à  céder  à  une  dure  néces- 
sité ;  mais  Soléiman  poussa  la  géné- 
rosité jusqu'à  l'héroïsme:  il  chargea 
de  la  même  chaîne  Yezid  et  son  pro- 
pre fils  ,  les  emÎ3rassa  et  leur  remit 
pour  le  khalife  une  lettre  ainsi  con- 
çue :  «  Je  vous  envoie  Yezid  et  votre 
»  neveu  Ayoub  :  tous  deux  sont  vos 
))  esclaves.  Si  vous  ne  me  les  ren- 
»  voyez  pas  ,  ne  trouvez  point  mau- 
n  vais  que  j'aille  îes  rejoindre^  et 
»  que  la  même  chaîne  serve  pour 
»  trois.  »  Le  khalife  s'émut  à  la 
lecture  de  celte  lettre,  et  à  la  vue 
de  son  neveu  dans  la  posture  d'un  cri- 
minel: il  agréa  les  excuses  de  Yezid, 
brisa  ses  fers,  lui  pardonna  quand 
même  il  aurait  eu  quelques  torts, 
le  combla  de  caresses  et  de  présents  , 
ainsi  que  le  (ils  de  Soléiman  ,  et  les 
renvoya  tous  deux  auprès  de  ce  prin- 
ce. La  mort  de  Wa'id  avant  laissé 
le  khalifat  h  son  frère  Soléiman, 
l'an  96  ,  Yezid  ,  qui  s'était  flatté 
d'être  rétabli  dans  le  gouvernement 
du  Khoraçan  ,  parut  peu  satisfait  de 
n'avoir  obtenu  que  celui  de  l'Irak. 
Il  eut  recours  à  la  ruse  ,  et  fît  per- 
suader indirectement  au  khalife  que 
Yezid  îbn  Mahleb  était  le  seul  géné- 
ral en  état  de  gouverner  et  de  dé- 
fendre les  frontières  orientales  de 
l'empire  ,  le  seul  digne  de  succéder  à 
Kotaïbah  (  P'oj'.  ce  nom  ) ,  dans  ce 
poste  non  moins  important  que  pé- 
rilleux. Yezid  justilja  le  choix  du 
khalife  par  ses  exploits  j  mais  en 
même  temps  il  réalisa  en  partie  les 
soupçons  de  PIcdjadj.  En  quittant 
l'Jrak,    il  laissa   des  lieutenants    à 


YEZ 

Bassora  et  à  Koufah  ,  et  chargea  un 
de  ses  iils  d'en  percevoir  les  revenus. 
Il  se  fit  précéder  dans  le  Khoraçan 
par  un  autre  de  ses  fils  qui  ,  dèsv^on 
arrivée  à  Merou,  procura  à  son  pè- 
re des  sommes  considérables,  en  fai- 
sant mettre  à  la  torture  tous  les  dé- 
positaires des  trésors  de  Kotaïbah. 
L'an  97  j  Yezid  envoya  des  troupes 
sur  divers  points  pour  continuer  les 
conquêtes  de  son  prédécesseur  •  mais 
il  se  réserva  la  plus  difficile  :  le 
Kourkian  ou  Djordjan  et  le  Thaba- 
ristan,  situés  sur  le  bord  méridional 
de  la  mer  Caspienne ,  avaient  résisté 
à  toute  la  puissance  des  monarques 
sassanides  de  Perse.  Assiégée  par  les 
Arabes,  soiis  le  khalifat  d'Osman  ,  la 
ville  de  Kourkian  s'était  rachetée  à 
force  d'argent.  Yezid  entra  dans  cette 
contrée,  vainquit  le  roi  Saouli ,  mais 
luilaissa  ses  états,  après  en  avoir  en- 
levé des  richesses  immenses  ,  et  se 
contenta  d'y  conserver  un  faible  corps 
d'observation.  11  pénétra  ensuite  dans 
leThabaristan,  et  remportasur  le  roi 
Esfched  ou  Akhschid ,  une  victoire 
long-temps  disputée.  Tandis  que  les 
habitants  embarrassaient  sa  marche 
en  faisant  rouler  du  haut  de  leurs 
montagnes  des  arbres  et  des  rochers, 
il  fut  obligé  de  retourner  dans  le 
Djordjan,  où  les  musulmans  avaient 
été  égorgés.  Feignant  toutefois  d'ac- 
corder la  paix  au  roi ,  il  lui  extor- 
qua d'énormes  contributions.  Alors 
il  parut  devant  la  capitale  ,  et  jura 
d'y  répandre  autant  de  sang  qu'il  en 
faudrait  pour  faire  tourner  un  mou- 
lin ,  et  de  manger  du  pain  fait  avec 
la  farine  que  produirait  cet  horrible 
moyeu.  La  place  fut  emportée  ,  et 
Yezid  put  tenir  son  serment,  car  le 
ruisseau  qui  la  traversait  et  sur  le- 
quel était  un  moulin  ,  fut  grossi  du 
sang  des  habitants.  Le  vainqueur  fit 
démohr  le  château,  emmena  douze 


YEZ 

mille  esclaves  ,,  et  informa  le  kha- 
life de  celte  coiiquciîc  et  du  riche  Ixi- 
tin  qu'il  y  avait  trouvéj  mais  comme 
il  n'envoya  point  la  note  détaillée  de 
ce  butin ,  ses  envieux  le  rendirent 
suspect  à  Sole'iman  lui-même  ,  qui 
mauda  à  son  frère  Moslemah  {P^oy. 
ce  nom  )  de  lever  le  siège  rie  Cons- 
tautiuupie,  et  d'alier  arrêter  ce  gê- 
nerai. La  mort  de  Soléinian  empêcha 
rexe'cution  de  cet  ordre  ^  mais  le 
nouveau  khalife  (  Foy.  Omar  ÏI  ) , 
circonvenu  comme  son  prédécesseur, 
priva  Yezid  du  gouvernement  de 
l'Irak  ,  et  le  rappela  du  Khoraçan, 
Tan  99  (  7  «  7  )•  Yezid ,  arrêté  à  Bas 
sora  ,  par  le  gouverneur  qui  lui  avait 
succédé,  fut  envoyé,  chargé  de  fers, 
au  khalife  qui  le  somma  de  remettre 
au  trésor  public  tout  l'argent  qu'on 
l'accusait  d'avoir  détourné  à  son  pro- 
fit. N'ayant  pu  fournir  toute  la  som- 
me qu'on  exigeait  de  lui,  il  fut  mis 
en  prison.  En  vain  son  fils  Wahleb, 
qui  avait  commandé  dans  le  Khora- 
çan ,  jusqu'à  l'arrivée  du  nouveau 
gouverneur  ,  accourut  à  Damas  pour 
jusiifier  son  père ,  et  réclamer  sa 
liberté  j  il  mourut  de  chagrhi  de 
n'avoir  pu  l'obtenir.  Omar  loua  le 
courage  et  la  tendresse  filiale  de 
Mahîebj  mais  les  préventions  que 
lui  avaient  inspirées  les  ennemis  de 
Yezid  subsistaient  toujours.  La  for- 
tune sembla  se  lasser  un  moment  de 
persécuter  ce  grand  capitaine.  11  vit 
ompre  ses  fers  l'an  101(720),  peu 
de  jours  avant  la  mort  d'Omar  II , 
^oit  par  adresse  ou  par  hasard  ,  soit 
par  un  bienfait  de  ce  vertueux  kha- 
life qui  voulut  le  dérober  à  la  haine 
de  son  successeur  présomptif,  Yezid 
II  (  f.  ce  nom  ).  En  ollet ,  aussitôt 
que  celui-ci  eut  pris  possession  du 
khalifat ,  il  donna  ordre  aux  gouver- 
neurs de  Koufah  ,  de  Bassora  et  du 
Khoraçan  d'arrêter  Yezid  Ibn  rvlah- 


YIZ 


4:9 


leb  et  tous  ses  parents.  Moins  inquiet 
de  l'orage  qui  le  menaçait,  que  du 
sort  de  trois  de  ses  frères  incarcérés 
à  Bassora  ,  Yezid  réclama  leur  liber- 
té ,  promettant  de  se  retirer  avec 
eux  dans  un  désert,  loin  des  affaires 
du  monde.  N'ayant  point  reçu  de 
réponse,  il  marche  sur  Bassora  , 
défait ,  avec  les  gens  seuls  de  sa  mai- 
son ,  un  corps  de  troupes  réglées , 
entre  dans  la  ville  aux  acclamations 
des  habitants,  s'empare  du  château, 
délivre  ses  frères  _,  et  fait  prison- 
nier le  gouverneur.  Mais  dans  le  même 
temps  deux  de  ses  fils  furent  arrêtés  à 
Koufah  ,  et  moururent  dans  les  fers. 
Yezid  ,  n'ayant  plus  rien  à  ménager  , 
se  déclara  souverain  à  Bassora ,  et 
fut  reconnu  comme  tel  ])ar  les  peu- 
ples de  l'Ahvvaz ,  du  Farsistan  ,  du 
Kerman  et  de  tous  les  pays  jusqu'à 
r Indus.  Il  rassembla  une  nombreuse 
armée  et  marcha  contre  celle  que 
commandait  Moslemah  ,  frère  du 
khalife.  La  rencontre  eut  lieu  sur  les 
bords  de  l'Euphrate  ,  près  des  ruines 
de  Babylone.  La  bataille  fut  terrible. 
Les  troupes  de  Yezid ,  d'abord  vic- 
torieuses y  commencèrent  à  plier. Pla- 
cé aux  premiers  rangs  ,  il  appelait  à 
grands  cris  Moslemah  et  le  défiait 
au  combat  singulier  pour  ménager 
le  sang  des  musulmans.  Mais  les  amis 
du  prince  l'empêchèrent  de  se  me- 
surer avec  ce  vaillant  champion. 
Yezid ,  voyant  que  sa  cause  était  per- 
due sans  ressource ,  se  précipita  dans 
les  bataillons  ennemis,  et  y  trouva 
une  mort  glorieuse.  Il  était  âgé  d'en- 
viron cinquante  ans.  Presque  tous  ses 
parents  ,  au  nombre  de  trois  cents  , 
furent  faits  prisonniers  et  envoyés 
au  khalife  qui  leur  fit  trancher  la 
tête.  Plusieurs  autres  avaient  péri 
dans  le  combat.  Moawyah ,  que  son 
père  Yezid  avait  laissé  à  Waset  , 
ayant  appris  le  désastre  de  sa  fa- 


48o  YEZ 

mille ,  usa  de  représailles  sur  le  gou- 
verueur  de  Bassora  ,  sur  sou  fils  et 
plusieurs  autres  oiliciers  du  klialife  , 
s'empara  des  trésors  de  cette  ville  , 
et  se  retira  dans  le  Kermau  avec  les 
parents  qui  lui  restaient.  Poursuivi 
par  les  troupes  klialifales  ,  il  ])erit 
dans  un  dernier  combat,  sur  les 
frontières  de  l'îndoustan  ,  et  tout  ce 
qui  existait  encore  de  la  famille  de 
Mahleb,  fut  mis  à  mort  ou  vendu 
comme  esclave.  Ainsi  fut  anéantie 
celte  race  illustre  dont  le  plus  grand 
crime,  le  seul  tort  peut-être,  fut  d'a- 
voir par  sa  puissance  ,  ses  richesses 
et  sa  gloire  militaire  .  porté  om- 
brage <à  la  maison  des  Ommeyades , 
qui ,  privée  de  ces  nobles  soutiens  , 
marcha  dès  ce  moment  à  une  déca- 
dence rapide.  A — t. 

YEZID  (  Mule  Y -Mohammed - 
Mahdy-al-)  ,  empereur  de  Maroc, 
de  la  race  des  chérifs,  aujourd'hui 
régnante ,  et  le  second  des  fils  de 
Sidi-Moliammed  ,  naquit  vers  l'an 
i-^So,  et  eut  pour  mère  la  fille  d'un 
renégat  anglais.  11  donna  de  bonne 
heure  des  soupçons  à  son  père  qui 
l'obligea  d'aller  à  la  Mekke  ,  en 
1778.  De  retour  de  ce  pèlerinage 
forcé,  il  éveilla  encore  la  défiance  du 
roi ,  et  prit  le  parti  de  se  retirer  à 
Tunis.  Mais  le  grand  âge  de  Sidi-Mo- 
liammed  donnant  à  Muley  Yezid 
l'espérance  de  monter  bientôt  sur  le 
trône,  quoiqu'il  sût  bien  que  l'inten- 
tion de  son  père  n'était  pas  de  l'y 
appeler  ,  il  revint  secrètement  dans 
le  royaume  ,  en  1789  ,  et  se  cacha 
pendant  un  an  dans  un  sanctuaire 
près  de  Tétuan  ,  sans  troupes  et  sans 
suite ,  ne  voulant  ni  faire  la  guerre  au 
vieux  monarque,  ni  lui  donner  de 
l'ombrage  ,  mais  seulement  attendre 
en  sûreté  le  moment  de  lui  succéder. 
Sidi -Mohammed  eut  vainement  re- 
cours aux  négociations  ,  aux  pro- 


YEZ 

messes  ,  aux  menaces  pour  tirer  Ye- 
zid de  son  asile  ;  il  envoya  Muley 
Hachem  ,  un  autre  de  ses  fils,  avec 
un  corps  de  six  mille  liommes  pour 
l'en  arracher.  Mais  la  résistance  fa- 
natique des  gardiens  du  sanctuaire 
intimida  le  jeune  prince  qui  n'osa 
pas  exécuter  les  ordres  de  son 
père.  Sidi-Mobammed  chargea  un 
de  ses  généraux  de  cerner  le  sanc- 
tuaire ,  et  partit  pour  terminer  lui- 
même  cette  entreprise.  Sa  mort  dis- 
sipa les  craintes  de  Yezid  ,  et  réalisa 
ses  espérances.  Quoiqu'il  eût  plu- 
sieurs frères ,  qu'il  fût  le  plus  pauvre 
de  tous ,  et  que  son  titre  d'aîné  ne 
lui  donnât  aucun  droit  au  trône  ,  les 
ministres  qui  se  trouvaient  auprès  du 
monarque  défunt  informèrent  Yezid 
de  la  mort  de  ce  prince,  et  le  firent 
proclamer  à  Rabatet  à  Salé , le  même 
jour  1 1  avril  1790.  Un  des  premiers 
actes  de  son  règne  fut  de  convoquer 
à  Tétuan  les  consuls  des  puissances 
européennes  :  il  les  menaça  de  les 
chasser ,  et  de  déclarer  la  guerre  à 
leurs  souverains  ,  excepté  à  l'An- 
gleterre. Il  se  radoucit  bientôt,  et 
leur  fit  annoncer  qu'il  maintiendrait 
la  paix  à  condition  qu'on  lui  enver- 
rait des  ambassadeurs  et  des  présents, 
en  sus  du  tribut  ordinaire  ;  il  partit 
peu  de  jours  après  pour  Mekinès,  où 
il  reçut  le  consul  de  France  auquel  il 
ne  fit  grâce  que  du  dernier  article 
dont  le  gouvernement  français  était 
exempt  sous  le  règne  du  monar- 
que précédent.  Yezid  d'ailleurs  parut 
vouloir  .prendre  pour  modèle  son 
bisaïeul ,  Muley  Ismaël  (  Fof.  ce 
nom),  plutôt  que  Son  père.  Orgueil- 
leux ,  entêté  ,  cruel  et  fanatique  ,  il 
débuta  par  faire  massacrer  plusieurs 
juifs  à  Tétuan  ,  à  Larasch  ,  à  Al- 
cassar ,  par  les  noirs  qui  mirent  leurs 
maisons  au  pillage.  Ceux  de  Rabat 
et  de  Salé  furent  taxés  à  de  fortes 


YEZ 

tonlriÎ3iUioiis.  Ce  prince  avait  pris 
]a  couronne  sans  opposition.  Ses 
frères ,  qui  commandaient  à  Ma- 
roc, à  Fez  et  dans  diverses  autres 
provinces,  s'étaient  soumis  à  son  au- 
torilc  ;  Mulcy  Abd-e!-raliman  ,  son 
frère  aine  ;,  disgracie  depuis  long- 
temps ,  et  exilé  dans  la  province  de 
Fez,  après  lui  avoir  écrit  d'aliord 
une  lettre  menaçante  ,  avait  fini  par 
le  reconnaître  pour  son  souverain. 
Yezid  n'avait  qu'à  se  montrer  dans 
la  capitale  et  dans  les  parties  méri- 
dionales de  son  empire  pour  àlTermir 
sa  domination.  Son  ignorance  et  son 
obstination  l'engagèrent  dans  une 
entreprise  absurde  et  dispendieuse 
qui  le  conduisit  à  sa  perte.  Voulant 
se  venger  de  la  cour  de  Madrid  qui , 
disait-il ,  avait  fait  signer  à  son  pè- 
re des  traités  honteux  et  funestes  à 
l'empire  de  Maroc  ,  il  manifesta  le 
désir  de  reprendre  Ceuta  ;  et  malgré 
l'exactitude  de  Charles  IV,  à  rem- 
plir les  devoirs  d'étiquette ,  cà  payer 
entièrement  le  bled  que  le  feu  roi  de 
Maroc  avait  fourni  à  l'Espagne  ; 
malgré  ses  soins  et  ses  eftbrts  pour 
prévenir  une  rupture  ^  il  eut  à  peine 
le  temps  de  la  dilférer  jusqu'à  ce  que 
ses  consuls  et  ses  missionnaires  fus- 
sent en  surete'.  Leur  évasion  subite  , 
et  la  perte  de  trois  bâtiments  ,  l'un 
{été  à  la  côte  ,  les  autres  pris  par  les 
frégates  espagnoles  ,  mirent  Yezid 
în  fureur.  Déjà  il  avait  livré  au 
îupplice  le  premier  ministre  de  son 
îère  ,  et  avait  fait  clouer  sa  main 
Iroite  à  un  poteau  devant  la  mai- 
son consulaire.  Il  livra  depuis  cette 
aaison  au  pillage,  et  fit  attacher  à 
a  porte  la  tête  du  gouverneur  de 
Tanger  qu'il  avait  tué  de  sa  main , 
omme  coupable  d'intelligence  avec 
es  ennemis ,  et  celles  de  deux  olli- 
iers  mis  à  mort  par  son  ordre  sous 
î  même  prétexte.  Alors  il  déclara  la 


YEZ 


48i 


guerre  à  l'Espagne ,  et  dès  le  lende- 
main, 24  septembre,  il  ordonna  lo 
siège  de  Ceuta.  Le  feu  commença  le 
4  octobre  :  mais  malgré  les  renforts 
que  l'armée  marocaine  recevait  jour- 
nellement, les  travaux  furent  mai 
conduits  ,  et  les  hostilités  furent  en- 
core suspendues  par  des  négociations. 
L^n  envoyé  de  Maroc  arriva  à  Ma- 
drid en  janvier  179 1.  Charles  IV 
restitua  les  deux  bâtiments  maures  , 
et  obtint  la  délivrance  de  ses  consuls 
de  Mogador,  de  Larasch  ,  et  de 
quelques  missionnaires  que  le  roi  de 
Maroc  retenait  dans  les  fers.  Les 
prétentions  du  monarque  africain 
qui  s'opiniàtrait  à  demander  la  res- 
titution de  Ceuta  ,  de  Melilla  ,  de 
Penon-de- Vêlez  et  d'Alhucemas,  ses 
tentatives  contre  ces  places,  et  sa 
mauvaise  foi  ,  déterminèrent  le  roi 
d'Espagne  à  lui  déclarer  la  guerre  , 
le  19  août.  Le  siège  de  Ceuta  re- 
commença le  même  jour  ,  mais  avec 
aussi  peu  de  succès  pour  les  Maures. 
Cependant  l'empire  était  près  d'é- 
chapper à  Muley -Yezid:  des  révoltes 
éclataient  sur  plusieurs  points  dans 
les  provinces  méridionales.  Muley 
Abd-cl-rahman  avait  été  proclame 
roiàTarudan.  Ces  mouvements  obli- 
gèrent le  monarque  à  s'éloigner  de 
Ceuta  avec  la  plus  grande  partie 
de  son  armée  ,  le  18  septembre  , 
et  à  demander  une  trêve  :  mais  in- 
formé que  l'inconduite  et  les  exac- 
tions de  son  compétiteur  avaient 
affaibli  son  parti,  et  se  croyant  sûr 
de  triompher  de  tous  les  obstacles , 
il  fit  égorger  quatre  prisonniers  es- 
pagnols ,  dont  il  envoya  les  pieds  et 
les  têtes  dans  les  places  maritimes , 
et  il  reparut  devant  Ceuta  ,  vers  le 
milieu  d'octobre.  Cependant  un  rival 
plus  redoutable  ,  Muley  Hacheni ,  se 
révolte  à  Maroc  ,  et  fait  soulever  les 
provinces  méridionales.  Yezid  se  dé- 
3i 


48'2 


YGL 


termine  enfin  ,  le  7  novembre^  à  re- 
noncer entièrement  à  son  entreprise 
contre  Ccuta  j  il  décampe ,  et  envoie 
un  Italien  pour  négocier  avec  la  cour 
(le  Madrid.  La  mortdeYezidempêclia 
la  conclusion  du  traite;  mais  la  guerre 
avec  l'Espagne  fut  terminée.  Ceprin- 
ce  ,  ayant  marché  contre  sou  frère,  fut 
blesse  mortellement  dans  une  bataille, 
à  la  fin  de  l'anne'e  1791  ,  et  périt  des 
suites  de  ses  blessures,  après  un 
règne  d'environ  vingt  mois.  Celui  de 
MuîeyHachem  ne  fit  que  passer.  Plu> 
sieurs  de  ses  frères  prirent  les  armes 
contre  lui ,  et  Sidi  Soléiman  le  plus 
îiabile  et  le  plus  estimable  de  tous, 
ayant  triomphé  de  ses  compéti- 
teurs, monta  ,  en  1792  ,  sur  le  trône 
de  Maroc  ,  qu'il  a  occupé  plus  de 
trente  ans.  A — t. 

YGLÉSIAS  (  Don  Joseph  de  ), 
poète  espagnol  ,  né  àSalamanque  en 
1753,  fit  ses  études  à  l'université  de 
celle  ville ,  et  se  livra  dès-lors  à  son 
goût  pour  la  poésie.  Ses  premiers 
essais  furent  des  pièces  de  vers  d'un 
genre  libre  ,  et  dont  le  ton  contras- 
tait singulièrement  avec  la  figure  ré- 
barbative de  l'auteur  ,  peut  -  être 
encore  davantage  avec  l'état  ecclé- 
siastique qu'il  embrassa  plus  tard. 
Mais  dès  qu'il  fut  entré  dans  les  or- 
dres ,  sans  renoncer  à  faire  desvers^ 
Yg'.ésias  ne  traita  plus  que  des  sujets 
graves  et  sévères  ,  genre  auquel  il 
paraît  que  la  nature  ne  l'avait  pas 
destiné  ,  puisque  ses  premières  com- 
positions sont  de  beaucoup  supé- 
rieures aux  dernières.  Ami  et  quel- 
quefois rival  de  Mélendez,  il  lutta  con- 
tre ce  célèbre  poète  (  V,  Mélendez), 
en  composant  la  Fleur  du  Zurguen 
et  la  Rose  d'avril.  Yglésias  mor.rut 
à  Salamauque  en  1791.  M.  Maury 
lui  a  consacié  une  notice  dans  son 
Espagne  poétique  ,  'x  vol.  in-8". , 
Paris  ,  1827^  et  il  a  donné  dans  le 


YHT 

même  ouvrage  la  traduction  en  vers 
français  de  quelques-unes  de  ses  poé- 
sies. Z. 

Y  HIANG  ,    célèbre   astronome 
chinois  ,  vivait    dans    Ja  première 
moitié  du  huitième  siècle  de  notre 
ère.  Son  nom  de  famille  était  Tchaîig; 
il  descendait  des  princes  de  Tliang. 
S'étant  fait  bonze,  il  vécut  dans  la  re- 
traite à  la  montagne  Soung  chan  dans 
le  Ho  nan.En7'2i  ,  une  éclipse  calcu- 
lée, selon  la  méthode  alors  reçue  par 
les  astronomes  de  la  cour,  n'arriva 
pas  au  temps  qu'ils  avaient  déter- 
mine. L'empereur  fit  venir  Y  hiang, 
qui  passait  pour  très-habile  en  astro- 
nomie ,  et  le  chargea  de  la  réforme 
du  calendrier,  et  de  la  confection  d'u- 
ne sphère  mobile.  Y  liiang  exécuta  ces 
ordres  à  la  satisfaction  du  prince,  et 
prit  toutes  les  mesures   pour   s'as- 
surer d'une  bonne  méthode  ,  qu' 
appliqua  ensuite  aux  figures  et  a( 
nombres  du  livre  Y  kmg ,  qui  est 
premier  classique  des  Chinois,  et  qi 
contient  les  célèbres  Koua ,  ou  trd 
grammer  et  trepagrammerde  Fou  hl 
C'est  sur  ces  figures  et  ces  nombres  qi 
s'appuie  en  Chine  tout  ce  qui  a  ra[ 
port  aux  mathématiques  et  h.  la  plu 
losophie;  il  ne  faut  donc  pas  êti 
étonné  que  Y  hiang  s'en  servît  pour 
l'explication  des  théorèmes  astrono- 
miques. Il  choisit  le  principal  koua 
de  l'Y  king,  nommé  Tajan ,  pour 
le  mettre  à  la  lêle  de  son  ouvrage, 
qui ,  pour  celle  raison ,   est  connu 
sous  le  titre  de  V  Astronomie  de  Tù 
jT^/z.  Y  hiang,   voulant  déterminei 
d'une  manière  précise   la  situatioij 
des  principaux  lieux  de  l'empire,  ûi 
faire  des  gnomons ,  des  sphères ,  de 
astrolabes ,  des  quarts  de  cercle  ^ 
autres  instruments  d'observation.  I 
envoya  des  mathématiciens  dans  I^ 
Nord  et  dans  le  Midi ,  et  les  chargea 
d'observer  tous  les  jours,  où  cela  se« 


YHI 

rait  possible,  la  hauteur  méridienne 
du  soleil  par  le  gnomon  de  huit  pieds , 
et  la  hauteur  de  l'étoile  polaire.  Il 
fil  aussi  prendre  la  distance  précise 
de  quelques  places  du  Nord  et  du 
Midi.  On  choisit  pour  cela  les  vastes 
plaines  de  la  province  de  Ho  nan  ,  qui 
s'étendent  au  nord  et  au  sud  du 
Houang  ho.  Le  but  de  Y  hiang  était 
de  savoir  précisément  le  nom  des  li , 
qui  sur  la  terre  répondent  à  un  de- 
gré de  latitude.  L'histoire  ne  dit  pas 
quelles  mesures  cet  habile  astronome 
prit  pour  déterminer  la  dilFércnce 
des  lieux  d'est  à  l'ouest,  et  en  géné- 
ral il  n'est  pas  aisé  de  décider  si, 
jus(pi'à  l'arrivée  des  Jésuites  ,  les 
Chinois  ont  su  la  proportion  des  dis- 
tances de  l'est  à  l'ouest,  à  mesure  qu'on 
va  du  nordau  sud.Y  hiangenvoya  aus- 
sides  gens  habiles  dans  la  capitaledu 
royaumed' Anara,  ou  de  la  Gochinchi- 
ne,  etd'autres  au  nord  jusque  dans  le 
pays  fies  Thieli,  situé  dans  la  Sibérie 
méridionale .  avec  ordre  de  marquer 
exactement  la  durée  des  jours  et 
des  nuits  ,  et  d'observer  les  dilTércn- 
les  étoiles,  qui  ne  sauraient  être  vues 
sur  l'horizon  de  Tchliang  ngan , 
ou  Si  ngan  fou  dans  le  Chen  si ,  alors 
capitale  de  la  Chine.  Lesastronomies 
chinoises  n'avaient  jusqu'à  lui  parlé 
que  des  astres ,  qui  sont  visibles  sur 
l'horizon  de  34  à  40^^  de  latitude  : 
on  commença  alors  à  parler  de 
Canupe  et  des  autres  étoiles  qui  sont 
au  sud  de  celle  -  là.  Y  hiang  exami- 
nant les  mesures  qu'on  avait  pri- 
ses dans  le  Ho  nan ,  conclut  que  35 1 
U  (  I  )  et  80  pas  répondaient  sur  la 
terre  à  un  degré  de  latitude.  Com- 
parant les  observations  faites  dans 
les  diflérentes  provinces  avec  les 
siennes  ,  il  s'assura  que  l'étoile  po- 


(i)  C'esl-,\-dire  des  li.,  tels  qu'ils  étaient  iisités  de 
on  tenips. 


YHI 


483 


laire  était  éloignée  du  pôle  de  3  de- 
grés ;  mais  on  ne  sait  pas  quelle 
étoile  de  la  petite  ourse  il  supposait 
être  la  plus  voisine  du  pôle.  Y  hiang 
eut  grand  soin  d'examiner  les  ancien- 
nes éclipses ,  mais  il  calcula  mal  celle 
qui  est  rapportée  dans  le  Chou  king. 
Il  fit  observer  dans  toutes  les  pro- 
vinces de  l'empire  les  éclipses,  et 
il  ne  manqua  pas  de  se  servir  de  ces 
observations  pour  découvrir  le  chan- 
gement que  causaient  au  temps  et  aux 
phases ,  la  difïerence  des  lieux  du 
nord  au  sud  ,  et  de  l'est  à  l'ouest , 
et  la  dillerence  des  lieux  du  soleil  et 
de  la  lune  dans  les  éclipses.  Y  hiang 
avait  beaucoup  d'érudition  ;  il  était 
parfaitement  au  fait  des  différentes 
parties  de  la  littérature  chinoise.  Il 
s'occupa  d'établir  un  nouveau  sys- 
tème de  chronologie  ,  selon  lequel  il 
plaça  le  règne  de  Yao  à  2988  ans  so- 
laires ,  avant  l'an  ']'2^  de  notre  ère. 
Supposant  que  les  fixes  avançaient 
d'un  degré  en  quatre-vingt-trois  ans, 
il  en  concluait  que  depuis  Yao  à  son 
temps  les  fixes  avaient  avancé  de 
près  de  36  degrés.  Il  s'est  évidem- 
ment trompe  sur  ce  dernier  point. 
Nous  ne  possédons  plus  tous  ses 
travaux  astronomiques.  Les  cata- 
logues qu'il  fit  de  la  grandeur  des 
jours  ,  de  la  différence  des  méri- 
diens pour  le  calcul  des  éclipses  , 
des  déclinaisons  du  soleil  ,  de  la 
grandeur  des  ombres  méridiennes  du 
gnomon  ,  des  latitudes  de  la  lune  et 
autres,  sont  perdus.  Il  rédigea  égale- 
ment d'amples  catalogues  de  longi- 
tudes terrestres  ,  et  de  la  latitude  et 
de  la  longitude  d'un  très-grand  nom- 
bre d'étoiles  dont  il  avait  mis  la 
position  dans  des  cartes  célestes ,  qui 
ne  nous  sont  point  parvenues.  Ce  que 
nous  avons  encore  de  ses  observa- 
tions démontre  qu'elles  étaient  passa- 
blement exactes.  U  place,  par  cxein- 
3i.. 


484  YIII 

\)\e]cSirius  par  40***  cliinois  de  lati- 
tude australe,  c'est-à-dire  par  3c)'^ 
25'  3o"  19.'".  Ce  n'est  pas  un  petit 
éloge  pour  Y  liiang  d'avoir  pu  ,  en 
"jih  ,  mieux  observer,  à  la  Cliiiie,  la 
latitude  du  Sirius ,  que  les  astrono- 
mes des  autres  pays  ses  contempo- 
rains, et  même  que  ceux  qui  lui  fu- 
rent postérieurs  cîe  plusieurs  siècles. 
Dans  le  temps  où  il  jouissait  du  plus 
grand   crédit  à  la  cour  ,  il  eut  un 
chagrin  auquel  il  ne  s'attendait  guère. 
Il  avait  donné  comme  sûr  le  calcul 
de  deux  éclipses  de  soleil  ,  en  7 2*5 
et   en  7^6,    recommandant  de  les 
observer  dans  tout   l'empire.   Déjà 
tout  était  préparé  pour  les  cérémo- 
nies qui  ont  lieu  en  Chine  à  cette  oc- 
casion •  le  ciel  fut  presque  partout 
serein  ,  mais  le  soleil  ne  montra  au- 
cun vestige  d'écIipse.  Y  hiang  dissi- 
mula sa  mortification  ;  et ,  tandis  qu'il 
travaillait  à  rectifier  les  principes  et 
les  éléments  qui  lui  avaient  fait  faire 
un  faux  calcul ,  il  publia  un  écrit  où 
il  prétendit  prouver  que  son  calcul 
était  juste  ^  mais  que  le  ciel  avait 
changé  les  règles  ordinaires  du  mou- 
vement qui  produit  les  éclipses.  Pour 
prouver  ce  paiirdoxe  ,  il  cila  plu- 
sieurs autorités  et  plusieurs  exemples  ^ 
et  c'est  à  cette  occasion  qu'il  dit  que 
du  temps  des  Tsin   on  avait  vu  le 
Sirius  éclipsé  par  la  planète  Vénus. 
Le  Sirius  ,  ajoute-t-il  ,   est  par   4o 
degrés  de  latitude  ,  et  la  Vénus  ne 
peut,  selon  les   règles   communes  , 
avoir  cette  latitude;  ainsi  le  ciel  doit 
avoir  changé  le  cours  de  cette  pla- 
nète au  temps  des  Tsin.  Depuis  cette 
circonstance  fâcheuse,  Y  hiang  tra- 
vailla avec  beaucoup  d'ardeur  à  un 
cours  d'astronomie  ;  il  en  avait  déjà 
rédigé  une  grande  partie,    lorsqu'il 
mourut ,  âgé  de  quarante-cinq  ans  , 
en  H'2n.    Après  sa  mort  l'empereur 
Hinan  ïsoung  nomma  des   mathé- 


YKH 

maticiens  pour  mettre  en  ordre  se^ 
écrits.  L'ouvrage  étant  achevé ,  on 
en  lit  le  rapport  à  ce  prince ,  qui 
l'approuva,  et  le  fit  publier  en  729, 
sous  le  titre  de  V astronomie  de  Ta 
jan.  Il  ne  nous  reste  qu'un  extrait 
de   ce  livre.  Kl — h. 

YKHSCHID  ou  ARHSCHID 
(  Abou-bekr  Mohammed  Al-  ) ,  fon- 
dateur de  la  dynastie  des  Ykhschidi- 
des ,  qui  a  régné  sur  l'Egypte  et  une 
partie  de  la  Syrie,  naquit  àBaghdad, 
l'an  268  de  l'hégire  (  882  de  J.-C.  ). 
Il  était  Turk  d'origine  ;    et  com- 
me son  père  Thagadj,  d'abord  escla- 
ve des  khalifes ,  puis  gouverneur  de 
Damas ,   sous  les    derniers    princes 
Thoulounides  ,   prétendait    descen- 
dre des  rois  de  Ferganah,   le  titre 
à'  Fkhschid  ,    que  ceux-ci    avaient 
adopté,  devint  le  nom  distinctif  d'A- 
bou-bekr  Mohammed  et  des  prince% 
de  sa  race.  Après  la  chute  des  Thou 
louuides  (  F".  Khomarouyau  ) ,  l'E- 
gypte et  la  Syrie  rentrèrent  sous  h 
domination  des  khalifes  abbassidesi 
mais  ce  fut  pour  peu  d'années.  La  ty^ 
ranniedesgouverneurs  amovibles,  en 
voyés  dans  ces  provinces  par  la  coui 
de  Baghdad ,  faisait    soupirer    lei 
peuples  pour  un  gouvernement  sta- 
ÎdIc  et  indépendant ,  dont  ils  avaieni 
trop  peu  goûté  les  avantages.  Ykh- 
sch^d,  après  avoir  rempli  diverses 
fonctions  en  Egypte ,  sous  ces  lieu^ 
tenants  des  khalifes,  puis  comman- 
dé a  Ramia,  l'an  3i(),  et  ensuite  à^' 
Damas,  oii  il  ne  put  rester  qu'un 
mois ,  fut  enfin  nommé  par  le  khalife 
Rady  -  Billah,  l'an  3'23  de  l'hégire 
(  g35  de  J.-C.  ) ,  gouverneur  de  l'E- 
gypte. Il  fit  la  guerre  à  son  prédé- 
cesseur Ahmed  qui ,  forcé  de  se  re- 
tirer auprès  du  khalife  fathimide,  à 
Kairowan  en  Afrique,  suscita  con- 
tre son   ijeureux  rival  la  puissance 
formidable  qui  devaitplustarddétrui- 


YKH 

re  celle  des Ykhschidides(/^.  Moezz- 
Ledin-allah).  ykliscliid,pour  cette 
fois  ^  conjura  l'orage,  en  mettant 
l'Egypte  à  l'abri  d'une  invasion.  A 
rexeni])le  des  divers  usurpateurs  qui 
démembraient  alors  l'empire  musul- 
man (  F.  Samani  ,  Imad-eddaulah  , 

MaRDAWIDJ,  AbOL-ThAHER  etNASER- 

eddaulah),  le  gouverneur  de  l'E- 
gypte s'en  arrogea  la  souveraineté. 
11  obligea  même  le  faible  Rady,  en 
3'i4  (9^^))  à  lui  en  envoyer  la  pa- 
tente et  les  insignes ,  et  à  lui  aban- 
donner de  plus  la  Syrie.  Mais  quatre 
ans  après,  Ibn-Raïek  ,  à  qui  le  kha- 
life avait  cède  quelques  places  dans 
la  Mésopotamie ,  pour  l'indemniser 
de  la  perte  de  la  charge  d'e'mir  -  al- 
omrali ,  envaliit  la  Syrie,  chassa  de 
Damas  le  lieutenant  d'Ykhschid ,  et 
marcha  vers  l'Egypte,  qu'il  cs])ërait 
conquérir  aussi  facilement.  Ykhs- 
chid ,  l'ayant  rencontre  à  El-Arisch , 
le  vainquit  complètement ,  et  envoya 
des  troupes  à  sa  poursuite  j  mais 
son  frère,  qui  les  commandait,  fut 
battu  à  son  tour  ,  près  de  Damas,  et 
périt  dans  la  mêlée.  Cet  événement , 
qui  devait  rendre  implacable  la  haine 
des  deux  rivaux,  amena  au  contraire 
leur  réconciliation.  Ibn-Rank  ordon- 
na à  son  fils  d'aller  compliuK'nler 
Ykhschid  sur  la  mort  de  son  frère  • 
de  l'assurer  qu'il  n'y  avait  eu  aucune 
part ,  et  de  s'offrir  comme  victime 
expiatoire ,  si  ce  prince  l'exigeait. 
Ykhschid ,  touché  de  '^e  procédé  ,  ne 
se  montra  pas  moins  généreux.  Loin 
de  recourir  à  une  vengeance  inutile, 
il  combla  de  présents  et  d'honneurs 
le  fils  d'Ibn  -  Raïek ,  fit  la  paix  avec 
ce  dernier  j  et  lui  laissant  la  Syrie 
presque  entière ,  il  s'ol)ligea  même  de 
lui  payer  un  tribut  annuel  pour  les 
seuls  districts  qu'il  garda ,  depuis 
Ramla  jusqu'à  l'Egypte.  L'an  33o 
(942),  Ibn-Raïek  ayant  été  assassi- 


YKll 


4B5 


né  par  ordre  de  l'émir  de  Moussoul, 
Naser  -  eddaulah,  qui  devint  alors 
émir  al-omrah,  YkhsChid  entra  aus- 
sitôt en  Syrie ,  et  y  fu!  reconnu  Sou- 
verain. L''an  33^  ,  il  se  rendit  à  Rak- 
ka  sur  les  bords  deTEuphrate,  pour 
y  conférer  avec  le  khalife  Mottaky  , 
auquel  il  avait  offert  un  asile  et  des 
secours  contre  les  tyrans  qui  l'op- 
primaient {V.  Mottaky);  mais  le 
khalife,  n'ayant  pas  même  suivi  ses 
conseils,  fut  la  victime  de  sa  faibles- 
se et  de  son  obstination.  L'année  sui- 
vante ,  Ykhschid  eut  sur  les  bras  un 
ennemi  plus  redoutablequ'Ibn  Raïek: 
ce  fut  le  prince  hamadanide  AîySeif- 
eddaulah  ,  frère  de  l'émir  de  Mous- 
soul {T.  Seif-eddaulahjXLI  ,  l\'65). 
Malgré  les  talents  et  la  bravoure  du 
souverain  de  l'Egypte,  et  de  Kafour, 
son  lieutenant ,  la  guerre  lui  fut  peu 
avantageuse.  Il  avait  déjà  perdu  la 
moitié  de  la  Syrie  ;  et  ayant  traverse* 
l'Euphrate,  il  se  disposait  à  aller  en 
personne  attaquer  les  états  de  son  en- 
nemi en  Mésopotamie,  lorsque  Seif- 
cddaulah,  arrivé  à  Manbedj ,  ne  se 
trouva  séparé  que  par  le  fleuve  de 
l'armée  égyptienne,  qui  était  campée 
à  Rakka.  Des  négociations  furent  en- 
tamées entre  les  deux  princes,  et  se 
terminèrent  par  un  traité  qui  établit 
un  partage  de  la  Syrie  ,  que  l'on  divi- 
sa par»  un  fossé.  Halep  et  la  partie 
nord  furent  cédées  à  Seif-eddaulah  ; 
Damas  et  la  partie  sud  restèrent  à 
Ykhschid.  Ce  dernier,  de  retour  à 
Damas,  y  mourut  la  même  année, 
-ri  dzoulhadjah  334  (9>4  j^^'^et  r;46) , 
après  un  règne  de  onze  ans ,  et  fut  en- 
terré à  Jérusalem.  Ce  prince  avait  de 
grandes  qualités  ;  mais  il  était  supers- 
titieux et  si  défiant ,  qu'il  ne  passait 
jamais  une  nuit  entière  dans  le  même 
appartement  ou  sous  la  même  tente, 
et  qu'on  ignorait  toujours  le  lieu  où 
il  dormait.  Avec  ce  caractère ,  il  n'est 


486  YLD 

pas  difficile  de  croire  que  la  lecture 
d^m  billet  anoiiyiue  qu'il  avait  trou- 
ve daus  son  palais,  avant  de  quitter 
l'Egypte  pour  la  dernière  fois,  ait 
pu  troubler  son  imagination,  et  hâ- 
ter sa  mort.  Ykliscliid  avait  pourtant 
une  garde  de  Luit  mille  hommes, 
dont  mille  étaient  tous  les  jours  de 
service  auprès  de  sa  personne  j  et  son 
armée  montait  à  quatre  cent  mille 
soldats.  Il  persécuta  les  chrétiens  , 
et  leur  extorqua  des  sommes  consi- 
dérables. Il  ne  laissa  pour  succes- 
seurs que  des  enfants  en  bas  âge,  sous 
la  tutelle  de  Kafour ,  qui  sans  dépouil- 
ler ses  pupilles ,  usa  glorieusement  du 
pouvoir  suprême,,  et  le  posséda  seul 
après  leur  r^^ort  (  F.  Kafour  ).  A-t. 

Y-KIUN.  F.  Wan-ly. 

YLDEGOUZ  ou  YLDEKHOUZ 
(  ScHAMS  -  EDDYN  )  (  I  ) ,  fondateur  de 
la  dynastie  des  Atabcks  de  l'Adzer- 
baïdjan  ,  était  un  esclave  originaire 
du  Kaptchak,  d'où  il  fut  amené  fort 
jeune  en  Perse.  Élevé  auprès  du  vezir 
du  sulthan  Mahmoud ,  de  la  race  des 
Seldjoukides  ,  il  passa  au  service  de 
ce  prince ,  après  la  mort  duquel  il 
s'attacha ,  l'an  de  l'hég.  525  (  1 1 3 1 
de  J.-C),  à  son  frère  Mas'oud,  qui , 
en  montant  sur  le  trône,  l'an  529 
(i  i34);  combla  de  faveurs  Yldegouz, 
l'éleva  au  rang  d'émir,  et  lui  donna 
en  fief  le  pays  d'Arran  (l'Arménie) , 
ainsi  qu'une  grande  partie  de  l'Ad- 
zerbaïdjan.  Le  mariage  d'Yidegouz 
avec  la  veuve  du  sulthan  Thogh- 
roul  II  ,  frère  de  Mas'oud,  aug- 
menta considérablement  sa  puis- 
sance et  son  crédit.  Sous  le  titre 
modeste  à'atabek  (  père  du  prince  ) 
(2),  il  devint  maître,  dès  l'an  54^ 


(i^  Ce  nom  s'écrit  encore  Çldigoiiz,  Ildef',hlz  , 
Ildikouz  ,   Ilducoux  et  Ildet  as. 

(jt)  Outre  cette  dynastie  d'Afaheks,  il  s'en  forma 
d'autres  dans  le  même  temps ,  tels  que  les  Ata- 
beks  de    Moussoul ,    du  Farsistiin,  etc.  ,    vassaux 


YLD 

(,i  1 53) ,  d'Hamadan ,  d'Ispahan ,  de 
Rc'ï  ,  d'une  armée  de  cinquante  mille 
hommes  de  cavalerie,  et  ne  laissa 
phis  aux  Seldjoukides,  dans  les  pays 
dont  il  était  souverain,  que  le  droit 
d'être  nommés  dans  la  Khothbah. 
Ce  fut  surtout  lorsqu'en  555  (  1 160) 
il  eut  placé  sur  le  troue  Melik  Arslan 
ou  Arslan  Chah  ,  fils  de  sa  i'cmme  , 
qu'il  gouverna  les  restes  de  l'empire 
des  Seldjoukides,  avec  une  autorité 
absolue  ,  quoiqu'il  ne  cessât  pas  d'ê- 
tre en  apparence  le  vassal  du  sulthan. 
La  situation  de  ses  états ,  voisins  de 
la  Géorgie,  l'obligeait  d'entretenir 
des  armées  nombreuses  pour  défen- 
dre ses  frontières.  L'an  1 162  ,  il  mar- 
cha contre  le  roi  George  III ,  qui 
avait  pénétré  dans  l'Arménie  jusqu'à 
Tovin;  et,  pour  venger  les  ravages 
que  ce  prince  avait  commis  ^  il  prit 
et  brûla  la  forteresse  de  Mrean  et  la 
ville  d'Aschnag,  en  fit  massacrer  les 
habitants,  et  arriva  dans  la  plaine 
de  Gaga ,  province  de  Koukaiie ,  où 
il  fut  battu  par  les  Géorgiens.  Les 
historiens  arméniens  et  musulmans 
ne  parlent  point  de  cetle  défaite,  qui 
probablement  ne  fat  pas  aussi  com- 
plète que  le  disent  les  Géorgiens, 
puisque  dès  le  commencement  de 
l'année  suivante,  de  l'aveu  de  ceux- 
ci  ,  Yldegouz  reprit  Toircnsive ,  et  dé-i 
vasta  pendant  quatre  ans  les  frontiè 
res  de  la  Géorgie;  et  que  ,  suivant  îeî 
autres  historiens  ,  il  triompha  du  roi 
de  Géorgie,  l'obligea  de  se  retirei 
dans  les  montagnes ,  et  lui  accorda 
la  paix  moyennant  la  cession  de  la 
ville  d'Ani.  Il  eut  ensuite  une  guern 
à  soutenir  contre  Ynanedj  ,  émir  de 
Rcï ,  le  vainquit ,  et  le  réduisit  à  s( 
renfermer  dans  un  château ,  où  il  U 
fît  assassiner,  l'an  564  (u^^);  mail 


puissants  et  redoutables  de  l'empire  des  Scldjouki. 
des  (  Foj'.  ZeN,GHV  et  SALGAR  ). 


YMB 

au  lieu  de  la  rccompense  qu'il  avait 
promise  aux  agents  de  ce  crime ,  il 
les  menaça  de  les  punir,  et  les  força 
de  sortir  de  ses  étals.Yldegouz ,  ayant 
perdu  la  princesse  son  épouse,  ne  lui 
surve'cnt  qu'un  mois,  et  mourut  à 
Hamadan ,  J^an  568  (  1 1  -ja) ,  laissant 
deux  lils,  qui  tour-à-tour  succédèrent 
à  sa  puissance  (  F.  Pehlevan  Mo- 
hammed et  Kizil-Arslan  ).  11  avait 
joui  pendant  treize  ans  d'une  autori- 
te si  absolue,  qu'on  l'avait  surnom- 
me le  grand  atahek.  A — t. 

YMBISE  ou  IMBISE  (Jean  d'), 
bourgeois  de  Gand,  est  devenu  fa- 
meux par  le  rôle  qu'il  a  joue'  dans 
les  troubles  des  Pays  -  Bas.  Esprit 
inquiet  et  turbulent,  avide  de  pou- 
voir et  d'argent  ,  il  n'avait  que  les 
qualités  d'un  intrigant  subalterne  , 
et  pe'rit  ,  comme  tant  d'autres  , 
victime  de  ses  coupables  excès. 
Élu  consul  ou  bourgmestre  de 
Gand  ,  il  s'était  occupe  de  reparer 
les  fortifications  de  cette  ville  , 
et  l'avait  mise  à  l'abn  des  insul- 
tes auxquelles  ,  dans  ces  temps  mal- 
heureux ,  les  plus  grandes  villes 
se  trouvaient  exposées.  Ce  service 
important  le  rendit  l'idole  des  Gan- 
tais. 11  profita  de  sou  influence 
sur  la  populace  pour  la  soulever^ 
en  1578,  contre  le  cierge  dont  les 
richesses  étaient  l'objet  de  l'envie  de 
tous  les  artisans  de  troubles.  On  in- 
terdit l'exercice  du  culte  catholique  -, 
les  prêtres  furent  chasses  ,  et  leurs 
biens  devinrent  la  proie  d'Ymbise  et 
de  ses  partisans.  Sous  le  prétexte  de 
repousser  l'agression  des  troupes 
wallonnes  ,  les  Gantais  prirent  les 
armes  ,  et  se  rendirent  coupables  de 
désordres  plus  grands  que  ceux  qu'ils 
avaient  prétendu  réprimer.  Le  prince 
d'Orange  accourut  dans  cette  ville 
pour  la  pacifier.  On  convint  d'y  ré- 
tablir le  culte  catholique  et  de  res- 


YMB  487 

tituer  ses  biens  au  clergé  ;  mais  le 
prince  n'osa  demander  ni  la  punition 
des  auteurs  de  la  sédition,  ni  la  liberté 
des  malheureux  qu'ils  retenaient  en 
prison.  Après  son  départ,  les  Wal- 
lons ayant  rejiaru  sur  le  territoire  de 
Gand ,  d'Ymbise  fit  annuler  la  dé- 
cision prise  à  l'égard  du  culte  catho- 
lique  (  9  mars  1579).  Les  prêtres  fu- 
rent éloignés  de  nouveau  de  la  ville, 
et  les  églises,  ainsi  que  les  couvents,  li- 
vrées au  pillage, Les  plus  sages  d'entre 
les  protestants  blâmèrent  des  mesures 
qui  pouvaient  amener  de  terribles  re- 
présailles, D'Ymbise  leur  enjoignit  de 
quitter  la  ville;  la  populace,  ameu- 
tée sur  leur  passage,  les  accabla  d'in- 
jures; plusieurs  coururent  risque  de 
la  vie.  Au  nombre  des  bannis ,  on 
comptait  le  brave  La  Noue,  qui  était 
venu  offrir  ses  services  aux  Gantais 
contre  les  Wallons  {TAjA.  Noue, 
XXXI ,  4>  ^  )•  Les  supplices  et  les 
assassinats  se  succédèrent  huit  jours 
durant,  sans  que  personne  osât  tenter 
d'y  mettre  un  terme.  D'Ymbise  se 
décide  enfin  à  faire  entrer  des  trou- 
pes à  Gand.  Il  dépose  les  anciens 
magistrats  pour  les  remplacer  par 
ses  créatures ,  et  se  déclare  lui-mê- 
me chef  du  conseil.  Averti  que  le 
prince  d'Orange  revenait  à  Gand,  il 
excite  les  habitants  à  lui  fermer  leurs 
portes.  Lors  de  l'entrée  du  prince  _, 
il  quitta  la  ville,  mais  il  y  rentra, 
dès  qu'il  fut  assuré  de  l'oubli  du  pas- 
sé. Cependant  ayant  vu  ses  partisans 
éloignés  des  places,  il  craignit  qu'on 
n'ordonnât  d'instruire  son  procès,  et 
^'enfuit  en  Allemagne.  D'Ymbise  dé- 
testait également  le  prince  d'Orange 
et  les  Espagnols.  Il  aspirait  à  rendre 
la  ville  de  Gand  indépendante,  po^ir 
y  commander  en  maître.  Tous  les 
moyens  pour  arriver  à  ce  but  lui  pa- 
raissaient justifiés,  s^ils  étaient  cou- 
ronnés de  succès,  llgagna  la  confiance 


4»8  TON 

des  géacraux  espagnols,  et  favorisa 
les  progrès  de  leurs  anncs  dans  les 
villes  de  Flandre  où  il  avait  conser- 
ve quelque  crédit. Les  Gantais, alar- 
mes parla  menace  d'un  siège,  rap- 
pelèrent'd'Ymbise  en  i583,  et  le 
rétablirent  dans  la  charge  de  bourg- 
mestre. Afin  de  cacher  ses  liaisons 
avec  les  P^spagnols,  il  fit  arrêter 
quelques  personnes  qui  passaient 
pour  leur  être  dévouées.  Une  fois 
certain  de  l'alTection  du  peuple,  il 
crut  pouvoir  agir  d'une  manière  plus 
ouverte.  Des  barques  chargées  de 
machines  de  guerre,  et  destinées  aux 
Espagnols,  furent  arrêtées  dans  la 
miit  du  24  mars  1684.  Le  lende- 
main le  sénat  s'assembla  pour  infor- 
mer contre  les  auteurs  de  cette  Ira- 
hison.  D'Ymbise  se  rendit  à  î'hotel 
de  ville  ,  entouré  de  ses  soldats  j 
mais  à  son  entrée  dans  la  salle,  un 
sénateur  prend  luie  hache  des  mains 
d'un  soldat,  et  l'élève  sur  sa  tête,  en 
criant  :  Aux  armes  !  A  ce  cri ,  les 
bourgeois  tendent  des  chaînes  dans 
les  rues,  et  s'emparent  des  postes 
militaires.  D'Ymbise,  déclaré  sus- 
pect est  déposé  de  sa  charge ,  et 
conduit  en  prison.  La  correspondan- 
ce saisie  chez  lui  ne  laissant  aucun 
doute  sur  sa  perfidie  ,  il  fut  con- 
damné à  mort,  et  périt  sur  l'écha- 
faud  le  4  août  i584.         W— s. 

YON  (  Saint  ) ,  en  latin  JoniuSy 
ou  Monius ,  suivant  le  bréviaire  de 
Paris,  fut  un  des  disciples  les  plus  célè- 
bres de  saint  Denis,  apôtre  de  la  Fran- 
ce j  mais  ses  actes  sont  aussi  peu  con- 
nus que  son  culte  est  ancien  et  vénéré. 
II  accompagna  saint  Denis,  lorsque  ce- 
lui-ci vint  en  France^  et  fut  élevé,  par 
Iwi,  au  sacerdoce.  La  partie  sud  du 
diocèse  de  Paris  fut  principalement 
le  théâtre  de  son  zèle  apostolique. 
On  croit  que  le  centre  de  sa  mission 
était  la  petite  ville  d'Arpajon,  ap- 


YON 

pelée  autrefois  la  ville  de  Chaires^ 
sur  ia  rivière  d'Orge.  Il  y  fonda  une 
église  qu'il  n'édifiait  pas  moins  par 
ses  exemples  de  pénitence  que  par 
ses  ferventes  prédications.  Quoiqu'il 
ne  vécût  que  de  légumes  et  d'eau  ,  il 
ne  laissa  pas  de  parvenir  à  une  gran- 
de vieillesse.  I!  avait  gagné  à  la  foi 
une  multitude  de  personnes  tant  de 
la  ville  de  Châtres  que  des  pays 
voisins,  quand  il  fut  arrêté  ,  par  or- 
dre d'un  officier  nommé  Julien,  dans 
une  persécution  quis'était  renouvelée 
depuis  la  mort  de  saint  Denis  j  car 
après  le  martyre  du  saint  prélat, 
l'Église  avait  joui  d'un  moment 
de  paix.  Saint  Yon  jirêchait  lors- 
qu'on l'arrêta  ,  et  ni  menaces  , 
ni  promesses  ne  purent  lui  faire 
trahir  sa  foi.  11  fut  donc  con- 
damné ,  et  il  reçut  la  mort  sur 
une  montagne  distante  d'une  lieue 
de  Châtres  ;  mais  les  fidèles  inhu- 
mèrent sou  corps  près  des  murs  de 
cette  ville ,  et  ses  reliques  ont  été 
depuis  honorées  à  Châtres  et  à  Cor- 
beil ,  où  une  partie  avait  clé  ;trans- 
portée.  C'est  du  nom  de  ce  saint 
martyr  que  les  frères  des  Écoles- 
Chrétiennes  ont  été  appelés  Frères 
de  Saint- Yon  ,  parce  que  c'était  à 
Saint  -  Yon ,  près  de  Rouen ,  que  La 
Salle  (i)  avait  établi  le  noviciat  et  le 
chef-lieu  de  sa  congrégation.  Leurs 
fonctions  et  l'habitude  leurfirent  don- 
ner le  nom  de  Frères  Igjwrantms ; 
et  ils  ne  le  dédaignèrent  point.  Saint 
Yon  fut  décapité  l'an  290  ,  le  jour 
des  nones  du  mois  d'août.  C'est  aussi 
au  5  août  que  sa  fête  est  célébrée  , 
et  que  les  hagiographes  ont  place' 
l'histoire  de  sa  vie  ,  quoique  le  mar- 
tyrologe romain  n'en  parle  qu'au  ^ 
mois   de   septembre.    Les  actes    de 

(^t)  C'est  par  erreur  qu'à  l'arlicle  LaSALLE(XL, 
181),  on  dit  que  ce  foudateur  niourut  ù  Saint- Yoft 
près  d'Arpftjou . 


YON 

saint  Lucien  de  Beauvais  sont  pro- 
bablement l'original  de  la  vie  de  saint 
Yon.  Les  actes  de  ce  dernier  furent 
compiles  à  la  fin  du  neuvième  siè- 
cle, ou  au  commencement  du  dixiè- 
me. On  peut  consulter  sur  sa  vie 
Tillemont ,  Adrien  de  Valois  ,  etc. 
On  est  étonné  qu'Usuard  n'en  ait 
point  parie'  dans  son  Martyrologe. 
B— c— E. 
YON  (....)?  littérateur ^  ne  ^  vers 
in'io  ,  cà  Paris,  se  fit  recevoir  avocat 
au  parlement^  mais  il  fréquenta  peu  le 
barreau.  La  culture  des  lettres  l'oc- 
cupa toute  sa  vie.  En  1752  ,  il  dé- 
buta dans  la  carrière  dramatique  par 
une  comédie  en  trois  actes  et  en  vers 
libres  ,  intitulée  :  la  Métempsjcose. 
Cette  pièce  fut  assez  mal  accueillie  à 
la  première  représentation.  Les  co- 
médiens obligèrent  l'auteur  d'en  re- 
trancher le  prologue,  et  delà  réduire 
à  un  seul  acte.  Elle  fut  reprise  de 
cette  manière,  et  se  soutint  quelque 
temps.  En  1704  ,  Yon  fit  jouer  1'./- 
mouretla  /^o/Ze^,  comédie  en  un  acte 
et  en  vers  libres.  Ce  second  essai  fut 
encore  moins  heureux  que  le  pre- 
mier. L'auteur  retira  sa  pièce  et  la 
fit  imprimer  avec  une  dédicace  à 
Boissy.  Son  dernier  ouvrage  drama- 
tique est  une  comédie  en  trois  actes 
et  en  vers  libres  ,  intitulée  :  les  Deux 
Sœurs  ou  la  Mère  jalouse  ;  elle  fut 
jouée,  en  1755  ,  au  théâtre  Italien, 
mais  elle  n'a  point  été  imprimée.  On 
en  trouve  l'analysedansle  Dictionnai- 
re dramatique  ,  i ,  281.  Yon  eut  le 
malheur  de  survivre  à  tous  ses  ouvra- 
ges, et  mourut  dans  l'oubli  vers  1774 
{Voj.y^necd.dramatiq.j  ni,  488). 
Outre  les  comédies  dont  on  a  parlé, 
on  cite  de  lui  :  L  Ejdtre  contre  les 
Déistes.  IL  Lettre  au  sujet  de  la 
place  destinée  à  la  statue  du  roi 
(Louis  XV),  Paris,  174^,  broch. 
in-4".   IIL  Relation  en  forme  de 


YOR 


489 


Lettre  sur  les  dépenses  suggérées 
par  un  goût  outré  pour  des  curiosi- 
tés passagères  ,  ou  par  une  passion 
désordonnée  pourdifierents  genres  de 
collections,  ibid.  ,  1757,  m-12,  A 
juger  de  l'ouvrage  par  le  titre,  il 
semble  devoir  contenir  des  anecdotes 
curieuses.  L'auteur  s'est  contenté  de 
citer  des  exemples,  pris  dans  diffé- 
rents états ,  des  travers  d'esprit  ou  de 
goût  qu'il  signale.  IV.  Les  femmes 
de  mérite,  histoire  française,  ibid. , 
1759  ,    in-80.  W— s. 

YORK  (  Richard  ,  duc  d'  ) ,  né  en 
i4i6,  était  fils  du  comte  de  Cam- 
bridge, mort  sur  un  échal'aud  sous  le 
règne  précédent  (  F.  Henri  v,  XX , 
127  ),  et  par  conséquent  neveu  du 
duc  d'York  ,  régent  du  royaume , 
tué  à  la  bataille  d'Azincourt,  et  au- 
quel il  succéda  dans  ses  biens  et  ses 
dignités.  Il  avait  pour  aïeul  le  second 
fils  d'Edouard  III,  tandis  que  Henri 
VI,  de  la  branche  de  Lancastre,  ne 
descendait  que  du  troisième.  C'est  à 
ce  point,  assurément  très-simple  et 
très-clair  ,  que  se  réduisent  les  in- 
nombrables manifestes  publiés  de 
part  et  d'autre  dans  le  cours  des  san- 
glants démêlés  de  ces.  deux  maisons 
rivales ,  désignées  par  les  noms  de 
Rose  rouge  et  de  Rose  blanche.  Le 
jeune  duc  d'York  fut  persuadé  de 
bonne  heure  de  la  légitimité  de  ses 
droits  au  trône  ,  mais  il  dissimula 
long-temps  ses  prétentions.  Nommé 
régent  de  France  pendant  la  minorité 
de  Henri  VI  ,  il  se  vit  dépouiller,  au 
bout  de  cinq  ans,  de  celte  haute  di- 
gnité par  le  duc  de  Sommerset.  Cette 
injure  resta  profondément  gravée 
dans  son  cœur.  Réduit  à  accepter  en 
échange  le  gouvernement  d'Irlande, 
il  mit  tous  ses  soins  à  se  ménager  de 
nombreux  partisans  dans  cette  île  , 
sans  cesser  d'entretenir  des  relations 
avec  ceux  qu'il  laissait  en  Angletcr- 


490  YOR 

rc.  «  Richard,  dit  l'iiislorien  Hume, 
»  était  vaillant  et  habile  ,  d'une  con- 
»  duite  prudente  et  d'un  caractère 
»  liant.  11  avait  eu  occasion  de  de- 
I)  ployer  ces  excellentes  qualités  pcn- 
»  dant  son  gouvernement  en  France  ^ 
»  et,  quoique  rappelëparles  intrigues 
»  et  le  crédit  supérieur  du  duc  de 
»  Soraraerset  ,  on  Tavait  envoyé 
»  apaiser  une  révolte  en  Irlande.  11 
»  avait  beaucoup  mieux  réussi  à 
»  cette  entreprise  que  son  rival  à  la 
»  défense  de  la  Normandie  ,  et  avait 
»  même  attache  à  sa  personne  et  à 
»  sa  maison  toute  la  nation  irlan- 
»  daise  qu'il  était  allé  subjuguer. 
))  Du  chef  de  son  père  il  tenait  le 
»  rang  de  premier  prince  du  sang, 
»  et  par  ce  rang  illustrait  la  maison 
)>  de  Mortimer,  qui,  bien  que  d'une 
rt  haute  noblesse ,  avait  des  égales 
î)  dans  ce  royaume ,  et  se  ^trouvait 
»  éclipsée  par  l'origine  royale  de  la 
»  maison  de  Lancastre.  Il  possédait 
»  une  fortune  immense  parla  réunion 
»  des  successions  de  Cambridge  et 
»  d'York  d'un  côté ,  et  de  celle  de 
»  Mortimer  de  l'autre...  »  L'occa- 
sion se  présenta  bientôt  d'agir  ou- 
vertement. Un  aventurier  irlandais, 
appelé  Cade,  osa  prendre  le  nom  de 
Mortimer  .^  cousin  du  duc  d'York  ; 
et,  à  la  tête  d'une  puissante  armée , 
il  s'avança  jusqu'à  Londres.  Son 
projet,  à  ce  que  l'on  peut  croire, 
était  d'y  proclamer  roi  le  duc  d'York; 
mais  il  se  laissa  surprendre  et  tuer  : 
son  parti  se  dissipa.  Le  prince , 
voyant  ses  titres  devenus  dangereux 
pourHenriVI, sentit  qu'ils  étaientplus 
dangereux  encore  pour  lui-même ,  et 
que  le  soin  de  sa  propre  sûreté  lui 
faisait  une  loi  de  tout  hasarder.  En 
conséquence,  il  quitte  l'Irlande  sans 
en  demander  la  permission ,  et  dé- 
barque en  Angleterre  (  i4-^o  ).  Son 
nom   suiïit  pour  rallier  ses   amis  : 


YOR 

il  se  porte  rapidement  sur  Londres; 
mais    trouvant   quelque  obstacle  à 
s'en    rendre    maître  ,  il    se    replie 
sur  le  comté  de  Kent.  Henri  VI  l'y 
suivit  avec  une  armée  supérieure  en 
nombre,  et  dans  laquelle  on  voyait 
avec  surprise  plusieurs  partisans  peu 
déguisés  du  duc  d'York.  Mais  la  sui- 
te lit  voir  qu'ils  n'étaient  là  que  pour 
servir  de  médiateurs,  ou  pour  ap- 
puyer, au  besoin  ,  les  prétentions  du 
prince.  Ils  lui  ménagèrent  une  entre- 
vue avec  Henri.  Le  duc  d'York  s'y 
comporta  avec   mépris  et  dérision 
envers  le  faible  monarque  ;  mais  il 
eût  été  lui-même  victime  de  sa  con- 
liance,  si  Henri  eût  suivi  les  conseils 
de  ses  ministres.  Après  lui  avoir  ex- 
torqué la  promesse  de  convoquer  un 
parlement ,  le  duc  se  retira  dans  ce 
château  de  Fothcringay,  devenu  si 
déplorableinent  célèbre  par  la  mon 
de  Marie  Stuart.  Le  parlement  s'as 
sembla   :  Ja   session   fut   orageuse 
quelques  députés ,  partisans  secret 
du  duc  d'York  ,  tentèrent  vainemeni 
de  le  faire   déclarer  successeur  d 
Henri  VI ,  qui  n'avait  point  enco 
d'enfants.  Irrité  de  ce  refus ,  le  pria 
ce  prit  la  résolution  d'en  appeler 
son  épée,  mais  de  dissimuler  jusque 
ce  qu'il  eût  réuni  tous   les   moyen 
d'agir  avec  succès.  Menant  une  vie 
presque  solitaire  dans  son  château 
de  Ludlow ,  sur  les  confins  du  pay« 
de  Galles ,  en  même  temps  que  se; 
émissaires   s'efforçaient    de   grossir 
son  parti  dans  cette  principauté  ,  il 
répandit  lui-même  une  proclamation 
où  il  vantait  sa   fidélité  au   roi  r 
gnant.  Il  fit  phis  :  il  offrit  à  Henr 
VI  de  lui  jurer  sur  l'hostie  un  d 
vouement  inviolable ,  en  présence  d 
l'évèque  d'Hereford  et  du  comte  d 
Shrewsbury.   Pour   toute  réponse 
Henri   marche   contre    lui.   Le  du 
évite  son  approche ,  et  se  dirige  su; 


YOll 

Londres,  dans  l'espoir  de  s'en  em- 
parer pendant  l'absence  du  roi.  II 
échoue  dans  celte  tentative,  et  se 
porte  sur  Dartford  ,  pour  soulever 
les  habitants  du  comté  de  Kent, 
mais  répondant  toujours  auxévcques 
de  Winchester  et  d'Éiy,  qui  négo- 
ciaient avec  lui  au  nom  du  roi ,  qu'il 
n'a  d'autre  désir  que  de  faire  écla- 
ter son  innocence.  Pour  en  donner 
une  preuve,  il  se  rend  au  camp 
de  Henri,  et  il  paraît  devant  lui  sans 
armes  et  tête  nue.  Cet  acte  de  sou- 
mission apparente  n'<mpcche  pas 
qu'il  ne  soit  arrêté  en  sortant  de  la 
tente  du  roi.  Il  eût  été  exécuté  sur 
l'heure,  sans  la  bonté  naturelle  de 
Henri  VI ,  qui  ne  put  se  résoudre  à 
verser  le  sang  d'un  prince  ,  son  pa- 
rent. On  apprit  bientôt  que  le  comte 
de  March,  iils  aîné  du  duc  d'York , 
s'avançait  pour  le  délivrer;  et  ses 
plus  ardents  ennemis  eux-mêmes  opi- 
nèrent à  ce  qu'il  fût  rendu  à  la  liber- 
té ,  sous  la  seule  condition  de  renou- 
veler ses  serments  de  fidélité  en  rece- 
vant la  communion  :  ce  qu'il  fit  sans 
difficulté.  Il  se  retira  ensuite  dans 
son  château  de  Wigmore.  Ce  fut  vers 
cette  époque  (  i454)  que  la  faiblesse 
naturelle  de  Henri  VI  dégénéra  eu 
une  imbécillité  totale  [V.  Henri  vi  , 
XX,  iS^  ).  La  reine,  devenue  maî- 
tresse absolue,  regarda  comme  un 
coup  de  haute  politique,  d'investir 
Je  duc  d'York  d'un  pouvoir  légal  au 
lieu  de  celui  qu'il  travaillait  à  obte- 
nir de  son  épéc.  Elle  le  fit  déclarer 
protecteur  du  royaume,  jusqu'à  la 
parfaite  guérison  du  roi  ou  la  majo- 
rité du  prince  son  fils.  Le  duc  de 
Sommerset ,  ennemi  capital  du  duc 
d'York,  fut  envoyé  à  la  Tour.  Mais 
quelques  semaines  s'étaient  à  peine 
écoulées,  que  le  roi  parut  reprendre 
sa  raison ,  et  Sommcrset  toute  sa  fa- 
veur auprès  de  lui.  Le  duc  d'York , 


YOR  491 

furieux  ,  court  rassembler  son  parti 
dans  le  pays  de  Galles, et  revient  sur 
Londres.  Le  roi  ma  relie  à  sa  rencon- 
tre, le  combat  s'engage  à  Saint-Al- 
bans  ,  et  Henri  tombe  au  pouvoir  du 
prince  (  3i  mai  i455).  Ce  fut  le 
])remier  sang  versé  dans  cette  terri- 
ble lutte  des  deux  roses  ;  ce  fut  la 
première  fois  aussi  qu'y  parut  avec 
éclat  ce  fameux  comte  de  Warwick 
kin^  maker  (  le  faiseur  de  rois  ).  Il 
était  neveu  de  la  duchesse  d'York , 
fille  du  comte  de  Westmoreland.  Le 
duc  traita  le  roi  avec  les  plus  grands 
égards  apparents  :  Henri  déclara  de- 
vant le  parlement  que  son  cousin  n'a- 
vait jamais  eu  que  de  bonnes  inten- 
tions, et  quela  division  qui  avait  paru 
régner  entre  eux  ne  devait  être  attri- 
buée qu'au  duc  de  Sommerset,  son 
ministre,  dont  le  ciel  l'avait  heureuse- 
ment délivré  dans  cette  bataille.  La 
session  suivante  fut  ouverte  par  le 
duc  d'York  en  personne ,  qui  annon- 
ça que  le  roi  était  frappé  de  nouveau 
d'aliénation  mentale.  La  chambre 
des  pairs  le  pria  de  reprendre  son  ti- 
tre de  protecteur.  11  feignit  une  vive 
résistance,  et  se  rendit  enfin  ,  après 
avoir  fait  décider  que  le  protecteur 
ne  serait  plus  désormais  à  la  nomi- 
nation du  roi ,  et  qu'il  ne  rendrait 
compte  de  ses  actes  qu'au  parlement. 
C'était  une  précaution  que  prenait  le 
duc  contre  l'ascendant  de  la  reine 
Marguerite  d'Anjou.  Cette  habile  et 
courageuse  princesse  sut  bientôt  , 
néanmoins ,  se  faire  un  si  grand  nom- 
bre de  partisans  dans  le  parlement, 
que  le  roi  fut  déclaré  capable  de  re- 
prendre les  rênes  du  gouvernement , 
et  le  protecteur  remercié  de  ses  ser- 
vices. Il  affecta  de  quitter  le  pouvoir 
sans  regret,  et  pendant  deux  années 
entières,  il  sembla  avoir  renoncé  à 
tous  ses  projets. Mais,  la  reine  ayant 
transféré  la  cour  à  Coventry,  le  priu- 


492  YOR 

ce  regarda  l'invitation  de  s'y  rendre 
comme  un  piège  :  il  se  retira  dans  le 
pays  de  Galles  ,  et  Warwick  à  Ca- 
lais, dont  il  était  gouverneur  (  Voy. 
Warwick  ).  Il  ne  fallait  qu*une 
étincelle  pour  produire  une  nouvelle 
explosion.  Une  querelle  entre  deux 
valets  amena  un  combat  général. 
Les  premières  hostilités  furent  si  dé- 
favorables au  duc  d'York,  qu'il  crut 
prudent  de  passer  en  Irlande.  La 
reine  obtint  aussitôt  du  parlement  de 
Coventry  un  bill  à!attainder  con- 
tre ce  prince  et  ses  deux  fds.  Mais 
Warwick  gagne  la  bataille  de  INor- 
thampton  ,  et  s'empare  de  la  person- 
ne du  malheureux  Henri  VI,  qu'il 
conduit  à  Londres,  étroitement  cap- 
tif au  milieu  des  honneurs  dus  au 
rang  suprême.  Le  duc  d'York  ac- 
court ,  et  paraît  tout-à-coup  dans  la 
chambre  des  pairs.  Il  s'avance  vers 
le  troue,  comme  attendant  l'invita- 
tion d'y  monter.  Aucune  voix  ne  s'é- 
lève, si  ce  n'est  celle  de  l'archevê- 
que de  Canterbury  ,  qui  lui  demande 
s'il  veut  rendre  ses  hommages  au 
roi ,  qui  est  dans  une  pièce  voisine. 
«  Je  ne  connais  pas  un  homme  en 
»  Angleterre  ,  répond  fièrement  le 
))  prince,  dont  je  n'aie,  au  contrai- 
»  re,  des  hommages  à  recevoir.  » 
Et  il  sortit  sur  l'heure  pour  aller  oc- 
cuper l'appartement  qui,  j  usqu'alors, 
avait  été  celui  du  roi.  Mais  ,  peu  sa- 
tisfaits de  ces  vaines  démonstrations, 
ses  partisans  murmuraient  haute- 
ment. Il  se  décida  pour  lors  à  faire 
présenter  à  la  chambre  des  lords, 
par  le  chancelier,  la  plus  singulière 
requête  dont  l'histoire  offre  l'exem- 
ple •  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  singu- 
lier, c'est  que  les  lords  la  renvoyè- 
rent au  roi  lui  même.  Le  duc  d'York 
y  revendiquait  la  couronne  comme 
lui  étant  légitimement  dévolue  par 
droit  de  naissance,  droit  établid'une 


YOR 

manière  incontestable  par  le  tableau 
généalogique  joint  à  la  requête.  Hen- 
ri VI ,  avec  sa  débonnaireté  ordi- 
naire ,  renvoya  la  question  au  parle- 
ment, qui  montra  beaucoup  de  répu- 
gnance à  se  prononcer  entre  les  deux 
concurrents.  Enfm ,  après  de  longues 
discussions,  on  s'arrêfa  à  un  com- 
promis ,  où  il  fut  stipulé  que  Henri 
conserverait  la  couronne  sa  vie  du- 
rant j  mais  qu'à  sa  mort ,  au  lieu  de 
passer  sur  la  tête  de  son  fds,  elle  ap- 
partiendrait de  droit  au  duc  d'York 
ou  à  sa  descendance.  Un  serment 
prononcé  par  le  roi  et  le  duc,  au 
pied  des  autels,  consacra  leur  récon- 
ciliation. Mais  la  reine  ne  tarda  pas 
à  venir  protester,  à  la  tête  d'une 
puissante  armée ,  contre  un  traité  ar- 
raché à  la  faiblesse  de  son  époux. 
Hors  d'état  de  tenir  la  campagne,  le 
duc  d'York  serenferraa  d'abord  dans 
le  château  de  Sandal-  mais  bientôt, 
entraîné  par  son  courage  ,  il  descen- 
dit dans  la  plaine  de  Wakefield,  où 
ses  troupes  furent  promptement  dé- 
faites. Soit  qu'il  ait  périsur  le  champ 
de  bataille,  soit  qu'il  ait  été  pris  et 
décapité  sur  la  place  (i) ,  sa  tête  fut 
présentée  à  Mal'^uerite  victorieuse  , 
qui  ordonna  de  la  planter  sur  les  mu- 
railles d'York  ,  surmontée ,  par  dé- 
rision ,  d'une  couronne  de  papier  (24 
décembre  i4^o  ).  —  Le  jeune  comte 
de  Rutland,  second  fils  du  duc  d'York, 
et  âgé  seulement  de  douze  ans  ,  fut 
poignardé  dans  la  déroute  par  lord 
ClifTord.  L'aîné,  comte  de  March, 
continua  la  guerre  avec  succès,  ct,^ 
deux  mois  après  la  mort  de  sou  pè-, 
re,  il  fut  proclamé  roi,  sous  le  nom] 
d'Edouard  IV.  S — v — s. 

YORK  (Le  duc  d'  ).  F.  Jacques  IL 


(i)  Tel  est  le  doute  exprimé  par  le  docteur  L'n.-j 
gard  ,  auteur  de  la  nouvelle  Histoirs'  d'Angleterre  , 
qui   nous  a  fourni  plusieurs  pat  ticiilarités  coul»-| 
nue»  dans  cet  article. 


YOR 
YORK  (  Le  cardinal  d').  Foyez 

StUART,XLIV,    102. 

YORK   (  Frédéric  ,  duc  d'  )  et 
d'Alb.tny,  second  fils  du  roi  d'An- 
gleterre  George  III  ,  naquit  le  i6 
août  1763.  Nomme',  dès  son  ado- 
lescence ,    cvêque   d'Osnabruck  ,    il 
manifesta  bientôt  le  désir  de  suivre 
la  carrière  des  armes.   Pour  acliever 
son  éducation  militaire  ,  il  se  rendit 
en  Prusse  où  le  grand  Frédéric  vivait 
encore.  Le  jeune  prince  anglais  sui- 
vait très -assidûment  les  parades  et 
les  manœuvres  ;  il  adopta  minutieu- 
sement l'uniforme  prussien  dans  ses 
plus  petits  détails  ,  ce  qui  n'empêclia 
point  le  vieux  monarque  de  tirer  son 
horoscope,   et  de  dire  que  la  direc- 
tion d'un    cvcclie  lui    conviendrait 
mieux  que  le  commandement  d'une 
armée.  Maigre  ce  pronostic  ,  le  roi 
George  le  fit  commandant  du  pre- 
mier régiment  de  ses  gardes  ,  et  dès 
qu'il  se  vit  engage'  dans  la  coalition 
contre  la   republique  française ,   ce 
prince  crut  ne  pouvoir  mieux  faire 
que  de  mettre  son  enfant  de  prédi- 
lection à  la  tcte  des  troupes  qu'il  fit 
passer  dans  les  Pays-Bas  ,  en  1793. 
Ces  troupes  firent  leur  jonction  avec 
l'armée  autrichienne  du  prince   de 
Saxe-Gobourg.  La  campagne  avait 
e'té  constamment   heureuse  jusqu'à 
la  prise  de  Valenciennes  ,  lorsque  le 
duc  d'York  ,  jaloux  de  l'honneur  de 
diriger  une  opération    en  chef ,    se 
détacha  du  prince  de  Gobourg  ,  pour 
aller  mettre  le  siège  devant  Dunker- 
que  ,    dont  l'Angleterre    convoitait 
vivement  la  possession.  Ses  disposi- 
tions furent  si  mal  faites,  qu'd  es- 
suya une  déroute  complète  à  Honds- 
choot.  Depuis  cet  écher. ,  il  ne  coo- 
péra plus  que  faiblement  aux  entre- 
prises des  Autrichiens  ,  dont  il  se  te- 
nait toujours  à  une  dislance  qui  dé- 
celait à  la-fois  sa  mauvaise  volonté 


YOR  493    ' 

et  son  incapacité.  Son  quartier- géné- 
ral de  ïournay  devint  pour  ses  trou- 
pes une  nouvelle  Capoue.   Oubliant 
sa  dignité  ,  le  duc  d'York  y  donnait 
lui-même  l'exemple  'de  l'intempé- 
rance et  du  désordre.  On  le  vit,  un 
jour  ,  à  la  suite  d'un  grand  dîner 
qui  eut  lieu  dans  une  auberge  sur  la 
place  ,   s'amuser  à   lancer  par   les 
fenêtres  non-seulement  les  débris  du 
repas  ,   mais  encore  les  plats  ,  les 
assiettes  et  les  bouteilles.    Suivi  de 
ses  convives  ,  il  traversa  ensuite  la 
ville  dans  un  état  d'ivresse  complète, 
pour  se  rendre  au  spectacle.   Ce  fut 
à  cette  époque  que  le  prince  de  Go- 
bourg ayant  dit  au  comte  de  Gîair- 
fayt ,  le  meilleur  général  de  son  ar- 
mée, qu'il  voulait  demander  un  ren- 
fort de  trente  mille  hommes  :  «  De- 
»  mandez  seulement ,  répondit  Glair- 
•»  fayt ,  que  l'on  vous  délivre  du  duc 
»  d'York;  son  départ  vous  fera  plus 
»  debien  que  ne  pourrait  vous  en  faire 
»  l'arrivée  de  trente  mille  hommes.  » 
La  suite  ne  justifia  que  trop   l'avis 
du  général  Glairfayt.  Sans  cesse  pour- 
suivi et  culbuté  par  les  Français  ,  le 
duc  d'York  se  dirigea  sur  Anvers ,  à 
marches  forcées ,  avec  l'intention  vi- 
sible de  se  rapprocher  de  la  mer  et 
de  se  rembarquer.  Mais ,   au  même 
moment,  lord  Moira  débarquait  à 
Ostende  avec  un  renfort  de  dix  mille 
hommes.  Ge  brave  officier  s'opposa 
énergiquement  à  la  fuite  du  prince  , 
et  le  contraignit  k  reprendre  la  cam- 
pagiie.  Mais  tout  ce  qu'il  put  obtenir 
de  S.  A.  R. ,  ce  fut  d'aller  prendre 
position  derrière  la  Meuse,  sous  le 
canon  de  la  forteresse  de  Grave.  Les 
Français  ne  l'y  laissèrent  pas  long- 
temps :  l'armée  anglaise  refoulée  sur 
la  Hollande,  gagna  rapidement  l'Ems 
et  le  Wéser ,  en  perdant  beaucoup  de 
monde  dans  cette  retraite  ,  où  elle  fut 
victime  elle-même  de  ses  propres  ex- 


494  YOR 

ces.  Le  duc  d'York  se  hâta  d'en  faire 
embarquer  les  débris  à  Cuxhaveii,  à 
rembouchure  de  l'Elbe.  Tant  de  re- 
verset d'humiliations  n'empêchèrent 
pas  George  III  de  donner  à  ce  iils 
chéri  le  titre  de  feld-maréchal ,  et  de 
lui  confier  l'administration  suprême 
de  toutes  ses  troupes  déterre,  sous 
le  titredecommandantenchef.  Le  mi- 
nistre de  la  guerre  fut  réduit  à  n'être 
plus  ,  en  quelque  sorte ,  que  le  com- 
mis du  prince.  Une  faveur  plus  écla- 
tante lui  fut  bientôt  accordée.  La 
grande  expe'dition  de  Hollande  ,  en 
1 799 ,  fut  abandonnée  à  sa  direction. 
Il  ne  se  joignit  au  général  d'Essen, 
qui  commandait  un  corps  russe  auxi- 
liaire ,  que  pour  le  rendre  témoin 
d'une  suite  de  fausses  manœuvres  et 
de  bévues  les  plus  funestes.  Après 
s'ctie  avancé  imprudemment  du  Hel- 
der  dans  la  Nord-  Hollande,  au  mi- 
lieu d'un  pays  entre-coupé  de  canaux 
et  de  fossés  sans  nombre,  et  après 
avoir  fait  des  pertes  énormes  ,  il  ne 
parvint  à  se  rembarquer  qu'en  signant 
imc  capitulation  honteuse.  On  re- 
procha ,  dans  le  temps ,  et  avec  rai- 
son, au  général  Brune  qui  comman- 
dait l'armée  française,  de  n'avoir 
pas  fait  mettre  bas  les  armes  à  la 
totalité  des  troupes  britanniques. 
Des  écrivains  qui  étaient  en  situation 
d'être  bien  informés,  assurent  que  le 
duc  d'York  ne  racheta  sa  liberté  et 
celle  de  son  corps  d'armée  ,  qu'en 
payant  secrètement  au  directoire  et 
à  son  général  une  forte  rançon.  Le 
prince  ,  à  son  retour  en  Angleterre  , 
fut  accueilli  par  des  marques  non 
équivoques  du  mécontentement  pu- 
blic ;  mais ,  grâce  à  la  tendresse  aveu- 
gle du  roi  son  père ,  il  n'en  reprit 
pas  moins  ses  fonctions  administra- 
tives. E'ics  devinrent  pour  lui  la 
source  des  plus  violents  désagréments 
que  piil  éprouver  un  personnage  de 


YOR 

son  rang.  Le  27  janvier  1809  ,  un 
membre  du  parlement  ,  nommé 
Wardle  ,  dénonça  à  la  chambre  des 
communes  le  système  de  corruption 
qui  régnait  depuis  îong-temps  dans 
le  département  de  la  guerre  ;  et  il 
en  accusa  personnellement  le  duc 
d'York,  qui  souffrait  que  mistriss 
Glarke,  sa  maîtresse,  fît  un  honteux 
trsific  des  commissions  d'officiers  , 
dont  il  partageait  les  profits  avec 
elle.  Le  procès  fut  instruit  devant  le 
parlement  avec  une  grande  solen- 
nité et  la  culpabilité  de  mistriss 
Glarke  établie  ,  mais  non  celle  du 
prince ,  quoique  cette  femme  soutînt 
constamment  qu'elle  n'avait  agi  que 
par  ses  ordres.  L'innocence  de  S.  A. 
R.  ne  fut  reconnue  ,  au  reste,  que  par 
deux  cent  soixante-dix-huit  voix 
contre  cent  quatre-vingt-seize  ;  et 
l'opinion  publique  s'étant  fortement 
prononcée  en  faveur  de  cette  impo- 
sante minorité,  le  duc  se  crut  oblige 
de  donner  sa  démission.  Mais  deux 
ans  plus  tard  le  roi  lui  rendit  sa 
place  ,  et  il  l'a  conservée  jusqu'à  son 
dernier  jour.  Naturellement  ennemi 
de  toute  occupation  sérieuse ,  et  dé- 
pourvu de  talents  oratoires  comme 
de  l'instruction  la  plus  vulgaire^  le 
duc  d'York  ne  prenait  part  aux 
discussions  parlementaires  ,  que  lors- 
qu'elles avaient  pour  objet  l'éman- 
cipation tant  de  fois  débattue  des 
catholiques.  11  se  montra  toujours 
opiniâtrement  contraire  à  cette  par- 
tie si  nombreuse  de  la  population 
britannique  ,  et  cette  aveugle  obsti- 
nation fut  peut-être  une  des  causes  * 
de  l'excessive  tendresse  que  ne  cessa 
de  lui  témoigner  son  père.  Dans  la 
session  de  18*26,  son  intolérance  et 
son  fanatisme  ne  connurent  plus  de 
bornes.  L'Euroj)e  vit  avec  indigna- 
tion et  avec  effroi  l'héritier  de  la 
animé  au 


couronne  d'Angleterre 


YOR 

dix  -  nenvième  siècle  de  l'esprit  de 
persécution  de  Henri  VÏIl  ,  décla- 
rer solennellement  que,  si  jamais  la 
couronne  ])assait  sur  sa  tête,  il  met- 
trait sa  gloire  à  appesantir  le  joug  de 
l'oppression  sur  sept  millions  d'If- 
landais  et  d'Anglais  ,  dont  tout  le 
crime  est  d'être  restes  fidèles  à  la 
religion  de  leurs  pères.  Ce  fut  la 
dernière  fois  que  le  duc  d'York  parla 
et  même  qu'il  parut  en  public.  Une 
hydropisie,qui  minait  ses  forces  de- 
puis plusieurs  années  ,  prit  un  ac- 
croissement rapide  :  il  expira  le  5 
janvier  18*27.  La  fortune  parti- 
culière de  ce  prince  était  tellement 
délabrée  par  suite  de  ses  désordres 
secrets  ,  et  le  nombre  de  ses  créan- 
ciers était  si  considérable  ,  qu'il  lui 
est  arrivé  plusieurs  fois  de  voir  sai- 
sir sa  voiture  et  ses  chevaux  dans  les 
rues  de  Londres.  Le  duc  d'York  n'a 
point  laissé  d'enfants  de  sou  mariage 
avec  une  sœur  du  roi  de  Prusse  , 
Frédéric-Guillaume  III ,  qu'il  avait 
épousée  en  1791,  et  dont  il  était 
veuf  depuis  1820.  S — v — s. 

YORKE  (Philippe),  d'Erthig, 
comte  de  Denbigh ,  était  de  la  famille 
de  Hardwicke  (  l^of.  ce  nom).  Né 
vers  l'an  174^,  il  fit  ses  études  à 
l'université  de  Cambridge ,  fut  atta- 
clié  à  la  société  des  antiquaires  de 
Londres  ,  et  représenta  dans  le  parle- 
ment le  bourg  d'Helstone  en  Cor- 
nouailles,  et  la  ville  de  Grantliam 
en  Lincoinshire.  Héritier  d'une  gran- 
de fortune,  il  la  fit  servir  aux  vues 
les  plus  nobles,  les  plus  bienfaisantes. 
Son  esprit  vif  et  piquant  brillait  par- 
ticulièrement dans  la  conversation. 
On  a  deluiles  Tribus  royales  dupays 
de  Galles  {Royal  tribes  of  fVales), 
1799 ,  in-4**.  ;  ouvrage  d'histoire  gé- 
néalogique ,  où  l'aridité  du  sujet  ast 
sauvée  par  des  anecdotes  curieuses  , 
authentiques  et  peu  connues.  Le  vo- 


YOU  495 

lume  est  orné  de  portraits  gravés 
par  Bond.  Ce  n'était  cependant  qu'un 
essai*  et  l'auteur  travaillait  à  un 
ouvrage  considérable  sur  un  sujet 
analogue,  lorsqu'il  mourut  le  19 
février  1804.  L. 

YOUNG  (Patrice),  savant  phi- 
lologue ,  descendant  d'une  bonne  fa- 
mille écossaise,  naquit,  le  29  août 
i584,  à  Seaton  dans  le  Lothian. 
Pierre  Youiig,  son  père,  avait  été 
employé,  sous  Buchanan,  à  l'édu- 
cation du  roi  Jacques  I<^i'.  Patrice  fut 
envoyé,  à  l'âge  de  quinze  ans ,  à  l'u- 
niversité de  Saint-André,  et  y  reçut, 
en  i6o3  ,  le  degré  de  raaître-ès-arts. 
Il  accompagna  ensuite  son  père  en 
Angleterre ,  où  la  protection  de  Té- 
vêque  Lloyd  lui  fit  encore  obtenir  le 
grade  de  maître -es -arts  h  Oxford- 
entra  dans  les  ordres  immédiatement 
après  cet  événement,  reçut  le  diaco- 
nat ,  et  fut  nommé  chapelain  du  collè- 
ge Neuf.  Il  resta  trois  ans  dans 
cette  place,  partageant  ses  loisiVs 
entre  l'histoire  ecclésiastique  et  l'é- 
tude de  la  langue  grecque ,  qu'il  pos- 
séda bientôt  à  fond  ;  résignant 
tout  -  à  -  coup  son  emploi ,  il  vint  à 
Londres ,  pour  y  solliciter  de  l'avan- 
cement, à  l'aide  de  son  père  ou  des 
amis  de  son  père;  et  en  effet ,  peu  de 
temps  se  passa  sans  que  par  l'inter- 
médiaire de  Montagne,  évêque  de 
Bath  et  Wells ,  il  obtînt  une  pen- 
sion de  cinquante  livres  sterling,  puis 
la  place  de  bibliothécaire  du  prince 
Henri,  qui ,  outre  une  belle  collection 
de  livres,  avait  aussi  un  Musée  inté- 
ressant. Dans  la  suite,  les  démar- 
ches actives  de  Montagne  valurent  à 
Youngletitre  de  conservateur  de  la  bi- 
bliothèque nouvellement  fondée  par 
le  roi.  Dans  ce  poste  ,  il  dressa  le  ca- 
talogue des  livres  que  possédait  la 
collection  naissante,  les  classa  ,  indi- 
qua les  lacunes  qu'il  cfait  le  plus  ur» 


496  YOU 

gcnt  de  remplir^  el  fit,  pour  aclicter 
les  ouviMgcs  indiqués  ,  divers  voya- 
ges à  Fraiicfort-siir-Ie-IMein,  à  Paris  , 
en  Hollande ,  etc.  Le  roi  reconnut  ses 
services  en  lui  conférant  divers  bé- 
néfices dans  les  comtes  de  Mid- 
dlesex  et  de  Denbigli  et  une  prébende 
à  l'église  Saint  -  Paul,  dont  il  devint 
trésorier ,  en  1 62 1 .  Les  devoirs  ecclé- 
siastiques ne  l'enipôchaient  point  de 
remplir  les  fondions  de  sa  place , 
qu'il  garda  jusqu'à  la  révolution  de 
1648.  Dépouillé  alors  et  mis  en  pri- 
son ,  il  fut  pourtant  traité  avec  égards 
et  ménagements  ;  et  plus  tard  on 
lui  rendit  la  liberté.  Il  se  retira 
alors  chez  l'époux  de  sa  fille  aï-  • 
née  ,  à  Blomlield  ,  comté  d'Es- 
sex;  et  c'est  là  qu'il  mourut  le 
7  septembre  i65!i,âgé  de  soixan- 
te-dix-huit  ans.  Quelques  biographes 
ont  soupçonné  ce  savant  d'avoir  été 
fauteur  des  principes  républicains 
qui  désorganisèrent  le  royaume  sous 
Charles  1^.-  mais  ses  antécédents, 
les  relations  de  sa  famille ,  ses  liai- 
sons surtout,  doivent  faire  rejeter 
cettesupposition.PatriceYoung  avait 
pour  les  malheureux  descendants  des 
Grecs  le  même  amour  que  pour  leur 
langue;  et  il  sut  engager  plusieurs  de 
ses  amis  à  contribuer  de  leurs  fonds , 
conjointement  avec  lui,  pour  faire 
élever  à  Londres  des  jeunes  gens  de 
cette  nation.  Cette  générosité  lui  va- 
lut le  nom  de  patriarche  des  Grecs. 
On  doit  à  Young  :  1.  Une  édition  de 
Clemens  Romanus  ^  i633  •  réimpri- 
mé en  1  (33  n.  IL  Catena  grœcoritm 
patrum  in  Jcbum,  collectore  Nice- 
td  Heraclcœ  metropolitd ,  avec  une 
traduction  latine  et  la  suite  des  livres 
de  la  Bible  dits  poétiques.  Wl.Expo- 
sitio  in  Canticum  canticorum  Fo- 
lioti,  episcopi  Londin.,  iinà  cum  Al- 
cuini  in  idem  Canticum  compendio, 
dédié  à  l'évêque  Juxon.  De  plus ,  il 


YOU 

avait  aidé  dans  la  rédaction  des 
Marbres  d'Arundel  le  célèbre  Selden, 
qui  dans  l'ellnsion  de  sa  reconnais- 
sance, lui  dédia  son  livre;  il  avait 
relevé  avec  soin  les  variantes  du  fa- 
meux manuscrit  alexandrin  de  l'An- 
cien et  du  Nouveau  Testament  (  F. 
WoiDE  ) ,  et  préparé  l'impression  de 
plusieurs  manuscrits  inédits  ,  fort 
curieux ,  de  la  bibliothèqiic  dont  la 
garde  lui  était  confiée.       P — ot. 

YOUNG  (  Edou.ard  ) ,  poète  an- 
glais,naqniten  juin  i(38i^à  Upham^ 
près  de  Winchester.  Son  père,  ecclé- 
siastique et  prédicateur  ,  après  avoir 
occupé  long-temps  un  petit  bénéfice 
à  Upham  ,  parvint  au  titre  de  cha- 
pelain du  roi  Guillaume,  et  de  doyen 
dans  l'égliseassezopulentedeSarum. 
Il  avait,  de  plus,  possédé  dans  sa 
jeunesse  un  petit  canonicat  dépendant 
du  collège  de  Winchester.  Edouard 
Young  fut  j  dès  l'enfance  ,  élevé' 
dans  le  même  collège  ,  et  pourvu 
d'une  bourse  qu'il  garda  jusqu'à 
l'âge  de  dix-huit  ans.  On  ne  sait 
s'il  fit  des  études  brillantes;  mais 
il  essaya  vainement  d'obtenir  l'agré- 
gation au  célèbre  collège  d'Oxford. 
Alors  il  se  tourna  vers  le  droit,  et 
obtint  même  à  ce  titre  une  place 
d'agrégé  au  collège  d'AU-Souls  ;  mais 
il  suivit  cette  étude  avec  assez  peu 
d'ardeur  et  de  constance  ;  car  il  ne 
prit  le  degré  de  bacheHer  de  droit 
qu'en  17 14?  et  ne  fut  docteur  qu'en 
1719,  à  l'âge  de  trente-huit  ans.  Le 
goût  de  la  poésie  le  préoccupait,  sans 
lui  inspirer  quelque  grand  ouvrage. 
Il  était  poète  de  circonstance  ,  et 
poète  de  cour  :  début  assez  singulier 
pour  le  chantre  mélancolique  des 
Nuits.  Son  premier  essai  ,  qui  da- 
te de  1712  ,  fut  une  Épître  à  lord 
Lansdovsai;,  pour  justifier  la  pro- 
motion de  douze  pairs  faite  par 
la   reine  Anne  :  événement  qui  dans 


YOU 

mi  autre  pays  serait  à  peine  remar- 
que' ,   et  qui   en    Angleterre  fut   le 
*  sujet  d'un  grand  scandale,  et  d'un 
procès  criminel.  Deux  ans  après  ,  à 
la  mort  de  cette  princesse  ,  le  poè- 
te fit  paraître  un  panégyrique  pom- 
peux  de    George  1*=''. ,   son   succes- 
seur. La  manie  de  l'e'loge  le  tenait 
tellement  que  ^  charge  de  prononcer 
un  discours  latin  pour  un  collège  où 
il  était  agrège' ,  il  le  dédia  ,  dans  une 
e'pître  llaltcuse  ,  aux  dames  de  la  fa- 
mille Codrifigtoji  :  illitégalementdes 
vers  à  la  gloire  d'Addison  ,  et  de  la 
prose   à   la  louange  du  marquis  de 
Wliarton  ,  homme  impudent  et  dés- 
honoré ,  dont  il  rechercha  la  pro- 
tection et  reçut  les  bienfaits.  De  plus 
nobles  productions  s'étaient  mêlées  ce- 
pendant aux  premiers  essais  d'Young, 
et  pouvaient  annoncer  déjà  le  carac- 
tère particulier  de  son  talent.  Le  poè- 
me du  Jugement  dernier,  publié  en 
1713  ,  offre  des  traits  de  pathétique 
et  de   grantjcur ,  une  poésie  forte  , 
malgré  la  dilfusion  et  la  monotonie 
des  images.  On  est  impatienté  seule- 
ment de  voir  le  poète  retomber  dans 
ses  adulations  habituelles  ,  et  avec  ce 
ton  d'emphase  qui  les  rend  plus  ridi- 
cules ,  faire  l'apothéose  de  la  reine 
qui  vivait  encore.  On  ne  conçoit  pas 
tque  le  grand  et  solennel  spectacle, 
contemplé  par  l'imagination  de  Tau- 
leur  ,  ne  l'ait  pas  prémuni  contre  les 
misérables  illusions  de  ce  bas  monde, 
3t  qu'il  ait  eu  besoin,  pour  ainsi  dire, 
le  flatter  la  puissance  jusqu'au  mi- 
ieudu  jugement  dernier.  Ce  qui  rend 
îette  faiblesse  p!us  choquante ,  c'est 
[u'cUe  recommence  sans  cesse.   Le 
îoète  ne  se  lassa  pas,  pendant  vingt 
us  ,  d'adresser  de  pompeuses  dédi- 
ac.es    et  des  panégyriques   en  vers 
uxrois,  aux  ministres  et  aux  grands 
eigneurs.  Il  travaillait  aussi  pour  le 
héâtre,  et  donna  la  tragédie  de  Bu- 


YOU 


497 


suis,  en  i  -]  i  9,  et  une  autre  pièce,  in- 
titulée la  Vengeance,  en  1 72 1 . Mais 
ces  deux  ouvrages  ,  médiocrement 
goûtés  du  public  ,  lui  ra])portèrent 
moins  que  les  dédicaces  qu'il  en  fit  au 
duc  de  Newcastle  et  au  duc  de  Whar- 
ton.  Young,  dont  le  talent  ne  sem- 
blait avoir  encore  de  vocation  bien 
décidée  que  pour  la  flatterie  ,  publia, 
vers  la  même  époque  ,  un  recueil  de 
satires  :  mais  chacun  de  ces  mor- 
ceaux ,  où  le  poète  médisait  de  quel- 
ques vices  obscurs ,  était  adressé 
pompeusement  à  quelque  grand  sei- 
gneur, et  placé  sous  ses  auspices. 
Le  poète  se  serait  promptement  en- 
richi* mais  il  engagea  et  perdit  une 
somme  considérable  dans  les  entre- 
prises de  la  compagnie  des  Indes  , 
qui  tournait  alors  toutes  les  têtes  en 
Angleterre.  Pour  se  dédommager,  il 
célébra,  dans  un  poème  en  forme, 
le  ministère  de  Walpole  ,  qu'il  avait 
déjà  loué  plusieurs  fois.  Il  disait  à 
ce  ministre ,  modèle  de  ces  intrigants 
corrupteurs  qui  dominent  un  pays  en 
achetant  les  faibles  consciences,  et  en 
proscrivant  les  talents  qu'ils  n'ont  pu 
acheter  :  a  Ah  I  combien  je  souhaite, 
»  enflammé  par  un  si  grand  sujet,  de 
»  lancer  ton  nom  dans  les  profondeurs 
))  de  l'éternité  I» puis  il  ajoute,  comme 
une  naïve  explication  de  sa  servile  em- 
phase :  «  Mon  cœur,  ô  Walpole,  brûle 
»  d'un  feu  reconnaissant!  Les  flots 
»  de  la  bonté  royale ,  dirigés  par 
»  toi ,  sont  venus  rafraîchir  l'aride 
»  domaine  de  la  poésie.  »  Le  poète 
avait  obtenu  deux  cents  livres  ster- 
ling de  pension  ,  bien  chèrement 
achetées  par  tant  de  ridicules  flagor- 
neries. A  l'avènement  de  George 
II ,  il  monta  de  nouveau  sa  lyre  pour 
célébrer  la  puissance  ;  il  fît  une  ode 
au  roi,  père  de  la  patrie,  et  une 
autre  intitulée  r  Océan  ^  où  il  célé- 
brait l'intention   généreuse  qu'avait 

32 


498  YOU 

montrce  le  sonverairi,  en  voulant 
abolir  la  presse  des  matelots  ,  et 
rendre  le  service  de  la  marine  aussi 
libre  qu'il  était  glorieux  pour  l'An- 
gleterre. Vers  la  même  époque ,  en 
1727,  Young  ,  âge  de  quarante-six 
ans  ,  entra  dans  l'état  ecclésiastique , 
et  peu  de  temps  après  fut  nomme 
chapelain  du  roi  George  II.  Cette 
vocation  tardive  fut  déîermince, dit- 
on  ,  par  les  ouvrages  de  saint  Tho- 
mas d'Aquin  ,  dont  Pope  lui  avait 
conseille  la  lecture.  Il  venait  alors 
d'achever  ,  et  destinait  au  théâtre  , 
inie  tragédie  de  Démétrius  et  Ver- 
sée ;  mais  il  crut  devoir  en  faire  le 
sacrifice  aux  bienséances  de  son  nou- 
vel état.  11  voulut  également  renoncer 
à  la  poésie  j  et  il  fit  paraître  un  traité 
de  morale  en  prose  sur  le  peu  de  prix 
de  la  vie  humaine  ,  qu'il  ne  manqua 
pas  cependant  de  dédier  à  la  reine. 
En  Ï729,  il  prêcha  devant  la  cham- 
bre des  communes  ,  pour  l'anniver- 
saire de  la  mort  de  Charles  1^^'.  ,  un 
sermon  plein  de  chaleur  sur  le  res- 
pect que  les  peuples  doivent  au  gou- 
vernement. Bientôt  après  il  revint  à  la 
poésie  ,  pour  célébrer  ,  dans  une  ode 
pindarique ,  le  voyage  du  roi  d'Angle- 
terre, qui  venait  de  signer  la  paix  de 
Hanovre.  Malgré  ce  zèle  de  flatterie  , 
vraiment  infatigable  ,  il  fallait  que 
le  docteur  Young  manquât  de  bon- 
heur ou  d'adresse  ^  car  il  n'obtint 
pas  dans  l'Église  anglicane  les  digni- 
tés où  son  mérite  et  son  talent  de  pré- 
dication auraient  dû  le  conduire. 
En  1730  ,  il  fut  seulement  pourvu 
d'un  rectorat  assez  modique  dans  le 
comté  de  Herlford.  Deuxans  après ,  il 
épousa  ladyÉlizabeth  Lée, veuve  d'un 
colonel, et  lilleducomte  deLichiield. 
Cette  alliance  illustre  semblait  satis- 
faire l'ambition  du  poète  ,  et  lui 
donna  quelques  années  de  bonheur. 
]i  paraît  qu'il  venait  alors  souvent  à 


YOU 

Londres,  et  qu'il  y  connut  Voltaire  , 
auquel  il  a  dédié  une  de  ses  odes 
sur  l'Océan,  sujet  qu'il  aimait  à 
traiter  pour  flatter  la  nation  elle- 
même  ,  après  avoir  tant  flatté  les 
grands  et  les  ministres.  En  1740,  le 
docteur  Young  fut  frappé  d'un  coup 
alTreux,  auquel  il  est  redevable  de 
son  immortalité.  Sa  femme  fut  enle- 
vée par  une  mort  prématurée;  elle 
laissait  une  fille  qu'elle  avait  eue  de 
son  premier  époux  ,  et  qui ,  près  de 
s'unir  au  fils  de  lord  Palmerston, 
fut  elle  -  même  atteinte  d'une  mala- 
die de  poitrine.  Young,  qui  la  chéris- 
sait avec  la  tendresse  d'un  père,  la 
conduisit  dans  le  midi  de  la  France  j 
il  la  vit  périr  dans  ses  bras  ;  et  le 
jeune  époux  qu'il  lui  destinait  suc- 
comba bientôt  après.  Privé  tout-à- 
coup  de  ses  plus  chères  affections , 
isolé  par  la  mort  à  Tentrée  de  \C 
vieillesse  ,  le  poète ,  auquel  il  ne  res^ 
tait  qu'un  fils  dans  la  première  enj 
fance  ,  se  livra  tout  entier  à  sa  doul 
leur  j  et  cette  douleur  fit  son  génie! 
Laissant  là  les  intérêts  du  monde, 
les  vaines  ambitions  qu'il  avait  troj 
suivies  ,  il  répandit  son  cœur ,  dai 
la  solitude  et  le  silence  des  nuits 
médita  sur  des  tombeaux  ,  il  pleuri 
cette  épouse  chérie ,  cette  jeune  fille 
ce  jeune  époux,  enlevés  par  une  fin 
cruelle;  il  se  montra  lui-même, 
vieux  prêtre  du  Seigneur  ,  couri 
sous  tant  de  coups  réitérés,  forcé  su; 
la  terre  alrangère  d'ensevelir  furtiv 
ment  la  fille  qu'il  a  perdue,  et  à  la 
quelle  il  ne  peut  offrir  les  honneurs 
de  son  culte ,  proscrit  par  la  loi  du 
pays  où  elle  vient  d'expirer;  il  ra- 
conta son  inconsolable  douleur,  et  la 
tristesse  de  sa  solitude.  Cette  situa- 
tion, à  la-fois  si  commune  dans  la 
vie  ,  et  si  pathétique  par  elle-même , 
rendue  avec  une  poésie  forte  et  aban- 
donnée, frappa  l'imagination  du  lec*^ 


I 


YOU 

leur.   Les  vers  du    poète ,  si  long- 
temps consacrés  à  de  vaines  louanges 
et  à  des  exagérations  factices,  reçu- 
rent l'emprenite  originale  d'une  ame 
profondément  émue.  On  sentit  l'hom- 
me dans  le  poète  ;  on  retrouva  sous 
la  dilFusion  et  la  pompe  des  images 
ce  langage  intime  de  la  douleur  que 
tout  le  monde  entend.  Les  premières 
méditations  du  poète  ,  tout  animées 
d'une  affliction  vive  et  récente,  fu- 
rent suivies  de  plaintes  plus  longues 
et  plus  faibles,  où  le  génie  semble 
s'user  avec  la  douleur.  Mais  il  y  a 
dans  l'homme  un  fonds  de  tristesse  et 
de  regret ,  (pie  l'on  peut  aviver  sans 
cesse  comme  une  blessure  toujours 
prêle  à  saigner  j  et  si  l'imagination 
du  ])oèle  n'avait  pas  eu  quelque  cho- 
se de  lourd  et  de  monotone ,  s'il  était 
moins  déclamateur,  ses  hymnes  fu- 
nèbres ne  lasseraient  pas  si  vite  no- 
tre ame  attristée.  Quelquefois  dans 
les  lamentations  du  poète  sur  la  vie 
humaine  ,  on  sent  trop  le  regret  de 
l'ambition  trompée.  11  se  plaint  d'c- 
Ire    oublié  ;   il    accuse  l'insensibi- 
lité des  grands,  qui,  lorsqu'il  leur 
confie  sa  douleur,  lui  prennent  la 
main,  et  lui  disent  de  revenir.  Une 
autre  fois  enfin,  il  avoue  que,  pen- 
dant une  durée  de  tcnij^s  deux  fois 
aussi  longue  que  la  guerre  de  Troie ^ 
il  assiégea  la  faveur  des  cours ,  sans 
Vai^oir  encore  conquise.  On  peut  re- 
marquer également  que  chacune  de 
ses  méditations  sur  le  néant  des  cho- 
ses humaines  est  dédiée  à  quelque 
grand,  au  président  de  la  chambre 
des  communes ,  au  lord-trésorier ,  au 
chancelier  de  l'échiquier  j  et  ce  n'est 
pas  un  contraste  que  l'auteur  a  ch?r- 
ché  :  c'est  plutôt ,  sons  sa  plume  , 
une  ancienne  habitude  de  flatter  la 
puissance.  Il  n'y  renonça  pas  même 
après  avoir  achevé  ses  Méditations 
delà  nuit,  qui, 'en  élevant  son  talent, 


YOU  499 

semblaient  l'avoir  consacré  a.  la  re- 
ligion et  à  la  douleur.  Il  redescendit 
aux  intérêts  du  siècle.  En  i745,  il 
lit  paraître  un  poème  sur  la  situation 
du  royaume ,  adressé  au  duc  de  New- 
castle.  C'était  une  vive  et  patrioti- 
que satire  contre  les  entreprises  du 
Prétendant.  C'était  en  même  temps  le 
panégyrique  de  la  dynastie  nouvelle 
qui  régnait  alors  sur  l'Angleterre  par 
les  lois  et  la  liberté  j  et  dans  le  fait , 
la  victoire  du  Prétendant  eût  été  si 
menaçante,   le   retour   de  ce  prin- 
ce ,  nourri  dans  les  traditions  hai- 
neuses de  la  cour  de  Saint  -  Ger- 
main ,    eût  frappé  d'un   tel    coup 
les   plus    chers    intérêts   de    l'An- 
gleterre, que  l'on  ne  saurait  peut-être 
reprocher  au  poète  la  distraction  qu'il 
fit  alors  à  sa  douleur.  Heureux  s'il 
n'eût  jamais  flatté  qu'avec  une  telle 
excuse  !  Du  reste ,  dans  la  publica- 
tion de  ses  OEuvres,  Young  parut 
désavouer ,   en  les  supprimant  ,  la 
plupart  de  ses  dédicaces  et  de  ses 
adulations  poétiques.  Il   ne  voulut 
conserver ,  avec  les  Nuits,  que  diver- 
ses poésies  morales ,  une  paraphrase 
de  Job,  et  trois  tragédies.  Après  avoir 
retiré  de  la  scène  unedecespièces,  par 
unebienséance  ecclésiastique  ,  il  la  fit 
jouer  en  i']53,ann  de  doter,  avecle 
produit ,  une  société  qui  s'était  for- 
mée pour  la  propagation  de  l'Évan- 
gile. Cette  intention  bizarre  réussit 
mal.  La  pièce  n'eut  aucun  succès  ; 
mais  Young ,  pour  dédommagement, 
lit  à  la  société  un  don  de  mille  gui- 
nées.  Il  continua  de  vivre  dans  la  re- 
traite ,  et  prolongea  fort  avant  sa 
carrière. Les  plus  remarquables  pro- 
ductions de  sa  vieillesse  sont  une  Let- 
tre h  Riclîardson  sur  la  Composition 
originale,  et  un  po^me  sur  la  Ré- 
signation. Dans  celte  lettre,  écrite  à 
soixante -dix-huit  ans ,  on  sent  toute 
la  vigueur  et  toute  la  hardiesse  d'un 
3i.. 


5oo  YOU 

jeune  talent  ;  et  le  pocme  de  la  Piési- 
gnation  olïVe,  avec  plus  de  douceur, 
autant  de  poeVie  que  les  plus  belles 
méditations    d'Young.    Retiré   dans 
son  presbytère  de  Wellv^yn,  il  termi- 
na ses  jours  en  176.5,3  l'âge  de  qua- 
tre-vingt-quatre  ans.  Il  fut  enterré 
dans   l'égHse  de  sa    paroisse  ,   sous 
l'autel ,  à  coté  de  l'épouse  tant  pleu- 
rée ,    à    laquelle    il    avait    survécu 
vingt  ans.  Son  tombeau  ,  suivant  le 
vœu  qu'il  avait  exprimé,  fut  orné 
d'une  broderie ,  ouvrage  de  sa  fem- 
me, et  portant  ces  paroles  de  l'Ecri- 
ture :  Je  suis  le  pain  de  vie.  D'au- 
tres inscri])ti(ins  pieuses   figuraient 
aux   divers   côtés   des   monuments. 
Young  fonda  par  son  testament  une 
maison  de  charité  qui  subsiste  enco- 
re. Il  prescrivit  par  une  autre  dispo- 
sition de  brûler  tous   ses   ouvrages 
inédits.  Young  avait  beaucoup  écrit  j 
mais  sa  gloire  est  tout  entière  dans 
ses   Méditations    de   la  nuit  ,   ou- 
vrage qui  tantôt  mutilé,  tantôt  pa- 
raphrasé ,  et  tout-à -fait  bouleversé 
dans    la     version  de  Le  Tourneur, 
obtint  un  si  grand  succès  en  Fran- 
ce,  à    la   fin   du  dix-huitième  siè- 
cle. La  forme,  la  conception  de  ces 
chants  funèbres  avaient  en  effet  quel- 
que chose  d'original  et  de  hardi.  Ce 
n'est  pas  la  grande  poésie  de  Milton; 
ce  n'est  pas  cette  sublime  simplicité: 
le  faux  goût  et  la  manière  de  Dry- 
den  se  font  sentir  dans  les  vers  mé- 
lancoliques de  Young.  On  aperçoit, 
lors  même  qu'il  est  ému ,  l'homme 
dont  le  talent  fut  long -temps  artifi- 
ciel. La  rêverie  vaporeuse,  l'empha- 
se doctorale  nuisent  aux  accents  de  sa 
douleur.  Il  prêche  plus  qu'il  ne  par- 
le; il  fatigue  l'imagination  plus  qu'il 
ne  l'attendrit  :  il  vous  fait  éprouver 
une  sorte  de  satiété  dans  la  sympa- 
thie pour  sa  douleur.  Comme  poète 
el  comme  écrivain,  on  peut  souvent 


YOU 

le  blâmer  :  on  en  a  souvent  le  loisir; 
car  il  ne  saisit  pas  le  cœur,  et  ne  vous 
entraîne  pas  saus  distraction  et  sans 
repos.  De  puissants  etïels  sont  atta- 
chés cependant  à  quelques  -  unes  de 
ses  paroles.  11  fait  retentir  avec  une 
force  inexprimable  ces  mots  de  mort, 
de   néant ,   d'éternité.   11   excelle    à 
peindre  la  destruction  ,  à  la  suivre 
jusqu'à  la  dernière  parcelle  de  notre 
être  matériel.   Il  remue  les  cendres 
des  générations  éteintes;  et  il  s'écrie 
d'une  voix  lamentable  :  Où  est  la 
poussière  qui  n'a  pas  vécu?  C'est  le 
Bridaine  de  la  poésie  ;  il  en  a  les  sail- 
lies brusques  et  la  trivialité.  Ce  der- 
nier caractère  disparaît  dans  la  pom- 
pe mesurée  et  l'élégance  monotone 
de  la  version  française  ;  mais  dans 
l'original  anglais,  le  poète  ne  craint 
aucune  image,  n'épargne  aucun  dé 
tail  ou  révoltant  ou  bas.  Des  splen 
deurs  du  ciel,  entrevues  par  l'espé 
rance  chrétienne,  il  vous  jette,  pa 
des  allégories  familières ,  dans  ce  qu 
les  misères  de  la  vie  ont  de  plus  tri.^ 
temcnt  grotesque.  Il  mène  la  mor 
au  bal  ;  il  bouffonne  sur  les  tombeaux 
comme  Shakespeare.  Tout  cela  fai 
un  bizarre  mélange ,  mais  qui  sur 
prend  et  attache  l'ame.  Comme  tous 
les  hommes  qui  ont  encore  plus  dej 
génie  que  de  défauts ,  Young  a  fai 
école.  On  l'a  beaucoup  imité  en  An 
gleterre,  en  Allemagne,  en  France. 
Il  est  de  quelque  chose  dans  cette 
couleur  ou  cette  intention  de  mélan 
coîie  qui  règne  encore  sur  la  poésie 
de  notre  époque.  Cependant  Young 
n'est  pas  un  bon  modèle  :  il  a  lui- 
même  trop  d'artifice.  On  n'atteint 
pas  à  celte  énergie  patliéiique  et  po- 
pulaire; et,  en  voulant  enchérir  sur 
lui,  on  tombe  dans  une  monotonie 
sépulcrale ,  qui  est  le  spleen  de  la  lit- 
térature, et  qui,  en  desséchant  l'ima- 
gination et  le  goût,  se  termine  aussi 


YOU 

par  une  espèce  de  suicide.  Un  hom- 
me de  génie,  qui  porte  dans  la  cri- 
tique même  la  supériorité' partout  in- 
séparable de  ses  ouvrages  et  de  son 
nom ,  M.  de  Chateaubriand,  a  jugé  sé- 
vèrement les  méditations  du  poète 
anglais.  Rien  n'est  plus  ingénieux  ni 
plus  Vrai  que  ses  reproches  et  les 
parallèles  où  il  montre  par  l'exem- 
ple de  Virgile,  de  Bossuet,  de  Rous- 
seau, ce  qui  manque  en  vraie  dou- 
leur à  la  muse  du  vieux  prêtre  an- 
glais. Mais  nous  sommes  loin  d'ap- 
prouver la  préférence  qu'il  semble 
donner  au  traducteur  français.  Ce- 
lui-ci ,  nous  le  croyons ,  cllace  quel- 
ques fautes  de  goût ,  quelques  mau- 
vaises subtilités  de  largage;  mais  aux 
accidents  de  la  f.intaisie  poétique,  au 
mélciuge  du  grand  cl  du  bas,  du  su- 
blime et  du  ridicule ,  enlin  à  ces  se- 
cousses de  l'ame  que  ressent  et  que 
donne  le  poète  anglais ,  il  substitue 
la  dolente  uniformité  de  sa  vulgaire 
élégance.  Il  ne  rend  jamais  le  mot 
énergique  et  simple  :  il  a  peur  du  na- 
turel. 11  est  moins  bizarre,  mais  bien 
])lus  aiïécté  que  son  modèle.  Les  meil- 
leures éditioiis  des  OEuvres  du  doc- 
teur Young  sont  celles  de  Londres, 
3  vol.  in-8^. ,  fig.,  1792  et  1802;  et 
de  Paris,  4  vol.  in  -  8°.  On  en  a  fait 
une  très -belle  des  Nuits ,  Londres, 
1797  ,  in-fol.  (  V. ,  pour  les  traduc- 
tions ,  Le  Tourneur  ,  XLVI  ,378) 

(1).  V-N. 


(1)  On  nvait  déjà  publie  deux  traductions  alle- 
mandes des  Nuits  ,  lorsque  Thiard  de  Bissy  tra- 
duisit en  français  les  deux  premières  Nuits  ,  et  les 
fil  ini|)rimer  dans  le  Journal  élrun^er,  en  invitant 
un  écrivain  plus  habile  que  lui  à  traduire  tout 
l'ouvrage,  (.es  deux  essais  ont  été  réimprimés  dans 
Jes  Vanélés  litléraires  d'Arnaud  et  Suard  ,  1768- 
69.  La  traduction  de  Le  Tourneur  répondit  au  vœu 
de  Bissy.  Colardeau  a  traduit  en  vers  les  deux  pre- 
mières JVuits  ,  1770;  et  Doigiii  du  Ponceau  ,  la 
quatrième,  la  douzième  et  la  quinzième,  1771. 
L'abbé  Ba\idraud  a  publie  :  Esprit  ,  maximes  et 
pensées  d'Koung,  extraites  de  ses  Nuits,  Paris, 
1786,  iu-iA.  Les  satires  d'Young,  sous  le  titre  de 
V Amour  de  la  renommée  ,  passion  universelle  ^  ont 


YOU 


5oi 


.  YOUNG  (  Sir  William  ) ,  An- 
glais, était  fils  d'un  lieutenant-gou- 
verneur de  l'île  de  la  Dominique ,  et 
d'une  fille  du  docteur  Rrook  Taylor, 
secrétaire  de  la  société  royale  de 
Londres.  11  fit  imprimer  ,  en  1 77*2  , 
la  relation  d'un  Fojage  en  Italie  , 
mais  seulement  à  dix  exemplaires , 
en  faveur  de  quelques  amis.  Un  ou- 
vrage plus  important, rJE'>7?nf^'^- 
thènes  ,  Investigation  politique  et 
philosophique  sur  l'histoire  de  cette 
république,  1777,  in-8^.  ,  le  fit 
connaître  avantageusement  dans  le 
monde  littéraire.  On  y  reconnut  des 
vues  élevées,  une  vaste  érudition, 
une  profonde  sagacité  politique, 
l'esprit  de  recherche  philosophi- 
que ,  une  manière  de  voir  hardie  et 
indépendante,  un  style  plein  de  vi- 
gueur^ mais  on  pouvait  en  même 
temps  y  relever  du  penchant  à  se  li- 
vrer aux  hypothèses  ,  ainsi  que  de 
l'inexactitude  et  de  l'obscurité  dans 
l'expression  de  la  pensée.  Young  re- 
toucha son  livre  ,  et  le  reproduisit 
neuf  ans  après  sous  le  titre  d'His- 
toire d'Athènes  ,  considérée  politi- 
quement et  philosophiquement  _, 
avec  un  Essai  où  Von  recherche  les 
causes  immédiates  d'élévation  et  de 
décadence  qui  agissent  dans  un 
état  libre  et  commercial,  1786^ 
in-80.  L'auteur  de  cet  ouvrage  n'est 
pas  favorable  à  ceux  qu'on  appelle 
grands  hommes  ;  il  les  considère 
comme  des  êtres  factices.  L'Histoire 
d'Athènes  ,  qui  a  été  réimprimée  en 
i8o4  et  en  1806 ,  a  reçu  des  éloges, 


été  traduites  en  prose  par  T.  Bertin,  1786,  et  en 
vers  par  M.  Labiée  ,  1802.  Barère  de  Vieuzac  a 
^uh\\é\e:»  Beautés  poétiques  d' Ed.  Voung  ,  tradui- 
tes en  français  avec  le  texte  anglais  eu  regard,  et 
une  notice  sur  Young  par  J.  Evans  ,  i8o5  ,  in-S". 
M.  Hennet  ,  à  la  suite  de  sa  Poétique  anglaise  ,  a 
traduit  en  vers  françiiisla  satire  des  Femmes ,  et  des 
fragments  des  Nuits.  On  trouve  une  Vie  d'Ed. 
Young  ,  par  sir  Herbert  Croft ,  parmi  les  Fies  des 
poêles  anglais  de  Sam.  Johnson.  Z. 


5o2 


YOU 


non-seulement  en  Angleterre ,  mais  en 
France.   On  en  trouve  une  analyse 
dans  le  Censeur  universel  anglais  , 
février  1787.  W.  Young  représenta 
dans  le  parlement  le  bourg  de  Mawes 
en  1 784,  1 790 ,  1 796  et  1 8o'2 ,  et  la 
ville   de  Bisckingliam   en   1806.   Il 
était  capitaine  de  la  yeomanry  ar- 
mée du  comté  de  Buckingbam.   La 
société  royale  l'admit  au  nombre  de 
ses  membres.    Nommé,  en   1807, 
gouverneur  de  Tabago,  ce  tut  là  qu'il 
iixa  depuis  sa  résidence.  Il  mourut 
vers  181 5.  Outre  les  écrits  que  nous 
venons  de  mentionner  y  on  a  de  lui 
entre  autres  :  un  Discours  prononcé, 
en  1791 ,  dans  le  parlement,  au  su- 
jet du  commerce    des    esclaves  , 
et  dans   lequel ,    comme    proprié- 
taire  de  terres  en  Amérique  ,  il  se 
montre  très-opposé  à  l'abolition  de 
la  traite;  les  Droits  des  Anglais  , 
ou  la  Constitution  du  gouvernement 
britannique ,  comparée  avec  celle 
d'une    république   démocratique  , 
1793  ,  deux  éditions  ,  in-8<^.  ;  Pré- 
cis sur  les  Caraïbes  noirs  de  l'île 
de  Saint-Fincent  ,    etc.  ,    compilé 
d'après  les  papiers  de  son  père,  1 795, 
in-8''.  ',  Contemplatio  philosophica  , 
ouvrage  postbume  de  Brook  Taylor , 
(  Voy.  Taylor  )  _,  avec  une  notice 
sur  cet  auteur,  1798,  in-8<*.  j   en- 
fin ,    The    JVest  -  India  common- 
place-hook  ,   recueil    qui    renferme 
beaucoup  de  notions  relatives  à  l'é- 
conomie politique   et  au  commerce 
des  colonies  anglaises  en  Amérique. 
—  Young   (  William  ) ,   recteur  de 
Pettaugh  ,  dans  le  comté  de  Snlfolk, 
né  en  I  7 1 5 ,  et  mort  en  1 7  98 ,  a  donné 
une  traduction  anglaise  de  la  comédie 
àePlutuSy  par  Aristophane,    avec 
d'amples  notes  dues  en  partie  à  Henry 
Fielding  ,  et  a  compilé  un  Diction- 
naire anglais-latin  et  latin-anglais ^ 
dont  il  a  été  fait  plusieurs  éditions  . 


YOU 

notamment  une  stéréotype  ,    1810  , 
in-8».  L. 

YOUNG  (  Arthur  )j  agriculteur 
anglais,  membre  de  la  société  royale 
de  Londres,  de  la  société  d'agricul- 
ture de  Paris  ,  de  celles  de  Berne  ,  de 
Zurich  ,  de  Manheim,  de  Florence, 
de  Milan,  etc.,   était   fds  d'un  ec- 
clésiastique anglican  ,  et  naquit  dans 
le  comté  de  Suffoîk ,  le  7  septembre 
1741.   Lord  Onslow,  dont  il  était 
le  filleul ,  pourvut  aux  frais  de  son 
éducation;  mais  lorsqu'elle  fut  ter- 
minée   ses    bienfaits    s'arrêtèrent  ; 
de  sorte  qu'à  la  mort  de  son  père , 
dont  la   fortune   consistait  unique- 
ment dans  le  revenu  de  sa   prében- 
de,  le  jeune  Young   se  trouva  ré- 
duit à  se  placer  en  qualité  de  com- 
mis chez  un  homme  qui  faisait  com- 
merce de  vins.  11  ne  tarda  pas  à  sen- 
tir qu'il  était  peu  propre  à  ce  genre 
d'occupation  ;    mais    son  séjour   à 
Lynn ,  lieu  du  domicile  de  ce  com- 
merçant, ne  lui  liit  pas  inutile,  cai 
l'aspect    d'un   pays    qu'enrichissai 
l'adoption  d'un  nouveau  système  d( 
culture  développa  chez  lui  la  pas 
sion  à  laquelle  il  doit  sa   célébrité 
l'amour  de  l'agriculture.  Le  désir  d 
s'y  livrer  accrut  son  dégoût  pour  leî 
calculs    mercantiles  ,   et  le  ramenî 
dans  ses  foyers.  Quoique  à  peine  âg( 
de  vingt-deux  ans,  il  détermina  si 
famille  à   lui   confier    la  ferme   d 
Bradfield-Hall,  petit  domaine  pater 
nel ,  sur  lequel  était  étab'i  le  douaii 
de  sa  mère.  Un  cultivateur  d'une  es 
pacité  fort  inférieure  à  la  sienne  ei 
avantageusement  exploité  cet  hérita 
ge.  Mais  Young,  jeune  et  plus  ardei 
que  réfléchi,  dédaigna  des  produit 
trop  faciles  et  trop  sûrs.  Il  fit  dese! 
sais  ;  il  spécula  sur  un  avenir  qui ,  n'é 
tant  pas  préparé ,  n'amena  que  de 
mécomptes  :   les  récoltes  manque^ 
rent ,  et  par  conséquent ,  les  moyei 


YOU 


de  s'acquitter.  Sa  mère,  qui  craignit 
une  seconde  tentative ,  tout  aussi  peu 
fructueuse,  lui  relira  sa  ferme.  Il  en 
prit  une  autre  -,  dans  le  comte  d'Es- 
sex ,  et  ne  réussit  pas  mieux  ;  mais 
il  en  accusa  moins  ses  méthodes  ^ 
que  la  nature  des  terrains  sur  les- 
quels il  les  avait  essayées  ,  et  résolut 
de  parcourir  l'Angleterre ,  pour  cher- 
cher un  sol  qui  les  favorisât.  Si  cette 
excursion  n'eut  pas  un  résultat  posi- 
tif, du  moins  elle  agrandit  ses  con- 
naissances. En  explorant  les  meilleurs 
terrains  du  sud  de  la  Grande-Breta- 
gne j  il  apprécia  l'industrie  des  culti- 
vateurs éclairés;  il  interrogea  leur 
expérience;  il  reconnut  ce  qui  man- 
quait à  leurs  idées ,  ainsi  qu'aux 
siennes  ,  pour  fonder  un  bon  systè- 
me. Après  une  troisième  épreuve  que 
fit  Arthur  Young ,  sur  un  fonds  telle- 
ment ingrat ,  que  tous  ses  eiforts  ne 
purent  Taméliorer,  il  revint  à  Brad- 
field-Hall^  pressé  du  dcsir  de  revoir 
sa  mère;  mais  il  n'arriva  que  pour 
la  pleurer.  Le  rapport  annuel  du  do- 
maine le  mettait  en  possession  d'une 
petite  fortune  qui  satisfaisait  le  plus 
puissant  de  ses  besoins,  puisqu'elle 
assurait  son  indépendance.  Coirigé 
des  essais ,  par  des  leçons  un  peu 
chères  ,  Young  pensa  qu'il  remplirait 
mieux  le  but  qu'il  se  proposait  d'être 
utile  ,  en  répandant  l'instruction  qu'il 
avait  acquise.  Mais  ,  afin  d'ouvrir  un 
champ  plus  vaste  à  ses  observations, 
il  commença  par  visiter  l'Irlande. 
I<es  années  1776,  1777?  ^77^  ^^ 
1779 ,  furent  employées  cà  la  connaî- 
tre. Au  nombre  des  grands  proprié- 
taires de  ce  royaume  qui  recherchè- 
rent la  conversation  d'Arthur  Young , 
se  trouvait  le  dernier  lord  Kingsbo- 
rough,  un  de  ces  bommes  peu  rares 
en  Angleterre,  qui  regardent  une 
bonne  agriculture  comme  la  source 
d'une  prospérité  permanente.  Ce  lord 


YOG  5o3 

n'en  laissait  j)as  moins  ses  terres 
dans  un  état  déplorable  ;  soit  que 
d'autres  intérêts  l'eussent  distrait  de 
celui-là;  soit  qu'apercevant  trop  de 
choses  à  faire  il  se  décourageât  à 
raspectdesdiflicullés.  Ce  qu'il  aurait 
peut-être  inutilement  entrepris  ,  fut 
aisé  pour  Arthur  Young.  11  eut  beau- 
coup à  refaire  et  beaucouj)  à  créer. 
Des  terres  trop  étendues  pour  être 
bien  cultivées  par  un  seul  homme, 
furent  distribuées  entre  plusieurs  ;  il 
rendit  à  la  culture  des  champs  aban- 
donnés; il  releva  des  habitations  dé- 
labrées ;  il  en  construisit  de  néces- 
saires; il  indiqua  les  pratiques  les 
plus  appropriées  à  la  nature  du  ter- 
rain ;  enfin,  après  un  an  de  séjour 
dans  le  comté  d'York ,  il  mit  le  vas- 
te domaine  de  lord  Kingsborough 
sur  le  même  pied  que  les  meilleurs 
modèles  de  ce  genre ,  cités  en  Angle- 
terre. Au  milieu  de  l'année  1770,  il 
publia  son  F  armer  s  Calendar  , 
qu'on  a  traduit  en  français,  sous  le 
titre  de  Manuel  du  fermier.  Ce  ma- 
nuel contient,  sans  omission,  tout  ce 
qu'un  fermier  doit  savoir  et  doit 
pratiquer.  L'auteur ,  qui  ,  parlant 
aux  classes  instruites ,  dans  ses  au- 
tres écrits ,  élève  de  temps  en  temps 
le  style  de  ses  documents,  ne  parle 
ici  que  la  langue  des  cultivateurs,  et 
se  met  à  la  portée  de  tous.  Aussi  , 
l'empressement  de  le  lire  et  d'en  pro- 
fiter épuisa-t-il  les  nombreuses  édi- 
tions qui  se  succédèrent  depuis  1770 
jusqu'en  1812.  Ce  fut  en  1784  que 
parurent  les  premiers  cahiers  des 
Annales  d'agriculture^  qui  firent  à 
leur  auteur  une  juste  réputation.  El- 
les le  lièrent  avec  tous  les  grands  pro- 
priétaires des  trois  royaumes ,  et  lui 
donnèrent  des  collaborateurs  dans 
les  plus  hauts  rangs  et  parmi  les  hom- 
mes du  mérite  le  plus  reconnu.  Le 
roi  (  George  III  )  fut  un  de  ses  cor- 


5o4 


YOU 


respondants.  Long-temps  Young  crut 
ne  repondre  qu'à  M.  Ralph  Rohin- 
son  de  PFindsor ,  et  ne  découvrit 
qu'aprc's  un  an  îe  noble  cultivateur 
que  ce  nom  de'guisait.  Dans  les  An- 
nales ^  Arlluir  Yomig  traite  des  la- 
bours ,  des  jachères ,  des  assolements  ^ 
des  irrigations,  des  engrais,  en  un 
mot,  de  toutes  les  parties  qu'il  faut 
e'tudier,  et  sans  lesquelles  la  culture 
n'est  qu'une  routine,  dépourvue  de 
procèdes  raisonnes.  On  a  dit  et  repe'- 
té  que  la  science  trompait  les  culti- 
vateurs^ que  deux  bons  bras  diri- 
geaient mieux  une  cliarrue  qu'une  tê- 
te qui  calcule  et  qui  pense  ^  etc. ,  etc. 
Tout  cela  peut  être  vrai  jusqu'à  cer- 
tain point  -y  mais  il  est  encore  plus 
vrai  qu'une  instruction  élémentaire, 
la  seule  qui  convienne  aux  cultiva- 
teurs de  profession  ,  leur  apprend  à 
raisonner  juste,  et  les  metsi^r  la  voie 
de  leurs  intérêts  bien  entendus.  «  Si 
»  j'avais  un  sujet  qui  fît  produire  à 
»  la  terre  deux  épis  pour  un,  disait 
»  un  roi  sensé',  je  le  préférerais  à 
»  tous  les  génies  politiques.  »  Or ,  la 
bonne  agriculture,  c'est-à-dire  celle 
que  le  raisonnement  éclaire  ,  fait  ce 
miracle-là.  Le  succès  des  Annales  ^ 
en  Angleterre ,  est  une  preuve  de 
l'utilité  sentie  des  bons  livres  agrono- 
miques. Elles  y  jouissent  d'une  gran- 
de estime,  et  l'agriculture  anglai- 
se, la  meilleure  de  l'Europe  après 
celle  de  la  Flandre ,  se  glorifie 
des  perfectionnements  qu'elle  doit 
aux  leçons  d'Artliur  Young.  Ce  qui 
donne  encore  plus  de  prix  aux  An- 
nales,  c'est  qu'elles  ont  rendu  popu- 
laires des  notions  d'agronomie ,  fa- 
milières à  quelques  théoriciens,  et 
perdues  pour  le  grand  nombre.  Quoi- 
que Arthur  Young  fût  célèbre  en  An- 
gleterre, les  Français  ne  connais- 
saient de  lui  que  son  Arithmétique 
politique  ,  traduite  en  1775,  quand 


YOU 

le  ministère  sollicité  par  M.  Parmen- 
tier,  un  des  meilleurs  citoyens  qu'ail 
eus  la  France,  invita  l\LM.  Benoist, 
La  Marre  et  Biilecocq ,  à  faire  pas- 
ser dans  notre  langue  un  choix  des 
Annales  d'agriculture.  Empressés 
de  répondre  à  cet  appel ,  ils  publiè- 
rent,  en  1796,  un  recueil  des  OEu' 
vres  choisies  d'agriculture  et  d'é- 
conomie  rurale  et  politique  ^  d'Ar* 
thiir  Young  ,  enrichi  des  notes  d 
MM.  Parmentier  ,  Arnould  et  La 
Lauze.  Dans  les  années  subséquen-» 
tes  ,  des  traductions  d'écrits  du  me* 
me  genre ,  entreprises  par  différente 
auteurs ,  en  ont  porté  la  collection  à 
16  ou  18  volumes.  Arthur  Young  se 
proposait  de  faire  un  voyage  en 
France  ,  pour  romparer  l'agricultu- 
re de  cette  belle  partie  de  l'Europe  à 
celle  de  son  pays  :  mais  le  travail 
prolongé  des  Annales  avait  retarde 
l'exécution  de  ce  projet  j  il  ne  relfcc 
tua  qu'en  1787,  sur  la  pressante  in 
vitalionduduc  de  La  Rochefoucauld 
Accompagné  de  ce  seigneur  et  d^ 
M.  Lazouski  ,  notre  voyageur  an- 
glais parcourut  le  raidi  delà  France 
et  s'avança  jusqu'au  pied  des  Pyré. 
nées.  Il  était  de  retour  à  Londres 
au  mois  de  février  17^8.:  mais,  dèj 
le  printemps  de  l'année  suivante,  i 
revint  dans  les  mêmes  provinces 
pour  revoir  à  loisir  ce  qu'il  n'avai 
qu'entrevu.  Cette  fois,  il  observa  d'ui 
œil  attentif.  Partout  il  adres-'=a  des 
questions  aux  cultivateurs  réputés 
habiles.  Partout  il  s'informa  des 
qualités  du  terrain,  des  circonstan- 
ces locales  les  plus  importantes  ,  des 
pratiques  habituelles,  des  frais  d'a- 
vances ,  des  produits,  des  ressources, 
enfin  de  tout  ce  qui  devait  entrer  dans 
le  tableau  général  et  parallèle  des 
deux  agricultures.  11  recueillit  les 
mêmes  détails  dans  nos  autres  pro- 
vinces, cherchant  toujours  les  lieux  et 


YOU 

les  hommes  féconds  en  inslructions 
utile>.  L'aclive  et  louable  curiosité 
d'Arthur  Young  le  conduisit  en 
Espagne  ,  et  bientôt  après  en  ït;die. 
Il  paraît  que  la  musique  et  la  pein- 
ture qu'il  aimait  ne  lui  dérobèrent 
pas  ,  dans  cette  patrie  des  arts ,  un 
seul  des  moments  qu'il  devait  à  l'a- 
griculture ;  c'était  l'agriculture  qu'il 
visitait.  Des  écrivains  français  ont 
fait  un  crime  à  cet  étranger  de  la 
manière  un  peu  britannique  dont  il 
nous  traite  quelquefois  ,  et  d'une 
franchise  qui  leur  paraît  insultante. 
Mais  ,  en  plus  d'une  occasion,  mé- 
nage-t-il  ses  compatriotes  ?  qu'im- 
porte qu'il  nous  olfense ,  s'il  nous 
éclaire  ?  I.aissons-le  s'étonner  de  ce 
que  le  sol  de  la  France ,  étant  pres- 
que partout  supérieur  à  celui  d'An- 
gleterre ,  le  produit  du  premier  de 
ces  royaumes  est  pourtant  inférieur 
à  celui  du  dernier.  L'essentiel  n'est 
pas  de  contester  l'avantage,  mais  de 
nous  l'assurer.  Au  surplus  ,  sur  quoi 
porte  le  mécontrntement  de  ces  lec- 
teurs d'Arthur  Youug  ,  si  faciles  à 
blesser  ?  Sur  deux  ou  trois  passages 
qui  pourraient,  à  la  rigueur,  être 
plus  polis.  Convenons  aussi  qu'il  sait 
nous  rendre  justice.  Tout  en  di- 
sant que  telle  de  nos  provinces 
ferait  peut-être  mieux  de  culti- 
ver dans  le  système  anglais  ,  il 
y  reconnaît  une  agriculture  intelli- 
gente et  judicieuse.  En  s'emparant 
d'une  méthode  qu'il  ignorait,  d'un 
instrument  bien  inventé,  d'un  moyen 
plus  économique,  il  en  fait  honneur 
à  ceux  auxquels  il  les  emprunte.  A 
l'aspect  du  canal  de  Languedoc ,  il 
s'écrie  :  «  Louis  XI V,  c'est  ici  que 
»  tu  me  parais  grand  !  »  JN 'est-il  pas 
en  droit ,  après  cela  ,  de  reprendre 
ce  qu'il  juge  réprëhensible.-^  et  ne 
pourrions-nous  pas  nous-mêmes  en- 
chérir sur  les  reproches  qu'il  nous 


YOU 


5o:) 


fait?  Young  a-t-il  tort ,  lorsqu'il  nous 
dit  que  la  plupart  des  fermiers  fran- 
çais n'ont  de  connaissances  que  celle 
de  leur  ferme  et  celle  des  prix  du 
marché j  que  l'intérêt  pécuniaire  est 
le  seul  qui  les  touche,  et  que  le  mo- 
tif d'utilité  publique  est  une  idée  qui 
ne  les  atteint  point?  Était -il  injuste 
forsqu'il  disait ,  en  1 789  ,  à  propos 
du  duc  d'Aiguillon,  qu'il  fallait  exi- 
ler un  seigneur  français ,  pour  qu'il 
fît,  par  ennui,  dans  ses  terres,  ce 
qu'un  riche  loi'd  fait,  par  plaisir, 
dans  les  siennes?  Et  ne  recevons- 
nous  pas  un  avis  salutaire,  lorsqu'il 
se  plaint  qu'il  n'y  a  que  nos  bon- 
nes terres  qui  soient  bien  gouvernées, 
«  tandis,  a j ouïe- 1- il,  que  si  les  ter- 
»  rains  français  les  plus  maigres  sui- 
»  vaient  un  cours  d'agriculture  régu- 
»  licr^  ils  produiraient  plus  de  fro- 
»  ment  qu'on  n'y  récolte  de  seig'e?  » 
Il  faut  avouer  que  l'état  des  choses 
qu'il  condamnait  s'est  amélioré.  La 
révolution  a  fait  prendre  aux  esprits 
une  direction  qu'ils  n'avaient  pasj 
et  cette  impulsion  heureuse ,  aidée  de 
plusieurs  sociétés  rurales,  ont  avan- 
cé notre  agriculture.  Que  de  progrès 
elle  pourrait  faire  encore  ,  si  l'on 
cessait  d'ajourner  de  mois  en  mois  le 
bien  proposé  I  Que  dirait  aujourd'hui 
l'agronome  anglais  ,  en  apprenant 
qu'après  tantde  convocations  d'hom-» 
mes  instruits,  destinés  à  nous  donner 
les  lois  qui  nous  manquent ,  la  France 
n'apasencoredelégislationagricole? 
Mais  suivons  Arthur  Young  dans  le 
reste  de  sa  carrière.  A  son  retour  en 
Angleterre ,  il  fut  nommé  secrétaire 
du  bureau  d'agriculture  ,  établi  dans 
l'intérêt  des  propriétaires  fonciers, 
sous  la  présidence  de  sir  John  Sin- 
clair j  et  le  ministre  Pilt  attacha  le 
traitement  annuel  de  six  cents  livres 
sterling  à  cette  place.  l'aile  remplissait 
tous  les  vœux  de  la  seule  ambition 


5o6 


ÏOl 


qu'Arthur  Young  eût  jamais  eue  , 
celle  de  s'approcher  du  pouvoir, 
pour  plaider  devant  lui  la  cause  de 
l'agriculture;  car  il  ne  nous  laisse 
pas  ignorer  que  le  parti  de  la  char- 
rue (  c'est  son  expression  )  n'était 
pas  aussi  fort  qu'il  eût  dû  l'être ,  et 
que  l'on  comptait  au  nombre  des  mi- 
nistres anglais  plus  de  Colberts  que 
de  Suilys.  Le  premier  e'crit  publie 
par  Young ,  au  nom  du  bureau  ,  rou- 
lait sur  les  landes  qu'on  rencontrait 
encore  dans  plusieurs  provinces  d'An- 
gleterre et  sur  la  possibilité  de  les 
rendre  accessibles  à  la  culture.  Il  ex- 
cita l'attention  du  gouvernement. 
Très-cbaud  partisan  des  clôtures, 
Arthur  Young  écrivit ,  au  nom  du 
même  bureau  ,  pour  en  développer 
les  avantages.  Il  engagea  même 
un  membre  du  parlement  à  de- 
mander qu'il  fût  permis  à  chacun 
de  se  clore  dans  sa  propriété,  sans 
payer  aucun  droit.  Mais  sa  proposi- 
tion éprouva  tant  de  résistance,  qu'el- 
le ne  put  être  reproduite.  En  1799  et 
dans  le  cours  des  années  suivantes , 
il  alla  reconnaître  la  situation  de  l'a- 
griculture des  comtés  de  Suffolk,  de 
Lincoln  ,  de  Norfolk,  d'Hcrlford  et 
d'Essex  ;  et  le  rapport  qu'il  en  fît  au 
bureau  confirma  l'opinion  qu'on 
avait  déjà  de  la  justesse  de  son  coup- 
d'œil  et  de  son  exactitude.  II  invita 
sir  John  Sinclair  à  stimuler  par  des 
récompenses  les  hommes  capables 
de  tenter  d'heureux  essais  ,  ou  d'in- 
diquer de  nouveaux  et  bons  procédés. 
C'est  par  ce  moyen  très  -  simple  et 
très  -  libéralement  employé  ,  qu'en 
France  la  société  royale  et  centrale 
d'agriculture  échauffé  l'émulation 
de  nos  cultivateurs  ;  et  les  prix  nom- 
breux qu'elle  accorde  tous  les  ans , 
soit  à  des  découvertes  constatées  et 
véritables ,  soit  à  des  méthodes  per- 
fectiomiées,  soit  même  à  de  bons 


YOU 

exemples ,  plus  puissants  qwQ  les 
meilleures  leçons,  prouvent  avec  évi- 
dence tout  ce  que  de  pareils  encoura- 
gements font  gagner  à  l'agriculture. 
Tous  les  instants  d'Arthur  Young  ap- 
partenaient à  sa  place ,  et  toutes  ses 
pensées,  à  l'économie  rurale.  Son  bu- 
reau fut  consulté  sur  la  question  tou- 
jours renaissante  de  l'importation 
des  grains.  Il  se  déclara  pour  ia  pro- 
hibition ,  et  cet  avis  lui  coûta  sa  po- 
pularité. Les  ]nanufacturiers  de  la 
capitale  et  la  classe  industrieuse  se 
déchaînèrent  contre  ses  auteurs.  Sou- 
levée par  eux  ,  la  populace  se  porta 
tumultueusement  au  lieu  des  séances 
dubureau  ,  cassa  les  vitres,  arracha 
la  plaque  de  bronze  sur  laquelle  son 
nom  et  sa  destination  étaient  gravés, 
et  ne  se  retira  qu'après  mille  excès. 
On  verra  ,  dans  le  catalogue  des  ou- 
vrages d'Arthur  Young ,  qui  termine 
cet  article,  qu'en  1769  il  avait  écrit 
pour  la  libre  exportation  des  grains, 
et  que  ,  par  conséquent ,  l'avis  du  bu- 
reau d'agriculture  ,  signé  de  lui ,  le 
mettait  dans  une  contradiction  ap- 
parente avec  lui-même .  Mais  Arthur 
Young  n'ignorait  pas  que  le  principe 
qu'il  soutenait  ,  en  1769,  n'est  pas 
tellement  absolu ,  qu'il  ne  doive  fié 
chir  au  besoin ,  et  qu'une  chose  vraie 
ne  cesse  pas  de  l'être ,  quoiqu'on 
soit  contraint  de  s'en  écarter.  Young 
s'était  marié  de  bonne  heure-  et  de 
puislong-tcmps  il  jouissait  ,au  milieu 
des  siens ,  de  toutes  les  félicités  d'un 
bon  père  de  famille.  En  1 797 ,  il  eut 
la  douleur  de  perdre  la  plus  jeune  de 
ses  filles ,  âgée  de  quatorze  ans  ,  et 
qu'il  chérissait  d'une  affection  par- 
ticulière. La  menace  du  mal  qu'il  re- 
doutait le  plus  vint  ajouter  à  ses  cha 
grins.  Il  sentait  sa  vue  s'éteindre,  el 
s'obstinait  néanmoins  à  remplir  les 
devoirs  de  son  secrétariat.  Le  nuage 
répandu  sur  ses  yeux   s'épaississani 


YOU 

de  jour  en  jour ,  il  se  soumit  à  l'opé- 
ration de  la  cataracte,  qui  ne  réussit 
point.  Des  calus,  formes   dans  la 
vessie^  lui  causaient  des  souf fiances 
qu'il  avait  long-temps  bravées.  Elles 
devinrent  tellement  aiguës,  qu'elles 
le  forcèrent  de  renoncer  à  ses  occu- 
pationsles  plus  chères.  11  mourut  le  'lo 
fev.  1820,  à  l'âgede  soixante-dix-neuf 
ans(i).  «  Le  nom  d'Arthur  Yoi'.ng, dit 
»  un  biographe  anglais,  vivra  dans 
»  la  Grande-Bretagne  ,  aussi  long- 
»  temps  que    Tart  qu'il  a   professe 
»  dans    l'Europe   entière.    »    Quels 
hommes    en   effet    méritent  mieux 
les   hommages  de  la  postérité  ,  que 
ceux  qui ,    après    de   longs    jours 
consacrés  au   bien  de  leurs  sembla- 
bles, se  survivent  dans  leurs  écrits, 
et  dont  les  écrits  sont  encore  des 
bienfaits?   Tels  ont  été  chez   nous 
Olivier  de  Serres,  Duhamel,   Par- 
mentier;  tels,  en  Angleterre,  Tuli , 
Sinclair  ,   Arthur   Young  ,  et    plu- 
sieurs autres.  Arthur  Young i    rendu 
des  services  éminents  ?   sa  patrie. 
Les  manufacturiers  anglais  tiraient 
toutes  leurs  laines  de  l'Espagne;  il 
leur  apprit  à  s'en  passer ,  en  propa- 
geant les  bêtes  à  laine  fine,  sur  les 
parties  de  l'Angleterre  oii  ers  ani- 
maux  pouvaient   prospérer.    Il    fit 
substituer ,   dans   le  labourage  des 
terres,  le  bœuf  au  cheval,  comme 
capable  d'un  plus  long  travail.   Il 
combattit  des  préjugés  nombreux,  et 
les  détruisit;  il  introduisit  des  ins- 
truments  aratoires  très-supérieurs  à 
ceux  dont  on  s'était  servi  jusqu'alors. 
La   France ,   sans  être  ingrate ,    ne 
pourrait  nier  qu'elle  n'ait  aussi  de 
grandes  obligations  ta  cet  étranger, 


(1)  Le  rë-vereiid  Yoiint;  ,  son  fils,  lieut-firiei-  de 
l'e'glise  anglicane,  et  auteur  d'écrits  estimés  ,  aprt^s 
s'être  montré  le  digne  héritier  de  son  ptre ,  dans 
la  science  ngrouomique  ,  »  quitté  l'Angleterre 
pour  diriger  une  grande  e.vploiliilion  rurale  en 
Crimée. 


YOU 


t)0' 


que  sa  passion  pour  son  pays  n  em- 
pêchait pas  de  s'intéresser  au  nôtre, 
et  qui  voyageait  en  vrai  missionnaire 
de  l'agriculture.  Le  principal  objet 
de   ses  études  toudiant  de  ])rès   à 
plusieurs  grandes  questions  d'écono- 
mie politique,  telles  que  la  division 
des  terres,  la  population,  les  fabri- 
ques ,  eîc. ,  etc. ,  il  les  a  disculées  plu- 
sieurs fois  dans  sesécrits.lls'cst  élevé 
contre  !e  commerce  des  Noirs,  avec 
une  indignation  éloquente.  Son  style 
est  plus  clair  qu'il  n'est  élégant  et 
correct;    sa  pensée  se  présente  tou- 
jours avec  précision:  c'étaitlà  le  seul 
mérite  qu'il  recherchât  comme  écri- 
vain. A  l'époque  du  voyage  qu'il  fit 
en  France,  de  178-^  à  la  fin  de  1788, 
le  premier  élan  des  esprits  vers  la  li- 
berté l'enflamma  lui-même.  Son  en- 
thousiasme se  refroidit  à  mesure  des 
progrès  ,  qu'il  appelle   ini'erses ,  de 
l'Assemblée  constituante  ,  dans  l'œu- 
vre de  notre  régénération.  Prophète 
trop  bien  inspiré ,  dès  ce  moment  il 
a  prédit  un  avenir  sinistre  à  la  révolu- 
tion française.  Arthur  Young  voyait 
la  Convention  s'avancer.  Voici  la  liste 
de   ses  ouvrages.  Nous  aurions  dé- 
siré pouvoir   la   donner   complète  ; 
c'est-à-dire  y  faire  entrer  une  foule 
de  rapports,  d'instructions,  de  mé- 
moires  qu'il  a  publiés  ,  tant  en  son 
nom,  que  comme  organe  du  bureau 
d'agriculture;  mais  ces  pièces  n'ont 
pas  été  rassemblées  ,  et  ne  pourront 
l'être  que  par  un  éditeur  zélé.  L  Let- 
tres   du  fermier    au    peuple   an- 


glais , 


in  -  8*^.  ;     seconde 


édition,  Londres,  177 1  ?  '^^  vol. 
in-8<^. ,  sous  ce  titre  :  Letters  to 
tke  Laudlords  of  the  Great  Bri- 
tain.  IL  F'o/age  de  six  semaines 
dans  les  comtés  méridionaux  de 
V  .Angleterre  et  du  pays  de  Galles , 
i';,68  ;  seconde  édition,  1769;  Lon- 
dres ,  177*2,  in-8*^.  111.  Foyage  de 


5o8 


YOU 


six  mois ,  dans  le  nord  de  l'Angle- 
terre ,  seconde  édition^  ^7^95  Lon- 
dres, 1770,  4  vol.  in-8^.  IV.  Sur 
V éducation  des  cochons  ^  ^1^9  > 
in-S*^.  V.  De  l'utilité  de  la  libre 
exportation  des  grains  ,  [-^69  ,  in- 
8^.  VI.  Guide  du  fermier ,  pour  le 
louage  et  l'aménagement  des  fer- 
mes,  Londres  ,  1770,  'i  vol.  in  8°. 
YIL    Cours   d'agriculture  expéri- 


mentale ,   Londres 


770 


)1. 


in-4*^.  VIIL    The  farmer's  calen- 
dar,  1770-1804,  in8^\;  181 9.,  etc. 
IX.  f'ojage  d'un  fermier  dans  test 
de  l'Angleterre  ,  1771.    Les  trois 
voyages  ont  èlë  traduits  en  russe,  par 
l'ordre    de    l'impératrice    Catlieri- 
ne.  X.  Propositions  à  la   législa- 
ture y  pour    le   dénombrement  du 
peuple,    177 1.   XI.  Économie  ru- 
rale, ou  Essai  sur  l' agronomie  pra- 
tique,  contenant  les  mémoires  d'un 
célèbre  fermier  suisse ,   177*2  ,  in- 
8°.;  seconde  édition,  Londres,  1773, 
in-8".  XII.  Obsen^ations  sur  l'état 
actuel  des  terres  incultes  dans  la 
Grande-Bretagne  ,    1773,    in  -  8<'. 
XIII.  Arithmétique  politique  ,  con- 
tenant des  obsen^ations  sur  l'état 
actuel  de  la  Grande  -  Bretagne  , 
Londres  ,  1774?  iii-80.  M.  Freville 
a  traduit  cet  ouvrage  en  français,  la 
Haye,    1776,   2  vol.  in-80.   XIV. 
Voyage  en  Irlande ,  dans  les  an- 
nées 1776  e^  ^770;  ^^^^  ^^•'*  obser- 
vations sur  l'état  âe  ce  royaume  , 
Londres,  1782,  1  vol.  1in-8o.  •  la  se- 
conde édition,  qui  ne  contient  qu'une 
partie  de  l'ouvrage  ,  est  e'ga'eraent 
de  2  vol.  in-8«.  •  traduit  en  français 
par  M.   MiMon^    Paris,    1783;' an 
VIII  (1800),  2  vol.  in-80.  XV.  Con- 
sidérations sur  les  moyens  de  haus- 
ser les  impôts  durant  le  cours  de 
l'année,  1779,  in-S».  XVI.  Corres- 
pondance avec  M.  Lofft  sur  la  conS" 
traction  des  bergeries  de  comtés. 


YOU 

XVII.    Essai    sur    la    graine    de 
choux  pour  la  nourriture  des  bre- 
bis, tic.  ,  1783,  in-8».  XVIII.  An- 
nales  d'agriculture  ;   la  collection 
forme  45  vol.  in-8o.XIX.  La  ques- 
tion de  la  laine  établie  ,  1 787  ,  in- 
8*^.  XX.  Discours  qui  pouvait  être 
prononcé,  17 88.  XXI.  Voyage  en 
France  ,  en  Espagne  ,  en  Italie  , 
durant  les  années  1787-89;  seconde 
édition,  1791  ,  2  vol.  in-4".  ;  Lon- 
dres ,  1794  ,  2  vol.  in-4"-   XXII. 
Voyages  pendant  les  années  1  787 
à  1790,  I^ondres  ,  1792  ,  in  4".  H 
y  a  une  édition  de  Bury  Saint-Ed- 
mund's  ,  1792,  ainsi  qu'une  autre 
de  Dublin  ,  1793  ,  2  vol.  in-8".  Soû- 
les a  traduit  le  Voyage  d'Arthur 
Young  en  France ,  seconde  édition , 
Paris  ,  1794?  3  vol.  in-80.  Le  même 
Soûles  a  traduit  le  ^q>Y?g^e  en  Italie, 
Paris,  «796,  in-80.  La  première  de 
ces  traductions  est  enrichie  de  notes 
utiles,  par  Gasaux.  XXIII.  L'exem- 
ple de  la   France  ,  avertissement 
pour  r Angleterre ,  quatrième  édi- 
tion, 1792,  in-8'^.  XXIV.  Idée  de 
l'état  actuel  de  la  France  ,  1795  , 
in-8*^.  XXV.  La  constitution  sau- 
vée,  sans  reforme,   1795,  in -8". 
XXVI.  Vue  générale  de  l'agricul- 
ture du  comté  de  Suffolk  ,   1 797  _, 
in-8^.   XX VII.  Invasion,    danger 
national  et  moyen  de  salut,  1 798  , 
in-8^  XXVIll.  Recherches  sur  l'é- 
tat de  l'esprit  public  dans  les  clas- 
ses inférieures,  1 798,  in-8".  XXIX. 
Vue  générale  de  l' agriculture  du 
comté  de    Lincoln,    i799?   in-8**» 
XXX.  Lettre  à  M.   Pf^ilber force  , 
sur  l'esprit  public  ,  dans  les  classes 
inférieures  ,    1799,  in-8**.  XXXI. 
La  question  de  la  disette  ,  posée  , 
1800,  in-8«.   XXXII.    Bévue   des 
perfectionnements  de  V agriculture 
dans  le  comté  de  Lincoln  ,    1800  , 
in-80.  XXXIII.  Recherches  sur  Vu- 


YOU 

tilité  d'appliquer  les  terres  en  fri- 
4:he  au  soutien  des  pauvres  ,  i<*lo  i  , 
iii-8^  XXXIV.  Essai  sur  les  en- 
grais ,  i8oi  ,  in-8o.  XXXV.  Fue 
générale  de  l'agriculture  du  comté 
de  Hcrlford,   1804.  XXXVI.  Vue 
générale  de  l'agriculture  du  comté 
de  Norfolk,  i8o;k  in-80.  XXXVH. 
Description  de  V agriculture  du  com- 
té d'Essex ,   1806,   '2  vol.  in -8". 
XXXVIII.   Fue  générale  de  Va- 
gricullure    du    comté   d'Oxford, 
1808,    m-8^   XXXIX.  Rapport 
général  sur  les   clôtures,    1809, 
in-8 '.  XL.  Avantages  de  l'établis- 
sement du  bureau  d'agriculture  , 
1809  ,  in-8".  ^LI.  Sur  la  méthode 
de  trois  célèbres  fermiers  anglais 
(  Bakewell,  Arbulhnot  et  DucTcet  ), 
1 8 1 1 ,  in-8"  XL!  I .  Recherches  sur  la 
valeur  progressive  des  monnaies^  dé- 
terminée par  le  prix  des  produits 
agricoles ,    1812,   in  -  8".   X  LI 1 1 . 
Baxteriana ,   contenant    un   choix 
des  OEuvres  de  Richard  Baxter , 
i8i5.  in-8«.    XLIV.  Recherches 
sur  l'élévation  des  prix  en  Europe , 
avec  des  observations  sur  l'effet  de 
la  hausse  et  de  la  baisse ,  etc. ,  etc. , 
181 5,  in-80.  D— ES. 

YOUNG  (Mattiiew),  savant  pré- 
lat, né  en  i-^So  dans  le  comté  de 
Roscommon  ,  termina  ses  études 
classiques  à  Dublin  ,  an  collège  de  la 
Trinité,  auquel  il  fut  ensuite  associé, 
et  011  il  exerça  les  fonctions  d'insti- 
tuteur. Peu  de  branclies  des  connais- 
sances humaines  lui  restèrent  étran- 
gères :1a  théologie,  les  sciences  phy- 
siques et  matliémaliques,les  langues 
anciennes  et  modernes  furent  tour-à- 
tourlesobjets  deson  application;  ce 
qui  ne  l'empcchaitpas  de  donner  des 
moments  à  la  société  où  son  esprit 
et  son  savoir  le  faisaient  recliercher. 
Il  publia  ,  en  1784  ,  "n  ouvrage  in- 
titulé :  Phénomènes  des  sons  et  des 


YOU  5o9 

cordes  musicales,   un   vol.   in-S''. 
11  s'occupait  à  éclaircir  les  Principes 
de   Newton,   lorsque  la    chaire    de 
physique  étant  venue  à  vaquer,  dans 
le  collège  auquel  il  était  attaché,  il 
y  fut  promu  d'une  voix  unanime. 
II  s'acquitta  de  ses   nouvelles  fonc- 
tions avec  une  supériorité  remarqua- 
ble.  Ce  fut  l'opinion    qu'on    avait 
généralement    de    son     mérite    qui 
détermina    le    comte     Cornwallis  , 
alors    vice-  roi  (  lord-  lieutenant  ) 
d'Irlande,  à  lui   conférer    l'évêché 
de   Clonfert   et  Kilmacduach.   Son 
travail  sur  Newton  ,  qu'il  avait  tra- 
duit en  latin ,  était  alors  prêt  à  être 
livre  à  l'impression  ;  mais  les   soins 
de  l'épiscopat  empêchèrent  d'abord 
qu'il   n'effectuât  cette   intention ,  et 
lorsqu'il  voidait  s'en  occuper  de  nou- 
veau ,  un  mal  cruel ,  un  chancre  à  la 
bouche,  le  mit  au  tombeau,  après 
quinze  niois  de  souffrances  ,  le  28 
novembre  1 800.  Il  avait  été ,  dans 
sa  jeunesse,  un  des  premiers  mem- 
bres d'une  société  formée  entre  des 
étudiants,  pour  hâter  leurs  progrès 
dans    la   théologie  ;   cette  associa- 
tion, qui  étendit  ensuite   son  objet, 
futle  noyau  dont  naquit  depuis  l'aca- 
démie royale  d'Irlande.  Les  Tran- 
sactions de  cette  compagnie  savante, 
ainsi  que  le  Journal  philosophique 
de  Nicholson,  renferment  plusieurs 
mémoires  par  Matthew  Young,  en- 
tre autres  :  l' Origine  et  la  théorie 
de  l'architecture   gothique;  force 
du  témoignage  pour  constater  des 
faits  contraires  à  V  analogie  ;  nom- 
bre des  couleurs  primitives  dans  la 
lumière  solaire  ;  sur  la  harpe  éo- 
lienne ,  etc.  La  substance  des  leçons 
qu'il  donnait  au  collège  de  la  Tri- 
nité parut  dans  l'amiée  même  de  sa 
mort, sous  le  titre  de  Principes  de 
philosophie  naturelle  ,  1 800  ,  in-8^. 
On  publia  en  i8o3  V Anal/yse   des 


5 10  YOU  

principes  de  la  philosophie  natu- 
relle ,  Dublin  ,  in-8o. ,  recueil  très- 
imparfait  de  soixante- trois  de  ses 
leçons  sur  divers  sujets  pliilosoplii- 
qu^îs.  Z. 

YOUNG-TCHING ,  troisième  em- 
pereur delà  dynastie  des  Mandchonx, 
était  le  quatrième  fils  de  Kbang   hi , 
et  monta  sur  le  trône  après  la  mort 
de  ce  prince,  en  1723.  D'une  taille 
avantageuse  ,  il  y  joignait  un  air  de 
grandeur  et  de  dignité  qui  inspirait 
le  respect.  Un  frère  aîné  de  Youiig- 
tcliing  ,  qui  commandait  en  ce  mo- 
ment une  armée  en  Tartarie  ,  avait 
mérite  l'affection  des  Chinois ,  par  ses 
qualités  personnelles  ,  ainsi  que  par 
ses  services.  On  était  persuadé  que 
Khang-hi  songeait  à  le  déclarer  son 
successeur,   et  qu'il  n'en  avait  été 
empêché  que  par  la  crainte  qu'il  n'é- 
clatât des  troubles  avant  son  arrivée 
à  Pé-king.  Young  -  tching  se  servit, 
pour  rappeler  son  frère ,  du  nom  de 
l'empereur  défunt ,  dont  il  lui  cacha 
la  mort,  et  l'enferma  dans  une  prison^ 
d'où  celui-ci  ne  sortit  que  sous  le  rè- 
gne suivant.  Un  autre  frère  de  Young- 
tching,  Yesaké,  prince  sans  mérite, 
mais  ambitieux  malgré  sa  nullité,  lui 
donna  bientôt  de  nouvelles  inquiétu- 
des. Le  P.  Moram  ou  Morao ,  mis- 
sionnaire portugais,  était  le  chef  du 
parti  de  Yesaké.  Découvert ,  il  fut 
envoyé  en  exil  avec  le  prince  dont 
il  avait  tenté  de  servir  les  projets  ; 
et  tous  deux  achevèrent  plus  tard 
leur  vie  dans  les  supplices.  Sounan, 
oncle  maternel  de  Young  -  tching  , 
n'était  point  étranger ,  non  plus  que 
ses  fils  ,  dont  plusieurs  avaient  em- 
brassé le  christianisme ,  à  la  conspi- 
ration  ourdie  pour  mettre  Yesaké 
sur  le  trône  j  mais  l'empereur  ne  le 
soupçonna  point ,  H  l'on  crut  devoir 
ajourner  leur  punition.  Young-tcbing 
avait  toujours  eu  beaucoup  d'éloi- 


YOU  _ 

gnement  pour  le  christianisme j  et  la 
certitude  que  ses   ennemis  les  plus 
dangereux  se  trouvaient  parmi  les 
sectateurs  de  la  loi  nouvelle,  raffer- 
mit dans  le  dessein  de  bannir  les  mis- 
sionnaires de  la  Chine.  Le  23  sept. 
1723  ,  le  tsoung-tou  (  surintendant- 
général)  du  Foukian  interdit  l'exer- 
cice du  culte  chrétien  dans  cette  pro- 
vince, sous  prétexte  qu'il  y  causait 
des  désordres.  En  rendant  compte  de 
cette  mesure  à  l'erapcieur  ,  il  l'enga- 
geait à  réunir  à  Pé-kingles  missionnai- 
res dont  les  connaissances  pourraient 
être  utiles  pour  le  caîencfrier ,  et  à 
reléguer  les  autres  à  Macao ,    avec 
défense  d'en  sortir.  Cette  sentence, 
approuvée  par  le  tribunal  des  rites, 
fut  confirmée  par  l'empereur.  Ceprin- 
ce  écrivit  donc  avec  le  pinceau  rou- 
ge :  «  Les  Européens  sont  des  étran 
))  gers  ;  il  y  a  bien  des  années  qu'ils 
»  demeurent  dans  les  provinces  de 
»  l'empire  :  maintenant  il  faut  s'en 
»  tenir  à  ce  que  propose  le  tsowig- 
»  touàe  Fou-kian.  Mais,  comme  il  est 
»  à  craindre  que  le  peuple  ne  leur; 
»  fasse    quelque  insulte  ,   j'ordonne 
»  auxtsoung-touet  vice-rois  des  pro- 
»  vinces  de  leur  accorder  une  demi- 
»  année  ou  quelques  mois  ;  et ,  pouj 
»  les, conduire  ou  à  la  cour  ou  à  Ma 
»  cpo  ,  de  les  faire  accompagner  dans 
»  leur  voyage  par  un  mandarin  qui 
»  prenne  soin  d'eux ,  et  qui  les  ga- 
»  rantisse  de  toute  insulte.  »  Les  mis 
sionnaires  de  Pé-king  ne  purent  par- 
venir à  faire  révoquer  cet  ordj'e 
mais  ils  obtinrent  que  leurs  confrères 
de  la  province  de  Canton  continue- 
raient d'y  résider ,  si  le  gouverneui 
n'y  voyait  aucun  inconvénient.  Le  P 
Parennin  ,  à  cette  occasion  ,  dit  de: 
choses  si  flatteuses  pour  l'empereur 
qu'un  mandarin  alla  sur  -  le  -  chamf 
les  répéter  à  ce  prince.  Young-tchin^ 
fut  en  effet  tellement  satisfait  de  c 


I 


YOU 

compliment ,  qu'il  donna  l'ordre  de 
faire  paraître  en  sa  présence  les  mis- 
sionnaires ,  Iionneur  qu'ils  n'avaient 
pas  encore  reçu  depuis  son  avènement 
au  trône.  Dans  un  discours  très-long, 
et  qu'il  débita  rapidement,  il  voulut 
justifier  la  conduite  qu'il  tenait  à  leur 
égard  :  «  Si  j'envoyais  ,  leur  dit -il , 
.)  une  troupe  de  bonzes  et  de  lamas 
»  dans  votre  pays ,  pour  y  prêcher 
»  leur  loi,  comment  les  recevriez- 

»  vous ?  Vous  voulez  que  tous  les 

»  Chinois  se  fassent  chrétiens  j  et 
»  votre  loi  le  demande,  je  le  sais 
»  bien  :  mais  en  ce  cas  -  là  que  de- 
»  viendrons -nous?  les  sujets  de  vos 
»  rois.  Les  chrétiens  que  vous  faites 
»>  ne  reconnaissant  que  vous  j  dans 
»  un  temps  de  troubles  y  ils  n'ecou- 
»  teraient  pas  d'autre  voix  que  la 

»  votre Je  vous  permets  de  de- 

»  meurer  ici  ^t  à  Canton  autant 
»  de  temps  que  vous  ne  donne- 
»  rcz  aucun  sujet  de  plainte;  car 
^>  s'il  y  en  a  par  la  suite,  je  ne  vous 
))  laisserai  ni  ici  ni  à  Canton.  Je  ne 
»  veux  point  de  vous  dans  les  pro- 
»  vinces.  L'empereur  mon  père  a 
i>  perdu  beaucoup  de  sa  réputation 
«  dans  l'esprit  des  lettrés  par  la  con- 
»  descendance  avec  laquelle  il  vous 
»  y  a  établis.  11  ne  peut  se  faireaucun 
»  changement  aux  lois  de  nos  sages; 
«  et  je  ne  souiFrirai  point  que  pendant 
»  mon  règne  on  ait  rien  à  me  repro- 
»  cher  sur  cet  article.  JVe  vous  ima- 
»  gincz  pas,  au  reste,  que  j'aie  de  l'ë- 
»  loignement  pour  vous  :  vous  savez 
»  comment  j'en  usais  quand  je  n'ë- 

»  tais  que  rëgulo Ce  que  je  fais 

»  maintenant ,  c'est  en  qualité  d'em- 
»  pereur.  Mon  unique  soin  est  de 
»  bien  régler  l'empire  :  je  m'y  ap- 
»  pliquedumatin  au  soir.  »Lemême 
jour,  le  monarque  fut  informe  que 
deux  des  fils  de  Sounan  avaient  em- 
brassé le   christianisme  ,   et  qu'ils 


YOU 


5i; 


voyaient  fréquemment  en  secret  le 
P.  Morao.  Le  lendemain,  Sounan, 
dépouille  de  ses  titres  et  de  ses  biens, 
reçut  l'ordre  de  s'éloigner.  Toute  sa 
famille  fut  enveloppée  dans  sa  dis- 
grâce. La  mort  de  ce  prince ,  dont 
les  restes  furent  brûlés  et  les  cendres 
jetées  au  vent ,  n'éteignit  point  la  hai- 
ne que  lui  portait  Young  tching.  Ses 
fils  et  ses  petits-fils ,  dégradés  de  leur 
lang  ,  furent ,  les  uns  incorporés 
comme  simples  cavaliers  dans  des 
régiments,  et  les  autres  condamnés  à 
la  prison  ou  à  l'exil.  Le  P.  Parennin 
attribue  ces  rigueurs  de  Young-tching 
à  sa  haine  contre  le  christianisme  ; 
mais  Deshauterayes  en  trouve  le 
motif  dans  les  fautes  graves  dont 
Sounan  s'était  rendu  coupable  dans 
ses  fonctions  de  général  du  Liao- 
toung.En  admettant  la  conjecturede 
Deshauterayes,  plus  impartial  que 
Parennin ,  elle  ne  peut  excuser  l'ex- 
cessive sévérité  de  Young  -  tching. 
C'est  d'ailleurs  la  seule  fois  que  ce 
prince  se  soit  écarté  de  la  modé- 
ration qu'il  s'était  prescrite.  Doué 
d'une  infatigable  activité ,  laborieux, 
ennemi  des  plaisirs,  il  tenait  les  rê- 
nes du  gouvernement  d'une  main, 
ferme,  ne  laissant  à  ses  ministres 
que  le  soin  d'exécuter  ses  ordres. 
Craignant  encore  de  ne  pas  remplir 
tous  SCS  devoirs, il  écrività  sesgrands- 
ofliciers  de  l'avertir  des  fautes  qu'ils 
apercevraient  dans  sa  conduite,  pro- 
mettant de  les  réparer.  Deux  villes 
de  la  province  de  Nan  -  king  ayant 
obtenu  sur  leurs  impots  une  diminu- 
tion notable,  les  habitants  décidèrent 
d'élever  un  monument  à  la  gloire  de 
Young-tching,  en  reconnaissance  de 
ce  bienfait;  mais  il  ne  voulut  pas  y 
consentir:  <»  Que  le  peuple,  écrivit- 
il  au  gouverneur  de  Nan  -  king ,  ob- 
serve les  coutumes;  qu'il  vive  dans 
l'union  ,  alors  je  m'estimerai  heu- 


5 12  YOU 

reux.  )."  Les  fléaux  qui  désolèrent  plu- 
sieurs provinces  de  son  vaste  empire 
lui  fournirent  l'occasion  de  mon- 
trer la  boule  de  son  cœur.  En  17.25, 
des  pluies  abondantes  ayant  détruit 
presque  entièrement  les  récoltes  ,  il 
s'empressa  de  venir  au  secours  des 
indigents,  et  donna  l'ordre  aux  grands 
de  seconder  ses  intentions  de  tout 
leur  pouvoir.  Dans  la  seule  ville  de 
Pé-king  ,  il  fit  distribuer  du  riz  h  plus 
de  quarante  mille  personnes  pendant 
quatre  mois.  Pour  prévenir  le  retour 
de  la  disette,  il  ordonna  d'établir 
dans  chaque  province  des  magasins 
où  serait  déposé  le  superflu  des  récol- 
tes dans  les  années  abondantes.  In- 
formé qu'il  restait  encore  en  quel- 
ques endroits  des  terres  incultes  ,  il 
les  fit  distribuer  aux  cultivateurs  les 
plus  laborieux ,  et  les  exempta  de 
toute  redevance  pendant  un  certain 
nombre  d'années.  Aucun  prince  n'ho- 
nora plus  l'agriculture.  Il  accorda 
le  grade  de  mandarin  du  huitième 
degré  au  laboureur  le  plus  estimé  de 
chaque  canton.  Des  que  le  temps  de 
son  deuil  fut  expiré,  il  annonça  que 
son  intention  était  d'observer ,  tous 
les  ans  ,  l'ancien  usage  de  labourer 
la  terre;  et  il  s'y  conforma  loligieu- 
sement.  Il  rétablit  les  festins  que 
les  gouverneurs  de  chaque  provin- 
ce devaient  offrir ,  chaque  année  , 
aux  personnes  les  plus  recomman- 
dables  par  leurs  vertus.  Enfin  il  ré- 
comjiensa  toutes  le:^  bonnes  actions  , 
et  ne  négligea  rien  pour  encourager 
le  peuple  à  la  pratique  des  devoirs 
qui  peuvent  assurer  son  bonheur.  Un 
tremblement  de  terre  ayant  détruit  ^ 
en  i^So,  une  partie  des  maisons  de 
Pé-kmg ,  l'empereur  vint  au  secours 
de  tous  ceux  qui  avaient  souliert 
de  ce  désastre.  Ses  bienfaits  s'é- 
tendirent jusqu'aux  missionnaires  ; 
il  leur  donna  une  somme  pour  recons- 


YOU 

truire  leur  église.  Cependant  il  reprit, 
peu  de  temps  après,  son  projet  de 
les  expulser  entièrement  de  la  Chine. 
Ceux  de  la  province  de  Canton  reçu- 
rent,  en  1732,  l'ordre  de  se  rendre 
à  Macao  dans  le  délai  de  trois  jours. 
Lesnégociantsd'Europedemandèrent 
à  en  conserver  quelques-uns  qui  leur 
rendaient  des  services  importants 
pour  leur  commerce.  Les  raisons 
dont  ils  avaient  appuyé  leur  requeJe 
frappèrent  l'empereur  ,  qui  suspendit 
l'exécution  de  son  ordre  ;  mais  aucu- 
ne décision  n'avait  encore  été  prise 
à  cet  égard ,  lorsqu'il  mourut  dans  une 
maison  de  plaisance ,  près  de  Pé-king, 
le  7  octobre  1785,  à  l'âge  de  cin- 
quante-huit ans  ,  dont  il  en  avait  ré- 
gné treize.  Malgré  Us  grandes  quali- 
tés de  Y  oung-tching,  auxquelles  les 
missionnaires  eux- mêmes  ont  rendu 
justice,  il  fut  peu  regretté  de  ses  su- 
jets. Khian-loung  (  F.  ce  nom  ) ,  son 
fils  ,  lui  succéda.  Young-tcliing  a  pu- 
blic ,  sous  son  nom ,  une  instruction 
aux  gens  de  guerre ,  intitulée  les  Dix 
Préceptes.  Elle  a  été  traduite  en  fran- 
çais par  le  P.  Amiot,  dans  V^rt  mi- 
litaire des  Chinois  (  F.  Amiot,  II , 
48  ).  Le  même  prince  a  commenté  les 
seize  Maximes  qui  composent  VEdit 
sacré àe  Khang-hi.  Cet  Édit,  avec  le 
commentaire  de  Youiig  -tching  et  la 
paraphrase  de  Wang-yeou-po  ,  a  été 
traduit  en  anglais  par  le  R.  Will. 
Miine  (  Voy.  le  Journal  des  savants, 
1818,  593  ).  On  trouvera  des  détails 
intéressants  sur  Young  -  tching  dans 
les  Mémoires  concernant  les  Chi- 
nois. Deshauterayes  s'en  est  servi 
pour  composer  la  Vie  de  ce  prin- 
ce ,  qu'il  a  publiée  dans  V His- 
toire de  la  Chine ,  par  le  P.  de  Mail- 
la, xi,  369-509.  W — s. 

YOUSbUÊ  Ben  Abd-el-Rah- 
MAN  AL  Fehri  <  dernier  émir  ou 
gouverneur  de  l'Espagne  pour  les 


YOU 

khalifes  d'Orient,  était  de  la  tribu  de 
Koraïsch  ,  qui  avait  produit  le  légis- 
lateur  des    Arabes  ;  son   père     et 
son    aïeul   s'étaient  rendus  fameux 
par  leurs  exploits  en  Afrique  ,  en 
Sicile  et  en  Espagne.  Ces  titres  et 
les  qualités  personnelles  de  Yousouf 
déterminèrent  le  choix  des  princi- 
paux capitaines  musulmans  qui ,  vou- 
lant mettre  un  terme  aux  maux  d'u- 
ne longue  anarciiie,  l'éhirent  unani- 
mement pour  émir,  l'an  de  l'hégire 
129   (  janvier  747  ).    H  parcourut 
l'Espagne,  en  ordonna  le  dénombre- 
ment, la  division  en  cinq  provinces, 
dont  les  capitales  étaient  Cordoue, 
Tolède,  Merida,  Saragosse  et  Nar- 
bomie;  rétablit  les  routes  militaires, 
releva  les  ponts,  et  destitua  les  fonc- 
tionnaires coupables  d'injustice  et  de 
cruauté.  Mais  il  paraît  que  Yousouf 
lui-même  ne  fut  pas  exempt  de  par- 
tialité j  car  on  disait  de  lui  que  sa 
coupe  était  de  miel  pour  ses  parents 
et  ses  amis ,  et  d'absinthe  pour  les 
autres.  Le  chef  des  mécontents  était 
Amer  ben  Amrou,  homme  puissant 
par  sa  naissance  ,  ses  richesses  et  son 
crédit,  qui  ne  se  croyait  pas  dédom- 
magé par  le  gouvernement  de  Se  ville 
^e  la  charge  d'amiral  que  Yousouf 
avait  supprimée  comme  inutile,  de- 
puis que  les  communications  avec  la 
oyrie  et  l'Afrique  étaient  interrom- 
pues. Amrou   cabala  ,  et  prodigua 
l'argent  pour  se  faire  des  partisans, 
y^ousouf  se  contenta  d'abord  d'épier 
ses  démarches  j  mais ,  ayant  surpris 
les  lettres  par  lesquelles  ce  factieux 
e  dénonçait  au  khalife  comme  usur- 
pateur et  tyran  ,  il  voulut  s'assurer 
le  sa  personne.  Amrou  ,  échappé  au 
)iége,  s'empara  de  Saragosse , en  1 36 
75v-4)^  et    de    tout  le  nord   de 
'Espagne.    La    guerre    civile    con- 
inua  entre   les   deux  rivaux  5  mais 
a  victoire  que    Yousouf   rempor- 

LI. 


YOU 


5i3 


ta,  près  de  Galat-Âyoub,  sur  son 
ennemi  ,  le   rendit    maître   de  Sa- 
ragosse ,  du  rebelle  et  de  son  fils,  à  la 
lin  de  l'année  suivante  (juin  755). 
Dans  cet  intervalle,  une  grande  ré- 
volution avait  eu  lieu  en  Orient.  IjG 
khalife  Merwan  II ,  qui  avait  confir- 
mé Youéouf  dans  le  gouvernement  de 
l'Espagne,  et  son  père  Abd-el-Rah- 
man  dans  celui  de  l'Afrique,  avait 
perdu  le  trône  et  la  vie  CF.  Merwan 
II);  et  la  dynastie  des  Âbbassides 
avait  remplacé  celle  des  Orameyades, 
que  les  vainqueurs  avaient  extermi- 
née. Le  prince  Abd-el-Rahnian,échap- 
pé  au  massacre  de  sa  famille ,  avait 
trouvé  un  asile  en  Afrique,  malgré  les 
recherches  du  gouverneur  ,  père  de 
Yousouf.  Tandis  que  ce  dernier  était 
occupé  dans  le  nord  de  l'Espagne, 
quatre  -  vingts  capitaines  arabes  se 
rassemblèrent    secrètement    à    Cor- 
doue, pour  délibérer  sur  les  moyens 
de  mettre  fin  aux  troubles ,  aux  guer- 
res civiles,  qui  ne  cessaient  de  déchi- 
rer la  Péninsule,  sous  l'administra- 
tion précaire  et  tyrannique  des  lieu- 
tenants amovibles  des  khalifes,  et 
d'y  établir  un  gouvernement  stable 
et  héréditaire.  Deux  d'entre  eux  se 
rendirent  à  Thaherten  Afrique,  pour 
inviter  Abd-el-Rahman  à  venir  ré- 
gner en  Espagne.  Le  prince  répondit 
à  leurs   vœux,  aborda,  le  10  rabi 
i^i".  i38  (a3  août  755j,  à  Almune- 
cab  ,  et  fut  reconnu  souverain  par 
toutes  les  villes  de  l'Espagne  méri- 
dionale, Yousouf,  dans  la  fureur  que 
lui  causa  la  nouvelle  de  cette  révolu- 
tion, fit  trancher  la  tête  à  ses  deux 
prisonniers.  Secondé  par  ses  fils ,  i". 
résista  au  nouveau  roi ,  qu'il  affectait 
de  nommer  Al-Daghal  (l'inconnu, 
l'intrus)  ;  mais  forcé  de  se  soumettre, 
après  avoir  essuyé  deux  défaites ,  il 
reprit  les  armes,  et  fut  tué  dans  une 
troisième  bataille,  près  de  Lorca, 
33 


5  i4 


YOU 


l'ail  14^  (739).  Yoiisouf  avait  gou- 
verné TEspagiie  neuf  ans  et  demi. 
Al)(i-cl-Rahman,  l'aîne'  de  ses  fils, 
périt  aussi  dans  un  combat,  l'année 
suivante.  Le  second ,  Mohammed- 
Abou'l  Aswad  ,  assiégé  et  pris  dans 
Tolède ,  s'évada  au  bout  de  viugt-six 
ans  ,  de  la  citadelle  de  Gordoue ,  où 
il  était  détenu ,  se  révolta ,  fut  vaincu, 
et  mourut  dans  la  misère  et  dans 
l'obscurité.  Cacem,  le  plus  jeune, 
liéritier  de  la  liaine  de  son  père  et  de 
ses  frères  contre  le  roi  de  Cordoue , 
après  de  fréquentes  vicissitudes,  fut 
conduit,  chargé  de  fers,  aux  pieds 
d'Abd-el-Raliman  ,  qui  lui  pardonna 
généreusement,  et  le  combla  de  biens. 

A T. 

YOUSOUF  -  BALKIN  (  Abou'l 
Fethah  ) ,  fondateur  de  la  dynastie 
des  Zeïrides,  Sanbadjides  ou  Badi- 
sidés ,  dans  l'Afrique  proprement  di- 
te, était  lils  de  Zcïri  ben-Mounad 
(  V.  ce  nom  ) ,  auquel  il  succéda  , 
l'an  de  l'hégire  36o  (  de  J.-C.  97  i  ). 
Ayant  reçu  des  secours  du  khalife 
Moezz-ledin-Allah  {Voy.  ce  nom  ), 
il  vengea  la  mort  de  son  père , 
vainquit  les  Zenates  en  plusieurs 
occasions  ,  assujettit  cette  tribu  , 
conquit  Thahert ,  Messisa,  Budjie, 
Baskara  ,  Bâfra  ,  etc.  ,  et  étendit 
sa  domination  jusqu'au  désert  de 
Sahra.  Il  rendit  à  tous  les  captifs 
zenates  la  liberté  et  leurs  biens  : 
cet  acte  de  condescendance  envers 
le  khalife  Moezz  lui  valut  la  plus 
brillante  faveur  auprès  de  ce  prince , 
qui ,  en  partant  pour  FÉgypte  où  il 
allait  fixer  sa  résidence,  céda  à  titre 
de  fief  héréditaire  ,  à  Yousouf-Bal- 
kin  ,  la  souveraineté  de  toute  l'Afri- 
que musulmane  ,  à  l'exception  des 
états  de  Barkah  et  de  Tripoli ,  et  lui 
abandonna  tous  ses  palais  avec  les 
meubles  qu'ils  contenaient.  C'est  de 
cette  époque  36 1  (972),  que  date 


YOU 

véritablement  la  dynastie  des  Zeïri- 
des. Mais  la  prévoyance  de  Moezz  , 
la  valeur  et  les  talents  de  Yousouf  ne 
purent  sauver  l'Afrique  des  fléaux  de 
l'anarchie  et  de  la  guerre.  Le  départ 
de  Moezz  donna  le  signal  aux  factions 
et  aux  révoltes.  Les  tribus  qui  n'o- 
béissaient que  forcément  à  l'autorité 
et  à  la  doctrine  des  Fathemides  pri- 
rent les  armes.  Ces  troubles  facilitè- 
rent au  khalife  d'Espagne,  Hakem 
al-Mostanser  ,  les  moyens  de  réta- 
blir en  Afrique  la  suprématie  des 
Ommeyades.  Yousouf  qui  avait  con- 
quis Telmesen,  Fez  et  Sedjelmesse, 
fut  obligé  momentanément  de  recon- 
naître leur  suzeraineté.  Lorsqu'il  s'en 
affranchit ,  une  nouvelle  puissance  se 
forma  dans  le  Maghreb  ,  sous  les 
auspices  des  Ommeyades  {Voy.  '^L^i- 
Ri  Ben-Atyah),  de  sorte  qu'il  ne 
resta  plus  aux  Zeïrides  ou  Sanha^i 
jides  que  les  pays  qui  forment  at|l 
jourd'hui  les  états  de  Tunis  et  d'Al- 
ger. Yousouf-Balkin  ne  cessa  de  co 
battre  pendant  tout  son  règne  qi 
dura  douze  ans,  et  qui  finit  à  sa  m 
l'an  873  (984).  Prince  voluptueu 
il  eut  jusqu'à  mille  femmes,  et 
lui  naquit  dix-sept  enfants  dans 
même  jour.  Son  fils  Mansour  lui  si 
céda  (  Voy.  ce  nom,  XXVI,  5 19 

A T 

YOUSOUF  I«r.,  roi  de  Maro 
V.  JoussouF  Ben  Taschfyn. 

YOUSOUF  II  (  Abou  Yacolb 
troisième  roi  de  Maroc  et  khalife 
la  dynastie  des  Mowahides ,  ou 
Mohades,  succéda,  l'an  de  l'hégii 
558  (de  J.-C.  11 63),  à  son  pè: 
Abd-el-Moumen  qui  l'avait  decta 
son  successeur  ,  quoiqu'il  ne  fût  q 
le  second  de  ses  fils,  à  cause  de  1' 
capacité  de  Mohammed  son  fils  aï: 
Y'^ousouf  était  alorsà  Séville;  il  ser 
dit  aussitôt  à  Maroc,  où  il  fut  recoi 
nu   souverain;  mais  ayant  éprou 


YOU 

quelque  opposition  de  la  partdedeux 
de  ses  frères  ,  dont  l'un  commandait 
à  Gordoue  ,  et  l'autre  à  Budjie,  il  se 
contenta  du  titre  d'émir,  ne  prit  celui 
d'Émir-al-Moumeniii  qu'aprrs  qu'ils 
se  furent  soumis  ,  et  leur  pardonna 
ge'ncrcusement.  Yousouf  marcha  sur 
les  traces  de  son  père  ;  mais  il  n'i- 
mita point  sa  cruauté.  Il  débuta  au 
contraire  par  des  actes  de  clémence, 
et  fit  ouvrir  toutes  les  prisons  de  son 
empire.  Cela  n'empêclïa  pas  im  fa- 
natique de  s'ériger  en  prophète ,  de 
faire  soulever  les  tribus  de  Sanhadja, 
de  Gomara ,  etc. ,  et  de  s'emparer  de 
ïcza.  Sa  défaite  et  sa  mort  mirent 
fm  à  sa  révolte,  et  sa  lête  fut  envoyée 
à  Maroc. Quoique  Yousouf  eût  licencié 
l'armée  qu'Abd-el-Moumen  s'était 
proposé  de  conduire  en  Espagne ,  son 
frère  Abou-Saïd  Othman  gagna,  l'an 
56o  (ii65),  dans  les   plaines  de 
Murcie,  la  bataille  d'AIdjelab  sur 
Abou  -  Abdallah    Mohammed   ben 
Mardenisch  ,   roi  de  Valence  et  de 
Murcie,  qui  ,  constant  dans  son  re- 
fus de  se  soumettre  aux  Al-Mohades, 
leur  résistait  opiniâtrement  avec  le 
secours  des  chrétiens.  Des  troubles 
éclatèrent  encore  en  diverses  parties 
de  l'Afrique  :  ils  furent   étouffés  à 
Budjie,  par  Abou  Zakharia  Yahia, 
frère  de  Yousouf,  et  dans  la  provin- 
ce de  Gomara  ,  par  le  monarque  en 
personne.  Le  roi  de  Maroc  ,  ayant 
affermi  sa  domination  en  Afrique , 
et  reçu  les  soumissions  de  tous  les 
gouverneurs  et  des  chefs  de  tribus, 
envoie  son  frère  Abou-Hafs  en  Es- 
pagne ,  Fan  565  (  1 1 69  ) ,  avec  un 
corps  de  vingt  mille  hommes  ,  pour 
faire  la  guerre  aux  chrétiens,  et  il  y 
conduit  lui-même ,  l'année  suivante , 
des  forces   plus   considérables.  Des 
dépiitations   de  toute   l'Andalousie 
viennent  lui  rendre  hommage  à  Sévil- 
le  cil  il  établit  sa  cour.  Tandis  qu'il 


YOU  5i5 

attaque   les    chrétiens,   qu'il  enlève 
plusieurs  places  au  roi  de  Castille  , 
et  qu'il  étend  ses  ravages  jusqu'aux 
portes  de  Tolède  ,  il  profite  habile- 
ment des  divisions  qui  régnent  entre 
les  musulmans  de  l'Espagne  occiden- 
tale ,  et  ses  troupes  sont  introduites 
dans  Valence  par   des  mécontents  , 
Tan  567  (1^7^).  Le  roi  Moham- 
med ben  Mardenisch  ,  pressé  par  les 
Al-Mohades  et  par  les  Aragonnais  , 
meurt  la  même  année  à  Maïorque, 
où  il  s'était  retiré.  Le  monarque  afri- 
cain  fait  construire  à  Séville  une 
superbe  mosquée ,  un  beau  pont  de 
bateaux,  un  aqueduc,  deux  quais, 
deux  palais  magnifiques,  de  vastes  ma- 
gasins et  d'autres  monuments  aussi 
utiles  que  somptueux»  Afin  d'occuper 
ses  cent  mille  solda  Is,  il  fait  bâtir  dans 
l'enceinte   de  Gibraltar ,  dont  son 
père  avait  fondé  les  murailles.   Ces 
travaux  l'occupèrent  pendant  les  cinq 
ans  qu'il  passa  en  Andalousie.  Dans 
cet  intervalle ,  il  remporta  des  avan- 
tages signalés  sur  les  Castillans,  en- 
leva même  Tarragone  au  roi  d'Ara- 
gon ,  et  dévasta  la  Catalogue,  Enfin , 
les  fils  de  Mohammed  ben  Marde- 
nisch ,    présageant  qu'ils  ne  pour- 
raient pas  conserver  Schatibah ,  Dé- 
nia ,  Alicante  ,  Murcie  ,  Carthagène 
et  les   autres  places  que  leur  père 
avait  possédées  ,  les  cédèrent  au  roi 
de  Maroc  qui  les  combla  de  biens  et 
d'honneurs  ,  et  assura  la  tranquillité 
de  l'Espagne  musulmane  ,  en  épou- 
sant leur  sœur,  l'an  570  (  1 174-5  ). 
Il  retourna  l'année  suivante  en  Afri- 
que ,  où  la  paix  dont  il  jouit  ne  fut 
troublée  que  par  une  révolte  qui  eut 
lieu  à  Kafsa ,  capitale  du   Belad-el- 
Djerid ,  et  qu'il  étouffa  lui-même  par 
la  défaite  et  la  mort  des  rebelles  ,  en 
576    (   1180  ).  Trois   ans  après  ,. 
Yousouf  partit  de  Maroc  ,    et   alla 
s'embarquer  à  Ccuta  pour  Gibraltar, 
33.. 


5ir,  YOU 

d'où  il  se  rendit ,  par  Sc'ville,  devant 
Santarein,  le  7  rabi  i "".  58o (  1 8  juin 
1 184  ).  Aprci)  diverses  attaques  con- 
tre celte  place,  durant  quinze  jours, 
il  donna  ordre  à  l'un  de  ses  Ji!s  de 
faire  une  diversion  sur  Lisbonne. 
L'ordre  fut  mal  compris  et  encore 
plus  mal  exécute.  Toute  l'arrace  dé- 
campa avant  le  jourj  il  ne  resta 
auprès  du  khalife  qu'une  faible  par- 
tie de  sa  garde ,  de  ses  bagages  et  de 
ses  valets.  Au  point  du  jour,  les 
assiégés  firent  une  sortie  générale  , 
fondirent  sur  le  quartier  du  roi  de 
Maroc  ,  resté  presque  sans  défense , 
égorgèrent  tout  ce  qui  se  présenta 
devant  eux  ,  pénétrèrent  dans  la  tente 
du  monarque ,  la  mirent  en  pièces  , 
et  massacrèrent  quelques-unes  de  ses 
femmes.  Y ousouf,  avec  sa  seule  épée, 
se  défendit  vaillamment  et  tua  six  des 
plus  acharnés  contre  lui  ;  mais,  acca- 
blé par  le  nombre,  il  tomba  percé  de 
coups.  L'armée,  avertie  trop  tard, 
revint  sur  ses  pas ,  chargea  les  chré- 
tiens ,  en  fit  un  grand  carnage ,  les 
repoussa  dans  la  ville  ,  qu'elle  em- 
porta d'assaut ,  sans  pouvoir  la  con- 
server, et  reprit,  dans  un  morne 
silence  ,  la  route  de  Seville.  Yacoub 
al-Mansour  ,  lils  et  successeur  de 
Yousouf ,  la  ramena  en  Afrique^  et  ce 
ne  fut  qu'à  son  arrivée  à  Maroc,  qu'il 
publia  la  mort  de  son  père.  Voilà 
pourquoi  les  auteursportugais  varient 
sur  la  date  et  le  lieu  de  cet  événe- 
ment ,  que  les  Espagnols  rapportent 
d'une  manière  différente.  Ce  qu'il  y 
a  de  certain,  c'est  que  Yousouf  mou- 
rut des  suites  de  ses  blessures  ,  au 
mois  de  juillet  ou  d'août  1 184,  après 
un  règne  glojieux  et  fortuné  de  vingt- 
deux  ans ,  dans  la  quarante-neuviè- 
me année  de  son  âge.  Ce  prince 
juste  ,  bon  ,  humain  ,  généreux  ,  vigi- 
fant ,  ami  des  lettres  et  des  arts  , 
supérieur  en  mérite  réel  à  son  père 


YOU 

et  à  son  fils ,  plus  célèbres  que  lui 
(  Foj.  Mansour  ,  XXVI ,  5^5  ) , 
sut  par  ses  talents  et  par  son  cou- 
rage, alFermir  sa  domination  en  Afri- 
que ,  réunir  sous  ses  lois  tout  ce  que 
les  musulmans  possédaient  encore  en 
Espagne  ,  et  y  éteindre  pour  un  temps 
les  brandons  de  la  guerre.     A — t. 

YOUSOUF  ni ,  AL-MOUNTA- 
SEli  ou  AL-MOSTANSER-BÏLLAH 
(  Abou- Yacoub)  ,  roi  de  Maroc,  et 
sixième  prince  de  la  même  dynastie, 
était  arrière-petit-" lils  du  précédent. 
Il  n'avait  pas  encore  atteint  l'âge  de 
l'adolescence,  lorsqu'il  succéda,  en 
Tan  de    l'hégire    610   (  de  J.  -  C. 
i-iiiS  )  ,  à  son  père  Mohammed  al- 
JNasser-ledin- Allah   (    Vo;y.    Mehe- 
MED  al-Nasser),   qui    l'avait  fait 
reconnaître  pour  héritier  du  trône. 
Après  l'échec  qu'avaient  essuyé  les_ 
Al-Mohadcs  ,  sous  le  règne  précél 
dent,  par  la  perte  de  la  fameuse  bc 
taille   de  las  Navas   de  Tolosa  , 
aurait  fallu    un  prince  ferme,   h< 
bile  et  dans  la  force  de  l'âge  ,  pouj 
rétablir  leur  puissance   et  souteni 
leur  empire  en  décadence.  La  mine 
rite  de  Yousouf,  et  son  incapacité 
lorsqu'il  fut  majeur  ,  préparèrent  h 
chute  de  cette   dynastie.  Ce   prince 
régna  sans  trouble  et  sans  obstacle 
mais  ses  oncles  et  les  chefs  des  k\\ 
Mohades   formèrent    un   gouverne^ 
ment  olygarchique ,  une  espèce 
sénat  qui  s'arrogea  toute  l'autoritél 
et  celle  du  roi  cessa  d'être  respectée. 
Les  princes  de  la  famille  régnante 
qui   commandaient  dans  les  parties 
de  l'Espagne  soumises  encore  aux 
musulmans  ,    les    gouverneurs    des 
différentes  provinces  de  l'Afrique  , 
commencèrent  dès-lors  à   poser  les 
fondements    de   leur  indépendance. 
L'indolent  Yousouf  ,  entouré  de  ses 
femmes  ,  de  ses  eunuques  ,  ne  sortit, 
pas  une  fois  de  sa  capitale.  Étranger) 


i 


YOU 

aux  affaires  de  l'ëtal ,  il  ne  s'occupait 
que  de  ses  plaisirs.  Un  de  ses  amuse- 
ments favoris  était  de  multiplier  ,  de 
croiser  les  races  d'un  grand  nombre 
d'espèces  de  bestiaux.  Un  jour  qu'il 
regardait  défiler  dans  ses  jardins  un 
troupeau  qui  lui  arrivait  d'Espagne, 
la  vue  de  son  cheval  effiaya  une 
vache  qui  courut  sur  lui  et  le  perça 
au  cœur  d'un  coup  de  corne.  D'au- 
tres attribuent  la  mort  de  ce  prin- 
ce à  l'abus  des  voluptés.  Il  mou- 
rut le  i3  dzoulhadjah  620  (  7  jan- 
vier i2'a4),  dans  la  vingt-unième 
année  de  son  âge  ,  et  la  onzième  de 
son  règne,  sans  laisser  de  postérité  ; 
et  cette  circonstance  ajouta  aux  mal- 
heurs et  aux  désordres  qui  signalè- 
rent la  fin  de  la  dynastie  des  Al- 
Mohades  :  ils  perdirent  leurs  der- 
nières possessions  en  Espagne  l'an 
655  (1257),  et  le  trône  de  Mau- 
ritanie ,  l'an  608  (  laO'g  ).  Vof. 
Yacoub  II.  A — T. 

YOUSOUF IV,  Al  Naser-Ledin- 
Allah  (  Abou  Yacoub  )  ,  second 
roi  de  Maroc,  de  la  dynastie  des 
Merinides^  avait  environ  quarante- 
six  ans  ,  lorsque  la  mort  de  son  père 
Yacoub  le  mit  en  possession  du  trône. 
Il  était  alors  en  Mauritanie,  où  il 
fut  reconnu  souverain  ;  et  s'ëtant 
rendu  à  Algeziras  ,  en  Espagne,  oii 
il  avait  été  déjà  proclamé ,  il  y  re- 
çut les  serments  des  chefs  de  l'armée, 
en  safar  685  (avril  1286).  Après 
avoir  fait  de  grandes  largesses  aux 
troupes  et  aux  oulémas ,  distribué  des 
aumônes  ,  mis  en  liberté  tous  les 
prisonniers,  réformé  plusieurs  abus, 
aboli  quelques  impôts  et  droits  one'- 
rcux  ,  et  fait  des  améliorations  dans 
le  gouvernement ,  il  se  rendit  ta  Mar- 
bellia  :  ily  lit  venir  Mohammed  II,  roi 
de  Grenade ,  conclut  la  paix  avec  ce 
prince, etlui  céda  toutesses  possessions 
ea  Espagne  ;,  à  Texception  d' Algezi- 


YOU  5i7 

ras ,  Rouda  ,  Tarifa  ,  Guadix  et  leurs 
dépeiidances  ,  dont  il  laissa  le  gou- 
vernement à  l'un  de  ses  frères.  Voyant 
la  tranquillité  assurée  en  Espagne  , 
au  moyen  de  la  paix  qu'il  renouvela 
avec  Sanche  III  ,  roi  de  Castille ,  il 
retourna  en  Afrique.  Des  révoltes 
éclatèrent  dans  les  montagnes  de 
Fez,  à  Sous  ,  dans  les  environs  de 
Sedjelmesse,  etc.  :  elles  furent  assou- 
pies par  la  défaite  et  la  mort  des  re- 
belles. Yousouf  fut  plus  indulgent 
pour  un  de  ses  fils  ,  qui,  profitant  de 
son  absence  ,  s'empara  de  Maroc,  lui 
en  ferma  les  portes ,  et  osa  en  sortir 
pour  lui  livrer  bataille.  Le  jeune 
téméraire  vaincu  ne  rentra  dans  la 
capitale  que  pour  en  emporter  le  tré- 
sor et  s'enfuir  à  Telmesen  ,  d'oii  il 
revint  au  bout  d'un  an  demander  et 
obtenir  son  pardon.  Le  roi  de  Telme- 
sen ayant  refusé  de  livrer  un  com- 
plice de  ce  prince  ,  et  outragé  l'am- 
bassadeur de  MaiK)c  ,  Yousouf  rava- 
gea lesétats  de  son  voisin,  sans  éprou- 
ver de  résistance*  mais  après  l'avoir 
tenu  assiégé  quinze  jours  dans  sa  ca- 
pitale ,  il  décampa  sans  renoncer  à 
ses  projets  de  vengeance.  L'an  690 
(  i2gi  )  ,  il  fit  publier  la  guerre 
sainte  ,  donna  ordre  à  ses  généraux 
d'entrer  sur  les  terres  du  roi  de  Cas- 
tille, et  embarqua  des  troupes  qu'il 
devait  conduire  en  Espagne.  Une 
partie  de  sa  flotte  fut  battue  et  dé- 
truite par  celle  de  Sanche.  Il  ne 
laissa  pas  d'arriver  à  Algeziras  avec 
le  reste  de  son  armée  j  mais  les  hos- 
tilités se  bornèrent  à  des  incursions 
et  à  des  dévastations  ,  sans  résultat. 
L'année  suivante  ,  le  roi  de  Grenade , 
voulant  s'affranchir  delà  domination 
africaine  ,  fit  alliance  avec  le  Castil- 
lan ,  et  lui  fournit  de  l'argent  et  des 
armes  pour  assiéger  Tarifa  ,  qui  de- 
vait lui  être  rendue.  Sanche  emporta 
la  place  d'assaut  et  la  garda  ,  sans 


i8 


YOU 


conseulir  même  à  un  échange.  L'in- 
fant don  Juan  ,  révolté  contre  son 
frère,  fut  accueilli  par  le  roi  de  Ma- 
roc ,  et  sur  l'assurance  qu'il  lui  donna 
de  reprendre  Tarifa  ,  il  reçut  des  se- 
cours de  ce  prince ,  et  mit  le  siège 
devant  cette  ville  ;  mais  déçu  da;]s 
son  attente  ,  il  fit  conduire  au  pied 
des  remparts  le  fils  d'Alphonse  Percz 
de  Guzman ,  avec  menaces  de  faire 
périr  cet  enfant ,  si  Tarifa  ne  se  ren- 
dait pas.  Le  brave  gouverneur  ne 
répondit  qu'en  jetant  son  épée  du 
haut  des  murailles.  Son  fils  fut  égor- 
gé ,  mais  la  vue  de  sa  tête'  redoubla 
le  courage  des  assiégés,  et  les  Maures 
furent  repoussés.  L'an  693  (1294)  ? 
Yousouf  passa  le  détroit,  et  vint  en 
personne  assiéger  Tarifa  :  la  lon- 
gueur et  l'inutilité  de  ses  attaques  le 
forcèrent  de  renoncer  à  son  entrepri- 
se. Bientôt  la  famine  et  la  peste  qui 
ravagèrent  l'Afrique,  et. la  guerre 
qu^il  se  préparait  à  porter  dans  les 
états  de  Telmèsen,  le  dégoûtèrent  de 
ses  possessions  en  Andalousie ,  qui 
lui  étaient  plus  onéreuses  qu'utiles. 
Il  vendit  Algeziras  et  les  autres  places 
au  roi  de  Grenade  ,  et  cessa  de  s'oc- 
cuper des  affaires  d'Espagne.  En 
695 ,  il  tourna  toutes  ses  forces  con- 
tre le  roi  de  Telmèsen ,  lui  enleva 
une  partie  de  ses  états ,  y  fit  réparer 
et  rebâtir  quelques  villes,  vainquit 
ce  prince ,  en  697  ,  et  l'investit  dans 
sa  capitale.  Il  chargea  un  de  ses  frè- 
res de  continuer  le  blocus  ,  et  après 
avoir  soumis  ,  de  gré  ou  de  force , 
toutes  les  places  qui  restaient  à  son 
ennemi  _,  il  vint  presser  le  siège  de 
Telmèsen.  Il  reçut  bientôt  dans  son 
camp  les  soumissions  du  gouverneur 
d'Alger  ,  les  présents  et  les  secours 
du  roi  de  Tunis  ;,  et  les  troupes  que 
lui  amenèrent  les  chefs  de  Budjie  et 
de  Gonstantine.  L'hiver  venu  ,  il 
commença  à  faire  bâtir  sur  l'empla- 


YOU 

cément  de  son  camp  une  ville  mu- 
rée, qui  fut  achevée  dans  l'espace 
de  quatre  ans.  Rien  n'y  manquait, 
palais  ,  mosquées  ,  bains  publics  , 
hôpitaux,  karavanseraïs  ,  etc.  C'est 
là  que  vinrent  le  trouver  des  dé- 
putés du  fond  de  l'Arabie ,  les  am- 
bassadeurs du  sulthan  d'Egypte,  et 
les  hommages  du  nouveau  roi  de 
Grenade  qui  le  reconnaissait  pour 
son  suzerain.  Cependant  la  fortune 
s'était  déclarée  contre  Yousouf.  Quoi- 
que Osman  ,  roi  de  Telmèsen  ,  fût 
mort  pendant  le  siège  ,  Abou  Zeïan , 
son  successeur  ,  continua  de  défen- 
dre sa  capitale  avec  la  même  opiniâ- 
treté. Le  roi  de  Maroc  perdit  un  de 
ses  fils  :  il  en  envoya  un  autre  pour 
reprendre  Ceuîa  dont  les  Maures  de 
Grenade  venaient  de  s'emparer;  le 
jeune  prince  fut  battu  et  forcé  de  le- 
ver le  siège.  Ces  fâcheuses  nouvelles, 
et  le  chagrin  de  ne  pouvoir  prendre 
Telmèsen  qu'il  assiégeait  depuis  neuf 
ans ,  affectèrent  si  vivement  Yousouf, 
qu'il  se  renferma  dans  son  palais,  et 
se  déroba  aux  yeux  de  tout  le  mon- 
de. 11  y  fut  poignardé  pendant  son 
sommeil ,  par  un  de  ses  eunuques  ,  le 
7  dzoulkadah  706  (  10  mai  1807  )  , 
dans  la  soixante-huitième  année  de 
son  âge  ,  et  la  vingt  -  deuxième  de 
son  règne.  Ce  prince  dont  l'extérieur 
était  en  même  temps  affable  et  ma- 
jestueux _,  méritait  un  meilleur  sort, 
à  cause  de  sa  bienfaisance  ,  de  son 
amour  pour  la  justice,  et  de  ses  soins 
continuels  pour  le  bonheur  de  ses 
sujets.  Il  eut  pour  successeur  son  fils 
Abou  Sabit  Amir.  A — t. 

YOUSOUF  I^^  (Abou'l  Hed- 
JADJ  )  f  septième  roi  de  Grenade ,  de 
la  dynastie  des  Naserides,  était  cam- 
pé dans  la  plaine  d' Algeziras,  lors- 
que l'armée  qu'il  ramenait  à  Gre- 
nade le  proclama  roi,  le  i3  dzoul- 
hadjah  788  (  25  août  i333  )  aussi- 


I 


YOU 

tôt  qu'elle  eut  appris  la  mort  tragi- 
que de  son  frère  Mehemcd  IV  ,  prince 
aimable,  spirituel,  vaillant,  gëne'- 
reiix  et  magnifique  ,  assassiné  à  Gi- 
braltar,  à  l'âge  de  dix-neuf  ans  ,  par 
des  capitaines  africains  dont  il  avait 
humilie  l'amour  -  propre.  Yousouf 
consola  ses  sujets  de  la  perte  de  son 
frère  ,  auquel  il  fit  élever  un  tombeau 
près  de  Malaga.  Agé  de  quinze  ans, 
et  doué  des  mêmes  avantages  physi- 
ques et  moraux ,  il  avait  des  goûts 
plus  pacifiques  ,  que  la  culture  des 
sciences  et  des  lettres  lui  avait  ins- 
pirés. Après  avoir  conclu  une  trêve 
avantageuse  de  quatre  ans  avec  le 
roi  de  Castillc  ,  il  s'appliqua  à  ré- 
former les  lois  et  les  ordonnances  de 
ses  prédécesseurs  ,  altérées  par  les 
subtilités  des  docteurs  ,  et  les  iniqui- 
tés des  juges.  Il  ordonna  des  formu- 
laires plus  simples  et  plus  courts 
pour  la  rédaction  d^-s  actes  publics  , 
rédigea,  à  cet  eiïèt,des  traités  et  des 
commentaires  ,  et  en  publia  même 
pour  le  perfectionnement  des  arts  et 
métiers  ,  et  de  la  tactique.  Yousouf 
eut  successivement  deux  vézirs;  mais 
accessible  aux  plaintes  qui  lui  furent 
adressées  sur  le  caractère  intrigant 
et  vindicatif  du  premier  ,  et  sur  la 
sévérité  excessive ,  et  quelquefois  in- 
juste du  second,  il  destitua  l'un  et 
fît  emprisonner  l'autre.  Une  ligue 
ayant  été  formée  «avec  le  roi  de  Ma- 
roc, Abou'l  Haçan  Aly,  les  deux 
princes  assiégèrent  Tarifa  ,  en  1 34o, 
et  s'y  servirent  de  canon  ;  mais  la 
bataille  de  Guad-Acelito  (  Rio-Sa- 
lado  )  que  les  rois  de  Castille  et  de 
Portugal  gagnèrent  sur  eux,  le  2g 
octobre,  les  forcèrent  de  décamper 
à  la  hâte.  Yousouf  se  retira  sans  ces- 
ser de  combattre  jusqu'à  Algeziras  , 
d'où  il  se  rendit  par  mer  à  Almuiie- 
cab ,  le  chemin  ])ar  terre  étant  inter- 
cepté par  les  chrétiens.   Le  roi  de 


YOU 


Dig 


Maroc ,  qui  avait  perdu  son  harem  et 
ses  trésors  ,  gagna  Gibraltar  en  dé- 
sordre, et  s'y  embarqua  pour  Ccuta. 
L'année  suivante ,  la  flotte  des  deux 
princes  musulmans  fut  vaincue  à 
l'embouchure  du  Guad-al-Menzil , 
par  celle  de  Castille  et  de  Portugal , 
et  perdit  ses  deux  amiraux.  Le  roi 
de  Grenade,  abandonné  par  son  a  llié 
que  la  révolte  d'un  de  ses  fils  occupait 
en  Afrique  ,  se  vit  enlever  quelques 
places ,  entre  autres  Algeziras  qui , 
malgré  tous  les  cflorts  de  son  souve- 
rain ,  malgré  l'artillerie  qui  la  défen- 
dait, et  les  boulets  rouges  qu'elle 
lançait  sur  le  camp  des  chrétiens, 
fut  forcée  par  la  disette  de  capituler 
le  26  mars  i344  ?  après  un  siège  de 
vingt  mois.  Alphonse  et  Y'ousouf  si- 
gnèrent une  trêve  de  dix  ans  ;  mais 
le  premier  la  rompit  l'an  -j  5o  (  1 349)  ? 
et  voulant  profiter  des  troubles  qui 
agitaient  la  Mauritanie ,  pour  fermer 
aux  Africains  l'entrée  de  l'Espagne  , 
il  assiégea  Gibraltar.  La  peste  se 
mit  dans  son  armée  ,  et  il  en  mourut 
le  20  mars  i35o.  Le  roi  de  Grenade 
qui  faisait  alors  des  incursions  pour 
inquiéter  les  assiégeants,  ayant  ap- 
pris la  mort  de  leur  souverain  ,  loin 
de  se  réjouir  de  cet  événement  heu- 
reux pour  l'islamisme,  déplora  la 
perte  d'un  prince  qui  savait  honorer 
le  mérite  même  de  ses  ennemis.  Il 
permit  à  plusieurs  capitaines  musul- 
mans de  porter  le  deuil  d'Alfonse  , 
et  ne  troubla  point  la  retraite  des 
Castillans  dans  leur  marche  rebgieuse 
jusqu'à  Séville  ,  où  ils  conduisirent 
le  corps  de  leur  souverain.  Yousouf, 
malheureux  dans  ses  guerres,  mé- 
rite ,  comme  législateur  ,  comme  ami 
des  lettres  et  des  arts  ,  un  rang 
honorable  parmi  les  meilleurs  rois 
de  Grenade.  Il  établit  une  méthode 
simple  et  uniforme  d'ensoiguemonr. 
Il  publia  des  règlements  pour  ToIj- 


5io  YOU 

servance  et  le  respect  de  la  religion; 
sépara  les  hommes  des  femmes  dans 
les  mosquées,  défendit  à  celîesci  de 
faire  des  acuvaines  sans  leurs  pères , 
leurs  e'poux  ou  leurs  frères,  les  inter- 
dit aux  lilles,  et  leurdëfeudil  de  sui- 
vre les  enterrements.  11  abolit  les  as- 
semblées nocturnes  dans  les  temples , 
les  prières  tumultueuses  dans  les  rues 
et  sur  les  places  publiques;  réforma  les 
désordres,  les  indécences  qui  avaient 
lieu  les  jours  de  fêtes  ,  et  prescrivit 
de  les  solenniser  avec  recueillement 
par  des  actes  de  bienfais.ince ,  des 
lectures,  et  des  conversations  édi- 
fiantes. Il  prohiba  l'or,  l'argent  et 
la  soie  dans  les  funérailles, ainsi  que 
les  cris  ,  les  lamentations  et  les  céré- 
monies superstitieuses.  Il  permit  les 
noces  et  les  festins,  pour  les  mariages 
et  les  naissances  ;  mais  il  en  bannit 
la  licence  et  l'ivresse.  Il  perfection- 
na la  police  de  la  capitale,  pourvut 
au  bon  ordre  des  marches  et  à  la  sû- 
reté de  chaque  quartier  qui  était  fer- 
mé le  soir  ,  et  visité  par  des  rondes 
nocturnes.  Il  publia  des  ordonnan- 
ces sur  l'art  de  la  guerre  et  la  dis- 
cipline militaire.  Il  établit  la  peine 
de  mort  contre  les  musulmans  cou- 
pables d'avoir  fui  devant  des  enne- 
mis, qui  n'auraient  pas  été  au  moins 
deux  fois  plus  nombreux.  Il  défendit 
à  ses  troupes  de  tuer  les  femmes ,  les 
enfants,  les  vieillards,  les  malades, 
et  même  les  religieux  ,  à  moins  que 
ceux-ci  ne  fussent  pris  les  armes  à  la 
main.  Il  interdit  le  pèlerinage  de  la 
Mekkeetla  profession  des  armes  aux 
fils  de  famille  ,  sans  la  permission  de 
leurs  parents  ,   sinon  dans  les  dan- 
gers pressants,  pour  le  second  cas. 
Il    s'occupa   aussi  de  la  législation 
criminelle  :  il  enjoignit  aux  juges  de 
ne  prononcer   aucune    sentence  de 
mort ,  si  le  coupable  n'avouait  son 
crime,  ou  sans  la  déposition  una- 


YOU 

nime  de  quatre  témoins.  Il  établit 
des  peines  pour  tous  les  délits  et  les 
cas  de  récidive.  Knfin,  il  ordonna 
que  les  corps  des  suppliciés  fussent 
laves,  ensevelis  et  inhumés  avec  la 
même  décence  et  les  mêmes  cérémo- 
nies que  ceux  des  autres  musulmans. 
Ces   sages    institutions  d'un   prince 
mahomélan,  au  milieu  du  quatorziè- 
me siècle,  honoreraient  un  monar- 
que chrétien  dans  un  siècle  plus  éclai-   - 
ré  ,  et  chez  une  nation  plus  civilisée. 
Yousouf  fit  achever  et  embellir  les 
édifices    commencés  à   Grenade.  A 
son  exemple,  les  grands  firent  biitir, 
et  la  ville  se  remplit  de  maisons ,  de 
tours  et  de  dômes ,  tant  en  bois  de 
cèdre  qu'en  pienes  revêtues  de  mé- 
taux, et  dont  l'mtérienr  était  orné 
d'or ,  d'azur  et  de  mosaïques  ;  et  ra- 
fraîchi par  de  belles  fontaines.  Le 
goût  de  l'architecture  fut  si  général 
sous  le  règne  de  Yousouf,  qu'un  au- 
teur arabe  compare  Grenade  à  une 
tasse  d'argent  pleine  d'hyacinthes 
et  d'émeraudes.  C'est  à  ce  prince  , 
que  Peyron  nomme  Ahoul  Gagegh 
(Abou'l  Hedjadj  ),  qu'appartiennent 
les  inscriptions  de  la    plupart   des 
monuments  qu'il  a  décrits  dans  son 
Nouveau  Foj âge  en  Espagne,  t.  i. 
Cet  excellent  prince  était  dans  la  tren- 
te-huitième année  de  son  âge,  et  la 
vingt-deuxième  de  son  règne,  lors- 
qu'un assassin  obscur  le  frappa  d'un 
coup   de  poignard  ,  dans  la  grande 
mosquée,  le  i'^^'.  chawai  ^55  (  19 
octobre  i354  ),  pendant  qu'il  célé- 
brait la   fête  du  Eeiram  (  la  Pâque 
des  musulmans  ).  On  le  porta  dans 
son  palais;  il  expira  en  y  arrivant. 
Il  eut  pour  successeur  son  fils  Mo- 
hammed (  V.  Mehemf.d  V  ),  et  non 
pas  son  oncle  Abou'l  Walid,  comme 
ledit  Cardonne,  par  erreur.       A-t. 

YOUSOUF  II  (AbOU-AbD ALLAH), 

onzième  roi  de  Grenade ,  de  la  même 


YOU 

dynastie,  succéda  ,  l'an  794  de  l'bég. 
(  1391-2  de  J.-C.  ),à  sonpère  Mo- 
Lamraed  V  ,  qui  l'avait  fait  recon- 
naître héritier  du  trône.  Imitant  les 
vertus  pacifiques  de  son  père,  il  re- 
nouvela la  trêve  avec  Henri  111 ,  roi 
deCastille;  mais  ses  relations  avec 
les  clirétiens  ,  la  bienveillance  ,  la 
protection  qu'il  accordait  à  ceux  qui 
venaient  à  sa  cour,  qui  vivaient  dans 
ses  eîals,  servirent  de  prétexte  à  l'am- 
bition de  Mohammed,  son  fils  puî- 
né', qui,  presse'  de  régner,  le  fit  pas- 
ser pour  mauvais  musulman  ,  pour 
infidèle,  excita  une  sédition  contre 
lui,  et  fit  assaillir  son  palais.  You- 
souf  était  décide  à  abdiquer  et  à  se 
mctlre  entre  les  mains  de  son  fils  re- 
belle ,  lorsqu'un  ambassadeur  du  roi 
de  Fez  ,  son  beau -frère,  harangua 
la  multitude,  et  lui  dépeignit  avec 
tant  d'onction  les  malheurs  des 
guerres  civiles  ,  et  les  avantages  que 
les  chrétiens  avaient  toujours  retires 
des  funestes  dissensions  des  musul- 
mans ,  qu'il  détermina  les  mutins  à 
rentrer  dans  le  devoir,  et  à  faire  la 
guerre  à  leurs  ennemis  naturels.  Les 
musulmans  dévastèrent  les  plaines  de 
Murcie  et  de  Lorca ,  remportèrent 
plusieurs  avantages  sur  les  Castillans, 
et  revinrent  avec  un  butin  considéra- 
ble. Yousouf ,  qui  n'avait  pas  l'hu- 
meur belliqueuse,  conclut  bientôt  une 
nouvelle  trêve.  Elle  fut  violée  par  le 
grand-maître  d'Alcantara  ,  don  Mar- 
tin de  Barbuda  ,  qui  périt  avec  ses 
troupes,  l'an  798  (  1895-6  ) ,  victi- 
me de  son  zèle  imprudent  et  de  sa 
folle  vanité  {Foj.  Yanez  ci-dessus}. 
Le  roi  de  Castille  ayant  desavoue' 
cette  infraction  au  traité,  Yousouf 
satisfait  n'en  tira  aucune  vengeance. 
Il  mourut  l'année  suivante  ,  après  un 
règne  de  cinq  ans,  et  fut  enterré  dans 
le  Djenn-al-iirif ,  auprès  de  son  père 
et  de  son  aïeul.  A — t. 


YOU 


5ii 


YOUSOUFIIIÇAbou'l  Hedjadj), 
fils  aîné'  du  précédent,  et  treizième 
roi  de  Grenade ,  fut  dépouillé  de  son 
pouvoir  et  renfermé  dans  la  forte- 
resse de  Schaloubina  ,  par  l'am- 
bitieux Mohammed  VI ,  son  frè- 
re puîné ,  qui  s'empara  du  trône. 
Pendant  tout  le  règne  de  ce  piin- 
ce  ,  Yousouf  habita  cette  prison  , 
où,  entouré  de  sa  famille  et  de  son 
harem  ,  il  jouissait  de  toutes  les 
commodités  de  la  vie;  mais  Moham- 
med ,  au  lit  de  la  mort ,  ayant  voulu 
assurer  le  trône  à  son  propre  fils, 
envoya  l'ordre  d'ôter  la  vie  à  son 
frère.  A  l'arrivée  du  messager  du 
roi,  Yousouf  jouait  aux  échecs  avec 
le  commandant  du  château.  11  de- 
manda un  délai  pour  dire  adieu  à  ses 
femmes,  et  faire  ses  dernières  dispo- 
sitions; mais  il  ne  put  obtenir  que  le 
temps  de  finir  sa  partie.  Avant  qu'el- 
le fût  achevée  ,  on  apprit  la  mort  du 
roi.  Yousouf,  échappé  à  la  mort  par 
cet  événement ,  se  rendit  aussitôt  à 
Grenade ,  et  y  fut  proclamé  roi ,  l'an 
810  (i4o8),  au  milieu  des  trans- 
ports de  l'allégresse  universelle.  Il 
conchit  une  trêve  avec  la  Castille; 
mais ,  ayant  voulu  la  renouveler  au 
bout  de  deux  ans^  son  refus  de  se  re- 
connaître vassal  et  tributaire  donna 
lieu  à  une  nouvelle  guerre,  qui  coûta 
au  roi  de  Grenade  Antequcrra  et 
quelques  autres  places.  L'an  81 4 
(  1 4  ï  I  ) ,  la  ville  de  Gibraltar  s'étant 
soumise  au  roi  de  Fez,  Yousouf  la 
fit  assiéger  par  un  de  ses  frères ,  qui 
s'en  empara  et  emmena  prisonnier  le 
frère  du  roi  de  Fez.  Le  monarque 
africain  avait  laissé  sans  secours  , 
dans  cette  place  ,  un  frère  qui  lui 
était  odieux  ,  et  qu'il  voulait  sa- 
crifier. Il  envoya  des  ambassadeurs 
au  roi  de  Grenade,  pour  le  prier 
de  le  faire  périr.  Mais  Yousouf, 
qui  avait  été  lui-même  victime  des 


522  YPR 

persécutions  d'un  frère  ombra- 
geux, s'intéressa  au  sort  du  prince 
africain ,  et  lui  prodigua  ses  trésors 
et  ses  troupes  pour  Taider  à  s'empa- 
rer du  trône  de  Fez.  Le  roi  de  Gre- 
nade conserva  la  paix  avec  tous  ses 
voisins  jusqu'à  la  iin  de  sa  vie.  Il 
maintint  son  royaume  dans  un  état 
florissant;  et  ses  sujets,  heureux  et 
tranquilles,  se  livrèrent  sans  crainte 
aux  douceurs  de  la  vie  champêtre.  Sa 
cour  fut  l'asile  de  tous  les  seigneurs 
mécontents  de  la  Castiile  et  de  l' Ara- 
gon. Us  y  vidaient  leurs  différends  en 
champ  closj  et  lorsque  Yousouf  ne 
pouvait  les  accommoder,  il  assistait 
à  leurs  combats ,  non  comme  témoin , 
mais  comme  médiateur  :  aussi  n'était- 
il  pas  moins  aimé  des  étrangers  que 
des  musulmans.  11  entretenait  une 
correspondance  intime  avec  la  reine- 
mère  de  Castiile ,  et  ils  s'envoyaient 
réciproquement  chaque  année  des  pré- 
sents. Cet  excellent  prince  mourut  su- 
bitement en  T  4^3  ,  après  un  règne  de 
quinze  ans ,  laissant  pour  successeur 
son  fils  Mohammed  VII ,  le  Gau- 
cher ou  le  Gauche  ,  que  son  orgueil 
et  son  insouciance  privèrent  de  l'af- 
fection de  ses  peuples.  Avec  You- 
souf III  finirent  les  beaux  jours  du 
royaume  de  Grenade  (  V.  Mehemed 
VIII,  ou  plutôt  VII,  XXVIIl,  126). 
A — T. 
YPRES  (  Charles  d'  ) ,  peintre  , 
né  dans  la  ville  dont  il  porte  le  nom, 
florissait  au  commencement  du  sei- 
zième siècle.  Après  avoir  long-temps 
travaillé  dans  Ypres  et  les  environs , 
il  résolut  d'aller  se  perfectionner 
en  Italie ,  où  il  fit  une  étude  parti- 
culière de  la  fresque.  11  recher- 
cha la  manière  du  Tintoret  qu'il 
rappelle  quelquefois  dans  ses  ou- 
vrages. Celui  qui  s'en  rapproche 
le  plus  est  une  Résurrection  qu'il  fit 
pour  la  ville  de  Tournai ,  et  un  Ju- 


YPS 

gement    dernier  ^    que     l'on   voit 
dans   une  église  ,  entre  Bruges   et 
Ypres.  Les  dessins  qu'il  a  exécutés 
sont  ordinairement  à  la  plume  ,  et 
lavés  à  l'encre  delà  Chine;  un  grand 
nombre  de  ces  dessins  a  été  fait  pour 
les  peintres  sur  verre.  Van  Mander  en 
loue  fort  la  composition  et  la  correc- 
tion ,  et  il  met  leur  auteur  au  rang 
des   meilleurs   artistes  flamands  de 
son  époque.  D'un  caractère  mélan- 
colique et  jaloux,  Charles  d'Ypresi 
ne   put   supporter  les  plaisanteries! 
que   ses  amis  lui  faisaient    sur  sai 
femme,  et  un  jour  qu'il  était  réunij 
avec  eux ,  il  se  donna  un  coup  dej 
couteau  dont  il  mourut  peu  de  tempsj 
après  ,  en  1 564.  ^ — s* 

YPSÏLANTI  ou  HYPSILANTIS 
(i)  (  le  prince  Constantin  )  des- 
cendait de  Jean  Ypsilanti ,  syndic 
des  Pelissiers  de  Constantinople ,  sou- 
che des  princes  de  ce  nom ,  et  qui  fut 
pendu  en  1737,  par  ordre  de  la 
Porte  (2).  Celui  qui  est  le  sujet 
de  cet  article  était  fils  du  princ( 
Alexandre  Ypsilanti ,  que  les  Turcî" 
appliquèrent  à  d'horribles  tortures 
pour  le  forcer  à  déclarer  les  trésors 
qu'on  le  soupçonnait  d'avoir  cachés, 
Il  naquit  à  Constantinople  vers  1 760. 
Élevé  par  d'habiles  maîtres  et  pai 
son  père  ,  le  prince  Constantin  fit  des 
progrès  assez  rapides  dans  les  scien- 
ces ,  et  apprit  à  parler  et  à  écrire 
facilement  le  grec ,  le  turc ,  l'arabe , 
le  persan,  le  français  et  l'italien. 
Étant  encore  très-ieunc ,  il  traduisit 


(t^  M.  Pouqueville  appelle  cette  famille  Hypsi- 
laiitis. 

(2)  «  Janacti  Ipsilanti  capo  dell'artede'  Pelliccia 
«  ri  in  GosLantinopoli  Pro/.io  del  Piiui  ipe  Alessan 
«  dro  Ipsilanti,  impiccato  (1787  ),  »  dit  l'auteu 
anonyme  des  Osseivazioiii  sloriche ,  nalurali  e  fio 
lltiche  intonio  la  Vatachia  e  Moldai-ia,  Napoli_^ 
1788  ,  dans  une  note  que  M.  Pouqueville  a  *•'»"»" 
lé ,  et  qui  contient  les  noms  des  Grecs  et  M«>laa 
ves  qui  ont  été' mis  à  mort  par  ordre  de  la  Porto  , 
pour  afî'aires  relatives  aux  deux  principautés. 


r'ortc 

m 


YPS 

sur  l'invitation  du  sulthan  Selim ,  les 
œuvres  de  Vauban  en  turc ,  travail 
d'autant  plus  digne  d'éloges,  qu'il 
fut  obligé  d'inventer  les  formes  tech- 
niques qui  manquaient  à  la  langue 
turque.  Ses  connaissances  profondes 
dans  les  langues  arabe  et  persane ,  et 
dans  !a  pkipart  des  langues  euro- 
péennes ,  lui  firent  obtenir  le  poste 
important  de  drogman,  dans  lequel 
il  acquit,  sur  le  divan,  plus  d'influen- 
ce que  n'en  avait  eu  aucun  de  ses  pre'- 
dëcesseurs.  Les  reis-effendi  n'entre- 
prenaient rien  dans  les  alfaires  étran- 
gères sans  le  consulter ,  et  ce  fut  lui 
qui  contribua  surtout  à  décider  la 
Porte  othoraane  à  entrer  dans  l'al- 
liance contre  le  gouvernement  révo- 
lutionnaire de  France.  Il  fut  récom- 
pense de  ses  services  par  la  dignité 
d'hospodar  de  la  Moldavie,  et ,  en 
1802,  par  celle  d'hospodar  de  la 
Valakie.  Il  gouverna  sagement  la 
première  de  ces  principautés ,  et  dé- 
buta dans  le  gouvernement  de  la  se- 
conde par  faire  payer  aux.  janissai- 
res l'arriéré  de  solde  que  leur  devait 
son  prédécesseur.  Ilentreprit  ensuite, 
à  ses  frais ,  la  guerre  contre  les  rebel- 
les qui  s'étaient  répandus  dans  le  pays 
pour  le  piller ,  et  accorda  des  secours 
considérables  à  ceux  des  habitants 
qui  avaient  le  plus  soudert  de  cette 
invasion.  On  assure  même  qu'à  cette 
époque  (i8o3) ,  il  remit  à  la  provin- 
ce une  année  des  impositions  qu'elle 
était  tenue  de  payer ,  et  qu'il  abo- 
lit presque  entièrement  la  peine  de 
mort.  Avant  lui ,  les  Valakes  n'a- 
vaient point  de  lois  écrites  :  ils  étaient 
régis  par  des  coutumes  incohé- 
rentes, et  que  chaque  juge  inter- 
prétait suivant  son  caprice.  Il  en  ré- 
sultait une  confusion  générale  dans 
la  propriété  ,  parce  que  d'ailleurs  la 
sentence  d'un  hospodar  pouvait  être 
annulée  par  son  successeur,  cl  que  les 


YPS 


5'i3 


procès  se  renouvelaient  et  se  repro- 
duisaient sans  cesse.  Le  prince  Cons- 
tantin ,  voulant  remédier  à  de  tels 
abus,  fil  rédiger  un  code  irès-succinct, 
ou  plutôt  une  instruction  pour  servir 
de  règle  de  conduite  aux  juges  dans 
les  cas  les  plus  fréquents.  La  clar- 
té, la  brièveté  et  la  simplicité  qui 
régnent  dans  ce  code  font  beaucoup 
d'honneur  à  son  auteur ,  et  ont  dé- 
terminé  les  successeurs  d'Ypsilanti 
à  le  conserver  et  à  se  conformer  vo- 
lontairement à  ses  dispositions.  En 
1806,  le  divan  ayant  changé  de  sys- 
tème par  suite  de  l'influence  que  la 
France  avait  prise  sur  ses  délibéra- 
tions ,  le  prince  Constantin  fut  desti- 
tué comme  trop  dévoué  aux  intérêts 
de  la  Russie ,  quoique  d'après  le  rè- 
glement  convenu  le  24   septembre 
1802  ,   entre  cette  puissance   et  la 
Porte  othomane ,  le  terme  de  la  con- 
tinuation des  hospodars  dans  leurs 
gouvernements  eût  été  fixé  à  sept  an- 
nées pleines,  à  dater  du  jour  de  leur 
nomination.  Irrité  de  sa  destitution  , 
Ypsilanti  parvint,   de  la  Transyl- 
vanie où  il  s'était  réfugié  ,  à  soulever 
contre  le  sulthan ,  Czerni-George  et 
les  Serviens,  qui  venaient  de  conclu- 
re un  armistice  avec  l'empire  otbo- 
man.  De  son  côté  le  cabinet  de  Saint- 
Pétersbourg  réclama  contre  l'infrac- 
tion des  traités  subsistants  entre  lui 
et  la  Turquie ,  et  il  réussit  à  faire  ré- 
tablir l'hospodar.  Mais  cette  condes- 
cendance de  la  Porte  n'ayant  pas  sa- 
tisfait complètement  la  Russie,  qui 
avait  d'autres  sujets  de  plainte,  aux- 
quels on  n'avait  pas  eu  égard ,  ses 
armées  envahirent  d'abord  la  Mol- 
davie et  ensuite  la  Valakie.  Pendant 
celte  occupation,  Ypsilanti   séjour- 
na quelque  temps  à  Temeswar ,  en- 
tretenant la  mésiutel!ip;ence  entre  les 
Serviens  et  la  Porte.  Il  se  rendit  en- 
suite à  Saint-Pétersbourg ,  d'où  il 


5i4  YPS 

envoya  ,  en  1808,  par  un  boyard, 
une  dépêche,  et  un  poignard  estimé 
trente-cinq  mille  piastres  ,  au  fameux 
Czerni-George.    Il  reprit  plus   tard 
l'admiuistration   de  la  Valakie ,   et 
y    joignît   celle    de    la    Moldavie  , 
de  laquelle  il  fut  dépossédé  au  mois 
de   mai   de    la   même   année ,   par 
le  prince  Alexandre  Prosorowski  , 
général   en  chef  de   l'armée   russe 
établie   dans    les    principautés  5   et 
cette   administration  fut  confiée  au 
sénateur- général  Kuslinikow,  nom- 
mé président  du  divan  de  la  Molda- 
vie et  de  la  Valakie.  Alors  le  prin- 
ce Constantin  quitta  pour  toujours 
l'empire  turc  ,  et  alla  s'établir  avec 
sa  famille  à  Kiow,  où  il  reçut  une 
forte  pension  de  la  cour  de  Russie. 
Il  y  vivait  dans  une  sage  retraite, 
îorsqu'en   1816  il  se  rendit  à  Saint- 
Pétersbourg  ,  pour  y  avoir  une  en- 
trevue avec  l'empereur  Alexandre. 
Il  fut  très -bien  accueilli  par  ce  sou- 
verain, qui  le  combla  de  biens  et 
d'honneurs.  Plein  de  reconnaissance 
et  de  joie,  le  prince  Constantin  re- 
tourna à  Kiow ,  au  sein  de  sa  famil- 
le; mais  il  n'eut  que  le  temps  de  l'em- 
brasser, et  mourut  subitement  la  nuit 
du  jour  qui  suivit  son  arrivée  (  8  ou 
2-7  juillet  1816),  dans  la  cinquante- 
sixième  année  de  son  âge  ,  laissant 
huit  enfants,  dont  l'aîné  était  aide-de- 
camp  de  l'empereur^  et  quatre  ser- 
vaient dans  la  garde  impériale  russe. 
— Ypsilanti  le  prince  Alexandre), 
second  fils  du  précédent,  entra  de 
bonne  heure  au  service  de  Russie,  oii 
il  parvint  au  grade  d'officier-général. 
En  181 4?  les  Grecs,  persuadés  par 
les  instigations  des  agents  de  quel- 
ques puissances,  qii'ils  allaient  être 
bientôt  mis  en  étal  de  secouer  le  joug 
de  fer  que  les  Turcs  faisaient  peser 
sur  eux  _,  quoique  les  espérances  qu'on 
leur  avait  si  souvent  données  à  ce 


YPS 

sujet    eussent    toujours  été    trom- 
pées ,  cherchèrent  à  concerter  entre 
eux  les  plans  qui  pouv.iient  amener 
un  meilleur  résultat.  Une  société,  qui 
prit  le  nom  de  grande  synomotie  ou 
conjuration  des  hétéristes  ou  amis , 
fut  formée  par  les  jeunes  gens  les 
plus  instruits  et  par  quelques-unes  des 
personnes   les  plus  éclairées  de    la 
Grèce,  afin  de  répandre  parmi  leurs 
concitoyens  l'instruction  et  les  dons 
de  la  société  biblique  ,  et  de  com- 
mencer la  régénération  de  leur  mal- 
heureux pays.  Les  statuts  de  cette 
association  avaient  été  ,  dit- on  ,  ré- 
digés   à  Vienne ,  sous  les  auspices 
d'un  grand  monarque  ,  qui  profes- 
sait  la   même   religion    qu'eux.  Le 
prince  Alexandre  Ypsilanti ,  qui  en 
fut  déclaré  chef,  chercha  à  rallier 
tous  les  Grecs  à  la  cause  dont  il  pa- 
raissait l'ame  ;  et  il  établit  le  foyer  de 
l'insurrection  en  Bessarabie,  d'où  il 
envoyait  des  émissaires  dans  les  diffé- 
rents cantons  de  la  Grèce.  Ali ,  pacha 
de  Yanina  ,  non  moins  ennemi  des 
Turcs  que  les  Hétéristes  ,  et  qui  de- 
puis long-temps  aspirait  à  l'indépen- 
dance ,  ne  tarda  pas  à  se  lier  avec 
eux.  Il  n'avait  d'autre  but  que   de 
les  faire  concourir  au  succès  de  ses 
desseins   ambitieux  ,   sauf  à  briser 
ensuite  l'instrument  qu'il  aurait  em- 
ployé ;  et  il  paraît  que  les  Hétéristes 
ne  mettaient  pas  plus  de  bonne  foi 
dans  leurs  relations  avec  lui,  si  l'on 
en  juge  par  une  dépêche  d' Ypsilanti, 
qui  fut  interceptée  et  mise  sous  les 
yeux  du  tyran  de  l'Épire,  et  dont  M, 
JPouqueville  cite  des  passages  remar 
quables  dans  son  Histoire  de  la  ré' 
génération  de  la  Grèce  Elevé ,  sui 
vaut  l'usage  des  soi-disant  princes  di 
Phanal ,  par  des  précepteurs  qui  lu 
avaient  appris  à  parler  correctemeni 
plusieurs   langues  ,    Alexandre  Yp- 
silanti avait  combattu  dans  les  rangî 


YPS 

de  Tarmce  russe;  il  avait  fait  une 
partie  de  la  guerre  coiilre  les  Fran- 
çais, et  il  avait  perdu  le  bras  droit 
à  l'afl'aire  de  Culm.  Quoiqu'on  ne 
puisse  lui  contester  nne  certai- 
ne bravoure  ,  il  paraît  qu'il  man- 
quait de  caractère ,  de  talents  ,  et 
qu'il  se  laissait  dominer  par  des  per- 
sonnes qui  méritaient  peu  deconlian- 
ce.  Son  titre  de  chef  des  liëtëristes, 
et  l'influence  qu'on  supposait  qu'il 
exerçait  sur  les  conseils  de  la  Rus- 
sie, avaient  augmenté  le  nombre  de 
ses  partisans  •  mais  il  était  peu  capa- 
ble de  faire  réussir  le  projet  diillcile 
qu'il  avait  osé  concevoir  ,  celui  de 
délivrer  la  Grèce  du  joug  des  Otlio- 
mans.  Le  A^oisinage  d'une  armée 
russe  le  décida  à  commencer  par 
le  soulèvement  de  la  Moldavie  et  de 
la  Valakie,  en  appelant  en  même 
trmps  les  Grecs  à  l'indépendance.  Ou 
avait  formé,  assurait-on,  une  caisse 
militaire,  composée  des  dons  des  prin- 
cipaux habitants  de  Moscou  et  de 
ïangarock,  et  dont  l'elléctif  se  mon- 
tait à  plus  de  cinq  millions  de  francs 
déposés  à  Odessa.  Le  il\  mars  i8'2i, 
Alexandre  Ypsilanti ,  qui  avait  pé- 
nétré dans  la  Moldavieavec  quelques 
troupes  réunies  au  bataillon  des  Hé- 
téristes  ,  annonça  aux  Grecs  dans 
une  proclamation  datée  d'Yassi,  et 
dans  laquelle  il  prenait  le  titre  de 
Récent  du  gouvernement ,  que  le 
temps  d'expulser  les  Turcs  de  l'Eu- 
rope était  enfin  arrivé.  La  désappro- 
bation formelle  du  consul  de  Russie 
à  Yassi  atténua  l'effet  de  celte  pro- 
clamation. Cependant  Ypsilanti  fut 
rejoint  par  une  multitude  de  jeunes 
gens  qui  arrivaient  en  saluant  l'au- 
rore de  l'indépendance  de  leur  pa- 
trie ;  et  il  s'avança  lentement  dans 
la  Valakie  ,  afin  de  ne  s'y  mon- 
trer qu'à  la  tète  d'une  force  im- 
posante,  pour  déterminer  en  sa  fa- 


YPS  5'25 

veur  un  mouvement  général  qu'il 
cherchait  à  faire  éclater  en  exagé- 
rant SCS  forces  et  les  secours  qu'il  de- 
vait recevoir  de  la  Russie..  La  garde 
du  prince  Soulzo ,  liospodar  de  Mol- 
davie, était  passée  sous  ses  drapeaux, 
et  ses  troupes  commençaient  à  pré- 
senter l'aspect  d'une  armée,  lorsqu'il 
arriva  dans  les  premiers  jours  d'a- 
vril à  Kolentina  où  il  établit  son  quar- 
tier-général ,  dans  la  maison  de  cam- 
pagne de  Bano  Ghikas,  à  une  lieue 
de  Bukharest.  Il  n'osait  cependant 
s'avancer,  dans  la  crainte  que  lui  ins- 
piraient Théodore  Viadimerisko  et 
Sava,  quittent  en  paraissantpartager 
sa  haine  contre  les  Turcs ,  refusaient 
de  reconnaître  son  autorité,  et  avaient 
rassemblé  des  forces  auprès  de  leurs 
personnes.  Après  quelques  marches  et 
contre-marches,  Ypsilanti  avait  por- 
té son  quartier-général  à  Tergowist, 
poste  qu'il  semblait  avoir  choisi  plu- 
tôt pour  se  réfugier  dans  l'occasion 
sur  le  territoire  autrichien  ,  que  pour 
défendre  la  cause  qu'il  avait  embras- 
sée. Cette  cause  paraissait  presque 
désespérée  ,  l'infortuné  patriarche 
œcuménique  Grégoire  (  V.  Grégoi- 
re, au  Supplément)  avait  reçu  l'or- 
dre de  la  Porte  de  lancer  les  foudres 
de  l'excommunication  contre  lui  et 
ses  adhérents,  et  l'ambassadeur  de 
Russie  à  Constantinopîe  les  avait  dé- 
savoués, lorsqu'une  armée  turque 
pénétra  dans  les  principautés  et  dé- 
truisit à  Galatz  un  corps  considérable 
d'insurgés.  La  division  commandée 
en  personne  par  Ypsilanti  n'était  ce- 
pendant pa  s  encore  entamée  ;  et ,  q  uoi- 
que  supérieur  en  forces  à  l'ennemi, 
ce  prince  montrait  de  l'hésitation. 
Il  se  décida  enfin  à  ranger  ou  à 
faire  ranger  ses  troupes  en  bataille 
sur  la  rive  gauche  de  l'Olta  ;  après 
un  combat  sanglant,  dans  lequel  la 
cavalerie  turque ,  au  moyen  de  son 


52G 


YRA 


cxtrcine  stipériorile  ,  extermina  pres- 
que en  entier  le  corps  d'Ypsilanti  _, 
compose  de  tout  ce  que  la  jeunesse 
grecque  avait  de  plus  distingue  (3). 
Le  prince  se  réfugia  sur  le  territoire 
autrichien,  où  il  fut  arrêté  et  enfer- 
mé dans  la  forteresse  de  Montgatz. 
Il  y  resta  jusqu'en  1827,  époque  à  la- 
quelle il  fut  rendu  à  la  liberté.  Il  n'en 
jouit  pas  Ipng-temps,  et  mourut  à 
Vienne  au  mois   de  février   1828, 
dans  les  Lras  de  son  frère  Démétrius, 
au  moment  où  il  faisait  ses  prépara- 
tifs pour  se  rendre  à  Rome.  D-z-s. 
YRALA  ou  IRAL4  (i)  (Domin- 
go Martinez  de  ) ,  l'un  des  conqué- 
rants espagnols  de  l'Amérique,  naquit 
à  Vergara   dans  le  Guipuzcoa  ,  vers 
i486.  Nous  ignorons  l'époque  pré- 
cise de  son  arrivée  en  Amérique ,  où 
il  se  rendit,  comme  la  plupart  de  ses 
compatriotes  ,  pour  tenter  la  fortune 
et  faire  des  découvertes.  On  peut  ce- 
pendant conjecturer,  d'après  le  récit 
d'Azara,  que  ce  fut  en   i534,  et 
qu'il  fit  partie  de  l'expédition  com- 
mandée par  don  Pedro  de  Mendoza  _, 
nommé  chef  de  la    rivière   de   la 
Plata  ,  et  qui  partit  de  Séville  le  24 
août  de  cette  année.  Plein  d'auda- 
ce et  d'ambition  ,  Yrala ,  dont  l'é- 
ducation  ne  paraît  pas  avoir  été 
tout-à-fait  négligée  ,  ne  tarda  pas  à 
obtenir  une  place  distinguée  parmi 
les  aventuriers  espagnols.  En  i536 , 
il  accompagna  Juan  de  Ayolas  en- 
voyé par   don  Pedro  de  Mendoza, 
pour  découvrir  lespay  s  arrosés  par  le 
Rio  de  la  Plata  et  ])ar  ses  affluents ,  et 
il  partagea  toutes  les  fatigues  de  cette 


YRA 

pénible  expédition.   Les  Espagnols 
après  avoir  navigué  sur  le  Parana, 
et  avoir  remonté  le  Paraguay,  péné- 
trèrent dans  l'intérieur  du  pays  qui 
porte  ce  nom  :  ils  eurent  rà  y  supporter 
toutes  les  misères  de  la  faim  ,  et  à 
combattre  les  Indiens.  Ce  fut  alors 
qu'Ayolas  fit  construire  la  premiè- 
re maison  de  la  ville  de  l'Assomption 
(  1 5  août  1 536)  ;  il  remonta  ensuite  le 
Paraguay  jusqu'au  21°  5'  de  latitu- 
de, et  débarqua  le  2  février  1637 
dans  un  endroit  qu'il  appela  Puerto 
delà  Candelaria  (2).  Il  laissa  Yrala 
dans  ce  lieu  avec  les  troisbrigantins  et 
40  hommes^  en  lui  donnant  Tordre  de 
l'attendre  pendant  six  mois ,  à  moins 
que  les  vivres  ne  lui  manquassent 
entièrement.  Neuf  mois  s'étant  écou- 
lés sans  recevoir  de  nouvelles  d'Ayo- 
las,  et  tous  les  moyens  de  pourvoira 
sa  subsistance  étant  épuisés ,  Yrala  , 
après  avoir  ,  faute  d'étoupes,  calfate' 
ses  navires  avec  les  chemises  de  ses 
gens  ,  se  détermina  à  se  rendre  à  l'As- 
somption pour  s'y  ravitadler  ,ct  il  y 
arriva   vers  la   fin  de  1 537.  Il  en 
repartit  bientôt  pour  se  mettre  à  la 
recherche d'Ayolas  •  il  séjourna  quel- 
que temps  dans  le  pays  des  Paya- 
goas,   d'où  la  faim  le  fit  sortir  j  et 
ce  ne  fut  même  qu'en  faisant  la  guerre 
aux  Indiens  qu'i  l  put  se  procurer  assez 
de  vivres  pour  regagner  l'Assomp- 
tion ,  où  il  trouva  le  capitaine  Fran- 
çois Ruyz  (3)  avec  quelques  navires 
en  assez  bon  état.  Comme  ceux  d'Y- 
rala  étaient  tous  pourris ,  et  qu'il  n'a- 


I 


(3)  Ce  corps  ,  qui  était  vériraWeraent  l'élite  de 
la  jeunesse  grecque  par  la  naissance  ,  le  rang  et 
l'éducation  ,  avait  été  nommé  le  bataillon  sacré. 

(i)Herrera  l'appelle  tantôt  Domingo  Martinez 
de  Ynila ,  et  tantôt  Domingo  Martinez  de  Irala. 
Azara  lui  donne  les  mêmes  noms  et  prénoms  ,  Ul- 
derich  Schinidel  l'appelle  Domingo  Martinez  de 
Ayolas  ,  et  Antonio  Pinelo  ,  Martin  Domingo  de 
A  volas. 


(9.)  Après  avoir  fait  '■emonter  le  Paraguay  jus- 
qu'au 3.1"  5'  ,  à  l'expédition  commandée  par  Ayo- 
las ,  Azara  ajoute  immédiatement  qu'alors  il  dé- 
barqua à  Puerto  de  la  Candelaria,  qui  se  trouve, 
d'après  la  carte  qui  accompagne  ses  voyages,  sur 
le  Parana  ;  cela  ne  paraît  guère  possible ,  car  Ayo- 
las aurait  eu  à  descejidre  la  rivière  du  Paraguay  , 
et  à  remonter  le  Parana  pour  arriver  à  Putrlo  de 
la  Candelaria  ,  situé  sur  ce  dernier  fleuve  ,  et  n'au- 
rait pu  faire  un  trajet  aussi  long  qu'en  beaucoup 
de  temps. 

(3)  Azara  l'appelle  lluiz  Galan. 


YRA 

valt  pas  renonce  au  désir  declierclier 
Ayolas,  il  s'adressa  à  Riiyzpoiir  obte- 
nir la  cession  de  l'un  de  ses  navires , 
à  quoi  celui-ci  consentit,  sous  la  condi- 
tion qu'Yrala  se  reconnaîtrait  son 
vassal.  Craignantd'être  massacre  par 
ce  féroce  compétiteur  s'il  n'acceptait 
pas  cette  dure  proposition ,  Yrala  se 
soumit  à  tout  ce  qu'on  exigea  de  lui , 
et  se  garda  Lien  de  montrer  les  pou- 
voirs qu'il  avait  reçus  d'Ayolas  pour 
gouverner  en  son  absence ,  et  en  cas 
de  mort,  tous  les  pays  qu'il  avait  le 
droit  de  gouverner  lui-même.  Avec 
le  navire  mis  à  sa  disposition  ,  Yra- 
la se  rendit  de  nouveau  dans  le  pays 
des  Payagoas ,  où  il  eut  à  soutenir 
contre  les  Indiens  plusieurs  combats 
dans  lesquels  il  perdit  une  partie  de 
ses  soldats  ;  il  ramena  le  reste  à  l'As- 
somption dans  le  plus  triste  état.  Les 
nouvelles  expéditions  d'Yrala  pour 
de'couvrir  le  sort  d'Ayolas  n'avaient 
encore  produit  aucun  résultat  y  lors- 
qu'un Indien  lui  apprit  que  ce  chef  es- 
pagnol avait  été  massacré  par  les 
Payagoas.  N'ayant  pas  assez  de  for- 
ces pour  entreprendre  de  venger 
sa  mort ,  et  ses  compagnons  l'ayant 
élu  pour  leur  chef,  Yrala  retourna 
à  l'Assomption.  Ce  fut  à  cette  épo- 
que que  l'ordre  du  roi  d'Espa- 
gne y  pour  élire  un  gouverneur  à 
la  pluralité  des  voix  des  conqué- 
rants, au  cas  qu'Ayolas  fût  mort, 
étant  arrivé  à  Buenos- Ayres,  les  prin- 
cipaux capitaines  se  réunirent  à  l'As- 
somption ,  et  élurent  Yrala  qui 
prit  sans  contradiction  les  rênes 
du  gouvernement.  Il  les  tenait  en- 
core lorsque_,  au  mois  de  mars  154*2  , 
Alvar  Nuîiez  Cabeza  de  Vaca  se  pré- 
senta avec  des  pouvoirs  du  roi  d'Es- 
pagne, qui  le  nommait  gouverneur. 
Y  râla  l'accueillit  d'abord  avec  respect 
et  lui  prêta  serment  d'obéissancejmais 
il  paraît  qu'il  netarda  pas  à  chercher 


YRA 


527 


à  le  supplanter  et  même  à  le  faire 
assassiner.  Cabeza  de  Vaca  convain- 
cu qu'il  ne  pourrait  jamais  gouver- 
ner en  paix,  tant  que  cet  homme 
inquiet ,  ambitieux  et  peu  habitué  à 
la  soumission  ,  resterait  à  l'Assomp- 
tion y  chercha  à  l'occuper  ailleurs.  Il 
mit  sous  ses  ordres  trois  brigantins 
et  quatre-vingt-dix  hommes  ,  et  le 
chargea  de  remonter  le  fleuve  du  Pa- 
raguay, de  s'assurer  s'il  existait 
le  long  des  rives  de  ce  fleuve  des  peu- 
plades avec  lesquelles  on  pût  entrer 
en  relation ,  et  de  chercher  un  che- 
min pour  communiquer  avec  le  Pé- 
rou. Yrala  partit  de  l'Assomption  le 
20  novembre  154*2  ,  après  avoir 
pris  avec  lui  800  Guaranys  j  remon- 
ta le  Paraguay  jusqu'à  Las  Piedras- 
Partitas,  au  11^  34%  et  envoya 
de  là  trois  Espagnols  et  un  grand 
nombre  d'Indiens  sous  la  conduite 
du  cacique  Aracaré,  pour  voir  si 
l'on  pourrait  pénétrer  dans  le  Pérou 
de  ce  côté.  Le  6  janvier  ,  il  mouilla 
dans  le  lac  Yaiba ,  qu'il  appela  Pwer- 
to  de  los  Befes  (Port  des  Rois)  par- 
ce qu'il  y  était  arrivé  le  jour  de  l'É- 
piphanie.  En  retournant  à  l'Assomp- 
tion ,  il  rencontra  un  canot  qui  lui 
apportait  l'ordre  positif  de  Cabeza  de 
Vaca,  de  faire  pendre  le  cacique 
Aracaré,  que  la  crainte  des  Indiens 
du  Chaco  avait  déterminé  à  aban- 
donner les  Espagnols.  Il  exécuta  cet 
ordre  en  passant,  et  arriva  heureuse- 
ment au  mois  de  fév.dansla  capitale, 
dont  un  incendie  venait  de  détruire 
un  assez  grand  nombre  de  maisons. 
Yrala  fit  connaître  à  son  retour  plu- 
sieurs nouvelles  peuplades  qu'il  avait 
découvertes  dans  le  Paraguay.  Sui- 
vant son  récit,  il  s'y  trouvait  des 
terres  bien  cultivées  ,  et  il  y  avait 
des  mines  d'or  et  d'argent  aux  en- 
virons de  Puerto  de  los  Reyes.  Les 
Indiens    d'Ypané  ,    Garambaré  et 


528 


YRA 


Atyra,  voulant  venger  la  mort  injus- 
te d'Aracarc,  déclarèrent  la  même 
année  (i543)  la   guerre  aux  Espa- 
gnols, et  Yrala,   envoyé  avec  les 
brigantinset  cent  cinquante  hommes 
pour  les  soumettre  ,  n'en  put  venir 
à   bout   qu'après    un   combat  ,  où 
il  périt  quinze  Espagnols  et  une  mul- 
titude d'Indiens.    Au  mois  de  sep- 
tembre   i543  ,  Yrala  accompagna 
Cabezade  Vaca  dans  une  autre  expé- 
dition (  Foj-.  Cabeza  de  Vaca  ) , 
qui  ne  se  termina  qu'au  commence- 
ment de  l'aimée  suivante.  Les  offi- 
ciers espagnols  placés  sous  les  or- 
dres  de     ce    dernier    nourrissaient 
contre  lui  un  vif  mécontentement, 
parce   qu'il   s'opposait  de  tout  son 
pouvoir  à  leurs  déprédations.  En 
1545,  suivant  Herrera  ,  et  au  mois 
d'avril     i544  ?     suivant    Azara  , 
ils  se  révoltèrent   ouvertement  ,  et 
s'étant  saisis  de  la  personne  de  ce 
gouverneur  ils  le  chargèrent  de  fers , 
et  le  firent  embarquer  sur  un  bâti- 
ment qu'ils  envoyaient  eu  Espagne. 
Yra!a  ,  qui  avait  sous  main  favorisé 
leur  rébellion ,  fut  élu  par  eux  gou- 
verneur ,  parce  qu'on  espérait  qu'il 
fermerait  les  yeux  sur  les  excès  de 
tous  genres  auxquels  les  Espagnols 
se  livraient  loin  de  leur  patrie.  Sur 
le  même  bâtiment  qui    transportait 
en  Espagne  Cabeza  de  Vaca  ,  Yrala 
lit  embarquer  Lope  de  Hugarte,  qu'il 
envoyait  à  la  cour  pour  justifier  sa 
conduite  ,  et  pour  solliciter  la  con- 
firmation   du  poste  qu'il    occupait 
iliégalemeiit.  11  s'empara  des  biens 
de  Cabeza  de  Vaca ,  et  les  distribua  à 
ses  amis  et  à   ses   créatures;   mais 
comme  il  connaissait  mieux   qu'un 
autre    le  caractère   des  aventuriers 
espagnols  ,  il  chercha  à  leur  trouver 
de  l'occupation  pour  les  empêcher 
de  se  révolter;  et  à  faire  quelque  cho- 
se d'utile  à  sa  patrie ,  afin  d'obtenir 


YRA 

non-seulement  le  pardon  de  son  usur- 
pation, mais  encore  les  faveurs  de 
son  souverain.  Il  annonça  en  consé- 
quence qu'il  se  proposait  de  tenter 
de  nouvelles  découvertes;  mais  les 
oificiersqui  avaient  renversé  Cabeza 
de  Vaca  s'opposèrent  formellement  à 
ce  qu'il  quittât  l'Assomption,  et  il  fut 
obligé  de  renoncer  pour  le  moment 
à  son  projet.  Les  Espagnols  établis 
à  l'Assomption  se  trouvaient,  à  cette 
époque,  divisés  en  deux  partis,  à  cha- 
que instant  })rêts  à  s'égorger  :  les  uns 
s'étaient  rangés  du  côté  cL'Yraïa  ,  et 
les  autres  étaient  partisans  de  Juan  de 
Salazar   que  Cabeza  de  Vaca  avait 
nommé  pour  gouverner  en  son  nom  , 
et  que  Yrala  avait  également  fait  sai- 
sir et  embarquer  pour  l'Espagne.  1ns- 
truitsde  ces  divisions, les  Indiens  tour- 
mentés de  toute  manière  par  les  sol- 
dats espagnols  qui  se  livraient  à  une 
licence  ellrénée,  résolurent  de  pro- 
fiter de  la  circonstance  pour  secouer 
le  joug  qui  pesait  sur  eux  ,  et  com- 
mencèrent ])ar  massacrer  plusieurs 
Espagnols.  Pour  empêcher  que  ces 
excès  ne  continuassent ,  Yrala  leva 
des  troupes  ,  fit  alliance  avec  quel- 
ques tribus  indiennes  ,  et  attaquant 
avec  vigueur  les  peuplades  qui  s'é- 
taient révoltées  (4)  ,  ^n  fit  un  grand 
carnage  (  i546)  ,  et  leur  accorda  en- 
suite la  paix,  en  leur  abandonnant 
le  territoire  qu'elles  habitaient  pré- 
cédemment. Poursuivant  ensuite  ses 
projets  de  découvertes,  il  envoya  des 
officiers  qui  lui  étaient  dévoués  ,  pour 
visiter  le  pays  des  Mayas,  avec  4o, 
soldats  ,  en  promettant  de  les  suivre 
bientôt  lui-même  avec  des  forces  plus 
considérables.  Les  officiers  royaux 
voulurent  s'y  opposer  encore  ;  mais 
Yrala  avait  alors  si  bien  établi  son 


(4)  C'étaient  les  Agaces  et  les  Guaranys 
Azara. 


livant    i_ 


YKA 

autorité  ,   qu'ils  furent  obliges  d'y 
consentir.  11  se  mit  donc  en  rnarclie 
au  mois  d'août  i5^()  avec  deux  cent 
cinquante  soldats  (5),  et   un  nom- 
bre    considérable     d'Indiens    auxi- 
liaires. Ayant  remonte  Je  fleuve   à 
une  distance  de  cent  lieues  ,  il  pene'- 
tra  dans  le  pays  des  Mayas,  y  lais- 
sa pour  son  lieutenant  François  de 
Mendoza  ,  et  s'avança  par  terre  jus- 
qu'aux  frontières  du  Pérou.   Après 
avoir  essuyé'  des  fatigues  incroya- 
bles ,  et  mis  tout  à  feu  et  à  sang  sur 
son  passage, ses oiliciers,  mécontents 
de  ce  qu'il  ne  les  conduisait  pas  au 
Pérou  ,  où  ils  espéraient   s'enrichir 
promptement ,  se  révoltèrent  contre 
lui,  et  à  la  suite  d'un  combat  sanglant 
le  forcèrent  àse  dèmettredu  comman- 
dement y  et  nommèrent  à  sa  place 
Gonçalo  de  Mcndoza  avec  lequel  ils 
retournèrent  à  l'Assomption,  par  un 
auire  chemin  aussi  dilticile  que  le 
premier.  Diego  de  Abrcgo,  qu'A- 
zara nomme  Diego  de  Abreu, ennemi 
Ide  Mendozaet  son  compétiteur ,  Tat- 
tjiqua  ,  et  l'ayant  fait  prisonnier  lui 
(it  trancher  la  tête.  Les  oiliciers  ré- 
voltés  se   réconcilièrent  alors   avec 
Yrala  et  l'élurent  de  nouveau  gou- 
VjBrneur.  Celui-ci  attaqua  immédiate- 
ment Abrego  qui  lui  fut  livre  ,  mais 
trouva  moyen  de  s'évader.  Yrala, 
rant  plus  aucun  adversaire  à  re- 
lier, s'occupa  d'améliorer  le  sort 
Indiens  par  des  règlements  .sa- 
li   défendit    de    les    maltrai- 
E,  et  lit  même  pendre  le  capitaine 
lâmargo,  procureur  des  conquérants 
spagnoLs ,  qui  avait  demandé  une 
ouvelic  répartition  des  indigènes.  La 
rainte  que  lui  inspirait  toujours  le 
aractère  des  aventuriers  ralentit  ses 
onnes  dispositions ,  l'empêcha  de  ré- 
r:mcr  leurs  excès ,  et  le  détermina 

iJ]  35o,  suivant  Azar.i. 


YRA  529 

même  à  se  retirer  à  trente  lieues  de 
TAssomptiou ,  oi^i  il  laissa  pour  sou 
lieutenant  le  contador  Ph.deCace- 
res.  La  même  année  (i546) ,  Diego 
de  Abrego,  qui  avait  ramassé  quel- 
ques soldats  ,  ayant  tenié  de  renver- 
ser la  puissance   d' Yrala  ,    celui-ci 
marcha  contre  lui  avec  un  corps  de 
troupes  composé  d'un  peliî.  nombre 
d'Es[)agnols  et  de  quatre  cents  In- 
diens  de  la    nation  des  Yaparmes  , 
le  mit  en  déroule  ,  s'empara  de  lui , 
et  le  fit  mettre   à   mort.    11  mar- 
cha ensuite  contre  les  Mayas  ,  à  la 
tête  de  cent  cinquante  Espagnols  et 
de  trois  mille  Indiens   auxiliaires  ; 
mais,  comme  il  craignait  que  ses  trou- 
pes ne  se  débandassent  pour  aller 
au    Pérou  ,   il   rendit   une    ordon- 
nance très-sévère    contre   ceux   qui 
tenteraient  de  s'enfuir.  Ayant  battu 
les  Mayas  ,  Yrala  se  livra  tout  en- 
tier aux  soips  de  son  gouvernement, 
llerrera  lui   attribue  quelques  actes 
de  tyrannie  qui  le  firent  détester  par 
un  grand  nombre  d'aventuriers.  Vou- 
lant empêcher  que  leurs  plaintes  par- 
vinssent ^  la  cour,  il  prit  des  mesures 
pour  arrêter  toutes  les  correspondan- 
ces ,  et  il  envoya  en  GastUle  un  régi- 
dor  chargé  de  présenter  son  adminis- 
tration  sous    un   aspect  'favorable. 
Nous  ne  parlerons  pas  ici  des  divers 
combats  qu'il  eut  à  livrer  aux  In- 
diens, et  dont  il  sortit  constamment 
victorieux  ,  parce  qu'ils  ne  produisi- 
rent aucun  résultat  important.   En 
1548,  il  envoya  Nuflo  de  Chaves 
pour  continuer  les  découvertes  dans 
les  immenses  pays  qu'il  considérait 
comme  dépendants  de  son  gouverne- 
ment, et  qui  étaient  encore  inconnus. 
Cet  officier,  arrivé  aux  Charcas  ,  se 
rendit  auprès  du  président  de  la  Gas- 
ca  ,  et  trahissant ,,  dit  H  errera ,  celui 
qu'il  représentait,  il  lui  détailla  les 
vices  de  son  administration  ,  ainsi 
34 


53o 


YRA 


que  les  moyens  lyranniqiies  qu'il  em- 
ployait pour  que  ses  actes  arbitrai- 
res ne  fussent  pas  connus.  Il  exas- 
péra tellement  le  président  contre 
Yrala,  que  la  Gasca  nomma  pour  le 
remplacer  le  capitaine  Diego  Centeno 
(6);  mais  cciui-ci  étant  mort  eu  allant 
prendre  possession  de  son  gouverne- 
ment, et  Diego  de  Sanabria,  nou- 
veau compétiteur  d'Yrala,  s'étant 
perdu  avec  deux  navires  chargés  de 
troupes  et  de  munitions,  à  l'entrée 
du  Kio  de  la  Plata,  ce  dernier  resta 
paisible  possesseur  du  poste  qu'on 
avait  voulu  bii  enlever:  il  l'occapait 
encore,  lorsqu'au  mois  de  décem- 
bre i55!2  Uldericb  Sclimidel(F.  ce 
nom^XLI,  182)  se  sépara  de  lui  pour 
retourner  en  Allemagne,  sa  patrie. 
Azara  attribue  à  Yrala  la  fondation 
des  villes  de  San- Juan- Bautista  et 
d'Ontiveros ,  et  assure  que  confirmé 
parla  cour  d'Espagne  ,  avec  des  pou- 
voirs extraordinaires ,  dans  le  gou- 
vernement du  Rio  de  la  Plata ,  il 
forma  plusieurs  peuplades  d'Indiens , 
et  fonda  la  ville  de  Ciudad-Réaî. 
Pour  faciliter  le  passage  au  Pérou  , 
il  avait  au  mois  d'avril  i557  en- 
voyé Nuflo  de  Cbaves  avec  220  sol- 
dats ,  des  bâtiments  et  des  munitions, 
en  lui  ordonnant  de  fonder  une 
ville  sur  le  territoire  des  Indiens- 
Xarayes ,  lorsqu'il  tomba  malade  à 


(())  Schmidel  prétend  qu'Yrala  avait  envoyé 
Nuflo  de  Chaves  à  la  Gasca,  et  que  ce  fut  après 
s'être  concerté  avec  lui  qu'il  donna  à  ses  troupes 
ropdi-e  de  ne  pas  pénétrer  dans  le  Pérou.  Azara  dit 
la  même  chose  et  annonce  que  Niiflo  de  Chaves  re- 
vint à  l'Assomption  avec  plus  de  quarante  volon- 
taires espagnols,  qui  amenaient  par  terre  les  pre- 
mières brebis  et  les  premières  chèvres  qui  sont 
arrivées  au  Paraguay.  Le  même  écrivain  rapporte 
dans  ses  Essais  sur  Vhhloire  naturelie  des  quadru- 
pcdes^  de  La  province  du  Paragtiaj,  pour  prouver  la 
rareté  des  chevaux  dans  ce  pays,  qu'en  i55i  Yrnla 
acheta  au  Paraguay  ,  d'Antoine  Pa;jado  ,  un  che- 
val no'r-jayet,  marqué  en  tète  ,  avant  une  balzane 
au  pied  inontoir  ,  pour  quatre  mille  écus  d'or  de 
4oo  maravedis  chacun  (  environ  43)COo  francs  )  , 
payables  des  premiers  proHis  que  procurerait  la 
conquête,  et  qu'il  donne)  pour  caution  le  capitaine 
Nuflo  de  Chaves  ,  et  d'autres  personnes. 


YRA 

ia  peuplade  d'Y'^la;  on  le  ramena 
à  l'Assomption,  011  il  mourut  au  bout 
de  sept  jours  de  maladie,  àràge  de 
soixante-dix  ans  (7).  Ce  chef,  regret-*! 
té  de  toute  la  colonie, laissa  la  repu-» 
tation  de  l'un  des  conquérants  espa- 
gnols les  plushabiîesetlesplus  entre- 
prenants ;8).  Uldericb  Schmidel  ra- 
conte dans  la  relation  de  son  voyage, 
chap.  Li  (  traduct.  espagn.  ),  que 
lorsque  Yrala,  qu'il  appelle  Ayolas, 
lui  accorda  la  permission  de  retour- 
ner en  Europe ,  il  lui  donna  en  mèm« 
temps,  pour  le  roi  d'Espagne,  des 
lettres  de  recommandation ,  dans  les* 
quelles  il  faisait  la  description  d( 
toutes  les  provinces  d«  Rio  de  h 
Pla ta  ^  et  le  voyageur  allemand  ajout< 
qu'il  remit  exactement  ces  lettres  (9) 
D.  Antonio  Pinelo  en  fait  mention  dani 
son Epitome  delà  Bibliotheca  orien 
tal  j  occidental ,  etc.  On  peut  con- 
sulter, sur  les  actions  de  Yrala  ^  Her- 
rera ,  Décad.v,  vi ,  vu  etviii;  VHis 
toria  y  descuhrimiento  del  Rio  d 
la  Plata  y  Paraguay ^  par  Ulde 
rich  Schmidel;  les  Voyages  dan. 
V Amérique  méridionale  et  les  Es^ 
sais  sur  Vhistoire  naturelle  des  que 
drupèdes  de  la  province  du  Para 
guay ,  de  don  Félix  de  Azara.  Iles 
difficile  de  concilier  ces  trois  histO' 
riens  ^  dont  les  récits  sont  souvent  ui 
peu  Confus,  et  présentent  quelquefois 
des  contradictions.        D — z — s. 


(7]  Dans  ses   Essais    sur  l'histoire  naturelle  di 
(luadrtipèdes   de   la  province  du   Pamt^nay ,    do 
Félix  d' Azara  le  fait  mourir  en  i556  ;  il  ne  seraiH 
mort  qu'en  i55r,  suivant  le  même  écrivain,  V'ora- 
ge5  dans  l'Amérique  méridionale. 

(8)  11  déclare  dans  son  testament  ,  qu' Azara 
avait  vu ,  qu'il  avait  eu  des  enfimts  de  sept  II 
diennes  qui  étaient  sœurs. 

(())  Voici  comment  s'exprime  Schmidel  dans  , 
traduction  espagnole  de  son  voyage  publié 
Barcia  :  «  me  dio  licencia  ,  con  mucho  honor. 
CARTAS  PARA  EL  REI  ,  en  que  despues  de  HA 
CUENTA  DE  TODAS  LAS  PROVINCIAS  DEL  Rio  " 
L  ^  Plata  ,  pondemba  lo  que  Yo  liat'ia  servido 
e/Zfl.î  :  HABIENDO  LLEGADO  A  SEVILLA  E.VTR| 
GUE  \0  aUSMO  ESTAS  CARTAS  AL  REI,  etc. 


YRI 

YRIARÏE  ou  IRIARTE  (Don 
Juan  de),  savant  espagnol,  na- 
quit le  i5  de'cembre  1702  ,  au 
port  d'Orotava  ,  dans  l'île  de  Té- 
nëriffe.  Envoyé  à  Paris  ,  pour  y  fai- 
re ses  e'fudes  ,  il  apprit  le  grec , 
au  coilege  de  Louis-le- Grand  ,  sous 
le  P.  Porce,  et  fut  le  condisciple  de 
Voltaire.  11  se  rendit  à  I.cndres ,  huit 
ans  après,  y  fit  une  assez  longue  rési- 
dence, et  retO'Unartux  îles  Canaries. 
Enfin,  il  se  fixa  à  Madrid,  en  1724. 
Sa  réputation  l'y  avait  devance' ,  et 
ses  connaissances  le  firent  placer  suc- 
cessivement comme  précepteur  du 
duc  de  Bejar,  du  duc  d'Albe  et  de 
don  Manuel ,  infant  de  Portugal.  Le 
roi  Ferdinand  VI  le  nomma, en  1732, 
garde  de  la  bibliothèque  royale  de 
Madrid,  à  laquelle  Yriarte  ajouta 
deux  mille  manuscrits  et  plus  de  dix. 
mille  volumes.  Ce  prince  lui  donna 
aussi  une  place  de  traducteur-inter- 
prète à  la  première  secretairerie 
d'état  et  des  dépêches  ou  ministè- 
re des  affaires  étrangères.  Yriarte 
fut  charge  en  même  temps  de  la  re'- 
daction  d'un  dictionnaire  latin -es- 
pagnol. Nommé  membre  de  l'aca- 
aémie  royale  espagnole,  il  futun  des 
principaux  collaborateurs  du  diction- 
naire et  de  la  grammaire  de  la  lan- 
gue espagnole ,  publiés  par  cette  aca- 
démie. Il  mourut, à  Madrid  le  i3 
août  177 1.  Ou  a  de  lui  :  I.  Fêlas- 
eus  et  Gonzalides  ijigenuarum  ar- 
tiuîn  monumentis  consecrati ,  Ma- 
drid ,  179.5.  II.  Regia  madritensis 
hibliotheca  geographica  et  chro- 
nologica  ,  Madrid  ,  1729.  III. 
Begia  madritensis  hibliotheca  ma- 
thematica  ,  Madrid,  i~3o.  IV. 
Novus  artium  orhis  à  Ferdinando 
VI  rege  repertus ,  Madrid,  1754. 
V.  Caroli  III ,  régis  in  regiam 
urhem  ingressus  ,  ah  ingenuis  ar- 
tibus  exornatior,  Madrid  ,    1759. 


YBI 


53: 


VI.  Paléographie  grecque ,  Ma- 
drid ,  17.  .  .  ,  vol.  in  -  4<>.  VII. 
Megice  hibliothecœ  madritensis  co- 
dices  grœci  manuscripti ,  Ma- 
drid, 1769,  in-fol.  ,  tome  \^^\  ;  le 
second  n'a  pas  paru.  VIII.  Gram- 
maire latÏTie  en  vers  castillans  , 
avec  une  nouvelle  méthode  et  de 
nouvelles  observations  ,  et  une  ex- 
plication en  prose  ,  Madrid  ,  177 1 , 
in-4°.  ,  8«.  édition  ,  i8îio,  in-S». 
IX.  Traduction  latine  abrégée  de 
la  dissertation  du  P.  Martini  Sar- 
miento,  sur  l'origine  des  noms  de 
l'Escurial  ,  d'Aranjuez  et  de  Bal- 
sain.  Cette  traduction  a  été  insérée 
par  Casiri ,  son  ami,  dans  le  tome 
II  de  sa  Bibliotheca  arah.  hispan. 
Yriarte  a  donné  ses  soins,  et  a  con- 
tribué à  ce  dernier  ouvrage,  dans  le- 
quel on  trouve  de  lui  quelques  tra- 
ductions en  vers  latins  de  poésies  ara- 
bes (  Foy.  Valada).  X.  OEuvres 
choisies  en  prose  et  en  vers  ,  pu- 
bliées par  les  soins  de  ses  ne- 
veux, Madrid,  1774;»  2  vol.  in- 
4*^.  XI.  Des  Articles  littéraires 
dans  les  journaux  de  Madrid  ,  entre 
autres  une  critique  des  Lettres  la- 
tines de  Marti ,  doyen  d'Alicante  , 
et  de  la  Poétique  de  Luzan,  etc. 
XII.  Des  Epigrammes  latines  , 
genre  dans  lequel  Yriarte  a  souvent 
réussi.  Il  a  laissé  en  manuscrit  :  T. 
Histoire  des  îles  Canaries,  II. 
Bibliothèque  des  écrivains  de  ces 
îles,  III.  Bibliothèque  générale  de 
tous  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur 
VEspagne.  On  lui  doit  aussi  des 
corrections  et  des  additions  à  la 
Bibliothèque  espagnole  de  don  Ni- 
colas Antonio.  11  a  composé  les  épi- 
taphes  latines  que  l'on  voit  sur  les 
tombeaux  de  Ferdinand  VI  et  de 
la  reine  Barbe  son  épouse.  —  Ignace 
^Yriarte,  peintre ,  né  dans  la  Bis- 
caye en  i635  ,  et  mort  à  Séyille  en 

34.. 


i32 


YP>I 


YRI 


iG85,fut  regarde  comme  le  plus 
•^rand  paysagiste  de  son  temps.  Ses 
meilleurs  tableaux  se  trouvent  dans 
divers  cabinets  de  Sp'ville.      A — t. 

YRIARTE  (  Don  Domiisgo  de  ) , 
neveu  de  don  Juan  (  Foj.  l'article 
précèdent  ) ,  ne'  dans  l'île  de  Tenc- 
rilïé ,  en  i  'ji\6 ,  entra  de  bonne  heure 
dans  la  diplomatie.  Apres  une  lon- 
gue résidence ,  comme  secrétaire 
d'ambassade  et  charge  d'afïaires, 
à  Vienne  et  à  Paris  j  après  avoir 
fait  preuve  de  zè!e  et  de  talents 
dans  les  diverses  négociations  qui 
lui  avaient  été  confiées ,  il  fut  nom- 
mé ministre  plénipotentiaire  au- 
près du  roi  et  de  la  république  de 
Pologne.  Il  se  rendit  ensuite  à  Bâle^ 
avec  le  même  titre  ,  et  y  signa  ,  le  l'i 
juillet  1795,  avec  M.  Barthélémy, 
la  paix  entre  le  roi  son  maître  et  la 
république  française.  Il  en  revint 
malade,  et  fut  obligé  de  s'arrêter  à 
Girone,  oii  il  mourut,  le  l'i  novem- 
bre de  la  même  année,  entre  les  bras 
de  l'évêque  de  cette  ville.  Il  était 
chevalier  de  l'ordre  de  Charles  ITl , 
ministre  honoraire  du  conseil-d'é- 
tat, après  l'avoir  été  du  conseil 
suprême  de  la  guerre,  et  il  venait 
d'être  nommé  à  l'ambassade  de 
France.  — Don  Bernard  de  Yriar- 
TE ,  frère  aîné  du  précédent ,  né  vers 
1734,  se  distingua  aussi  dans  les 
lettres  ,  les  arts  ,  la  politique  et  l'ad- 
ministration. Membre  du  conseil  du 
roi  et  du  conseil  des  Indes,  et  che- 
valier de  l'ordre  de  Charles  HT ,  il 
était  en  même  temps  conseiller  de 
l'académie  royale  de  Saint -Ferdi- 
nand ,  et  il  en  fut  nommé  prolecteur 
par  Charles  iV,  en  mars  179'^.  A 
l'époque  de  l'invasion  des  Français, 
il  prit  j>arti  pour  Joseph  Buonapar- 
te  ,  et  fut  nommé  conseiller -d'état 
on  1808.  Après  la  rentrée  de  Ferdi- 
nand Vil  en  Espagne,  Y^riartc  se  re- 


tira en  France,  et  mourut  à  Bor- 
deaux le  11  juillet  1814.      A — t. 

YRIARTE  (Don  Thomas  de  ), 
célèbre  poète  espagnol  ,  frère  puî- 
né des  précédents ,  naquit  aussi 
dans  l'île  de  Ténérifll'e  ,  vers  l'an 
1760.  Appelé  à  Madrid  par  son 
oncle  don  Juan,  il  y  fit  de  rapi- 
des progrès  dans  les  langues  ancien- 
nes et  modernes ,  fut  placé  dans  les 
bureaux  du  gouvernement,  et  par- 
vint à  l'emploi  de  chef  des  archives 
de  la  première  secrétairerie  d'état. 
Les  loisirs  que  lui  laissait  sa  place 
lui  permettant  de  cultiverles  lettres,  et 
ses  premiers  essais  l'ayant  fait  promp- 
teraent  connaître,  il  fut  chargé,  en 
1771  ,  de  la  direction  du  Mercure 
de  Madrid  ;  et  ce  journal ,  qui  n'avait 
guère  été  jusqu'alors  qu'une  insipide 
traduction  delà  Gazette A^XdiWà) q  , 
devint  par  ses  soins  un  répertoire  d( 
documents  utiles  et  agréables.  L'étude 
approfondie  des  différentes  liltéri] 
tures  de  l'Europe,  en  lui  faisant  ap| 
précier  les  défauts  du  théâtre  espai 
guol ,  lui  inspira  le  désir  d'offrir 
ses  compatriotes  des  compositionJ 
plus  régulières ,  et  non  moins  intéi 
ressantes  que  celles  qui  conservaicnl 
le  privilège  d'attii;er  la  foule.  D« 
1769  à  1772^  il  avait  publié  de^ 
traductions  de  plusieurs  pièces  du 
théâtre  français  ,  le  Philosophe  mai 
jiéàe  Destouches  ^  V  Orphelin  de  h 
Chine  de  Voltaire,  etc.  En  17 78, 
il  lit  jouer  une  comédie  en  trois  acte? 
et  en  vers  :  El  Senorilo  mimadc 
(  l'Enfant  gâté  ) ,  qui  reçut  l'accueil" 
le  plus  flatteur.  Détourné  de  la  car- 
rière du  théâtre  par  d'autres  travaux 
littéraires ,  il  n'y  reparut  qu'en  1 788; 
et  ce  fut  pour  lui  l'occasion  d'un 
nouveau  triomphe.  La  Sehorita  mal- 
criada  (  la  Demoiselle  mal  élevée  ) 
n'eut  pas  moins  de  succès  que  sa  pre- 
mière pièce  dont  elle  était  comme  le 


YKl 

j)ciidant.Yriarte  avait  concouru  ,  eu 
1781,  pour  le  prix  de  poésie  à  l'aca- 
deraie  espagnole  ;  mais  une  Idylle 
de  Juan  JVIelendez  Valdez  (  V.  ce 
nom  XXVIII,  199)  fut  couronnée  ; 
Yriarte ,  dont  la  pièce  n'avait  obtenu 
(jue  l'accessit,  ne  souscrivit  point  au 
jugcnient  de  l'académie,  et  eut  le 
tort  de  laisser  percer  sa  mauvaise 
humeur  en  insérant ,  dans  son  jour- 
nal ,  une  critique  injuste  de  l'ouvrage 
de  son  rival.  Le  succès  éclatant  que 
venait  d'obtenir  son  poème  de  la 
Musique  aurait  dû  le  rendre  moins 
sensible  à  ce  léger  ëcliec.  Ce  poème , 
le  plusl)eau  litre  d' Yriarte,  avec  ses 
fables  littéraires ,  est  regardé  géné- 
ralement comme  un  des  chefs-d'œu- 
vre du  Parnasse  espagnol.  Il  est  di- 
visé en  cinq  chants  ou  livres.  Dans 
le  premier  l'auteur  traite  des  élé- 
ments de  l'art  ;  dans  le  second  ,  de 
l'expression^  dans  le  troisième,  de  la 
dignité  de  la  musique  et  de  son  em- 
j)loi  dans  les  cérémonies  religieuses. 
Le  quatrième  renferme  des  préceptes 
sur  l'usage  qu'on  peut  faire  de  cet 
oj't  dans  les  fàes  et  au  théâtre  ;  et  en- 
lin  le  cinquième  enseigne  les  ressour- 
ces qu'il  offre  dans  la  solitude  et  dans 
la  vie  privée.  Au  mérite  d'un  plan 
bien  conçu,  d'une  ordonnance  simple 
et  régulière ,  ce  poème  joint  celui  d'ê- 
tre écrit  dans  un  style  pur  et  élégant. 
L'heureux  emploi  d'images  emprun- 
tées à  la  mythologie ,  des  épisodes 
bien  choisis  viennent  délasser  delà  sé- 
cheresse inséparable  des  détails  tech- 
niques ,  et  en  rendent  la  lecture  très- 
intéressante.  Yriarte  est  le  premier 
Espagnol  qui  ait  publié  des  fables 
originales.  11  s'était  préparé  à  ce 
genre  de  composition  par  une  étude 
spéciale  des  fabulistes  anciens  et  mo- 
dernes, et  surtout  de  Phèdre  dont  il 
a  traduit  quatorze  fables.  Le  titre  de 
Fabulas  literarias  que  porte  son  re- 


YRÏ  533 

cueil ,  vient  de  ce  que  l'auteur  ne  s'est 
attaché  dans  ses  apologues  qu'à  si- 
gnaler les  travers  et  les  défauts  des 
littérateurs,  en  établissant  leurs  rap- 
ports avec  les  animaux  qu'il  a  mis 
en  scène.  Avant  lui,  le  P.  Cordara 
s'était  proposé  le  mt^me  but  dans 
ses  satires  intitulées  :  De  totd  Grœ- 
culoram  hujus  œtaiis  litteraturd 
(  F.  Cordara  ,  IX ,  5(58).  Les  Fables 
d'Yriarte,  suivant  Bouterwek  (  His- 
toire de  la  littérature  espagnole) ^se 
recommandent  non  -  seulement  par 
une  diction  pure  et  une  versification 
élégante  ,  mais  encore  par  une  cer- 
taine grâce  naïve  qu'on  serait  tenté 
de  croire  imitée  de  La  Fontaine,  mais 
qui  est  due  à  une  tout  autre  cause 
qu'à  l'imitation  d'un  modèle  étran- 
ger. Les  plus  naïves  sont  celles  qu'il 
a  écrites  en  Redondilla s  ou  sur  d'au- 
tres mètres  anciens.  Il  est  cependant 
certain  qu'elles  sont  essentiellement 
satiriques ,  et  que  la  naïveté  y  est  pres- 
que toujours  remplacée  par  la  fines- 
se et  la  causticité-  La  gloire  qu'Y- 
riarte  s'était  acquise  par  ses  travaux 
ne  pouvait  manquer  d'exciter  contre 
lui  l'envie.  En  butte  aux  attaques 
grossières  des  écrivains  les  plus  mé- 
diocres ,  il  s'abaissa  jusqu'à  leur  ré- 
pondre. Ce  fut  un  tort  d'autant  plus 
grand  ,  que,  malgré  l'entière  justice 
de  sa  cause ,  il  resta  constamment  au- 
dessous  de  lui-même  dans  ces  sortes 
de  combats.  Soupçonné  de  professer 
la  philosophie  anti-chrétienne,  il  fut 
poursuivi  par  l'inquisition  de  .Ma- 
drid, en  1786,  et  il  eut  la  ville  pour 
prison ,  avec  ordre  de  comparaître 
au  premier  avertissement.  La  procé- 
dure fut  instruite  en  secret;  mais, 
malgré  ses  réponses  satisfaisantes, 
il  ne  put  être  entièrement  déchargé 
des  accusations  dirigées  contre  lui , 
et  fut  déclaré  légèrement  suspect. 
Ayant  abjuré  alors,  il  obtint  l'abso- 


lutioii  à  huis  clos,  moyennant  une 
pénitence  qui  lui  fut  imposée  ,  et 
qui  est  resle'e  à  peu  près  secrète. 
Cet  illustre  poète  ,  attaque'  d'épi- 
lepsie ,  mourut  au  port  de  Sainte- 
Marie,  d'une  maladie  aiguë,  vers 
1790  ou  1791  ,  n'ayant  guère  que 
quarante  ans.  Outre  les  deux  Co- 
médies dont  on  a  parlé,  on  a  de  lui  : 

I.  El  Don  de  pentes  o  la  Hava- 
Tiera y  come'dic  en  trois  actes,  non 
représentée  ou  qui  du  moins  n'eut 
aucun  succès,  et  plusieurs  intermèdes. 

II.  LaMiisica,  poema ,  Madrid, 
1779,  grand  in-H». ,  fig. ,  édition  ti- 
rée à  petit  nombre^  ilDid.,  1784  , 
grand  in-8".-  ibid. ,  1789,  petit  in- 
4°.  ;  traduit  en  italien  par  l'abbé  Ant. 
Garzia  ,  Venise,  17H9,  in-4^.,  édi- 
tion d'une  exécution  magnifique  ;  en 
français  par  Grain  ville ,  Paris ,  1 800, 
in-i2  (  Voj.  Grainville  ,  XVIII  , 
275).  Cette  version  fourmille  de  fau- 
tes et  de  contre-sens.  L'auteur  d'un 
poème  en  quatre  cliants,  sur  la  Mu- 
sique, publié  en  181 1,  cite  dans  ses 
notes  des  morceaux,  de  l'ouvrage 
d'Yriarte ,  traduits  en  vers  français, 
oij  l'on  trouve  du  talent  et  de  la  fa- 
cilité. Toutefois  on  attend  encore 
une  bonne  traduction  française  du 
poème  d'Yriarte  :  John  Bclfour  en 
a  donné  une  en  anglais,  181 1, 
in  -  8».  III.  Fabulas  literarias  , 
Madrid,  178'2 ,  petit  in-4*'.  Cette 
édition  et  les  deux  suivantes  ne  ren  - 
ferment  que  soixante-sept  fables*  la 
cinquième  en  contient  soixante-sei- 
ze. Florian  a  imité  plusieurs  fables 
d'Yriarte.  Elles  ont  été  traduites 
en  vers   français    par    M.     Lanos, 


Pa 


:8oi 


et    en    prose    par 


M.  Lhomandie,  ibid.,  i8o4,  in-12. 
Elles  ont  aussi  été  traduites  en  alle- 
mand par  Berterch,  Leipzig,  1788, 
in- 18  5  en  portugais  ,  Valladolid  , 
1804?  iD-8".  j  et  imitées  en  vers  an- 


YRI 

glais par  John Belfour,  i8o4,in-i2 
Ces  différentes  versions  ne  contien- 
nent que  soixante-sept  fables.  M.  Joly 
(  de  Salins  ) ,  connu  par  ses  traduc- 
tions des  fjibles  de  Phèdre  et  de  Gay 
(  Voj.  ces  noms  ),  vient  d'en  termi' 
ner  une  du  fabuliste  espagnol ,  qui 
sera  la  première  complète  dans  notre 
langue.  IV.  Des  Epitres  morales.  La 
huitième  est  adressée  au  célèbre  Mé- 
tasta  se,  dontYriarte  avait  reçu  une  let- 
tre flatteuse  sur  son  poème  de  la  Musi- 
que. V.  Une  Traduction  aussi  cor- 
recte qu'élégante  de  VArt  poétique 
d'Horace.  VI.  La  traduction  en  vers 
des  quatre  premiers  livres  de  VÈ~ 
néide.  VII.  Des  Mélanges  critiques 
et  littéraires  en  prose.  Les  OEuvi'es 
d'Yriarte  ont  été  réunies  sous  ce  ti- 
tre :  Colleccion  de  cbras  en  verso 
r  prosa ,  Madrid  ,  1787  ,  6  vol.  in- 
8".  Outre  les  ouvrages  que  nous  avons 
cités,  on  y  trouve  un  drame  en  m 
acte,  la  Libreria ;  et  un  fort  lonj 
dialogue  sérieux  -  badin  ,  intitidé 
JJonde  las  dan  la  tomany  où  il  ex- 
plique les  passages  les  plus  difiicilei 
de  Y  Art  poétique  d'Horace ,  e1 
juge  quelques  pièces  de  poésies  du 
Parnasse  espagnol  j  le  tout  précède 
de  préfaces,  et  accompagné  dénotes 
critiques  et  philologiques.  Les  ma 
tières  y  sont  rangées  sans  ordre  et 
comme  au  hasard.  Nous  pensons  que 
l'édition  des  OEuvres  de  ce  grand 
poète  ,  publiée  à  Madrid  ,  i8o5,  8 
vol.  in~8o. ,  doit  êfre  plus  complète 
et  en  meilleur  ordie  que  la  précé 
dente.  Don  Carlos  Pignatelli  a  publié 
r^/oge historique  d'Yriarte.  On  doit 
à  M.  Joly  ,  que  lious  venons  de  citer, 
une  Notice  sur  cet  écrivain ,  inséré^ 
dans  le  Bépertoire  de  littérature 
dont  on  s'est  servi  pour  la  rédactioi 
de  cet  article.  A — t  et  W — s. 

YRIEIX  ou  YR1ER( Saint) 
en  latin  Aredius ,  Aridius  y  uaquitj 


YRI 

Tan  5  M  ,  à  Limoges ,  d'une  famille 
très-dislingucc ,  et  fit  de  grands  pro- 
grès dans  les  lettres ,  par  les  soins  de 
Joconde,  son  père,  favori  du  roi 
Thëodebert.  Présente  lui-même  à  la 
cour  de  ce  prince  ,  il  gagna  son  af- 
fection ,   et  devint  son   chancelier. 
Mais  après  la  mort  de   Joconde  il 
quitta  la  cour ,  renonça  aux  espé- 
rances flatteuses  que  lui  offrait  la  fa- 
veur du  monarque,  et  retourna  à  Li- 
moges ,  pour  consoler  sa  mère  Péla- 
gie. Lui  ayant  confié  l'administration 
de  ses  biens,  qui  étaient  très-considé- 
rables ,  il  bâtit  et  fonda  le  monastère 
d'Atane,  qui  depuis  a  pris  le  nom  de 
son  fondateur.  II  y  reçut  ceux  de  ses 
serfs  qui  voulurent  le  suivre;  et  il  les 
affranchit  en  les  admettant  à  la  vie 
religieuse.  La  principale  occupation 
de  ces  pieux  solitaires  consistait  à 
transcrire  des  livres  ,  que  leur  abbé 
distribuait    aux   paroisses    voisines 
de  son   monastère.  Le   3i    octobre 
5'j'2,  la  onzième  année  du  règne  de 
Sigebert ,  à   qui  Limoges   apparte- 
nait, Yrieix  écrivit  de  sa  main  son 
testament.  Dès  le  commencement ,  il 
déclare  que  l'acte  lui  est  commun 
avec  Pélagie,  sa  mère,  saine,  com- 
me lui , d'esprit  et  de  jugement,  et  que 
tous  deux  sont  maîtres  de  leurs  biens. 
Ils  instituent  saint  Martin  leur  héri- 
tier universel ,  en  donnant  toutefois 
des  biens  considérables  au  monastère 
d'Atane.  Après  avoir  indiqué  en  dé- 
tail les  vases  d'or ,  d'argent  et  autres 
choses  précieuses  qu'il   léguait,  en 
marquant  le  prix  de  chacune,  Yrieix 
alTranchit  un  grand  nombre  d'escla- 
ves des  deux  sexes ,  mariés  et  non 
mariés.  D.  Mabillon  a  inséré  dans 
ses  Analecta ,  viii ,  avec  la  Vie  du 
saint ,  cet  acte  précieux  pour  l'his- 
toire ainsi   que  pour   l'archéologie 
de  cette  époque.  Yrieix  mourut  au 
mois  de  juillet  Sgi.On  célèbre   sa 


YSA 


535 


fête  le  25  août.  Le  monastère  qu'il 
fonda  devint  plus  tard  une  collégia- 
le de  chanoines  réguliers.  La  ville 
d'Yrieix ,  qui  s'est  formée  autour  du 
couvent,  est  aujourd'hui  chef-lieu 
d*un  arrondissement  du  département 
de  la  Haute-Vienne.  G — y. 

YSABEAU    (  Alexandre  -  Clé- 
ment), membre  de  la  Convention 
nationale,  appartenait  à  la  congré- 
gation de  l'Oratoire.  Il  était  préfet 
du  collège  de  Tours;  et,  lorsque  la  ré- 
volution éclata,il  en  adopta  les  prin- 
cipes avec  beaucoup  de  chaleur  et  de- 
vint grand-vicaire  de  Tévêque  cons- 
titutionnel de  Tours.  Plus  tard  il  re- 
nonça à  la  prêtrise,  et  se  maria  avec 
la  fille  d'un  épicier  de  cette  ville.  Il 
fut  nommé,  en  1792  ,  par  le  dépar- 
tement d'Indre-et-Loire  ,  député  à 
la  Convention  nationale.  Dans  le  pro- 
cès deLouisXVI ,  il  vota  contre  l'ap- 
pel au  peuple ,  pour  la  mort ,  et  con- 
tre le  sursis.  Il  fit  souvent  des  rap- 
ports au  nom  des  comités  des  péti- 
tions et  de  correspondance,*   mais  ce 
fut  surtout  dans  sa  mission  de  la  Gi- 
ronde ,  où  il  avait  été   envoyé   avec 
Tallicn  et  Baudot,  qu'il  acquit  une 
funeste  célébrité.  Selon  le  langage  du 
temps ,  il  y  mit  la  terreur  a  l'ordre 
du  jour  (  y.  Tallien  ).  On  peut  ju- 
ger des  sentiments  qu'il  professait, 
par  sa  correspondance  insérée  dans 
le  Moniteur.  Dans  une  lettre  écri- 
te de  la   Réole  ,    le  8  octobre,  il 
annonçait  l'arrestation  de  l'ex-dé- 
puté    Duchatel  ,    de    Marchienne  , 
secrétaire  de  Brissot,  de  la  femme 
de  Puisayc  ,  général  du  roi  Buzot , 
etd'un  jeunehomme nommé  Mahon  : 
puis  il  finissait  par  assurer  qu'il  tra- 
vaillait nuit  et  jour,  ainsi  que  ses  col- 
lègues ,  à  purger  le  pays  des  scélé- 
rats qui  y  abondaient.  Dans  une  dé- 
pêche du   28  octobre,  signée  aussi 
par  Tallien  ,   on   lisait  ces  mots  : 


536 


YSA 


«  La  punition  des  coupables  com- 
))  menée  et  ne  finira  que  lorsque  les 
»  chefs  delà  conspiration  auront  su- 
»  Li  la  peine  due  au  plus  grand  des 
»  crimes.*  Lavauguyon  (  adminis- 
»  trateur  de  la  marine  )  a  ete  guillo- 
»  tiuë  aux  acclamations  d'un  peuple 
»  immense,  etc.  »  Tallien  ayant  été 
rappelé'  sur  l'accusation  de  mode- 
rantisrae  ,  Ysabeau  eut  recours  à  de 
nouveaux  supplices  pour  se  laver  du 
même  reproclie.  «  Les  arrestations 
»  continuent,  ecrivait-il  le  ii  mars 
))  I794j  et  j'ai  pris  le  parti  de  ne 
))  plus  relâcher  aucun  ci- devant  no- 
w  ble,même  avec  les  preuves  de  pa- 
»  triotisme  mentionnées  dans  la  loi 
»  du  I  -y  septembre  (  style  slave  ) , 
»  parce  qu'on  peut  être  aisément 
»  trompe'  sur  ces  preuves.  La  guillo- 
»  tine  a  fait  justice  d'un  prêtre  as- 
»  sermenle^  coupable  de  royalisme  j 
»  £.ujourd*hui  il  y  paraîtra  une  reîi- 
»  gieuse....  »  La  fureur  d' Ysabeau 
s'était  d'abord  déchaînée  contre  les 
girondins.  Prudhomme  l'accuse  d'a- 
voir cherché  ,  par  des  moyens  in- 
fâmes, à  séduire  une  petite  fille 
pour  savoir  la  retraite  de  Gua- 
det.  Quoi  qu'il  en  soit ,  Ysabeau  parut 
se  modérer  ensuite.  Cetex-oratorien, 
assez  instruit ,  mais  insouciant  et 
paresseux,  ne  s'était  comme  tant 
d'autres  jeté  que  par  crainte  dans  le 
parti  des  jacoloins  sanguinaires,  après 
avoir  d'abord  embrassé  celui  de  la 
révolution  par  une  amb'tion  coupa- 
ble. Plus  occupé  de  littérature  et 
des  plaisirs  de  la  table  que  de  ses 
devoirs  de  législateur ,  Ysabeau  eut 
moins  de  part  aux  cruautés  qui  se 
commirent  en  son  nom,  qu'un  cer- 
tain Valette  ,  sou  secrétaire.  Ce  der- 
nier s'enrichit  tellement  ^  en  abusant 
du  crédit  de  son  patron ,  qu'il  acheta 
depuis  hôtel  _,  voiture  ,  terres  ,  etc. 
Ysabeau,  au  contraire, ne  fit  jamais 


YSA 

fortune.  Prudhomme  raconte  que 
Valette  lit  signer  à  Ysabeau  un 
arrêté  par  lequel  une  énorme  réqui- 
sition de  sucre,  de  -café  et  autres] 
denrées  coloniales  était  frappée  sur 
le  commerce  de  Bordeaux,  comme 
étant  destinée  pour  la  république. 
Ce  secrétaire,  une  fois  possesseur  de 
ces  objets  ,  les  vendit  avec  un  bénéfi- 
ce considérable  ,  et  tel  fut  le  princi- 
pe de  sa  fortune.  Après  avoir  mérité^ 
le  nom  de  terroriste,  Ysabeau futac-j 
cusé  de  modérantisme.  Le  comité  dej 
salut  public  admit  cette  denoncia 
tion ,  et  il  fut  rappelé.  La  journée  du 
g  thermidor  (27  juillet  1794),  à  la-J 
quelle  il  prit  part  avec  Tallien,  lui 
rendit  quelque  influence  dans  la  Con- 
vention. Une  seconde  mission  lui| 
fut  confiée  dans  la  Gironde,  où, 
par  une  conduite  juste  et  ferme,  il 
travailla  à  réparer  le  mal  qu'il  avait 
fait  avec  ses  collègues.  Il  fit  resti- 
tuer aux  familles  les  biens  de  ses 
victimes  ,  et  mettre  en  jugemeni 
le  }>résideut  du  tribunal  révolu 
tionnaire.  Ces  mesures  excitèrent 
les  mécontentements  des  révolution^ 
naires  de  la  Convention  ;  et  Le- 
cointre  de  Versailles  provoqua  ui 
décret  portant  le  rappel  d'Ysabeai 
(  29  nov.  1794  ).  Lié  avec  les  ther- 
midoriens, celui-ci  parvint  à  se  sou- 
tenir dans  l'assemblée  et  même  à  y 
conserver  son  crédit  :  il  fut  élu  secre'J 
taire  le  4  février  1795,  et  devini 
ensuite  membre  du  comité  de  surete 
générale.  Lors  des  mouvements  po- 
pulaires du  12  germinal  an  m  (i^»'. 
avril  1795  )  ,  il  signala  les  chefs  qui 
les  dirigeaient ,  et  dans  divers  rap- 
ports présentés  à  la  Convention  , 
il  proposa  les  mesures  à  prendrai 
contre  les  terroristes  •  néanmoins 
se  rapprocha  d'eux  vers  la  fin  dt 
l'année  ,  signala  les  émigrés  et  le^ 
prêtres  comme  les  deux  plus  granc"  " 


YSA. 

fléaux  de  la  re'publiqiic ,  et  demanda 
leur  dcporlation.  i\.  l'appioclie  du 
i3  vendémiaire  an  iv  (  5  octobre 
j'jg5),  il  se  déclara  contre  les 
sections  de  Paris,  et  quelques  jours 
après  il  fit  devant  la  Convention 
l'analyse  des  pièces  trouvées  chez 
Lemaître,  agent  royaliste.  Réélu  au 
conseil  des  anciens  _,  Ysabcau  parut 
souvent  à  la  tribune  comme  rappor- 
teur de  diverses  commissions.  Il  se 
prononça  fortement  en  faveur  de  la 
majorité  du  directoire,  à  l'époque 
du  i8  fructidor  an  v  (  4  septembre 
1797  ).  Le  lendemain  de  cette  jour- 
née il  insista  sur  la  nécessité  de  pren- 
dre des  mesures  énergiques  qui  em- 
péchassent  les  ennemis  de  la  répu- 
blique de  renouveler  leurs  complots. 
Le  ministre  de  la  police  Sotin  l'ayant 
accusé  dans  ses  bureaux  d'avoir  re- 
çu cinquante  louis  pour  solliciter 
dans  une  all'aire,  Ysabeau  crut  devoir 
monter  à  la  tribune  le  25  novembre 

1 797  ,  afin  de  se  laver  de  cette  im- 
putation ,  et  il  établit  péremptoi- 
rement que  l'assertion  de  Sotin 
n'était  que  le  résultat  d'un  malen- 
tendu. Le  26  nivôse  an  vi  ,  il  de- 
manda des  indemnités  pour  les 
accusés  qui  avaient  été  acquittés 
par  la  haute  -  cour  nationale  ,  et 
s'appitoya  sur  le  sort  de  ces  malheu- 
reux que  ,  selon  lui,  le  royalisme 
avait  tenus  pendant  dix  mois  dans 
les  prisons.  Le  4  ventôse  (26  février 
1798)  il  proposa  au  conseil  des  an- 
ciens de  tenir  séance  pour  célébrer 
Ja  fête  de  la  souveraineté  du  peuple , 
à  l'exemple  du  conseil  des  cinq-cents. 
On  le  voyait  alors  présenter  ou  soute- 
nir des  motions  que  rejetait  le  plus 
souvent  le  parti  modéré  des  conseils. 
C'est  ainsi  que  le  8  ventôse  (  26  fév. 

1 798  )  il  appuya  vainement  la  réso- 
lution de  tenir  les  listes  civiques  élec- 
torales ouvertes  jusqu'au  3o  ventôse. 


YSE  537 

Dans  son  discours  il  parla  contre  la 
liberté  de  la  presse  tant  redoutée  des 
despotes  révolutionnaires.   Il  fit  en- 
suite une  longue  diatribe  sur  la  cor- 
ruption des   mœurs   de  la   nation  • 
puis  rappelant  les  dangers  qu'avaient 
courus  les  républicains   au  18  fruc- 
tidor ,  il  ajouta  que  si  Pichegru  n'a- 
vait pas  compté  sur  cette  profonde 
corruption ,  il  n'aurait  pas  tenté  de 
s'élever  à  la  dictature   sur  les  cada- 
vres   des    amis    de  la    république. 
La    résolution  fut    re jetée    comme 
anarchique  et  contraire  à  la  constitu- 
tion.  Ysabeau  fit  encore  un  rajiport 
sur  la  seconde  organisation  de  l'éco- 
le des  travaux  publics  instituée   en 
1795,  et  qui  prit  alors  le  nom  d'é- 
cole  polytechnique.    Là  se  termina 
sa  carrière  législative.  A  sa  sortie  du 
conseil  des  anciens  ^   il   fut  nomme 
par  le  directoire  cxécutit",  substitut 
du  commissaire  du  directoire  près  de 
l'administration  des  postes  de  Bruxel- 
les (10  juin  1798).  Lors  des  événe- 
ments de   1814  il  occupait  à  Paris 
\m  modique  emploi  dans  l'adminis- 
tration générale  de  cette  partie  du 
service  public.  Ses  antécédents  po- 
litiques lui  firent  perdre  cette  place. 
Ysabeau  mourut  pauvre  et   obscur 
à  Paris  en  1823.  D — r — r. 

YSBRANDT,  voyageur. T.  Ides. 

YSEMBOUBG  (le  prince  Wolf- 
GANG  Ernest  d'),  naquit  le  17  no- 
vembre 1735,  et  mourut  le  3  fé- 
vrier 1 8o3  j  après  s'être  illustré 
pendant  quarante-trois  ans ,  par  une 
administration  aussi  sage  que  bien- 
faisante. Il  avait  aboli  la  servitude 
dans  ses  états  5  et ,  malgré  les  guerres 
cruelles  qui  y  portèrent  long  -  temps 
la  dévastation,  il  embellit  la  ville 
d'Olfenbach  ,  sa  résidence ,  et  assura 
le  bonheur  de  son  peuple ,  en  favori- 
sant les  arts ,  les  sciences ,  l'agricul- 
ture et  tous  les  genres  d'industrie.  Il 


53Î 


YU 


fat,  parmi  les  princes  d'Allemagne  , 
un  des  premiers  qui  firent  la  paix 
avec  Buonaparte;  et  il  la  conclut  à 
des  conditions  assez  avantageuses. 

G—Y. 

YSENDOORN  (Gilbert),  pro- 
fesseur de  philosophie ,  ne'  à  Ede , 
dans  le  Vëlan  ,  le  3  de'ceinLre  1601 , 
fut  orphelin  de  bonne  heure,  et  fit 
néanmoins  d'excellentes  études  au 
collège  d'Harderwick  ,  où  il  apprit 
le  latin,  le  grec  et  l'hebrcu.  Il  visita 
ensuite,  pour  acquérir  de  nouvelles 
connaissances,  les  académies  deGro- 
ningue  ,  de  Franeker  ,  de  Leyde , 
puis  celles  de  Sedan  et  de  Saumur 
qui  étaient  al  ors  très-célèbres.  Il  passa 
deux  ans  à  Paris  ,  s'y  occu])ant  uni- 
quement de  l'étude  de  la  philosophie, 
et  fut  reçu  docteur  dans  cette  capi- 
tale ,  en  i6sio.  Il  se  rendit  alors  à 
Marseille  ,  puis  en  Espagne  et  en 
Italie.  Revenu  dans  sa  patrie  ,  en 
1629  ,  il  fut  nommé  professeur  de 
philosophie  à  Deventer  ,  puis  à  Har- 
derwick  ,  où  il  mourut  en  j655. 
On  a  de  lui  :  I.  Effatorum  philoso- 
phicorum  centuriœ  duœ,  II.  Com- 
pendium  Icgicœ  peripateticœ.  III. 
Physiologia  logica  et  Elhica  pe- 
ripatetica.  IV.  Medulla  phjsicœ 
generalis  et  specialis.  Z. 

YU  ,  premier  empereur  de  la  dy- 
nastie chinoise  des  Hia  ,  naquit  la 
cinquante-sixième  année  du  règne  de 
Yao  (2298  avant  notre  ère).  11  était 
fils  de  Pé-kouen,  l'un  des  principaux 
ofïiciers  de  la  cour  de  ce  prince ,  et 
descendait  de  l'empereur  lioang-li. 
T/étendue  de  ses  connaissances  que 
relevaient  encore  sa  douceur  et  sa 
modestie,  lui  mérita  de  bonne  heure 
l'estime  publique.  Chun  ,  ayant  été 
chargé  par  l'empereur  Yao  de  remé- 
dier aux  dégâts  causés  par  la  grande 
inondation ,  mena  Yu  dans  ia  visite 
qu'il  fit  des  pays  submergés.  A  son 


YU 

retour  il  l'établit  intendant  des  trP 
vaux  publics  à  la  place  de  Pé-kouen 
son  pèrc^  et  lui  laissa  le  soin  d'or- 
donner les  mesures  nécessaires  pour 
remplir  les  intentions  de  l'emjiereur. 
Yu  s'acquitta  de  cette  tâche  difïicile 
avec  beaucoup  d'habileté.  Il  élargit 
le  lit  des  rivières  ,  leur  ouvrit  des 


passages  en 


lut  des  monlaîïues 


et  les  rendit  navigables  en  conduisant 
leurs  eaux  à  la  mer.  Après  avoir  ré- 
tabli les  communications  entre  les 
neuf  provinces  qui  formaient  alors 
l'empire  de  la  Chine  ,  il  fut  chargé 
de  les  visiter  pour  en  examiner  le 
sol ,  et  déterminer ,  d'après  leur  de- 
gré de  fertilité  ,  les  tributs  et  les  re- 
devances de  la  manière  la  plus  équi- 
table. En  récompense  de  ses  services, 
Yu  fut  élevé ,  ainsi  que  ses  deux  frè- 
res ,  à  la  dignité  de  prince  j  et  l'em- 
pereur lui  assigna  le  pays  de  Hia  , 
dont  sa  famille  prit  le  nom  dans  la 
suite.  Chun ,  à  son  avènement  au  trô 
ne,  nomma  Yu  son  premier  ministre, 
et  le  força  d'accepter  un  poste  que  ce- 
lui-ci croyait  au-dessus  de  ses  talents. 
Quelque  temps  après ,  Chun,  sentant 
ses  forces  diminuer,  jeta  les  yeux  sur 
Yu  pour  le  déclarer  son  successeur  ; 
mais  Yu  lui  dit  :  «  Je  n'ai  point  les 
))  qualités  nécessaires  pour  un  rang 
»  si  élevé.  Kao-yao  (i)  estleseul 
»  parmi  les  grands ,  capable  de  mar- 
y>  cher  sur  vos  traces.  Personne  n'a 
»  mieux  servi  l'état  et  n'a  su  mieux 
»  gagner  le  cœur  et  l'estime  du  peu- 
»  pie.  Votre  choix  doit  tomber  sur 
»  lui.  ))  Malgré  toutes  ses  instances  , 
Yu  fut  obligé  de  céder  à  la  volonté 
de  l'empereur  j  et  Chun  se  l'associa 
solennellement  l'an  22 'iS  avant  no-, 
tre  ère.  Ce  choix  eut  l'approbatio 
générale.   Les    Yeou-miao  ,  peupl 

(i)  C'était  l'un  des  principaux  officiers  de  Chuil 
et  l'un   des   meilleurs  mini&tres  que  la   Chine  \ 
eus  à  cette  époque. 


I 


YU 

turbulent ,  refusèrent  seuls  de  le  re- 
connaître ,  et  se  révoltèrent  comme 
ils  l'avaient  fait  à  l'élévation  de 
Ghun.  Yu  max'clia  contre  les  rebelles, 
et  parvint  à  les  soumettre  sans  ré- 
pandre une  seule  goutte  de  sang. 
Après  la  mort  de  Ghun  (  l'an  22o5 
avant  notre  ère  )  ,  Yu  oITrait  de 
céder  le  trône  au  lils  de  son  bien- 
faiteur j  mais  les  grands  s'oppo- 
sèrent à  son  dessein  ,  et  le  forcèrent 
de  prendre  les  rênes  du  gouverne- 
ment. 11  était  alors  âgé  de  quatre- 
vingt-treize  ans  ;  et ,  quoique  d'une 
constitution  robuste  ,  les  fatigues 
avaient  tellement  épuisé  ses  forces  , 
qu'il  pensa  bientôt  à  se  donner  un  col- 
lègue pour  l'aider  à  supporter  le  poids 
des  affaires.  Il  s'associa  Pe-y ,  mi- 
lîistre  vertueux ,  dont  il  avait  ap- 
précié depuis  long-temps  la  capa- 
cité. Les  peuples  des  frontières ,  à 
l'imitation  de  leurs  voisins  ,  ren- 
daient un  culte  superstitieux  aux  es- 
prits malfaisants  dont  ils  se  croyaient 
environnés.  Yu  y  pour  les  désabuser^ 
fit  fondre  neuf  grands  vases  de  métal , 
sur  lesquels  il  fit  graver  la  carte  de 
chaque  province ,  entourée  de  ligures 
hideuses.  Les  Chinois  s'habituèrent 
à  regarder  ces  figures  comme  celles 
des  monstres  que  les  barbares  avaient 
'en  vénération,  et  cessèrent  de  les 
adorer.  Sans  cesse  occupé  d'améliorer 
le  sort  de  ses  sujets,  ce  prince  voulut 
encore  une  fois  visiter  les  différentes 
provinces  pour  recueillir  les  obser- 
vations des  sages  et  remédier  aux 
abus.  Ce  voyage,  dont  il  iie  devait  pas 
voir  le  terme,  dura  trois  ans.  A  son 
entrée  dans  le  pays  de  Tsang-ou ,  il 
aperçut ,  sur  le  chemin ,  le  corps 
d'un  homme  récemment  assassiné. 
Il  descendit  aussitôt  de  son  che- 
val, et,  s'approchant  du  corps,  il  se 
mit  à  pleurer  ,  disant  :  «  Que  je  suis 
»  peu  digne  de  la  place  que  j'occupe  ! 


YU  539 

»  je  devrais  avoir  mi   cœur  de  père 
»  pour  mon  peuple*  et  ma  vigilance 
»  l'empêcherait   de  commettre  des 
»  crimes  qui  retombent  sur  moi.  » 
Quelque  temps  après  ayant  rencon- 
tré une    bande  de  criminels  qu'on 
menait  en  prison  :  «  Hélas  I  s'écria- 
»  t-il,  sous  les  règnes  de  Yao  et  de 
»  Chun  ,  les  peuples  se  modelaient 
»  sur  les  vertus  de  ces  grands  prin- 
»  ces;  sous  mon  règne,   chacun   se 
»  laisse  aller  à  ses  propres  inclina- 
»  lions,  et  ne  fait  que  ce  qu'il  veut.  » 
Lorsqu'il  eut  traversé  le  fleuve  Ki- 
ang  ,  on  lui  présenta  une  boisson  de 
riz   qu'il  trouva  bonne  ;  mais ,  re- 
marquant qu'elle  pouvait  troubler  la 
raison  ,  il  ordonna  que  celui  qui  l'a- 
vait inventée  fût  banni  de  la  Chine  à 
perpétuité.  Ce  prince  mourut  à  Hoei- 
ki  ,   l'an  2198  avant  notre  ère,  à 
l'âge  de  cent  ans.  il  fut  inhumé  sur 
une  montagne  à  deux  lieues  de  Chao- 
hing.   Des   soldats  sont  encore  au- 
jourd'hui préposés  à    la   garde  de 
son  tombeau.  D'après  les  dispositions 
de  Yu ,   Pé-y  devait  lui  succéder  ; 
mais  ce  prince  s'empressa  de  céder 
ses  droits  au  trône  à  Ti-ki ,  fils  de 
Yu.  C'est  le  premier  exemple  qu'on 
trouve  dans  l'histoire  chinoise  d'un 
fils  succédant  à  son  père.  Jusqu'alors 
l'empire  avait  été  ,  en  quelque  ma- 
nière, électif  ;  depuis  il  fut  héréditai- 
re. IjCS  divers  ouvrages  que  l'on  at- 
tribue à  Yu  sur  V agriculture  et  sur 
les  mathématiques  sont   supposés. 
Le  chapitre  du  Chou-king  intitulé  : 
Yu  koung ,  c'est-à-dire  les  travaux 
de  Yu ,  est ,  suivant  le  P.  Cibot  {Mé- 
moires des  missionnaires ,  VIII,  i48) 
le  phis  beau  monument  de  l'antiquité 
dans    ce    genre.    \JIns.cription  qui 
porte  le  nom  de  Yu ,  soit  que  ce  prince 
l'ait  fait  graver  lui-même,  soit  qu'elle 
aitété  placée  en  son  honneur  par  quel- 
qu'un de  ses  successeurs ,  est  la  plus 


54o  YVA 

ancienne  de  la  Chine.  Elle  existait  en- 
core sur  un  rocher  du  Hou  -kouang  , 
dans  le  neuvième  siècle  de  notre  ère. 
Mais  ie  rocher  s'etant  brise,  on  en 
a  fait  une  seconde  copie  qui  diffère 
peu  de  la  première,  et  qui  se  voit  à 
présent  sur  ce  second  rocher.  La  Bi- 
bliothèque du  roi,  à  Paris,  possède 
des  copies  figurées  de  l'ancienne  et 
de  la  nouvelle  inscription.  La  for- 
me des  caractères  de  Tiuscription  de 
Yu  est  singulière  et  même  unique. 
Ils  n'ont  que  peu  de  rapport  avec 
les  plus  anciens  caractères  chinois 
que  l'on  connaisse  ,  et  moins  enco- 
re avec  les  modernes.  Ce  précieux 
monument  a  e'të  publie  par  M.  Jos. 
Hager  (  Foy.  ce  nom  dans  la  Bio- 
graphie des  hommes  vivants ,  III, 
356),  sur  une  copie  envoye'e  par 
le  P.  Amiot  à  la  bibliothèque  roya- 
le, Paris,  1802^  gr.  in-fol.  Le  sa- 
vant éditeur  l'a  fait  précéder  d'u- 
ne dissertation  sur  les  changements 
que  les  caractères  chinois  ont  éprou- 
vés ,  et  y  a  joint,  outre  les  anciens 
caractères  attribués  à  Yu  et  gravés 
sur  des  pierres  antiques  que  l'on  con- 
serve au  collège  impérial  de  Pé-king , 
trente-deux  formes  des  mêmes  ca- 
ractères tirées  d'un  ouvrage  extrê- 
mement rare  à  la  Chme  même ,  et 
dont  le  seul  exemplaire  que  l'on  con- 
naisse en  Europe  appartient  à'  la 
Bibliothèque  du  roi;  mais  on  trouve 
sur  ce  sujet  des  recherches  bien  plus 
approfondies  dans  la  dissertation  al- 
lemande de  M.  Klaproth ,  intitulée 
Inschrift  des  Yû  ,  Berlin  ,  1 8 1 1  , 
in-4".  W— s. 

YYAN  (  Antoine)^  fondateur  de 
l'ordre  des  religieuses  de  la  Miséri- 
corde, naquit  à  Rians,  bourg  de 
Provence  ,  du  diocèse  d' Aix ,  le  i  o 
navembre  iS-^ô,  de  parents  pauvres, 
mais  pieux.  11  n'avait  que  trois  ans 
quand  son  père  mourut  de  la  peste  ; 


YVA 

et  il  ne  fut  pas  atteint  de  la  conta- 
gion ,  quoiqu'il  n'eût  pas  cessé  de 
partager  le  lit  j)aternel,  jiendanttoute 
la  maladie.  A  peine  âgé  de  sept  ans  , 
il  prouva  son  inclination  pour  l'étu- 
de, lorsque,  privé,  à  cause  de  son 
indigence  ,  de  l'avantage  de  fréquen- 
ter les  écoles,  il  allait  chez  les  jeunes 
écoliers ,  les  conjurer  de  lui  appren- 
dre à  lire.  Si  la  ])auvreîé  de  son  ha- 
bit lui  faisait  refuser  l'entrée  de  leurs 
maisons  ,  il  demandait  leurs  leçons 
dans  la  rue,  les  payant  de  quelques 
fruits  que  sa  mère  lui  avait  donnés 
pour  sou  dîner.  Devenu  enfant  de 
chœur  de  sa  paroisse,  il  sut  s'atta- 
cher quelques  prêtres  qui  lui  fourni- 
rent enfin  les  moyens  d'apprendre  à 
lire.  Après  quelques  années  ,  il  entra 
au  service  des  PP.  Minimes  de  Pour- 
rières  ;  et  là ,  porté  par  sa  seule  in- 
clination, il  s'appliqua  à  peindre  et 
graver,  et  apprit  seul  les  éléments  d 
ces  deux  arts.  De  telles  dispositions  n 
pouvaient  qu'intéresser  ses  maîtres^ 
Ils  lui  donnèrent  les  premiers  princ* 
pes  de  la  langue  latine.  Forcé  par  un 
disette  de  quitter  le  couvent,  a prèi 
avoir  passé  dix  jours  dans  un  bois 
vivre  de  racines,  il  se  rendit  à  la  pe 
tite  ville  de  Pertuis,  où,  commen- 
çant  l'éducation  de  quelques  gentils- 
hommes ,  il  eut  l'occasion  d'avancer 
la  sienne.  Il  se  perfectionna  surtout 
dans  la  peinture.  Le  soin  de  ses  af- 
faires lui  imposait  quelquefois  la 
nécessité  de  passer  les  nuits  à  l'é 
tude;  mais  il  persévéra  dans  les  sen-' 
timents  et  les  pieuses  pratiques  qu'il 
avait  pris  aux  Minimes  de  Pourriè- 
res.  Son  indigence  l'ayant  contraint 
de  quitter  Arles  ,  011  il  s'était  rendu 
pour  faire  sa  philosophie ,  il  alla  ï 
Avignon  ,  où  César  de  Bus  le  recul 
avec  joie  dans  la  congrégation  de  \i 
Doctrine  chrétienne,  récemment  fon 
dée.  Mais  comme  on  ne  voulait  Too 


YVA 

cuper  qu'au  service  domestique  , 
il  la  quitta  ,  et  devint  précepteur  à 
Carpciitras ,  où  il  fréquenta  le  collè- 
ge. De  Carpentras  il  YiiH  à  Lyon  où 
il  resta  peu,  parce  que  l'emploi  de 
maître  d'écriture  ne  lui  laissait  pas 
assez  de  loisir  pour  l'étude  ;  et  il  re- 
tourna en  Provence,  où  il  fut  enfin 
ordonne  prêtre,  à  l'àgc  de  trente  ans^ 
en  1606.  Il  se  rendit  alors  à  Rians  , 
pour  consoler  et  soulager  la  vieil- 
lesse indigente  de  sa  mère.  Là  il  ne 
rougit  pas  de  la  modeste  fonction  de 
maître  d'ëcole.  Ses  supérieurs  ,  édi- 
fies de  ses  vertus  ,  lui  donnèrent  des 
emplois  plus  dignes  de  sou  zèle  et  de 
ses  talents.  Ils  le  nommèrent  à  la  cu- 
re de  Verdire  ,  d'où  il  passa  bientôt 
à  celle  de  Gotignac.  Ses  sermons 
e'taient  suivis,  quoique  simples  et 
composes  sans  prétention.  Quelqu'un 
lui  persuada  d'y  mettre  plus  d'étude, 
et  d'y  observer  un  peu  plus  les  règles 
et  h  politesse  du  langage.  11  écouta 
ce  conseil;  puis,  se  reprochant  com- 
me une  faute  cette  concession  faite 
à  la  vanité ,  il  consulta  un  saint  prê- 
tre qui  l'animait  à  la  vertu ,  se  dé- 
mit de  sa  cure,  et  se  fit  ermite.  Après 
avoir  passé  neuf  ans  dans  la  soli- 
tude ,  ii  alla  s'établir  à  Aix ,  et 
s'y  livra  au  ministère  et  à  la  pré- 
dication. Ses  sermons  attirèrent  un 
si  grand  nombre  d'auditeurs,  que 
l'église  se  trouvant  trop  petite,  il  fut 
obligé  de  prêcher  au  deliors.  Le  cé- 
lèbre Gassendi  se  faisait  un  devoir 
d'y  assister  ;  et  il  devint  l'apologiste 
le  phis  zélé  du  prédicateur.  Les  ver- 
tus et  la  charité  d'Yvan  éclatèrent 
surtout  dans  cette  ville  ,  quand  elle  fut 
aiîîigée  par  une  peste  violante.  Enfin 
il  entra  chez  les  PP.  de  l'Oratoire.  Le 
précis  rapide  d'une  vie  qui  offre  tant 
de  vicissitudes  montrerait  un  homme 
inconstant  et  léger,  et  non  un  prêtre 
vertueux  et  simple,  si  nous  ne  de- 


YVE 


54 


vions  pas  dire  que,  dans  toutes  ses 
démarches,  il  céda  aux  inspirations 
de  !a  Providence  et  de  la  plus  arden- 
te charité.  L'année  i633  offre  l'épo- 
que la  plus  remarquable  de  sa  vie 
apostolique.  Il  forma  alors,  avec  le 
secours  de  Marie  -  Madeleine  de  la 
Trinité,  l'ordre  nouveau  des  reli- 
gieuses de  N.-V.  de  Miséricoj^de , 
dont  la  pierre  fondamentale  fut  Mû- 
deleine  Martin ,  dite  de  la  Trinité. 
Le  but  principal  de  l'institut  était  de 
recevoir  toutes  celles  qui  se  présen- 
teraient avec  une  véritable  vocation  j 
et  c'était  l'objet  d'un  quatrième  vœu. 
La  congrégation  fut  approuvée  sous 
la  règle  de  saint  Augustin ,  et  s'éten- 
dit principalement  dans  le  midi  de 
la  France.  Les  religieuses  furent  aus- 
si établies  à  Paris  par  le  célèbre  ab- 
bé Olier.  Celle  fondation  appela  le 
P.  Yvan  dans  la  capitale  ;  et  ce  fut  à 
Paris  qu'il  mourut,  le  8  octobre 
i653.  La  fin  de  sa  vie  fut  éprouvée 
par  des  infirmités  graves.  On  peut 
consulter  son  Éloge ,  par  le  P. 
Léon,  carme,  in-  i'2j  sa  Vie,  par 
Gilles  Gondon ,  in  -  4^*.  ;  ses  Let- 
tres et  surtout  sa  Vie,  par  l'abbé 
de  Montés,  Paris,  1787,  in-12. 
Le  P.  Yvan  avait  composé  diffé- 
rents livres  de  piété,  écrits  avec  une 
extrême  simplicité  ,  entre  autres  : 
Conduite  à  la  perfection  dire  tien- 
ne,al  d'autres  ouvrages,  dont  le  re- 
cueil a  été  publié  par  le  P.  Léon  et 
par  Gilles  Gondon.  B — c — e. 

YVAN  -  BEHUDA.  Foy.  Yanez 

DE  LA   BaRBUDA. 

YVER  (Jacques)  ,  sieur  de  Plai- 
sance, gentilhomme  poitevin,  naquit 
à  Niort  en  i52o.  Piqué  du  reproche 
que  les  Italiens  faisaient  aux  Fran- 
çais de  n'être  que  de  serviles  imita- 
teurs dans  leurs  ouvrages,  il  publia, 
en  15714 ,  un  roman  intitulé  le  Prin- 
temps d' Fuer,  qui  coniient  cinq  his 


l^^'i 


YVE 


toires  discourues  par  cinq  journées^ 
en  une  noble  compagnie  au  châ- 
teau du  Printemps.  Le  livre  est 
dédie  aux  belles  et  vertueuses  de- 
moiselles de  France ,  en  faveur  des- 
quelles ayant  la  main  trop  faible 
pour  tenir  la  plume  de  cjgne ,  il 
prit  la  plume  dun  passereau.  On 
y  trouve  une  imagination  assez  vi- 
ve ,  des  situations  intéressantes  _,  de 
l'aisance  et  de  la  facilite  dans  le 
style,  et  un  ton  de  conversation  bien 
soutenu.  Les  vers  qui  suivent  ce  ro- 
man n'ont  pas  le  même  mérite.  Yver 
se  proposait  de  publier  d'autres  ou- 
vrages, lorsque  la  mort  le  surprit  à 
la  fleur  de  son  âge.  T — d. 

YVES  (  Saint  ) ,  évêque  de  Char- 
tres ,  naquit  dans  le  Beauvoisis ,  de 
parents  nobles,  et  reçut  ses  premières 
leçons  à  l'abbaye  du  Bec ,  sous  le  fa- 
meux Lanfranc.  11  avait  déjà  acquis 
une  grande  considération  en  1078, 
puisque,  à  cette  époque,  ce  fut  par  ses 
avis  que  Guy ,  évoque  de  Beauvais  , 
fit  bâtir ,  dans  un  faubourg  de  cette 
ville  ,  un  monastère  destiné  à  former 
une  communauté  de  chanoines  qui , 
par  la  régularité  de  leur  conduite  , 
rappelassent  toute  la  discipline  de  la 
primitive  église.  Le  jeune  Yves  avait 
observé  que  la  plupart  des  chanoi- 
nes s'étaient  beaucoup  relâchés  dans 
leurs  mœurs  ;  et,  lorsqu'il  eut  réussi  à 
communiquer  ses  projets  à  son  évê- 
que  ,  il  se  décida  à  embrasser  la  vie 
religieuse,  et  fut  lui-mcme  un  des 
fondateurs  et  des  premiers  modèles 
de  cette  abbaye  de  Saint-Quentin  de 
Beauvais,  si  célèbre  par  la  sévérité 
de  la  discipline  et  la  régularité  des 
mœurs.  Il  lui  donna  la  plus  grande 
partie  de  son  patrimoine,  pour  aug- 
menter sa  dotation  j  et  il  y  enseigna 
les  sciences  humaines  et  sacrées  ; 
enfin  pendant  quatorze  ans  il  gou- 
verna cette  maison  avec  tant  de  suc- 


YVE 

ces ,  que  l'on  venait  de  tous  c6té5 
lui  demander  des  conseils  et  des 
disciples  pour  fonder  de  nouveaux 
chapitres ,  ou  pour  réformer  les  an- 
ciens (i).  C'est  de  là  qu'il  fut  tiré, 
en  1091  ,pour  être  élevé  sur  le  siège 
cpiscopal  de  Chartres.  Le  clergé  et 
les  fidèles  l'avaient  unanimement  élu  ] 
le  pape  avait  consenti  à  son  élévation, 
et  le  roi  Philippe  lui  avait  donné  le 
bâton  pastoral  eu  signe  d'investiture. 
Cependant  l'archevêque  de  Sens  ayant 
refusé  de  le  sacrer ,  Yves  se  rendit  à 
Rome,  avec  les  députés  de  Chartres j 
et  le  pape  Urbain  II  le  sacra  évêque. 
L'archevêque ,  irrité  y  assembla  un 
concile  à  Etaropes  ;  Yves,  accusé 
d'avoir  offensé  le  roi  en  s'adressant 
au  pape,  et  d'avoir  violé  les  droits 
de  l'Église  gallicane,  fut  déposé,  et 
son  prédécesseur  rétabli.  Urbain  II 
annula  la  procédure,  confirma  Yves 
dans  la  possession  de  son  siège,  et 
interdit  l'usage  du  pallium  à  l'ar- 
chevêque. L'évêque  de  Chartres 
jouit  ainsi  paisiblement  de  la  di- 
gnité épiscopale,  et  ses  vertus  au- 
tant que  ses  lumières  l'eurent  bien- 


(i)  Cette  maison  de  Saint-Quentin  envoya  di- 
verses colonies  ,  sur  la  demande  des  évêques,  fon- 
der de  semblables  ëtablissoments  de  la  vie  com- 
mune ,  et  voilà  pourquoi  Yves  est  regarde'  coinmc 
un  des  plus  illustres  réformateurs  de  l'ordre  cano- 
nique ;  mais  mérite-l-il  le  titre  de  restaurateur  des 
chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin  ?  Vincent  de 
Beauvais,  Onui>hre  ,  saint  Antonin  et  autres,  le 
lui  donnent  ;  TLomassin  le  lui  refuse.  Au  lecteur 
curieux  d'étudier  ce  point  remarquable  de  la  vie 
d'Yves  ,  nous  indiquons  spécialement  le  chapitre 
quatorze  du  second  tome  de  V Histoire  des  or- 
dres moncistiqties  d'Hélyot.  Tous  prétendent  qu'Y- 
ves fut  le  premier  abbé  de  Saint-Quentin  ;  il  fant 
donc  ,  ou  qu'il  ait  pris  l'habit  ailleurs,  ou  que  ce 
couvent  ail  été  formé  d'une  association  tionvelle  , 
et  alors  on  pourrait  conclure  que  l'abbaye  de 
Saint- Quentin  était  chef-lieu  de  congrégation. 
Néanmoins  Godescard  dit  qu'Yves  y  prit  d'abord 
l'habit,  et  n'en  devint  supérieur  que  quelque  temps 
après.  Pendant  qu'il  y  demeurait  il  enseigna  pu- 
bliquement la  théologie  et  expliqua  l'Lcritnre 
sainte;  de  là  lui  est  venu  le  titre  de  maître  et  de 
docteur.  De  cette  école  sortirent  de  savants  sujets 
qui  remplirent  même  des  sièges  épiscopaux.  Il  p"" 
raît  que  ce  fut  dès  ce  temps  qu'Yves  commença  à 
publier  divers  écrits  remarquables  jiar  l'érudition  , 
et  qui  étendirent  au  loin  sa  réputation.    B — C     E. 


YVE 

tôt  réconcilié  avec  ceux  qui  s'é- 
taient laisse  entraîner  à  des  pré- 
ventions contre  lui.  Mais  de  nou- 
velles tribulations  Tatlendaient  :  le 
roi  Philippe  ,  voulant  répudier  la 
leine  Berllie,  de  laquelle  il  avait 
deux  enfants,  et  épouser  Bertrade, 
troisième  Icnime  du  comte  d'An- 
jou ,  demanda  l'avis  des  évê- 
ques.  Yves  ,  invité  à  la  conférence 
dans  laquelle  on  devait  délibérer  sur 
une  question  si  délicate  ,  détour- 
na couraejeusement  le  roi ,  et  refusa 
d'aller  à  Paris,  où  les  noces  illégiti- 
mes devaient  cire  célébrées.  Piidip- 
pe ,  entraîné  par  sa  passion ,  épousa 
Bertrade,  Ut  mettre  Yves  en  prison, 
et  piller  les  terres  de  son  église.  Le 
pape,  instruit  de  ce  qui  se  passait, 
écrivit  aux  évêques  de  France.  Yves, 
qui  craignait  que  ces  lettres  n'oc- 
casionnassent des  mouvements  sé- 
ditieux contre  Philippe,  empêcha 
qu'elles  ne  fussent  publiées;  et  la 
ville  de  Chartres  se  disposant  à  pren- 
dre '  les  armes ,  pour  délivrer  son 
évèqiie  ,  il  s'y  opposa ,  ne  vou- 
lant point  devoir  sa  délivrance  à 
de  pareils  moyens.  Le  roi ,  afin  de 
faire  approuver  son  mariage  ,  avait 
convoqué  un  concile  à  Reims ,  pour 
le  1 8  septembre  1 094;  Yves ,  sachant 
bien  qu'il  ne  pourrait  parler  libre- 
ment ,  refusa  de  s'y  rendre.  Cepen- 
dant il  assista ,  en  i  oqS  ,  au  concile 
de  Clermont,  que  le  pape  Urbain  II 
présida ,   et   se  trouva   encore ,   en 

I  io4 ,  à  celui  de  Beaugcnci ,  qui  fut 
présidé  par  un  légat  apostolique, 
chargé  d'absoudre  le  roi  Philippe. 

II  voulut  ainsi  mettre  en  usage  tous 
les  moyens  de  rappeler  le  monarque 
à  ses  devoirs.  Voyant  to"tes  ses  pei- 
nes inutiles  ,  il  regretta  les  jours  de 
paix  et  de  bonheur  qu'il  avait  passés 
dans  le  cloître,  et  il  pria  le  pape 
d'accepter  sa  démission.  Le  pontife 


YVE  543 

s'y  refusa  en  disant  qu'à  la  vérité 
l'épiscopat  n'était  point  nécessaire  à 
Yves,  mais  qu'Yves  était  nécessaire 
à  l'épiscopat  et  à  toute  l'Église,  qui  ne 
pouvait  plus  se  passer  de  ses  servi- 
ces. Cependant,  après  tant  de  peines 
et  de  tribulations,  le  saint  prélat  eut 
la  consolation  de  voir  son  souverain 
réconcilié  avec  l'ilglisepar  l'absolu- 
tion de  son  excommunication  que  lui 
donna  Lambert,  évêque  d'Arras, 
délégué  par  le  pape.  Yves  avait  eu 
une  grande  part  à  cette  réconcilia- 
tion ,  et  elle  ajouta  beaucoup  à  sou 
crédit  dans  tout  le  royaume  (2).  Phi- 
lippe élant  mort  le  11  juillet  1108, 
Yves  conseilla  de  sacrer  au  plus 
tôt  son  fils  Louis,  parce  que  l'on 
craignait  quelques  seigueurs,  dont  ce 
jeune  prince  avait  réprimé  les  vio- 
lences.  L'autorité;,   l'expérience  de 


(•>.■)  Après  la  mort  d'UiLaîn  II ,  saint  Yves  adop. 
ta  des  principes  de  douceur  et  d'indulgence  ,  qui 
semblent  fort  opposc's  ù  ceux  qui  J'avaieut  dirigé 
jusqu'alors  ;  mais  ils  ne  furent  sans  doute  que  le 
résultat  de  grandes  reflexions  et  de  hautes  considé- 
rations que  lui  inspira  le  désir  de  ramener  la  paix 
dans  le  royaume.  Les  lettres  qu'il  écrivit  au  pape, 
à  cette  époque  ,  en  sont  la  preuve  ,  notamment 
celles  qu'il  adressa  à  Pascal  If.  Ce  fut  probable- 
ment par  ces  lettres  que  le  pontife  se  décida  à  ac- 
corder aux  évêques  les  aut'  risalions  nécessaires 
pour  donner  l'absolution  à  Philippe  et  à  Bertrade. 
Alors  Berthe  ,  première  femme  de  Philippe, 
n'existait  plus.  On  découvrit  que  Foulques,  comte 
d'Anjou,  avait  épousé  Bertrade  du  vivant  d'une 
première  femme  qu'il  avait  répudiée  ;  de  là  on 
voulut  bien  conclure  que  son  mariage  avec  Ber- 
trade étiiit  nul,  et,  pour  terminer  cette  désastreuse 
afiaire,  ou  admit  le  divorce  entre  lui  et  Bertrade. 
Par  ce  moyen  tout  fut  concilié,  et  l'excommuni- 
cation fut  levée  dans  l'assemblée  des  évèques  te- 
nue à  Paris  le  3o  novembre  i  io4.  C'est  ce  qui  doit 
paraître  surprenant,  après  tous  les  scandales  et  tous 
les  débats  qui  eurent  lieu  pendant  les  douze  an- 
nées qui  virent  les  papes,  le  roi  et  les  évèques  de 
France  se  combattre  nmluellemeut ,  les  uns  pour 
rompre  me  union  illégitime  ,  les  autres  ponr  la 
conserver  malgré  les  peines  ecclésiastiques  qu'on 
leur  infligeait.  Mais  ce  qui  est  plus  étonnant  enco- 
re ,  c'est  que  Philippe  et  Bertrade  se  rendirent 
ensuite  auprès  du  comte  Foulques  d'Anjou  ,  et  en 
furent  reçus  avec  les  plus  grands  Iionneurs.  Phi- 
lippe vécut  peu  d'années  après  la  fin  des  troubles 
dont  il  avait  été  l'instrument;  et  Bertrade,  fatiguée 
de  toutes  les  agitations  et  de  toutes  les  tribulations 
qui  avaient  tourmenté  son  existence  ,  se  retira 
dans  le  couvent  de  Hautes-Bruyères ,  au  diocèse 
de  Cliartres  ,  où  elle  se  lit  religieuse  ,    et   où  elle 


lermuia   ses  jours. 


H-îS. 


r>44  YVE  

l'evêque  de  Chartres  firent  impres- 
sion j  ou  suivit  son  avis,   et  le   sa- 
cre  se  fit  à  Orléans ,  par  le  minis- 
tère de  l'archevêque   de  Sens  ,  as- 
sisté de  plusieurs  cvêques  ,  parmi 
lesquels    se    trouvait    saint    Yves. 
La   cérémonie    n'était    pas    encore 
achevée  ,   quand    les     députés    de 
l'église   de   Reims  arrivèrent    avec 
une    protestation.    Yves    écrivit    à 
ce  sujet  une  lettre  circulaire  adressée 
à  l'Église  romaine  et  à  celhî  de  Fran- 
ce; il  y  faisait  voir  que  le  sacre  du 
roi   Louis  ne  pouvait   être  attaqué 
par  aucun  motif  pris  dans  la  raison, 
dans  la  coutume  et  dans  îa  loi.  A 
cette  époque  la  question  de  l'investi- 
ture était  vivement  agitée j  Yves,  ta- 
ciiaut  de  tenir  un  sage  milieu,  s'af- 
fligeait de  voir    Fautorilé  séculière 
e.'npiéter  sur  les  libertés  de  l'Eglise  ; 
d'un  autre  coté,  il  blâmait  les  ecclé- 
siastiques qui  méprisaient  l'autorité 
temporelle,  et  qui  donnaient  l'exem- 
ple de  la  désobéissance.  Ce  prélat 
mourut  le  23  décembre  1 1 15  ,  après 
avoir  occupé  avec  gloire  le  même 
siège  pendant  vingt-trois  ans.  Il  fut 
enterré  dans  son  monastère  de  Saint- 
Jean  en  Vallée  ,   près  de  Chartres  , 
qui  était  une  espèce  de  colonie  de  ce- 
lui  de  Saint-Quentin.   Son  corps  y 
resta  jusqu'au  seizième  siècle _,  épo- 
que à  laquelle  les  Calvinistes  le  dé- 
terrèrent pour  le  brûler,  et  jetèrent 
ses  cendres  au  vent.  Cependant  Go- 
descardditquc  l'on  conserve  à  Char- 
tres ,  dans  une  châsse,  les  reliques  de 
saint  Yves  (3).  Quoique  sincèrement 
attaché   au  siège  apostolique,  Yves 
n'oublia  jamais  ce  qu'il  devait  à  son 
roi  ;  et  les  tribulations  n'ébranlèrent 


[V'  Gtidescard  est  dans  l'fm-iir.  Tous  les  iiiamis- 
crits>i»llesleut  qu'il  fut  iuipossihlt;  de  reconnaître  les 
rclji|i!es  ou  ossements  de  saint  Yves,  lurs  des  re- 
cberc'ics  qn<'  l'oii  en  fit  dans  les  dûconibres    de   ce 


a[)ri  »  le  d' 


par 


di's  huftaenots.       II- N. 


YVE 

point  sa  fidélité.  Le  zèle  qu'il  dé- 
ploya en  faveur  des  mœurs  et  de  la 
religion,  coutre  le  mariage  illégitime 
de  Philippe  l''^. ,  l'a  fait  accuser  in- 
justement d'un  trop  servile  dévoue- 
ment à  la  cour  de  l\ome.  Son  coura- 
ge ,  dans  cette  circonstance  impor- 
tante, toutes  les  persécutions  qu'il 
subit,  et  auxquelles  il  s'était  volon- 
tairement exposé,  ne  pouvaient  avoir 
d'autre  but,  et  n'eurent  pas  d'au- 
tres résultats  que  le  triomphe  de 
la  religion  et  des  bonnes  mœurs  (4)- 
On  peut  comparer  le  rôle  que  saint 
Yves  remplit  alors  dans  l'Egiise  de 
France,  par  son  zèle,  sa  fermeté  et 
son  savoir,  au  rôle  que  saint  Ber- 
nard y  joua  un  peu  plus  tard,  et 
à  celui  que  notre  grand  Bossuet 
a  rempli  naguère  avec  tant  d'hon- 
neur. Au  milieu  de  ces  persécutions 
et  de  ces  utiles  travaux ,  saint  Yves 
ne  négligea  rien  de  ce  qui  pouvait 
illustrer  son  épiscopat.  Déjà,  sous 
Fulbert,  un  de  ses  prédécesseurs  , 
les  écoles  de  Chartres  avaient  acquis 
une  grande  célébrité  ;  saint  Yves  mit 
tous  ses  soins  à  y  ajouter  encore.  Il 
choisit  pour  les  diriger  les  plus  ha- 
biles professeurs  ,  tels  que  les  deux 
Bernard,  Vulgrin  ,  Hugues  de  Char- 


(4)  Philippe  et  Bertrade ,  non  contents  d'avoir 
prive  saint  \ves  des  revenus  de  soi)  évèché,  le  ré- 
duisirertt  à  un  tel  état  de  dénùment  et  de  misère, 
qu'il  ne  lui  resta  pas  même  de  ])ain.  Peu  satisfaits 
de  cet  abus  de  leur  pouvoir,  ils  le  firent  empri- 
sonner par  le  funeux  Hugues  du  Pniset,  vicomte 
de  Chartres  ,  qui,  trop  fidèle  ministre  de  leur  ven- 
geance ,  osa  emmener  le  saint  evèque  de  Chartres 
dans  son  château  de  Puiset,  on  il  le  retint  étroite 
inent  jusqu'en  io()4  ,  sans  humanité  et  sans  aucun 
égard  pour  sa  haute  dignité  et  ses  éminimtes  ver- 
tus f  P'oyez  PuiSET  ,  au  Supplément  ).  Tous 
les  faits  et  tous  les  détails  qu,i  concernent  le 
divorce  de  Philippe  Jc^.  aven  lîerlhe,  et  le  ma- 
riage avec  Bertrade  de  Monlfort,  qui  en  fut  la 
suite,  sont  du  plus  haut  intérêt,  et  se  tx-ouvent 
développés  avec  le  soin  et  l'éteudue  les  plus  désira- 
bles d.ms  l'excellente  dissertation  deO.Brial,  sons 
le  titre  d'Exanien  critique  d-'s  liisLoriens  t/iii  ont 
parlé  du  divorce  de  Philippe  I".  ,  lu  à  l'Institut  le 
5  inillet  i8o5,  et  inséré  dans  le  tome  XVI  du  Re- 
,iit:il  l'es  hisl.  (.'e<  Gaules  ,  iRi'i  ,  in-fol.  ,  p. .g. 
aS  et  suiv.  H— N. 


\ 


YVE 

très ,  Samson  de  Mauvoison,  qui  fut 
depuis  archevêque  de  Reims  ,  et 
autres  non  moins  célèbres.  Son  église 
cathédrale  n'était  pas  encore  termi- 
née j  il  ne  se  contenta  pas  de  l'ache- 
ver sur  le  plan  tracé  par  ses  prédé- 
cesseurs ,  il  eu  augmenta  beaucoup 
les  embellissements.  Il  reçut  de  la 
munificence  de  Mathilde,  reine  d'An- 
gleterre, des  cloches,  qui  se  firent  en- 
tendre les  premières ,  depuis  l'incen- 
die du  7  sept.  1020.  C'est  à  cette  occa- 
sion qu'il  adressa  à  celte  princesse  sa 
belle  épître  142.  11  fit  construire  à 
ses  frais  le  superbe  jubé  qui  séparait 
la  nef  d'avec  le  chœur  :  ce  jubé, 
dans  lequel  fut  depuis  élevé  le  trône 
où  Henri  IV  ,  rayonnant  de  gloi- 
re ,  apparut  au  peuple  chartrain 
lorsqu'il  reçut  l'onction  sainte  en 
lÔQ?!-  ,  fut  détruit  en  1763  , 
pour  faire  place  à  de  nouvelles  dé- 
corations. C'est  sous  le  même 
^piscopat  ,  vers  l'an  1 080 ,  que 
l'église  de  Chartres  fut  ornée  du 
magnifique  portique  méridional  qui 
■fait  encore  aujourd'hui  l'admira- 
tion des  artistes  et  des  antiquai- 
res ,  et  que  l'on  doit  à  la  généro- 
sité de  Jean  Cormier ,  dit  le  Sourd, 
médecin  du  roi  Henri  I^'^.,  et  l'un, 
des  plus  savants  hommes  qui  aient 
pris  naissance  dans  la  ville  de  Char- 
tres {F.  Cormier,  au  Supplément). 
Le  pape  Pie  V  permit  aux  cha- 
noines réguliers  de  l'église  de  La- 
tran  de  célébrer,  le  20  mai,  la 
fête  de  saint  Yves,  Sa  Fie ,  écrite 
par  le  P.  Fronteau,  génovéfain,  pa- 
rut à  la  tête  de  ses  OEuvres ,  Paris, 
1647.  Elle  a  été  réimprimée  à  Ham- 
bourg, 1720,  et  à  Vérone,  1733. 
On  remarque ,  dans  la  collection  des 
OEuvres  de  saint  Yves  :  I.  Le  Décret 
ou  Recueil  de  règles  ecclésiastiques 
qui  y  tient  la  première  place.  Avant 
lui  ^    Isidore  de  Séville    et   Bur- 

LI. 


YVE  545 

chard  de  Worms  avaient  fait  une 
collection  de  canons  et  d'épîtres 
décrétales  (  Vojez  Burchard  ,  VI , 
285  )  ;  mais  ils  avaient  oublié  d'ex- 
traire les  passages  qui  ont  rapport  à 
l'Eucharistie.  Ce  mystère  ayant  été 
vivement  attaqué  par  Bérenger,  dans 
le  siècle  ou  vivait  Yves ,  ce  prélat 
ajouta  à  son  Décret  l'indication  des 
lieux  qui  servent  à  établir  la  préseû' 
ce  réelle.  Son  Décret  est  divisé  en 
dix-sept  parties.  Dans  la  seconde , 
il  traite  fort  au  long  du  sacre- 
ment de  l'autel ,  de  la  sainte  com- 
munion, de  la  célébration  de  la 
messe  ;  d'où  il  passe  aux  autres  sa- 
crements. Dans  la  cinquième  partie, 
il  étabht  la  primauté  de  l'Église  ro- 
maine et  les  droits  des  métropoli- 
tains et  des  évêques.  Ce  Décret  pa- 
rut d'abord  à  Louvain,  i56i,in-ibl. 
On  allait  en  donner  une  autre  édition  ; 
le  P.  Fronteau,  qui  l'arrêta  ,  revit  le 
texte  sur  d'excellents  manuscrits  des 
abbayes  de  Saint  Victor  et  de  Saint- 
Germain,  d'après  lesquels  futpubliée, 
avec  des  notes  savantes  ,  l'édition 
indiquée  ci-dessus  (  Voy.  sur  cette 
édition  l'article  Souchet  ,  XLIIl , 
167  ).  II.  La  Pannormie  (5)  _,  qui 
est  une  collection  de  canons  et  de. 
décrets  divisée  en  huit  parties  , 
et  qu'Yves  semble  avoir  composée 
avant  son  grand  Recueil,  parut  d'a- 
bord à  Baie ,  en  1 499 ,  in-4^.  ;  et  à 
Louvain,  en  i557,  in-80.  III.  Les 
Lettres  d'YVes  ,  au  nombre  de  deux 
cent  quatre-vingt-huit  ,  imprimées 
d'abord  à  Paris ,   1  ^^^ ,  in-4^. ,  et 


(5)  Baillet  dit  que  Pannormia  est  un  mot  hjbri- 
de.  Il  pense  que  l'auteur  aurait  miepx  fait  de  iijpt- 
tre  Pannom'ut,  du  nioips  le  P.  Possevin  périme 
qu'il  faut  lire  ainsi.  Alors  il  viendrait  évidemment 
de  IlaV  et  de  Noj^OÇ  ,  et  ce  qu'il  coqtient  jus- 
tifie cette  e'tymologie.  Mais  ne  peut-on  pas  diVe 
que  Je  mot Patinorinie  est  formé  du  mot  grec  tlàv 
et  du  mot  latin  Norma  ?  Les  exemples  de  ces  sor- 
tes de  compositions  ne  sont  pas  rares  ,  et  le  sens 
est  le  même.  B — c — E. 

35 


546  YVE 

itiio,  in-8o. ,  formentle  second  tome 
des  OEuvres  publiées  par  le  P.  Fron- 
teau.  Duchesne  a  inse'ré ,  dans  ses 
Historiens  de  France ,  celles  qui , 
au  nombre  de  cinquante  -  cinq  , 
ont  rapport  à  Thistoire  de  France  (6). 
Les  autres  sont  également  précieu- 
ses ,  parce  qu'elles  servent  à  ëclair- 
cir  notre  histoire  ecclésiastique.  Quel- 
ques -  unes  concernent  le  mariage 
de  Philippe  avec  Bertrade.  Elles 
sont  adressées  au  roi  lui-même  et  à 
tous  les  évêques  que  le  prince  avait 
invités  à  ses  noces.  Yves  ayant  été 
jeté  en  prison,  ses  diocésains  vou- 
laient se  soulever  et  attaquer  Hu- 
gues ,  vicomte  de  Chartres ,  qui  avait 
fait  l'arrestation  par  ordre  du  roi  : 
le  prélat  les  conjura  de  rester  en 
paix,  étant  bien  résolu  de  mourir  en 
prison^  plutôt  que  d'être  la  cause  de 
quelque  trouble.  Le  pape  'Urbain  II 
ayant  fait  aux  évêques  de  France 
de  vifs  reproches  ,  sur  ce  qu'ils 
abandonnaient  ce  généreux  pontife , 
Yves,  à  qui  le  paquet  fut  adressé,  le 
retint,  craignant  que  son  contenu 
n'occasionnât  quelque  soulèvement 
dans  le  royaume.  Parla  Lettre  28^., 
il  répond  au  roi  Philippe,  qui  lui 
avait  enjoint  de  venir  le  trouver  ou 
à  Chaumont  ou  à  Pontoise ,  avec  les 
troupes  qui  formaient  le  contingent 
de  l'évêché  de  Chartres.  Le  saint  évê- 
que  prie  le  prince  de  lui  permettre 
de  ne  pas  obéir  :  «  Je  ne  pourrais , 


(6)  La  cinquième  qui  est  adressée  à  Adèle,  com- 
tesse de  Chartres  ,  femme  puissante  et  impérieuse, 
avait  long-temps  présenté  des  incertitutîes  :  saint 
Yves  y  reproche  avec  beaucoup  de  prudence  et  de 
modération  à  cette  princesse  la  protection  qu'elle 
accordait  à  ylilrilais  sa  cousine  germaine,  qui  vivait 
en  adultère  avec  Guillaume.  Quel  était  ce  comte 
Guillaume?  saint  Yves  ne  le  désigne  pas,  et  les 
commentateurs  de  ses  oeuvres  n'avaient  pu  le  dé- 
couvrir ;  mais  D.  Brial  l'a  entrepris  dans  ses  Be- 
cherches  historiques pourparvenir  à  l'intelligence  de 
la  cinquicme  lettre  d'Yves  de  Chartres  ,  insérées 
au  tom.  3,  pag.  56-71  de  l'Hist.  et  Mém.  de  l'ins- 
titut royal  ,  classe  d'hist.  et  littér.  anc.  ,  et  il  ne 
doute  pas  que  ce  ne  soit  Guillaume  de  Breteuil. 
H-N. 


YVE 

»  lui  dit-il,  me  dispenser  de  vous 
»  parler    de    ce   mariage  que  vous 
»  avez    contracté    avec    Bertrade, 
»  que  vous   gardez,  malgré  la  dé-] 
i>  fense  du  pape;  je  ne  serais  point" 
»  en  sûreté    dans   votre   cour,    où 
»  j'aurais    pour    ennemi    un     sexe 
»  qui    ne    sait    point    pardonner  , 
»  même  à  ses  amis.  »  La  Lettre  189^ 
est  une    circulaire   relative   au  sa-1 
cre  de  Louis-le-Gros.  Yves  y  avance 
que  l'on  avait  eu  raison  de  sacrer  roi 
celui  à  qui  le  royaume  appartenait 
par  droit  d'hérédité ,  et  qui  depuis 
long -temps  avait  été  unanimement 
élu  par  les  évêques  et  par  les  grands 
du  royaume;  qu'aucune  loi  ne  fixait 
à  Reims  le  sacre  de  nos  rois;  que, 
sous  la  première  race,  les  enfants  de 
Clotaire  I^^.  n'avaient  reçu  ni  béné- 
diction ni  couronne  de  l'archevêque 
de  Reims  ;  que ,  sous  la  seconde  dy- 
nastie, Louis^  fils  de  Louis-le-BègueJ 
avait  été   couronné  à   l'abbaye   d< 
Ferrières  ;  qu'Eudes  avait  été  saci 
par  Gauthier,  archevêque  de  Sens 
Raoul  à  Soissons,  et  Louis  d'Outre 
mer  à  Laon  ;  que,  sous  la  troisièn* 
race,  Robert  avait  été  sacré  à  Ov 
léans,  et  Hugues  (7),    son  fils,  i 
Compiègne  ;  que ,  quand  même  l'égli 
se  de  Reims  aurait  eu ,  d'après  ui 
privilège  particulier ,  le  droit  de  sa 
crer  nos  princes ,   cela  n'aurait   pc 
avoir   lieu    dans    les   circonstancej 
présentes ,  l'archevêque  n'étant  poini 
intronisé,  et   un   interdit  ayant  été 
jeté  sur  la  ville;  qu'enfin  le  sacre  ai 
Louis    ne   pouvait  se  différer  sans 
compromettre  le  bonheur  du  royau- 
me et  la  paix  de  l'Église.  La  Lettre 
202  contient  un  refus  très  dur  à  une 
demande  assez  bizarre  de  deuxpeaui 
d'hermines   que  lui  avait  adresséij 

(7)  Ce  prince,  couronné  en  1017,  à  Compiègnej 
mourut  avant  le  roi  Robert,  son  père;  son  frèr 
Henri  fut  sacré  à  Keims.  G- 


YVE 

le  roi  Louis-le-Gros.  «  Il  ne  sied  pas 
»  à  la  majesté  royale,  repondit  le 
»  prélat ,  de  demander  aux  evêques 
»  des  ornements  qui  ne  servent  qu'à 
»  la  vanité;  et  il  sied  encore  moins 
»  à  un  e'vêque  de  les  donner  à  un 
»  roi.  Je  n'ai  pu  lire  sans  rougir  la 
»  lettre  par  laquelle  vous  me  les 
»  demandez  ;  et  j 'ai  eu  peine  à  croire 
»  que  vous  l'ayiez  e'crite.  ...»  Les 
usages  du  temps  ,  et  la  situation  du 
clergé  de  France  à  cette  époque, 
peuvent  seuls  faire  comprendre  un 
tel  langage  de  la  part  d'un  évcque  à 
son  souverain.  Les  Lettres  ^33  à  238 
contiennent,  sur  la  grande  question  de 
l'investiture,  des  principes  sages,  éloi- 
gnés de  toute  exagération.  Yves  ne 
cherchait  pointa  excuser  le  pape  Pas- 
cal II  qui  avait  conféré  le  droi  t  d'inves- 
titure à  l'empereur  Henri  V;  mais  , 
ajoutait-il.  ce  pontife  ayant  été  forcé 
par  la  nécessité,  il  n'appartient  qu'à 
Dieu  de  le  juger.  Du  reste ,  il  croyait 
que  l'investiture ,  à  laquelle  préten- 
daient les  autorités  temporelles,  était 
une  usurpation  sacrilège,  mais  qu'il 
fallait  la  tolérer  quand  il  y  avait 
à  craindre  de  plus  grands  maux. 
Dans  plusieurs  autres  lettres ,  Yves 
répond  à  des  cas  de  conscience  qui 
lui  ont  été  proposés.  Il  jouissait 
d'une  telle  considération  dans  l'Église 
de  France  et  au  dehors  ,  que  les  evê- 
ques et  les  ecclésiastiques  le  consul- 
taient de  toutes  parts.  Les  réponses 
qu'il  donnait  prouvent  sa  sagesse  et 
l'étendue  de  ses  connaissances.  IV. 
Vingt-quatre  Sermons  sur  les  princi- 
paux mystères  de  la  foi,  sur  les  gran- 
des fêtes  de  l'Église  ,  sur  l'Oraison 
dominicale,  sur  le  Symbole  des  apô- 
tres et  sur  les  autres  objets  de  la 
religion.  Ils  avaient  d'abord  paru  à 
Cologne,  i568;  à  Rome  ,  iSgi  , 
in- fol.  ^  et  dans  la  Bihl.yatr. ,  Paris, 
1647.  ^*  ^^  Micrologue  ou  observa- 


YVE  547 

tionssur  les  rites  et  offices  ecclésias- 
tiques, parut  à  Paris,  en  1 5 1 0,  in-4^., 
et  1527,  in-24;  à  Rome,  iSgo^à 
Anvers,  i565  ,  in-S*^. ,  à  Cologne  , 
l558  ;  dans  la  Bibl.  patr.  y  enfin 
dans  l'édition  générale  du  P.  Fron- 
teau.  On  peut  diviser  le  Micro- 
logue en  deux  parties  :  la  premiè- 
re concerne  la  célébration  de  la 
messe ,  et  la  seconde  les  différentes 
pratiques  de  l'Église  romaine  à  l'é- 
poque où  vivait  saint  Yves.  Il  ne  se 
contente  point  d'y  rapporter  la  litur- 
gie et  la  lettre  des  cérémonies  ,  pra- 
tiquées dans  la  célébration  des  offices 
divins  j  il  en  donne  encore  des  rai- 
sons mystiqties  ,  qui  en  général  sont 
très-solides.  Il  avait  puisé  dans  les 
livres  liturgiques,  écrits  par  saint 
Grégoire ,  par  Amalaire  et  par  d'au- 
tres anciens.  Il  cite  à  la  vérité  les 
fausses  Décrétales ,  soit  dans  le  Mi- 
crologue ,  soit  dans  ses  Lettres,  soit 
dans  son  Décret ,  soit  dans  sa  Pan- 
normie  ;  mais  il  fonde  surtout  ses 
décisions  sur  l'Écriture  sainte  ,  sur 
les  canons  des  conciles  ,  sur  les  té- 
moignages des  Pères  ,  et  sur  les  lois 
civiles.  Les  questions  de  morale,  de 
droit  et  de  discipline ,  y  sont  tou- 
jours sagement  résolues.  Yves  s'y 
montre  aussi  savant  canoniste  que 
profond  théologien,  mêlant  dans  ses 
décisions  la  douceur  à  la  sévérité ,  et 
laissant  à  ceux  qui  le  consultaient  li- 
berté entière  de  préférer  leur  senti- 
ment au  sien.  Ayant  écrit  à  Alde- 
bert,  évîque  du  Mans,  luie  lettre 
qui  pouvait  offenser  ce  prélat,  il  lui 
en  adressa  depuis  plusieurs  autres  qui 
sont  pleines  d'affection  ,  d'estime  et 
de  respect,  cherchant  ainsi  à  effacer 
les  premières  impressions  qu'il  pou- 
vait avoir  produites.  Quelques-unes  de 
ses  lettres  sont  adressées  aux  évêques 
d'Angleterre ,  et  l'on  voit  qu'outre- 
mer on  ayait  pour  lui  ia  même  con- 


548 


YVE 


sidëration  qu'en  France.  Dans  ses 
écrits ,  Variilas  cite  souvent  Yves  de 
Cliarlres-  c'est  ce  qui  a  donne  lieu 
au  volume  publié  sous  ce  litre  :  Es- 
prit d'Yves  de  Chartres,  Paris, 
Auisson,  1701  ,  in-i2  ,  devenu  ra- 
re, et  qui  a  été  attribué  à  Lenobie, 
mais  que  Barbier  a  restitué  à  Varii- 
las. liCS  citations  de  ce  livre  éclair- 
cissenl  beaucoup  de  faits  importants. 
On  peut  encore  consulter  sur  saint 
Yves  :  i'*.  l'article  qui  lui  a  été  con- 
sacré par  D.  Cellier  dans  son  His- 
toire des  auteurs  sacrés  ^  2°.  V His- 
toire Littéraire  de  France  par  les 
bénédictins,  tome  x,  page  102,  et 
tome  XI ,  page  257  -,  3°.  Les  BoUan- 
distes,  tome  xv  ,  page  i\^. 

G — Y  et  H — N. 
YVES-HÉLORl  (  Saint  ),  pa- 
tron des  gens  de  loi ,  né  le  1 7  octo- 
bre 1^53  ,  au  manoir  de  Ker -Mar- 
tin ,  sur  la  paroisse  de  Menelii ,  lors- 
que Jeanl*^*'.,  dit  le  Boux,  était  duc 
de  Bretagne,  sortait  d'une  famille  no- 
ble et  distinguée  du  diocèse  de  Tré- 
guier.  Le  clievalier  Tanoic  ou  Tan- 
crède ,  son  aïeul ,  s'était  acquis  beau- 
coup de  réputation  dans  les  armes. 
Son  père  se  nommait  Fleelor  ou  He- 
lori,  d'où  il  est  appelé  lui-même 
Yves-Hélori ,  et  sa  mère  Azo  du 
Kenquis  (  en  français  Duplessis  ). 
Il  étudia  la  grammaire  dans  son 
pays ,  et  son  premier  maître  fut  un 
prêtre  vénérable  qui  lui  inspira  le 
goût  de  la  piété,  en  même  temps  qu'il 
le  forma  aux  sciences.  Le  jeune 
Yves  répondit  à  ces  soins  ,  et  s'il  s'a- 
vança dans  les  lettres  ,  il  fit  des  pro- 
grès encore  plus  rapides  dans  la  sa- 
gesse et  la  piété.  Envoyé  à  Paris  dès 
l'âge  de  i4ans^  il  y  passa  dix  ans 
pour  faire  un  cours  de  pbilosophie 
et  de  tliéologie ,  et  un  autre  de  droit 
civil  et  canonique.  Voulant  se  perfec- 
tionner dans  le  droit ,  il  alla  à  Or- 


YVE 

léans ,  et  il  y  étudia  les  D^crétales 
sous  Guillaume  de  Blaye  ,  depuis 
e'vêque  d'Angoulême  ,  et  les  ïnstitu- 
tes  sous  Pierre  de  laChapelle,  depuis 
évêque  de  Toulouse  et  cardinal.  A 
Orléans,  comme  à  Paris ,  la  vie  d'Y- 
ves-Héloii  fut  celle  d'un  anachorète 
austère,  plutôt  que  d'un  étudiant  dis- 
tingué par  son  rang  ,  ses  richesses 
et  ses  succès.  Ses  jours  étaient  parta- 
gés entre  l'étude  et  les  exercices  de 
piété;  et  comme  ils  ne  sujïisaient  pas  à 
l'une  et  à  l'autre,  Yves  y  consacrait 
aussi  une  partie  des  nuits  ;  le  som- 
meilqu'd  s'accordait,  il  le  prenait  sur 
la  terre  couverte  d'un  peu  de  paille. 
Il  s'interdisait  l'usage  du  vin  et  de 
la  viande ,  et  les  pauvres ,  déjà  l'ob- 
jet de  sa  prédilection  ,  recevaient  le 
fruit  de  ses  épargnes.  Il  était  diffi- 
cile que  la  conduite  d'un  jeune 
homme  qui  vivait  aussi  saintement  , 
qui  visitait  les  hôpitaux  ,  qui  ne  par- 
tageait en  rien  la  dissolution  de  ses 
condisciples,  ne  produisît  pas  une  im- 
pression profonde  ;  aussi  l'exemple 
de  saint  Yves  gagna-t-il  k  la  vertu 
plusieurs  libertins  ,  qu'il  retira  du 
désordre.  On  lui  offrit  des  par- 
tis honorables  ,  pour  l'engager  à 
se  marier;  mais  il  les  refusa  tous  , 
prétextant  qu'il  regardait  comme 
incompatible  avec  ie  mariage  une  vie 
consacrée  à  l'étude ,  telle  qu'était  la 
sienne,  ce  qui,  .^u  fond,  se  trouvait 
vrai;  mais  la  véritable  raison  qui  le  re- 
tint fut  le  vœu  de  chasteté  qu'il  avait 
fait  secrètement,  et  qu'il  garda  avec 
tant  de  fidélité.  D'Orléans  ,  il  se  ren- 
dit à  Rennes,  où  ,  suivant  l'usage  du 
temps,  il  étudia  le  quatrième  des 
sentences  (  Fojez  Lombard  ),  et 
l'interprétation  de  la  Sainte-Écritu- 
re, sous  un  pieux  et  savant  religieux 
franciscain.  La  fréquentation  et  l'a- 
mitié de  ce  cordelier,  qui  passait 
pour  un  saint ,  ajoutèrent  encore  à 


YVE 

h  ferveur  d'Yves-He'Iori^  et  ce  fut 
à  cette  époque  qu'il  embrassa  l'état 
ecclésiastique,  ce  qu'il  projetait  de- 
puis long-temps.  La  réputation  de 
piété  et  de  vertu  qu'il  s'était  faite, 
détermina  Maurice  ,  archidiacre  de 
Rennes,  à  lui  procurer  l'emploi  d'of- 
ficial  dans  cette  ville.  Il  se  distingua 
dans  ces  fonctions  par  son  zèle  et  sa 
droiture  ,  mais  il  ne  changea  rien  à 
son  genre  de  vie  pénitente  ,  quoique 
son  oiïicialité  lui  valût  cinquante  li- 
vres de  revenu ,  somme  alors  de  quel- 
que importance.  Dégoûté  des  Ren- 
iiois  qu'il  trouvait  trop  litigieux  , 
suivant  Albert-le-Grand,  ou  trahi 
par  sa  réputation  qui  le  lit  envier  et 
décrier  par  son  propre  évcque  ,  sui- 
vant les  autres  historiens ,  Yves  quit- 
ta la  Haute-Bretagne  et  s'en  retourna 
au  diocèse  de  Tréguier.  L'éveque  , 
Alain  de  Bruc ,  charmé  de  posséder 
un  trésor  qui  lui  appartenait  plus  qu'à 
personne,  nomma  aussitôt  Yves  à  la 
place  d'oiïicial  ;  ainsi  le  saint  changea 
simplement  de  tribunal  et  non  d'of- 
fice. Il  ne  changea  pas  non  plus  de 
conduite;  et  non-seulement  on  eut 
toujours  à  louer  en  lui  le  même  esprit 
de  justice  et  de  pénitence;  mais  encore 
le  diocèse  vit  les  mœurs  du  clergé 
réformées  par  ses  soins.  Sous  Geof- 
froi  de  Tournemine ,  successeur  d'A- 
lain ,  il  continua  de  gérer  Tofficialité 
avec  le  même  zèle.  Son  affection  était 
surtout  pour  les  pauvres  et  les  veuves 
dont  il  plaidait  les  causes  avec  tant  de 
soin  et  de  charité  qu'il  fut  appelé  l'«- 
i^ocat  des  pauvres,  qualité  plus  chère 
pour  lui  que  les  titres  d'honneurs  usi- 
tés dans  le  monde.  Il  n'éta  it  pas  encore 
prêtrequand  il  vint  à  Ticguier.  Alain 
de  Bruc  l'éleva  au  sacerdoce,  et  le 
nomma  recteur  de  Tredrez.  Dès  qu'il 
eut  reçu  l'ordination  ,  Yves  quitta 
les  fourrures  de  son  ancienne  dignité, 
qu*il  n'avait  gardées   que  pour  se 


YVE 


54o 


conformera  l'usage;  et  voulant  dire 
un  adieu  solennel  à  tout  ce  qui  pou- 
vait sentir  la  vanité  ,  il  alla  dans 
l'hôpital  de  la  ville,  où  il  donna  son 
chaperon ,  sa  robe ,  sa  fourrure  et  ses 
bottes  à  quatre  pauvres,  et  se  retira 
nu-tête  et  nu-pieds  (i).  La  charité 
fut  toujours  sa  vertu  de  prédilection  ; 
et  s'il  menait  un  genre  de  vie  extra- 
ordinairement  austère  ,  les  pauvres 
gagnaient  tout  ce  qu'il  se  retranchait 
à  lui-même  ;  leur  compagnie  faisait 
ses  délices;  sa  maison  de  Ker-Martin 
était  un  véritable  hôpital  où  il  rece- 
vait les  indigents  et  les  malades  aux- 
quels il  rendait  quelquefois  les  ser- 
vices les  plus  pénibles.  11  leur  lavait 
lui-même  les  pieds,  pansait  leurs  ul- 
cères, les  servait  à  table ,  et  souvent 
mangeait  leurs  restes.  Il  leur  distri- 
buait ce  qu'il  avait  avec  une  tellepro- 
fusion,  que  la  charité  peut  seule  excu- 
ser  l'excès  de  sa  bienfaisance.  Dans  le 
même  temps  ilmontaitenchaireavec 
le  zèle  d'un  apôtre,  et  l'on  a  remarqué 
qu'un  jour  il  prêcha  la  passion  eu 
sept  églises  diOérentes.  Son  ardeur  à 
réprimer  les  abus ,  suivant  les  de- 
voirs de  sa  place ,  lui  mérita  les  plus 
grossières  injures  des  chicaneurs  , 
qui  l'accablaient  de  malédictions. 
Le  pieux  avocat  repoussa  tou- 
jours les  propos  des  méchants,  et 
n'écouta  jamais  que  sa  conscience. 
En  qualité  d'oiïicial  de  Tréguier ,  il 
s'opposait  à  ce  que  le  roi  de  France 
levât  sur  cette  église  le  centième  et 
cinquantième  des  biens  meubles  de 
l'évêqueet  du  chapitre,nejugeantpas 

(i)  Nous  entrons  à  dessein  dans  ces  de'tails; 
et  peut-êlre  serait-il  intéressant  d'ajouter,  pour 
montrer  et  l'esprit  et  les  usages  du  temps,  que 
les  habits  dont  Yves  se  revêtit  dans  la  suite, 
furent  une  éf/Uoge  de  bure,  une  robe  à  grandes 
manches ,  sans  boutons ,  et  un  chaperon  pour  se 
couvrir  la  tète ,  qu'il  tenait  toujours  baissée  ;  le 
tout  simple,  grossier  et  de  couleur  blanche.  Il 
prit  de  gros  souliers  hauts  et  altachés  avec  des 
courroies,  comme  en  portaient  les  Cisterciens  e!  les 
IJouiiuicaiiis.  Baillet  appelle  celte  chaussure  des 
sandales. 


>5o 


YVE 


qu'il  eût  ce  droit,  quoique  le  roi  pre'- 
tendît  peut-être  avoir  obtenu  le  con- 
sentement du  pape  et  dese'vêques  (2). 
Mais  cet  homme  si  zélë  pour  la  con- 
servation des  biens  de  l'Eglise  mon- 
trait une  sorte  d'indifférence  pour  les 
siens  ,  maigre  le  saint  usage  qu'il  en 
faisait.  En  un  mot ,  toute  la  vie  de 
saint  Yves  fut  une  vie  d'apôtre  j  elle 
fut  partagée  entre  l'ëtudc ,  la  prière 
et  le  service  du  prochain.  Il  avait 
sans  cesse  à  la  main  le  livre  de  la  Sain- 
te-Écriture, et  il  en  savait  tirer  à 
point  nomme  tous  les  avis  et  exem- 
ples nécessaires  à  ceux  qui  le  consul- 
taient. Il  portait  aussi  toujours  sur 
lui  une  hostie  consacrée  dans  une 
boîte  d'argent ,  que  lui  avait  donnée 
une  dame  de  Rostrenen.  Ce  trésor 
e'tait  pendu  sur  sa  poitrine.  Dès 
le  temps  de  ses  études  à  Paris ,  il 
avait  commencé  à  s'abstenir  de 
viande ,  et  à  Orléans ,  il  renonça  à 
boire  du  vin  y  mais  quinze  ans  avant 
sa  mort ,  ses  austérités  redoivblèrent, 
et  sa  vie  changea  totalement.  Ce  fut 
par  ses  soins  que  Ton  reconstruisit 
presque  en  entier  l'église  cathédrale 
de  Tréguier  (3).  Geofî'roi  de  Tour- 
nemine,  pour  récompenser  le  zèle 
d'un  homme  qui  avait  gouverné  si 
saintement  Tredrez  pendant  huit  ans , 
le  nomma  recteur  de  Lohanec  ,  l'une 
des  principales  cures  du  diocèse. 
Yves  la  régit  pendant  dix  années,  au 
bout  desquelles  il  mourut  le  diman- 


(«)  Il  ne  peut  s'agir  ici  du  droit  de  regale  ;  d'ail- 
leurs la  Bretagne  n'était  point  alors  unie  directe- 
ment à  la  couronne.  Suivant  Denisart,  les  e'vèques 
de  cette  province  n'ont  été  soumis  par  arrêta  la  ré- 
gale qu'en  i5p8;  et,  suivant  d'Hériconrt,  par  ar- 
rêt du  18  avril  ■6v,4  ,  la  régale  devait  avoir  lieu  jus- 
fju'à  ce  que  le  nouvel  évèque  eût  fait  enregistrer 
le  serment  de  iidélité  en  la  chambre  des  comptes, 
à  Paris. 

(3)  Comment  néanmoins  concilier  cette  construc- 
tion avec  celle  qui  eut  lieu,  l'an  i3;ip,  à  moins 
qu'on  ne  dise  que  saint  Yves ,  comme  un  autre 
David,  prépara  seulement  les  matériaux.  Il  n'est 
pas  probable  cependant  que  ce  soit  cela  que  l'his- 
torien ait  voulu  dire. 


YVE 

che  après  l'Ascension,  l'an  i3o3, 
ayant  reçu  les  sacrements  de  l'Égli- 
se. Sa  mort  arriva  le  19  mai,  qui  est 
aussi  le  j  our  oii  son  nom  est  inscrit  au 
martyrologe  romain,  et  où  Ton  chôme 
sa  fête  dans  les  diocèses  de  Breta- 
gne, et  autres  églises.  On  célèbre  de 
pkis  sa  translation,  le  29  octobre  (4). 
Les  Bretons  sollicitèrent  vivement  sa 
canonisation.  Le  duc  Jean  de  Mont- 
fort  ,  guéri  miraculeusement  par  l'in- 
tercession de  saint  Yves  ,  fit  lui- 
même  le  voyage  d'Avignon  ,  afin 
de  solliciter  cet  honneur  pour  son 
compatriote.  Enfin  ,  Clément  VI  le 
canonisa  le  19  mai  1347.  On  a  en- 
core le  sujet  des  discours  prononcés 
en  cette  occasion  solennelle.  Entre 
autres  le  franciscain  Jourdain  de  La 
Court,  évêque  de  Trivento  ,  dans  l'A- 
bruzze ,  crut  avoir  fait  merveille  en 
prenant  pour  texte  ces  paroles  de 
la  première  épître  de  saint  Pierre  : 
Qu'Héloï  (  Dieu  )  soit  honoré  par- 
tout. C'est  par  erreur  de  fait  qu'il 
croyait  qu  Héloï  était  le  nom  du 
saint  prêtre  ,  au  lieu  d'Hélori  j  et 
encore  notons  ici  que  le  surnom  de 
saint  Yves  n'était  pas  ffélori ,  mais 
de  Ker- Martin;  et,  si  nous  l'avons 


(4)  C'est  aussi  le  27  octobre  qu'on  fait  la  fête 
de  saint  Yves,  dans  1  ordre  de  saint  François,  par 
décision  d'un  chapitre  général.  C'est  une  ques- 
tion à  décider  entre  les  hagiographes,  si  saint  Yves 
a  été  du  tiers-ordre  de  saint  François.  Baillet  en 
rit  et  semble  le  nier,  s'appuyant  sur  le  P.  Pape- 
broch ,  qui  regarde  comme  incertain  qu'Yves  ait 
pris  l'habit  à  Qnimper,  comme  le  veulent  les  Fran- 
ciscains. Appuyé  sur  la  même  autorité  du  jésuite  , 
Godescard  regarde  celte  agrégation  comme  dou- 
teuse. Oserons-nous  dire  que  nous  sommes  d'un 
avis  contraire?  Il  est  vrai  que  dom  Lobineau  n'en 
dit  rien  :  mais  est-ce  peu  que  l'avilorité  des  chro- 
niques des  frères-mineurs  ,  et  la  tradition  de  l'or- 
dre ?  D'ailleurs  Albert-le- Grand  le  dit  positive- 
ment, et  fait  prendre  à  saint  Yves  l'habit,  non  à 
Quimper,  mais  à  Guingamp,  ville  du  diocésede  Tré- 
guier, ce  qui  est  (-.lus  probable.  Les  couvents  des 
Cordeliers  de  Guingamp  et  de  Quimper  ont  été 
fondés  ,  le  premier  l'an  i?.83 ,  celui  de  Quimper 
l'an  I9.32  ;  saint  Yves  a  pu  prendre  l'habit  de  tier- 
çaire  dans  l'un  et  l'autre.  Ou  trouve  qu'il  a  prê- 
ché à  Quimprr ,  et  l'on  sait  que  le  tiers-ordre  fut 
établi  par  saint  François  lui-même. 


YVE 

nomme  Hëlori  dans  cet  article ,  ce 
n'est  que  pour  nous  conformer  à  l'u- 
sage des  biographes.  II  signait 
à  la  vérité  Yvo  Helorii  de  Ker- 
Martin  ;  mais  Helorii  n'était  ici 
qu'un  hellénisme  fréquent,  surtout 
dans  la  basse  latinité,  et  tenait  lieu 
de  filius  Helorii.  L'université  fon- 
dée à  Nantes ,  par  le  pape  Pie  II , 
en  i46o ,  l'avait  pris  pour  pa- 
tron. La  confrérie  des  juriscon- 
sultes de  Gand  était  aussi  dévouée 
à  saint  Yves ,  que  les  légistes  de 
plusieurs  provinces  ont  pris  pour 
patron ,  plutôt  que  pour  modèle  , 
dit  malicieusement ,  après  Fournel , 
un  avocat  breton  ,  IM.  de  Ker- 
danet.  Le  même  observe  que  l'on  ne 
connaît  guère  que  saint  Yves  ,  dans 
l'ordre  des  avocats,  qui  ait  obtenu  les 
honneurs  de  la  canonisation  (  Voj. 
EoBERTi,  XXXVIII,  218  ).  En- 
fin, il  rapporte  ,  d'après  Moréri ,  que 
le  roi  faisait  une  pension  à  saint  Yves 
qui  avait  paru  avec  éclat  au  barreau 
de  Paris  ^  sous  le  règne  de  Philippe- 
le-Hardi  :  magister  Yvo  sex  dena- 
riis  per  diem.  La  vie  de  saint  Yves 
a  été  donnée  par  Pierre  de  La  Haye 
Kerhiiigant  ,  Morlaix,  1628  ,  fran- 
çais et  breton ,  séparément  ;  elle  se 
trouve  aussi  dans  le  recueil  des  Bol- 
kudistes,  dans  Surius,  etc.  B-c-e. 
YVES  DE  PARIS  naquit  dans 
cette  ville  en  i5g3 ,  et  y  fut  d'abord 
avocat.  Bientôt  dégoûté  du  monde , 
il  se  fit  capucin  ,  et  ne  s'occupa  plus 
pendant  tout  le  reste  de  sa  vie  que 
de  jeûnes  ,  d'austérités ,  de  prédica- 
tions ,  et  de  la  composition  de  divers 
écrits  ,  savoir  :  I.  La  Ccnduite  des 
religieux.  II.  La  Théologie  natu- 
relle. III.  Les  Pratiques  de  piété , 
et  \es  Amours  divins.  \N.  lue?,  Maxi- 
mes et  morales  chrétiennes .  V.  Le 
Gentilhomme  chrétien.YJ.  U Agent 
de  Dieu  dans  le  monde.  VIL  Les 


YVE 


55i 


Fausses  opinions  et  vaines  excuses 
du  pécheur.  VÏII.  Le  Magistrat  in- 
tègre. IX.  Heureux  succès  de  la 
piété  et  triomphe  de  la  vie  reli- 
gieuse. L'auteur,  ayant  prodigué 
dans  ce  dernier  ouvrage  des  louan- 
ges excessives  aux  religieux  de  tous 
les  ordres ,  et  ayant  traité  le  clergé 
séculier  avec  beaucoup  de  mépris  , 
fut  condamné  par  le  clergé  de  Fran- 
ce ;  mais  cette  censure  ne  fut  point 
publiée.  Cependant  Yves  la  reconnut 
et  donna  des  éclaircissements  qui  pa- 
rurent satisfaire  les  réclamants.  On 
lui  attribue  un  autre  écrit  publié 
sous  le  voile  de  l'anonyme  ,  avec  ce 
titre  :  Astrologiœ  nova  methodus 
Francisci  Allaei ,  Arahis  christia- 
ni ,  Bhedonis  (  Rennes) ,  1 654-55  , 
trois  parties  in-fol.  Cette  édition,  im- 
primée aux  frais  du  marquis  d'As- 
serac ,  fut  brûlée  à  Nantes  par  la 
main  du  bourreau  (  Voy.  Peignot, 
Dictionnaire  des  livres  condamnés 
au  Jeu  ,  II ,  2o5  ).  Elle  est  très-re- 
cherchée des  curieux;  mais  on  ne 
fait  aucun  cas  de  la  réimpression  pu- 
bliée sous  la  même  date  ,  ni  des  édi- 
tions postérieures,  parce  qu'on  en  a 
retranché  les  prédictions  relatives 
aux  divers  états  de  l'Europe,  les- 
quelles avaient  été  cause  de  la  con- 
damnation de  l'ouvrage.  Ce  volume 
est  divisé  en  trois  parties  :  la  pre- 
mière, précédée  d'une  dissertation 
intitulée  Sors  auctoris ,  contient  As- 
trologiœ  nova  methodus ^  1 2  pag.  ; 
la  seconde,  Fatum  universi  ohserva- 
tum  ,  4o  pag.;  enfin  la  troisième  , 
datée  de  i655  :  In  librum  defato 
universi  disceptatio  P.  Ivonis ,  26 
pages.  De  ce  que  le  P.  Yves  a 
pris  la  défense  du  Fatum  condamné 
au  feUjLeibnitz  a  conclu  que  tout  l'ou- 
vrage lui  appartient  ,  et  qu'il  s'est 
caché  sous  le  nom  à'Allaeus ,  parce 
qu'il  avait  devant  les  yeux  l'exemple 


'>5'î 


YVO 


de  deux  astrologues  condamnes  ré- 
cemment aux  galères.  Ce  livre  est 
e'crit  d'une  manière  bizarre  et  diffu- 
se ,  comme  tous  ceux  du  même  au- 
teur. Yves  mourut  en  lô-jS  ,  à  l'âge 
de  quatre-vingt-cinq  ans  ,  dont  il 
avait  passe  soixante  chez  les  capu- 
cins. W — s. 

YVON  (Pierre),  Tun  des  disci- 
ples de  Labadie  (  F.  ce  nom ,  XXIII, 
3),  était  né  ,  vers  i64o,  k  Montau- 
ban.  Il  connut  ce  visionnaire  dans  le 
temps  qu'il  exerçait  en  cette  ville  le 
ministère  évangélique.  Ayant  embras- 
sé ses  erreurs  ,  il  le  rejoignit  en  Hol- 
lande ,  et  partagea  tous  les  dangers 
auxquels  l'exposa  sa  manie  de  pro- 
sélytisme. Après  la  mort  de  Labadie 
(  1674)  j  Y  von  lui  succéda  sans  obs- 
tacle dans  la  direction  d'une  secte 
peu  nombreuse^  et  qui  ne  pouvait 
pas  recevoir  un  grand  accroissement. 
En  i6y8  ,  il  s'établit,  avec  ses  par- 
tisans ,  à  Wiewcrt  dans  la  Frise ,  sur 
l'invitation  des  demoiselles  de  Som- 
melsdyck,  à  qui  cette  terre  apparte- 
nait. Elles  étaient  quatre  sœurs.  Y  von, 
dans  la  suite,  en  épousa  une,  et  par 
ce  mariage  devint  seigneur  de  Wie- 
wert.  On  ignore  la  date  de  sa  mort. 
Parmi  ses  ouvrages ,  assez  nombreux 
et  dont  quelques-uns  ont  été  traduits 
en  hollandais  et  en  allemand,  les 
deux  plus  connus  sont  :  I.  Impietas 
convicta  tractatibus  duohiis,  in  quo- 
rum priori ,  existentia  Dei,  ut  om- 
nium veritatum  prima  et  certissima 
clarè  stahilitur;  in  secundo ,  Scrip- 
tura  defenditurah  impio  libro  Spino- 
sœ ,  oui  tilulus  :  Tractatus  theolo- 
gico-politicus ,  Amsterdam^  1681, 
in-80.  (  F.  Spinosa,  XLIII,  325  ). 

11.  Le  Mariage  chrétien,  sa  sain- 
teté et  ses  devoirs  selon  les  senti- 
ments de  l'Église  réformée,  retirée 
du  monde,  Amsterdam,  i685,  in- 

12.  Suivant  Bayle,  ks  conditions 


YVO 

qu'Yvon  impose  aux  gens  mariés 
sont  plus  difficiles  à  remplir  que 
celles  du  célibat  (  Yoy.  Nouvelles  de 
la  république  des  lettres ,  novembre 
i685).  W-s. 

YVON  (  l'abbé  ) ,  littérateur  mé- 
diocre ,  était  né ,  vers  1720,  dans  la 
Normandie.  Ayant  embrassé  l'état 
ecclésiastique,  il  vint  à  Paris,  où 
Diderot  et  d'Alembert  l'associèrent 
à  la  rédaction  de  \ Encyclopédie,  Il 
fournit  à  la  première  édition  de  ce 
dictionnaire  les  articles  ame  y  athée, 
Dieu,  etc. ,  dans  lesquels  on  crut  re- 
trouver des  traces  du  penchant  de 
l'auteur  pour  le  matérialisme.  On  le 
soupçonna  d'avoir  eu  part  à  la  fa- 
meuse Thèse  de  l'abbé  de  Prades 
{F,  ce  nom  ,  XXXVI,  i  ).  Naigeon  , 
dans  ses  Mémoires  sur  Diderot,  ap- 
puie les  bruits  qui,  lors  de  la  publica- 
tion de  cette  thèse,  en  signalèrent 
Yvon  comme  l'un  des  rédacteurs  (  i  ); 
mais  Palissot  les  dément  d'une  ma- 
nière formelle  (Voy.  Mémoires  de 
littérature  ).  Suivant  l'auteur  de  la 
comédie  des  Philosophes,  qui  l'avait 
connu  particulièrement ,  l'abbé  Yvon 
était  un  théologien  philosophe ,  en- 
nemi de  la  superstition ,  mais  plein 
de  respect  pour  cette  morale  bien- 
faisante qui  tend  à  rapprocher  tous 
les  hommes,  et  qui  est  l'essence  mê- 
me de  la  religioo.  Obligé ,  pour  se 
dérober  aux  persécutions  et  à  la  mi- 
sère, de  faire  à  ses  supérieurs  quel- 
ques sacrifices  de  complaisance,  il 
écrivit  quinze  Lettres  {1)  à  Rous- 
seau ,  en  réponse  à  celle  que  l'auteur 
d'Emile  avait  adressée  à  Tarchcvê- 
que  de  Paris.  Cette  preuve  de  zèle , 


(i)  Cette  fameuse T/ièie,  dit  Naigeon,  dont  l'ab- 
te'  de  Prades  et  un  certain  abbe'  Yvon ,  qui  ne  va- 
lait pas  mieux  que  lui ,  rédigèrent  toutes  les  propo- 
sitions ,  fut  géue'ralement  attribuée  à  Diderot.  M^- 
rnoiie.i  sur  Diderot    I,  60, 


I 


(•/)  U  n'y 
i -après. 


eut  ([ue  deu3  d'itnprtnjoes. 


YVO 

dont  il  était  trop  facile  de  deviner  le 
motif,  ne  put  lui  mériter  la  confian- 
ce du  prc'lat.  Toujours  suspect  à  ses 
confrères ,  il  venait  de  mettre  au  jour 
le  troisième  volume  de  ses  Discours 
SUT'  l'histoire  ecclésiastique ,  lors- 
qu'on lui  ota  son  censeur  ;  et  l'arche- 
vcque,  en  s'opposant  à  la  publica- 
tion du  reste  de  l'ouvrage,  refusa  de 
lui  faire  connaître  les  causes  de  sa 
détermination  {Mémoires  secrets  de 
Bachaumont,  iv,  i6).  L'abbe  Yvon 
avait  obtenu  cependant  un  canonicat 
de  la  cathédrale  de  Coulances  et  le 
titre  d'historiographe  de  M.  le  comte 
d'Artois.  Il  passa  les  dernières  an- 
nées de  sa  vie  dans  la  retraite  et  l'obs- 
curité, et  mourut  vers  1790.  Aucun 
de  ses  ouvrages  ne  lui  a  survécu.  Les 
principaux  sont  :  I.  Liberté  de  cons- 
cience resserrée  dans  ses  homes  lé- 
gitimes ^  Londres ( Paris) ,  1 754-55, 
3  part,  in  -  8».  IL  Lettres  à  M. 
Rousseau  pour  servir  de  réponse  à 
sa  lettre  contre  le  mandement  de 
l'archevêque  de  Paris,  Amsterdam 
(Paris),  1763,  in-S-^.  L'abbé  Yvon 
promettait  quinze  Lettres  ;  mais  ce 
volume,  le  seul  qui  ait  paru,  n'en 
contient  que  deux.  III.  Discours  gé- 
néraux et  raisonnes  sur  Vhistoire 
de  l'Eglise,  Amsterdam  (Paris), 
1768,  3  vol.  in-  12.  L'ouvrage  de- 
vait ei\SiVO\vào\ne.YS[.  Accord  de  la 
philosophie  avec  la  religion  ,  prouvé 
par  une  suite  de  discours  relatifs  à 
treize  époques ,  Paris ,  1776,  in- 1 'i . 
Ce  volume  ne  contient  que  le  dis- 
cours préliminaire.  L'abbé  Sabatier 
en  avait  conchi  que  l'ouvrage  serait 
plus  propre  à  augmenter  qu'à  dimi- 
nuer le  nombre  des  incrédules  (  V , 
les  Trois  siècles  de  la  littérature  ). 
V.  Histoire  philosophique  de  la  re- 
ligion ,  Liège,  1779,  'i-  vol.  in-8^\  • 
Paris,  i"}^!,  17^5,  même  format. 
C'est  une  réimpression ,  avec  quelques 


YVO 


553 


cbangements  ;,  de  ses  Discours  sur 
Vhistoire  de  V Eglise.        W — s. 

YVON  (  Pierre  -  Christophe  ) , 
médecin,  né  à  Ballon  près  du  Mans  , 
le  25  déc.  ï  7 19,  fit  d'excellentes  étu- 
des à  l'Oratoire  de  cette  ville.  Quand 
il  fut  arrivé  à  l'âge  de  18  ans  ^  sa 
mère  lui  fit  part  du  désir  qu'elle  avait 
de  le  voir  embrasser  l'état  ecclésias- 
tique. Ce  désir  était  un  ordre  pour 
lui.  Il  entra  à  l'Oratoire,  mais  avec 
la  résolution  tacite  de  n'y  point  faire 
de  vœux.  Peu  de  temps  après ^  il  fut 
envoyé  à  la  maison  de  Juilly ,  où  pen- 
dant plusieurs  années  il  fut  régent  de 
différentes  classes.  Ses  élèves  et  ses 
supérieurs  le  cliérissaient  et  l'esti- 
maient. Néanmoins  sa  position  n'é- 
tait pas  celle  qu'il  eût  choisie.  A  l'âge 
de  vingt-cinq  ans ,  il  perdit  sa  mère , 
quitta  l'Oratoire,  et  vint  à  Paris, 
pour  y  étudier  la  médecine.  Il  s'était 
muni  de  recommandations  pour  Bou- 
vart  et  Poissonnier,  qui  prirent  à  lui 
un  intérêt  paternel.  Après  trois  ans 
d'études  et  de  travaux,  il  fut  reçu 
docteur  à  Reims.  Il  se  maria  ,  et 
eut  en  peu  d'années  une  nombreuse 
famille.  Le  besoin  d'augmenter  sa 
fortime  et  un  désir  bien  naturel  cliez 
tout  homme  instruit  lui  firent  sou- 
haiter de  se  rapprocher  du  centre 
des  lumières^  et  de  se  fixer  à  Paris  ^ 
ou  du  moins  le  plus  près  possible 
de  la  capitale.  Il  écrivit  donc  sur 
ce  sujet  à  Lemonier,  qui,  après 
avoir  été  son  maître  à  l'école  de 
médecine,  était  resté  son  ami.  Le- 
monier occupait  alors ,  à  Saint- 
Germain-en-Laye ,  la  place  de  mé- 
decin du  roi.  Obligé,  en  1757,  de 
faire  un  voyage  qui  devait  durer 
deux  ans  ,  il  proposa  à  Yvon  de 
le  remplacer  pendant  son  absen- 
ce. Cette  offre  fut  acceptée  avec  em- 
pressement. A  cette  époque  (1757), 
la  place  de  médecin  de  l'abbaye  roya- 


554  YVO 

le  de  Poissi  devint  vacante  j  Yvon 
l'obtint.  Il  pouvait  facilement  venir 
à  Saint-Germain ,  visiter  les  malades 
dont  il  avait  la  confiance.  En  1 778 , 
il  s'y  fixa  tout  -  à  -  fait  j  et  jusqu'en 
l8ii  ,  c'est-à-dire,  jusqu'à  l'âge  de 
quatre-vingt-onze  ans ,  il  y  a  rempli 
sa  profession  avec  honneur  et  désin- 
téressement. Loin  de  tenir  aux  vieil- 
les routines  de  la  médecine,  il  cher- 
chait et  accueillait  avec  empresse- 
ment tout  ce  que  les  découvertes  nou- 
velles pouvaient  y  apporter  de  chan- 
gements heureux.  Ainsi  nul  plus  que 
lui  ne  fut  propagateur  de  l'inocula- 
tion d'abord  j  et  ensuite  de  la  vacci- 
ne. Il  avait  horreur  du  charlatanis- 
me, et  le  poursuivait  de  tous  ses 
moyens.  Le  magnétisme  surtout  lui 
semblait  une  ridicule  jonglerie;  et  il 
manifesta ,  à  cet  égard ,  son  opinion 
dans  toutes  les  circonstances.  Une  de 
ses  qualités  dominantes  était  la  bien- 
faisance. Ce  qu'il  recevait  des  riches 
appartenait  toujours  aux  pauvres  5  et 
il  avait  pour  ceux-ci  un  compte  ou- 
vert chez  le  pharmacien  ,  le  boulan- 
ger, le  boucher  et  le  marchand  de 
bois.  Il  donnait  des  cartes  pour 
eux  aux  pauvres  familles  qu'il 
visitait  ;  et  chaque  mois  il  sol- 
dait ces  cartes.  Enfin  il  s'était  fait 
une  loi  de  ne  jamais  recevoir  d'ar- 
gent d'un  ouvrier  malade.  Cette  bien- 
faisance ne  fut  pas  perdue  pour  lui. 
Un  des  coryphées  du  club  de  Saint- 
Germain  l'ayant  dénoncé,  en  1793, 
comme  un  aristocrate,  la  dénon- 
ciation fut  repoussée  par  toute  l'as- 
semblée; et  le  docteur  Yvon  n'eut 
plus  aucun  risque  à  courir  pendant 
tout  le  cours  de  la  révolution.  Il 
mourut  à  Saint-Germain^ le  i5  mars 
i8i4.  On  a  de  lui  un  grand  nom- 
bre d'articles  remarquables ,  insérés 
dans  le  Journal  de  médecine. 

D— G— T. 


Y-YN 

Y-YN  ,  Tun  des  plus  grands  hom- 
mes d'état  qu'ait  eus  la  Chine  ,  na- 
quit vers  l'an  1770  avant  J.-C. ,  et 
fut  d'abord  premier  ministre  de  l'em- 
pereur Tching-thang.    Il    eut    une 
grande  part  aux  sages  mesures  que 
sut  adopter  ce  prince  dans  les  cala- 
mités quialfligèrentune  partie  de  son 
règne ,  et  ce  fut  par  les  conseils  et  les 
soins  de  ce  ministre   que    son   em- 
pire fut   mis    pour   long  -  temps    à 
l'abri   des  horreurs   de  la    famine. 
Lorsqu'il  mourut  en  l'année    1758 
avant  J.-C.  (la  quarante -cinquième 
année  Wou-chin  du  11^.  cycle),  le 
ministre  Y-yn  sut,  par  de  sages  me- 
sures et  l'ascendant  de  son  éloquence 
sur  les  grands,  faire  nommer  empe- 
reur son   petit-fils   Taï-lda ,   avant 
même  que  les  funérailles  fussent  ache- 
vées. 11  continua  sous  ce  nouveau  rè- 
gne les  mêmes  fonctions  ,  et  donna 
d'excellents  avis  au  jeune  souverain^ 
mais  de  jeunes  débauchés  s'étant  em- 
parés de  l'esprit  de  ce  prince,  il  s'a- 
bandonna sans  réserve  à  toutes  ses 
passions,  et  le  ministre  Y-yn  fit  pen- 
dant deux  ans  d'inutiles  eflbits  pour 
le  rappeler  à  la  vertu.  Enfin  ses  ex- 
hortations  eurent    un  plein  succès. 
Craignant   alors  de  voir   retomber 
l'empereur  dans  ses  premiers  écarts, 
et  voulant  l'affermir  dans  ses  nou- 
velles dispositions  en  l'éloignant  de 
toutes  les  causes   de   séduction  ,  il 
l'engagea  à  se  rendre  avec  lui  dans 
un  palais  qu'il  avait  fait  bâtir  près 
du  tombeau  de  Tching-thang  j  et  il 
lui  fit  prendre  la  résolution  d'y  rester 
pendant  trois  ans  pour  remplir   le 
temps  du  deuil  prescrit  après  la  mort 
de  chaque  empereur.  L'ayant  ensuite 
ramené  dans  sa  capitale ,  il  voulut  se 
démettre  de  ses  hautes  fonctions  ^  et 
demanda  sa  retraite  avec  beaucoup 
d'instances  ;  mais  Taï-kia  la  refusa 
constamment  •  et  forcé  de  rester  au 


I 


Y-YN 

ministère ,  Y-yn  redoubla  de  zèle  et 
rendit  le  règne  de  cet  empereur,  qui  du- 
ra trente-trois  ans,  l'un  des  plus  heu- 
reux et  des  plus  brillants  de  la  dy- 
nastie des  Chang.  En  même  temps 
qu'il  tenait  avec  tant  d'habileté  les 
rênes  du  gouvernement ,  Y  -yn  donnait 
ses  soins  à  l'éducation  de  Wouting  , 
fils  de  l'empereur ,  et  il  réussit  à  en 
faire  un  prince  digne  en  tout  point  de 
son  père.  Lorsqu'il  lui  eut  succède  , 
le  ministre  ,  parvenu  à  un  Age  très- 
avancé,  ne  put  obtenir  la  permission 


YZZ  555 

de  se  retirer  qu'en  donnant  au  nou- 
veau souverain  un  homme  de  son 
choix  •  et  il  alla  finir  dans  la  retraite 
son  honorable  carrière  qu'il  poussa 
jusqu'à  l'âge  de  cent  ans.  —  Son  fils 
Y-tchi ,  qui  lui  succéda  dans  le  mi- 
nistère ,  se  distingua  aussi  par  ses 
vertus  et  par  son  habileté  dans  les 
affaires.  Z. 

YZARN.   Foj.  IsARN  ,   au  Sup- 
plément. 

YZZ-EDDIN  (Ebn  el  Athir  ). 
F,  Ibn  al  Atsyr. 


FIN    DU    CINQUANTE-UNIEME     VOLUME. 


â 


et  Blogniphlt  unlrwaellt, 

2*3  ancienn»  et  moderne 

un 

t.  51 


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